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UNE PRODUCTION IMMÉMORIALE Depuis 45 siècles, l’homme fabri- que des verres en refroidissant rapi- dement des silicates fondus à haute température. Son inventivité est en l’occurrence moins remarquable qu’on pourrait le croire. La nature, en effet, est un grand producteur depuis au moins 4 500 millions d’années ! Non seulement les ver- riers n’ont de ce point de vue rien inventé, mais leurs principaux pro- cédés de mise en forme existent également de toute éternité, ou presque : coulage, étirement de fib- res ou soufflage sont aussi vieux que l’activité magmatique. Parta- geant avec la Terre une composi- tion chimique où prédominent les silicates, les autres planètes tellu- riques (Lune, Mars, Vénus et Mer- cure) et les grands satellites de Jupi- ter ou de Saturne sont ou ont été aussi le siège d’un intense volca- nisme de sorte que la présence de verre n’a pas dû leur être étrangère. Sur Io, une des lunes de Jupiter, ont par exemple été observés des jets de lave hauts de 300 km, expulsés de leur fournaise à des vitesses de 1 000 m/s, dont une partie au moins devrait vitrifier au cours de son parcours dans l’espace (Fig.1). Les plus anciens verres connus ont en fait été découverts sur la Lune lors des missions Apollo. Ils datent de 4 milliards d’années, soit assez peu après la formation du système solaire. En l’absence d’atmosphère, et surtout d’eau, ils ont échappé à toute altération chimique. Leur composition est variée, certains comportant des teneurs inhabi- tuellement fortes en oxyde de titane (Tableau). Sur terre, l’acti- vité magmatique est également ancienne. Il est même probable que, peu après sa formation, notre planète ait été entièrement cou- verte d’un océan magmatique, pro- fond de 1 000 km et d’une tempé- rature de l’ordre de 2000°C. Si du verre fut produit à cette époque reculée, nul ne le sait. L’activité géologique tendant naturellement Les verres naturels 4 UNE PETITE ENCYCLOPEDIE DU VERRE Pascal Richet Verre VOL.15 N°6 • DÉCEMBRE 2009 1. D’apparence modeste, un panache de lave pourtant immense se détachant de la surface de Io. SiO 2 Al 2 O 3 Na 2 O K 2 O CaO MgO Fe 2 O 3 FeO TiO 2 Verre lunaire Ti 39 6 6 7 15 22 9 Basalte lunaire 51,7 15,1 1,1 1,1 10,6 6,7 0,2 9,8 1,7 Figeac 67,9 12,8 1,6 4,0 1,1 0,6 2,7 1,5 Basalte 49,2 15,7 2,9 1,1 9,5 6,7 3,8 7,3 1,8 Andésite 57,9 17,0 3,5 1,6 6,8 3,3 3,3 4,0 0,9 Phonolite 56,2 19,0 7,8 5,2 2,7 1,1 2,8 2,0 0,6 Rhyolite 72,8 13,3 3,6 4,3 1,1 0,4 1,5 1,1 0,3 Verre lybique 99,4 0,3 Rochechouart 65,1 14,8 0,2 10,9 0,2 1,2 3,5 0,6 Fulgurite 98 2 Impactite 87,0 8,0 0,1 1,0 0,8 0,2 1,9 0,5 Tableau 1. Compositions de verres mentionnés dans cet article et compositions moyennes de quelques roches volcaniques (pourcentages massiques)*. *Fer exprimé comme FeO ou Fe 2 O 3 ; totaux pouvant différer de 100 % à cause de teneurs en autres oxydes non cités, comme P 2 O 5 , BaO, MnO et, surtout, H 2 O. © Jet Propulsion Laboratory

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UNE PRODUCTIONIMMÉMORIALE

Depuis 45 siècles, l’homme fabri -que des verres en refroidissant rapi-dement des silicates fondus à hautetempérature. Son inventivité est enl’occurrence moins remarquablequ’on pourrait le croire. La nature,en effet, est un grand producteurdepuis au moins 4 500 millionsd’années ! Non seulement les ver-riers n’ont de ce point de vue rieninventé, mais leurs principaux pro-cédés de mise en forme existentégalement de toute éternité, oupresque : coulage, étirement de fib-res ou soufflage sont aussi vieuxque l’activité magmatique. Parta-geant avec la Terre une composi-tion chimique où prédominent lessilicates, les autres planètes tellu-riques (Lune, Mars, Vénus et Mer-cure) et les grands satellites de Jupi-ter ou de Saturne sont ou ont étéaussi le siège d’un intense volca-nisme de sorte que la présence deverre n’a pas dû leur être étrangère.Sur Io, une des lunes de Jupiter, ontpar exemple été ob ser vés des jets delave hauts de 300 km, expulsés de

leur fournaise à des vitesses de1 000 m/s, dont une partie aumoins devrait vitrifier au cours deson parcours dans l’espace (Fig.1).Les plus anciens verres connus onten fait été découverts sur la Lunelors des missions Apollo. Ils datentde 4 milliards d’années, soit assezpeu après la formation du systèmesolaire. En l’absence d’atmosphère,et surtout d’eau, ils ont échappé àtoute altération chimique. Leurcomposition est variée, certains

comportant des teneurs inhabi-tuellement fortes en oxyde detitane (Tableau). Sur terre, l’acti-vité magmatique est égalementancienne. Il est même probableque, peu après sa formation, notreplanète ait été entièrement cou-verte d’un océan magmatique, pro-fond de 1 000 km et d’une tempé-rature de l’ordre de 2000°C. Si duverre fut produit à cette époquereculée, nul ne le sait. L’activitégéologique tendant naturellement

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UNE PETITE ENCYCLOPEDIE DU VERRE

Pascal Richet

Verre VOL.15 N°6 • DÉCEMBRE 2009

1. D’apparence modeste, un panache de lave pourtant immense se détachantde la surface de Io.

SiO2 Al2O3 Na2O K2O CaO MgO Fe2O3 FeO TiO2

Verre lunaire Ti 39 6 6 7 15 22 9

Basalte lunaire 51,7 15,1 1,1 1,1 10,6 6,7 0,2 9,8 1,7

Figeac 67,9 12,8 1,6 4,0 1,1 0,6 2,7 1,5

Basalte 49,2 15,7 2,9 1,1 9,5 6,7 3,8 7,3 1,8

Andésite 57,9 17,0 3,5 1,6 6,8 3,3 3,3 4,0 0,9

Phonolite 56,2 19,0 7,8 5,2 2,7 1,1 2,8 2,0 0,6

Rhyolite 72,8 13,3 3,6 4,3 1,1 0,4 1,5 1,1 0,3

Verre lybique 99,4 0,3

Rochechouart 65,1 14,8 0,2 10,9 0,2 1,2 3,5 0,6

Fulgurite 98 2

Impactite 87,0 8,0 0,1 1,0 0,8 0,2 1,9 0,5

Tableau 1. Compositions de verres mentionnés

dans cet article et compositions moyennes

de quelques rochesvolcaniques (pourcentages

massiques)*.

*Fer exprimé comme FeO ouFe2O3 ; totaux pouvant différer

de 100 % à cause de teneurs enautres oxydes non cités, commeP2O5, BaO, MnO et, surtout, H2O.

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à faire disparaître les témoignagesdes périodes les plus anciennes, iln’en reste en tout cas nul vestige etil faut avancer considérablementdans le temps pour trouver d’au-thentiques verres. En France, cesont peut-être des roches permien-nes des environs de Figeac (Lot)qui renferment les plus anciensverres bien conservés. Apparentéesà des laves appelées boninites, cesroches en comportent une fractionimportante (Fig. 2). Avec leur âged’environ 280 millions d’années,elles illustrent la manière dont desverres peuvent résister à l’altérationpendant de très longues duréesdans des conditions naturelles.La présence de verre dans des ro -ches volcaniques n’a rien d’éton-nant. Un refroidissement assezrapide étant nécessaire pour éviterla cristallisation, c’est avant toutdans ces roches que la conditionest satisfaite. Il est cependant rareque toute cristallisation soit évitéeà la fois pendant la montée dumagma de sa source vers la surfaceet pendant son refroidissement surles flancs d’un volcan. Les rochesvolcaniques sont donc plutôt desvitrocéramiques où les cristaux setrouvent dispersés dans une pâtevitreuse. Quant à la proportion deverre, elle dépend de deux facteurs,la vitrifiabilité intrinsèque dumagma et la vitesse de refroidisse-ment. La vitrifiabilité est la plusforte quand la viscosité du liquideest élevée (Fig. 3), c’est-à-direquand l’abondance des élémentsformateurs de réseau (silicium etaluminium) est la plus grande et

quand la structure du liquide est laplus fortement polymérisée. Dansla nature, le domaine de composi-tion des verres d’origine magma-tique est ainsi borné par les basaltesaux plus faibles teneurs en silice, etpar les obsidiennes aux plus fortes.

LA DIVERSITÉ DES VERRES BASALTIQUES

De loin les plus abondants à la sur-face du globe, les magmas basal-tiques sont a priori les moins faci-lement vitrifiables ; le grandchi miste Chaptal en fit l’expé-rience malheureuse quand il tentade fabriquer des bouteilles aveccette lave à la fin du XVIIIe siècle.Mais cette médiocre vitrifiabilitéintrinsèque peut être compenséepar des vitesses de refroidissementtrès rapides. Particulièrement endébut d’éruption quand un déga-zage énergique conduit le débit àêtre maximum, la brutale fragmen-tation d’une lave très fluide dans lejet d’une fontaine (Fig. 4a) cause

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2. Le verre (brun) d'une lave permiennedes environs de Figeac,  formant unepâte englobant de grands cristaux depyroxènes et des baguettes deplagioclases. Au centre, le verre estinclus au sein d'un pyroxène. Lamemince observée en lumière naturelle.

3. Viscosité de quelques types de laves(voir compositions dans le Tableau 1).

4a. Une fontaine de lave du du Piton de laFournaise (La Réunion), projetant à desdizaines de mètres de hauteur une lavebasaltique très fluide.

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par exemple un étirement hydro-dynamique en cheveux de Pelé(Fig. 4b). Longues de 10 cm auplus et de diamètre compris entre10 et 20 microns, ces fibres dispa-raissent cependant assez vite sousl’effet de l’altération. Des films deverre peuvent par ailleurs être souf-flés quand le dégazage conduit à laformation d’une bulle de magmaqui finit par exploser (Fig. 5). Enraison de leur minceur, ces films

sont encore plus fragiles que lescheveux de Pelé. Le dégazage

peut enfin conduire à laformation d’une moussede verre aux paroisextrêmement minces,appelée réticulite

(Fig. 6), dont la légèretéet la fragilité sont égale-

ment extrêmes.Des verres sont surtout pro-

duits systématiquement lorsdes éruptions sous-marines

grâce à la trem pe très efficaceassurée localement par le contact

du magma avec l’eau. La lave sedébite alors en coussins de tailleinférieure à 1 m dont la croûte estessentiellement vitrifiée (Fig. 7).Comme l’essentiel des basaltes s’é-panche le long des dorsales médio-

océaniques, les très longueschaînes de montagnes où sefabrique lentement la croûteocéanique, les quantités deverre ainsi produites sonténormes. Sans chercher à enestimer le tonnage, on se bor-nera à noter qu’environ 300milliards de tonnes de basalteparviennent chaque année àla surface du globe. Mêmelors de refroidissements pastrop rapides, com me ceux desgrandes coulées de laves à l’airlibre, la proportion de verredans un basalte reste signifi-cative (Fig. 8), valant typique-

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4b. Une pelotte de cheveux de Pelécomportant des gouttelettes de verre nonétirées (Piton de la Fournaise). Ces cheveuxsont en fait très semblables aux fibres delaine de roche qu'on fabriqua longtemps àpartir de basalte.

5. Le soufflage explosif d'une bulle de laved'environ 10 mètres de diamètre (Piton de laFournaise, la Réunion, éruption de 2004).

6. La très fine dentelle à trois dimensionsd'une réticulite. Taille de la zone montrée :15 mm.

7. Un coussin de basalte se formant sur lesflancs sous-marins du Piton de la Fournaise.

8. La pâte vitreuse (noire) englobant descristaux fortement biréfringents d'olivine etdes baguettes de pyroxènes dans la pâtevitreuse d'un basalte de Hawaii.

Fig 4b

Fig 6

Fig 5 Fig 7

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ment de l’ordre de 10 à 20 %. Unesimple règle de trois indique doncque le tonnage de verre de basalteproduit chaque année se comptepar dizaines de milliards de tonnes,soit plusieurs milliers de fois laproduction mondiale de verresindustriels.Si des coussins se forment assezpaisiblement à grande profondeur,c’est que la pression de l’eau s’op-pose à un dégazage explosif desmagmas. À des profondeurs dequelques dizaines de mètres, undégazage violent peut en revanchese produire et fragmenter la lave enpetits blocs dont le refroidisse-ment très rapide en retombantdans l’eau assure la vitrification. Lesproportions de verre les plus éle-vées sont ainsi obtenues lors de cetype d’éruption. Mais ces verresréagissent assez rapidement avecl’eau pour se transformer en uneroche appelée palagonite, un mé -lange complexe de minéraux argi-leux et zéolitiques, qui assure enfait la pérennité de l’édifice volca-nique. Prenant des teintes allant dejaune à vert ou brun, la palagonitedonne lieu à de très beaux effetsquand elle est employée en archi-tecture. En France, le Velay enmontre de nombreux exemples(Fig. 9).

DE L’IMPORTANCE DES PONCES ET OB SI DIEN NES

La diversité de composition, etdonc de vitrifiabilité, des lavesrésulte principalement d’un pro-cessus appelé différentiation mag-matique. En cristallisant en pro-fondeur dans des chambresmag matiques, les magmas primai-res, en général basaltiques, précipi-tent d’abord les minéraux les plus réfractaires, olivines (Mg,Fe)2SiO4 et pyroxènes (Ca, Mg,Fe)SiO3. Le liquide résiduel donneainsi naissance à des magmas deplus en plus visqueux, car plusriches en Si, Al et alcalins, dont leséruptions sont donc plus explosi-

ves. Comme cela se produisit lorsde la célèbre éruption du Vésuvequi détruisit Pompéi en l’an 79 denotre ère, des produits essentielle-ment vitreux, les ponces, peuventalors être émis en quantités consi-dérables. Cette nature vitreuse, lesponces la doivent au fait d’être éti-rées par un flux gazeux s’écoulantà une vitesse supersonique dans unconduit volcanique. La vitesse estdonc beaucoup plus grande quecelle qui préside à l’étirement (àl’air libre) des cheveux de Pelé. Etcomme la viscosité du magma estbeaucoup plus forte, les ponces s’é-tirent en fibres qui s’accolent étroi-tement (Fig.10). Cette texture leurdonne de très intéressantes pro-

priétés qui sont exploitées indus-triellement pour la fabrication d’a-brasifs. À Nescher (Puy de Dôme),c’est par centaines de milliers detonnes que des ponces émises parle volcan des Monts Dore ont parexemple été transformées en pou-dres abrasives…Le terme de la différentiation mag-matique est souvent représenté parles rhyolites (Tableau). En raisonde leur viscosité extrême, ces lavess’épanchent très mal et forment auplus de très courtes coulées(Fig. 11). Dans certains cas, la pro-portion de cristaux est très faible,voire presque nulle. Les rochesobtenues se distinguent en ce caspar un bel aspect vitreux et une

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9. Le rocher Aiguilhe, au Puy-en-Velay, piton haut de 82 mformé principalement de verre basaltique transformé en

palagonite, la même roche ayant servi à édifier à sonsommet la chapelle romane St-Michel (XIIIe siècle).

10. Les fibres d'une ponce émise il y a 580 000 ans lors de la plus violenteéruption du volcan des Monts Dore (Massif central). Taille 40 mm.

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cassure coupante qui leur a conféréune importance domestique etguerrière considérable dans lescivilisations néolithiques. Assezpeu nombreux dans les diversesparties du monde, les gisementsd’obsidiennes ont fait l’objet d’uneexploitation précoce et d’un com-merce à grande distance –le pre-mier, sans doute, puisqu’il y a plusde 50 000 ans, les pierres étaientdéjà exportées, brutes ou taillées. Ilest aujourd’hui possible d’identi-fier la provenance d’une ob si -dienne par sa teneur en éléments

chimiques contenus à l’état detraces, qui est caractéristique

de cha que gisement. L’étudede la distribution des obs-idiennes est donc devenueune source de renseigne-ments très précieuse surles routes commercialesde la fin de la préhistoire.L’usage d’obsidiennespour faire des couteauxou des pointes de flè-ches (Fig. 12) est bienconnu. On sait moins

que ces verres ont servi àfaire des coupes ou les

premiers miroirs, appelésmiroirs des Incas en Amérique dusud. Sans qu’il soit possible de lesdistinguer à l’œil nu, de petits cris-taux présents avaient des effetsassez néfastes sur la qualité des obs-idiennes qui en comportaient

pour que celles-ci ne soient pasexploitées (Fig. 13). Les obsidien-nes ont ensuite incité les tout pre-miers verriers à les imiter en Méso-potamie pour leurs qualitésornementales. Aujourd’huiencore, l’obsidienne de feu, unevariété trouvée au Mexique, se dis-tingue par son intérêt esthétique.Ses irisations parfois étonnantes(Fig. 14) sont dues à des interfé-rences lumineuses par des micro-cristaux de magnétite disposés enlits régulièrement orientés (demoins d’un micron d’épaisseur etd’indice de réfraction plus élevéque celui du verre), qu’une taille etun polissage appropriés permet-tent de mettre en valeur.

DES VERRES SPÉCIAUX

Pour le grand public, la quantitéest bien entendu moins impor-tante que la qualité. Les obsidien-nes suscitent ainsi plus d’intérêt

que les verres de basalte ! En quan-tités plus petites encore, la naturea en outre produit des verres spé-ciaux par des procédés originaux.Depuis toujours, la forme ou l’aspectde ces verres a suscité l’intérêt à la foisd’artisans désireux de travailler desmatières rares et d’un public curieuxde substances originales.Pour mémoire, les fulgurites doi-vent d’abord être mentionnées.Comme l’indique leur nom, cesverres sont formés par impact de lafoudre sur des sables siliceux. Leurapparence n’est cependant pas vi -treuse, car leur aspect de tubes hé -rissés d’innombrables aspéritésreflète l’irrégularité des élévationsde température causées au sol parla foudre.Du point de vue du verrier, les ver-res trouvés dans la partie égyp-tienne du désert lybique sont lesplus intéressants (Fig 15). Leurcomposition étant très proche de

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11. Le front d'une coulée d'obsidienne de l'Obsidian Dome (Californie). Noter minces litsde cristaux blancs généralement présents au sein des blocs noirs.

12. Trouvéedans le désertde l'Arizona,une pointe deflèche enobsidienne duMexique.

13. Des cristaux dans une obsidienne de Lipari (Italie) vus dans une lame mince examinéeen lumière analysée-polarisée. Leur aspect sphérulitique est typique d'une cristallisation àtrès fort taux de surfusion. 14. Une obsidienne de feu du Mexique.

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celle de la silice pure, ils seraient eneffet difficiles à produire artificiel-lement sous une forme chimique-ment homogène. Cette composi-tion particulière fait d’eux les seulsverres naturels à être vraimenttransparents, et non seulementtranslucides. Leur origine a long-temps été controversée. Il apparaîtdésormais qu’ils se sont formésquand une grandemétéorite aexplosé en frô-lant la Terre il ya 29 millionsd’années, la chaleurdégagée ayant conduit à fondrepar endroits les grès siliceux deslieux. L’explication s’appuie sur lefait que ces verres comportent à l’é-tat de traces les mêmes propor-tions d’éléments rares, comme l’i-ridium et le cobalt, que leschondrites, une classe de météori-tes pierreuses.Le véritable choc d’une grosse mé -téorite produit des effets considé-rablement plus importants. EnFrance, les vestiges du cratère d’im-pact de Rochechouart, dans leLimousin, en témoignent encoreplus de 200 millions d’années aprèsla catastrophe. L’échauffement aété tel que certaines roches ressem-blent à s’y méprendre à des laves encomportant une proportionimportante de verre (Fig. 16), uneressemblance telle qu’on a cru pen-dant près de 200 ans que ces rochesprovenaient d’un volcan donttoute autre trace avait disparu…La chute d’une météorite produitdes verres de deux autres façons.

Avant même quel’impact ait lieu,l’air que repousse la météorite s’é-chauffe au point de faire fondre ausol des fragments de roche et de lesdisperser autour du cratère crée parla chute. Ce sont les impactites. Lapression de l’air peut par ailleursdevenir telle que les fragments fon-dus sont envoyés dans la hauteatmosphère avant de retomberloin sous forme de petits blocs vi -

treux de formes variées,plus ou moins

translucides et depoids dépassantrarement le kg.Ce sont les tecti-tes (Fig . 17).

Comme celle desimpactites, leurs compositionssont évidemment très variables.

DE LA NATURE À L’INDUSTRIE

Verres naturels et industriels pos-sèdent évidemment beaucoup depoints communs. Si les silicatesont acquis leur actuelle impor-tance industrielle, c’est tout d’a-bord en raison du fait qu’ils cons-tituent l’essentiel de la croûteter restre et que leur coût très bas arendu possible les merveilleux usa-ges auxquels ils se prêtent. De cepoint de vue, une Terre faite prin-cipalement de borates se serait malprêtée à tous ces usages ! Passer desmatériaux naturels aux verres arti-ficiels a néanmoins soulevé nom-bre de difficultés. Éliminer le fer etles autres éléments colorants spon-tanément présents dans tous les

matériaux géologiques pour obte-nir des verres transparents fut ainsiune évolution qui s’est étalée surdeux millénaires. En conclusion, ilconvient enfin de mentionner quel’étude des laves par les naturalistesa aussi contribué aux progrès del’industrie verrière. Pour ne citerqu’une découverte importante,rappelons que ce fut en étudiantdes basaltes fondus (dans un fourde verrier) que l’Écossais JamesHall (1761-1832) découvrit que lavitesse de refroidissement jouaitun rôle crucial dans la formationdes verres : en passant d’un lentrefroidissement à une trempe, ilobserva en effet que la roche qu’ilobtenait faisait place à un verre. n

RemerciementsPour les illustrations et autresconcours apportés lors de la prépa-ration de cet article, l’auteur remer-cie vivement J.-M. Bou, J.-C. Boulliard, A. Carion, J. Dyon, Ph. Mairine, A. Navrotsky,D.R. Neuville, A. Pitrou, J. Roux,N. Santarelli, N. Villeneuve et,tout particulièrement, D. Velde.

UNE PETITE ENCYCLOPEDIE

DU VERRE

RÉFÉRENCESCarion A., Galoisy L., Boulliard J.-C. et de la Tullaye R.,Fulgurites et verres naturels. Pierres de foudre, de feu et dechoc. Collection de Minéraux de l'université Pierre et MarieCurie, Paris, 2007.

Cox K.G., Bell J.D. et Pankhurst R.J., The Interpretation ofIgneous Rocks, George Allen & Unwin, Londres, 1979.

Richet P., L'âge du verre, Gallimard, Paris, 2000.

Richet P., Guide des volcans de France, Belin, Paris, 2003.

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15. Un fragment deverre lybique.

16. Dans les mursde l'église deRochechouart, unelave bulleuserougeâtre produitepar un impact demétéorite il y a 200millions d'années.

17. Une tectite de Chine.

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