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UNE OPPOSITION STRUCTURANTE POUR L'ANTHROPOLOGIE STRUCTURALE : LÉVI-STRAUSS CONTRE GURVITCH, LA GUERRE DE DEUX EXILÉS FRANÇAIS AUX ÉTATS-UNIS Laurent Jeanpierre Ed. Sc. Humaines | Revue d'Histoire des Sciences Humaines 2004/2 - no 11 pages 13 à 44 ISSN 1622-468X Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-histoire-des-sciences-humaines-2004-2-page-13.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jeanpierre Laurent, « Une opposition structurante pour l'anthropologie structurale : Lévi-Strauss contre Gurvitch, la guerre de deux exilés français aux États-Unis », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2004/2 no 11, p. 13-44. DOI : 10.3917/rhsh.011.0013 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Ed. Sc. Humaines. © Ed. Sc. Humaines. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - EHESS - - 193.48.45.27 - 05/07/2012 17h59. © Ed. Sc. Humaines Document téléchargé depuis www.cairn.info - EHESS - - 193.48.45.27 - 05/07/2012 17h59. © Ed. Sc. Humaines

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UNE OPPOSITION STRUCTURANTE POUR L'ANTHROPOLOGIESTRUCTURALE : LÉVI-STRAUSS CONTRE GURVITCH, LA GUERREDE DEUX EXILÉS FRANÇAIS AUX ÉTATS-UNIS Laurent Jeanpierre Ed. Sc. Humaines | Revue d'Histoire des Sciences Humaines 2004/2 - no 11pages 13 à 44

ISSN 1622-468X

Article disponible en ligne à l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-histoire-des-sciences-humaines-2004-2-page-13.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jeanpierre Laurent, « Une opposition structurante pour l'anthropologie structurale : Lévi-Strauss contre Gurvitch, laguerre de deux exilés français aux États-Unis », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2004/2 no 11, p. 13-44. DOI : 10.3917/rhsh.011.0013--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2004, 11, 13-43.

Une opposition structurante pour l’anthropologie

structurale : Lévi-Strauss contre Gurvitch, la guerre de deux exilés français aux États-Unis

Laurent JEANPIERRE

Résumé Cet article contribue à une socio-genèse des Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss. Contre les explications purement intellectualistes ou psychologi-ques de la créativité scientifique de l’ethnologue français réfugié aux États-Unis, on montre à quelles conditions une position d’exilé peut offrir l’opportunité d’une révolu-tion symbolique. À cet effet, on compare les trajectoires, les visions du monde social, les manières de faire et les modes d’engagement politique en exil de Claude Lévi-Strauss et de Georges Gurvitch. Sur un plan historique, on montre que, manifeste dans les années 1950, l’opposition des prises de position et des styles scientifiques et intel-lectuels des deux hommes s’était déjà cristallisée pendant la Seconde Guerre mondiale. En outre, elle a représenté un facteur social important, jusqu’à présent négligé, dans la formation de l’anthropologie structurale. La plus grande capacité à innover de Lévi-Strauss, dans la situation de double marginalité de l’exilé, s’explique par le fait qu’il compense le moindre volume de ses capitaux scientifiques et symboliques par une stra-tégie d’accumulation d’un capital social international et interdisciplinaire plus ouvert et diversifié que celui de Gurvitch, composé de liens faibles plutôt que de liens forts. Au fond, l’article propose de réviser les théories sociologiques qui associent automati-quement marginalité sociale et créativité intellectuelle. Mots-clés : Capital social – Créativité – Exil – Georges Gurvitch – Innovation scientifique – Claude Lévi-Strauss – Liens faibles – Marginalité créatrice – Structuralisme – Structures élémentaires de la parenté. Abstract : A Structuring Opposition for Structural Anthropology : Lévi-Strauss versus Gurvitch, the War of two French Exiles in the United States This article proposes a socio-genesis of Claude Lévi-Strauss’s The Elementary Structures of Kinship. Against the purely intellectualist or psychological explanations of scientific creativity, it highlights the social conditions under which a position of in-tellectual in exile may transform itself into an opportunity for symbolic revolution. For this purpose, I compare the trajectories, the visions of the social world, the ways of doing science and the types of political commitment of Claude Lévi-Strauss and Georges Gurvitch. Their open conflict in the Fifties appears to have been prepared during World War II in the United States. Moreover, this first opposition between the two social scientists represents an important social factor, neglected sofar though, in the invention of structural anthropology. If in such a social situation of marginality Lévi-Strauss’s capacity for innovation is higher, if his recognition after exile is bigger, it is because he could accumulate some social capital which is more open and diverse than Gurvitch’s. The article calls for a revision of sociological theories which put for-ward an automatic correlation between social marginality and intellectual creativity. Key-words : Creative Marginality – Creativity – Elementary Structures of Kinship – Emigré Scholars – Exile – Georges Gurvitch– Claude Lévi-Strauss – Refugee Scholars – Scientific Change – Social Capital – Structuralism – Weak Ties.

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« On peut en effet considérer que l’ethnologie n’a pu naître comme science qu’au moment où un décentrement a pu être opéré : au moment où la culture européenne – et par conséquent l’histoire de la métaphysique et de ses concepts – a été disloquée, chassée de son lieu, devant alors cesser de se considérer comme culture de référence. Ce moment n’est pas d’abord un moment philosophique, il est aussi un moment politique, économique, technique, etc. »

Jacques DERRIDA, L’Écriture et la différence 1 Si Tristes Tropiques est l’ouvrage qui a rendu Claude Lévi-Strauss célèbre au mi-

lieu des années cinquante, son exil américain a été à l’origine de la formation de l’an-thropologie structurale quelques années auparavant. Lorsqu’il arrive à New York en 1941, Lévi-Strauss n’a en effet écrit que deux articles et il est presque entièrement inconnu. Un peu plus de six années plus tard, à son retour en France, il soutient sa thèse, Les structures élémentaires de la parenté, publiée en 1949, alors qu’il est en poste au CNRS, au Musée de l’Homme ainsi qu’à la VIème section de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE). L’ouvrage est alors presque immédiatement reçu par les sciences humaines et la philosophie, en France puis aux États-Unis, comme porteur d’une « révolution scientifique ». Du moins s’accorderait-on aujourd’hui à dire, parmi les historiens 2 et les exégètes à nouveau plus nombreux du structuralisme 3 – ce der-nier mot n’apparaît qu’autour de 1958 – que Lévi-Strauss relançait et étendait alors un paradigme naissant, seulement diffus en Europe dans l’entre-deux-guerres et dont le foyer originel était jusqu’alors confiné à la linguistique et peut-être aux mathémati-ques. On connaît encore mal pourtant les circonstances exactes de production de cette œuvre 4.

Il s’agira donc de revenir ici sur une partie des conditions socio-historiques de ce qui se donne rétrospectivement comme une innovation scientifique et l’extension dis-ciplinaire d’une méthode d’analyse de la réalité. Le problème général n’est pas neuf dans le domaine des sciences studies, celles-ci consacrant une grande partie de leurs efforts à expliquer les origines et les mécanismes de la créativité voire, depuis Kuhn, des ruptures paradigmatiques. Au plan psychologique comme au niveau sociologique, la rencontre avec des idées produites dans un contexte étranger – disciplinaire ou national –, le déplacement territorial, institutionnel et la migration, choisie ou forcée, ont ainsi pu apparaître comme des facteurs favorables aux hybridations de pensée, aux synthèses inédites et, par-là, sous certaines conditions institutionnelles et cognitives qui restent à spécifier suivant l’objet d’étude, à des productions intellectuelles nou-velles ou d’avant-garde 5.

1 DERRIDA, 1967b, 414. Souligné par moi. 2 DOSSE, 1991. 3 Par exemple, cf. CAWS, 1988 ; MILNER, 2002. Lévi-Strauss n’est délibérément pas évoqué dans ce

dernier ouvrage. 4 Il s’agit donc ici d’une entreprise complémentaire de celles qui viseraient à lever « les obscurités (qui)

entourent encore ce moment décisif que fut le passage de relais entre la sociologie durkheimienne et l’anthropologie structurale ». HÉRAN, 1998a, 4.

5 MULKAY, 1974 ; HOCH, 1987a ; HOCH, 1987b. Pour une mise en relation plus générale des rapports entre mobilité et créativité, cf. BEN-DAVID, COLLINS, 1966. Pour une explicitation des hypothèses de psychologie cognitive qui restent le plus souvent à l’état implicite derrière l’hypothèse d’une corrélation

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La mise à l’épreuve de ces résultats, à partir du cas qui nous occupe ici, incite par conséquent à s’interroger sur ce que l’historiographie de la « Grande Migration » eu-ropéenne postérieure à 1933 aux États-Unis a quelquefois théorisé, souvent après Simmel, comme un « privilège épistémologique » de l’exilé 6. Peut-on expliquer l’in-novation scientifique que représente Les Structures élémentaires par la seule position marginale de Claude Lévi-Strauss, en qualité de réfugié ? Comment rendre compte de l’intuition fulgurante du philosophe Jacques Derrida, suivant laquelle « l’ethnologie n’a pu naître comme science » avec Lévi-Strauss, qu’« au moment où la culture euro-péenne (…) a été disloquée, chassée de son lieu, devant alors cesser de se considérer comme culture de référence » 7 ? Quelle a pu être, autrement dit, la fonction de la si-tuation d’exil, à laquelle Lévi-Strauss est contraint à partir de 1941, dans la naissance de l’anthropologie structurale 8 ?

L’ethnologue a lui-même donné à plusieurs reprises une réponse à ces questions, soulignant en particulier l’importance pour lui de la rencontre quasi-fortuite avec le linguiste Roman Jakobson sur le plan du développement de sa méthode et celle des bibliothèques américaines, la New York Public Library notamment, pour la collecte des matériaux empiriques nécessaires à l’élaboration des Structures élémentaires9. Lévi-Strauss propose ainsi une interprétation principalement intellectualiste de la genèse de l’anthropologie structurale, cette dernière étant réduite à l’assemblage d’un ensemble d’influences de pensée diverses mais saisies hors de tout contexte disci-plinaire, institutionnel, social. Il s’agit de surcroît d’une reconstruction sélective qui surestime sans doute l’effet de rupture provoqué par Les structures élémentaires dans l’histoire de l’anthropologie française : ainsi ne rend-elle sans doute pas suffisamment justice à d’autres influences visibles, au moins aussi pertinentes pour la discipline anthropologique, comme celles de Granet seulement évoquée et minorée 10 et, plus largement, celle de toute l’école française de sociologie – hormis Durkheim et

forte entre déplacement géographique et créativité, cf. TILLICH, 1937 ; KUPFERBERG, 1998, qui évoque aussi en passant l’exil de Lévi-Strauss comme représentatif d’une expérience de « voyageur » (201).

6 Sur l’hypothèse d’un « privilège épistémologique de l’exilé », cf. TRAVERSO, 2004, 10. Sur la tradition sociologique ou historienne qui défend cette hypothèse, souvent composée de chercheurs qui ont eux-mêmes été exilés, cf. SIMMEL, 1978 (1908) ; SCHÜTZ, 2003 (1944-1945) ; LAZARSFELD, 1969, 270-337 ; HUGHES, 1975 ; COSER, 1984 ; ASH, SÖLLNER, 1996. Cette hypothèse n’est d’ailleurs bien souvent que l’application d’une hypothèse plus générale sur la « marginalité créatrice » en sciences, telle qu’elle apparaît, par exemple, in MERTON, 1972, ou DOGGAN, PAHRE, 1990. On en trouverait d’autres exemples, tout aussi normatifs, dans l’étude des champs littéraire ou artistique, comme in SULEIMAN, 1998. Pour comprendre la genèse de ces hypothèses, il faudrait faire l’histoire des représentations savantes des positions de marginalité et de déviance et des connotations, négatives puis positives, qui leur ont été associées suivant les époques et les disciplines.

7 DERRIDA, 1967b, 414. Souligné par moi. On trouve la même intuition et presque les mêmes termes dans un texte antérieur du même ouvrage, où apparaît mieux la nature psychologique et historique de l’explication derridéenne, le structuralisme étant entendu cette fois comme une réaction au nazisme et à sa destruction de la culture occidentale : « On perçoit la structure dans l’instance de la menace, au moment où l’imminence du péril concentre nos regards sur la clef de voûte d’une institution, sur la pierre où se résument sa possibilité et sa fragilité. (…) C’est dans les époques de dislocation historique, quand nous sommes chassés du lieu, que se développe pour elle-même cette passion structuraliste qui est à la fois une sorte de rage expérimentale et un schématisme proliférant ». In DERRIDA, 1967a.

8 Sur le séjour américain de Lévi-Strauss, consulter aussi COHEN-SOLAL, 1999, 13-25 ; MEHLMAN, 2000, 181-196.

9 LÉVI-STRAUSS, ERIBON, 2001 (1988), 62-65, 71 et 149-150. 10 HÉRAN, 1998a, 1998b, 1998c.

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Mauss – ou celle, encore, de la tradition ethnologique américaine des études sur la pa-renté, au delà de Boas, Krœber ou Lowie 11. Le récit par Lévi-Strauss de ses propres découvertes impose enfin une relecture dépolitisée de la période : la crise de la guerre et l’antisémitisme ne sont évoqués, dans Tristes Tropiques par exemple, que pour justifier la fuite aux États-Unis ; les divisions politiques françaises de la période sont présentées comme des obstacles à la sérénité requise par l’activité scientifique, etc. Bref, la situation d’exil n’est pour l’ethnologue qu’une variable secondaire dans une trajectoire de pensée qui aurait de toute manière emprunté les mêmes voies, en temps de paix ou de conflits, à Paris comme à New York.

Il n’importera pas ici d’élucider la visée d’une telle mise en récit de soi mais d’en interroger plutôt les oublis, conscients ou inconscients, à partir des résultats d’une en-quête plus large portant sur l’émigration intellectuelle française aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale12. Plus que les situations ordinaires et régu-lières, comme l’est par exemple celle de la « science normale » pour le sociologue des sciences, les situations d’exil mettent à nu la multiplicité des scènes dans lesquelles, en puissance du moins, les agents peuvent s’investir. Proposer une véritable socio-genèse de l’anthropologie structurale exigerait par conséquent de restituer l’ensemble des contextes pertinents de l’activité de Claude Lévi-Strauss aux États-Unis : le champ intellectuel du pays d’origine et le champ intellectuel américain mais aussi la micro-société de l’émigration française avec ses sous-champs – politique, littéraire, universitaire, etc. – plus ou moins différenciés compte tenu de la crise et de l’éloigne-ment des exilés d’avec les ressources collectives accumulées antérieurement.

On se concentrera ici seulement sur le monde des universitaires français exilés aux États-Unis après 1940 et, plus spécifiquement encore, sur les interactions entre Claude Lévi-Strauss et Georges Gurvitch 13. Comme on le montrera, l’ethnologue a minoré le conflit qui l’a opposé, dès la période de la guerre, au sociologue d’origine russe et ses biographes ou ses commentateurs l’ont suivi dans cette direction 14. Or le conflit de Lévi-Strauss et de Gurvitch nous semble au contraire déterminant dans la genèse de l’anthropologie structurale, ne serait-ce qu’en servant, comme on le verra, de re-poussoir, en définissant négativement de nouveaux possibles scientifiques. Les con-troverses célèbres qui éclatent, en 1950 d’abord, au moment de la publication par l’ethnologue de « L’introduction à l’Œuvre de Marcel Mauss », et surtout en 1955, lorsque Gurvitch prend franchement position contre le structuralisme, ne sont en tout

11 Sur l’importance de l’école américaine, en particulier des travaux d’Alexander Goldenweiser, unique

anthropologue de la New School for Social Research dans les années quarante, dans la gestation des Structures élémentaires, cf. notamment SHAPIRO, 1991 et 1992.

12 Sur le contexte plus général de cette émigration française, cf. JEANPIERRE, 2004 ; et aussi, NETTELBECK, 1991 ; MEHLMAN, 2000.

13 Il y a bien entendu d’autres couples de relations ou d’interactions pertinentes qui mettent en jeu l’ethnologue pendant son exil aux États-Unis, à commencer par celle avec André Breton et l’avant-garde surréaliste, qui mériterait à elle seule une autre étude. Cf. notamment LÉVI-STRAUSS, ERIBON, 2001 (1988), 53-54.

14 Ainsi, dans des registres très différents toutefois, de HÉNAFF, 1991, et de BERTHOLET, 2003. Il en va de même pour les biographes de Gurvitch ou les présentateurs de son œuvre qui n’ont pas vu l’importance avant les années 1950 de l’opposition des positions et des dispositions de ce dernier avec celles de Lévi-Strauss et de leurs poids dans la carrière du sociologue. Cf. DUVIGNAUD, 1969 ; BALANDIER, 1972 ; SWEDBERG, 1982.

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cas que les expressions d’une opposition plus ancienne qui s’est cristallisée pendant l’exil américain 15.

Après avoir brièvement décrit la position des sciences sociales françaises dans leur exil américain, on analysera l’un après l’autre les investissements sociaux des deux protagonistes dans les espaces universitaires d’accueil et d’origine ainsi que dans l’espace scientifique et dans l’espace politique. On montrera que ceux-ci sont non seulement opposés mais aussi sanctionnés par des profits différents, annonçant en cela un conflit structural durable entre deux hommes qui incarneront deux écoles concurrentes de pensée sociale dans l’après-guerre français. Les racines sociologiques de ce conflit seront esquissées à travers une comparaison des visions du monde social, des manières de faire des sciences sociales et de nouer pratique scientifique et engagement politique des deux intellectuels exilés, notamment dans leur rapport au marxisme ou au socialisme, entendu au sens le plus large.

Situation des sciences sociales entre les deux guerres Lorsque Lévi-Strauss et Gurvitch arrivent aux États-Unis en 1940-1941, il existe

déjà une tradition d’échanges intellectuels et surtout institutionnels en sciences hu-maines entre la France et les États-Unis. Depuis les années 1930, certains universi-taires américains progressistes, comme Alvin Johnson à la New School for Social Research, ont favorisé l’importation des écoles européennes de recherche sociale, plus prestigieuses et plus anciennes dans l’espace international des sciences sociales. Ils ont été aidés par les fondations philanthropiques comme la Fondation Rockefeller qui, tout en finançant une partie des instituts et des laboratoires de recherche dans ces disciplines en Europe, offraient aussi des bourses pour chercheurs étrangers 16. Quels que soient les intérêts objectifs de ces fondations, les objets de recherche et les métho-des d’enquête qu’elles soutiennent, leur agenda moral et politique implicite 17, un flux constant de chercheurs européens s’est donc formé aux États-Unis avant-guerre. En France, à l’initiative de Célestin Bouglé et du Centre de documentation sociale de l’École normale supérieure 18, mais aussi de Marcel Mauss 19, plusieurs jeunes univer-sitaires ont bénéficié de ces séjours temporaires dans les universités américaines 20. L’exil aux États-Unis de Georges Gurvitch et de Claude Lévi-Strauss s’inscrit par conséquent dans la continuité de cette circulation internationale des chercheurs où s’affirme la puissance scientifique croissante des États-Unis.

Après 1940, toutefois, les universités américaines ne sont plus aussi accueillantes envers les chercheurs et les professeurs étrangers. L’exil des scientifiques judéo-allemands menacés par le nazisme après 1933 puis celui de leurs collègues autrichiens

15 GURVITCH, 1955 ; LÉVI-STRAUSS, 1958, 379-401. Pour un résumé de la polémique, cf. DOSSE, 1991, 1, 282-286.

16 Pour une première approche collective de ces questions, à l’échelle européenne, cf. GEMELLI, 2000. 17 Pour une interprétation canonique des financements philantropiques de la recherche en sciences

sociales dans le seul cadre américain en terme d’« hégémonie » de classe ou de puissance, cf. KARL, KATZ, 1981, puis FISHER, 1983.

18 Sur le rôle de Bouglé dans les sciences sociales françaises de l’entre-deux-guerres, cf. MARCEL, 2001a, 219-289.

19 Sur les liens de Mauss avec les sciences sociales américaines, cf. FOURNIER, 1994, 527-532. 20 Sur le rôle de la Fondation Rockefeller dans le développement des sciences sociales françaises de

l’entre-deux-guerres, cf. MAZON, 1985.

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ou d’Europe centrale et orientale ont exacerbé la concurrence avec les universitaires américains. Le plan de « sauvetage » mis en place par Alvin Johnson avec l’aide de la Fondation Rockefeller après l’occupation de la France par les Allemands rencontre des critiques d’inspiration nationaliste qui conduisent par ailleurs à une fermeture de plus en plus grande des frontières et à une sélection drastique des prétendants à l’exil 21. De plus, l’université américaine reste marquée par un antisémitisme impor-tant qui fait obstacle au recrutement de la plupart des chercheurs réfugiés. Malgré ce renforcement pendant la guerre des barrières à l’entrée du marché universitaire américain pour les étrangers, les conditions sociales de réception des chercheurs euro-péens en sciences sociales semblent meilleures que celles en vigueur dans les huma-nités ou les sciences, domaines dans lesquels les exilés français ne sont par exemple pas autorisés, sauf très rares exceptions, à participer à la recherche américaine 22. Loin de les confiner aux seuls milieux des exilés français, l’exil de Gurvitch et de Lévi-Strauss est donc une occasion supplémentaire d’entrer en relation directe avec le champ américain des sciences sociales.

L’ouverture relative, quoique de plus en plus restrictive, des États-Unis aux cher-cheurs en sciences sociales européens est par ailleurs contemporaine d’une situation critique de ces disciplines en France. Certes, d’un côté, l’École française de sociologie dispose d’un prestige international hérité important depuis le début du siècle, ce qui explique que les jeunes chercheurs français en sciences sociales puissent être accueil-lis à l’étranger. Mais d’un autre côté, tous les professionnels de part et d’autre de l’Atlantique s’accordent pour reconnaître un certain déclin de cette tradition depuis la mort de Durkheim. En 1940, plus encore que dans la décennie précédente, la sociolo-gie et l’ethnologie françaises paraissent en effet exsangues 23. L’enseignement de la première est presque supprimé des Facultés par le nouveau régime, comme en témoi-gne par exemple la disparition de la chaire de sociologie de la Sorbonne, occupée par Fauconnet. L’arrivée de Vichy inaugure une série d’attaques systématiques contre l’héritage intellectuel durkheimien 24. L’ethnographie résiste mieux institutionnelle-ment : une chaire portant ce titre est créée à la Sorbonne en 1943 pour Marcel Griaule et Leenhardt remplace Mauss à l’École pratique des hautes études (EPHE). Mais, comme lorsque Lévi-Strauss a commencé ses recherches, l’ethnologie française, écartelée entre les Facultés de Sciences et les Facultés de Lettres est de plus en plus dominée par l’anthropologie physique – elle-même dominée par l’antisémite Georges Montandon – ou par le folklorisme français, autour du Musée des Arts et Traditions populaires de Georges-Henri Rivière 25.

Reste que la crise, voire la « défaite », de la sociologie française en France après 1940 ont sans aucun doute été facilitées par la fragilité institutionnelle des sciences sociales dans le monde universitaire. Dans l’entre-deux-guerres, celles-ci, on le sait,

21 Au total, les programmes de sauvetage de la Fondation Rockefeller conduits entre 1933 et 1945 auront permis de faire venir aux États-Unis 303 universitaires dont 36 Français et 191 Allemands. De 1940 à 1944, 52 réfugiés nouveaux ont seulement été admis (dont 24 Français et 14 Allemands), là où Johnson avait annoncé en juin 1940 qu’il souhaitait en sauver cent. Cf. ROCKEFELLER FOUNDATION, Annual Report, 1945, 30-33.

22 Sur la situation professionnelle des scientifiques français en exil, cf. DOSSO, 2000. 23 MARCEL, 2001a, 291 et suiv. 24 MUEL-DREYFUS, 2004. 25 Sur le poids de l’anthropologie physique dans l’ethnologie française de la période de l’entre-deux-

guerres, cf., entre autres, LEBOVICS, 1988.

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ne sont pas reconnues comme disciplines à part entière et autonomes : la sociologie n’est qu’un certificat de l’enseignement philosophique et elle ne compte en 1940 que cinq professeurs en France 26. Quant à l’ethnologie, qui fait aussi l’objet d’un certificat créé en 1926, elle s’enseigne en périphérie des universités, dans des instituts spéciali-sés qui ont été fondés dans l’entre-deux-guerres et financés en partie par la Fondation Rockefeller, comme l’Institut d’Ethnologie créé en 1925 par Lévy-Bruhl, Rivet et Mauss ou encore comme le Musée de l’Homme inauguré en 1937. Marginales dans les institutions universitaires, les deux disciplines sont par conséquent divisées entre un groupe réduit de « professeurs » qui, comme Gurvitch, détiennent des postes dans ces institutions universitaires et un groupe de « chercheurs » qui, comme Lévi-Strauss, pratiquent les sciences sociales dans des institutions extérieures aux univer-sités et sont plus souvent contraints de mobiliser des ressources internationales 27.

Dans ce contexte de crise puis de déclin, les nouveaux entrants dans le champ émergeant des sciences sociales en France, ont donc intérêt, en 1940 comme en 1930, à se tourner vers les États-Unis. En ethnologie et en sociologie, la méthode empirique est en effet loin d’être dominante en France, ce qui accentue les tendances spécula-tives et la dépendance envers la philosophie. S’appuyer sur les institutions et la re-cherche américaines, sur leurs ressources et sur leur tradition empirique, pour con-quérir une position innovatrice ou critique et renouveler ou prolonger le durkhei-misme et la production nationale des savoirs peut donc être une stratégie payante, même en pleine période de crise. Avec des trajectoires pourtant différentes, Georges Gurvitch et Claude Lévi-Strauss sont d’ailleurs, parmi les universitaires français exilés, les mieux prédisposés à saisir une telle opportunité structurelle éventuelle. Leur prestigieux aîné Paul Rivet a en effet été envoyé en mission en Colombie 28 et leur brillant cadet Jacques Soustelle, jeune ethnologue spécialiste du Mexique, a rejoint Londres en juillet 1940.

Communauté de destin, différences de positions et de dispositions

Lorsqu’ils arrivent à New York, les deux hommes ont d’ailleurs plusieurs pro-

priétés sociales en commun. Tous deux sont d’origine juive et viennent d’une bour-geoisie déclassée. En 1940, ils ont aussi été démis de leurs fonctions par les lois anti-sémites de Vichy 29 et invités par la New School et la Fondation Rockefeller. Tous deux ont aussi une formation philosophique, consacrée par un titre d’agrégé en 1931 pour Lévi-Strauss et un titre de docteur acquis en France en 1932 pour Gurvitch. Tous deux, enfin, ont eu une socialisation politique précoce les conduisant vers le socia-lisme. Gurvitch a participé en Russie à la révolution de 1917 à Rostov et à Riga, où

26 Sur la marginalité relative objective des durkheimiens dans l’université française de la IIIème République, cf. KARADY, 1976.

27 Sur cette opposition, cf. HEILBRON, 1985. Il faudrait, dans le cas de l’ethnologie, prendre aussi en compte le rôle des administrateurs coloniaux. Sur les liens entre l’anthropologie de l’entre-deux-guerres et le colonialisme français, en Afrique notamment, cf., par exemple, L’ESTOILE, 2000 ; SIBEUD, 2002. Les américanistes, dont Lévi-Strauss fait partie, sont en règle générale situés au pôle le plus scientifique de l’ethnologie de la période.

28 Sur les activités de Paul Rivet et sa biographie reconstruite d’après les archives du Musée de l’Homme, cf. LAURIÈRE, 1999.

29 Sur l’attitude de Vichy vis-à-vis des étudiants, universitaires et chercheurs juifs, cf. SINGER, 1992, où sont évoquées les révocations de Gurvitch et Lévi-Strauss.

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son père dirigeait la banque russo-asiatique. En France, c’est un penseur socialiste plus qu’un militant, spécialiste et défenseur de Proudhon, partisan d’une synthèse de la pensée de ce dernier avec celle de Marx 30. Lévi-Strauss a quant à lui écrit son pre-mier article à l’âge de dix-sept ans sur le communisme agraire envisagé par Gracchus Babœuf et son diplôme d’études supérieures sur les postulats philosophiques du matérialisme historique, principalement chez Marx. Initié au socialisme via le Parti ouvrier belge et les groupements d’étudiants socialistes en France, il a surtout parti-cipé de 1930 à 1933 au groupe « Révolution constructive » autour de l’enseignant syndicaliste normalien Georges Lefranc tout en militant dans la jeunesse de la SFIO. Planiste d’abord et également proudhonien, il y a peu à peu défendu une position criti-que de l’économisme des traditions socialistes et recherché « une métaphysique au service de la révolution » 31. Il fut aussi secrétaire de Georges Monnet, un jeune par-lementaire, ainsi que du groupe des étudiants socialistes et candidat socialiste aux élections cantonales de Mont-de-Marsan où il obtint son premier poste de lycée en 1932 32. Tous deux profondément antifascistes et antibolcheviques, Lévi-Strauss et Gurvitch sont aussi immédiatement anti-pétainistes en juin 1940, lorsque la conjonc-ture exige d’eux une politisation plus franche, ne serait-ce que pour l’organisation de leur fuite.

Le parallèle entre les trajectoires sociales des deux hommes s’arrête là cependant. Car ils sont en effet séparés de presque une génération, ce qui se traduit notamment par une différence de position et de capital symbolique accumulé, dans l’université française et dans leur discipline respective. À quarante-six ans en 1940, Gurvitch a été chargé de cours en philosophie à la Sorbonne entre 1928 et 1932 et il a remplacé Maurice Halbwachs, promu alors en cette même Sorbonne, à la Chaire de Sociologie de l’Université de Strasbourg, lorsqu’il est destitué. Son collègue, le philosophe Martial Guéroult, le présente à la Fondation Rockefeller qu’il contacte dès juin 1940, comme « un des sociologues les plus en vue d’Europe (…). Sa réputation est de pre-mier ordre, non seulement dans les Facultés de Lettres, mais aussi dans les Facultés de Droit où il est considéré comme le maître de la philosophie juridique contempo-raine » 33. Dans les années 1930, Gurvitch a en outre déjà été boursier de la Fondation Rockefeller aux États-Unis et il est ainsi déjà connu de plusieurs sociologues et philosophes américains lorsqu’il arrive, notamment pour avoir participé à l’Encyclopaedia of Social Sciences coordonnée par Alvin Johnson.

30 Sur la constante socialiste démocratique, pour un socialisme décentralisé, voire conseilliste de la sociologie et de la pensée sociale de Gurvitch, cf. SWEDBERG, 1982.

31 PAJON, 2001, 7. 32 CLOUET, 1991, et surtout PAJON, 2000 et 2001, où l’auteur montre, contre les reconstructions

rétrospectives dominantes, l’importance de l’engagement socialiste de Lévi-Strauss dans l’élaboration de son œuvre ethnologique. L’articulation du socialisme et de l’ethnologie vaut de ce point de vue aussi bien pour Lévi-Strauss qu’elle valait pour Mauss. La fin de sa participation à « Révolution constructive » à partir de 1933 puis le voyage au Brésil ont entraîné cependant une dépolitisation relative de Lévi-Strauss. « En fait, précise-t-il en 1991, mes intérêts scientifiques et politiques ont évolué en raison inverse les uns des autres. Ils ont divergé – même si, à l’époque, je n’en avais pas clairement conscience – quand j’ai choisi de courir le monde plutôt que de continuer à prendre part aux affaires de mon pays ». Cité et recueilli in PAJON, 2001, 1. Reste que l’exil aux États-Unis après 1940 est marqué, comme on va le voir, par un nouvel engagement politique de Lévi-Strauss comme de Gurvitch.

33 Rockefeller Foundation Archives, Record Group 1.1, Series 200 (ci-après RFA), Box 50, Folder 585, « Rapport de Martial Guéroult », directeur de la section de philosophie de l’Université de Strasbourg, 10 septembre 1940.

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Lévi-Strauss a pour sa part trente et un ans en 1940. Il a enseigné à l’Université de São Paulo entre 1935 et 1939 et devait exercer comme professeur de philosophie au lycée Henri IV à la rentrée scolaire de 1940-1941. Ses principales recommandations professionnelles aux États-Unis sont celle d’Alfred Métraux, un jeune chartiste et collègue d’origine suisse, enseignant à l’Université de Berkeley depuis 1937 et très intégré dans l’ethnologie américaine – il codirige le Handbook of South American Indians réalisé à Washington sous les auspices du Smithsonian Institute – et celles de l’ethnologue Robert Lowie qui a lu un de ses articles et l’a soutenu 34.

Autrement dit, si Gurvitch peut paraître en position d’excentrique central vis-à-vis de l’université française comme de la discipline philosophique, Lévi-Strauss est enco-re un marginal complet en 1940, après avoir été, selon ses propres termes, un « cas aberrant » dans l’univers de la sociologie française et l’entourage de Bouglé 35. À ces différences de positions universitaires, il faut ajouter d’autres différences dans l’espa-ce social national : français depuis 1929 et combattant sur la ligne Maginot en 1939, Gurvitch a perdu la nationalité française après l’arrivée de Pétain au pouvoir. Contrai-rement à son jeune collègue, le sociologue russe a en outre déjà connu un premier exil à Prague entre 1920 et 1925 avant de faire l’expérience du second à Paris. Ces positions et socialisations distinctes ont une influence sur les résistances de chacun aux épreuves de l’exil et sur les stratégies sociales et scientifiques qui en découlent.

Georges Gurvitch : une stratégie de rentier Fort de ses ressources accumulées en France avant guerre, Gurvitch obtient donc

immédiatement après son arrivée aux États-Unis un poste de professeur assistant à la Graduate Faculty de la New School for Social Research 36. Fait rare pour un exilé français, il est reconnu et accepté par quelques universitaires émigrés allemands de la Graduate Faculty, dont par exemple le sociologue Albert Salomon, sans doute parce qu’il est un des sociologues européens qui connaît le mieux la philosophie, la sociolo-gie et le droit allemands, qu’il a enseignés ou sur lesquels il a effectué des recherches depuis le début des années 1920. Parallèlement à son activité dans l’université des in-tellectuels allemands exilés, Gurvitch décide aussi de donner bénévolement des cours dans les universités les plus prestigieuses d’Amérique. En 1942, il enseigne à la Columbia University l’histoire de la philosophie morale et sociale française depuis Pascal ainsi que la philosophie de Bergson. Il continue à Harvard et Columbia, les années suivantes, probablement dans l’espoir d’être recruté comme professeur permanent, sans succès pourtant. Tout juste obtiendra-t-il une bourse de recherche de six mois de juillet 1944 à mars 1945 à Harvard grâce à Pitirim Sorokin, un sociologue et ami proche, d’origine russe comme lui.

Gurvitch est toutefois immédiatement intégré dans un petit milieu de spécialistes américains du droit qui avait d’abord recommandé sa venue : Robert McIver, de la faculté de science politique de la Columbia University, Roscœ Pound de la Harvard

34 LÉVI-STRAUSS, 1955, 20. 35 Entretien avec Stéphane Clouet, cité par PAJON, 2001, 19. 36 Sur l’histoire de la New School et de la Graduate Faculty fondée en 1933 par les émigrés allemands,

cf. RUTKOFF, SCOTT, 1986. Pour un complément, cf. KROHN, 1993 (1987). Pour une critique de ces deux ouvrages, mettant plus en valeur qu’eux le caractère radical de la politique de l’université qui, seul, pouvait permettre l’accueil d’intellectuels européens réfugiés, cf. LYMAN, 1994.

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Law School et Karl Llewellyn de la Columbia Law School, etc. 37. Son exil contribue ainsi à structurer un milieu américain et international préexistant autour de la socio-logie du droit et de la philosophie juridique. En octobre 1942, Gurvitch crée avec ses nouveaux collègues le Journal of Legal and Political Sociology. L’objectif du pério-dique est de renouveler l’esprit démocratique par l’étude sociologique du droit, une étude qui doit questionner l’écart entre les catégories formelles d’appréhension juri-dique et la vie sociale réelle et plus largement replacer le droit au centre du débat scientifique puis public 38. Toutefois, Gurvitch n’innove pas vraiment avec cette ini-tiative. Il poursuit en effet un projet déjà porté par les Archives de sociologie juridique qu’il a dirigées en France de 1931 à 1940 tout en lui donnant cependant un tour plus politique en raison de la conjoncture.

Publié à raison de deux numéros par an, le Journal of Legal and Political Sociology reste remarquable pour être la seule revue professionnelle de sciences so-ciales en langue anglaise fondée par un universitaire européen émigré 39. Elle n’est en outre pas seulement centrée autour des intérêts scientifiques spécialisés du sociologue français d’origine russe. À ses débuts, Gurvitch parvient en effet à rassembler au delà du cercle des seuls spécialistes du droit pour inclure des sociologues américains ayant d’autres thématiques de recherche. Ainsi, dans les deux premiers numéros consacrés à la démocratie et à la structure sociale, c’est Talcott Parsons qui étudie la société et la vie politique de l’Allemagne pré-hitlérienne ; le jeune Robert Merton propose une contribution sur la science et la technologie dans un ordre démocratique ; David Riesman se pose le problème de l’égalité et de la structure sociale… L’année suivante la revue pose le problème de l’organisation politique nationale et internationale future à travers les catégories de la souveraineté et du fédéralisme. Les contributions sont encore toutes américaines à l’exception de celles de Gurvitch et du philosophe du droit d’origine autrichienne Hans Kelsen. En avril 1944, la revue dirigée par Gurvitch porte cette fois sur la planification et inclut des contributions d’économistes comme celle du Français Jean Weiller, le seul universitaire réfugié contributeur de la revue avec Gurvitch. Le numéro de l’été 1945 porte sur la question coloniale et la question des minorités. Le dernier numéro paraît pour l’été 1946 et l’automne 1947 avec des articles disparates en français et en anglais, signés Pitirim Sorokin, Gabriel Le Bras, Gurvitch ou encore Paul Tappan, le nouvel éditeur de la revue, etc.

Malgré sa disparition après la guerre, celle-ci a donc représenté un cas unique de coopération entre chercheurs français émigrés et chercheurs américains, dans le do-maine des sciences sociales. Pourtant Gurvitch n’engage pas un véritable dialogue avec la sociologie américaine. Comme Adorno et Horkheimer vis-à-vis de la sociolo-gie empirique américaine 40, comme Alexandre Koyré vis-à-vis de l’histoire des idées et des sciences d’un Lovejoy, Gurvitch juxtapose plutôt ses propres élaborations théo-riques ou spéculatives aux travaux de ses contributeurs sans véritablement leur répon-dre. On a même l’impression que c’est plutôt lui qui cherche à promouvoir ses tra-vaux personnels en mobilisant des professionnels de l’espace du pays d’accueil et

37 RFA, Box 50, Folder 585. 38 Ibid. 39 Un an avant, Gurvitch avait d’ailleurs aussi été le premier des professeurs réfugiés après 1940 à

publier un ouvrage en anglais, Sociology of Law, une traduction adaptée de son ouvrage français du même nom publié la même année. In Ibid.

40 ADORNO, 1969, 338-367.

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qu’il vise à obtenir une rente de situation par rapport à ses compatriotes, grâce à sa position d’émigré relativement reconnue aux États-Unis et à son capital social plus internationalisé que celui de la plupart de ses compatriotes réfugiés. Et ce d’autant que Gurvitch, si l’on en croit Alvin Johnson, méprise ses collègues américains 41.

Témoignent peut-être mieux encore de ce comportement de rentier les activités de l’Institut de Sociologie que Gurvitch fonde et dirige à partir d’octobre 1942 à l’École Libre des Hautes Études (ELHE), l’institution universitaire créée début 1942 à la New School par les universitaires français exilés, avec le soutien de la Rockefeller Foundation 42. L’Institut rassemble théoriquement des universitaires en sociologie générale, sociologie politique et juridique, sociologie économique, en ethnographie et en linguistique, ainsi qu’un groupe d’études sur la reconstruction économique après la guerre. On trouve parmi ses membres les sociologues américains Kingsley Davis, Florian Znaniecki et Pitirim Sorokin, le sociologue et juriste belge Max Gottschalk, les ethnologues français Lévi-Strauss, Métraux, Rivet, les économistes Louis Franck, Robert Mossé, Jean Weiller, le géographe Jean Gottmann, trois membres du Bureau International du Travail et un membre de l’US Labor Board, les philosophes Maritain, Vignaux et Wahl, le linguiste Jakobson mais aussi des scientifiques comme Emil Gumbel, Francis Perrin, Michel Magat, etc. 43.

L’Institut a d’emblée une dimension à la fois scientifique et politique. Mais mal-gré le prestige et la variété de ses membres, l’Institut est plus un espace de débat public qu’un lieu de recherche empirique. Il « a été fondé pour répondre à la suppres-sion de l’enseignement de la sociologie dans les universités françaises. L’interdiction d’enseigner la sociologie dans le pays où elle a pris naissance et a donné de si riches résultats ne pouvait rester sans réponse dans notre milieu de l’École libre. L’équipe de trente-deux savants français et américains qui formèrent l’Institut de Sociologie, a décidé de répondre par des recherches collectives à ce fait de vandalisme scientifi-que » 44. On y organise des conférences où participent quarante à cent personnes sur les thèmes de prédilection de Gurvitch : l’économie planifiée, la démocratie économi-que et sociale, l’organisation de la production et du travail dans l’économie de guerre, mais aussi la place des peuples primitifs dans le monde de l’après-guerre, etc. 45.

Pourtant dans l’Institut comme dans la revue fondée par Gurvitch, le dialogue en-tre traditions sociologiques nationales est plus formel que réel. Si Gurvitch apparaît pendant la guerre et l’exil comme un animateur du milieu intellectuel de la côte est des États-Unis, il n’est pas vraiment reconnu dans un champ sociologique américain. Il ne parvient à pénétrer celui-ci que marginalement et il s’en réapproprie peu les tra-vaux, à l’exception notable de la sociométrie du psychologue social Jacob Moreno – l’inventeur également du psychodrame – mais, là encore, seulement parce que celle-ci lui permet d’illustrer empiriquement les classifications qu’il a commencé à établir à la fin des années 1930, concernant les formes de sociabilité et de groupements 46. Té-moignerait encore de ce même cloisonnement paradoxal, l’ouvrage Twentieth Century

41 « Il a un esprit brillant et original et un an à Harvard lui apprendra à ne pas prendre les Américains pour des bovins, quand bien même le prix du bœuf monte en flèche ». RFA, Box 50, Folder 586, Lettre de Alvin Johnson à Roger Evans, Fondation Rockefeller, Division of Social Sciences, 7 février 1944.

42 Sur l’histoire de l’ELHE, cf. ZOLBERG, 1998 ; CHAUBET, LOYER, 2001. 43 RFA, Box 50, Folder 586. 44 Renaissance, I, 2, 336. 45 American Journal of Sociology, 1942, 48, 3, 419. 46 GURVITCH, 1938, 1-112.

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Sociology, produit en exil par le sociologue français en collaboration avec Wilbert E. Moore, un chercheur de l’Office of Population Research de Princeton University 47. L’objectif y était d’offrir un panorama de la sociologie mondiale en 1940. Mais le sommaire de l’ouvrage conserve un découpage suivant les traditions nationales à côté d’une division de la discipline selon des problèmes communs à toutes les traditions. D’un côté, on semble renforcer les nationalismes de la discipline. De l’autre on les dé-cloisonne en envisageant ses aires de recherche transnationales mais sur une base exclusivement théorique ou conceptuelle, plus qu’empirique. « Le moins satisfait de tous ces lecteurs, écrira d’ailleurs Gurvitch à propos de cet ouvrage, fut certainement son directeur (…) » 48.

Reste que l’exil n’est donc pas une véritable rupture dans la trajectoire sociale et scientifique de Gurvitch qui est occupé à reprendre et approfondir, dans un autre con-texte social et national, des problématiques et des thématiques anciennes, sans hybri-der sa pensée avec la tradition sociologique américaine et sans innover vraiment. Les ressources intellectuelles et sociales de Gurvitch sont concentrées autour de ses activi-tés personnelles et de celles de l’École libre plutôt que déployées dans l’espace améri-cain des sciences sociales ou vers d’autres disciplines. Gurvitch fait là de nécessité vertu : s’il est sceptique et critique envers la sociologie américaine 49, il n’en a pas moins essayé dans un premier temps d’être accepté par elle. Au début comme à la fin de l’exil, sa position reste donc celle d’un excentrique central dans le champ scientifique.

Cette continuité de position, en dépit d’une activité foisonnante, s’explique aussi sans doute par le poids de la socialisation antérieure : contrairement à Lévi-Strauss, Gurvitch fait l’expérience aux États-Unis de son troisième exil. S’il n’est pas enclin à investir ses ressources dans d’autres domaines que ceux où celles-ci ont déjà été accumulées c’est probablement qu’il a plus à perdre, mais aussi qu’il a déjà dû inves-tir plusieurs espaces pour conquérir, en étranger pourtant avec le handicap structural que cela suppose, la position qu’il avait en France avant son départ. En outre, Gurvitch parle mal l’anglais lorsqu’il arrive aux États-Unis, ce qui constitue, au moins au début de son séjour, une barrière à l’entrée du champ scientifique américain 50. Enfin, sur un plan subjectif, l’attitude de « rentier » de Gurvitch passe par une auto-perception d’exclu, qui conforte et confirme d’autant plus les dispositions à la thésau-risation qu’elle ne correspond pas à une exclusion institutionnelle objective 51.

47 GURVITCH, MOORE, 1945. L’ouvrage sera traduit en deux tomes en 1947 sous le titre La sociologie

au XXème siècle aux Presses Universitaires de France. 48 GURVITCH, 1966, repris in DUVIGNAUD, 1969, 93. 49 « Il convient de noter que j’avais été frappé, d’abord, par la disproportion entre l’ampleur de l’effort

descriptif et expérimental de la sociologie américaine et la pauvreté de ses résultats scientifiquement utilisables (…). Les nouvelles théories américaines elles-mêmes me surprirent par leur manque de substance et de profondeur ». In Ibid., 92.

50 Peu après son arrivée aux États-Unis, pendant l’été 1941, Gurvitch effectue un stage de perfectionnement en anglais dans un des camps prévus à cet effet par l’American Friends Service Committee, l’association prévue à cet effet par les Quakers. Cf. RFA, Box 50, Folder 595.

51 Dans une reconstruction tardive de l’unité de sa trajectoire, Gurvitch se présentera en effet comme « exclu de la horde » et il ne fait aucun doute que ce type de subjectivation lui est venu précocément au cours de sa trajectoire, probablement dès son départ d’URSS : « Le rythme de ma pensée a presque toujours été en décalage avec celui qui était à la mode. Je suis donc un « exclu de la horde », par vocation pour ainsi dire. Pour la plupart, les sociologues français et américains d’aujourd’hui me considèrent comme un

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Claude Lévi-Strauss : un profil d’entrepreneur Pour Claude Lévi-Strauss, au contraire, tout ou presque est à conquérir pendant

l’exil, dans le monde intellectuel comme dans l’espace universitaire, en France com-me aux États-Unis. Comme Gurvitch, Lévi-Strauss fréquente, peu après son arrivée, les plus grands professionnels de sa discipline dans le pays d’accueil. Ainsi se présente-t-il à Franz Boas dès l’été 1941. On sait que quelques mois plus tard, au cours d'un déjeuner donné en l'honneur de Paul Rivet, le 21 décembre 1942, Boas périt d’ailleurs soudainement, non loin du jeune ethnologue français 52. Lévi-Strauss rencontre ensuite presque chaque semaine les anciens élèves du défunt maître de l’an-thropologie américaine : Ruth Benedict et Ralph Linton, Margaret Mead et Alfred Krœber, qu’il considère au passage comme le plus important des héritiers de Boas 53. Cependant, tant par ses questions de méthode que par son rôle pionnier dans les étu-des sur la parenté, c'est Robert Lowie qui joue un rôle de mentor privilégié pour le jeune ethnologue français. Dés l’été 1941, Lévi-Strauss rencontre Lowie qu’il avait lu dans les années 1930, avant ses premières expéditions au Brésil 54. L’anthropologue américain avait travaillé pendant cette période sur les problèmes de parenté, ceux-là mêmes que vient d’aborder pour la première fois Lévi-Strauss, en France à l’automne 1940, en lisant Catégories matrimoniales et relations de proximité dans la Chine ancienne de Marcel Granet. À partir de 1943, dans son article sur les nomenclatures de parenté des Indiens Nambikwara, Lévi-Strauss présente son entreprise dans ce do-maine comme une reprise des questions que Lowie aurait été impuissant à simplifier ou à relier, tout en étant celui qui en avait fourni les explications les plus avancées : le problème de la prohibition de l'inceste, la question de l'organisation dualiste, le ma-riage entre cousins croisés et le complexe matrilinéaire 55.

Ce n’est pas le lieu ici de retracer dans le détail les emprunts explicites ou tacites de Lévi-Strauss à la tradition américaine. Notons que l’ethnologue français exilé est resté critique de ses maîtres américains et de leur empirisme, qu’il juge trop positi-viste, insuffisamment systématisé. Il ne s’intéresse pas, par exemple, aux travaux de George Murdock, commencés en 1937 à l’Institute of Human Relations de Yale, qui, au même moment que lui, entame pourtant un vaste travail comparatif de recueil sta-tistique de données provenant de deux cent cinquante sociétés humaines afin de pro-duire des généralisations comparables à celle que Lévi-Strauss souhaite obtenir et qui seront publiées la même année que Les structures élémentaires 56. Il récuse le cultura-lisme sur un plan scientifique ainsi que l’usage instrumental et hétéronome de l’an-thropologie qu’il croit déceler dans les études de « caractère national » auxquelles se livrent Benedict et Mead et qui servent aussi à l’information et la formation des mi-litaires américains 57. Reste que, critiques ou reconnaissants, les liens de Lévi-Strauss avec l’anthropologie américaine de la période sont profonds, à la fois intellectuels et sociaux. L’ethnologue français publie à plusieurs reprises dans les revues les plus « philosophe » ; et les philosophes me regardent comme un « traître » qui a depuis longtemps changé de camp ». Cf. GURVITCH, 1966, repris in DUVIGNAUD, 1969, 98.

52 LÉVI-STRAUSS, ERIBON, 2001 (1988), 58. 53 Ibid., 60. 54 Ibid., 28. 55 LÉVI-STRAUSS, 1943b, 398-399 ; LÉVI-STRAUSS, 1949, 86 et suiv. 56 MURDOCK, 1960 (1949). 57 Entretien avec l’auteur, 20 juin 2000.

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reconnues de l’ethnologie américaine et intervient dans les débats entre américanistes. À ce titre il est aussi bien voire mieux accepté dans l’espace professionnel et scien-tifique du pays d’accueil que ne l’est Gurvitch, cantonné le plus souvent à des rôles d’enseignant, fût-ce dans des universités prestigieuses.

En outre, l’investissement social de Lévi-Strauss en exil n’est pas qu’intellectuel ou disciplinaire. Il est aussi institutionnel et politique 58. D’abord la situation excep-tionnelle de l’exil fait tomber certaines barrières à l’entrée qui existaient tradition-nellement sur le marché universitaire français. Outre la création de l’Institut de Sociologie dirigé par Gurvitch, l’École Libre se distingue en accordant des postes à une grande partie des exilés, quels qu’aient été leurs titres préalables en France. Mais c’est en fait Alvin Johnson qui propose d’abord à Lévi-Strauss d’enseigner en qualité de professeur associé à la Graduate Faculty de la New School car l’institution, depuis sa fondation, n’a presque pas développé de cours d’anthropologie. Lévi-Strauss com-mence toutefois par des cours de sociologie contemporaine de l’Amérique du Sud 59. À l’ELHE, lui sont confiés à partir de 1942 des cours d’ethnologie et un centre de recherches, le Latin American Center. Bien que peu actif, selon le témoignage même de son animateur 60, celui-ci entretient toutefois des relations à Haïti, Rio de Janeiro et São Paulo, en résonance avec la politique étrangère nord-américaine, développée dans l’entre-deux-guerres et étoffée après 1941, de bon voisinage et de contrôle de l’Amérique centrale et latine. Le Latin American Center assure un accueil aux cher-cheurs haïtiens et une liaison avec l’Instituto Frances de Estudios Superiores dirigé à Buenos Aires par l’écrivain Roger Caillois et le professeur Robert Weibel-Richard 61.

À partir de 1944, Lévi-Strauss devient aussi secrétaire général de l’École Libre en remplacement du philosophe Alexandre Koyré. Gaulliste, contrairement à Gurvitch62, Lévi-Strauss a alors conquis une place éminente dans le milieu universitaire français, toutes disciplines confondues, une place qui, bien que moins prestigieuse que celle de son aîné, lui permet de peser sur la destinée à court terme des universitaires émigrés. Il joue ainsi un rôle décisif dans les négociations entre l’institution et le Justice Department américain à propos du statut futur de l’École, menacée de fermeture pour s’être conduite comme un organe de propagande plutôt que comme institution d’en-seignement 63. L’enquête s’inscrit dans le cadre de la défiance de l’administration américaine envers le mouvement gaulliste, jusque dans ces excroissances dans l’émi-gration française des États-Unis. L’ethnologue est proche alors d’Henri Seyrig, le conseiller culturel de la délégation de la France Libre comme de Paul Rivet, engagé

58 « J’avais signé un engagement dans les Forces françaises libres. On m’a maintenu dans ce qu’on

appelait la mission scientifique française aux États-Unis. Soustelle, de passage à New York, a amicalement insisté pour que je le suive à Londres. Mais j’avais envie d’étudier, et l’envie me vint bientôt d’écrire. J’ai assisté à quelques réunions gaullistes mais je ne fus pas très actif ». LÉVI-STRAUSS, ERIBON, 2001 (1988), 68-70.

59 Ibid., 61. 60 Entretien avec l’auteur, 20 juin 2000. 61 New School Archives (ci-après NSA), École Libre Papers, Folder 3. 62 Il est impossible de décrire dans le détail ici le spectre des prises de position politique possibles des

exilés français aux États-Unis. Notons simplement que la nébuleuse des « gaullistes de gauche », dont Lévi-Strauss fait partie, comme Rivet ou le juriste Mirkine-Guetzévitch, y est importante, de même que celle, hétéroclite, d’anti-gaullistes antipétainistes, où se retrouvent Gurvitch avec, par exemple, Paul Vignaux, St-John Perse, Jacques Maritain, etc. Cf. JEANPIERRE, 2004, 1, 229-303.

63 Sur cet épisode, consulter JEANPIERRE, 2002, 104-111.

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lui aussi comme conseiller culturel pour l’Amérique latine dans le mouvement gaulliste.

Au printemps 1945, Lévi-Strauss est ainsi nommé conseiller culturel à New York jusqu’à la fin 1947, poste qui, même occupé en dilettante comme il le prétend64, lui vaudra de prendre en charge une partie de la politique culturelle française aux États-Unis dans l’immédiat après-guerre et de participer à la mise en place d’une politique d’échanges universitaires et scientifiques entre la France et les États-Unis – la recons-truction du CNRS ainsi que la création de la VIème section de l’EPHE par les fonds de la Rockefeller Foundation notamment.

Lévi-Strauss entretient aussi des relations avec les fractions littéraires et artisti-ques de l’exil français, ce qui n’est pas non plus le cas de Gurvitch. Il y est sans doute prédisposé par son éducation familiale, le père de l’ethnologue étant lui-même artiste peintre. On connaît par exemple assez bien maintenant la rencontre du poète André Breton avec l’anthropologue, sur le Capitaine Paul-Lemerle, le bateau qui les emmè-ne tous deux à la Martinique, avant les États-Unis, au printemps 1941. On connaît aussi le débat qui s’ensuit sur le statut de l’expérience esthétique, l’amitié nouée entre Lévi-Strauss et les milieux surréalistes exilés à New York, les fréquentations en com-mun des antiquaires de la Troisième avenue afin de collectionner les artefacts de la vie des Indiens, l’activité radiophonique commune à la Voix de l’Amérique 65 et la par-ticipation occasionnelle de Lévi-Strauss à VVV66, la revue fondée par Breton à New York, etc. 67. Des liens réguliers sont tissés par Lévi-Strauss avec l’avant-garde esthé-tique française en exil, avec laquelle l’ethnologue partage un certain nombre de pro-blèmes, dont la question du mythe, qui agite les milieux surréalistes depuis 1935, no-tamment autour du Collège de Sociologie qui se réclame de l’enseignement de Mauss 68.

Lévi-Strauss a un comportement d’entrepreneur, il est investi dans une multitude de mondes sociaux et de secteurs séparés là où Gurvitch reste comme pris dans son secteur professionnel d’origine, enfermé dans la clique des spécialistes du droit ou des professeurs français exilés, quand bien même son ouverture est plus grande que celle de la plupart des autres universitaires émigrés 69. Mais il y a plus. Lévi-Strauss con-quiert, avec ce capital social international fraîchement acquis à la faveur de l’émi-gration, des ressources d’une autre nature, tandis que Gurvitch entretient des relations qui ne font qu’accroître ses ressources scientifiques. On retrouve sans doute ici une différence entre deux formes de capital social, l’un constitué de « liens faibles » et l’autre de « liens forts », autrement dit de liens de proximité élevée, indiquant que deux individus possèdent en commun un grand nombre de liens avec des tiers. Outre la diversité des mondes sociaux auxquels Lévi-Strauss a accès, les relations qui le lient à ces mondes sont en effet de nature à donner accès à des informations, des

64 LÉVI-STRAUSS, ERIBON, 2001 (1988), 71-74. 65 LOYER, 2002. 66 LÉVI-STRAUSS, 1942a et 1942b. 67 Pour un témoignage, cf. LÉVI-STRAUSS, 1983. 68 Lévi-Strauss réservera une mention à cette expérience dans son portrait de la sociologie française.

Cf. LÉVI-STRAUSS, 1945g. 69 Pour la démonstration d’une corrélation entre les comportements d’entrepreneur et la détention d’un

capital social diversifié et ouvert, corollaire de l’occupation d’une position de « trou structural », cf. BURT, 1995.

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idées, des influences nouvelles, autrement distantes 70. L’accumulation de ces « liens faibles » permet aussi d’accroître le pouvoir symbolique des protagonistes, leur « cen-tralité », c’est-à-dire leur influence au sein de leurs groupes d’appartenance.

Ainsi, s’il est généralement vrai, comme le suggère Bourdieu, que le capital social « exerce un effet multiplicateur sur le capital possédé en propre » 71, la remarque vaut paradoxalement plus encore pour les parties peu denses du réseau personnel, comme celles que Lévi-Strauss entretient dans la plupart des mondes sociaux qu’il fréquente pendant son exil 72. L’important est aussi que la capacité à tirer parti de ce capital social international est plus forte chez ceux, comme Lévi-Strauss, pour qui la détention de liens forts préalables dans le pays d’accueil est moins importante que pour Gurvitch.

Opposition latente et controverse manifeste L’opposition de socialisation antérieure et de mode de sociabilité en exil entre les

deux hommes correspond aussi à des oppositions importantes dans le contenu de leurs œuvres pendant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, par exemple, dans le sous-champ universitaire de l’émigration française des États-Unis, Lévi-Strauss est-il pris, vis-à-vis de Gurvitch, pour son collègue et concurrent le plus immédiat, dans un mouve-ment ambivalent, fait de déférence et d’offensive, tout se passant comme si l’oppo-sition du cadet envers l’aîné ne devait pas mettre en péril l’appui que pouvait apporter ce dernier. Deux comptes rendus en témoignent directement, publiés en exil dans la revue des universitaires français exilés, Renaissance. Dans le premier d’entre eux, le jeune ethnologue, lui-même ancien étudiant en droit, reconnaît l’importance de la convergence entre le droit et la sociologie et la nécessité qu’il peut y avoir à une con-textualisation des règles juridiques. Mais « le modeste ethnographe et historien des cultures primitives est obligé de confesser qu’il éprouverait quelques difficultés à vouloir subsumer l'inépuisable multiplicité des faits d'observation sous les chefs de la classification proposée » par Gurvitch. Plus encore, la différence entre la sociologie du droit et la philosophie du droit ne paraît pas claire à Lévi-Strauss 73.

Plus loin, dans un compte rendu des travaux de Gurvitch sur les formes de socia-bilité et sur les types de conscience qui leur correspondent, Lévi-Strauss décrit la so-ciologie de Gurvitch comme « radicalement empiriste et pluraliste ». Il crédite même son aîné d’avoir su résoudre les contradictions de la sociologie française dans ses rap-ports avec la psychologie d’une part et la philosophie de l’autre, notamment en criti-quant les Formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim. Pourtant, ajoute-t-il,

70 « Ceux avec qui nous sommes faiblement reliés ont plus de chances de circuler dans des cercles différents du nôtre et auront ainsi accès à des informations différentes de celles que nous recevons ». Cf. GRANOVETTER, 1973, 1370-1371.

71 BOURDIEU, 1980, 2. La notion de « liens faibles » permet ici d’élargir la définition proposée par Bourdieu du capital social à des relations qui ne sont pas seulement « durables », « permanentes » ou « utiles ».

72 On trouvera une confirmation empirique récente de la supériorité, à l’échelle individuelle et à court-terme, des « formes relationnelles, ouvertes, diversifiées et poreuses » sur les « formes relationnelles denses, fermées et stables » dans une étude de la structure d’un monde universitaire et collégial, celle des jurys de thèse en science politique, et de ses effets sur les candidats à des postes dans l’enseignement supérieur et la recherche. Cf. GODECHOT, MARIOT, 2004.

73 LÉVI-STRAUSS, 1945d.

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« tout le monde s'accordera pour féliciter Monsieur Gurvitch d'avoir contribué à dissi-per des pseudo-problèmes. Le seul doute est de savoir s'il ne l’a pas fait en évoquant des pseudo-solutions » 74. Car seules l’ethnographie et la psychologie expérimentale pourraient, selon Lévi-Strauss, élucider les rapports entre « faits de culture » et « faits de nature » qui faisaient le cœur du problème durkheimien des Formes élémentaires. Ainsi l’opposition entre Lévi-Strauss et Gurvitch n’est-elle pas seulement inscrite objectivement, requise en quelque sorte par le jeu des positions et des forces du sous-champ des sciences sociales françaises de la période ; elle se traduit aussi par des pri-ses de position subjectives de l’ethnologue différenciant sa démarche de celle de son aîné plus installé.

Deux visions du monde social Ces différences de position et de positionnement entre Gurvitch et Lévi-Strauss se

prolongent aussi dans leur représentation respective du monde social, telles qu’elles apparaissent du moins pendant la période de la guerre et de l’exil. À la suite de Durkheim, Lévi-Strauss se représente d’abord la société comme un tout qui préexiste à ses parties. Mais il rompt avec la tradition sociologique dont il hérite en séparant la notion de totalité sociale de son substrat substantialiste – sang, terre, race mais aussi « conscience collective », la catégorie durkheimienne – qui venait la fonder. Ce parti est, pour Lévi-Strauss, solidaire d’une représentation dénaturalisante du social, qu’il considèrera longtemps comme sa contribution la plus importante de la période 75 : « Nous en avons fait l’expérience au cours des dix dernières années – c’est dans les concepts biologiques que résident les derniers vestiges de transcendance de la pensée moderne », écrit-il par exemple dans Les structures élémentaires de la parenté 76. Or on le sait, le premier ouvrage de Lévi-Strauss fonde le fait social contre le fait biolo-gique, à la fois en opposition et en continuité avec lui. Lorsqu’il commence ses tra-vaux de recherche aux États-Unis, Lévi-Strauss n’a pas d’autres références en tête que la catégorie de race et l’idéologie raciste auxquels il a d’ailleurs consacré un cours à l’École Libre en 1942 77. Le projet est indissolublement politique et scientifique puis-qu’il s’agit de réfuter l’anthropologie justifiant le nazisme et l’antisémitisme.

En suivant Marcel Mauss et son Essai sur le don, Lévi-Strauss va plus loin dans sa définition du social, qu’il caractérise en second lieu par un « principe de réciprocité ». Or là aussi on a affaire à la traduction scientifique d’une décision politique. Dans son étude publiée en 1943 sur la fonction du chef et la figure de la souveraineté chez les Nambikwara, Lévi-Strauss visait à savoir ce qui vient en premier de la lutte ou de l’échange. L’ingratitude observée de la position de chef le fait pencher pour la secon-de solution. La détention du pouvoir est contraignante, notamment parce qu’elle est le résultat de l’entente qui lui préexiste à l’intérieur de la tribu, entente suivant laquelle tout pouvoir est attaché à un système de prestations. Chez les Nambikwara, « même dans ces relations de subordination, le principe de réciprocité est au travail ; car la subordination elle-même est réciproque. (…) La primauté politique doit être payée au

74 LÉVI-STRAUSS, 1945e. 75 « Pour ma part, j’écrivis Les structures élémentaires de la parenté (1949) avec principalement pour

but de couper l’interprétation des faits sociaux de tout naturalisme ». In LÉVI-STRAUSS, 1998. 76 LÉVI-STRAUSS, 1967 (1949), 18. 77 NSA, Folder 7.

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prix d’une place subordonnée dans le système des générations » 78. Ce pari lévi-straussien d’une définition du social selon un « principe de réciprocité » apparaît encore plus lorsque l’ethnologue met en relation la guerre et le commerce chez les Indiens d’Amérique du Sud, à partir d’une étude des relations inter-tribales au Brésil. « Il n’est pas douteux qu’à une époque ancienne, comme d’ailleurs à l’heure présente, les groupes voisins se traitaient plus volontiers en ennemis qu’en alliés, qu’ils se craignaient et se fuyaient, et que cette attitude avait des raisons fort valables. (…) [U]ne image toute différente de la guerre s’esquisse (…) à travers la lecture des an-ciens ouvrages : non plus seulement négative mais positive ; ne trahissant pas néces-sairement un déséquilibre dans les relations entre les groupes et une crise, mais four-nissant au contraire le moyen régulier destiné à assurer le fonctionnement des insti-tutions ; opposant sans doute, psychologiquement et physiquement, les diverses tri-bus ; mais en même temps établissant entre elles le lien inconscient de l’échange, peut-être involontaire mais en tout cas inévitable, des prestations réciproques essentielles au maintien de la culture » 79. L’état de guerre de tous contre tous entendu comme « état de nature » et postulé par la philosophie politique qui fonde l’État mo-derne, celle de Hobbes entre toutes, est donc interprété par Lévi-Strauss comme un moment de l’ordre social et du cycle de réciprocité. L’interprétation a ici une réso-nance politique et philosophique conjoncturelle. D’une part la réflexion de Lévi-Strauss implique de comprendre la crise politique dont il est lui-même le témoin, la Seconde Guerre mondiale, comme un moment d’une interdépendance planétaire en voie de construction. D’autre part, elle permet de récuser le pacifisme ou l’universa-lisme qui s’expriment de manière paradigmatique dans la philosophie idéaliste fran-çaise ou allemande des Lumières, où le commerce est associé à la paix.

Pour Gurvitch, contrairement à Lévi-Strauss, il n’y a pas de privilège a priori de la totalité sociale sur l’individu. Le sociologue d’origine russe a en effet développé sa conception du social dans les années 1930, à Paris, en opposition avec celle de Durkheim et de ses héritiers, même s’il s’inspire de certains aspects des travaux de Mauss, qu’il interprète différemment que ne le fait Lévi-Strauss. Gurvitch récuse ainsi l’idée d’une extériorité de la « conscience collective » par rapport aux « consciences individuelles » et du pouvoir qu’elle exercerait sur ces dernières : il y aurait, selon lui, plutôt correspondance entre les états de l’une et les niveaux des autres. La conscience collective n’est pas transcendante, comme elle serait chez Durkheim, mais « imma-nente » à la totalité sociale. La question de l’opposition entre l’individu et la société est ainsi rendue caduque : dans une perspective plus phénoménologique, Gurvitch écrit que « le "Je" et le "Nous", la société et l’individu sont des jumeaux (…) et repré-sentent seulement des directions, des aspects ou des pôles différents dans l’unité in-dissoluble de la vie sociale concrète » 80. Car Gurvitch se fait du social une conception « trans-personnelle » qui n’est pas sans rappeler les conceptions interactionnistes qui se développent à Chicago à la même période. D’un autre côté, le social vu par Gurvitch peut être appréhendé comme un ensemble de tensions verticales entre diffé-rentes couches que l’on retrouve aussi bien dans les « Nous » que dans les « Je ». Au pôle collectif, il y a par exemple les couches spontanées de la vie sociale, les « Nous profonds », ce que Gurvitch appelle les infrastructures, dans une reprise originale et

78 LÉVI-STRAUSS, 1944c, 267-268. 79 LÉVI-STRAUSS, 1943a, 123-124. Souligné par moi. 80 GURVITCH, MOORE, 1945, 275.

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non économiste de Marx. En remontant il y aurait les couches organisées et cristalli-sées, les institutions, que Gurvitch appelle les « Nous superficiels », les superstruc-tures. À un étage intermédiaire, Gurvitch voit à l’œuvre trois formes principales de sociabilité à propos desquelles l’exil aux États-Unis lui fournit matière à approfon-dissement, la « masse », la « communauté », la « communion » 81. Ce ne sont pas là des groupes réels mais des « états de la conscience collective », des degrés d’intensité qui, selon Gurvitch, s’interpénètrent dans tout type de regroupement et d’institution. La problématique de Gurvitch est celle de la recherche d’une résolution de la tension dialectique existant dans tout groupement entre le soubassement vécu de la vie sociale et les règles, les normes qui encadrent ou délimitent celle-ci.

Dans les articles de sociologie juridique et politique qu’il écrit pendant son exil aux États-Unis, Gurvitch insiste surtout sur cette dialectique entre le palier de la vie sociale et le palier de l’organisation sociale : c’est là qu’ont lieu selon lui les conflits principaux d’une société. D’où son idée que le droit doit épouser les formes concrètes de regroupements et de sociabilité. Mais la société est aussi un lieu de conflits sur un plan que Gurvitch appelle horizontal, entre les différents groupes sociaux. Et la criti-que sociologique de la société que pratique Gurvitch pendant la période fait jouer ces deux dimensions, verticale et horizontale, du social. D’un côté, elle soulignera l’ab-sence de pluralisme des organisations sociales, de pluralisme de droit. De l’autre, elle montrera les contradictions entre l’étage spontané et l’étage organisé de la vie sociale. Ainsi, écrit Gurvitch, dans le cas de la structure sociale de la France d’avant guerre, « on peut constater, sans aucun paradoxe, que c’était la cristallisation et la rigidité mêmes des formes de structures institutionnelles et d’orientation culturelle qui, en France, se sont avérées être un facteur d’instabilité et de faiblesse » 82. Après avoir noté cette tendance de la démocratie parlementaire, d’inspiration libérale et indivi-dualiste, à se transformer sous la pression des forces économiques, en totalitarisme despotique ou technocratique 83, Gurvitch prend position pour une « démocratie so-ciale pluraliste » dont il essaie de dessiner les contours 84. Ainsi les conceptions socia-listes de Gurvitch font-elles partie intégrante de sa sociologie, celle-ci devant contri-buer à celles-là.

Il faudrait insister ici sur l’harmonie entre les visions du monde social de Lévi-Strauss et de Gurvitch et leurs dispositions acquises dans l’entre-deux-guerres puis pendant l’exil. L’importance de la formation universitaire antérieure, à polarité phé-noménologique pour Gurvitch et à polarité durkheimienne pour Lévi-Strauss ; l’affinité, chez Gurvitch, entre l’usage de l’opposition bergsonienne de la société ou-verte et de la société close, l’individualisme et le vitalisme métaphysiques, et l’expé-rience de philosophe et d’exilé professionnel, aux États-Unis comme en France ; l’affinité, chez Lévi-Strauss, entre l’insistance sur l’échange symbolique entre grou-pes sociaux et sa position d’ « ambassadeur » officieux des sciences sociales fran-çaises puis d’attaché culturel après 1945 85 ; la relation entre leurs origines familiales

81 GURVITCH, 1941. 82 GURVITCH, 1943a, 549. 83 GURVITCH, 1943b. 84 GURVITCH, 1942. 85 Entre 1945 et 1947, Claude Lévi-Strauss militera avec d’autres à rompre avec la politique de

rayonnement de la France à l’étranger, avec sa « mission civilisatrice » aussi et à faire de la culture un thème de coopération et donc d’échange. Ainsi, écrit-il à Paris en janvier 1947 : « Une saine politique des relations culturelles consiste, à mes yeux, à provoquer les éloges et l’admiration de nos amis étrangers,

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respectives, la profession du père notamment, et l’esthétisme objectivant d’un Lévi-Strauss ou le typologisme comptable d’un Gurvitch ; l’homologie, enfin, entre l’oppo-sition des formes de capital social international de chacun et l’opposition entre une ethnologie de la réciprocité et une sociologie du conflit, etc. : autant d’éléments qui montreraient que la différence des positions pendant la guerre et des réactions à l’exil renvoie à une différence entre les dispositions socialement constituées. Elles corres-pondent aussi à des manières différentes de nouer l’investissement scientifique et l’engagement politique.

Deux modalités contraires d’engagement Politique ou scientifique, l’activité de Gurvitch est en règle générale essentiel-

lement spéculative et théorique. La grande affaire politique de son émigration a consisté dans la publication en 1944 de son ouvrage, La déclaration des droits so-ciaux qui sera communiqué à Eleanor Roosevelt, qu’il connaît, dans le but d’influen-cer la politique américaine d’après-guerre. Le fait que la contribution de Gurvitch ait à peine été remarquée et débattue constitue, semble-t-il, une des plus grandes frus-trations de la période pour lui. Son objectif était en effet d’écrire une constitution qui puisse être valide pour une IVème République en France, dans l’esprit du rôle qu’ont joué les Federalist Papers au moment de la naissance des États-Unis 86. Dans cet ouvrage, Gurvitch synthétise ses nombreux travaux précédents sur le droit social, la loi et les formes de la souveraineté afin de construire le modèle d’une démocratie idéale, « déclaration des droits sociaux, du producteur, du consommateur et de l’hom-me ». Il s’inspire de Proudhon, Jaurès, des guild socialists anglais afin de renouveler la tradition socialiste du XIXème siècle. Il insiste en particulier sur les idées de démo-cratie industrielle et de conseils ouvriers comme compléments de la démocratie poli-tique, dans la perspective d’une autogestion conçue comme non contradictoire avec le cadre d’une planification socialiste, notamment parce que la liberté syndicale y serait maintenue ainsi que le droit de grève. Cette autogestion reste, selon Gurvitch, à cons-truire pour dépasser la « démocratie individualiste » issue de la société dite bour-geoise et qui aurait conduit aux totalitarismes. Pour Gurvitch, la participation active des travailleurs à la victoire, dans la Résistance française comme dans l’effort de guerre américain, leurs interventions directes dans les choix économiques et politi-ques et la généralisation pendant la guerre des pratiques de planification parmi les

mais à leur laisser ce soin. En leur jetant à la face des affirmations qui leur semblent souvent abusives, nous les heurtons et produisons un effet exactement opposé à celui que nous recherchons. (…) Ce n’est pas en proclamant que la peinture est un art spécifiquement français ou que la littérature française contemporaine est la première du monde que nous persuadons le public de ces vérités ». Cf. Archives du ministère des Affaires étrangères, Relations Culturelles 1945-1970, Œuvres diverses, Échanges culturels, 1945-1959, Œuvres diverses, 1945-1947, États-Unis, Carton 55, Dossier général, Dépêche de Claude Lévi-Strauss, « Politique culturelle française aux États-Unis », 17 janvier 1947. En outre, pour Claude Lévi-Strauss, les relations culturelles internationales ne peuvent plus être un échange limité à une élite et restreintes à des échanges de professeurs et d’étudiants. Elle doivent tendre à assurer le contact de deux sociétés dans toute leur profondeur, viser à rapprocher, non seulement les universitaires et les artistes mais les « groupes natu-rels » de chaque société, en incluant par exemple les ouvriers, les paysans, les techniciens. Cf. « M. Claude Lévi-Strauss à l’Institut Français », Pour la Victoire, 6 février 1946.

86 GURVITCH, 1944.

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Alliés permettraient d’envisager une modification des formes anciennes de la vie politique.

Là où Gurvitch pose les principes d’une cité idéale, Lévi-Strauss s’évertuera à montrer quelles sont les limites de toute cité possible. Un compte rendu qu’il fait dès 1943 dans Renaissance de l’ouvrage de Julien Benda, La grande épreuve des démo-craties, publié à New York à défaut de pouvoir l’être en France, est particulièrement éclairant à ce sujet. Comme Gurvitch, Lévi-Strauss reconnaît que la Seconde Guerre mondiale montre, négativement et positivement, que la démocratie libérale bourgeoise ne représente que la « première phase du développement de la pensée démocrati-que » : « en montrer les contradictions n’est pas, à nos yeux, travailler en adversaire de la démocratie. C’est au contraire préparer, de la seule façon possible, l’avènement d’une démocratie enfin valide et viable » 87. Ce sont les présupposés de la pensée libérale sur la société qui entravent l’existence d’une démocratie véritable : « un col-lectif n’est pas une personne rationnelle comme le croit la démocratie libérale » 88. Il faut, pour l’ethnologue, considérer les sociétés comme des totalités et non pas sur le modèle de l’individu rationnel. Toute réflexion politique devrait donc désormais partir des « forces obscures et inconscientes » 89 qui sont encore plus agissantes au niveau collectif qu’au niveau individuel.

Ce n’est donc pas en restaurant les principes de la démocratie libérale, comme le préconise Benda, ni en en inventant de nouveaux pour une démocratie sociale, comme le fait Gurvitch, qu’une démocratie nouvelle pourrait, pour Lévi-Strauss, éventuelle-ment se former. La réflexion politique de l’ethnologue le conduit en effet à proposer en passant une nouvelle définition de la responsabilité et du rôle de l’intellectuel. Celle-ci ne passe pas par une morale de l’engagement, qui a émergé en France avec l’affaire Dreyfus. L’intellectuel n’a, pour Lévi-Strauss, aucune mission politique pri-vilégiée. Il n’est pas mieux placé qu’un autre pour intervenir dans la sphère publique. Son attachement idéaliste aux principes doit être banni au profit d’un « humanisme concret » 90, qui n’est pas sans rappeler, conceptuellement du moins, l’« humanisme réel » que Marx opposait, dans La Sainte-Famille, à l’« humanisme abstrait » des jeu-nes hegeliens. Reste que cette critique de Lévi-Strauss destinée initialement à Benda s’appliquerait aussi bien à Gurvitch, ou encore, dans l’après-guerre en France, à Sartre.

Ces interventions posent Lévi-Strauss comme porteur d’une nouvelle éthique de l’articulation entre vie savante et vie politique. N’exprime-t-il pas d’ailleurs sa propre vision de cette articulation lorsqu’il loue Paul Rivet, dans une recension d’un livre de ce dernier, de représenter « un vivant symbole qu’il n’est de science que mili-tante » 91 ? À son point d’origine, la théorie structuraliste apparaît donc aussi solidaire d’une nouvelle forme d’engagement politique ou, mieux, d’une nouvelle manière d’occuper la position d’intellectuel, distincte des modes d’intervention traditionnels employés par le socialiste Gurvitch. Elle est, comme on l’a vu à propos de la critique de l’idéologie nazie, une traduction scientifique des prises de position politique en

87 LÉVI-STRAUSS, 1945c, 328. 88 Ibid., 326. 89 Ibid., 327. 90 Titres d’un des cours de Lévi-Strauss en 1943 à l’École Libre. Cf. Pour La Victoire, 10 avril 1943, 6. 91 LÉVI-STRAUSS, 1945b, 667. Souligné par moi.

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même temps qu’elle s’accompagne d’une action de réforme de la politique scientifique.

On pourrait démontrer par de multiples exemples que ces articulations différentes entre les investissements politique et scientifique se traduisent aussi dès les années 1940 par des rapports opposés au temps historique et à la conjoncture : la foi dans le progrès d’un Gurvitch s’oppose à un certain désenchantement ou à une mélancolie chez Lévi-Strauss, pathos de la modernité qui apparaîtra, notamment dans Tristes Tropiques, comme une des conditions de possibilité de la quête structurale.

Les différences de démarche scientifique et d’engagement politique de Lévi-Strauss et de Gurvitch sont également adossées à deux manières de concevoir le terri-toire propre des sciences humaines et sociales, notamment dans son rapport à la phi-losophie. Nul besoin de rappeler ici l’ambition philosophique des Structures élé-mentaires de la parenté qui permet à Lévi-Strauss de reprendre des problèmes deve-nus classiques de ce que Jean-Louis Fabiani a appelé la « discipline du couronne-ment », en leur apportant des réponses nouvelles, informées par la connaissance d’une multiplicité de sociétés recensées de la planète. Il y a chez Lévi-Strauss le projet cons-cient de construire avec les sciences sociales « une nouvelle conception de l’hom-me », titre d’un de ses premiers enseignements à l’École libre de New York, et de dépasser les apories d’un questionnement philosophique condamné selon lui à l’ab-straction 92. Ainsi critique-t-il par exemple la philosophie morale de Durkheim et son penchant théoriciste et il propose, dans les dernières pages des Structures élé-mentaires, d’intégrer la philosophie rationnelle occidentale dans une anthropologie générale de l’esprit.

Mais d’un autre côté, il conclut son panorama de la sociologie française en affirmant que les sociologues « ne peuvent pas espérer réussir s’ils ne sont pas cons-tamment aidés et soutenus par une culture générale et humaniste derrière eux. L’as-cendance philosophique de la sociologie française lui a joué des tours dans le passé ; il se pourrait bien qu’elle soit, en définitive, son meilleur atout » 93, notamment pour dépasser l’empirisme naïf attribué aux anglo-américains. Pour Lévi-Strauss, la con-currence des sciences humaines avec la discipline philosophique ne se fait donc pas, comme chez Gurvitch, sur le terrain de la discipline philosophique. Il y va d’une stratégie de légitimation qui vise à fonder l’autonomie de l’ethnologie vis-à-vis de la philosophie (comme des sciences naturelles), en utilisant les ressources accumulées dans d’autres champs du savoir.

Épilogue La migration forcée aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale a donc

eu des effets très différents sur des protagonistes comme Claude Lévi-Strauss et Georges Gurvitch. Il ne fait aucun doute que le premier a plus bénéficié du détour américain que son aîné. Après leur retour en France, l’écart de positions se maintient toutefois en faveur de Gurvitch qui détient une position « quasi-monopolistique », avec Jean Stœtzel et Georges Friedmann, dans la sociologie française de l’après-

92 NSA, École Libre Papers, Folder 7, Programme des cours et conférences, 1942. 93 LÉVI-STRAUSS, 1945g, 537.

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guerre, au moins jusqu’à ce qu’Aron soit nommé en Sorbonne en 1955 94. Tandis que le sociologue exilé d’origine russe retrouve en 1945 son poste à Strasbourg avant d’être nommé maître de conférences en sociologie à la Sorbonne en 1948 puis pro-fesseur deux ans plus tard, Lévi-Strauss, à son retour en France, est d’abord appointé comme maître de recherches au CNRS puis comme sous-directeur du Musée de l’Homme. Rejeté du Collège de France, il n’obtient un poste d’enseignement que dans une institution naissante et périphérique, la VIème section de l’EPHE, où Gurvitch est d’ailleurs également professeur 95.

Celui-ci est aussi, depuis mars 1946 et pour trois ans, le fondateur et directeur du Centre d’études sociologiques (CES) 96 – le premier centre de recherches du CNRS de la discipline – et l’animateur d’une nouvelle revue, Les Cahiers internationaux de so-ciologie. Paradoxalement, malgré son inclination spéculative et synthétique, Gurvitch joue donc un rôle primordial dans la première organisation en France de la sociologie empirique 97. Il contribue à constituer pour la discipline un espace intellectuel et ins-titutionnel situé entre l’existentialisme et la statistique, entre l’expertise et l’engage-ment 98. Il favorise, quoique de manière modérée, l’importation des problèmes et des travaux de la sociologie américaine 99. En 1956 toutefois, fidèle à ce que Georges Balandier a appelé un « patriotisme souvent ombrageux » 100 qui s’était déjà révélé pendant la guerre et l’exil aux États-Unis, Gurvitch fonde l’Association internationale des sociologues de langue française et s’oppose ainsi à l’hégémonie américaine crois-sante dans la discipline. De même qu’il est depuis ses années de formation en position de « porte-à-faux » entre la sociologie et la philosophie, il a été pris, dès 1940, entre la sociologie américaine et la sociologie française, nationaliste scientifiquement autant qu’internationaliste politiquement.

Parallèlement, le succès personnel de Lévi-Strauss après 1947 est d’avoir coupé définitivement l’ethnologie du lien organique qu’elle conservait avec la sociologie dans l’école durkheimienne, une rupture que consacrera la création de la revue L’Homme en 1961 101. Plus, dès Les structures élémentaires, l’ethnologue a subordon-né l’étude des sociétés complexes à celle des sociétés dites primitives. Il vise ainsi à occuper le rôle qu’il avait attribué en 1945, sous la forme, peut-être, d’une « prophétie auto-réalisatrice », aux anciens fondateurs de la sociologie française, Auguste Comte et Émile Durkheim : celui d’avoir opéré une révolution scientifique en temps de crise sociale et politique, « dans le but de reconstruire la société française après la des-truction forgée, d’abord par la Révolution française et, plus tard, par la guerre franco-

94 MARCEL, 2001b, 99. Cf. l’ensemble de l’article pour comprendre les succès de Gurvitch après 1945 et l’affinité, généralement sous-estimée par les approches exclusivement institutionnelles, de son projet intellectuel avec les demandes des professionnels de la sociologie de la période.

95 Sur les conditions de la fondation de la VIème section de l’EPHE et les rôles respectifs de Gurvitch et Lévi-Strauss, cf. MAZON, 1988, 80 et suiv.

96 HEILBRON, 1991. 97 Sur la sociologie française de l’après-guerre, consulter aussi BOURDIEU, PASSERON, 1967 ;

DROUARD, 1982 ; FARRUGIA, 2000. 98 HEILBRON, 1991, 366. 99 Sur l’importation de la sociologie américaine, cf. notamment CHAPOULIE, 1991, 342 et suiv. Sur les

différentes phases de l’attitude de Gurvitch vis-à-vis de la sociologie américaine pendant l’après-guerre, cf. MARCEL, 2001b, 110 et suiv.

100 BALANDIER, 1972, p. 7. 101 Sur l’histoire de la recherche ethnologique en France après 1945 et sur ses liens avec la période

antérieure, cf. GAILLARD, 1989 ; JAMIN, 1989.

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prussienne » 102, dans le but, plus réduit surtout après 1945, de maintenir l’autonomie des sciences sociales françaises vis-à-vis des sciences sociales anglo-américaines. La montée en puissance de l’anthropologie structurale dans les années d’après-guerre, la discussion publique autour des Structures élémentaires, la reconnaissance obtenue par Lévi-Strauss auprès des philosophes 103 sont autant d’indices de sa mobilité sociale ascendante dans le monde universitaire et intellectuel, là où Gurvitch n’améliore plus guère son statut, en partie dominant.

La rivalité entre les deux hommes, latente aux États-Unis, devient manifeste à par-tir de 1950 et de l’édition aux Presses Universitaires de France de Sociologie et an-thropologie de Marcel Mauss 104. Outre ces polémiques célèbres autour de la lecture de Mauss puis du programme intellectuel du structuralisme, Gurvitch s’oppose aussi à ce que Lévi-Strauss soit accepté dans le comité de rédaction des Cahiers interna-tionaux de sociologie 105. Dans le sous-champ des sciences sociales, les deux hommes dont nous avons comparé ici les trajectoires de guerre et d’exil occupent donc des positions aux dynamiques contraires après la guerre, conquérante pour Lévi-Strauss, déclinantes pour Gurvitch.

Conclusion Pour Lévi-Strauss, la situation d’exil a bien été déterminante dans la genèse de

l’anthropologie structurale, dans son succès et dans l’autonomisation de l’ethnologie vis-à-vis des autres disciplines. Mais les explications psychologiques de cette créati-vité, de cette rupture, de cette fondation par la seule rencontre et combinaison d’autres idées ou les explications historiques qui rapportent la distance subjective nécessaire à la méthode structurale à la crise objective de la culture occidentale et à l’éloignement de l’exilé vis-à-vis de sa culture d’origine ne suffisent pas à rendre compte de l’émer-gence du structuralisme. Si le déplacement peut-être à l’origine d’innovation ou de changement, c’est pour des raisons essentiellement sociologiques, parce qu’il reconfi-gure, pour certains agents seulement, leur sociabilité et leur identité, leur position et leur posture.

En comparant deux trajectoires individuelles confrontées aux mêmes épreuves, on a ainsi d’abord voulu montrer que la mobilité, la double marginalité relative provo-quée par la situation d’exil – vis-à-vis du pays d’origine comme du pays d’accueil – ne bénéficiait pas également à tous ses protagonistes. Autrement dit les positions doubles d’ « excentrique central » ou de « porte-à-faux » ne sont pas, comme on l’a souvent écrit, des conditions sociales suffisantes pour expliquer la créativité. Les ex-plications qui recourent à ces variables fonctionnent ex post mais elles ne permettent pas de comprendre le comportement de la masse des « outsiders » qui sont sans créa-

102 LÉVI-STRAUSS, 1945g, 505. 103 Sur la reconnaissance croissante de la sociologie par les philosophes et notamment de l’ethnologie

de Lévi-Strauss par Merleau-Ponty ou Simone de Beauvoir puis Michel Foucault, cf. BOURDIEU, PASSERON, 1967, 166-167 et 194-201.

104 « Le lecteur trouvera dans l’Introduction de M. Claude Lévi-Strauss une image impressionnante de la richesse inépuisable de l’héritage intellectuel légué par ce grand savant, ainsi qu’une interprétation très personnelle de son œuvre ». In GURVITCH, 1950, viii. Souligné par moi.

105 MARCEL, 2001b, 113, note 3.

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tivité ou de certains « insiders » inventifs et innovants, ni les situations de double ex-clusion plutôt que de double jeu réussi.

Car si pour Lévi-Strauss, contrairement à Gurvitch, la situation d’exil a représenté une structure d’opportunité favorable à l’innovation scientifique, si Lévi-Strauss ob-tient, aux États-Unis puis à son retour en France, des rendements symboliques plus importants avec des ressources initiales moindres, c’est d’abord que le capital social international qu’il acquiert à la faveur de l’exil est plus ouvert que celui de Gurvitch, que l’ethnologue occupe un « trou structural », qu’il est souvent en position de « pont » entre des groupes qui autrement seraient déconnectés 106. N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’il laisse lui-même entendre lorsqu’il affirme rétrospectivement à pro-pos de New York pendant la guerre, que son « tissu social et culturel offrait une texture criblée de trous », qu’à cause de cela, peut-être, « tout semblait possible » 107 ? À l’instar d’un Médici vu par la sociologie américaine des réseaux 108, Lévi-Strauss a été capable de tenir, pas seulement d’occuper, une position ambivalente et surtout de faire tenir ensemble des groupes aux intérêts contradictoires (comme, par exemple, au sein de l’École libre des hautes études de New York).

Aux différences entre les formes – plus qu’entre les volumes – de capital social accumulé par Gurvitch et Lévi-Strauss aux États-Unis, il faut ajouter des différences de travail identitaire face aux épreuves de l’exil. Alors que Gurvitch tend à se percevoir en exclu, redoublant ainsi sur un plan subjectif sa position objective d’exilé, alors qu’il est écartelé entre un discours disciplinaire plutôt nationaliste et un discours politique plutôt internationaliste, Lévi-Strauss est parvenu à se dédoubler : entre l’in-vestissement politique et scientifique, en traduisant ses convictions politiques en pro-blèmes scientifiques tout en prenant part aussi, dès l’exil et à l’instar de Gurvitch, à la politique scientifique de la France ; entre une identification politique patriote et une ouverture aux ressources intellectuelles américaines devant servir à une affirmation de la vocation universelle de la science sociale française. On a vérifié ainsi que l’inven-tion d’idées nouvelles en science et, surtout, leur capacité à durer, tiennent à l’inven-tion simultanée d’un nouveau rôle social 109, situé ici entre philosophie et sociologie, entre pratique politique et pratique scientifique, entre identification nationaliste et cosmopolite, entre France et États-Unis.

Le contexte d’interaction – ici le champ des sciences sociales françaises exilées – est un autre facteur essentiel de créativité et de rupture pour des personnes déplacées. Ainsi l’anthropologie structurale contient-elle, dans sa socio-genèse même, l’opposi-tion aux prises de positions de Georges Gurvitch dans les sciences sociales de l’épo-que : à son épistémologie, sa méthode, sa manière de situer la pratique savante ou théorique par rapport aux autres pratiques, au style sociologique que Gurvitch incarne aussi bien qu’au rôle qu’il joue, etc. Au moins autant que l’échange avec l’anthropo-logie américaine, c’est donc le conflit avec une partie de la sociologie française qui

106 Sur les relations générales entre formes de sociabilité intellectuelle et propension à la créativité, cf. COLLINS, 1998.

107 « Mais New York – de là lui venait son charme et l’espèce de fascination qu’elle exerçait – était alors la ville où tout semblait possible. À l’image du tissu urbain, le tissu social et culturel offrait une texture criblée de trous. Il suffisait de les choisir et de s’y glisser pour atteindre comme Alice de l’autre côté du miroir, des mondes si enchanteurs qu’ils en paraissaient irréels ». LÉVI-STRAUSS, 1983, 348. Souligné par moi.

108 ANSELL, PADGETT, 1993. 109 BEN-DAVID, COLLINS, 1966.

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est décisive pour l’invention du structuralisme. À ce titre, la présence de Gurvitch, confronté aux mêmes problèmes et aux mêmes difficultés que Lévi-Strauss, a facilité le travail de différenciation et de subjectivation de ce dernier pendant l’exil.

L’opposition des positions et des prises de position scientifiques et politiques de Claude Lévi-Strauss et de Georges Gurvitch pendant la guerre et l’exil, l’opposition sous-jacente entre les formes de sociabilité et les modes d’identification de chacun, renvoient, en dernière analyse, à une opposition entre les dispositions antérieures des protagonistes. Outre les différences attachées aux positions dans le champ univer-sitaire de l’entre-deux-guerres, entre un Gurvitch « professeur » et un Lévi-Strauss « chercheur », il faut insister sur l’importance du statut d’étranger de Gurvitch dans l’espace intellectuel français ainsi que sur le poids différencié de l’identité juive, à tra-vers ses modes distincts de constitution historique, dans le monde russe et dans le monde français.

D’anciennes dispositions, d’anciennes identifications et d’anciens rôles scienti-fiques opposés ont ainsi été rejoués et déplacés pendant la situation d’exil. Gurvitch a vécu la guerre en « rentier » tandis que Lévi-Strauss s’est comporté en « entrepre-neur » scientifique 110. L’Amérique, dans ce schéma, n’a été qu’une ressource mise en jeu au retour dans les sciences sociales françaises. Lévi-Strauss comme Gurvitch con-tribueront peu, paradoxalement, à l’« américanisation » des sciences sociales fran-çaises après-guerre : celle-ci passe par d’autres médiations, comme celle, connue, de Stœtzel et elle s’intensifie surtout à la fin des années 1950.

Laurent JEANPIERRE

SHADYC (EHESS) - CEDITEC (Université Paris XII), France [email protected]

Nota Bene : Plusieurs versions successives de cet article ont été présentées depuis 1999

dans des séminaires ou des colloques où j’ai bénéficié de l’invitation ou des remarques de Thomas Bender, Jennifer Platt, Christian Fleck, Jean-Louis Fabiani et Patrice Maniglier. Je remercie également Frédéric Keck, François Héran, Sébastien Mosbah-Natanson ainsi que les trois lecteurs anonymes de la revue de leurs commentaires et de leurs critiques.

Sources

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Record Group 1.1, Series 200. Boxes 16-18, Emergency Committee in Aid of Foreign Displaced Scholars. Box 47, Summary Report on Refugee Programs. Boxes 47-55, Refugee Scholars Personal Files ; École libre des hautes études, New School for

Social Research.

110 L’analyse proposée ici n’épuise évidemment pas les raisons du succès de Lévi-Strauss en France

après son retour d’exil, ni celles de la postérité plus faible de Gurvitch, questions qui relèvent toutes deux d’une sociologie de la légitimation intellectuelle (cf. LAMONT, 1987 ; MCLAUGHLIN, 1998), de la réception des œuvres, dans lesquelles il faudrait introduire des données morphologiques sur les populations des différentes disciplines universitaires.

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Ministère des Affaires étrangères, Paris Relations Culturelles 1945-1970, Œuvres diverses, Échanges culturels, 1945-1959, Œuvres

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Bibliographie

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