Les Trentenaires ne vous disent pas Merci

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 Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.  Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article  « Génération : stérile? »  par Maïté Snauwaert Spirale : arts • lettres • sciences humaines , n° 214, 2007, p. 17-19.  Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/10391ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos .erudit.org/fr/ usagers/politique-dut ilisation/ Document téléchargé le 18 juin 2015 07:20 Ouvrage recensé : Génération 69. Les trentenaires ne vous disent pas merci , de Laurent Guimier et Nicolas Charbonneau. Éditions Michalon, 173 p.

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Les Trentenaires ne vous disent pas Merci

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  • rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. rudit offre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

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    Gnration: strile?

    par Mat SnauwaertSpirale : arts lettres sciences humaines, n 214, 2007, p. 17-19.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :http://id.erudit.org/iderudit/10391ac

    Note : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

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    Ouvragerecens :

    Gnration 69. Les trentenaires ne vous disent pas merci, de Laurent Guimier et NicolasCharbonneau. ditions Michalon, 173 p.

  • ROSSI FR LES NOUVEAUX CONFLITS GENERATIONNELS

    Gnration : strile ?

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    GENERATION 69. LES TRENTENAIRES NE VOUS DISENT PAS MERCI de Laurent Guimier et Nicolas Charbonneau ditions Michalon, 173 p.

    Q ue vaudrait un livre qui ne serait que le symptme d'une cer-taine poque, comme tel destin passer avec elle? Peut-tre pas grand-chose, au-del de son mrite sociologique. Mais il y a

    plus : ici les auteurs parviennent nous faire saisir en parvenant, sai-sie tonnante, dresser le portrait de leur propre gnration, prendre avec recul sinon distance (ils en sont) ce qui leur est contemporain comment s'assemble une gnration, et, par l mme, ce qui fait une gnration : cet assemblage qui est autre chose qu'une simple mise ensemble, qui est plutt un rassemblement d'intrts, d'ides, de posi-tions, de refus et d'lments de culture, la fois formateurs d'une jeu-nesse commune, et contribuant former un ge adulte commun. Ce qui fait que ce n'est peut-tre pas toujours aprs qu'on peut parler de telle ou telle gnration, mais bel et bien pendant qu'elle se fait qu'elle se vit. Car elle peut tre revendique par ses acteurs, elle l'est le plus souvent : c'est son principe gnrateur . Ils nous font voir que pour qu'on puisse parler de gnration, il faut que a prenne , que quelque chose se passe, passe, qui transforme suffisamment le prsent, le donn, l'exis-tant, pour qu'on puisse parler d'une poque. La gnration est aux tres humains ce que l'poque est l'histoire : un moment identifiable; l'his-toricit d'un certain rapport au temps. Donc l'Histoire, la mmoire, au devenir, la transmission. Et si le progrs de la socit en gnral repose sur le conflit entre les gnrations , comme le faisait remarquer Freud en 1909 dans son article intitul Le roman familial des nvro-ss , il s'agit d'une opposition prenne, appele par nature se rejouer chaque gnration, chaque poque, et aussi, remarquons-le, d'une opposition bnfique ( le progrs de la socit ), voire vitale, ncessaire pour continuer l'espce, ou l'Histoire, ou les deux. Tandis que l'histori-cit, elle, de ce rapport la gnration, se dplace, volue, se transforme au fil du temps et en fonction des conditions politiques et sociales parti-culires chaque poque.

    69, anne dsertique C'est ce que tentent de montrer les deux auteurs : l'historicit de la gn-ration de 68 en France serait telle tellement spciale, tellement parti-culire qu'elle serait devenue indpassable aux yeux de ses propres acteurs et rendrait ds lors plus difficile que d'ordinaire, pour une gn-ration suivante, d'apparatre, ou plutt de briller, parce qu'elle ne serait pas valorise par ses prdcesseurs. cela j'ai envie de rpondre avec Freud : s'il s'agit d'une opposition principielle, systmatique, n'est-ce pas que ce conflit est ncessaire pour que les suivants prennent la place des prcdents et cela ne doit-il pas ncessairement en passer par la force? Par un rapport de forces qui n'est pas exempt de tensions, puisqu'il est bien sr difficile de cder sa place... surtout, disons-le, quand on est dans la force de l'ge, ce qui est bien plus le cas, et sans doute, pour la pre-mire gnration dans l'histoire de l'Occident, des soixantenaires d'au-jourd'hui, que de leurs propres prdcesseurs. Au-del de la spcificit de la gnration rvolutionnaire de Mai 68, un facteur dmographique et de nombreux facteurs culturels et socitaux seraient ainsi prendre en compte, qui ne sont pas le fait d'une action collective ou d'une revendi-cation politique.

    Revenons un instant sur cette gnration rvolu-tionnaire qui serait au cur du conflit. Elle serait exemplaire dans son refus des pres, des institu-tions, des cadres de la rpublique tels qu'ils exis-taient jusqu'alors. Soit. Je ne vais pas entrer ici dans le dbat, pourtant suggr par le livre, qu'il faudrait s'en remettre, en revenir, passer l'exa-men de conscience pour se demander ce qu'on a sauv des idaux d'un printemps de jeunesse dans l'embourgeoisement de la maturit et le confort des positions de pouvoir. Je prfre indiquer que cette gnration 68 est exemplaire dans sa non-obliga-tion d'aller la guerre ; dans son accession aux tu-des; dans sa multitude dmographique; dans sa longvit, son excellente sant, son accs plus de soins et de meilleure qualit. Ce que stigmatisent mes deux auteurs, c'est que la force exemplaire du phnomne 68 rside dans le fait que tout d'un coup, dans une socit patriarcale comme la France, domine par la hirarchie et l'anciennet, on laissait la place aux jeunes ils la prenaient, plutt , ils s'imposaient dans le dbat dmocrati-que, tudiants aux cts des ouvriers, et prenaient le pouvoir. Pouvoir qu'ils ont encore, et qu'en font-ils? demandent Guimier et Charbonneau, puisqu'on mange des OGM, qu'on dverse des ton-nes de ptrole dans l'ocan, qu'on dtruit la cou-che d'ozone. Tandis qu'aujourd'hui, ces mmes gens ne seraient pas prts considrer la jeunesse, lui donner la parole, la reprsenter dans la sphre politique et lui faire confiance. Alors com-ment savoir si ce sont de jeunes cons qui ont vieilli (comme disait Brassens je crois), ou si de chouet-tes jeunes ont t gagns par la courte vue de la socit des loisirs et du libralisme conomique.

    C'est l, il me semble, qu'on a envie d'objecter que ce ne sont peut-tre pas les mmes et qu'on aper-oit la limite de l'effet-gnration : tous les gens ns la mme poque n'ont pas fait Mai 68, ce sont les tudiants parisiens de gauche et je pense peu prs exclusivement des universits (non des grandes coles qui forment en France l'lite politique et les dirigeants des grandes entreprises) qui ont manifest dans les rues aux cts des ouvriers et qui ont fond des comits d'action poli-tique. Le portrait-procs que les auteurs adressent la gnration de leurs parents, s'il vaut pour toute une socit, n'est donc pas exclusivement rducti-ble aux effets d'un certain printemps. Nanmoins, il est certain que cette poigne de gens a produit des effets dont l'impact a t ressenti par toute la socit. C'est ce fameux cas d'agglomration dont je parlais plus haut, qui parvient dessiner l'identit d'une poque et ce qu'elle a lgu. Pour autant, n'y a-t-il que des rvolutions en marche dans les rues qui sont susceptibles de passer l'Histoire? Une gnration, ou une poque, n'est-elle pas faite galement de tout un enchanement

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  • d'vnements discrets mais qui, force, vont lais-ser une marque et faire que la socit ne sera plus comme avant ?

    Les auteurs font d'ailleurs trs justement remar-quer que le credo de avant c'tait mieux est simplement un quivalent de quand j'tais jeune c'tait mieux , un regret inconscient des belles annes perdues. Ce qui n'a rien de spcifique et continuera de se dire dans toutes les bouches des gens vieillissants. moins, objectent les journalis-tes, qu'on ait suffisamment envie de passer le relais, de tendre le flambeau aux jeunes gnra-tions. C'est l, surtout, qu'ils l'ont mauvaise, mes deux trentenaires, et je ne peux que leur donner raison, cause de quelque chose qui me chiffonne depuis plusieurs annes mais qui est sans doute trs franais : ce qu'on a appel le racisme anti-jeunes et qui consiste dans l'oubli total que la valeur n'attend point le nombre des annes.

    Les jeunes et les vieux Avant , justement, dans un monde idyllique qui n'a jamais exist en vrai mais qui existe dans les discours transmis de nos parents, on disait les jeu-nes et les vieux. Les premiers c'tait la gnration montante, les seconds, les ans. Entre les deux il y avait ceux qui parlaient et qui ne se dsignaient jamais eux-mmes, ou bien encore il n'y avait per-

    sonne : on tait vieux vite (ds qu'on n'tait plus jeune), et on mourait tout de suite aprs. a faisait moins dsordre et il y avait plus de place pour respirer, j'imagine. En fait, je pense que c'est a : il n'y avait per-sonne tandis que maintenant il y a une gnration entire, et nombreuse, et massive (ne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale), qui ne se dsigne jamais et qui ne parle jamais d'elle-mme ; elle est simplement l, et elle occupe le terrain. Du coup, les deux autres appellations d'avant, qui occupaient un cours joyeux dans l'existence alterne des ges et leurs conversations (ou du moins leurs dsignations mutuelles, rciproques, qui donnaient peu de voix aux jeunes mais leur permet-taient tout de mme de savoir qui ils taient : le vieux parle peut-tre plus fort mais on sait qu'il n'en a plus pour longtemps, alors on peut toujours le laisser dire en ricanant dans son coin), les appellations d' avant donc n'ont plus cours, ou plutt c'est leur cours qui a chang : aujourd'hui elles sont deux insultes, on ne prononce plus vieux parce que c'est politiquement incorrect pour une socit je devrais dire une gnration, il faut maintenant tre prcis si on veut s'y retrouver domi-nante qui prne le jeunisme et a peur de la mort, ou plus encore de son propre remplacement ; par contre, on dit jeunes tout bout de champ pour qualifier plus encore que pour dsigner une gnration mergente, et si jeune, et si peu considre, quoique sa tranche s'tende parfois jusqu' 30-35 ans, mais qu'on estime de toute faon inexprimente, inculte, inimplique, pour ne pas dire inapte prendre les rnes aujourd'hui ou demain, aussi bien tt que tard de notre socit. Le jeunisme finalement s'tend partout : stupide dans les deux cas ; strile dans les deux cas, soit la jeunesse est synonyme de purilit et de retar-dement, soit elle signifie un surplace inattentif transmettre et tendre la main aux gnrations suivantes, parce que sinon, on va voir que ce sont eux les jeunes et que l'on prend soi-mme un coup de vieux.

    Mario Duchesneau, dtail de Fuite inoffensive Festival de thtre de rue de Shawinigan, 2004 Vtements usags (400 m x 30 m x 30 m) Photographe. Mario Duchesneau

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  • Alors qu'est-ce que c'est qu'une gnration d'abord l'action d'engen-drer ; seulement ensuite, par mtonymie, l'ensemble de ceux qui descen-dent d'une mme origine , et est-ce que a a du sens de faire un pro-blme de quelque chose qui revient tous les vingt ou trente ans? Ou est-ce qu'on est en train de rinventer des vieilles lunes, de parler de ce leurre, le prsent , comme disait Marguerite Duras : ce qu'on n'a pas la possibilit de voir, l'invisible dans lequel tout se tient et rien ne se sou-tient. C'est pourquoi j'en appelais en titre la notion de gnration st-rile pour tenter de penser ce paradoxe d'un prsent rflexif, impossi-ble et qui, pourtant, se fait (Duras encore), car prcisment, autant produit que productrice, une gnration ne peut pas tre X , bof , anonyme, impersonnelle, sans couleur identifie; elle ne peut tre que bizarre, curieuse, trange, incomprhensible (pour ses ans), comme tout ce qui est nouveau, comme tout ce qui n'a pas encore pu tre et qui pourtant est dj.

    C'est pourquoi j'en appelais en titre la notion de gnration strile pour tenter de penser ce paradoxe d'un prsent rflexif,

    impossible et qui, pourtant, se fait (Duras encore), car prcisment, autant

    produit que productrice, une gnration ne peut pas tre X , bof, anonyme, impersonnelle, sans couleur identifie; elle ne peut tre que bizarre, curieuse,

    trange, incomprhensible (pour ses ans), comme tout ce qui est nouveau, comme

    tout ce qui n'a pas encore pu tre et qui pourtant est dj.

    Je crois, lire mes deux auteurs et regarder le monde autour de moi, qu'un changement de paradigme est en train de s'effectuer entre une gnration nostalgique, qui par dfinition regrette sa jeunesse et essaie de la faire perdurer, au mpris de son vident vieillissement (ce qui est assez malheureux), et une gnration qui tend davantage penser son prsent, dans le but salutaire de prparer l'avenir. La lutte pour l'environnement, le commerce quitable, la dmocratisation et la gnralisation technolo-gique des moyens de communication, seraient ainsi parmi d'autres moyens l'apanage d'une nouvelle pense du politique, plus activiste que politicienne, qui sdimente en profondeur la nouvelle gnration des trentenaires d'aujourd'hui, gnration de la mondialisation et du global qui serait, montrent en finale les deux auteurs, une gnration alterna-tive : dont les qualits sont l'envers des dfauts de ses parents, qui tire avantage et parti, parce qu'elle n'a pas d'autre choix, de ce qui fonc-tionne mal pour tirer ses propres leons et construire ses propositions ; qui se retire du pouvoir qui ne lui laisse pas de place pour gnrer par la bande des solutions inventives qui demandent peu de moyens. Quoique des moyens, elle en a justement, et l je parle moins des trentenaires que des adolescents, des gens qui ont quinze ans, vingt ans aujourd'hui avec Internet haut dbit la maison, qui sont connects en permanence avec des informations brutes que les mdias traditionnels vont mettre des heu-res distribuer aprs en avoir pass plusieurs les filtrer; des jeunes , donc, qui ont un tlphone cellulaire avec camra intgre branche en permanence sur le monde, qui les intresse plus si a se trouve, c'est vrai, que d'aller jouer avec le fils du voisin.

    Monde qui, contrairement ce qu'on a pu dire, est hyper-cultiv et hyper-duqu, non au sens d'une rudition mais au sens d'une accessibilit plus grande sans commune mesure avec les gnra-tions prcdentes au savoir, l'information et aux moyens pour les diffuser. L'information, nou-veau mode de savoir, sinon nouveau savoir, au sens o on l'entendait jusqu' hier, prsente l'am-bivalence d'tre la fois le contenu et le contenant, d'o la confusion dans laquelle elle est tenue, qui fait penser que les gnrations jeunes actuellement ne matrisent que les canaux de diffusion sans les contenus que ceux-ci pourraient vhiculer. Il en va tout autrement, tant il est vrai que toute nouvelle technologie entrane invitablement de nouveaux savoirs, mais aussi de nouvelles manires d'appr-hender le monde, et notamment de concevoir le prsent. En particulier, ces jeunes acteurs des savoirs en mergence sont trs souvent, et bien plus que par le pass, de vritables auteurs ou coauteurs des contenus qu'ils s'changent. Transmission, partage, collaboration intellectuelle, et dans une large part cration, doivent tre repen-ss selon ces nouveaux paramtres qui tendent faire clater les distributions institutionnelles et le dcoupage des champs culturels tels qu'on les a connus jusqu'au xxe sicle inclus. C'est ce genre de considration, aussi, que m'a ouverte cette lecture : que toute gnration est un champ de forces en mar-che, avec des savoirs et par consquent unpouvoir qui lui sont propres, et qui sont considrer.

    Bref : le contraire de l'individualisme et du libra-lisme qui lui ont si souvent t attribus, alors qu'ils sont les fruits de la gnration prcdente. En un clich, le contrepoint du jeu d'ordinateur en rseau qui se joue chacun chez soi tout seul et qui a t tant dcri dans ses premires annes, ce serait justement le rseau : pendant qu'on ne joue pas comme nos parents dans les champs faire des tres-ses aux vaches, on serait connect avec les trois quarts de la plante et soucieux du sort d'un agricul-teur sud-amricain. Le bouleversement est rel, et on n'est peut-tre pas encore capable de le penser.

    Les conflits intergnrationnels ne sont pas nouveaux, et ils ne sont pas non plus en voie de disparatre. Leur actualit est continue et rgulire-ment renouvele. Ils mritent donc d'tre interro-gs et l'honntet intellectuelle ici impose de situer sa propre position, puisqu'on appartient forcment l'une de ces productions productrices qui se transforment plus souvent qu'on ne pense en vraie force agissante.

    C'est pourquoi, comme les auteurs de Gnration 69 avant moi, qui assument de bout en bout leur subjectivit, je termine en me prsentant, sans sur-prise, comme trentenaire, videmment .

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