"Les TIC : un nouvel outil pour les diasporas - L'exemple des pratiques et usages des clients...
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UNIVERSITÉ DE TOULOUSE-LE MIRAIL / U.F.R Sciences Economiques et Sociales
DÉPARTEMENT DE GÉOGRAPHIE ET AMÉNAGEMENT
Mémoire de MASTER 1 Mention GÉOGRAPHIE ET AMÉNAGEMENT
Année universitaire 2005-2006.
Les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) : un nouvel outil pour les diasporas
L’exemple des pratiques et usages des clients « d’Hackney.com » à Londres
Préparé par Jonathan Stebig Sous la direction de Yveline Dévérin
Soutenu le 1 décembre 2006,
devant un jury composé de Yveline Dévérin, Jean-Jacques Guibbert et Emmanuel Eveno
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Citation : « Hier, immigrer et couper les racines ; aujourd’hui : circuler et garder contact. Cette évolution semble marquer un nouvel âge dans l’histoire des migrations : l’ère du migrant connecté (Diminescu, 2002)
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Remerciements :
Je voudrais tout d’abord remercier le système universitaire français, sans lequel je n’aurais
jamais pu passer une année à Londres, le terrain qui a fait l’objet de mon mémoire.
L’attribution des bourses du conseil régional, du ministère de l’éducation, du CROUS et
accessoirement d’ERASMUS, m’a donné un capital indispensable pour m’installer à Londres.
Ensuite, je voudrais adresser un grand merci à Mme Yveline Dévérin, sans qui je n’aurais
jamais pu réaliser ce travail, et ce pour plusieurs raisons :
-Elle m’a tout d’abord suivi tout au long de la construction de mon mémoire, répondant à
toutes mes interrogations dans des délais très brefs.
-Elle m’a fourni une documentation non négligeable sur les questions des TIC.
-Elle m’a donné le contact de Dana Diminescu, un auteur clef dans la réalisation de mon
travail. En effet, ma rencontre avec elle a été très précieuse dans la recherche d’appuis
théoriques pertinents à mes analyses.
Je voudrais aussi remercier tous les étudiants résidents à Connaught Hall (mon logement)
avec qui j’ai pu perfectionner mon anglais tout au long de ce voyage, et qui m’ont donné une
plus grande assurance pour entreprendre un réel travail de terrain.
Dans un tout autre registre, je me sens obligé de saluer la culture musicale londonienne, à la
fois très ouverte et très pointue, à travers laquelle j’ai pu me détendre, pour entretenir une
certaine motivation pour ce travail de mémoire.
Internet : outil de travail indispensable dans la construction de mon travail, support grâce
auquel j’ai pu entretenir un suivi avec Mme Dévérin, accéder à des ressources
bibliographiques et visiter les sites Internet fréquentés par les migrants.
Tous les clients « d’Hackney.com », qui sont en quelques sortes le fondement de mon étude.
Mais plus qu’une population d’enquêtés, ces gens sont devenus de véritables amis, avec
lesquels j’espère garder des relations. Je voudrais remercier particulièrement Michael, qui a
fait de son cybercafé un endroit très personnel, et qui m’a accueilli très chaleureusement.
Les professeurs et élèves de UCL en Géographie, avec lesquels j’ai pu entreprendre des
discussions sur mon sujet d’étude, et remettre en question certains aspects de mon analyse.
Enfin, je voudrais remercier mes parents, qui m’ont soutenu tout au long de l’année. Ils m’ont
avant tout offert l’opportunité de voyager et d’ouvrir mon esprit vers d’autres cultures. Mes
voyages au Burkina Faso et au Mali sont d’ailleurs à l’origine de mon grand intérêt pour le
continent africain.
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Table des matières :
I) Introduction………………………………...……………………..8-13 II) Méthodologie et démarche…………………………..…...…..…13-34
1) Les TIC : un outil efficace pour les diasporas…………...………13-17
2) Londres : un terrain particulièrement pertinent pour cette
problématique…..……………………………………...………….17-34
a) Présentation du terrain : de l’Angleterre au cybercafé
« d’Hackney.com »…………………………………………………….19-21
b) L’approche du terrain et des populations : entre prise de contact et
observation……………………………………………………………..22-25
c) Réalisation, retranscription et utilisation des entretiens…………....25-29
• Construction des supports pour la réalisation des entretiens.....................25-27
• Réalisation des entretiens……………………………………………………..28
• Utilisation des entretiens dans l’analyse thématique……………………..28-29
d) Le travail bibliographique et la recherche d’appuis théoriques aux
analyses pratiques…………...……………………………………...…29-34
• La fixation des contours du sujet d’étude……...…………………………29-30
• La définition des thématiques abordées………………...…………………30-33
• Les appuis théoriques de l’ analyse pratique…………….……….………33-34
III) Analyses thématiques…………………………………………...35-85
1) Le cybercafé comme lieu de solidarité et d’intégration sociale :
véritable carrefour de l’information……………………………..35-47
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a) « Hackney.com », un cybercafé aux allures de centre
d’intégration et de solidarité intercommunautaire……..36-39
-« Hackney.com » : un exemple de mixité culturelle……………………………………..36-37 -« Hackney.com » : un espace ouvert au dialogue, à l’entraide et à la solidarité……........37-38 -« Hackney.com » : cybercafé dans son intitulé, bien plus dans ses fonctionnalités……...38-39
b) Le cybercafé : un centre décentralisé………………….…39-43
-Un véritable carrefour de l’information……………………………………………….....40-41
-Espace générateur d’une « identité décentralisée »……………………………………....41-43
c) Le maintien des relations avec le pays d’origine………..43-46
-Dans l’espace d’accueil : le moyen de contact privilégié…………………………………...44
-Dans le pays d’origine : un usage collectif, une distribution géographiquement inégale..45-46
• L’email : une adresse collective
• Des cybercafés très inégalement répartis sur le territoire
2) Les TIC : un outil d’intégration, d’intégrité sociale et d’organisation
économique…………………………………..…………………….47-61
a) Au niveau local, les TIC comme outil d’organisation
économique et sociale……………………………………48-52
-Le téléphone portable, un moyen de contourner les démarches institutionnelles
d’intégration……………………………………………………………………………….49-50
-Le téléphone portable : l’adresse virtuelle et informelle du migrant……………………..50-51
-Des habilités relationnelles qui peuvent se transformer en compétences productives........51-52
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b) Au niveau transnational : les TIC comme support de
l’intégrité identitaire et de l’activité économique……...52-59
-L’espace virtuel transnational : outil de pérennisation identitaire…………..…………....53-56
-Internet : support de l’organisation économique des diasporas encore limité……….…...56-59
• Une organisation économique transnationale encore très sporadique…………...56-57
• Un moyen d’orienter les fonds transférés dans le pays d’origine..………………57-59
3) Les TIC : un support de liberté d’expression et de militantisme
politique……………………………………………………………61-72
a) Les TIC : symbole de libre accès et de démocratisation de
l’information et de la communication……………………62-65
-Une diffusion mondiale d’évènements très localisés……………………………….……62-63
-Le rôle des diasporas dans la diffusion de l’information sur les réseaux transnationaux…...63
-Un pluralisme culturel source de richesse et de créativité…………………………….…64-65
b) Les TIC : nouveau support de militantisme virtuel ?.......65-70
-Internet : un espace politique aterritorial et transnational………………………………..65-67
-Internet : théoriquement support d’un militantisme virtuel, concrètement plus espace
d’échange et de débat……………………………………………………………………..68-69
-Internet : un terrain de débat qui ne peut se substituer à la lutte sur le terrain…………..69-70
4) Internet : bouleversement des hiérarchies traditionnelles et
des rapports de genres…………………………………………..73-85
a) Les jeunes : un rôle de médiateur entre les communautés
diasporiques et les membres de la famille restés au
pays……………………………………………………......73-78
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-Une meilleure appropriation de l’outil par les jeunes générations……………………….74-75
-Une vision septique de cet outil par les anciennes générations…………………………..75-76
-L’intermédiaire idéale entre la diaspora et le pays d’origine…………………………….76-78
b) Internet : un nouveau média qui risque de remettre en cause
les organisations traditionnelles…………………………..78-84
-Internet ou le bouleversement des rapports entre les générations………………………..78-80
-Le bouleversement des rapports de genre : vers une émancipation de la femme………...80-84
IV) Conclusion……………………………………………………….86-90
-Références bibliographiques …………………………………………………….….…91-97 -Glossaire………………………………………………………………………………….....98 -Liste des sigles………………………………………………………………………………98 -Table des illustrations…………………………………………………………………99-100 -Annexes………………………………………………………………………………..101-128
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I) Introduction.
Dans cette ère de l’information et de la communication, les nouvelles technologies semblent
être à l’origine d’importantes opportunités et ont un impact dans l’organisation des diasporas.
Tout au long de ce travail, nous nous attacherons à faire ressortir les différents domaines dans
lesquels les TIC sont à l’origine de ces changements. L’arrivée de nouvelles conceptions
concernant la migration nécessite cependant de nouvelles approches géographiques. Ainsi,
nous mettrons en relation les changements qu’a entraîné l’utilisation accrue des TIC par les
différentes diasporas avec ces nouvelles notions et mettre en avant les méthodes qui sont plus
appropriées pour étudier les phénomènes de migration d’aujourd’hui.
Commençons ce travail en établissant une comparaison entre deux façons de définir la
migration : celle de Pierre Bourdieu et celle de Dana Diminescu, qui montrent parfaitement
l’évolution de penser la migration, représentant le migrant de façons très différentes.
Bourdieu défini le migrant comme un individu qui serait ni citoyen ni étranger, ni moi ni
autre, à la fois absent dans le pays d’accueil comme dans celui d’origine. Autrement dit,
vivant dans un « no man’s land », à la frontière de l’être et du non être social, résumant
parfaitement la vision de la littérature sur les migrations durant le siècle dernier.
A l’inverse, Dana Diminescu définit aujourd’hui le migrant comme apte à développer des
relations de proximité (grâce à des outils comme les e-mails, le téléphone portable, ou encore
Skype1) dans un réseau transnational, entre des places géographiquement distantes.
Par l’intermédiaire des TIC, le migrant développe une « culture du lien » qu’il entretient dans
sa mobilité.
Grâce aux outils d’information et de communication, le migrant a aujourd’hui la capacité de
s’approprier le réseau dans lequel il s’inscrit, et d’en tirer avantage pour son intégration dans
le pays d’accueil. Il entretient par ailleurs des liens réguliers avec son pays d’origine.
L’espace d’appartenance n’est plus exclusivement le territoire; le migrant établi des relations
de proximité qui sont moins d’ordre physique, mais plus de l’ordre du virtuel. En d’autres
termes, l’identité du migrant se construit autour d’une articulation entre cette connectivité
transnationale, son territoire d’accueil, et sa terre natale.
Reprenons une citation de Abdelayek Sayad2 : « le paradoxe de la science des migrations,
c’est qu’elle est une science de l’absence et des absents » (Diminescu, 2006). Cette vision des 1 : Skype : système de téléphonie par Internet : très utilisé par les migrants qui n’ont qu’une connaissance infime de l’anglais écrit, les conversations orales étant donc très souvent bien adaptées. Cependant, la nécessité de se retrouver au même moment dans les « lieux de connexion » fait que cet outil n’est utilisé qu’occasionnellement.
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phénomènes migratoires définie par une série de ruptures entre l’homme et son milieu semble
aujourd’hui remise en cause, puisque basée sur des critères physiques. L’ère de l’information
et de la communication permet au migrant de s’identifier à un espace élargi, qui dépasse les
frontières physiques. Il est aujourd’hui dans un contexte d’hyper mobilité, qui est à la fois
physique, imaginé, et virtuel.
Par l’intermédiaire des TIC, nous assistons au développement d’une « communauté en
ligne ». Les sites d’informations sur la situation au pays d’origine ainsi que sur les
événements à venir dans les différents pays de résidence de la communauté, les journaux
publiés en ligne, les forums de discussion et les e-mails sont à l’origine d’une prise de
conscience de l’appartenance à un groupe diasporique. Les TIC (Internet en particulier)
deviennent un media alternatif à part entière, permettant aux migrants de mettre en relation les
sphères publiques avec les sphères privées (mouvements associatifs, militants politiques,
scientifiques…etc.), et de s’organiser comme une « nation » indépendante dans un espace
virtuel, créant par la même une source de vitalité au sein de la communauté réelle. Qui plus
est, cette communauté virtuelle intègre tous les membres de la diaspora souhaitant faire partie
de cette espace, étant un lieu ouvert ; la relative libre expression permet à tout individu
d’exprimer sa propre vision de sa « nation » et de l’organisation de cette dernière. Le
caractère « multi ethniques » laissant place à l’expression individuelle au sein de cette
communauté est un phénomène diamétralement opposé aux représentations des diasporas
dans les médias classiques (journaux, TV), qui sont présentées comme des communautés
harmonieuses et homogènes. Le migrant se retrouve donc dans un système de représentations
sociales positives.
Le développement d’une « communauté en ligne » est un pilier pour la pérennité de la
diaspora. Les migrants de deuxième génération, nées sur sol étranger, a priori moins liés à
leurs cultures d’origines, et leurs racines en général, se retrouvent submergés par ce vaste
réseau d’information et de communication qu’ils articulent autour de leur propre identité.
Ainsi, bien qu’intégrés à la société d’accueil, ils restent, par l’intermédiaire de cet outil,
continuellement imprégnés par cette culture qui est la leur.
L’usage avéré des e-mails par les migrants est d’ailleurs très significatif de ce lien réel.
L’utilisation de ce service représente 85 % de l’usage que font les migrants d’Internet
2 : Chercheur au CNRS depuis 1977, il est nommé Directeur de recherche en sociologie. Il a notamment récemment publié : « The suffering of the immigrants » [la souffrance des immigrés]. Polity press, 2004. 360 p.
10
(Georgiou, 2002 [a]). Moyen de communication privilégié entre personnes géographiquement
éloignées, il est très facile à utiliser comme très facile d’accès (cybercafé). Utilisé autant pour
donner des nouvelles aux membres de la famille restés au pays que pour entretenir des
contacts avec les autres places de la diaspora, cet outil se démocratise à un rythme effréné
dans les communautés de migrants. C’est ainsi qu’aujourd’hui on retrouve, grâce aux e-mails,
mais aussi Messenger, Skype, ou le téléphone portable, de plus en plus de migrants qui font
une utilisation banale de ce moyen de communication, en ce sens qu’ils parlent de leur vie de
tous les jours, leurs expériences et les anecdotes, comme dans des relations de proximité. Par
l’intermédiaire des TIC, s’installe une sorte de ciment relationnel avec des personnes
physiquement absentes, mais affectivement très proches.
C’est en ce sens que l’email comme le téléphone, devient un outil stratégique, une arme pour
les migrants (et plus particulièrement les clandestins). Ces outils de communications
représentent la nouvelle adresse virtuelle du migrant, sorte de « secrétariat du pauvre »
permettant de contourner une intégration institutionnelle de plus en plus difficile, et de
s’organiser une vie en société.
Afin d’ouvrir cette présentation sur la suite de mon travail, je vais maintenant énumérer les
différentes hypothèses de départs, à travers les thématiques que j’aborderai plus loin.
L’analyse est découpée en quatre parties thématiques, traitant des opportunités et des impacts
d’Internet dans les diasporas :
-Première thématique : le rôle central du cybercafé.
Ce lieu, a priori marqué par des comportements individualistes, où chacun est concentré sur sa
machine, préoccupé par ses propres intérêts, peut il se convertir en un lieu d’échange,
d’entraide et de solidarité, qui deviendrai en un sens, le ciment social du migrant ? Le
cybercafé peut-il devenir un lieu d’intégration multiculturel, dépassant les appartenances
intracommunautaires ?
A un autre niveau, c’est ici que se réalise l’essentiel des prises de contact avec le territoire
d’origine, ainsi qu’avec les différentes places de la diaspora. Nous sommes donc face à un
lieu d’articulation entre les échelles locales (solidarité entre migrants), nationales (contact
régulier avec le pays d’origine) et transnationales (connexion entre différentes places de la
diaspora). Le cybercafé ne serait-il pas le véritable « carrefour » de l’information et de la
communication pour les communautés de migrants ? L’usage massif de ce moyen d’accès à
Internet devenant en un sens, la colonne vertébrale organisationnelle de la diaspora.
Enfin, l’implantation limitée du réseaux Internet en Afrique ne risque t-elle pas de perturber le
système d’échange et de relation sur lequel s’organisent les diasporas ?
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-Deuxième thématique : l’usage des TIC comme outil d’intégration sociale, et
d’organisation économique.
L’usage des TIC dans le pays d’accueil pourrait devenir un réel moyen, pour le migrant, de
contourner les procédures institutionnelles classiques. Inscrit dans des réseaux relationnels
connectés, il sera en mesure de développer des activités productives. Le téléphone portable
devient la principale arme d’intégration, grâce laquelle le migrant pourra trouver une certaine
stabilité liée à sa mobilité et à sa connectivité.
A une échelle transnationale, l’implication du migrant dans des réseaux transnationaux lui
permettra d’entretenir une identité particulière, caractérisée par l’articulation entre
l’installation dans le pays d’accueil, l’implication dans les réseaux transnationaux et
l’entretien d’une mémoire commune symbolisée par le pays d’origine.
Par la mise en commun des informations, les migrants ont de nos jours une vision globale de
la situation économique, permettant ainsi d’accroître les opportunités commerciales au sein de
la diaspora. L’accélération des échanges, l’effacement des frontières comme des distances
offerts par le réseau Internet sont autant d’éléments qui s’avèrent déterminants dans
l’organisation économique de ces communautés. Les connexions régulières avec le pays
d’origine représentent le moyen le plus efficace de réaliser des transferts d’argent sécurisés,
tout en gardant un contrôle sur l’investissement fait des fonds transférés.
-Troisième thématique : l’émergence d’un nouveau support de conscience politique
pouvant déboucher sur des actions politiques.
La démocratisation de l’information et de la communication permet au migrant de s’intégrer
dans un espace de dialogue, d’échange et de débat relativement libre d’accès, ce que ne
permettent pas les médias classiques (dans lesquels la diffusion de l’information est
unilatérale).
Cette démocratisation articulée avec les connexions transnationales des migrants est à
l’origine d’une diffusion de problématiques localisées (pays d’origine) dans un système
d’information mondialisé.
Internet offre pour les acteurs de la vie politique un terrain de lutte contre les pouvoirs en
place dans les pays d’origine, un moyen de contourner le contrôle des Etats, et d’organiser des
actions de manière décentralisée. Ce nouveau territoire d’activité politique, à la fois
déterritorialisé (dans le sens ou le militant n’est pas sur le terrain) et inter relié (avec les
différentes places de la diaspora et les acteurs restés au pays) offre des opportunités d’action
plus englobantes. L’interaction entre les différents ancrages de la diaspora, tous orientés vers
la situation politique dans le pays d’origine, permet d’avoir un rayon d’action plus large, et
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d’être entendu au sein de la communauté internationale. Ce terrain de lutte « virtuel »
correspond à une nouvelle forme de militantisme, moins révolutionnaire, pacifiste, et organisé
transnationalement.
- Quatrième thématique : le bouleversement des hiérarchies et des rapports humains.
Le contact entre les membres de la diaspora et le pays d’origine passe par « un médiateur »
qui joue le rôle d’intermédiaire. Les nouvelles générations dans le pays d’origine ont souvent
suivi des études, parlent et lisent un minimum l’anglais, se retrouvant ainsi mieux placées
pour jouer ce rôle d’intermédiaire.
L’arrivée de ces nouvelles générations et le rôle nouveau qu’elles sont amenées à jouer dans
l’articulation entre les communautés diasporiques et le pays d’origine risque d’entraîner de
profonds bouleversements dans les organisations traditionnelles.
L’implication de ces nouvelles générations dans l’utilisation d’Internet, ainsi que l’ouverture
vers le monde extérieur qu’il propose, provoque un décalage important avec les anciennes
générations qui elles, ne sont pas nées avec cet outil. L’accès à l’information ainsi que les
connexions avec l’extérieur sont à l’origine d’une opposition au pouvoir des anciens, dont le
savoir est remis en cause par les jeunes.
La place de la femme est aussi bouleversée. En effet, elle se trouve souvent impliquée dans
l’organisation économique, et est en liaison avec les membres de la diaspora. L’accès à
Internet leur permet enfin d’avoir une vue sur la situation extérieure, ainsi que sur la place de
la femme dans les autres sociétés. Les femmes se retrouvent plus impliquées dans
l’organisation économique de la société et développent des perspectives d’avenir souvent
tournées vers l’extérieur.
Pour clore cette introduction générale sur l’usage des TIC, il serait bon de rappeler
qu’une infime partie de la population mondiale utilise Internet. Qui plus est, une part
importante de ceux qui utilisent le Net ne le fait pas à des fins pratiques, mais plus pour le
loisir. Ceci pour dire que le profit, dans l’immédiat n’est qu’encore très peu évident pour les
communautés de migrant.
De plus, il faut rester aussi sensible aux risques d’exclusions et de ségrégations qu’aux
possibilités de pérennisations de l’identité et de démocratisations de l’usage du Net dans les
diasporas. Bien que ce soit moins le cas que dans les médias classiques, la pauvreté,
l’exclusion sociale et la faiblesse du capital culturel constituent encore d’importantes
barrières.
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Les TIC représentent un support d’intégration et d’organisation qui s’avère essentiel pour les
diasporas, encore faut-il qu’elles parviennent à se l’approprier, de façon à en faire un usage
juste, équitable et bénéfique pour tous.
II) méthodologie et démarche.
1) Les TIC : un outil efficace pour les diasporas.
Dans cette partie, nous tenterons de définir le terme « diaspora », tel qu’il sera utilisé tout
au long de l’analyse qui suivra. L’usage généralisé et abstrait de cette notion, selon les auteurs
et les époques, ne facilite pas son emploi. Avant de soumettre une définition personnelle, nous
nous appuierons sur les écrits de quatre auteurs, qui ont remis en question beaucoup de
caractéristiques passées qui ne sont plus compatibles avec le quotidien des groupes de
migrants considérés comme diaspora.
Longtemps utilisé pour désigner la Diaspora juive, le terme s’est étendu à tout types de
populations disséminées et dont la dispersion fut d’origine contrainte, avec pour corollaire une
conscientisation de leurs origines et appartenances communes (Cohen, 1997).
Avec l’avènement de l’ère de l’information et de la communication, la notion de
« communauté diasporique » se voit sensiblement remaniée. Bien que l’organisation en réseau
ait toujours été une caractéristique centrale propre à toute diaspora, l’usage des TIC permet
des rapports plus rapides et réguliers, renforçant ainsi les liens entre différentes « places » de
la communauté.
Afin de bien rendre compte de cette nouvelle dimension, nous allons nous concentrer sur les
travaux de Cohen (1997), qui a construit son analyse à partir des écrits de Marienstras (1988),
Safran (1991) et Brah (1996). Leurs analyses se rapprochent sensiblement de la façon de
percevoir une diaspora aujourd’hui.
Selon Cohen, l’existence d’une diaspora et sa conscience d’exister en tant que tel, dépend
d’une articulation aiguë entre un imaginaire populaire, et une approche académique.
Autrement dit, le groupe doit être conscient d’exister, développer une mémoire collective et
l’entretenir afin de pérenniser son existence. Parallèlement à cette conscience commune, les
associations, ainsi que les intellectuels doivent mettre en place des structures et des
programmes renforçant ce sentiment d’appartenance. L’histoire et le vécu migratoire de la
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communauté (apprentissage de la langue, de la culture…) doublés par un encadrement
académique maintiennent les populations dans cette appartenance commune.
Cohen a donc établit neuf critères pour définir ce qu’est une diaspora3, ainsi qu’un principe de
catégorisation, afin de différencier les types de diasporas qui peuvent être « victim
diasporas », « labour and imperial diasporas », « trade diasporas », ou enfin, « cultural
diasporas »4.
Cependant, cette catégorisation semble trop générale, dans la mesure où certaines catégories
de diasporas pourraient être divisées en sub-groupe, comme par exemple les « victim
diasporas », qui ont effectivement été victimes de catastrophes naturelles, ou de violences, ou
de guerres civiles, ou de génocides, ou même être des descendantes de la période de
l’esclavage.
Une seconde dimension primordiale qui semble négligée dans l’analyse de Cohen est le
rapport au pouvoir, dans le pays d’accueil. La plupart des diasporas ont à faire face à des
problèmes d’intégration, d’exclusion et de discrimination.
Les travaux de Safran (1991) qui ont influencés l’analyse de Cohen ont en un sens bien
intégré cette notion de rapport de pouvoir dans le territoire d’accueil. Safran établit quatre
critères essentiels pour la définition de toute diaspora :
-Une population dispersée
-Une mémoire collective (au sens d’un mythe)
-Des croyances et cultures pas complètement acceptées dans le pays d’accueil
-Une terre d’origine idéalisée, avec un mythe du retour (pas forcement vécu, mais imaginé)
Il ajoute à ces quatre critères la nécessaire mobilisation de la communauté dans le maintien, la
sauvegarde et la prospérité de leur culture commune.
L’analyse de Brah (1996) apporte un dernier élément incontournable pour la définition d’une
diaspora à l’ère de l’information et de la communication. Selon lui, l’idée d’une origine fixe et
3 : traduction :
1-Départ d’une terre d’origine, souvent traumatique, dans deux pays étrangers au minimum. 2-Départ souvent déterminé par des objectifs économiques, de commerces ou toute autre opportunité. 3-Une mémoire collective de la terre d’origine, par rapport à l’histoire et à la construction de la nation. 4-Une idéalisation de la terre ancestrale, ainsi qu’un engagement collectif pour son entretien, sa restauration,
son dynamisme et même sa continuelle création. 5-Des retours réguliers qui entretiennent cette conscience collective. 6-Une conscience ethnique fondé sur une longue période de différentiation, d’histoire commune, et la
croyance dans une destinée commune. 7-Des relations problématiques avec les sociétés d’accueils, en raison du manque de reconnaissance, qui
mettent les groupes continuellement sous pression. 8-Relations et solidarités avec les autres membres de la diaspora installés dans d’autres pays. 9-La possibilité d’une vie créative et enrichissante dans le pays d’accueil, avec une grande acceptation du
pluralisme. 4 : diasporas de victimes, diasporas intellectuelles du travail, diasporas commerciales, diasporas culturelles.
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d’une « communauté homogène » est erronée. Il considère l’appartenance diasporique
comme un mélange, sorte d’amalgame fait entre individus dont les croyances peuvent
diverger, dans le temps et dans l’espace. C’est par cette hétérogénéité que le groupe sera apte
à évoluer, continuellement produire et reproduire son identité, afin de s’adapter dans des
situations de relocalisation et de mixité culturelle. En d’autres termes, c’est la diversité du
groupe dans le temps et dans l’espace qui va permettre d’assurer son adaptation à des
environnements constamment fluctuants, et ainsi assurer sa continuité.
A travers le travail de ces quatre auteurs, nous avons établi un ensemble de douze critères, à
partir desquels nous nous appuierons pour définir une diaspora :
-1 : Un groupe de personnes dont une partie des ancêtres ou eux même ont été dispersés de
la terre d’origine.
-2 : Cette dispersion s’est faite dans plus d’un pays étranger, en ce sens elle est
transnationale.
-3 : Une histoire commune au sens fort par rapport aux raisons de la dispersion (guerre,
famine, pauvreté, génocide).
-4 : Une mémoire collective de la terre natale, sorte d’idéologie, d’imagination commune.
-5 : Un mythe du retour qui soit plus imaginé que réellement désiré.
-6 : Des relations contradictoires avec les membres de la famille restés au pays. Du fait de
leurs nouvelles expériences et de leur nouvel environnement, ils sont différents, laissant
apparaître certaines tensions.
-7 : Une intégration difficile et trouble dans la société d’accueil, où ils font souvent face à
des menaces d’exclusions.
-8 : Une solidarité et une appartenance aux autres fractions de la diaspora, formant une
« communauté virtuelle ».
-9 : Cette « communauté virtuelle » devenant à la fois décentralisée, et multi centralisée.
-10 : Il n’y a ni origine, ni destination fixe, l’identité diasporique se formant dans la
mobilité avec pour corollaire le fait d’être d’ici, de là-bas, et d’entre les deux.
-11 : Le rôle des médias et des TIC est devenu central dans l’image et l’imaginaire d’une
appartenance qui se perpétue.
-12 : La communication, la virtualité et la croissante mobilité sont responsables de la co-
existence d’un espace vécu de la diaspora au niveau local, national, et transnational.
Afin d’être plus synthétique, voici une définition du terme de « diaspora », à laquelle nous
nous référerons tout au long de ce travail :
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Un ensemble de relations vécues ou imaginées entre personnes d’origine commune
géographiquement éparpillées, qui par la communication et l’échange parviennent à
faire advenir une « hybridité », amalgame permettant d’atténuer la diversité et
d’encourager l’hétérogénéité au sein du groupe en question. C’est en ce sens qu’un
membre d’une diaspora n’est pas nécessairement migrant ; quelqu’un née dans le
pays d’accueil, dont le sentiment d’appartenance au groupe est entretenu, peut se
considérer comme membre nonobstant de cette « communauté », au même titre que
celui contraint de quitter son pays d’origine. L’appartenance diasporique est plus
imaginée que vécue, basée sur des croyances autant que sur de réelles expériences.
C’est par la continuelle reproduction à travers le temps et l’espace de cette
appartenance collective que le groupe existe.
Nous sommes face à une remise en cause profonde de cette notion dualiste très fréquente dans
les études sur les migrations, qui met l’accent sur des phénomènes d’assimilation, et de perte
de racine, et qui ne semble plus s’appliquer au phénomènes actuels de la migration.
Aujourd’hui, une diaspora se définie par la multitude de ces points de départs, de destinations,
une mobilité constante et un dynamisme, autant d’élément lui permettant de s’adapter à des
environnements réels tout en gardant un sentiment d’appartenance entretenu dans un espace
virtuel.
L’existence de ces réseaux d’appartenance transnationaux met en valeur le dépassement des
frontières spatiales. A l’inverse, l’identité, dans une conception classique, se rattache très
souvent à une appartenance territoriale. Les membres d’une diaspora se reconnaissent dans un
espace déterritorialisé, dans le sens où ils construisent leur identité dans un espace virtuel, où
les notions d’image et de mémoire communes sont primordiales (la représentation de la terre
d’origine comme base de leur identité est idéalisée et matérialisée, mais pas obligatoirement
vécu). Chaque individu se retrouve intégré dans un environnement particulier. Eloignés
géographiquement les uns et des autres, mais inter reliés dans cet espace déterritorialisé qu’est
le Net, ils peuvent entretenir des rapports de proximités.
C’est essentiellement à ce niveau que les TIC ont un impact énorme sur l’organisation des
diasporas. Les outils de communications jouent un rôle d’articulation entre des espaces
éloignés, mais virtuellement liés et interpénétrés. Ce qui remet considérablement en cause les
notions de frontières fixes entre deux mondes distincts et imperméables l’un de l’autre, entre
des identités propres à chaque environnement. Un migrant peut se sentir intégré dans son pays
d’accueil (échelle locale), construire son identité par rapport à des images et des croyances
17
collectives concernant son milieu d’origine, et entretenir ce sentiment d’appartenance par la
communication et l’échange avec d’autres membres de la diaspora géographiquement
dispersés (échelle transnationale).
2) Londres : un terrain particulièrement pertinent pour cette problématique
(voir carte n°1 page 17).
Carte n°1 : Carte de l’agglomération londonienne (extraite du site : www.quid.fr//monde).
Dans la présentation de ma démarche de travail, je vais donner une vision de mon
approche du terrain d’étude qui est Londres. Quelques informations concernant cette ville
18
permettrons de mieux situer les minorités et de mieux contextualiser leurs organisations.
Ensuite, nous nous concentrerons sur l’approche du terrain, et sur les populations étudiées ;
tout en essayant de faire ressortir les méthodes entreprises pour entrer en contact avec les
communautés de migrants. Il s’agira par la suite de se concentrer sur les entretiens réalisés sur
le terrain ; de la progressive construction des guides d’entretiens, jusqu’aux choix de
retranscriptions intégrées dans les annexes. Enfin, je retracerai l’approche bibliographique du
sujet d’étude, en essayant de faire ressortir les méthodes de lecture entreprises afin d’arriver à
une littérature précise concernant les questions étudiées.
Commençons cette partie de méthodologie en nous focalisant petit à petit sur le quartier
d’Hackney dans lequel j’ai réalisé ce travail. Celle-ci servira à montrer mes premières idées
sur Londres, qui ont initialisé ce travail ainsi que les différentes caractéristiques du pays et de
cette ville qui l’ont orienté.
Le choix du terrain d’enquête s’est essentiellement dessiné en rapport à deux éléments
représentatifs de la Grande-Bretagne.
Tout d’abord, en tant qu’ancien pays colonisateur, la Grande-Bretagne représente depuis les
années 1850 une terre d’attraction privilégiée pour les migrants. En effet, depuis la révolution
industrielle, les flux migratoires en direction de ce pays sont importants, offrant un choix très
large vis-à-vis des communautés à étudier. Bien que les politiques d’immigration en
Angleterre soient depuis quelques années bien plus restrictives (régularisation des sans
papiers…) et indépendantes des directives européennes concernant l’espace Schengen ; c’est
une terre qui reste particulièrement marquée par une importante population d’origine
étrangère (« Commonwealth »). Ce point rejoint ainsi le deuxième paramètre déterminant dans
le choix du terrain : l’Angleterre pouvait sembler, vu de France, comme un pays avec un haut
niveau d’intégration et de multiculturalisme. Le contexte de « multi ethnicité » résultant du
besoin de main d’œuvre immense au lendemain de la guerre, a poussé tout naturellement les
britanniques à se tourner vers le vaste réservoir du « Commonwealth », un élément clef pour
analyser la vie des minorités sur le sol anglais. La diversité des langues et des religions
reconnues dans la législation anglaise contraste parfaitement avec le système républicain
français basé sur la laïcité, ou le système allemand sur la consanguinité (Kastoryano, 2004).
Dans ce contexte culturel très diversifié, les phénomènes de racisme et d’exclusion sociale
s’expriment différemment.
Dans le cadre de cette recherche mettant en interrelation les comportements des migrants sur
les trois échelles d’analyses qui sont locales, nationales et transnationales ; l’Angleterre
représentait le terrain le plus approprié afin de comprendre les comportements des migrants au
19
niveau local et national, dans lequel ils sont intégrés, tout en élargissant mon objectif sur les
connexions qu’ils entretiennent à des échelles plus petites.
Afin d’être plus précis, ciblons maintenant cette présentation générale sur Londres, ville
dans laquelle s’est établie cette recherche. Dans le but de faire ressortir la concentration de
minorités établies à Londres, nous nous appuierons sur un seul chiffre : en 2001, sur trois
millions de minorités ethniques recensées en Angleterre, un million et demi sont à Londres
(Georgiou, 2002 [b]). (Voir carte n°2 page 20).
Au sein de l’ensemble des minorités, la « communauté » noire africaine ne représente que 0,3
pourcents des groupes recensés en 2000, composée essentiellement de minorités originaire
d’Angola, d’Egypte, d’Erythrée, du Ghana, de Gambie, du Kenya, du Nigeria, de Sierra
Leone, de Tanzanie, et du Togo ; les ghanéens représentant le groupe le plus important avec
291 000 membres, (Georgiou, 2002 [b]).
Les premières observations sur le terrain, ainsi que certaines lectures, notamment Myria
Georgiou qui a beaucoup travaillé sur les notions d’identité et d’intégration des minorités en
Angleterre, ont permis de remettre en cause cette idée qui décrit l’Angleterre comme un pays
de multiculturalisme « institutionnalisé ».
A partir de mes analyses élaborées avant de commencer les recherches sur le terrain, j’ai
décidé de travailler sur une communauté « noire » vivant à Londres.
a) La présentation du terrain d’étude : De l’Angleterre au cybercafé
« d’Hackney.com ».
Les modes de recensement des minorités établis en 2001 étaient basés sur des notions
de races, ce qui regroupe souvent des migrants d’origines nationales différentes dans une
même minorité ethnique. La NACEM (« National Advisory Council for Ethnic Minority »5),
un organisme chargé de l’intégration, du recensement et de la défense des droits des
minorités, reflète parfaitement ce travers de généralisation sur les différentes cultures
africaines présentent à Londres. La plupart des études issues de cet organisme sont basées sur
des enquêtes et des analyses réalisées auprès des élites de chaque minorité. La majorité des
5 : traduction : Conseil National des Minorités Ethniques
20
Carte n°2 : La répartition des communautés noires Africaines à Londres (extrait de « the Guardian »
21/01/05 : « The world in one city »).
21
communautés peu intégrées, et donc isolées sur le sol londonien, n’est pas pris en compte
dans ces analyses. Ainsi, les résultats ne sont que partiellement représentatifs de la réalité
ethnique de cette ville. Les élites en question, souvent présentes depuis plusieurs générations
en Angleterre, et de ce fait intégrées institutionnellement et aussi culturellement, se
définissent plus comme étant anglaises (bien que revendiquant toujours leur appartenance à
leur pays d’origine). L’intégration en question se rapproche donc plus d’une assimilation des
élites qui sont minoritaires, ont réussies leur implantation, et ont leur place dans la société ;
une masse importante des minorités ethniques étant encore dans des situations précaires au
niveau de l’intégration « socio-institutionelle ».
Cette vision de Londres comme étant une ville de grande mixité culturelle n’est vrai qu’en
apparence. Après un mois d’observation, j’ai remarqué l’existence de quartiers à dominance
communautaires, bien qu’au sein de ceux-ci, se mélangent différentes nationalités (issues d’un
même continent). Des endroits comme Whitechapel à l’ouest de Londres, à dominante
essentiellement pakistanaise et indienne ; ou Brixton, au sud, plus caraïbes ; ou encore
Hackney, au nord est, essentiellement africain, sont caractérisés par des situations de
regroupements communautaires très marquées. Le contexte est sensiblement différent en
France, où les banlieues ont une autre façon de rassembler les minorités. En effet, les cités
HLM regroupent l’ensemble des populations en situation précaire, essentiellement issues de
l’immigration.
Après avoir visité quelques quartiers de Londres majoritairement « noirs africains »,
comme Stroud Green Road, Canning town, Tottenham, Wembley central (« West African »),
je me suis focalisé sur le quartier d’Hackney, au nord-est de Londres, pour deux raisons
essentielles : la première, d’ordre pratique, réside dans le fait que ce quartier n’était pas très
excentré, ainsi je pouvais m’y rendre plus facilement et plus régulièrement. Ensuite, après
avoir rencontré quelques personnes dans différents quartiers avec qui le contact à été un peu
difficile, et les enquêtes très peu concluantes, il semblait tout naturel d’approfondir mes
enquêtes à Hackney afin de pénétrer réellement au sein de la vie communautaire dans ce
quartier.
Malheureusement, peu de photos ont put être prises dans le site choisi. Afin de donner un
aperçu visuel de mon terrain d’étude, je tenterais d’en rendre compte essentiellement à travers
l’analyse pour essayer de donner l’image la plus juste de ce lieu si peu ordinaire : le
cybercafé.
22
b) L’approche du terrain et des populations : entre prise de contact et
observation.
Les trois premiers mois sur le terrain, de octobre à janvier, ont été infructueux. J’ai
commencé par chercher à obtenir des rendez-vous avec des migrants dont on m’avait fourni le
contact. Cependant la fixation de rendez-vous avec des personnes occupées tous les jours à
cumuler les emplois pour simplement survivre s’est avérée très aléatoire.
Ensuite j’ai choisi de partir dans les quartiers à dominante africaine, avec le guide d’entretien,
pour essayer de trouver des personnes dans la rue, les cafés ou les marchés, prêtes à donner de
leurs temps et à répondre à mes questions. Deux sorties à Brixton et à Tottenham furent
infructueuses. Le profil type de migrant que je recherchais, à savoir, d’origine africaine et
utilisateur d’Internet ne courait pas les rues. D’autant plus que les gens n’étaient pas du tout
réceptifs à ma manière d’aborder des sujets assez approfondis avec un inconnu. Le sujet
d’étude ne semblait pas les mettre à l’aise. J’ai donc remis en cause cette méthode trop
directe, et opté pour une autre approche de ces communautés.
Pendant les deux mois suivant, j’ai adopté une méthode d’approche que je qualifierai de
« prise de contact ». Au côté de deux étudiants ghanéens résidant à Hackney, rencontrés à
University College of London (où j’étais moi-même inscrit), j’ai pu dévoiler mes désirs de
rencontrer d’autres membres de cette minorité, et plus particulièrement d’entrer dans leur
« milieu ». Du fait de cette étiquette d’étudiant que l’on avait en commun, le contact s’est fait
relativement naturellement, sans crainte de leur part concernant ma position de « chercheur ».
Ainsi, la peur inhérente à toute population en situation précaire s’est progressivement effacée.
J’ai enfin pu rencontrer différentes personnes d’Hackney avec qui ils résidaient, et donc
appréhender de manière plus précise le sujet de recherche.
Cibler le travail d’enquête sur un public plus précis, et trouver un moyen de rencontrer des
gens dont l’usage d’Internet faisait parti de leur quotidien, représentait l’étape suivante. J’ai
donc entrepris un tour d’horizon des cybercafés fréquentés par des membres de
« communautés » africaines que j’avais préalablement rencontrés.
Finalement, j’ai choisi de me concentrer sur le cybercafé « Hackney.com »6, dans lequel j’ai
passé des journées à « surfer » sur des sites de diasporas africaines comme « Diastode »7 (voir
6 : J’ai changé le nom du cybercafé étant donné que je parle dans ce travail, de pratiques illégales de la part des migrants dans Hackney.com. 7 : www.diastode.org : Réalisé à l’initiative de membres de la diaspora, et destiné essentiellement aux communautés vivant à l’étranger, ce site fait office de guide pour le migrant togolais, il peut y faire des rencontres, trouver du travail, s’informer sur la situation dans son pays, entrer en contact avec différentes associations dans le monde travaillant sur des sujets qui touchent la communauté migrante togolaise.
23
la capture d’écran n°1 page 248), ou encore, des sites d’informations afférents à différents
pays d’Afrique noire. L’objectif de cette prise de contact avec le public a permis de faire
ressortir une minorité sur laquelle j’allais établir mes analyses. Le contact s’est vite établi. Le
simple fait de poser quelques questions au sujet de l’actualité concernant des pays respectifs a
souvent poussé les gens à se livrer plus facilement. Qualifions cette approche de « passive »,
dans le sens où je n’allais pas directement vers les gens, guide d’entretien en main, pour
interroger le premier venu au sujet de mon travail, mais au contraire j’ai adopté une attitude
intéressée mais relativement discrète. Au fur et à mesure, les gens ont commencé à me
connaître dans le cybercafé, le contact est donc devenu plus direct et plus facile.
De plus, je suis arrivé à Londres avec une connaissance de l’anglais très scolaire, et donc
essentiellement écrite et littéraire. L’apprentissage de l’anglais en France ne met que très peu
l’accent sur l’application orale des connaissances, c’est pourquoi la période d’acclimatation à
la langue a été longue. Les premiers contacts étaient donc très limités, les discussions
n’étaient pas réellement en rapport avec le travail en question, mais au contraire très
personnelles, au sujet de nos vies respectives, et de l’actualité ; une sorte de moyen de
travailler l’expression et la compréhension de l’anglais au contact des personnes qui feraient
plus tard l’objet de mes entretiens.
Cette approche, plus amicale que « scientifique », a été très concluante, dans le sens où j’ai pu
établir des relations de confiance, avec des gens qui se livraient de façon sincère, sans trop de
tabou. Au bout d’un mois et demi de fréquentation, le travail d’entretien a réellement pu
débuter dans ce cybercafé.
La démarche s’est donc décomposée en trois principaux temps :
-1 : La « prise de contact » : phase durant laquelle j’ai multiplié les rencontres diverses, afin
de cibler le public qui me paraissait le plus approprié pour le travail de terrain.
-2 : L’approche « passive » : l’arrivé dans le cybercafé comme individu anonyme intéressé, et
ouvert à toute discussion. L’installation à un poste et le « surf » sur des sites d’actualités
africaines, facilitant le contact.
-3 : La création de liens amicaux : après plusieurs semaines passées dans le cybercafé
« Hackney.com », les multiples rencontres m’ont progressivement intégré dans le cercle
relationnel de ce lieu.
8 : Pages de sites Internet à partir du logiciel « capturino 1.4 ».
24
Capture d’écran n°1 : Deuxième page de « Diastode » : présentation des domaines d’informations du site, extrait
du site « www.diastode.org ».
Après un mois passé dans ce cybercafé, il était toujours difficile de discerner une
« communauté » en particulier, sur laquelle j’entreprendrai mes recherches. La plupart des
migrants étaient dans une situation sociale précaire, les poussant à étendre leur champ
relationnel à des individus de diverses nationalités, pour pallier aux lourdes et laborieuses
démarches institutionnelles d’intégration.
Ce phénomène était très présent à « Hackney.com », où j’ai vu des migrants venant de
différents pays d’Afrique noire communiquer, s’entraider, et même emménager ensemble afin
de partager leurs expériences et rendre ainsi plus facile leur installation dans la société
anglaise. Il s’est donc agit de remettre en cause les objectifs de départ, et d’axer la recherche
au niveau local, dans ce cybercafé, auprès de migrants venant de différents pays.
Bien que ce choix ne mette pas en valeur l’organisation d’une minorité en particulier, il a
permis de centrer l’analyse sur la fréquentation très hétérogène de ce cybercafé, et de faire
ressortir la solidarité qui s’installe parmi les clients, dépassant le fait de communautés isolées,
25
à l’écart les unes des autres. Nous développerons plus loin dans ce travail le phénomène de
solidarité intercommunautaire.
En parallèle à ce développement de relations avec les clients « d’Hackney.com », j’ai passé
l’essentiel du temps à observer. J’ai prêté une attention particulière à noter les relations que
les gens entretenaient, les liens qu’ils tissaient entre eux, afin d’avoir un point de vue peu
impliqué, et comprendre plus simplement le fonctionnement interne à ce cybercafé. Cette
démarche a permis de préparer les entretiens tout en connaissant un minimum l’organisation
et le fonctionnement de ce terrain d’enquête. C’est aussi à travers cette approche que j’ai pu
me rendre compte de la solidarité et de l’entraide qui caractérisait « Hackney.com ». J’ai
parfois passé cinq à six heures, assis au même poste à simplement me balader sur des sites
Internet, tout en restant très attentif à ce qui se passait autour de moi. Il m’est même souvent
arrivé de prendre des notes sur des anecdotes qui m’interpellaient ou des activités annexes qui
s’organisaient. Cette phase d’observation a été essentielle pour mon analyse dans la première
partie thématique, concernant le cybercafé d’Hackney.
c) Réalisation, retranscriptions, et utilisation des entretiens.
• Construction des supports pour la réalisation des entretiens.
La création de mon guide d’entretien a été très longue à se dessiner de façon
définitive, les premières versions n’étant pas concluante.
Au début, j’ai en fait établi mes entretiens par rapport à mes premières lectures, avant de
réellement me retrouvé impliqué avec les communautés de migrants. Les premières sorties à
Brixton ont été un vrai échec. Bien que je n’avais pas vraiment réussi à établir un échange
avec les individus interrogés, je n’ai pas tiré de conclusions trop rapides sur la qualité de mon
guide. Cependant, après quelques premiers essais à Hackney, j’ai compris que mes questions
étaient d’une manière générale, bien trop affirmatives. En fait, je sous-entendais les réponses
que j’attendais dans la formulation de la question, et indirectement, j’exposais mon avis
personnel, ne donnant pas à la personne interrogée la liberté de s’exprimer.
C’est pourquoi j’ai décidé de retravailler mon guide d’entretien, et de le rendre plus objectif,
sans trop faire ressortir mes attentes et idées concernant le sujet. Avec ce nouveau guide
comme support j’ai commencé à enregistrer des entretiens de manière plus régulière et
efficace, c’est à ce moment que j’ai choisi d’utiliser ce guide comme support, en raison des
résultats plus intéressant que j’avais avec les personnes enquêtées.
26
Pour mes derniers entretiens enregistrés, je ne me servais de mon guide qu’uniquement pour
réorienter une personne qui commençait à trop s’écarter des thématiques sur lesquelles je
voulais travailler. Par cette méthode, j’ai pu obtenir des informations sur les nouvelles pistes
que je pouvais exploiter dans mon analyse. Le fait de laisser la personne s’exprimer tout en le
canalisant dans les domaines auxquels je m’intéressais s’est avéré très efficace, d’autant plus
que mon attitude paraissait plus naturelle, celle de quelqu’un qui partage une discussion, plus
qu’un enquêteur qui baisse les yeux sur ces papiers toutes les deux minutes, sous forme
d’interrogatoire. J’ai placé en annexe mes deux guides d’entretiens, afin de montrer en quoi
j’avais changé ma méthode d’approche des populations interrogées.
Pour donner un aperçu chiffré de mon travail d’enquête dans ce cybercafé, je vais maintenant
exposer brièvement le nombre d’entretiens réalisés et les origines de chacun des sujets. J’ai
donc, en l’espace de deux mois réalisé vingt-trois entretiens, six avec des ghanéens, quatre
avec des nigérians, quatre avec des togolais, quatre avec des congolais, trois avec des
érythréen, un avec un kenyan, et un avec un tanzanien. L’ensemble de cette échantillon de
sondé étant résidents à Hackney, originaire d’Afrique noire, et client régulier du cybercafé
« Hackney.com ». Afin d’avoir un aperçu représentatif et global de mon public, j’ai fais
attention de travailler avec des femmes comme des hommes, des nouveaux arrivant et des
étrangers nées sur le sol anglais, des personnes au statut social différent (étudiants, ouvriers,
employés, vendeurs sur les marchés…) ainsi que des gens de tout âge (voir tableau n°1 page
27).
A côté de ce guide d’entretien, j’ai essayé de pallier aux difficultés que je rencontrais pour
obtenir des informations statistiques sur la fréquentation d’« Hackney.com », sur les heures de
connexions, les sites majoritairement fréquentés, les attentes des clients, leurs relations avec le
patron…etc. J’ai donc voulu réaliser un questionnaire, qui m’aurait donné des chiffres précis
sur ce cybercafé et sa clientèle, en ayant un échantillon relativement représentatif de
l’ensemble de la clientèle. Cette méthode n’a pas réellement fonctionné, essentiellement parce
que l’échantillon de sondés était vraiment trop faible pour donner un aperçu statistique
pertinent.
J’ai donc choisi de m’orienter essentiellement sur le vécu des clients, leurs relations
dans le pays d’accueil et leurs modes d’intégrations dans la société anglaise. Par la mise en
commun des expériences concrètes de chaque personne entretenue, j’ai abouti à des
phénomènes massifs, qui caractérisent la plupart des gens interrogés.
27
Tableau n°1 : présentation des 23 individus choisis pour les entretiens (Stebig Jonathan).
Noms des
enquêtés
Ages Sexe Origine génération du
migrant
Statut social
Michael
32 M Ghana 1ère génération Gérant « d’Hackney.com »
Karim 21 M Ghana 1ère génération Travailleur informel
Alex 21 M Ghana 2ème génération Etudiant à UCL
Linsey 20 F Ghana 2ème génération Etudiant à UCL
John 16 M Ghana 2ème génération High school à Hackney (Lycéen)
Sandy 25 F Ghana 2ème génération Vendeuse à H&M
Yomi 26 F Nigeria 1ère génération Caissière et peintre
Laolu 24 M Nigeria 1ère génération Etudiant en anglais
Temi 42 M Nigeria 1ère génération Stand de repas à Camden Town
Scheni 50 F Nigeria 1ère génération Employée à KFC (fast food)
Samuel 28 M Congo 1ère génération Commerçant (marchés)
Faida 43 F Congo 2ème génération Employée à HSBC (banque)
Christine 19 F Congo 2ème génération Etudiante à SOAS
Christian 33 M Congo 1ère génération Employé chez Mac Donald
Salomon 28 M Togo 1ère génération Etudiant en anglais + cours
d’informatique
Faure 26 M Togo 1ère génération Etudiant en anglais
Akosse 38 F Togo 1ère génération Commerçant (marché)
Kossi 65 M Togo 2ème génération Retraité
Faytinga 27 F Erythrée 1ère génération Vendeuse à Tesco
Gavin 14 M Erythrée 2ème génération High School à Hackney
(Lycéenne)
Sénamé 25 M Erythrée 1ère génération Conducteur de pousse-pousse
(vélo pour touristes)
Wilson 35 M Kenya 2ème génération Caissier
Claudia 24 F Tanzanie 1ère génération Commerçante (marché)
28
• Retranscription des entretiens.
J’ai choisi de retranscrire en annexe deux entretiens dans lesquels j’ai sélectionné
les passages qui me semblaient les plus pertinents pour donner des exemples concrets dans
mes parties d’analyses thématiques. Dans un soucis de mettre en valeur les différents points
que je voulais aborder dans mon travail, j’ai choisi l’entretien avec un migrant qui fait les
marchés, et est très impliqué dans les réseaux de commerces « informels » ; un étudiant très
impliqué dans la situation politique de son pays. A côté de ces deux entretiens, j’ai aussi
retranscrit de brefs extraits que j’ai cité dans mon analyse, notamment celui du gérant
« d’Hackney.com », qui m’a exposé sa conception de son lieu de travail, à savoir mon lieu
d’enquête. Durant tout ce travail, je vais utiliser au total huit entretiens.
Pour la plupart, ils ne figurent pas en intégralité afin de ne pas encombrer ce mémoire
d’éléments impertinents. J’ai donc condensé mes notes, et gardé les passages qui m’ont
permis de faire ressortir les éléments thématiques à étudier.
Sur ces huit retranscriptions, j’ai choisi quatre nigérian, un togolais, un somalien, un
congolais, tous des clients « d’Hackney.com », et le gérant, Michael qui est d’origine
ghanéenne.
Les entretiens retranscrits ayant été réalisés à des périodes différentes de l’année, ils donnent
une vision de l’évolution de mon guide, et de ma façon de l’utiliser. C’est pourquoi j’ai choisi
de dater mes entretiens, pour donner un aperçu rapide de l’évolution de ma façon d’aborder
les personnes interrogées.
La retranscription de toute mes enquête est en anglais, dans un souci de ne pas partir dans des
traductions qui risqueraient de déformer la véritable signification de ce que j’ai pu entendre.
• Utilisation des entretiens dans l’analyse thématique.
Dans mon travail de rédaction, j’ai utilisé les retranscriptions souvent comme la
base de mon travail. Mes hypothèses de départ étant confirmées ou réfutées par les attitudes et
expériences personnelles et collectives des clients de ce lieu. Chaque partie dans ce mémoire
est construite selon cette configuration.
En fait, partant de cas concrets et particuliers, j’ai fait ressortir des phénomènes généralisables
à l’ensemble de la communauté migrante.
Les passages tirés des entretiens, les observations faites dans cet endroit, ainsi que les
anecdotes auxquels j’ai assisté, m’ont semblés être des exemples parfaits pour confirmer ou
étayer mes premières hypothèses.
29
Dans l’analyse, les phrases des entretiens sont insérées en anglais. J’ai préféré utiliser les
passages pertinents sous leur forme originelle, et donner mes propres traductions et
interprétations des citations utilisées dans les notes de bas de page. Cette méthode permet de
se référer plus simplement aux annexes pour retrouver les passages choisis.
A partir de ces mises en commun de mes enquêtes de terrain, j’ai ajouté les
interprétations que j’en faisais, et émis des conclusions sur les phénomènes étudiés. Dans le
but d’appuyer ces analyses personnelles, un travail de recherche bibliographique a été
indispensable, afin de donner plus de pertinence et d’appui théorique à mes hypothèses et à
leurs applications sur le terrain.
d) Le travail bibliographique et la recherche d’appuis théoriques à mes analyses
pratiques.
Ma prospection bibliographique s’est décomposée en trois phases principales.
Tout d’abord, j’ai commencé par des lectures très larges, de manière à appréhender mon sujet
de manière précise. Ensuite, en parallèle aux premières approches du terrain, j’ai axé ma
recherche bibliographique sur les thématiques que je voulais approfondir. La dernière étape a
consisté à trouver des appuis théoriques à mes analyses pratiques, de manière à soutenir mes
analyses de terrain.
• La fixation des contours de mon sujet d’étude.
Cette phase a durée environ deux mois, de octobre à décembre, durant laquelle j’ai
essentiellement cherché à bien définir les termes centraux de mon travail. Cette première
approche du sujet s’est organisée en deux phases.
Dans un premier temps, j’ai fait des recherches dans les bibliothèques de Géographie à UCL
(mon université), mais aussi à SOAS (« School of Oriental and African Studies »), ainsi qu’à
LSE («London School of Economics »). Durant le premier mois, je me suis donc attaché à
définir le terme de diaspora, afin de comprendre sa construction, et les différentes conceptions
qui ont évolué au fil du temps (je consacre d’ailleurs une courte partie à la définition de ce
terme, qui représente le centre de mon analyse).
Cette phase m’a également permis de me familiariser avec le langage scientifique anglais sur
les migrations, et plus généralement la Géographie.
30
Dans un second temps, je me suis focalisé sur le deuxième aspect central de mon sujet, à
savoir les TIC en Afrique. Cette période de lecture s’est faite durant les mois de novembre et
décembre, deux mois durant lesquels j’ai mis l’accent sur l’étude de l’implantation d’Internet
en Afrique, l’usage, les opportunités pour le continent et ainsi de suite. Deux supports m’ont
beaucoup apporté dans cette recherche :
La bibliothèque de SOAS, spécialisé sur les questions de développement dans les continents
asiatiques et africains m’a donné accès à une quantité importante de documents qui traitaient
de l’implantation des TIC sur le continent africain, et l’appropriation de l’outil par ses
populations.
En parallèle, j’ai trouvé le site Internet « www.africa’nti.org » (voir capture d’écran n°2 page
31), un site français qui travail exclusivement sur l’articulation entre les TIC et l’Afrique.
Dans ce portail, j’ai eu accès à une multitude d’articles, de conte rendus de colloques,
d’ouvrages, qui sont pour la plupart gratuits et libres d’accès (voir capture d’écran n°3 page
32). De plus, les différents liens de ce site m’ont très bien orienté, autant par les
bibliographies des différents auteurs, que par les liens Internet vers d’autres sites.
L’approche de mes termes de recherches, de manière relativement isolée l’un de
l’autre m’a donné une vision assez large des pistes à étudier. J’ai choisi d’étudier de manière
isolée la notion de diaspora, puis les TIC en Afrique afin d’élargir les différentes thématiques
que je pouvais aborder, et avoir une vision plus ou moins globale des axes vers lesquels je
voulais m’orienter.
• La définition des thématiques abordées.
Sur une durée d’à peu près deux mois, cette nouvelle étape s’est faite en parallèle à
mes premières approches de terrain concluantes. Deux phases me sont apparues comme
déterminantes dans la fixation de mes thématiques.
A partir de l’ensemble des pistes émanant du travail de balayage accompli à la fois à SOAS,
et sur Internet ; j’ai essayé de faire ressortir différentes thématiques qui me paraissaient
intéressantes à étudier. J’ai donc établi une première synthèse des notes prises sur l’ensemble
des ouvrages lus auparavant, de manière à orienter mon travail vers les différentes
thématiques que j’allais aborder sur le terrain. Plus qu’un apport théorique, cette phase de
31
Capture d’écran n°2 : présentation générale des objectifs « d’Africa’nti », extrait du site « www.africa’nti.org ».
32
Capture d’écran n°3 : exemples d’articles disponibles en ligne gratuitement sur « Africa’nti », extrait du site
« www.africa’nti.org ».
33
lecture m’a permis de construire des hypothèses, et une problématique que j’allais développer
sur le terrain.
J’ai donc réalisé un premier travail de synthèse, dans lequel j’ai résumé mes premières
approches du terrain et exposé les différentes thématiques que j’allais aborder, tout en
cherchant à montrer en quoi mon travail s’inscrivait parfaitement dans une démarche
géographique. J’ai rendu ce travail à Mme Yveline Dévérin à Noël, qui m’a donné le « feu
vert ». J’ai entrepris, à Londres, l’approfondissement des axes de recherche que j’avais
choisis.
Au début du mois de janvier, j’ai obtenu un rendez-vous déterminant pour la poursuite de ce
mémoire. Par l’intermédiaire de Mme Dévérin, je suis entré en contact avec Dana Diminescu,
qui travail sur l’usage des TIC par les migrants, à « la Maison des Sciences Humaines » à
Paris (MSH). Elle m’a proposé de la rencontrer à Paris, au début du mois de janvier, afin de
parler de mon travail et des idées que je voulais aborder. Le courant est très bien passé, et bien
que l’entretien n’ait duré qu’une petite heure, j’ai pu lui exposer mes différentes hypothèses,
et les orientations que je voulais donner à mon étude. Sa grande connaissance en matière
bibliographique sur les questions de diaspora, de migration, et des TIC m’a apporté des appuis
théoriques essentiels, qui m’ont énormément servis par la suite. Ces lectures m’ont permis de
construire des hypothèses, et une problématique que j’allais développer sur le terrain.
• Les appuis théoriques de mon analyse pratique.
C’est sur cette troisième phase d’environ quatre mois que j’ai réalisé l’essentiel de
mon travail de terrain, me permettant de mettre en relation les écrits théoriques avec mes
entretiens à « Hackney.com ».
J’ai tout de suite exploré l’ensemble des pistes bibliographiques que m’avait conseillé Mlle
Diminescu, en anglais comme en français.
J’ai pu visionner des colloques et séminaires en ligne, réalisés par Dana Diminescu et son
équipe de recherche, mais aussi des entretiens avec Riva Kastoryano ; accéder via le Net à des
articles de Myria Georgiou, et d’Alain Tarrius ; trouver des ouvrages dans les bibliothèques
de ces différents auteurs ; élargissant ainsi mon support bibliographique à des documents très
précis, axés sur mes thématiques de recherche. C’est essentiellement avec l’appui des travaux
de ces auteurs que j’ai pu aborder mon sujet en remettant en cause certaines notions de
Géographie concernant les migrations, qui sont aujourd’hui dépassées en raison de
l’introduction des TIC dans ces communautés.
34
Dans un même temps, Dana Diminescu m’avait donné l’adresse email de Myria Georgiou,
professeur à LSE, travaillant également sur les usages des TIC par les migrants, mais dont le
terrain d’étude est plus centré sur les migrants à Londres. Bien que n’étant pas vraiment
intéressée par « les communautés noires africaines », mais plutôt par les chypriotes, et les
communautés asiatiques, ce contact m’a permis de mettre directement en rapport mon travail
de terrain avec les nouvelles notions de Géographie concernant les migrations, et donc
d’articuler mon terrain avec mes lectures.
En conclusion, je voudrais revenir sur mon choix de me focaliser sur l’étude d’un lieu, le
cybercafé, plutôt que de m’axer sur l’étude d’un groupe de migrants de nationalités
semblables, établi dans un quartier. Cet aspect très ouvert de mon analyse concernant les
personnes est toutefois très en rapport avec mon sujet. Mon terrain virtuel rend difficile une
approche très géographique, au sens d’une étude basée sur un support physique. Dans ce
mémoire, j’ai donc voulu mettre en rapport cet espace hyper localisé, à savoir le cybercafé
« d’Hackney.com », un lieu à partir duquel les migrants ont accès à un espace virtuel,
déterritorialisé, dans lequel ils entretiennent des relations avec des espaces physiques
géographiquement éloignés, mais interconnectés dans ce système de réseau. A partir du
cybercafé, j’ai donc pu mettre en relation mes différentes échelles d’analyses, à la fois locales,
le cybercafé étant un lieu de rencontre, d’échange interethnique et de solidarité dans l’espace
d’accueil, mais aussi le moyen d’accès à un réseau virtuel transnational, dans lequel le
migrant est connecté à la fois avec les autres places de la diaspora, ainsi qu’avec son pays
d’origine. Pour mettre en valeur cette articulation des différentes échelles d’implication du
migrant, j’ai choisi, dans les différentes parties thématiques de mon travail, de réaliser des
schémas qui mettent en formes ces coordinations.
Pour terminer cette partie méthodologique, je voudrais mettre l’accent sur l’organisation de
mon travail. J’ai choisi dans un premier temps de balayer l’ensemble des pistes de recherches
autour de la question des TIC et des diasporas. Ensuite, après avoir déterminé mes axes de
recherches, j’ai entrepris un travail de terrain qui m’a permis de comprendre les usages des
TIC par les migrants, à partir des expériences concrètes des clients « d’Hackney.com ». Enfin,
j’ai choisi de me concentrer sur les phénomènes qui sont le plus souvent ressortis de mes
enquêtes de terrain, et d’appuyer mes analyses par les études théoriques de certains auteurs
clef9, qui ont travaillé sur des questions similaires dans d’autres terrains.
9 : Dana Diminescu, Myria Georgiou, Riva Kastoryano, Alain Tarrius, Michel Elie (cf. Annexe 1 : bibliographie)
35
III) Analyses thématiques.
1) Le cybercafé comme lieu de solidarité et d’intégration sociale :
véritable carrefour de l’information.
Samuel est arrivé à Londres depuis seulement un mois, il parle encore à peine l’anglais, et
n’a pas de logement. Bien que n’ayant que très peu de connaissances en informatique, c’est au
cybercafé « d’Hackney.com » qu’il passe beaucoup de son temps et qu’il rencontre
progressivement des gens et apprend à se servir des ordinateurs ; autrement dit, c’est ici qu’il
arrive, pas à pas, à se trouver une place dans la société anglaise. Salomon, lui est togolais, il
est à Londres depuis plusieurs années, mais il a pris l’habitude de venir régulièrement à
« Hackney.com », où il est très apprécié pour ses connaissances en informatique, il a
d’ailleurs mis en place une formation de trois heures hebdomadaires, pour les débutants, sur
les usages généraux d’Internet. Laolu, lui, est nigérian, il vit à Hackney et vient au cybercafé
afin de se tenir informer de l’investissement de l’argent qu’il envoi tous les mois dans son
pays ; il a pour désir de construire une maison à sa famille restée au pays, et il prend un soin
méticuleux à suivre la bonne évolution de ces travaux. Enfin, Yomi est une jeune artiste
nigériane, elle fréquente ce cybercafé à peu près tous les deux jours pour donner des nouvelles
à son compagnon resté au pays, via les emails ; en plus de cette mise en relation avec son pays
d’origine, elle expose ses peintures dans le cybercafé, qui sont mises en vente et donnent à cet
espace une personnalité très touchante. A travers ces trois exemples, nous pouvons constater
l’étendue des possibilités qu’offre la fréquentation d’un tel lieu. Moyen de rencontre avec les
autres clients, centre de formation en informatique, salle d’exposition, moyen de connexion
vers le pays d’origine, vers les autres parties du monde où les membres de la diaspora sont
établis, et bien d’autres pas encore énumérés. C’est en ce sens que le cybercafé devient pour
les migrants, bien plus qu’un simple lieu de consultation individuel de l’information, mais un
véritable centre « d’interaction communicative » (Flécha, 2002). Comme le résume
parfaitement le gérant de ce cybercafé, ghanéen, et lui-même issue de l’immigration : « of
course there are computers in this place, but what people is looking for is more than a basic
Internet connexion, it’s social exchange and integration »10.
Afin de bien rendre compte de l’étendue des fonctions de ce nouvel espace, et du rôle
qu’il joue dans la migration, je vais l’aborder à trois échelles d’analyses différentes. Tout
10 : traduction : bien sur qu’il y a des ordinateurs ici, mais les gens cherchent plus qu’une simple connexion Internet, ce sont des relations sociales et de l’intégration.
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d’abord au niveau local, c'est-à-dire à l’échelle du cybercafé, dans lequel s’organise une
véritable microsociété. Ensuite, à l’échelle transnationale, « Hackney.com » étant un des
moyens privilégiés par les migrants pour se connecter avec d’autres lieu d’établissement de
communauté. Enfin, je voudrais m’intéresser aux contacts que les migrants entretiennent avec
le pays d’origine, via Internet et les emails, ce que je considèrerai comme l’échelle nationale
(au sens de nationalité).
Etant donné que les fonctions de cet espace au niveau transnational et national vont être plus
approfondies dans les parties suivantes, je vais ici essentiellement insister sur la multitude de
fonctions que remplit ce lieu à un niveau très localisé.
a) « Hackney.com », un cybercafé aux allures de centre d’intégration et de
solidarité intercommunautaire.
Dans un souci de clarté, j’ai décidé de faire ressortir trois aspects (sensiblement liés les
uns aux autres), mettant particulièrement en valeur la personnalité de ce lieu (voir photo n°2
page 37).
-« Hackney.com » : un exemple de mixité culturelle.
C’est essentiellement ici que je me suis rendu compte de cet aspect multiculturel, très
caractéristique des populations migrantes en mal d’intégration. Je me suis d’ailleurs très
étonné de l’accueil et de l’enthousiasme avec lequel Karim, un nouvel arrivant, avait été reçu.
C’est pourquoi la notion de communauté, de culture, ou de langue natale perd quelque peu de
son sens dans un contexte comme celui là. Tous les migrants étant passés par une phase
d’adaptation plus ou moins difficile, ils semblent très conscients de l’importance que peut
représenter un premier contact, une attache à quelque chose dans un espace encore inconnu.
Michael, le gérant du lieu résume parfaitement cet aspect intercommunautaire : « I don’t want
to make my telecenter exclusively ghannean, or ethiopian. What I’m proud about is especially
this mixture. In a way, Hackney.com is a community, which overcomes all the different
cultural belongings »11. Cette apparente mixité culturelle n’est pas innée, elle émane d’un
désir de son propriétaire de développer un lieu qui serait plus qu’un simple moyen de
connexion à Internet, mais un espace d’ouverture culturelle, exemple de tolérance et d’écoute
pour les migrants. Dans bien d’autres cas, le migrant se retrouve face à une hiérarchie, des
11 : traduction : « je ne cherche pas à faire de mon cybercafé un endroit exclusivement ghanéen ou éthiopien. Ce dont je suis fier, c’est ce mélange. En un sens Hackney.com est une communauté, qui dépasse toute appartenance culturelle différente ».
37
Photo n° 2 : intérieur du cybercafé « Hackney.com » (photo prise par Michael, le gérant).
préjugés, qui ne lui permettent pas d’être jugé en tant que personne, mais plutôt comme un
immigré. Mis à part des associations dont l’activité se concentre sur une communauté en
question, où le migrant pourra trouvé sa place, il existe très peu dans les société d’accueils,
d’espaces de socialisation interculturelle, où l’accès est libéré de tout jugement, et où toutes
les voix sont entendues. La façon dont Yomi décrit ce lieu est à mon sens très representative
du climat qui règne dans ce cybercafé: « Basically, what I found in this centre is more than a
way to communicate with my fellows home, I could have been any elsewhere. I found a real
way to express myself, to display my work, and to open my mind to other way of thought »12.
Ramon Flécha (2002) résume parfaitement cet aspect intercommunautaire qui règne dans
certain cybercafé : « La compréhension des réalités éloignées et l’entente entre cultures
différentes par le biais de nouvelles formes de dialogues qui voient le jour dans les sociétés
actuelles ».
-« Hackney.com » : un espace ouvert au dialogue, à l’entraide et à la solidarité.
« We can summarize what characterized Hackney.com in a word: solidarity »13. Voilà la
vision que Laolu a de ce lieu, et elle est partagée par la majorité des clients, qui sont là pour
plus que des conversations Internet, ils cherchent véritablement à créer du lien social, à
donner autant qu’ils reçoivent. Les échanges sont réciproques, tout le monde est curieux de
savoir comment le quotidien des uns et des autres se déroule, c’est un véritable centre
12 : traduction : « ce que j’ai trouvé dans ce cybercafé, c’est plus qu’un moyen de communiquer avec mon pays, j’aurais pu aller n’importe où pour ça. J’ai trouvé un moyen de m’exprimer, d’exposer mon travail et de m’ouvrir à d’autres façons de penser ». 13 : traduction : « on peut résumer ce qui caractérise Hackney.com en un mot : solidarité ».
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d’entraide entre migrants d’origines différentes, qui ont simplement besoin de partager leur
vécu, et de participer à une vie sociale dans leur pays d’accueil. Lorsque Yomi est entrain de
lire des nouvelles de sa famille restée au pays, un immense sourire se dessine sur son visage,
et elle regarde Michael (le gérant), avec des yeux étincelants de bonheur ; c’est alors d’un pas
décidé qu’il se précipite à son poste pour connaître la nouvelle. Yomi vient d’apprendre que
sa sœur a mis au monde un enfant, et Michael fait partager ce bonheur à l’ensemble des
personnes de la salle, moi y compris. Ce simple exemple pour montrer à quel point le
quotidien des clients « d’Hackney.com » est partagé ; la solitude à laquelle doit faire face le
migrant dans beaucoup d’autres contextes dans le pays d’accueil est ici bannie. Les gens
viennent pour partager du vécu, des choses simples, et pour se sentir entourés. Ainsi, toute
situation délicate peut être résolue par les compétences des autres. Samuel qui vient d’arriver
à Londres demande à Laolu de l’aide pour l’élaboration et l’envoi de ses CV afin de trouver
du travail. Karim, qui cherche un logement, est conseillé par Michael à propos de la visite de
sites Internet consacrés à l’offre de places en collocation…etc. La vitalité, le dynamisme et la
bonne humeur des clients diffusent une atmosphère communautaire, dans laquelle on oubli
facilement d’où l’on vient, et qui on est tout simplement. Les gens sont écoutés pour ce qu’ils
ont à dire, et pas par rapport à ce qu’ils représentent. C’est un espace « d’interaction
communicative » égalitaire (Flécha, 2002).
-« Hackney.com » : cybercafé dans son intitulé, bien plus dans ses fonctionnalités.
Enfin, en plus de ce caractère très solidaire et multiculturel, « Hackney.com » développe aussi
des fonctions parallèles, émanant du désir de son gérant qui attache une attention particulière
à diversifier les usages de son cybercafé, afin de faire de ce lieu un véritable point de chute
pour les nouveaux arrivants.
La plus importante, c’est la formation informatique hebdomadaire, 1h30 le mardi et le
dimanche de 18h30 à 20h, tenu par Salomon. En échange de ce service rendu par Salomon,
Michael lui offre des heures de consultations gratuites dans son cybercafé, ce qui souligne
encore le système d’entraide qui rend ce lieu si particulier. En un sens ces cours sur les usages
principaux d’Internet permettent à Michael d’attirer de nouveaux clients, et à Salomon de se
connecter gratuitement.
Afin de donner un peu de chaleur à son cybercafé, Michael a décidé d’accorder la décoration
à différents artistes, qui ont du mal à se faire connaître et vendre leurs œuvres ; ainsi, de
manière complètement libre, des artistes exposent leurs œuvres sur les murs du cybercafé, et
les mettent en vente. Yomi nous parle de cette fonction de « salle d’exposition » très
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simplement: « I know that it doesn’t represent a way for me to earn money or start a real
career, but I don’t care. That does enlighten the inside, attracts people’s eyes, and gives me
the opportunity to show my paints »14 (voir photo n°3, page 40).
De façon plus ponctuelle (à peu près une fois par mois), Michael organise des débats
concernant des sujets qui peuvent intéresser les clients. Sa conception est d’ailleurs
particulièrement ingénieuse. Le cours d’informatique va s’axer sur la recherche de documents
sur le Net concernant un sujet précis (par exemple, les politiques d’intégrations en
Angleterre). Les clients vont donc à la fois apprendre à balayer le Net pour obtenir des
informations particulières, puis un débat sera organisé pendant une heure, juste à la suite du
cours. Ces discussions structurées permettent ainsi d’échanger des opinions différentes où
toutes les voix sont entendues. Plus qu’un moyen de traiter de sujets d’actualités intéressant
les migrants, ces débats sont l’occasion pour certains nouveaux arrivants de travailler leur
expression, et leur compréhension de l’anglais.
Enfin, l’affichage concernant la tenue de séminaires à venir, de festivals ou de rendez-vous
culturels, embellit la porte d’entrée et la vitrine du cybercafé.
« Hackney.com » est bien plus qu’un simple cybercafé, c’est « une communauté » ouverte
vers d’autres cultures, dans laquelle la différence est un atout, et où la solidarité se fait sentir
dès les premiers instants. A un niveau très localisé, c’est un espace qui joue un rôle de « pré
socialisation », dans lequel le migrant peut être entendu, et où il peut tisser des liens qui lui
seront essentiels pour son intégration. Je voudrais citer ici Karim qui m’a dit une chose simple
mais pleine de sens: « We come to Hackney.com to be connected to the outside, and we left
the place seduced by the vitality and the happiness of the inside »15.
b) Le cybercafé : un centre décentralisé.
Au niveau transnational, le cybercafé est le centre à partir duquel les migrants vont pouvoir se
connecter avec les autres pays d’établissement de la diaspora. C’est dans ce lieu qu’ils vont
échanger leur vécu, et organiser les relations à distance avec leur communauté. C’est en ce
sens que le cybercafé devient en quelques sortes un support identitaire décentralisé pour les
diasporas.
14 : traduction : « Je sais que ce n’est pas un moyen de gagner ma vie ou de commencer une carrière, mais je m’en moque. Mes peintures illuminent le cybercafé, attirent les regards et cela me permet d’exposer mes tableaux ». 15 : traduction : « On vient à Hackney.com pour se connecter avec le monde extérieur, on en sort séduit par la vitalité et le bonheur de l’intérieur.
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Photo n°3 : peinture de Yomi exposé dans le cybercafé « Hackney.com » (photo prise par Michael).
-Un véritable carrefour de l’information.
Du fait des coûts relativement faibles, et de la facilité d’accès, le cybercafé est véritablement
« le point » par lequel transite l’essentiel des informations entre les différentes places de la
diaspora. Ainsi, l’ensemble des cybercafés éparpillés dans les différents pays de résidence de
la communauté en question sont reliés entre eux par « des lignes », formant « une surface »
dans laquelle s’organisent tous ces échanges. Nous sommes donc dans un schéma très
classique de la Géographie, une organisation de l’espace dans la configuration « points,
lignes, surfaces », formant un système dans lequel l’ensemble des points sont en
interrelations. Cependant, dans le cadre des migrations, le cybercafé correspond à l’espace
hyper localisé au sein duquel les migrants vont pouvoir mettre en marche ce système. A
« Hackney.com », les analyses des clients sont d’ailleurs très explicites. « It is the easier way
to communicate » (Laolu)16, « you have computers, people to help you, and a friendly mood »
(Wilson)17, « Hackney.com is an open place toward the outside, toward the community settled
abroad» (Michael)18. C’est depuis le cybercafé que partent toutes les informations, et c’est ici
que le migrant les reçoit.
Pour donner une application concrète de cette organisation en réseau dont le centre serait le
cybercafé, je vais citer Salomon, qui a trouvé dans le cybercafé « Hackney.com » un moyen
d’articuler sa vie en société dans son espace d’accueil, avec son appartenance communautaire
qu’il entretient dans ce réseau : « The way in which I use Diastode is mostly practical, to
16 : traduction : « c’est la façon la plus simple de communiquer ». 17 : traduction : « il y a des ordinateurs, des gens pour t’aider et une ambiance chaleureuse ». 18 : traduction : « Hackney.com est un endroit ouvert sur les communautés éparpillées dans le monde ».
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connect myself with other members in different places of the diaspora, and discuss about what
are the economic opportunities over there, when the togolese events are settled around
Europe, and… basically to express what I think about our situation, how to increase, enhance
the diaspora’s organisation, and so on »19.
-Espace générateur d’une identité « décentralisée ».
« Le réseau Internet est un espace social particulièrement pertinent au sein des diasporas, car
décentralisé, interactif et transnational par essence ». Cette phrase de Myria Georgiou (2002)
caractérise parfaitement ce nouveau support d’identification pour le migrant. En effet, nous
entrons dans une nouvelle ère de la communication et de l’information, dont les diasporas ont
su tirer parti afin de tisser un réseau relationnel articulant le local, le national et le
transnational.
A « Hackney.com », j’ai constaté que c’est essentiellement à partir des cybercafé que les
migrants arrivaient à entretenir leur culture ; et ceci à travers les connexions avec les autres
membres de la diaspora, les membres de la famille restés au pays, la consultation de sites
consacrés à leur pays d’origine, la participation à des forums, et ainsi de suite.
Le partage d’images et de sons a toujours été l’élément clef de la pérennité d’une diaspora,
dans le sens où c’est par des émotions communes et des mémoires partagées que les membres
vont parvenir à entretenir cette notion d’appartenance à une culture propre.
L’utilisation des TIC dans les migrations, et l’identification à une communauté organisée sur
un « espace virtuel » (dont le support est essentiellement le cybercafé) pose cependant la
question du centre, qui depuis des siècle, était matérialisé par la terre natale, sorte de cœur de
l’imagination des diasporas. La « mère patrie » représente toujours pour le migrant l’image
d’un passé partagé avec les membres de la communauté ; qu’elle soit vécue ou imaginée, elle
reste la pierre de l’édifice identitaire de la diaspora. Cependant elle a perdu son rôle de centre
autour duquel s’articule l’ensemble de la communauté dispersée dans le monde.
Donnons ici l’exemple du site « Diastode » (Capture d’écran n°3 page 42 et 43), très utilisé
par Salomon à « Hackney.com ». Réalisé à l’initiative de membres de la diaspora, et destiné
essentiellement aux communautés vivant à l’étranger, ce site fait office de guide pour le
migrant togolais, il peut y faire des rencontres, trouver du travail, s’informer sur la situation
dans son pays, entrer en contact avec différentes associations dans le monde travaillant sur des
sujets concernant la communauté migrante togolaise. Bien que la part de ce site consacré à la 19 : traduction : « j’utilise Diastode pour des raisons pratiques, me connecter avec les membres de la diaspora, discuter des opportunités économiques, de la tenu d’évènements togolais en Europe. C’est un moyen d’évaluer notre situation, comment perfectionner l’organisation de la diaspora, et ainsi de suite ».
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43
Capture d’écran n°4 : Présentation des objectifs et de l’historique de « Diastode », extrait du site
« www.diastode.org ».
situation politico-économique au Togo ne soit pas négligeable, c’est une initiative émanant de
la périphérie.
La diaspora ne peut plus être considérée comme un satellite organisé autour, en fonction et
sous contrôle du pays d’origine, mais au contraire, en fonction de ses connexions et des
relations transnationales avec les autres centres de la diaspora. C’est pourquoi Myria
Georgiou (2001) parle de « l’identité décentralisée », qu’on pourrait aussi considérer multi
centralisée. L’identité diasporique se construit dans un espace virtuel où les centres (les
cybercafés) sont connectés en réseau. Ceci pérennise l’existence d’une communauté réelle,
dispersée géographiquement, partageant une conception similaire de la terre d’origine, vécue
et pensée comme un mythe commun.
c) Le maintien des relations avec le pays d’origine.
Dans cette troisième sous partie, nous nous intéresserons aux moyens de connexions
privilégiés pour rester en contact avec les membres de la famille toujours au pays. Pour
terminer en s’écartant légèrement du terrain d’étude, nous donnerons un aperçu de la place
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qu’occupe le cybercafé dans les pays d’origines, dans le but de nuancer les atouts de ce
support pour l’organisation des diasporas.
-Dans l’espace d’accueil : le moyen de contact privilégié.
A la suite de mes enquêtes, j’ai remarqué que le cybercafé correspondait au moyen de
communication le plus utilisé par les migrants pour entretenir des relations avec le pays
d’origine. Le courrier, le téléphone semblent donc moins utilisés, à l’exception du téléphone
portable, qui pour la plupart des enquêtés, représente un moyen supplémentaire de
communiquer. Le portable apparaît plus comme un moyen de donner une date et une heure de
rendez-vous dans un cybercafé, afin d’entretenir des discussions plus longues : « I only
contact my relatives home by phone to fix a date, in the telecentre, to discuss longer »
(Salomon)20.
Sur les vingt-trois enquêtés, j’ai constaté que tous utilisaient les emails, et que plus de la
moitié, treize exactement, utilisaient Skype. Ce moyen de communication semble en effet plus
approprié pour les analphabètes, la communication orale étant appropriée pour tous. L’usage
de Skype permet donc d’associer les avantages du téléphone (communication orale), et celles
du cybercafé (communications plus économiques). Cependant, en aucun cas l’usage de Skype
ne se substitue à l’envoi d’emails, qui reste par-dessus tout le moyen de communication
privilégié, dû essentiellement au fait que les deux interlocuteurs ne peuvent pas toujours se
retrouver en même temps connectés. La communication orale est donc plus utilisée de
manière ponctuelle, notamment pour joindre son compagnon resté au pays : « I just use Skype
when I am feeling sad, and when I miss my husband » (Yomi)21. « I prefer to send emails, but
sometimes, when I need some comfort, I call my wife, and tell how much I am in love with
her» (Laolu)22.
A travers ces différents usages d’Internet, le migrant se sent toujours très lié à sa famille au
pays, lui permettant d’entretenir des relations régulières avec ses proches. La consultation des
nouvelles sur les sites consacrés au pays d’origine, les lectures des journaux en ligne ainsi que
l’écoute des radios, permettent au migrant de rester sensibilisé par ce qu’il se passe chez lui.
Ainsi, à des distances géographiquement très éloignées, le migrant peut entretenir des
relations de proximité quasi-quotidiennes, ce qui renforce son identité (Diminescu, 2006).
20 : traduction : « J’appels mes parents au pays par téléphone seulement pour fixer un rendez-vous au cybercafé pour discuter plus longtemps (via Skype) ». 21 : traduction : « J’utilise Skype quand je me sens triste, et que mon mari me manque ». 22 : traduction : « Je préfère envoyer des emails, mais quand j’ai besoin de réconfort, j’appelle ma femme, et lui dit combien je l’aime ».
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-Dans le pays d’origine : un usage collectif, une distribution géographiquement inégale.
Intéressons nous ici à la situation sensiblement différente dans le pays d’origine, et ce à deux
niveaux :
• L’email : une adresse collective.
Dans les cybercafés en Afrique de l’ouest, l’usage de la boîte mail est
essentiellement collectif, et ce pour deux raisons que nous allons maintenant exposer.
Très souvent, il y a une personne qui gère la boite mail d’un groupe de gens, étant donné que
l’usage d’Internet nécessite une connaissance de l’anglais écrit (dans le cadre de mon sujet),
ainsi qu’une appropriation minimum de l’outil. A Lomé par exemple, une adresse e-mail est
souvent partagée par cinq à dix personnes. Cet usage collectif pose cependant des problèmes
de confidentialité ; la personne qui gère la boîte mail ayant accès à toutes les informations
échangées avec l’extérieur ( Institut Panos, 1999).
La distribution du réseau Internet très limitée, ainsi que sa qualité de réception médiocre
représente une sérieuse limite pour une utilisation de masse d’Internet. En effet, les coûts de
connexion représentent des sommes relativement importantes par rapport au niveau de vie très
faible dans la plupart des pays d‘Afrique. Lorsque qu’un individu se connecte, il arrive parfois
qu’il attende plusieurs dizaines de minutes avant l’ouverture complète d’une page. La vitesse
de connexion très lente, associée à des coûts très élevés pousse les africains à ouvrir des boîtes
mails collectives, afin d’ouvrir un seul poste, et de minimiser les coûts.
• Des cybercafés très inégalement repartis sur le territoire.
Dans la plupart des pays d’Afrique de l’ouest, les capitales et villes principales
sont généralement assez bien desservies, ce qui contraste avec la très faible implantation des
cybercafés dans les villes plus petites, et la quasi inexistence dans les région rurales ( Institut
Panos, 1999). Ces disparités territoriales, qui s’expliquent par la faible extension du réseau
Internet en Afrique, montre que le cybercafé, véritable point d’attache du migrant dans les
territoires d’accueils, ne permet pas à tous d’entretenir des contacts avec leur famille restée au
pays. C’est le cas de Wilson, qui vient d’une région rurale au Kenya, et qui n’utilise Internet
que pour consulter les sites, et participer à certains forums. « In my homeland, there is no
Internet connection, I am here totally disconnected from my background, the only way to have
news is to call by phone or to send letters, but it’s long, expensive, and not regular at all »23.
23 : traduction : « Dans mon pays, il n’y a pas de connexion Internet, je suis ici complètement isolé de mes racines, le seul moyen d’avoir des nouvelles est de passer un coup de fil, ou d’envoyer une lettre ; mais c’est long, cher, et pas du tout régulier ».
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Les disparités au niveau de la distribution d’Internet en Afrique peuvent donc avoir des
répercutions sur l’entretien de relations avec les membres de la diaspora, dans les pays
d’accueils.
Le cybercafé «Hackney.com » est un véritable support d’intégration pour le migrant au
niveau local, par l’ensemble des rencontres qu’il fait, par les cours d’informatiques, par ses
activités parallèles (expositions, débats), ainsi que plus généralement par le climat de
solidarité qui le caractérise. Afin de donner une vision plus simplifiée du rôle de ce cybercafé,
j’ai réalisé un schéma qui en résume son organisation (voir schéma n°1 page 47).
A un niveau transnational, nous constatons que le cybercafé est au cœur du système de la
diaspora, jouant le rôle de carrefour, où toutes les informations passant dans le réseau Internet
sont récupérées, et rattachées au territoire par ces lieux de connexions, remettant en cause
l’organisation diasporique articulée autour d’un centre : le pays d’origine. Il représente un
deuxième centre, un support pour l’entretien de l’identité du migrant, l’organisation
diasporique devient ainsi multi centralisée.
Enfin, concernant la connexion avec le pays d’origine, nous remarquons que c’est le
support le plus utilisé par les migrants pour entretenir des contact avec les proches restés au
pays, malgré une distribution inégale sur le territoire africain.
Pour beaucoup de clients « d’Hackney.com », c’est un cybercafé qui permet d’entretenir
un contact « extraterritorial », avec les membres de la diaspora éparpillés autour du globe, et
de garder une sensibilité vis-à-vis de la culture d’origine et du pays natal, tout en organisant
son intégration et son adaptation « intraterritoriale », par les rencontres, la solidarité et
l’ouverture d’esprit qui règne dans cette enceinte.
Les mots de Michael semblent résumer parfaitement le rôle du cybercafé dans l’organisation
d’une diaspora: « What I tried to do when I opened this telecentre was to create a place in
which the migrant could find a way to associate the use of the Internet to feel still belonging
to his community; with a natural adaptation to the londonian everyday life»24.
24 : traduction: Quand j’ai ouvert ce cybercafé, j’ai essayé de créer un endroit dans lequel le migrant peut associer l’entretien de l’appartenance communautaire par l’usage d’Internet avec un moyen d’adaptation au quotidien londonien.
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Schéma n°1 : Le cybercafé : un support d’intégration, de connexion transnationale et de pérennisation identitaire. (Stebig Jonathan)
2) Les TIC : un outil d’intégration, d’intégrité sociale et d’organisation
économique.
Samuel est congolais, il vit à Londres depuis déjà quatre ans. Il a su tisser autour de lui un
véritable réseau relationnel, qui ne s’arrête pas aux frontières de Londres, mais qui s’articule
entre les différentes places de la diaspora à travers le monde. Grâce aux nouvelles
Cybercafé du pays d’accueil
Cybercafé du pays d’origine
Développement de relations
inter-communautaires
Multi-
fonctionnalité
Intégration sociale
alternative
Disparité territoriale de
l’accès à Internet
Usage collectif
d’Internet
Accès relativement difficile et
inégalement réparti
-moyen de communication privilégié -accès élargi à l’information
-mise en relation avec les places de la diaspora
Générateur d’identité à la fois décentralisée et multi centrée
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technologies de la communication, il a su articuler sa vie dans la société d’accueil avec son
appartenance à la communauté congolaise. Son réseau relationnel à l’échelle nationale, ne se
limite pas à l’espace fermé de sa communauté congolaise ; sa situation précaire le pousse à
élargir son entourage sans tenir compte des appartenances ethniques ou culturelles de ses
relations. Cet élément est généralisable à l’ensemble des migrants, qui dans le contexte local,
cherchent les moyens de contourner les difficultés d’intégration, sans tenir compte de leurs
origines respectives : « I’m not a racist, I’m living in the shit, like my brothers, so we need
help. In this city if you want to make money, to survive, you must overpass differences; that is
business » (Samuel)25.
Face aux politiques d’immigrations de plus en plus restrictives en Angleterre, le migrant doit
aujourd’hui trouver des moyens de contourner les contraintes institutionnelles, et d’organiser
sa vie en société de manière alternative. Les TIC semblent très adéquates, et l’appropriation
de ces outils par les migrants a été très rapide et efficace.
Au niveau local, il va être capable de se sortir de situations précaires en utilisant son réseau
relationnel « virtuel », lui permettant de s’adapter à différents contextes sociopolitiques
défavorables. Ces réseaux relationnels vont lui donner l’opportunité de développer des
activités productives et économiquement efficaces.
Au niveau transnational, c’est l’intégrité sociale du migrant qui va être entretenue, par
l’établissement d’un réseau virtuel, dans lequel il développe des liens avec la communauté
diasporique, et où il maintient des relations avec son pays d’origine. C’est dans ce système
transnational de communication qu’il va être en mesure d’amortir les sentiments
d’éloignements. Dans ce contexte d’organisation transnationale, des opportunités
économiques vont se dessiner ; bien qu’encore à l’état embryonnaire, elles donnent des
perspectives pour l’avenir, notamment concernant l’impact positif de la migration sur le
développement économique du pays d’origine.
a) Au niveau local, les TIC comme instrument d’organisation économique et
sociale.
Pour introduire cette partie, je veux tout d’abord mettre l’accent sur l’apparente
articulation entre l’outil de communication et le milieu dans lequel s’établissent les relations.
A l’échelle locale, en l'occurrence la ville de Londres, les migrants semblent privilégier
l’usage du téléphone portable, apparemment plus approprié pour des rapports de 25 : traduction : « je ne suis pas raciste, mais comme mes frères, je vie dans la merde, alors on s’entraide. Dans cette ville, si tu veux survivre, faire de l’argent, tu dois outrepasser les différences. C’est le business ».
49
proximités : « The common tool for communication in the UK is the mobile. You know that is
cheaper, and easier for work, I never had problem to get my friends on mobile, and some
don’t write english very well » (Samuel)26.
-Le téléphone portable, un moyen de contourner les démarches institutionnelles
d’intégrations.
Dans un contexte d’intégration difficile, le migrant va utiliser ses relations afin de trouver des
moyens d’adaptations. Augustin, nigérian de 22 ans, qui n’arrive pas à être régularisé va
organiser son intégration dans le quartier d’Hackney en utilisant ses contacts. C’est dans ce
système d’échange que l’on peut considérer qu’un ami représente une ressource qui protège,
qui socialise, et qui à terme, peut devenir un capital d’installation dans la mobilité. C’est en
articulant cette mobilité avec la connectivité qu’une personne sera en mesure de trouver une
place dans la société d’accueil. Prenons la situation de Karim, arrivé à Londres de manière
clandestine, n’ayant ni domicile, ni travail, mais parvenant à s’adapter à ce nouveau contexte
en utilisant toute opportunité : « I work once a week with michæl in the telecentre, I help
Samuel on the market in Brixton, I sell some food with Temi in Camden Town. I travel every
day, waiting for a call, to make money »27. L’intégration dans un espace d’accueil est facilitée
par l’individu, et les relations entretenues, plus que par des démarches formelles ou la société
en général. Se développe ainsi une sorte de solidarité spontanée entre les migrants, le rôle des
connexions se placent au-dessus des contextes économiques ou politiques défavorables.
Michael résume parfaitement cette idée : « when a new customer is coming, and he starts to
ask me about the way to find work, or flat; I just tell him, the more people you know, the
easier it is going to be for you to find. So just look around you, and don’t be shy»28. Ainsi, la
toile relationnelle que le migrant a tissée autour de lui va lui permettre de se détacher
spontanément d’un milieu dans lequel il s’est installé. L’individu peut changer de milieu
géographique, tout en gardant son réseau relationnel.
26 : traduction : « Le portable est le moyen de communication le mieux approprié au Royaume-Uni. C’est moins cher, plus simple pour le travail ; je n’ai aucun problème pour joindre mes amis, et certains ne parlent pas bien anglais ». 27 : traduction : « Je travaille une fois par semaine avec Michael au cybercafé, j’aide Samuel sur les marchés de Brixton, je vends des repas à Camden Town avec Temi. Je circules tous les jours, en attente d’un coup de fil, et de gagner de l’argent ». 28 : traduction : « quand un nouveau client arrive et qu’il me demande comment trouver du travail ou un logement, je lui dit simplement que plus on connai de gens, plus ce sera simple de trouver. Alors regarde autour de toi et ne soit pas timide ».
50
Cette organisation du « migrant connecté »29 se rapproche de l’analyse théorique de
Dominique Boullié (1999), qui établit un néologisme avec sa notion « d’habitèle »,
correspondant à « l’appropriation matérielle et symbolique d’un espace de réseaux ». Il met
cette analyse en parallèle avec le fait que l’être humain à toujours habillé son statut social de
plusieurs peaux (l’habitat, l’habit, l’habitacle). Nous passerions donc d’un régime basé sur la
propriété (symbolisé par l’habitat) à un régime fondé sur l’usage de ressources contrôlées par
un réseau de prestataires (symbolisé par « l’habitèle »), offrant ainsi aux migrants une plus
grande autonomie. Nous parlerons donc moins d’intégration institutionnelle, mais
d’installation relationnelle, la vie du migrant étant organisée en mobilité (Diminescu, 2002
[a]).
-Le téléphone portable : l’adresse virtuelle et informelle du migrant.
Le téléphone portable, dont l’usage s’est beaucoup développé, est un moyen de
communication accessible pour tous, quel que soit le niveau d’intégration et de régulation. Le
migrant peut donc atténuer ses difficultés d’intégration en utilisant son téléphone portable
comme une sorte d’adresse anonyme, servant à organiser sa vie en société. Le cas de Karim
est ici très représentatif. N’ayant pas de logement, il ne peut acquérir de téléphone par lui-
même. C’est donc Michael, qui l’emploi pour des activités annexes dans son cybercafé
(ménage et travail à la caisse), qui lui a fournit le téléphone : « Michael bought me a phone,
and he sends me messages regularly to know when I must come to work »30. Afin de
contourner les démarches administratives coûteuses comme la déclaration d’un employé dans
le cybercafé, et risquées pour Karim (en situation irrégulière), Michael a préféré prendre en
charge l’achat du téléphone de Karim et le paiement de son abonnement pour le faire
travailler. Le téléphone devient donc une arme, un véritable outil stratégique pour le migrant
en situation précaire. La boite vocale fait office de secrétariat, le numéro de téléphone
d’adresse, et dans sa mobilité physique, le migrant reste constamment disponible. Son identité
demeure institutionnellement anonyme, son portable devenant le support matériel de ses
appartenances citadines. Dana Diminescu (2004) parle « d’identité numérique », le migrant
n’ayant aucune attache physique au territoire. Grâce à cette technologie, il peut s’affranchir de
toutes les démarches administratives qui laisseraient des traces de sa présence. Son identité,
29 : La migration n’est plus vécue comme une mobilité entre deux cultures distinctes, marquée par des relations indépendantes les unes des autres, mais une relation quotidienne de proximité (mail, téléphone, Skype, Msn). Nous avons donc à faire à une nouvelle figure du migrant qui se déplace et fait appel à des alliances extérieures à son groupe sans se détacher de sa culture d’origine (Diminescu, 2006). 30 : traduction : « Michael m’a acheté un téléphone portable, et il m’envoit des messages régulièrement pour me dire quand je dois venir travailler ».
51
aux vues de ces relations dans la société est virtuelle, et lui permet de s’installer réellement
dans un espace physique, en se l’appropriant.
-Des habilités relationnelles qui peuvent se transformer en compétences productives.
Dans un procédé relativement naturel, les migrants vont réussir à utiliser ces réseaux
relationnels pour en tirer un avantage économique. Samuel vend une multitude de produits
variés sur les marchés, et grâce à ses relations, il s’adapte aux différents types de clientèles
suivant les localisations : « I adapt my self to the place, to the market. I mean, in Brixton I’m
specialized in many traditional and typical (il rit), from my own country, because there is
tourist who enjoy this kind of products. Unlike in Hackney, I sell food, duvets, watch, useful
goods, for everyday life » (Samuel)31.
Constamment accroché à son téléphone afin de se renseigner sur les évènements susceptibles
d’attirer du monde, il circule d’un quartier à l’autre de Londres pour vendre ses marchandises
dans toute la ville : « The more places we have, the more money we get. Here, there is the
market in Hackney central, every day, but we see people especially on week end, when they’ve
got spare days. During the week, I go to Brixton on Monday and Tuesday, it is maybe the
biggest one, and there are many tourists. And Thursday and Friday, I go to Woolwich and
Abbey wood, in far east London, many nigerian are living there, I’ve got a couple of mate
there, we do some business together » (Samuel)32.
Grâce à ses relations et à sa mobilité, il a réussi à faire de cette activité une ressource
productive lui offrant une situation relativement stable.
Son réseau de connaissances ne se limite cependant pas à des membres de la communauté
congolaise, il travaille avec tout le monde, afin de tirer le plus de profit de son activité.
L’organisation est très hiérarchisée, les contrats reposent sur la parole et la confiance : « In
this work, you must know your workingfellows; you must trust them, in order to have good
relations. Everything is regulated by talk, there is no contract, nothing is written, it is
informal, and so you must be very clean » (Karim)33. « People you don’t know very well are
quite distrustful. They fear about there markets. You need time to trust a foreigner. We work 31 : traduction : « Je m’adapte à l’endroit, au marché. Je veux dire, à Brixton, je suis spécialisé dans les marchandises traditionnelles de mon pays, parce que les touristes aiment ce genre de produits. Alors qu’à Hackney, je vends des repas, des couettes, des montres, des trucs utiles pour la vie de tous les jours ». 32 : traduction : « Plus on connait d’endroits, plus on gagne d’argent. Ici, il y a le marché d’Hackney, tous les jours, mais on voit du monde essentiellement pendant les jours de congé et le week-end. Pendant la semaine, je vais à Brixton les lundi et mardi, c’est sûrement le plus grand, plein de touristes. Les jeudi et vendredi, je vais à Woolwich et Abbey Wood, dans l’est de Londres, où vivent beaucoup de nigérian ; j’ai quelques collègues avec qui on fait des affaires ». 33 : traduction : « Dans ce travail, tu dois connaître tes partenaires. Tu dois leur faire confiance, afin d’entretenir de bonnes relations. Tout est réglé oralement, il n’y a pas de contrat, rien n’est écrit ; c’est informel, alors on doit être réglo ».
52
in a jungle, and we are conscious that everybody can try to steal our market » (Samuel)34.
Par leurs réseaux, les petits commerçants vont pouvoir anticiper les changements et s’adapter
perpétuellement aux évolutions des marchés et de la demande. Cette situation rejoint en tout
point l’analyse d’Alain Tarrius (2002), qui parle « d’économie nomade ». A travers cette
organisation, le migrant va trouver une place dans l’activité économique du pays, Tarrius
parle « d’intégration par le bas », dans le sens où le migrant contourne les circuits
institutionnels et s’installe pleinement dans la société.
Cependant, cette organisation n’est pas fermée, elle ne marche que par l’articulation avec les
autres espaces urbains du pays, comme Samuel qui étend son activité dans les différentes
villes d’Angleterre : « I’ve got fellows in Manchester, Liverpool, Birmingham, Brixton (petite
pause), and many in Brighton. That’s work my friend you know, If I want to eat, in this city, I
must be organised and connected. We keep up-to-date all together about events, festival, big
markets, and any event likely to attract population, and make money »35.
Ainsi, dans un contexte de mondialisation, ce système de réseau informel d’activité
économique ressemble parfaitement à une nouvelle forme d’extension du capitalisme
(Tarrius, 2002). Forme dans laquelle l’individu va articuler différents espaces, à savoir le
territoire d’accueil, le pays d’origine et les multiples places de la diaspora, ce qui fera l’objet
de ma seconde partie.
Pour conclure je me contenterai de citer Dana Diminescu (2002 [a]) qui dit : « Dans
les sociétés d’accueils, ce support technique (le téléphone mobile) a généré l’apparition de
différents mécanismes d’intégrations sociales spontanés, multiples et individuels qui ont
suppléé d’une manière informelle au dispositif de l’intégration institutionnelle ».
b) Au niveau transnational : Les TIC comme support de l’intégrité identitaire et
de l’activité économique.
De nos jours, la notion « d’espace virtuel » prend tout son sens dans l’étude sur les
migrations. Développée par Myria Georgiou (2002 [a]) et Dana Diminescu (2006), elle
consiste à dire que le migrant définit son identité non pas par rapport à un territoire, mais par
rapport aux relations et échanges qu’il entretient avec les membres de sa communauté par
34 : traduction : « Les gens qu’ont ne connait pas bien sont très craintifs. Ils ont peur pour leurs marchés. Tu as besoin de temps pour faire confiance à un étranger. On travaille dans une jungle, conscient que quiconque peut nous piquer notre marché ». 35 : traduction : « J’ai des collègues à Manchester, Liverpool, Birmingham, Brixton, et beaucoup à Brighton. C’est le travail mon ami, si je veux manger, je dois être organisé et connecté. On se tient au courant des évènements, festivals, grands marchés, et tout ce qui serait susceptible d’attirer des gens et de faire de l’argent ».
53
l’intermédiaire d’emails essentiellement : « the longer is the distance, the better is the
Internet » (Samuel)36. A travers l’articulation avec les différentes sphères de la diaspora, et les
relations entretenues avec le pays d’origine, le migrant à la capacité d’orienter ces réseaux
vers une organisation économique transnationale, qui reste cependant à un état embryonnaire.
Bien que ces organisations économiques ne soient pas encore très développées, Internet
représente un moyen de « contrôler » les transferts d’argent vers le pays d’origine et
l’investissement qui en est fait.
-« l’espace virtuel » transnational : un outil de pérennisation identitaire.
Dans cette partie, nous nous appuierons essentiellement sur l’expérience des quatre togolais
rencontrés à « Hackney.com », tous membres de « Diastode », véritable portail identitaire de
la communauté togolaise.
Ce site, développé à l’initiative de membres de la diaspora togolaise, mais accessible à tout
individu, est un portail très représentatif de l’usage d’Internet comme support de l’identité.
Ainsi, mes connaissances concernant ce portail proviennent des discussions avec mes quatre
interlocuteurs, mais aussi du « surf » régulier sur le site. Afin de donner un aperçu général de
l’opportunité que représente ce site dans le dynamisme identitaire de la diaspora, je vais
exposer les différents domaines virtuels auxquels il est consacré :
-Un portail sur l’aide des nouveaux arrivants, donnant des indications sur les opportunités
professionnelles à Londres, des conseils sur l’acclimatation à l’espace d’accueil à partir de
différents témoignages et des expériences migratoires diffusées sur le site par les anciens
migrants. Par l’intermédiaire de ce portail, le migrant va donc obtenir un ensemble
d’informations sur la société d’accueil, ayant un effet de « pré socialisation ». « But actually
Diastode is not a forum, I’m publishing some articles on the website, I pay for my adhesion,
it’s completely different. It seems to me important to share my ideas, feelings, point of view
about what is happening here in London, to give some advices about the integration in this
city » (Faure)37.
-Un deuxième portail sur l’ensemble des évènements à travers le monde, concernant la
diaspora togolaise de manière plus générale. Une sorte de support communautaire qui
véhicule toute information concernant les spectacles, expositions, concerts, publications de
journaux, programmes de radio ou même offres d’emplois (voir capture d’écran n°4 page 53).
36 : traduction : « Plus la distance est longue, plus Internet est approprié ». 37 : traduction : « mais en fait Diastode n’est pas un forum, je publi quelques articles sur le site, et je paye pour mon adhésion, c’est complètement différent. Cela me paraît important de partager mes idées, mes sentiments à propos de ce qui se passe à Londres, pour donner quelques indications sur l’intégration dans la ville ».
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Capture d’écran n°5 : Exemple de publications des membres de la diaspora sur « Diastode », extrait de
« www.diastode.org ».
-Enfin, un forum de discussion est mis en place, concernant des thèmes très large allant des
processus migratoires à l’étude des racines en passant par la vie dans l’espace d’accueil. A
travers ce forum, les migrants togolais vont pouvoir développer des solidarités spontanées,
avec des membres géographiquement éloignés, mais dont l’origine partagée va atténuer la
distance. A travers le partage des expériences et des idées concernant la définition de leur
identité, les participants au forum vont parvenir à créer et entretenir un amalgame autour de
leur identité reconstruite sur un terrain virtuel transnational. « That’s through Diastode that
we keep up the vitality of our community. And even more, we manage to remote from the
traditional isolation of each community in the host country, we are well connected, and aware
about our common belongings throughout the world » (Salomon)38.
38 : traduction : « C’est grâce à Diastode qu l’on entretient la vitalité de la communauté. Même plus, on arrive à s’éloigner de l’isolation habituelle des groupes de migrants dans les pays d’accueils ; on est bien coordonné, et conscient de nos appartenances communes à travers le monde ».
55
L’analyse de Mihaela Nedelscu (2002) appuie parfaitement l’idée qu’Internet devient un
support identitaire transnational pour les diasporas. Selon elle, la nature égalitaire du Net,
reliée à l’anonymat possible des usagers, devient un moyen d’auto valorisation à la fois
symbolique et sociale. Autrement dit, c’est un outil qui permet de négocier, bricoler,
juxtaposer et affirmer des identités difficilement recomposables en situation migratoire.
Je voudrais rattacher cette analyse au travail de Riva Kastoryano (2002 [b]) sur la notion de
« transnationalité ». Selon elle, l’établissement de ces réseaux transnationaux aura
essentiellement deux impacts dans l’étude des migrations :
Le migrant ne se définira ni par son appartenance à son pays d’origine, ni par son
appartenance au pays d’accueil, mais par une identification à une communauté transnationale
qui articule ces deux espaces. L’attachement au territoire d’origine est émotionnel et
sentimental, il est entretenu par le développement d’associations, la création de sites Internet,
les discussions sur les forums et l’envoi d’emails à la famille restée au pays. C’est en ce sens
que le territoire d’origine reste le symbole d’un passé identitaire commun. En parallèle, le
migrant va organiser sa vie en société dans le pays d’accueil. Cette combinaison va lui
permettre de créer une unité dans la diversité et la dispersion (des membres de la diaspora).
C’est pourquoi, dans l’étude des diasporas, nous devons aujourd’hui faire une différence entre
la citoyenneté (l’organisation sociale et économique du migrant dans l’espace d’accueil), et la
nationalité (l’appartenance à un réseau transnational complètement déterritorialisé). Ceci
amenant au second point : le nationalisme sans territoire.
Dans le réseau d’appartenance transnational, le maintien de l’identité commune se fait sur un
terrain virtuel, qui permet de coordonner les différentes places de la diaspora, sorte de noyau
d’une nationalité qui s’exprime au-delà des frontières. L’appartenance est donc complètement
déterritorialisée. La notion de nationalité se détache donc clairement de l’appartenance et de
l’identification à un Etat ou un territoire, pour ce qui concerne les diasporas. L’ensemble des
communautés dispersées et localisées (dans leur espace d’accueil) est articulé, dans un espace
d’appartenance national « aterritorial ». Par l’usage des Technologies de l’Information et de la
Communication, les modes d’actions et d’identifications du migrant sont devenus
complètement déterritorialisés.
Enfin, dans le but de nuancer cette analyse, je voudrais mettre l’accent sur le fait que ce
réseau relationnel transnational, créateur d’identité, n’est ni général, ni automatique. Les
membres de la diaspora doivent constamment dynamiser et entretenir les réseaux, afin de faire
perdurer ce sentiment d’appartenance commune. Autrement dit, la solidarité transnationale
56
n’est pas innée, elle doit au contraire être « auto construite » et « intra pensée ». Pour ne
donner qu’un seul exemple, je vais citer Wilson, le kenyan que j’ai rencontré à
« Hackney.com »: « The more you are internationally connected, the more you have the
opportunity to develop a common feeling across boundaries. I’m not linked, or involve in a
kenyan network, which doesn’t really exist by the way. I’m here isolated in my city, and I
don’t feel kenyan, I don’t even feel english, I feel from nowhere »39.
-Internet : un support de l’organisation économique des diasporas aux résultats encore limités.
• Une organisation économique transnationale encore très sporadique.
L’usage d’Internet permet aux migrants de coordonner leurs activités économiques entre
les différents lieux d’établissement de la diaspora, tous articulés au pays d’origine. Grâce à cet
outil, le migrant peut faire jouer l’avantage d’être présent dans deux pays à la fois. L’envoi de
marchandises provenant du pays d’origine, le déplacement entre les différents centres de la
diaspora sont à l’image d’une véritable « économie de fourmis », dans le sens où les mobilités
transfrontalières sont de plus en plus importantes, en terme de flux de populations et de
capitaux : « It is important for us to know what is happening in other countries, about
economic opportunities. Actually, I am often connected with my mates in the US, and in
France, and we organize our business relative to the season, the economic situation, the
demand in each country. Each of us then, is in relation with his country to oriented goods
towards the good place »40. «Yes, I’m going to Paris once or twice a year, when there are
some great events, which are attracting tourists; and also in my homeland, to bring big
amounts of goods » (Samuel)41.
A travers ces témoignages, nous pouvons considérer que « ces entrepreneurs sans
entreprises » (Diminescu, 2002 [b]) s’intègrent dans des circuits globaux dans le champ des
migrations internationales. Autrement dit, de plus en plus de migrants savent profiter de leurs
mobilités transfrontalières, et de leurs implications dans ces réseaux transnationaux afin de
transformer une habilité relationnelle en véritable compétence productive, économiquement
efficace.
39 : traduction : « Plus tu es connecté dans les réseaux internationaux, plus il est simple d’entretenir un sentiment d’appartenance commune au delà des frontières. Je ne suis pas vraiment impliqué dans la diaspora kenyan, qui n’existe pas vraiment. Je suis isolé, je ne me sens ni kenyan, ni anglais, je me sens de nulle part ». 40: traduction : « C’est important pour nous de savoir ce qui se passe ailleurs, à propos des opportunités économiques. Je suis en relation avec mes collègues aux Etats-Unis, en France, et on organise notre business selon les saisons, la demande. Nous sommes tous reliés au pays d’origine pour orienter les marchandises ». 41 : traduction : « Je vais à Paris une à deux fois par an, pour les grands évènements, qui attirent du monde, mais aussi dans mon pays, pour ramener des marchandises ».
57
Cependant, ces opportunités économiques restent très sporadiques, et le manque de
coordinations avec les autorités des pays d’origines rend difficile le véritable développement
d’organisations économiques « institutionnalisés », qui pourraient être un moyen de revitaliser
les économies dans les pays en développement, pour lesquels la communauté migrante est
importante. Les gouvernements des pays d’origines ont encore énormément de mal à contrôler
leurs migrants et leurs activités afin de tirer parti du capital humain et matériel qu’ils
représentent. D’autant plus que les membres des diasporas organisent leurs activités dans des
perspectives qui restent concentrées au cercle de la famille élargie.
Les programmes développés par les gouvernements comme celui instauré par l’Erythrée en
1997 émane d’un effort des dirigeants de ce pays pour orienter « le capital diasporique » vers
le pays d’origine. Ce programme consiste à reconnaître le migrant comme érythréen
seulement s’il accepte de reverser deux pourcent de ses salaires à l’Etat. Comme me l’a
longuement souligné Faytinga à « Hackney.com », bien que partant d’une idée
économiquement intéressante, cette « institutionnalisation » de la diaspora a été vécue par les
migrants érythréen comme une atteinte à leur autonomie, et un désir de profiter de leur
« réussite professionnelle » personnelle. Bien que la mise en place de programmes de ce type
provienne d’une bonne intention de la part de l’Etat, les résultats ne sont jamais très probants.
L’organisation d’une articulation économique entre la diaspora et le pays d’origine, de
manière institutionnalisée, doit être précédée d’un véritable travail en amont qui pourrait
sensibiliser le migrant aux réelles opportunités que peuvent représenter ces programmes.
• Un moyen d’orienter les fonds transférés vers le pays d’origine.
A partir des enquêtes de terrain, nous avons remarqué qu’Internet représentait un moyen
pour le migrant de transférer son argent de manière sûre et fiable. Il existe un organisme, géré
par Internet, appelé « money express » qui permet le transfert d’argent vers le pays d’origine.
Les offices sont nombreuses, à la fois en Angleterre, mais aussi dans la plupart des pays
d’Afrique. Bien que le système de transfert ne se fasse pas directement par le biais du Net
(l’argent étant envoyé par les bureaux en Angleterre), le site permet un suivi régulier de
l’évolution des transferts, mais donne aussi des possibilités de modification ou d’annulation.
La plupart des personnes rencontrées à « Hackney.com » utilisent ce moyen, à la fois très
sécurisé et facile à utiliser : « That is a great organism, there are three offices in the UK, and
a great number in Togo. It’s possible to send Cash to cash, cash to bank account, it’s very
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flexible » (Faure)42. « As many migrants, I use the money express organism, and control
transactions through the Internet. It is well securised and easy for them to get the money »
(Samuel)43.
De plus - et c’est essentiellement ici que nous pouvons prendre la réelle mesure de l’avantage
économique apporté par cet outil – le migrant peut suivre, de manière régulière et assidue,
l’utilisation qui est faite de l’argent qu’il envoit. Par l’intermédiaire de cet outil, il va se tenir
régulièrement informé de l’avancée de la construction d’une maison, du placement de l’argent
dans l’achat d’une terre, du développement d’un petit commerce. D’autant plus qu’il peut
aussi se tenir au courant du contexte économique dans son pays d’origine, et orienter
l’investissement de l’argent vers des secteurs économiquement plus bénéfiques: « Then, with
the spare money, he saves that, the principal goal being to invest in a land around the city »
(Samuel)44. Le migrant devient, dans cet espace virtuel, un véritable entrepreneur, qui gère
son entreprise virtuellement, à des milliers de kilomètres du lieu d’investissement. Si on met
en relation ce système de transfert à la fois sécurisé, bien orienté et organisé, avec le poids
chiffré que représentent les transferts d’argent des migrants vers les pays d’origines, cela
donne un aperçu de l’influence économique de la diaspora. En effet, sur une échelle globale,
les transferts s’élèvent à soixante-dix billions de dollars par an, ce qui représente plus que le
montant des trafics de drogue, mais aussi plus que le montant global de l’aide internationale
accordée par le FMI aux pays en développement (Bonjawo, 2002).
D’une manière générale, nous pouvons conclure qu’à l’échelle transnationale, l’apport
économique des diasporas n’est pas négligeable. Face à leur implication rapide et assez
généralisée dans les circuits des TIC, les migrants ont diversifié leurs activités, étendu leurs
espaces de commerces, et contrôlé les transferts vers les pays d’origines. Cependant,
l’opportunité économique que pourrait représenter les TIC pour les pays d’origines semble
encore très limitée. Le manque de coopération des trois acteurs, à savoir le pays d’accueil, le
pays d’origine, et les membres expatriés, empêche pour le moment de tirer parti du capital
intellectuel et matériel de la diaspora (Meyer, 2003).
42: traduction: « C’est un bon organisme, il y à trois bureaux au Royaume-Uni, ainsi qu’un grand nombre au Togo. Il est possible d’envoyer du liquide, mais aussi du liquide vers des comptes en banques, c’est très flexible ». 43 : traduction : « comme beaucoup de migrants, j’utilise l’organisme money express, et je contrôles les transactions par Internet. C’est très sécurisé, et facile pour eux d’obtenir l’argent ». 44 : transaction : « Ensuite, avec l’argent qu’il reste, il le met de côté, le principal but étant d’investir dans un terrain autour de Lomé ».
59
D’une manière générale, les avantages économiques que représentent l’usage du Net dans
l’espace transnational ne touchent pour le moment que la sphère de « la famille élargie », les
initiatives restant généralement privées et personnelles, plus que publiques et institutionnelles.
Dans le but de rendre plus compréhensible cette articulation entre l’intégration, l’intégrité
identitaire et l’organisation économique, j’ai réalisé un schéma qui met en valeur les
principaux aspects de ce système (voir schéma n°2 page 60).
Pour finir, je voudrais mettre l’accent sur l’interpénétration des échelles. Si dans l’espace
local, à savoir la ville de Londres, le migrant arrive à organiser sa vie en société, et à
développer des activités productives, c’est en parti par les coordinations qu’il entretient :
- au niveau national, par sa connectivité, ainsi que ses déplacements vers les autres villes
anglaises.
- au niveau transnational, par sa mise en réseau avec les différentes places de la diaspora
(générateur d’une identité reconstruite), qui se traduit dans l’espace d’accueil par une plus
grande reconnaissance de son identité propre. Mais aussi par une extension de ses
coopérations commerciales ou professionnelles, vers des sphères plus élargies (mobilités
transnationales, connectivités étendues…etc.).
-par rapport au pays d’accueil : bien que géographiquement éloigné, il peut avoir un contrôle
sur l’investissement des fonds transférés et entretenir des contacts plus réguliers.
C’est en considérant cette articulation des différentes échelles d’appartenances du migrant que
l’on peut plus précisément analyser son implantation dans la société d’accueil.
Pour terminer, revenons sur un aspect primordial de cette analyse : à travers les enquêtes
réalisées, nous remarquons qu’à l’échelle transnationale, le réseau d’appartenance du migrant
était essentiellement intra-communautaire, c'est-à-dire limité à son groupe d’origine.
60
Schéma n°2 : Les TIC : un outil d’intégration, d’intégrité identitaire et d’organisation économique. (Stebig Jonathan)
Entretien de
l’identité
Adresse virtuelle du migrant : secrétariat du
pauvre
Moyen de contourner les circuits formels d’intégrations
Habilités relationnelles transformées en
compétences productives
61
Légende du schéma n°2 :
3) Les TIC : un support de liberté d’expression et de militantisme
politique.
Face à l’appropriation des TIC par les diasporas, nous assistons au développement d’une
« communauté en ligne ». Par l’intermédiaire des emails, des forums, des journaux publiés en
ligne et des sites particuliers à la situation de chaque pays, le migrant a accès à une masse
Echelle locale : moyen de communication privilégié : téléphone portable
Echelle transnationale : moyen de communication privilégié : Internet
Pays d’accueil
Pays d’origine
Différentes places de la diaspora
Retour au pays pour l’approvisionnement en marchandises
Déplacements par rapport aux évènements et festivals (opportunités économiques)
Envoi de marchandises
Transferts d’argents
Echanges de nouvelles : articulation entre les différents espaces d’installations
A un effet sur
62
d’informations très spécifiques, et peut exprimer ses points de vues sur tout type de questions.
Au sein de cette communauté virtuelle, l’expression de la différence est acceptée ; la relative
libre expression permet à tout individu de donner sa vision de la nation et de son organisation.
Ainsi, Internet devient un média alternatif donnant une image plus juste des minorités
diasporiques, comparé à la vision très schématique diffusée dans les médias classiques
(Télévision, radios, journaux), où ces minorités sont souvent représentées comme des
communautés harmonieuses et homogènes. Le migrant se retrouve ainsi intégré dans un
système d’information et d’échange relativement libre et très ouvert.
L’implication des diasporas dans ces réseaux d’informations et de communications va donner
l’opportunité aux migrants de contourner les traditionnelles méthodes de censures dans les
médias classiques, en utilisant des circuits parallèles et alternatifs. Par la mise en réseau, les
informations circulent très vite d’un point à l’autre du globe, ce qui permet une coordination
entre les différents centres de la diaspora. Ainsi, toute dérive nationale va vite prendre une
portée internationale. Nous voyons donc se développer une nouvelle forme de militantisme
politique, qui est à la fois virtuel, aterritorial et « pacifique ».
Cependant, nous verrons que les impacts réels de ce nouveau moyen de lutte politique restent
très limités, le « militantisme virtuel » ne pouvant se substituer à de réelles actions sur le
terrain. Cet espace virtuel serait plutôt un support de libre expression permettant aux migrants
d’être impliqués politiquement dans le pays d’origine.
a) Les TIC : un symbole de libre accès et de démocratisation de l’information et
de la communication.
La démocratisation de l’information est un aspect essentiel d’Internet. Ce nouveau
support a permis de passer d’un système de discussion « d’une personne à plusieurs » (les
médias classiques), à un système de communication de « plusieurs à plusieurs ». Dans cette
perspective, l’appropriation des médias classiques par les gouvernements comme instrument
de propagande, jouant le rôle de vecteur de l’idéologie nationaliste est aujourd’hui
contrebalancée par la véritable liberté d’expression, et de diffusion égalitaire que représente
Internet.
-Une diffusion mondiale d’évènements très localisés.
« I am coming here very often to have some news about what happen in my country. I surf
essentially on two web sites: congoonline.com and congosite.com. It seems to me important to
63
keep a keen eye on the news there, to see the evolution of the situation » (Samuel)45. « I’m
coming once a week to be informed about government decisions, new programs, and all the
stuff » (Faure)46. A travers ces témoignages, nous remarquons que grâce à Internet, les
membres des diasporas ont un moyen libre et facile d’accéder à l’information concernant les
situations dans leurs pays d’origines respectifs, contrairement aux médias classiques
occidentaux, généralement très peu orientés vers l’actualité africaine. La coordination entre
les différentes places de la diaspora permet une diffusion globale de l’actualité, ainsi qu’une
plus grande implication de ses membres : « I have many discussions with my mates in the US
and in France, they are very interested about our country, so we can share ideas » (Faure)47.
Cette diffusion des informations élargie au niveau transnational donne vite une visibilité
mondiale à des évènements localisés.
-Le rôle des diasporas dans la diffusion de l’information sur les réseaux transnationaux.
Tout d’abord, par la création d’une multitude de sites Internet ; c’est notamment le cas de
Michael, qui, avec l’aide de Salomon, a créé un forum sur le Net, dans lequel sont débattus
différents types de questions, relatifs à l’immigration, la politique, l’économie ou la culture en
Afrique. Bien que la fréquentation de ce site reste assez limitée, cela représente un bon
exemple d’initiatives de membres de la diaspora pour la démocratisation de l’information.
Le migrant semble aussi être le mieux placé pour diffuser, dans son espace d’accueil, des
informations qu’il a échangé dans le réseau virtuel. Il devient ainsi une sorte d’intermédiaire
entre l’espace virtuel, et la société civile du pays d’accueil. Reprenons ici l’exemple des
débats organisés à « Hackney.com ». Chacun propose des sujets de discussions divers qui ne
concernent directement qu’une minorité des participants ; ainsi, les données recueillies sur le
Web sont ensuite échangées et discutées avec l’ensemble des clients du cybercafé : « What I
am trying to do is to awake people about different topics very undercovered in the mass
media, and by this way, it is spreading through their own group » (Michael)48.
45 : traduction : « je viens ici pour savoir ce qui se passe dans mon pays. Je surf essentiellement sur deux sites : Congooline.com et Congosite.com. Il me semble important d’être attentif aux nouvelles de mon pays, pour suivre l’évolution de la situation ». 46 : traduction : « Je viens ici une fois par semaine pour m’informer des décisions gouvernementales, des nouveaux programmes, et plus encore ». 47 : traduction : « Je discutes souvent avec mes amis aux Etats-Unis et en France, ils sont très investis dans nôtre pays, alors on peut partager nos idées ». 48 : traduction : « Ce que j’essais de faire c’est d’éveiller les gens sur les sujets peu médiatisés, et ainsi, ils diffusent les informations dans leurs propres groupes ».
64
-Un pluralisme culturel source de richesse et de créativité.
Cette libéralisation de l’information et de la communication, étendue au niveau mondial, est
aussi caractérisée par des échanges interculturels, les gens n’hésitant pas à partager leurs
expériences avec des personnes d’origines, de couleurs ou de cultures différentes : « Yes, I use
Transafricaforum, and Africaforum as well, more general, about different topics concerning
Africa » (Faure)49. « I need to enlarge my knowledge, to overtake the mere internal analysis,
and to know what external people think about our situation » (Salomon)50. Ce pluralisme
d’opinion se retrouve à la fois au niveau transnational, sur un terrain virtuel matérialisé par
Internet (forums de discussion) ; mais aussi au niveau local, les débats organisés à
« Hackney.com » sont marqués par des appartenances culturelles ou sociales souvent
éclectiques et distinctes. Mettons cette analyse en relation avec les travaux d’Alain Iribarne
(1996), qui considère qu’à travers la nouvelle diversité culturelle et sociale que peut apporter
Internet, les minorités diasporiques vont être entendues et mieux reconnues dans leurs espaces
d’accueil. L’expression de la différence devenant une réelle source de richesse et
d’autonomie. Bien qu’il soit utopique de parler d’une société civile transculturelle, Internet
peut être le support de nouveaux moyens de communications plus justes, marqués par une
plus grande égalité des genres, sans hiérarchies de droit. Autrement dit, cet outil peut devenir
le support d’une communauté démocratique ouverte géographiquement, culturellement et
ethniquement (Georgiou, 2002).
A travers les TIC, les minorités diasporiques vont être en mesure de faire ressortir l’immense
diversité qui les caractérisent. En effet, on dénombre plus de cent quarante minorités dans
l’Union Européenne (à quinze), qui sont souvent injustement regroupées dans des groupes
d’appartenances élargis, étant considérées comme culturellement et ethniquement homogènes.
C’est le cas en Angleterre, où l’on regroupe toutes les minorités sub-sahariennes dans le
groupe « black African ». Grâce à Internet, les minorités ont entre leurs mains un média qui
leur permet de donner une vision plus juste de la complexité identitaire existante au sein et
entre les différentes minorités. Ce nouveau moyen d’expression donne une plus juste
considération des migrants, et va à l’encontre de la traditionnelle opposition entre l’européen
et l’étranger (Georgiou, 2003).
Cependant, il me paraît essentiel de nuancer ces propos, étant donné que cet outil peut avoir
un effet diamétralement opposé, et devenir le support d’une dictature de la majorité
49 : traduction : « J’utilise Transafricaforum et Africaforum aussi, des sites plus larges sur l’Afrique en général ». 50 : traduction : « J’ai besoin d’élargir mes connaissances, de dépasser les analyses internes classiques, et ainsi, de savoir ce que les gens de l’extérieur pensent de nôtre situation ».
65
électronique (Ossama, 2003). Les minorités diasporiques doivent se l’approprier et l’utiliser
comme vecteur de différenciation.
Ce système d’information et de communication, relativement indépendant permet de
s’opposer à l’autoritarisme et à la corruption des gouvernements, tant la censure devient
illusoire. A la fois décentralisé et aterritorial, Internet est un terrain sur lequel les Etats ne
peuvent avoir qu’un contrôle très limité. Nous assistons donc à l’émergence de nombreux
débats politiques sur le Net, et a l’organisation d’une nouvelle forme de militantisme : le
militantisme virtuel.
b) Internet : nouveau support d’un militantisme virtuel ?
Dans cet « espace virtuel », le militantisme politique va prendre une nouvelle forme.
Ce nouveau terrain de lutte politique pourrait représenter un moyen de mettre en avant les
problèmes de corruptions, de dégradations de l’environnement, ou d’atteintes aux droits de
l’homme au niveau international. Le caractère aterritorial, transnational et décentralisé de
l’usage d’Internet par les migrants rend son contrôle très délicat pour les gouvernements des
pays d’origines. Cependant, il n’est en aucun cas un moyen de lutte politique qui pourrait
remplacer l’action sur le terrain. L’usage de cet outil concernant des sujets politiques est
essentiellement basé sur le dialogue, l’échange de points de vus, et la prise de position, mais
la mise en place de réels programmes de lutte décentralisée reste limitée et peu efficace pour
l’évolution des politiques internes.
-Internet : un espace politique aterritorial et transnational.
Sur ce nouveau support, le migrant a les moyens de développer un « militantisme virtuel ».
Les complexités de contrôles dues aux caractéristiques d’Internet rendent cette méthode
d’autant plus efficace. De plus, les membres des diasporas ont un accès extrêmement large à
l’information, contrairement aux individus restés au pays. En effet, leurs connexions avec
différentes associations, la maîtrise de l’outil, de la langue, ainsi que l’inscription dans des
réseaux transnationaux sont autant d’éléments qui donnent au migrant une vision plus juste de
la situation dans le pays d’origine. « Of course, I had this discussion with my brother, and we
pointed out that I have more access to the congolese press than most of the congolese who are
still there. The government controls the press, but he cannot control the Internet, that’s why it
66
is very useful for me. I can balance the ideas through different newspapers online »
(Samuel)51.
L’établissement de contacts avec les partis politiques dans les pays d’origines leur permet
d’avoir des informations régulières sur l’évolution dans le pays. Leur rôle dans la diffusion de
l’information va donc s’avérer central. Faure, togolais vivant à Hackney et étudiant à LSE, est
très impliqué dans la politique de son pays. Partisan de « Union Force for Changes » (UFC),
le principal parti de l’opposition, il a su, lors des élections d’avril 2005 utiliser ses relations
pour diffuser des informations concernant les problèmes de fraude électorales vers, les
différentes ambassades, les bureaux de presse à Londres, les sites Internet, (essentiellement
« Diastode »), ou encore des réseaux d’activistes comme le « Nobordercamp », projet
européen créé en 2002, réunissant des activistes politiques, des migrants et des artistes de
toute l’Europe52 (voir capture d’écran n°4 page 66) : « We were all of us in steady contact
home with members of the parties, who gave us information about how things were spending
on the field. Then, thanks to Diastode, we were trying to expand the information about
undemocratic situation held by the party in power through the Web-site to have a broaden
impact on the international sphere » (Faure)53.
Grâce à Internet, il suffit qu’une information soit découverte par un activiste pour qu’en
moins d’une heure, elle soit diffusée dans l’ensemble du réseau relationnel transnational.
Cette organisation transnationale peut se transformer en un réel outil de pression et de
négociation politique. Articulé avec différentes associations, dans un espace mondialisé, le
migrant va entreprendre une lutte politique qui est à la fois aterritoriale, transnationale et
décentralisée (Kastoryano, 2004). Cette organisation en réseau s’articule à l’intégration
sociale du migrant dans son espace d’accueil. Autrement dit, il va utiliser Internet, comme
source d’information, de débat, et de communication transnationale pour ensuite, diffuser ces
informations dans l’espace d’accueil. C’est par l’articulation entre ces deux sphères
d’appartenance qu’il va optimiser son action et son implication dans le militantisme.
51 : traduction : « J’ai eu cette discussion avec mon frère, et on a remarqué que j’avais plus accès à la presse congolaise que la plupart des habitants du pays. Le gouvernement contrôle la presse, mais il ne peut contrôler Internet, c’est pourquoi cet outil m’est très utile. Je peux nuancer les idées à travers les différents journaux publiés en ligne ». 52 : Ce projet consiste à créer « un laboratoire de résistance créative et de désobéissance civile ». Site Internet : www.nobordercamp.org. 53 : traduction : « Nous étions tous en contacts réguliers avec les membres des partis qui nous donnaient des informations sur l’évolution de la situation sur le terrain. Ensuite, grâce à Diastode, nous essayons d’étendre, via le web, les pratiques anti-démocratiques développées par le parti au pouvoir afin d’avoir un impact plus fort dans la sphère internationale ».
67
Capture d’écran n°6 : présentation générale et historique de l’association « Nobordercamp », extrait du site
« www.nobordercamp.org ».
68
-Internet : un terrain de débat qui ne peut se substituer à la lutte sur le terrain.
Cependant, cette lutte politique « virtuelle » n’a rien à voir avec l’action sur le terrain : « I like
to have some discussion with my brother, he lives there, so it is interesting to know how he
feels things, because it is completely different for him » (Samuel)54.
Internet est tout d’abord un espace dans lequel le militantisme reste pacifique. L’envoi d’un
email ou l’échange d’informations avec des bureaux de presse étrangers ne représente en
aucun cas des risques pour le migrant, qui par définition, n’est plus sur son territoire national.
Contrairement aux activistes politiques, membres des partis de l’opposition risquant leur vie
chaques jours, face à des partis qui n’hésitent pas à utiliser la force pour réduire au silence des
opposants politiques : « For example, two of my friends have been killed the day after the
elections in Togo. And one was absolutely not implied in politics, that’s why it’s even more
dangerous » (Samuel)55. « If you want, there, to invest yourself in the political actions, you
life is every day endangered, you cannot know if you will be still alive day after day, each
sunset is a kind of chance » (Salomon)56.
De manière isolée, cette nouvelle forme de « militantisme virtuel » ne peut avoir aucun
impact sur les situations politiques. Les différentes connexions de Fauré lui ont permis de
donner une visibilité de la situation au Togo plus étendue. Cependant, les seuls résultats
obtenus résident dans la publication d’un article sur le Web et l’organisation d’un séminaire à
« Africa Centre » (association responsable de l’intégration africaine à Londres) sur les
élections au Togo, ce qui reste assez limité : « it is not by debating, organising seminaries or
whatever that the situation will evolve overthere » (Faure)57.
Faure et ses compatriotes, très impliqués dans la politique intérieure du Togo sont d’ailleurs
entièrement conscients que leurs actions n’ont qu’une infime influence sur la situation au
Togo: « Man, that’s impossible for us to have any impact on what’s happening there, that’s
it»58. L’action sur le terrain reste le seul moyen efficace d’avoir de l’influence sur la politique
d’un pays : « Things can evolve only on the field, by physical actions. The associations, or all
the stuff interested about the political situation in our country are limited, and even if some
54 : traduction : « J’aime discuter avec mon frère, il vit là-bas ; alors c’est intéressant de savoir comment il ressent les choses, parce que c’est complètement différent pour lui ». 55 : traduction : « Par exemple, deux de mes amis ont été tué le lendemain des élections au Togo. De plus, l’un d’eux n’était absolument pas impliqué dans la politique, c’est donc d’autant plus dangereux ». 56 : traduction : « si tu veux t’investir dans l’activisme politique là-bas, ta vie est tous les jours menacée, jour après jour, tu te demandes si tu vas rester en vie, chaque lever de soleil est vécu comme une chance ». 57 : traduction : « Ce n’est pas avec les débats, l’organisation de séminaires, ou quoi que ce soit que là-bas, la situation va évoluer ». 58 : traduction : « Ecoute moi, il est impossible pour nous d’avoir un quelconque impact sur ce qu’il se passe là-bas, c’est comme ça ».
69
important movement are created, the power is still in the hands of political parties home »
(Samuel)59.
Le rôle des membres de la diaspora réside essentiellement dans la diffusion des informations
qui pourraient rendre compte des différentes démarches et procédés anticonstitutionnels
entrepris par les gouvernements dans le pays d’origine. C’est cette balance qui doit être
trouvée afin d’utiliser au mieux ce nouvel outil de lutte. La coordination entre les membres
actifs sur le terrain et les ressortissants à l’étranger peut permettre d’étendre l’impact des
revendications et des causes défendues : « Actually in a sense yes, people abroad are thinking,
discussing and debating, but we are not on the field. But, I think it’s important to find the
balance between both, a part of the movement really active in the country, and another part
who is trying to develop, and enlarge the popularity of the cause defended » (Faure)60.
A travers la diaspora, le Net peut donc devenir un espace de lutte et d’affrontement politique
« aterritorial » et pacifique. Cependant comme le rappel Pascal Egré (2002), le « militantisme
virtuel » ne doit pas être une substitution, l’échange d’informations via Internet n’ayant en
aucune mesure le même impact qu’une manifestation populaire, ou une révolution.
-Internet : théoriquement support d’un militantisme virtuel, concrètement plus espace
d’échange et de débat.
Plus qu’une arme de pression politique, ce terrain virtuel semble avoir une grande influence
sur la prise de conscience, l’échange de points de vues et la diffusion à une échelle
transnationale des situations internes à l’Afrique.
Comme l’expliquent bien les clients « d’Hackney.com », ils utilisent cet outil pour,
indépendamment des partis politiques en place, développer leur propre vision de la politique à
mener par le pays. Leurs organisations et leurs actions politiques n’ont en effet que peu
d’impact sur la situation réelle, mais le fait de partager des points de vue dans leurs réseaux
relationnels permet de maintenir une conscience politique et un intérêt particulier pour ce
qu’il se passe chez eux : « But I’m not sure that people like me are involved to such an extent
that they try to develop this kind of movements. It is of course a new way for us to keep the
59 : traduction : « Les choses ne peuvent changer que par une action physique sur le terrain. Les associations, ou les quelconques entités intéressées par la situation politique dans nôtre pays sont peu nombreuses, et même dans le cas où des mouvements importants sont crées, le pouvoir reste entre les mains des partis politiques en place ». 60 : traduction : « En fait, en un sens oui, les gens à l’étranger pensent, discutent, débattent, mais nous ne sommes pas sur le terrain. Cependant, je penses qu’il est important pour nous de trouver la balance entre les gens très actifs sur le terrain, et ceux qui essayent d’élargir et de populariser la cause défendue ».
70
country in touch, and to remain interested about it. But far away the idea to fight for political
rights » (Samuel)61.
L’usage d’Internet permet donc de rester impliqué dans l’activité politique, et d’étendre sa
conscience politique à travers les réseaux locaux, nationaux et transnationaux ; cependant, les
résultats concrets restent très limités : « people are aware, but what’s happening? is the
corruption in political sphere in Africa is erased? is the government enhancing the policies?
Even if people become aware about that, they don’t have influence » (Salomon)62.
L’articulation de certains groupes de militants membres de la diaspora, comme les togolais de
Hackney, permet aux partis d’être mieux représentés dans la sphère internationale. Lorsque
qu’on sait que les communautés togolaises sont présentes dans une multitude de pays (ceux
que j’ai rencontrés avaient des relations avec des togolais vivant en France, aux Etats-Unis, en
Angleterre, au Canada), nous pouvons en déduire que ces actions politiques sur le terrain
virtuel ont un impact sur la politisation de la diaspora : « My actions are perhaps
unproductive, but I share ideas, I’m politically engaged and I try to keep a contact with the
political member of UFC in Togo » (Faure)63.
Nous sommes donc face à un réel problème. L’usage d’Internet à des fins politiques ne
touche qu’une partie de la communauté diasporique, et encore moins dans le pays d’origine.
Cet outil n’est donc pas encore un véritable levier de transformation à l’intérieur du pays pour
l’exilé politique. D’autant plus que la marge de manœuvre virtuelle qu’offre Internet
décourage la plupart des militants d’un engagement réel dans la société. Les plus impliqués
dans l’activisme politique se contentent aujourd’hui de cette petite fenêtre de liberté qu’offre
le Net : « I do my best… Even if I’m not on the field, I try to inform all my fellows in the
network, and I’m connected home with some political parties » (Faure)64. Pour donner une
vision plus claire de cette liberalisation de l’information, de la communication et de l’action
politique via Internet, j’ai réalisé un schéma faisant ressortir les principaux aspects de cette
organisation (voir schéma n°3 page 71).
61 : traduction : « Comme moi, je ne penses pas que les gens soient investis au point de créer des mouvements de grande envergure. C’est effectivement un nouveau moyen pour nous de garder contact avec le pays, et de rester sensibilisé. Mais on est loin de l’idée de se battre pour des droits politiques ». 62 : traduction : « Les gens sont conscients, mais que se passe t’il ? Est-ce que la corruption politique en Afrique a disparu ? Est-ce que les gouvernements améliorent leurs politiques ? Même si les gens se sentent concernés, ils n’ont aucune influence ». 63 : traduction : « Mes actions ne sont peut-être pas efficaces, mais je partage mes idées, je suis politiquement engagé et j’essaye d’entretenir un contact avec les partisans politiques de l’UFC au Togo ». 64 : traduction : « Je fais de mon mieux… Même si je ne suis pas sur le terrain, j’essayes d’informer toutes mes relations sur le réseau, et je suis connecté avec certains partis politiques de mon pays ».
71
Schéma n°3 : Internet : démocratisation de l’information et de la communication : outil de pression politique (Stebig Jonathan) Légende :
Relations avec les partis politiques :
« Militantisme virtuel »
Diffusion des
évènements sur le réseau virtuel :
Démocratisation de l’information
Communications
libres : Forums, Emails, Msn,
Skype
Activistes sur le
terrain
Situations politiques localisées
Meilleur accès à
l’information
Entretien de la
conscience politique
Reconnaissance des minorités
Militants politiques exilés : Contact avec les associations
Pays d’origine Pays d’accueil Réseau Internet
Potentiel moyen de pression sur les gouvernements et leurs politiques
72
Les TIC sont à l’origine d’une réelle démocratisation de l’information et de la
communication. Par l’articulation entre les différents réseaux d’appartenance, la situation
dans les pays d’origines va atteindre une portée internationale. La coordination entre les
membres de la diaspora et les militants politiques dans le pays d’origine permet de donner une
visibilité internationale à des événements très localisés. C’est grâce à l’inscription du migrant
dans les réseaux transnationaux, et à ses relations avec certaines instances publiques et
chaînes d’activistes dans les différents pays d’établissement de la communauté, que des
situations de fraudes politiques, de corruptions ou encore de dégradations de l’environnement
vont éclater au grand jour. Cette interpénétration des échelles va être à l’origine d’une prise de
conscience politique généralisée pour les membres des diasporas.
Néanmoins, la transformation de ces réseaux politisés en un réel instrument de pression
politique nécessiterait un investissement de la communauté toute entière, ainsi qu’une
articulation accrue avec les partis politiques du Togo, les instances publiques et privées des
pays d’accueil, et les organisations internationales : « Things will not change thanks to a small
group of togolese abroad who wants to see the country evolve and shift radically. We need
power for that » (Faure)65.
Internet représente pour les migrants essentiellement un outil de dialogue communautaire, par
le biais duquel ils sont en mesure d’entretenir leur conscience politique, et d’élargir cet intérêt
à travers leurs réseaux relationnels virtuels.
Le « militantisme virtuel » ne peut pas être considérer comme une nouvelle forme d’activisme
qui permettrait de faire pression sur les situations politiques internes au pays d’origine ; mais
plus un nouveau support de débats, de réflexions indépendantes des groupes politiques en
places, permettant une extension des problèmes politiques en Afrique à l’échelle globale.
Je voudrais terminer cette partie en citant une phrase de Michael le gérant
« d’Hackney.com », selon moi pleine de vérité : « The Internet is changing the world. But the
world cannot change only by the Internet »66.
65 : traduction : « Les choses ne vont pas changer grâce à des petits groupes de togolais à l’étranger qui veulent impulser des changements radicaux dans leur pays. Il faut du pouvoir pour ça ». 66 : traduction : « Internet est en train de changer le monde, mais le monde ne peut changer seulement grâce à Internet ».
73
4) Internet : bouleversement des hiérarchies traditionnelles et des
rapports de genre.
Internet, comme nous l’avons vu dans les parties précédentes, représente un nouveau
moyen de communication relativement libre, facile d’accès et peu cher. Cependant, il existe
encore certaines barrières pour que cet outil devienne un véritable moyen d’information et de
communication dénué de toutes contraintes. En effet, en Afrique, l’implantation des réseaux
est encore très limitée (seulement les villes principales en sont équipées), la maîtrise de l’outil
ne touche que peu d’habitants et les taux d’alphabétisations sont en règle générale très faible.
Face à ces différentes barrières, le migrant va utiliser un intermédiaire dans le pays d’origine,
qui sera le mieux placé pour recevoir, et transmettre les informations.
Dans ce contexte précis, les jeunes semblent les plus aptes à jouer ce rôle. Ils ont, en règle
générale, suivi des études, parlent et lisent un minimum l’anglais, et ont une connaissance
plus approfondie des nouvelles technologies de la communication.
Cette nouvelle place qu’ils intègrent dans la société d’origine leur donne un rôle plus
important au sein de la famille. D’autant plus que les anciennes générations voient souvent
d’un mauvais œil l’implantation d’Internet dans leurs sociétés.
Dans un deuxième temps, nous étudierons les différents effets que peut entraîner ce
nouveau rôle des jeunes dans l’organisation des hiérarchies et des rapports de genre. Cet accès
étendu à des informations « internationales », autrefois contrôlées par les gouvernements
étatiques, risque d’avoir d’importantes répercutions sur la place des individus dans les
hiérarchies sociétales.
A partir de l’expérience de deux migrants, un congolais et un togolais, rencontrés à
« Hackney.com » (dont les expériences sont à l’image des tendances retrouvées dans la
plupart des entretiens), nous allons tenter de rendre compte de ces changements qui touchent
la société africaine.
a) Les jeunes : un rôle de médiateur entre la communauté diasporique et les
membres de la famille restés au pays.
Dans cette partie, nous exposerons les raisons de cette nouvelle place prise par les
jeunes au sein de la société. Premièrement, leurs connaissances de l’outil les positionnent
comme étant les plus crédibles intermédiaires de la communauté diasporique. Deuxièmement,
les a priori des anciennes générations sur les bienfaits que peut apporter Internet empêchent
74
toute vision objective de l’utilité de cet outil. Enfin, dans un troisième temps, nous
expliquerons plus précisément en quoi consiste leur rôle de médiateur dans le pays d’origine.
-Une meilleure appropriation de l’outil par les jeunes générations.
L’introduction d’Internet en Afrique s’est faite dans les années 1990, avec l’implantation du
réseau « Health Net » (le plus répandu sur le continent), et le développement de son usage de
façon plus généralisée ne remonte qu’aux cinq dernières années, avec en 2001, un taux de
croissance de deux fois supérieur à la moyenne mondiale (Ntambue, 2001). Dans ce contexte,
nous remarquons que les dix dernières années sont marquées par une accélération de
l’utilisation d’Internet, les nouvelles générations se retrouvent donc en plein dans le « boom »
de la popularisation d’Internet en Afrique.
Les jeunes sont dans une situation privilégiée pour se mettre en contact avec les communautés
diasporiques à l’étranger. Leurs connaissances en informatique leur permettent de jouer un
rôle de « médiateur » pour le pays d’origine: « that is why we need somebody we can trust,
and somebody familiarized with the Internet, because many people home don’t even know
how to send an email » (Samuel)67. « she was, as my brother, the only one to know how the
Internet was working, she was well placed to make the link with us abroad, and she acquired
much more, through forums, and all the stuff » (Faure)68. Nous sommes donc dans une sorte
de cercle vicieux, leur présence régulière dans les cybercafés enrichit leurs connaissances en
informatique.
La plupart de ces jeunes ont suivis un cursus scolaire minimum, c’est pourquoi ils ont une
connaissance de l’anglais (orale et écrite) relativement bonne, ou du moins suffisante pour lire
des mails, en envoyer, ou recueillir des informations sur le Web : « My brother who is still
there, he speaks English quite well, and read as well (…). He is very important, I trust him,
and he is studying and very clever » (Samuel)69.
Ce décalage entre les anciennes générations, quelque peu dépassées par l’avancée
technologique que représente Internet, et les nouvelles générations, en quelque sorte obligées
de tenir cette place d’intermédiaire, risque de renforcer ces disparités. L’intégration de
l’Afrique dans la société de l’information et de la communication mondialisée, via Internet se
fera par l’intermédiaire des jeunes, et ce non sans conséquences, comme nous l’aborderons
67 : traduction : « C’est pourquoi on a besoin d’une personne de confiance familiarisée avec l’usage d’Internet, parce que beaucoup de gens ne savent même pas comment envoyer un email chez moi ». 68 : traduction : « Elle, comme mon frère, sont les seuls à savoir comment se servir d’Internet ; elle est donc idéalement placée pour faire le lien avec nous ; ainsi, elle apprend encore plus, avec les forums et tout ». 69 : traduction : « Mon frère qui est encore au pays parle et lit assez bien l’anglais (…). Il est très important, je lui fais confiance, il est étudiant et très lucide ».
75
dans la seconde partie : « That’s why, my sister and my bro (brother) are indispensable in this
trade, they are the only one able to deal with me, and the rest of my family would be
overwhelmed, so they have of course a greater position » (Faure)70.
-Une vision septique de cet outil par les anciennes générations.
Cette place privilégiée de la nouvelle génération peut s’expliquer aussi par les suspicions
qu’émettent les anciennes générations quand à l’apport que peut représenter cet outil pour les
sociétés africaines.
Les personnes plus âgées ne comprennent souvent pas les bénéfices de ce nouvel instrument
d’ouverture vers le monde occidental, souvent appréhendé avec beaucoup de craintes et
d’appréhensions. Les différentes perspectives d’avenir, qu’offrent cette fenêtre vers le monde
ne sont pas toujours vécues comme des opportunités par les anciens, mais plutôt comme une
trahison à l’encontre de la famille et un moyen de s’affranchir des obligations et des devoirs
de chacun dans la société : « Apparently, Fayel (la plus grande soeur), looks what yenda is
doing very badly. I mean, studies, her time spent in Internet coffee, and all what she talks
about at dinner time, her desires, plans for future » (Faure)71.
La raison ressortie le plus souvent des entretiens réside dans la crainte des anciennes
générations de voir en Internet, un nouvel outil de domination mis en place par « l’occident »
dans le but de garder une mainmise sur ce continent et son évolution. La période de
colonisation reste vécue par les africains comme une trahison, l’ensemble des programmes
mis en place durant cette période étant considérés comme des moyens de tirer profit du savoir,
des ressources et des populations en général : « my brother told me last time that he had a
long discussion with our grand-father about the Internet (…). He asks him about what he was
always doing in the internet coffee (…). My brother told me that he had a really suspicious
eye about this technology, it will make him ill, that it is a colonisation tool, a domination tool
use by industrialized countries to keep us under control » (Samuel)72.
La crainte d’un retour de l’impérialisme occidental à travers l’implantation d’Internet semble
marquer beaucoup d’esprits, tant la connaissance qu’ils ont de cet outil est limitée. C’est une
caractéristique qui risque d’encore accroître le fossé entre l’ancienne et la nouvelle
génération. L’usage « démocratique » d’Internet nécessite en effet une réelle implication des
70 : traduction : « C’est pourquoi mes frères et sœurs sont indispensables dans ces échanges, ils sont les seuls capables de traiter avec moi, le reste de ma famille serait dépassé, alors ils ont une position centrale ». 71 : traduction : « Apparemment, Fayel voit ce que fait Yenda d’un mauvais œil. Je veux dire, les études, son temps passé dans le cybercafé, et tout ce qu’elle raconte à table, ses désirs, ses plans d’avenir ». 72 : traduction : « mon frère m’a parlé d’une discussion qu’il a eu avec nôtre grand-père à propos d’Internet (…). Il lui demandait ce qu’il faisait dans les cybercafés (…). Mon père m’a dit qu’il avait une vision très suspicieuse de cet outil de colonisation et de domination utilisé par les pays industrialisés pour nous garder sous contrôle ».
76
individus, afin d’éviter qu’il devienne un levier de domination supplémentaire entre les mains
de « l’occident » : « it’s just to make you understand how lost old people are in my country,
they are still marked by the former imperial system, and will never believe that the Internet
can be a good thing » (Samuel)73.
-L’intermédiaire idéal entre la diaspora et le pays d’origine.
Du fait de cette meilleure appropriation de l’outil par les nouvelles générations, et de la
réticence des anciennes concernant les bienfaits d’Internet, les jeunes se retrouvent dans un
rôle d’interface entre la diaspora et le pays d’origine. Ils deviennent le maillon principal qui
lie l’échelle transnationale (le réseau diasporique et l’information via Internet) et l’échelle
locale (la famille « élargie » dans le pays d’origine).
Dans cette situation de médiation, le jeune va voir son rôle changer dans la famille au niveau
économique et informationnel.
En premier lieu, par rapport aux transferts d’argent, et c’est vraisemblablement le secteur dans
lequel son implication va s’accroître de manière brutale. L’ensemble des transferts d’argent
réalisés par les membres de la diaspora vers le pays d’origine est suivi par Internet, le migrant
donnant des indications sur les sommes transférées et les dates de réceptions. Mais c’est
essentiellement par rapport à l’usage de cet argent que le « médiateur » va avoir un rôle
important. En effet, par l’intermédiaire des emails et autres moyens de communications sur
Internet, le migrant va exposer ses exigences et discuter avec « le médiateur » des meilleurs
usages possibles de cet argent entre les mains de la famille. Ainsi, la répartition de l’argent
entre les membres de la famille, le placement de l’argent, l’achat de matériaux, de terres, la
construction d’une maison ou encore le développement d’un commerce, sont au centre des
discussions entre ces deux interlocuteurs : « he is organizing the investment of the money I
send back home. Thanks to him, I can ensure that what I send there will be well used, and not
spent in stupid things »74. « First, he uses that to ensure the every day life of the extended
family, but he don’t give the money directly; he organizes expenditures, according to the
needs of each one. Then, with the spare money, he saves that, the principal goal being to
invest in a land around the city. In a way, he is the bank officer of my extended family »
(Samuel)75. « I think he bought lands around Lomé, for cultures, and may be later build a
73 : traduction : « C’est juste pour te faire comprendre à quel point les vieux sont perdus chez moi, il sont encore marqués par le système impérialiste, et ne croiront jamais en les bénéfices d’Internet ». 74 : traduction : « Il organise l’investissement de l’argent que j’envois dans le pays, grâce à lui je m’assure du bon usage des transfert, pas dépensés dans des stupidités ». 75 : traduction : « Tout d’abord il utilise l’argent pour assurer la vie de la famille élargie, mais il ne le distribu pas directement. Il organise les dépenses en fonction des besoins de chacun. Ensuite, il met de côté le reste, le but étant d’investir dans des terres autour de la ville, pour cultiver et éventuellement construire une maison ».
77
house » (Faure)76. A travers ces différents témoignages, nous remarquons que « le
médiateur » devient un maillon essentiel dans l’organisation économique dans le pays
d’origine. De plus, cette relation que le jeune entretient avec les membres de la diaspora est
basée sur la confiance, le migrant n’ayant aucun moyen de contrôler le fonctionnement de ce
système depuis le pays d’accueil : « No my brother is responsible, he knows what to do, so I
let him share the money fairly » (Faure)77. « He will never try to keep the money for him, or
dupe the family. He is a good guy »78. « Our relations are based on confidence, I give him the
full responsibility to use the money how we decided, and make everybody taking advantage of
these transfers » (Salomon)79.
L’importance des sommes transférées donne aux « médiateurs » un pouvoir économique
important dans la famille, représentant parfois des montant supérieurs à ce qu’un agriculteur
peut tirer de sa production.
Les jeunes, en contact avec la communauté diasporique, qui se retrouvent dans les cybercafés
régulièrement, ont ainsi accès à une masse d’information énorme, et peuvent discuter avec les
migrants sur des sujets divers, participer à des forums, et donc élargir leurs
connaissances…etc. C’est en ce sens qu’ils vont acquérir des savoirs qui sont très peu
disponibles avec les médias classiques (souvent contrôlés par les gouvernements) et échanger
des points de vus avec les membres de la diaspora. Nous nous en tiendrons ici à l’expérience
des « médiateurs » qui entretiennent des contacts réguliers avec les migrants, n’ayant pas
d’informations concernant les jeunes en général dans le pays d’origine. Le constat est
frappant, du simple fait que « ceux-ci » sont présents régulièrement dans les cybercafés, ils
vont être en possession d’une masse d’information qu’ils vont transmettre à leurs proches,
leurs donnant une plus grande crédibilité dans les discussions : « he uses that for information,
knowledge, and further opening toward the world » (Salomon)80. « I know that my brother is
really awake about what is happening in the world, and he is regularly going on forums,
asking me questions, and giving me his idea about how the congolese society should be »
(Samuel)81. « My brother is often telling me that he is debating with my parents about the
governments programs in Togo, and the knowledge he got through the Internet allows him to
76 : traduction : « Je crois qu’il a acheté du terrain autour de Lomé, pour les cultures, et peut-être une maison ». 77 : traduction : « Non, mon frère est responsable, il sait quoi faire, alors je le laisse partager l’argent ». 78 : traduction : « Il n’essayera jamais de garder l’argent, ou tromper la famille. C’est un bon garçon ». 79 : traduction : « Nos relations sont basées sur la confiance, je lui donne toutes les responsabilités d’entreprendre ce que l’on a décidé, et faire profiter tout le monde de ces transferts ». 80 : traduction : « il utilise Internet pour les informations, la connaissance, et une ouverture vers le monde extérieur ». 81 : traduction : « Je sais que mon frère est très concerné par ce qu’il se passe dans le monde, et il participe régulièrement à des forums en ligne, me pause des questions, et me donne son idée de la société congolaise ».
78
argument his ideas, and spread his knowledge around him » (Faure)82. L’ouverture que
représente Internet en matière d’informations, ainsi que l’implication des « médiateurs » dans
les réseaux diasporiques, leurs donnent un rôle accru dans la diffusion des informations. Ils
sont en effet en mesure de diffuser leurs connaissances dans la famille, ce qui leurs accordent
une position plus crédible.
Cette nouvelle place que les jeunes ont dans l’organisation des familles en Afrique n’est pas
sans conséquences dans les hiérarchies intrafamiliales, mais aussi dans les rapports de genre.
Le fait est que les anciennes générations ne sont en aucun cas en mesure de jouer ce rôle
d’intermédiaire, les bouleversements que risquent d’entraîner ces changements semblent donc
être irréversibles : « I cannot deny that his role has increased. But, I think it’s happening in a
lot of household in Togo, and perhaps broadly in Africa. The Internet, and basically
communications technologies concern a great deal more younger people, so much that their
role have changed, and they now have a louder voice. Especially relative to these kinds of
economic trades, such as money transfer, well, everything related to the Internet » (Faure)83.
b) Internet : un nouveau média qui risque de remettre en question les
hiérarchies traditionnelles.
Cette place d’intermédiaire qu’occupent les jeunes dans l’organisation des
relations diaspora / pays d’origine risque de devenir le détonateur d’un bouleversement
remarquable des organisations traditionnelles dans les familles en Afrique. L’accès à Internet
est vécu comme une ouverture sur le monde ; les jeunes, hommes comme femmes, s’étant
relativement familiarisés avec cet outil se retrouvent ainsi réellement impliqués dans la
société de l’information et de la communication. Ils développent des perspectives nouvelles,
qui vont souvent à l’encontre des coutumes et habitudes de vie dans leurs sociétés d’origines.
Nous verrons dans un premier temps en quoi la prise de pouvoir par les jeunes, et leur accès
généralisé à l’information risquent de remettre en cause la position des « anciens », souvent
considérés comme les détenteur du savoir. Dans un deuxième temps, nous montrerons en quoi
82 : traduction : « Mon frère me dit souvent qu’il débat avec mes parents des programmes gouvernementaux au Togo, et les connaissances qu’il développe grâce à Internet lui permettent d’argumenter ses idées, et d’étaler son savoir autour de lui ». 83 : traduction : « Je ne peux pas renier que son rôle s’est accru. Mais je pense que c’est un phénomène remarquable dans beaucoup de foyers au Togo, et peut-être plus largement en Afrique. Internet, et plus simplement les technologies de la communication, concerne bien plus les jeunes, tellement que leurs rôles ont évolués, et leurs voix sont entendues. Spécialement dans les échanges économiques, les transferts, en gros, tout ce qui est lié à Internet ».
79
la connexion des femmes avec les réseaux transnationaux leurs donnent de nouvelles
ambitions, et perturbent les rapports de genre.
-Internet ou l’accroissement du décalage entre les générations.
Le nouveau rôle des jeunes, à la fois « médiateur » de l’information, mais aussi gestionnaire
de l’argent transféré depuis les communautés de migrants, leur accorde de plus importantes
responsabilités vis-à-vis de leurs familles : « he has more responsibilities than before, he
decides many things for the family. (Il s’arrête un moment, avant de reprendre). He’ve got
power » (Samuel)84.
Cependant, les plus anciens qui voient souvent d’un mauvais œil l’introduction et l’usage
d’Internet en Afrique, perdent de leur crédibilité, leur savoir étant parfois remis en cause. En
fait, nous sommes face à une opposition de penser entre les jeunes, dont les motivations, les
idées et les projets d’avenir sont essentiellement tournés vers l’extérieur, comparée avec les
plus anciens, qui ont une vision plus « traditionnelle » de la société africaine.
L’expérience de Faure et de ses frères et sœurs est ici très représentative. Dans leur famille au
Togo, nous assistons à une évolution des relations entre les générations, illustrée par des
visions de l’avenir diamétralement opposées. Le grand père de Faure considère que le départ
de déjà trois membres de la famille à l’étranger est suffisant, d’autant plus que deux d’entre
eux ont pratiquement coupé tout contact avec le pays. Les nouvelles perspectives (nourries
par Internet essentiellement) de ses deux frères et sœurs sont principalement marquées par un
désir de migration, le but étant de partir étudier à l’étranger. Nous remarquons facilement à
travers cet exemple le décalage que représentent ces nouvelles orientations par rapport aux
visions plus enclavées des anciennes générations. La présence régulière dans les cybercafés,
la connexion avec les membres de la diaspora, et l’accès à une masse d’information
considérable sur le monde d’aujourd’hui, offrent un tableau du monde extérieur vécu comme
un paradis. D’autant plus que les migrants ne manquent pas de vanter leur nouvelle situation,
et de donner une image très positive du monde dans lequel ils se sont installés: « My brother
is always telling me that the time he spends in the Internet coffee is a way to escape the daily
life, to dream about better places, and to open his mind to the world. Basically, he wants to
move away, to evolve and to change every thing, I think he is pissed off with the older
84 : traduction : « Il a plus de responsabilités qu’avant, il décide d’énormément de choses dans la famille. Il a du pouvoir ».
80
generation way of thought, and I understand that well » (Samuel)85.
L’implication des jeunes dans les réseaux Internet est à l’origine d’un réel choc entre les
générations, remettant en cause le pouvoir et le savoir des anciens : « I think it is changing
relations, and even hierarchy » (Samuel)86. Bien qu’à l’intérieur du pays ils soient toujours
considérés comme tels, leur influence sur les jeunes devient de plus en plus limitée, et leur
scepticisme face à l’utilité d’Internet ne fait que renforcer ce décalage : « Things are
changing, and very quickly, I told you the incomprehension between my sister and her elder
about her use of the Internet. And this gap is similar for the whole older generation.
Migration is still important in Africa, but what has changed is that even people who are still
home is hugely connected to the foreign world » (Faure)87.
Cette incompréhension qui affecte les relations entre les jeunes et les anciens risque de
s’accroître au fil du temps. L’indispensable implication des sociétés africaines sur le terrain
virtuel que représente Internet ne touche encore qu’une part trop faible de la population, et les
suspicions émises par les anciens concernant cet outil risquent d’amplifier ce phénomène de
migration de masse. A la place d’une introduction massive d’Internet en Afrique, et une
représentation plus conséquente du continent sur « la toile », on risque d’aller vers une fuite
de plus en plus massive des nouvelles générations.
Le bouleversement des rapports entre les générations risque d’être d’autant plus amplifié si
l’on se pose la question du partage du savoir. En Afrique noire, les connaissances ne sont que
très rarement échangées, marquant une sorte de monopole du savoir par les « anciens ».
Internet (espace fondamentalement basé sur la circulation des informations) donne
l’opportunité aux nouvelles générations d’acquérir un savoir qui s’oppose au monopole des
« anciens ». Il donne la possibilité de s’ouvrir à la fois à des savoirs et au monde extérieur, au
risque de profondes transformations des rapports entre les générations.
-Le bouleversement des rapports de genre : vers une émancipation de la femme.
Ce phénomène d’ouverture vers l’extérieur et ce décalage grandissant entre les générations
touche aussi les femmes. A travers les entretiens nous avons constaté à quel point les jeunes
85 : traduction : « Mon frère me raconte sans cesse que le temps qu’il passe dans le cybercafé est un moyen d’oublier la vie de tous les jours, de rêver d’endroits meilleurs, et de s’ouvrir au monde. Simplement, il veut partir, pour évoluer et tout changer, je pense qu’il ne supporte plus les modes de penser de l’ancienne génération, et je le comprend ». 86 : traduction : « je penses que cela change les relations, et remet en cause les hiérarchies ». 87 : traduction : « Les choses changent, et très rapidement, je t’ai parlé de l’incompréhension entre ma sœur et son aîné concernant l’utilisation d’Internet. Ce décalage est semblable à l’ensemble de l’ancienne génération, la migration a toujours été importante en Afrique, mais ce qui a évolué, c’est que même les gens au pays sont connectés vers le monde extérieur ».
81
femmes encore au pays se retrouvent emprises d’un désir d’émancipation et d’épanouissement
par rapport à leur train de vie traditionnel.
En effet, la place de la femme se résumait très souvent à des rôles d’éducation des enfants et
d’entretien des jardins aux alentours des maisons. Depuis la crise des matières premières, et
des grandes monocultures qui faisaient tourner l’économie de beaucoup de pays en Afrique,
les femmes ont acquis une place plus importante dans l’organisation économique ; notamment
en matière de commerce et de production. Leurs petites parcelles deviennent des sources de
revenus non négligeables pour les ménages (ventes des productions agricoles sur les marchés
urbains). Cette émancipation féminine dans le commerce intérieur leur a donné de plus
grandes responsabilités, et a quelque peu perturbé la hiérarchie entre les hommes et les
femmes, ces dernières ayant souvent entre les mains la gestion des ressources financières
principales des ménages.
L’introduction des TIC en Afrique, associée à l’accès Internet relativement facile, a poussé les
femmes à utiliser cet outil pour se mettre en relation avec les membres de la diaspora (pour
beaucoup avec leur mari qui est déjà parti à l’étranger) et élargir leurs commerces au delà des
frontières nationales. Du fait de cette fréquentation régulière des cybercafés, elles ont eu accès
à une information plus massive, ont pu débattre de leur situation sur « la toile », nourrissant de
nouvelles perspectives en matière d’avenir : « I know that my wife is in a dire need to move
abroad, she wants to leave the country, so I tell her how things are happening here, how are
the lectures, the everyday life. In a sense, the Internet permits her to escape from the everyday
life there, and to open her mind toward new perspectives. She can access to some forums, visit
web sites, and speak with me, abroad » (Laolu)88.
Nous assistons donc encore ici à un probable bouleversement de l’organisation de la société
au niveau interne. Les femmes, conscientes de leur rôle accru dans la gestion économique des
ménages, ont de nouvelles ambitions, et entretiennent de plus en plus souvent le désir de
quitter le pays, afin d’intégrer des modes de vies dans lesquelles la femme a plus de
considération : « she can have some news about me and our cousins in France, which gives
her the desire to follow us, to leave the country, to study in a foreign university, she is really
keen on starting a new life. She doesn’t want to stay there, to married a man, grown up
children, and follow this routine (…). She is always accounting me about debates she had,
always questioning herself about the relation with her courses, she is studying international
88 : traduction : « Je sais que ma femme a vraiment besoin de partir, elle veut quitter le pays alors je lui dis comment les choses se passent ici, comment sont les cours, la vie de tous les jours. En un sens, Internet permet de fuir le quotidien, et de s’ouvrir à de nouvelles perspectives. Elle peut participer aux forums, visiter des sites, et parler avec moi ».
82
relationship. I think that through the Internet, she has extremely increased her willing to
leave » (Faure)89.
Nous assistons donc à une réelle mutation dans les rapports de genre, qui s’est amorcée avec
la chute du prix des matières premières, plaçant la femme dans une position privilégiée en
matière de gestion commerciale ; puis dans un second temps, par l’introduction d’Internet, qui
leur a donné une plus grande ouverture sur le monde. Les responsabilités en matière de
ressources financières qu’elles ont acquis au sein de la famille les ont placé comme
prioritaires pour jouer le rôle d’intermédiaire avec les communautés de migrants.
De plus, nous remarquons que ces nouvelles perspectives émanent d’un réel désir de faire
changer les choses, et d’une grande motivation de leur part : « she had hard time for that,
after primary school, she had her husband already. But she didn’t want to married at all.
That was a year ago, and she was already discussing with me, going on forums. I think that
was step by step that thing have changed » (Faure)90.
Cette recrudescence de la fréquentation des cybercafés par les femmes a aussi entraîné un
effet boule de neige. Les premières (maillon intermédiaire de l’organisation relationnelle de la
diaspora avec le pays d’origine) ont vite diffusé les avantages de cet outil, et attiré leurs
proches à utiliser Internet afin d’élargir leurs visions des rapports de genre (débats sur des
forums, échanges d’idées, aperçus sur l’organisation des sociétés
« occidentales » : « approximately once a week, she is going in the website
Planetafrique.com, where she can share a lot of debates, about situation in Africa, and many
other topics » (Faure)91. « She is always spreading the advantages of this new communication
and information tool to her fellows, and she told me that a lot of women are coming with her
to learn and use the computers » (Laolu)92.
D’une manière générale nous pouvons donc considérer que la nouvelle génération
est plus impliquée dans la société de l’information via Internet, et donc plus intégrée dans les
réseaux relationnels mondialisés. Ce phénomène touchant les jeunes hommes comme les
89 : traduction : « elle peut avoir des nouvelles de moi et mes cousins en France, ce qui la pousse à partir, pour étudier à l’étranger, elle a vraiment envie de changer de vie. Elle ne veut plus rester, se marier, élever les enfants, et suivre cette routine (…). Elle me parle toujours des débats, elle met tout en relation avec ses cours, elle étudie les relations internationales. Je pense qu’Internet a extrêmement accru sa volonté de partir ». 90 : traduction : « ça a été difficile, elle a eu des moments difficiles après l’école. Elle avait un mari, mais ne voulais pas rester dans cette situation. C’était il y a un an, elle discutait déjà avec moi, allait sur les forums ; c’est petit à petit que les choses ont changés ». 91 : traduction : « A peu près une fois par semaine, elle visite le site Africaforum, où elle partage ses idées à propos de la situation en Afrique et d’autres sujets ». 92 : traduction : « Elle diffuse régulièrement les avantages que représentent les nouvelles technologies d’information et de communication à ses amies, et elle m’a dit que beaucoup de femmes l’accompagnent au cybercafé pour apprendre à se servir d’Internet ».
83
jeunes femmes est à l’origine d’un décalage grandissant entre les anciennes et les nouvelles
générations, qui risque d’entraîner de profonds bouleversements des hiérarchies et des
organisations familiales en Afrique. Cependant, ces perspectives d’avenir tournées vers
« l’occident », qui touchent la jeunesse en général, ne sous-entendent pas que les migrants
partent pour tirer un trait sur leur passé, et se détacher définitivement de leur identité
d’origine. A l’inverse, les ambitions de départ sont essentiellement poussées par l’idée qu’ils
seront plus efficace à l’étranger pour aider la famille financièrement, et de manière
personnelle, qu’ils pourront s’ouvrir à de nouvelles cultures et modes de vie : « while we are
away from home, not able to help parents for everyday work, harvests, we are still belonging
to the homeland. I will never leave my family definitely, I’m here to study, but I want later to
use my skills and knowledge to help them » (Faure)93.
Je joins ici un schéma qui reprend de façon simplifiée la place des nouvelles générations dans
la connexion avec le monde extérieur, et les potentiels bouleversements que cela pourrait
entraîner (voir schéma n°4 page 85 et 86).
Pour clore cette partie, je voudrais mettre l’accent sur le caractère relativement
hypothétique de mes propos. Bien que ce nouveau rôle des jeunes générations en position de
« médiateur » de la diaspora revient dans la plupart des entretiens, mon analyse n’est fondée
sur aucune étude statistique, l’échantillon de personnes rencontrées restant assez limité (aux
alentours de trente). Notamment pour le rôle des femmes, étant donné que l’établissement de
ces hypothèses est construit uniquement à partir de récits de migrants qui parlent de la
situation des femmes dans leur pays d’origine.
Je n’ai trouvé aucune référence bibliographique étudiant ces questions, l’analyse n’est donc
appuyée par aucun écrit théorique concernant le bouleversement des hiérarchies et des
rapports humains en Afrique causé par Internet.
De ce fait, les analyses doivent être considérées comme des pistes de recherches, et non pas
comme des conclusions qui seraient trop peu fondées. Les phénomènes étudiés semblent être
en pleine phase de mutation, ce qui oblige à limiter ces idées à des suppositions basées sur le
vécu et les récits des migrants.
J’ai donc volontairement choisi de terminer cette partie par une analyse hypothétique afin de
lui donner une certaine ouverture, tout en parlant d’un des impacts d’Internet les plus
significatifs pour les diasporas et leurs relations virtuelles avec le pays d’origine. Cette 93 : traduction : « Bien que l’on soit loin de chez nous, incapable d’aider nos parents pour les travaux quotidiens, les récoltes, nous considérons toujours appartenir à ce pays. Je ne quitterai jamais ma famille, je suis ici pour étudier, mais je veux utiliser le savoir que j’aurais acquis ici pour les aider ».
84
articulation entre le réseau transnational de la diaspora et le pays d’origine par l’intermédiaire
« d’un médiateur » va avoir des répercutions énormes sur le pouvoir que vont détenir ces
intermédiaires, en matière d’information, de connaissance et de savoir-faire (maîtrise des
technologies de la communication et de l’information du monde moderne). Cette
appropriation d’Internet, qui submergera l’Afrique tôt ou tard, va ouvrir à ces personnes des
perspectives d’avenir déterminantes.
85
Schéma n°4 : Le rôle central des « médiateurs » : à l’origine de probables perturbations de l’organisation
sociétale en Afrique. (Stebig Jonathan).
Médiateur
Bouleversement des rapports : -entre les générations -de genre
Pays d’origine
Pays d’accueil
Désir de migration accru
Nouvelles générations : Hommes et
femmes jeunes
Remise en cause du savoir des anciens
Rôle économique central
Meilleur appropriation d’Internet
Connaissances de l’anglais (écrire, lire)
Moins de suspicions que les anciens
Diffusion des informations du « web »
Réalisation des investissements
Répartition de l’argent dans la famille
Transferts d’argent
Discussions sur les actualités
Ouverture sur le monde extérieur
86
IV) Conclusion :
Pour terminer ce mémoire, revenons tout d’abord sur mon expérience personnelle dans ce
cybercafé « d’Hackney.com ». Dès mes premières visites là-bas, j’ai tout de suite ressenti
cette atmosphère chaleureuse, cette ambiance harmonieuse qui faisait de cet espace un endroit
vraiment particulier, dans lequel je me sentais vraiment accepté. Les premières fois, je suis
resté très discret, me contentant d’observer les comportements des gens, d’étudier leurs
rapports avec Michael, afin de connaître ce cybercafé de l’intérieur. Malgré cette attitude
relativement « passive », j’ai vite été interpellé par les clients habitués et par Michael, qui
m’ont tout de suite mis à l’aise, en me faisant participer à cette vie « communautaire ». Ainsi,
bien qu’étant un étudiant, blanc, français et d’un niveau de vie relativement élevé, je n’ai senti
aucun blocage de leur part. Ils ont fait totale abstraction de ma situation, et m’ont jugé plus
par mon comportement et ma façon de penser, n’hésitant pas à me proposer leur aide sur
n’importe quelle situation où ils pensaient pouvoir m’apporter quelque chose. Je voudrais à ce
sujet citer une anecdote particulièrement pertinente pour la compréhension de ce quotidien
très convivial : c’était au mois d’avril, au moment où je devais rendre une dissertation sur
l’intégration de l’Afrique dans l’économie mondiale. Je suis venu là pour l’imprimer, et
Michael m’a de suite proposé de faire une relecture de mon travail, afin de corriger les fautes
d’anglais, et de me donner son avis sur certains points qui lui semblaient impertinents. Nous
sommes donc allés sur Internet afin de retoucher certaines parties de ma dissertation, mais
plus étonnamment encore, il m’a proposé d’utiliser mon sujet de travail dans le débat organisé
la semaine suivante, à la suite du cours d’informatique. Cette initiative m’a vraiment surprise,
Causes personnelles
Conséquences personnelles
Conséquences pratiques et matérielles
Probables effets politiques et sociaux
Légende du schéma n°4 :
87
et j’ai compris que tous les problèmes auxquels pouvaient faire face les clients de ce lieu
étaient partagés avec l’ensemble des habitués « d’Hackey.com », pour trouver les solutions les
plus adaptées.
Si je parle de mon expérience personnelle, c’est pour montrer à quel point les gens étaient
soudés à « Hackney.com », bien qu’étant un petit blanc, très en marge des problèmes
quotidiens auxquels ils devaient faire face, ils m’ont jugé en tant que personne, et ont abordé
mes problèmes de façon très impliqués. Cette ouverture d’esprit m’a très vite marqué dans ce
cybercafé, et je suis tombé sous le charme. J’ai d’ailleurs retrouvé cette ambiance de
solidarité, et cette organisation que je qualifierais de « communautaire », dans très peu
d’autres lieux du quartier.
Pour en revenir plus précisément au sujet de ce mémoire, il s’agit ici d’exposer les trois
aspects essentiels qui lient le migrant à son cybercafé :
-Tout d’abord, et particulièrement à « Hackney.com », le cybercafé va devenir le principal
espace de pré socialisation du migrant ; c’est ici qu’il va réaliser un grand nombre de
rencontres, échanger son quotidien, profiter des expériences des autres afin de trouver un
chemin alternatif vers une intégration dans l’espace d’accueil.
-Ensuite, et de manière plus générale, le cybercafé est le lieu à partir duquel le migrant va être
en mesure de se connecter avec les différentes places de la diaspora, lui permettant
d’entretenir son identité, et de se sentir toujours appartenir à une entité qui se superpose à une
simple intégration physique dans le territoire d’accueil.
-Enfin, c’est ici qu’il va entretenir des relations avec les membres de sa famille restés au pays,
et garder une sensibilité envers son passé et sa terre d’origine, « la mère patrie » ou
« homeland » en anglais ; c’est un sentiment d’appartenance qui se transforme en véritable
mythe pour les migrants de deuxièmes générations, nés dans l’espace d’accueil, qui ont une
vision mythique de cette terre d’origine.
Ainsi, l’articulation entre les trois échelles d’appartenance du migrant (locale, transnationale,
et « nationale »), essentielle à l’entretien de son identité, émane de ce lieu qui devient un
véritable centre pour le maintien du dynamisme identitaire de la diaspora.
Cependant, cette articulation entre les différentes sphères d’appartenance provient
essentiellement du bon désir des migrants de s’impliquer. La mise en place de réels
programmes visant à orienter le savoir-faire, le capital matériel et intellectuel des diasporas
vers le pays d’origine reste quasi inexistante.
Au niveau économique, le migrant va développer, à titre personnel, une activité qui met en
relation son espace local, son pays d’origine, et le réseau transnational qui articule les
88
différentes places de la diaspora. En ce sens, il devient un véritable « entrepreneur sans
entreprise » (Diminescu, 2001), profitant de ces différents réseaux d’appartenance, pour
développer de réelles activités productives. Cependant, ce système ne débouche pas sur la
création de réels programmes par les gouvernements, afin de tirer parti de cette organisation
transfrontalière de la diaspora, qui permettraient des retombées positives sur l’économie du
pays d’origine.
Au niveau politique, le problème est sensiblement le même. Le migrant se retrouve impliqué
dans un réseau de communication et d’information véritablement libre de toute censure
gouvernementale. Dans des situations politiques localisées, il va être un maillon de la
diffusion de l’information sur le réseau Internet et prendre contact avec des bureaux de presse
et associations dans le territoire d’accueil. A travers le réseau Internet, nous assistons à une
amplification de la conscience politique des membres des diasporas, ainsi qu’au
développement, plus ponctuel, d’un militantisme virtuel. Cependant, bien que la majorité des
migrants se disent engagés, et sensibilisés par la situation politique dans leur pays d’origine ;
les initiatives sur le réseau virtuel n’ont encore réussi à aboutir à aucun changement sur le
terrain. Mis à part des groupes isolés qui tentent d’organiser une réelle action politique à
l’étranger, la plupart des migrants sont dans une sorte « d’activisme passif ». Les individus
ont bonne conscience du fait de leurs implications dans les circuits de l’information et de la
communication, et de leurs sensibilisations vis-à-vis des programmes politiques mis en place
dans leur pays d’origine. Le manque de prise de risque, et l’absence de programmes de luttes
aterritoriales à grandes envergures fait ressortir une attitude relativement fataliste et résignée
des ressortissants, qui considèrent leur implication économique (transfert d’argent), et
politique (suivi des situations) comme suffisantes.
De plus, en abordant le problème du côté du pays d’origine, la situation ne semble pas
pouvoir s’améliorer. En effet, la position des nouvelles générations (qui jouent le rôle de
« médiateur ») dans la coordination avec le réseau international d’information et de
communication ne fait qu’accentuer leurs désirs d’ouvertures vers l’extérieur. Nous sommes
donc face au développement d’un réel cercle vicieux ; l’incompréhension entre les
générations vis-à-vis des opportunités que représentent Internet risque d’accentuer ce
décalage, et pousser les jeunes à envisager leur avenir dans des perspectives de migrations. La
fuite de ces populations, les mieux placées pour orienter les pays d’origines vers une réelle
appropriation des réseaux Internet, risque de limiter l’implication des pays africains dans les
réseaux d’information et de communication transnationaux, un espace virtuel de plus en plus
central dans l’ère de la mondialisation.
89
Pour terminer, je voudrais brièvement parler d’un aspect relativement important pour
les diasporas, que je n’ai pas développé dans ce travail, faute d’appuis dans les entretiens de
terrain : Internet comme outil de contrôle pour les services de l’immigration, véritable
instrument de « traçabilité » de la mobilité. Si j’ai choisi de ne pas développer cette question
des systèmes de contrôle, c’est aussi parce que ce travail est essentiellement tourné vers
l’étude de l’usage des TIC dans les diasporas. L’informatisation des systèmes de contrôle par
les pays d’accueils et d’origines pourrait en revanche faire l’objet d’un autre mémoire, qui
s’orienterait vers l’apport des TIC pour les Etats dans des perspectives de contrôle de la
migration et des mobilités (n’entrant pas vraiment dans ce sujet d’étude). Ainsi, j’ai préféré
m’en tenir ici à l’étude de l’usage des TIC par les migrants, sans développer réellement la
question du contrôle par les Etats.
Le contrôle des migrants se fait de plus en plus sur un support informatique. Les frontières
physiques s’estompent progressivement en Europe, alors que les frontières informatiques
s’installent dans les consulats et les services de douane. La mise en place du système
EURODAC94 en Europe (dont fait parti la Grande Bretagne) représente parfaitement ce
nouveau support de contrôle des migrations. C’est un programme qui consiste à retracer
l’historicité du parcours des migrants, et à organiser la gestion informatique des dossiers de
ressortissants étrangers. Les possibilités de contourner les circuits d’intégration classiques,
offertes par les TIC, semblent contrebalancées par l’informatisation des dossiers concernant
les migrants. Certains programmes déjà utilisés aux Etats-Unis sont d’ailleurs à l’étude en
Europe, comme la biométrie95, ou encore les projets de puce sous-cutanés (dont on récupère
les informations dans une base de donnée).
Bien que ces nouveaux moyens de contrôle pour les gouvernements d’accueils permettent un
meilleur suivi de la mobilité des ressortissants étrangers, Internet reste l‘outil le plus adapté
dans le monde moderne mondialisé. Support d’une identité à la fois anonyme, aterritoriale, et
transnationale, il est un moyen de s’intégrer dans le monde de la communication et de
l’information, en utilisant ses connectivités pour transformer sa mobilité physique (de plus en
plus contrôlée) en une mobilité virtuelle (présence quotidienne dans les différentes sphères
d’appartenance).
94 Crée le 15 juin 1990, lors de la signature de la convention de Dublin, EURODAC est un programme utilisé par tous les Etats membres. C’est un système de comparaison des empreintes digitales de tous les demandeurs d’asiles et immigrants clandestins. Cet instrument communautaire de contrôle, mis en place en Mars 1998 est coordonné autour d’une base de donnée centrale, accessible à tous les pays membres de l’U.E ( Diminescu, 2006) 95 : Biométrie : un programme qui consiste à remplacer progressivement les cartes d’identités par des puces informatiques dans lesquelles sont enregistrées les caractéristiques du corps humain du migrant (empreintes digitales, pupille de l’œil) (Diminescu, 2006).
90
Les TIC apparaissent comme encore plus indispensables pour les migrants clandestins quand
on considère les difficultés qu’ils rencontrent pour rentrer au pays. En effet, les migrants en
situations irrégulières ne sont pas acceptés par les sociétés d’accueils, mais ne peuvent pas
non plus retourner au pays, les systèmes de contrôle étant de plus en plus stricts (d’autant plus
que la lutte anti-terroriste renforce les craintes de la part des autorités, et accentue les
procédures de contrôle). En un sens nous passons d’un système de « diaspora noria »
(migration temporaire) à un système de « diaspora définitive » (le retour au pays étant très
difficile). Avant, les migrants d’une même famille se relayaient, maintenant c’est devenu
presque impossible, c’est pourquoi les TIC sont d’autant plus importants pour eux.
Cependant, comme le souligne Mlle Diminescu (2001), nous entrons dans une période où le
contrôle de l’immigration risque de s’étendre à l’ensemble des mobilités. Nous sommes donc
face à une généralisation de la « traçabilité » à l’ensemble des mouvements des individus, tout
type de mouvement étant fiché et informatisé.
Se pose alors la question suivante : allons nous vers une fin de la liberté de circuler ?
Pour clore mon travail sur une note plus optimiste, je voudrais revenir sur l’aspect
central de mon analyse, à savoir que les TIC semblent être un outil très efficace pour les
diasporas. Bien que la mise en place de programmes d’orientations du capital humain et
matériel que représente la diaspora vers les pays d’origine soit encore inexistante ; les TIC
jouent un rôle central dans le dynamisme de ces communautés de migrants. Support d’une
identité qui se construit sur une articulation des échelles d’appartenance, le réseau virtuel
donne l’opportunité aux diasporas de coordonner leurs actions, au niveau local, transnational,
et vers le pays d’origine.
En dernier lieu, je voudrais citer Seydou Badian Kouyaté96, afin de rendre la parole au
continent africain, et donner une voix aux intellectuels qui en sont originaire : « Le groupe est
la réalité, le souverain bien, le refuge, la citadelle sans laquelle l’individu serait en péril.
L’homme se meut, évolue, se réalise au sein du groupe. Le refus absolu – refus rupture – est
une hérésie. Il est désintégrateur du groupe, il fragilise l’individu, le condamne, c’est un
suicide ». C’est ainsi en ce sens que les TIC ont un rôle essentiel, celui de réunir et
d’entretenir le lien du groupe.
96 : Seydou Badian Kouyaté est ministre du développement de la république du Mali dans le gouvernement dirigé par Modibo Kéita. Il a beaucoup travaillé sur les problèmes psychologiques d’une société africaine en évolution. Il prône la synthèse plutôt que le choix entre tradition et modernisme qui amputerait l’âme africaine.
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Diaspora in Britain).
-WRIGHT, MICHELLE, M. (2004). Becoming Black: creating identity in the African
diaspora . Duke. University Press. 280p.
98
Glossaire
Africa Centre : Association dont le siège est à Covent Garden (Londres), dont l’objectif est
d’aider les minorités africaines à s’intégrer à Londres.
Commonwealth : organisation économique issue de la période coloniale de la Grande
Bretagne qui rassemble la Grande Bretagne, l’Australie et les Etats-Unis.
Cultural diaspora : diaspora « intellectuelle ».
Health Net : réseau Internet le plus répandu sur le continent africain dont l’introduction
remonte aux début des années 1990.
Labour and Imperial diaspora : diaspora du travail et diaspora à fort capital humain.
Money Express : programme qui permet le transfert d’argent qui permet aux migrants
d’envoyer des fonds vers le pays d’origine, et de suivre l’évolution des transferts via Internet.
Nobordercamp : projet Européen créé en 2002, réunissant des activistes politiques, des
migrants et des artistes de toute l’Europe (site Internet : www.nobordercamp.org).
Trade diaspora : diaspora de l’échange et du commerce.
Victim diaspora : diaspora pour laquelle le départ du pays d’origine à été contraint.
Liste des sigles
-FMI : Fond Monétaire Internationale
-LSE : Ecole d’Economie de Londres
-MSH : Maison des Sciences de Humaine
-NACEM : Conseil National pour les Minorités Ethiques
-PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
-SOAS : Ecole d’études orientales et africaines
-TIC : Téchnologies de l’Information et de la Communication
-UCL : Université de Londres
-UFC : Union des Forces pour le Changement
99
Table des illustrations
• Cartographie
-Carte n°1 : Agglomération londonienne (extrait du site : www.quid.fr//monde)............page 17
-Carte n°2 : Répartition des communautés noires Africaines à Londres (extrait de « the
guardians » 21/01/05 : « The world in one city »)……………………………….……..page 20
• Schémas
-Schéma n°1 : Le cybercafé : un support d’intégration, de connexion transnationale et de
pérennisation identitaire (Stebig Jonathan)………………………………………….…page 47
-Schéma n°2 : Les TIC : un outil d’intégration, d’intégrité identitaire et d’organisation
économique (Stebig Jonathan)…………………………………………………...…page 60-61
-Schéma n°3 : Internet : démocratisation de l’information et de la communication : outil de
pression politique (Stebig Jonathan)……………………………………………………page 71
-Schéma n°4 : Le rôle central des « médiateurs » : à l’origine de probables perturbations de
l’organisation sociétale en Afrique (Stebig Jonathan)…………………………...…page 85-86
• Tableaux
-Tableau n°1 : Présentation des 23 individus choisis pour la réalisation des entretiens (Stebig
Jonathan)………………………………………………………………………………...page 27
• Photos
-Photo n°1 : Page de présentation, devanture du cybercafé « Hackney.com » à Londres (photo
prise par Michael, le gérant)…………………………………………………..………….page 1
-Photo n°2 : Intérieur du cybercafé « Hackney. Com » (photo prise par Michael)……..page 37
-Photo n°3 : Peinture de Yomi exposée dans le cybercafé « Hackney.com » (photo prise par
Michael)………………………………………………………………………………....page 40
100
• Pages Web illustratives (captures d’écran)
-Capture d’écran n°1 : Deuxième page de « Diastode » : présentation des domaines
d’informations du site, extrait du site « www.diastode.org »…………………………...page 24
-Capture d’écran n°2 : Présentation générale des objectifs « d’Africa’nti », extrait du site
« www.africa’nti.org »……………………………………………………………….…page 31
-Capture d’écran n°3 : Exemples d’articles disponibles en ligne gratuitement sur
« Africa’nti », extrait du site « www.africa’nti.org ».…………………………………..page 32
-Capture d’écran n°4 : Présentation des objectifs et de l’historique de « Diastode », extrait du
site « www.diastode.org »………………………………………………………...…page 42-43
-Capture d’écran n°5 : Exemple de publications des membres de la Diaspora sur « Diastode »,
extrait de « www.diastode.org »………………………………………………………...page 54
-Capture d’écran n°6 : Présentation générale et historique de l’association « Nobordercamp »,
extrait du site « www.nobordercamp.org »…………………………………………..…page 67
101
Annexes
-Annexe 1 : guides d’entretiens………………………………………………………102-107
• 1er guide…………………………………………..……………………………102-105 • Guide définitif……………………………………………..……………………105-107
-Annexe 2 : retranscriptions d’entretiens……………………………………….…...108-128
• Entretiens retranscrits en quasi intégralité………………………………..…...108-120 • Extraits d’entretiens : passages pertinents……………………………………..121-128
102
Annexe 1 : guide d’entretien
• Première version :
I am a French student in geography, I study in London for one year and I have to make
a research about the African Diaspora’s relationship with the homeland, and I have chosen to
focus on the use of Internet in these relationships.
• General relationship:
-Do you keep any contact with your family in the homeland?
-Do you use Internet in order to keep relationship?
Were do you go in order to connect to Internet?
How many times in a week?
Is there a particular person with who you keep the correspondence?
Do you supply your family in informatics’ material?
-Do you keep correspondence with other people from the Diaspora‘s network? In
London? In U.K? In the World?
• Identity and territoriality:
-Do you feel belonging to this host city? Or do you have a personal identity which
is a mixture of your belonging to London and your own culture?
-Did you lose your original identity because of the travel in this host city?
-Do you think that Internet network have given to you a particular identity due to
the interconnection within the Diaspora’s communities?
Is the use of Internet increases your connection and thus, your own identity?
-Do you think Internet is a way to cross the physical borders, to increase the links
in the Diaspora?
• Homeland connection:
-Is Internet gives you the opportunity to organize yours actions toward the
homeland? To invest yourself in your country?
-Do you carry the purpose to go back home later?
103
-Have you moved abroad just in order to increase your family standard of living
and your future life? Is the migration just a step in your life?
• Disruption of traditional rules and hierarchy:
-Do you have a mediator in the homeland?
-What are the young people functions in your original country? Are they more
connected to the web? Do they know the use of computers better than others?
-Is Internet a chance for women to go round the traditional gender relation? A way
to be more independent?
-How women have integrated this new technology? Are they sensitized?
-Is the Internet influence upsets the original custom in your homeland? I mean the
hierarchy and gender relationship?
-Is Internet a disruption in the old people power in Africa?
-Is Internet an emancipation way for women, in order to get round the rules and
customs?
• Economic relationship:
-Do you send back money or material things in the homeland?
-Do you trade with other members of the Diaspora?
-What are the opportunities of using Internet for economic relationship?
Is there a trade network in the Diaspora?
Do you take opportunity of shows, events or meetings in other parts of the
world to sell some African goods?
-Do you make some Investment in your original country?
I mean, buy fields, organize a trade store, or build a house?
Is Internet increases the opportunity to organize your economic investment in
the homeland? How is it beneficial?
• Political relationship:
-Do you use for African information through newspapers, radio and T.V, available
online?
104
-Do you use online forum to exchange points of view with your community about
political situation in your homeland?
-Do you think Internet is a way to be a citizen who live abroad, but keep political
conscious of what is happening in his homeland?
-Do you think that the web could be a good counter power in order to fight against
corruption and dictatorship?
-Do you have relationship via the web with your original country’s government?
Is there some political program on behalf of government to keep you connected
to the country? In order to take advantage of Diaspora network.
Is there some return program? I mean some attraction strategy by the
government to encourage you to come back or to be engaged in the homeland.
-Do you think Internet could become the modern militancy for opponent and for
people who lives abroad?
• "Transnationality", international connection and cultural diversity:
-Do you think Internet give a way to broaden the impact of African culture in the
world?
-Do you think Internet allows a cultural mixture, in the sense that people from
different religion, culture or nationality can meet each other online to share
different opinion and feelings, like “an international society”?
-Is Internet a network of co-ordination, connectivity and relationship with different
people?
-Do you use Internet in order to take part in a global organization? Like alter-
globalization movement? I mean, meet different people online to share a common
goal in global actions or feelings?
• “Brain drain” or “Brain gain”?
-Do you think people who leave the homeland to study have a role to play in
development of their own country?
-Is the “brain drain” could become a “brain gain”, because of the Internet inter-
connection and the Diaspora’s Investment in the home country?
105
-Do you think that government should develop return program, or co-ordination
program in order to attract migrants or, basically take advantage of their
knowledge?
• Imperialism instrument:
-Do you think Internet could become the power instrument for industrialized
countries if African governments don’t try to control this modern technology and
to increase their use of it?
• Guide d’entretien : Version definitive.
• General relationship:
-Do you keep any contact with your family in the homeland?
-Why did you choose this particular Internet coffee?
How many times a week are you coming?
What are your uses of the Internet?
-Do you keep up good relations with other customers of this place?
-Do you keep correspondence with other people from the Diaspora‘s network? In
London? In U.K? In the World?
• Identity and territoriality:
-Do you feel belonging to this host city?
-What do you think about this Internet coffee? Is it usual for your integration in
London?
-Did you lose your original identity because of the travel in this host city?
-Do you think the Internet is a way to increase the links in the Diaspora? A way to
keep up your own identity?
• Homeland connection:
-Is Internet gives you the opportunity to organize yours actions toward the
homeland? To invest yourself in your country?
106
- Is there a particular person with who you keep the correspondence?
-What are his functions in the country? Is he more connected to the web? Does he
know the use of computers better than others?
-Are there any consequences related to the new role of people connected with you
through the web?
-What are the uses of the Internet for women?
-Is the new access to the international network gives a further path to the outside
world?
-How older generations consider this new tool? Is their position disrupted in the
society?
-Is the migration just a step in your life?
• Economic relationship:
-Do you send back money or material things in the homeland?
-Do you make some Investment in your country?
Is the Internet increase the opportunity to organize your economic investment
in the homeland?
-Do you trade with other members of the Diaspora?
-What are the opportunities of using Internet for economic relationship?
Is there a trade network in the Diaspora?
Do you take opportunity of shows, events or meetings in other parts of the
world to sell some goods?
• Political relationship:
-Is the access to African news (TV, press, radio) easier since you increased you use
of the Internet? Is there any difference compared with when you were home?
-Do you use online forum to exchange points of view with your community about
political and social topics?
-Do you think the Internet is a way to keep political consciousness of what is
happening in his homeland?
-Do you think Internet could become the modern militancy tool for people who
live abroad?
-Do you think that the web could be a way to fight against corruption and
dictatorship?
107
-Do you have relationship via the web with political parties home?
-Is there some political program on behalf of government to keep you connected to
the country?
108
Annexe 2 : Retranscriptions d’entretiens
• Entretiens retranscrits en quasi-intégralité.
Faure, togolais, 26 ans, étudiant en anglais.
Date de la réalisation de l’entretien : 14 mars 2006
-Well, could you told me about your connection, and discussion with your relatives, in Togo,
and outside. Is there a particular person with who you are conversing in Togo?
-Actually there are 2, my sister, Yenda, and my brother, Abdou. It depend of there timetable,
there are student you know, quite busy, and they mustn’t fail, that’s a chance for us to study.
-Ok, how do you communicate?
-Emails essentially
-She tells you about her personal uses of the Internet?
-Well, approximately once a week, she is going in the website planetafrique.com, where she
can share a lot of debates, about situation in Africa, and many other topics.
-Do you think that her new habits with the Internet have changed her life?
-That’s sure, that’s essentially why she wants to move abroad. First, she can have some news
about me and our cousins in France, which give her the desire to follow us, to leave the
country, to study in a foreign university, she is really keen on starting a new life. She doesn’t
want to stay there, to married a man, grown up children, and follow this routine. (il a l’ai un
peu perdu, l’air d’avoir oublié de quoi il parlé). Emm, and what else, oh, and the forums as
well. She is always accounting me about debates she had, always questioning her self about
the relation with her courses, she is studying international relationship. I think that through the
Internet, she has extremely increased her willing to leave, that’s sure.
(je tente d’intervenir, mais il me coupe la parole)
-I’m going to tell you something, to show you how far things have change. Yenda counted me
about her relation with our older sister, which is (il lève les yeux et réflechi), I think 35 years
old. Apparently, Fayel (la plus grande soeur), looks what yenda is doing very badly. I mean,
studies, her time spend in Internet coffee, and all what she talks about at dinner time, her
desires, plans for future. In my mind, things have changed very quickly, from one generation
to the other; the Internet has developed such rapidly that misunderstanding is quite common
between people.
109
-That’s really interesting, so, according to you, what your sister is planning to do result a great
deal from her uses of the Internet.
-Yes, among others, the Internet, studies, my departure, our cousins in France. But that’s sure,
all these things are related to the fact that she uses more and more this tool.
-And what people think about that, I mean, your parents, grand-parents?
-They look that quite unfavourably. That’s may be why she really wants to leave. I know that
she has some friends at school, which are in the same feeling as her.
-And what about you, what do you think about these traditions disruptions? You look really
close to your sister, do you thing what’s happening is good for her?
-Definitely, I’m living for almost 2 years, enough to see how women are considered,
respected. For example, in LSE, how many students are women? That’s crazy, we couldn’t
see that home, women are fated to grown up children, to feed the family, nothing more.
-So why was she able to study?
-Man, she had hard time for that, after primary school, she had her husband already. But she
was didn’t want to married at all. That was a year ago, and she was already discussing with
me, going on forums. I things was step by step that thing have changed. Because she was, as
my brother, the only one to know how the Internet was working, she was well placed to make
the link with us abroad, and she acquired much more, through forums, and all the stuff. Thus,
she asks to carry on studies, and she managed to. She always has what she deserves.
-What is your point of view about that? Don’t you think that this change will disrupted the
traditional customs in your county?
-And so, you think that she should stop studies, going back, she has done so much, she
deserve to leave, and people will be aware later how useful it was for everybody.
-Why?
-Because, while we are away from home, not able to help parents for everyday work, harvests,
we are still belonging to the homeland. I will never leave my family definitely, I’m here to
study, but I want later to use my skills and knowledge to help them.
-Yes, but may be they fear you to be too much attracted by this new kind of life, and never
want to do a step back.
-That’s what they must think, but that’s wrong. (il réflechi un instant) But actually you’re
wrong as well, the situation is different for me, I’m working here, in my spare time, I’m
dealing flyers in the street, and I send back money home, and I fund my classes by myself.
That was the condition for my departure. I’m not sure that my sister will be as involve as me
110
in the situation in Togo. She is pissed off you know, if she manage to come here, she will
basically think about her, and never look backward.
-You just told me that you send back money home.
-Yes
-Is the Internet useful for these transfers?
-Of course. I never send money by post now, I only use money express.
-What’s that?
-You don’t know. That’s a great program, there are 3 offices in the UK, and a great number in
Togo. It’s possible to send Cash to cash, cash to bank account, it’s very flexible.
-Who is receiving the money?
-My sister and my bro (brother) are indispensable in this trade, they are the only one able to
deal with me, and the rest of my family would be overwhelmed. They’ve got a central role in
the economic exchanges with me, and so, are responsible for investments, purchases, and all
the stuff home.
-It makes things shift?
- (me regarde avec un léger sourire) Things are changing, and very quickly, I told you the
incomprehension between my sister and her elder about her use of the Internet. And this gap
is similar for the whole older generation. Migration is still important in Africa, but what has
changed is that even people who are still home are hugely connected to the foreign world.
-(un petit silence, le temps de relancer la discussion sur quelque chose d’autre). Ok, that’s
perfect, let’s now speak about you. Do you feel belonging to the host country?
-Oh no, I’ve got a proper identity, If I cross somebody in a bar, I will never tell him that I’m
English, I’m Togolese, and I will be forever. That’s my only identity.
-I see, but, you feel integrated to London, don’t you?
-Well, I share a flat, I’m studying working here, enough to consider myself as well integrated,
but that is completely different than a feeling of belonging.
-Is the Internet moved you closer to your home?
-Yes, that’s definitely easier for me to find information about my country, as there is nothing
here concerning Togo. The Internet gave me a steady connection to the evolvement in Togo.
-Do you feel still involve relative to the situation in your country?
-Extremely, in Togo, corruption is still important; the political situation isn’t stable yet. I’m a
member of the website diastode.com, targeting on the Togolese Diaspora.
-Do you use other forums?
111
-Yes, I use Transafricaforum, and Africaforum as well, more general, about different topics
concerning Africa. But actually Diastode is not a forum, I publishing some articles on the
website, I pay for my adhesion, it’s completely different. It seems to me important to share
my ideas, feelings, point of view about what is happening in the world. I really would like to
start studies in international relations here, but I need to pas the First Cambridge Certificate, a
condition to apply for any university in the UK. So, by the moment, I’m debating on the net.
-And what about your family, or friends from Togo, who are living in other parts of the world,
as France, and may be elsewhere.
-I’ve got Togolese mates in Canada and France essentially, and we are almost all members of
Diastode, and we sometimes discuss in some forums.
-Do you think the Internet is a way for you to get people living in different countries closer?
-Yes, I know what you mean. Let me tell you something. This tool is for me essential, to keep
contact with other people from Togo. Aside from forums, I use very often Skype to discuss
with my friends and relatives in France, we share ideas, advice each other about good website
to use, co-ordinate our actions relative to the Togo’s political actions.
-So, through the Internet you can be involved a larger community of Togolese people?
-Yes, and that is important for my identity. Here in London, there is not a lot of Togolese, so,
it’s important for me to communicate regularly on the web, with fellows, it give me a further
way to still feel belonging to my country.
-Are you interested about the political situation there?
-Sure, I’m coming once a week to be informed about government decisions, new programs,
and all the stuff.
-Do you have any particular case in witch you are co-operated all together about the Togolese
political situation?
-Of course, I will quickly present you the political situation there. I’m, as all my friends from
Togo, an active member of the Union of Forces for Changes called UFC, it was the major
opponent party for the last elections, the candidate to the elections was Emmanuel Bob-
Akitani, we are supported by no less than 5 other parties, but we lost the elections against the
Rally for the Togolese People in April 2005, the new president was the son of Eyadéma,
Fauré Gnassingbé, after many unconstitutional decisions by the parliament. During this all
period, I was in the UK, debating with my friends about the chances of Bob-Akitani to
succeed to Eyadéma, but we already knew how hard would be the task for him, so much the
RTP was controlling the political sphere. We were all of us in steady contact home with
members of the parties, who gave us information about how things were spending on the
112
field. Then, thanks to diastode, we were trying to expand the information about undemocratic
situation held by the party in power through the web site to have a broaden impact on the
international sphere. But, as I told you, the election has occurred, and Gnassingbé won.
-You seem a bit disappointed, why?
-Man, that’s impossible for us to have any impact on what’s happen there, that’s it.
-Don’t you think that through further actions and co-operations as you did with you fellows in
using Diastode, problems of corruption could be enlarged to the international community, and
eventually have reversal effects over your country.
-Never ever, what is Togo for people abroad, we are a small country, without interests, we
were living a dictatorship for 40 years when Eyadéma was president, marginalized from the
international community due to our undemocratic policies and actions, even excluded from
(OAU) the Organisation for African Unity. Things will not change thanks to a small group of
Togolese abroad who want to see the country evolve and shift radically. We need power for
that.
-So, in a sense you consider your actions inefficient?
-Well I just see what’s happening, we were sincerely implied in the last elections, and we
didn’t manage to make thing change.
-Do you consider yourself as a militant?
-I am, and I will ever be. My actions are perhaps unproductive, but I share ideas, I’m
politically engaged and I try to keep a contact with the political member of UFC in Togo. I do
my best… Even if I’m not on the field, I try to inform all my fellows in the network, and I’m
connected home with some political parties.
-Do you think you could have a higher impact if you were still living in the country?
-I’m not sure (il s’arrête, et se reprend après un petit hochement de tête). Actually in a sense
yes, people abroad are thinking, discussing debating, but we are not on the field. But, I think
it’s important to find the balance between both, a part of the movement really active in the
country, and another part who is trying to develop, and enlarge the popularity of the cause
defended.
-So, do you still feel citizen of Togo, through all these actions and interests you carry
concerning your country?
-No man, I cannot say that, I moved abroad, I physically away. That’s why it’s different for
my.
-But, I mean, perhaps your actions allow you to feel integrated in Togo.
113
-As I already told you, I’m Togolese, it’s my identity, my country. But I would be ashamed
and dishonest on my behalf to say that I’m as people there a citizen of Togo. Even if I’m may
be more politically imply that a lot pf people there, I’m in a quieter climate. For example, two
of my friends have been killed the day after the elections in Togo. And one was absolutely not
implied in politics, that’s why it’s even more dangerous.
-Is there any program implemented by the Togolese government focused on the Diaspora?
-(il fronce les sourcils, l’air de ne pas comprendre de quoi je veux parler)
-I mean, some return program to encourage people abroad to return home, or taxes on the
incomes you get in the host country, things like that.
-I don’t think so, never eared about that. I already send money home, and I think many
migrants do the same; it’s much more efficient for the standard of living of our families than
sending money to the government.
-But what about the money you send back home. Do you ask them to spend that in particular
investments?
-No my brother is responsible, he know what to do, so I let him share the money fairly. I think
he bought lands around Lomé, for cultures, and may be later build a house. But that’s not my
problem any more, I’m here now, I keep what I need to live, or survive (il me regarde avec un
sourire crispé). Our relation is based on confidence, I give him the full responsibility to use
the money how we decided, and make everybody taking advantage of these transfers.
-So, it is again an important evolution in family’s roles, I mean you brother carries much more
responsibilities.
-Yes, I cannot deny that his role has increased. But, I think it’s happening in a lot of
household in Togo, and perhaps broadly in Africa. The Internet, and basically
communications technologies concern a great deal more younger people, so much that their
role have changed, and they now have a louder voice. Especially relative to these kinds of
economic trades, such as money transfer, well, everything related to the Internet. And also
related to information and knowledge. My brother is often telling me that he is debating with
my parents about the governments programs in Togo, and the knowledge he got through the
Internet allows him to argument his ideas, and spread his knowledge around him.
-What do you think about these changes? Do you think it's good?
-Pretty good yes, we need to have people able to appropriate the Internet, that’s the
tomorrow’s technology, and Africa must be able to not be pushed away from this stuff.
114
Samuel, congolais, 28 ans, commerçant.
Date de réalisation de l’entretien : 22 avril 2006
-Well, when did you arrive in the Internet coffee?
-About an hour ago, I’m waiting for some news about my friend in Manchester, there is a
market in one week, in Brixton, and we must discuss about the goods we already have.
-Ok, do you essentially correspond with your working fellows by the Internet?
-Well, this man is particular, he don’t have any mobile. He just arrived from Ethiopia a month
ago, and he still don’t have mobile. Do you know what I mean?
-Yes, sure; so the common tool for communication in the UK is the mobile?
-(courte hésitation, le temps de réfléchir). Mostly, you know that is cheaper, and easier for
work, I never had problem to get my friends on mobile, and some don’t write English very
well.
-I see. (Petit silence) So do you have many relations across UK?
-Yes man, I’ve got fellow in Manchester, Liverpool, Birmingham, Brighton (petite pause),
and many in Brighton. That’s work my friend you know, If I want to eat, in this city, I must
be organised and connected. We keep up-to-date all together about events, festival, big
markets, and any event likely to attract population, and make money
-(d’un ton un peu gêné). But, you’re from Congo, aren’t you?
-Yes man
-Well, and you have relations with people originally from different countries?
-Obviously, what do you think? I’m not a racist, I living in the shit, like my brothers, so we
need help. In this city if you want to make money to survive, you must overpass differences,
that is business.
-I understand, I understand (j’hésite un peu, je cherche quoi dire). And what about London,
you live in Hackney, a West African neighbourhood, and do you have connection with other
parts of London, for trade, or commodities exchanges?
-Yes a lot of, the more places we have, the more money we get. Here there is the market in
Hackney central, every day, but we see people especially on week end, when they’ve got
spare days. During the week, I go to Brixton on Monday and Tuesday, it is maybe the biggest
one, and there are many tourists. And Thursday and Friday, I go to Woolwich and Abbey
wood, in far east London, many Nigerian are living there, I’ve got a couple of mate there, we
do some business together.
115
-So if I try to summarize, you are connected in the whole UK as well as in London, essentially
by phone, you are always looking for any opportunity to sell your goods, wherever, thanks to
your numerous relations.
-Exactly my friend, my job, it is to be awake; I never stop, always at the top.
-And, what kind of goods do you sell?
-Whatever you want, I adapt my self to the place, to the market. I mean, in Brixton I’m
specialized in many traditional and typical (il rit), from my own country, because there is
tourist who enjoy this kind of products. Unlike in Hackney, I sell food, duvets, watch, useful
goods, for everyday life.
-(il me coupe la parole)
-Wait, and it’s very different when I’m moving throughout UK, because it is more for
specialized markets, and events, relative to festivals, especially in summer. There, I sell
almost only goods from my country.
- And what about your connections with your country, do you keep the contact.
-Sure my friend, I will never forget my origins, it is important for me. I was born there; I will
always belong to this country.
-Do you use the Internet for that?
-Yes, mostly, it is easier, cheaper, and we can send a great number of information, in only one
email.
-Is it useful for your business, to keep a steady contact there?
-Yes, I communicate only by the Internet, approximately once a month I ask them for
supplies.
-So, this tool is an advantage for your work.
-I think it is essential, It’s cheaper, faster, we can communicate from anywhere in the world.
And, in my city, the mobile network is still very limited. I could be easier for us to use only
phones, but there is as much Internet coffee as mobile relays. I use the Internet.
-And what about the other places in the world where some of your brothers are living? Do you
enlarge your trade network in other countries?
-Yes, I know some people who are in France (il rit), In Paris, your home. And I know some
other in the USA.
-How do you communicate with them?
-The Internet man, the same thing, the longer is the distance, the better is the Internet. It is
important for us to know what is happening in other countries, about economic opportunities.
Actually, I am often connected with my mates in the US, and in France, and we organize our
116
business relative to the season, the economic situation, the demand in each country. Each of
us then, is in relation with his country to oriented goods towards the good place.
-Well, so tell me if I am right, you’re in a sort of big connected exchange market with other
places in the world. With which you communicate by the web, to check-out possibilities in
each places, and you are all linked to your homeland, in order to organize your trade market.
-Yes, it is like that.
-But, are you in relation with people from different country, in the world network, such as in
the UK, and especially in London?
-No, of course not, it is to far away, how do you want us to develop real relations with people
we have never seen. (il s’arrête et réflechit un peu). By the way, there is one or two Malian I
know in Paris. I met a guy last time in Brixton, who is living in London, and he gave me the
contact of one of his friends in Paris. So now, I have other contact in Paris, which is quite cool
for my job.
-Do you move abroad, for special events, when there is opportunity to make money?
-Yes, I’m going to Paris once or twice a year, but I’ve never been to the US, fly is too
expensive my friend.
-And do you go to see the guys you know from Mali?
-People you don’t know very well are quite distrustful. They fear about there markets. You
need time to trust a foreigner. We work in a jungle, and we are conscious that everybody can
try to steal our market.
-That’s interesting. (je marque une pause). Do you send back some money for your family, in
your country?
-Yes, approximately one third of my incomes. (il semble un peu trouble). Actually, I am here
to enhance the living standard of my family in Brazzaville. Every month, according to the
amount of money I have received from my business, I send back some to my home.
-Is the Internet useful for this kind of transaction?
-Sure, my brother who is still there, he speaks English quite well, and reads as well. So, he is
organizing the investment of the money I send back home. Thanks to him, I can ensure that
what I send there will be well use, and not spend in stupid things. He is very important, I trust
him, and he is studying and very clever, that’s why I know he will make the whole family
take advantage of this money.
-How do you send back the money? By post?
-No, as many migrants, I use the money express organism, and control the transaction through
the Internet. It is well controlled and easy for them to get the money.
117
-What do you ask him to do with the money?
-First, they use that to ensure the every day life of the extended family, but he don’t give the
money directly; he organizes expenditures, according to the needs of each one. Then, with the
spare money, he saves that, the principal goal being to invest in a land around the city. In a
way, he is the bank officer of my extended family. It is very interesting to be a home owner.
When my family will have a land, the purpose is to build a house for every body. It will take
long time, but I’m sure we will manage to do that. Especially since I’m not alone, my two
brothers in New York are sending money as well.
-How do you communicate with your brother home? Emails, instant messages through
hotmail, or Skype.
-Well, most of the time I send him just emails, but some times, when there is important things
to say, which are urgent, I give him a meeting, and either I call him by Skype or discuss with
hotmail. Both are good, it depend of the feeling, no special use for each one.
-What do you think about the role of your brother in your country?
-He has many responsibilities, he is a key man for me. That is why we need somebody we can
trust, and somebody familiarized with the Internet, because many people home don’t even
know how to send an email.
-Indeed, don’t you think kind of power gathered by your brother can be disrupting for the
traditional hierarchy?
-(il à l’air un peu hésitant, ne sais pas trop quoi dire). Well, I mean, (il bafouille), may be. I
don’t know. Basically, in a sense yes. I know that my brother is really awake about what is
happening in the world, and he is regularly going on forums, asking me questions, and giving
me his idea about how the Congolese society should be.
-What do you think about the relations between generations?
-My brother is always telling me that the time he spends in the Internet coffee is a way to
escape the daily life, to dream about better places, and to open his mind to the world.
Basically, he wants to move away, to evolve and to change every thing, I think he is pissed off
with the older generation way of thought, and I understand that well.
-Is their role positive for the life of your family in Congo?
-Yes, without my brother, things wouldn’t be as well organized as they are.
-His position has changed in the society there?
-Yes, he have more responsibilities than before, he decides many things for the family. (il
s’arrête un moment, avant de reprendre). He’ve got power.
-How old people perceive this new role in society?
118
-They must accept, in the sense that it’s beneficial for us. Otherwise, nobody would be able to
do this task, my brother is very efficient. But, I will tell you something, my brother told me
last time that he had a long discussion with our grand-father about the Internet. He told me
that grand-dad knows something is changing, and he is conscious that he cannot control it. He
asks him about what he was always doing in the Internet coffee. Why he was going there. My
brother told him that he was exchanging information with me and organizing the money
transfer and all the stuff. My brother told me that he had a really suspicious eye about this
technology, it will make him ill. That it is a colonisation tool, a domination tool use by
industrialized countries to keep us under control. (Il s’arrête, le temps de réfléchir)
-That’s very interesting, carry on.
-Well, if I tell you that, it’s just to make you understand how lost are old people in my
country, they are still marked by the former imperial system, and will never believe that the
Internet can be a good thing.
-The Internet, in this sense is not without consequences on customs and traditions in your
country.
-Yes, I think it is changing relations, and even hierarchy.
-And what about women, do you think their positions have changed in the society due to this
tool?
-(il lève les yeux, l’air pensif). Well, in my experiences, and my family, there are no women
who use the tool.
-Is your brother aware of this power he has acquired with the skill of this tool?
-Sure my friend, but how I told you, he his clever, and he will not try to use this for his own.
Of course, he uses that for information, knowledge, and further opening toward the world, but
he will never try to keep the money for him, or dupe the family. He is a good guy.
-Let speak about your use of the Internet? Do you come here only to communicate for your
work, with family and organize your trades?
-No man, that is only one of my practices, I am coming here very often to have some news
about what happen in my country. I surf essentially on two websites: congoonline.com and
congosite.com. It seems to me important to keep a keen eye on the news there, to see the
evolution of the situation.
-And do you still feel involve in the political situation there?
-Definitely, it’s my country, I grown up there, and my family is still there, it is important for
me to know the evolution there. I like to have some discussion with my brother, he lives there,
119
so it is interesting to know how he feels things, because it is completely different for him. (il
s’arrête)
-Why?
-He is living there, I told you, and he has a different view of Congo’s political life. I can go on
the websites, I told you about, but there are not really objective, they tell us what is good to
ear, not what is really happening for populations. My brother is studying so he can tell me
how things are evolving.
-Is he the only person with who you are debating about that?
-No, of course no, I have many discussions with my relations in the US and in France, they
are very interested about our country, so we can share ideas.
-So, for you, your exchanges on the web are limited to discussions with your mates.
-Almost my friend.
-And do you have some relations with the political parties in the homeland? To give them
your ideas.
Not me, I’ve got some friends who are maybe more involved than me.
-Well, that’s good. According to you, is the Internet a good tool for political action in the
original country?
-I think so, when you see how my Togolese friend is implied in political actions. But I don’t
think he can have some impact over the government programs in Togo even with the
connections he has throughout the world. But, it is not by debating, organising seminaries or
whatever that the situation will evolve over there. Institutions here still don’t care about our
situation, and it is by action on the field that we will manage to change things.
-You don’t look really interested by this kind of things.
-You know what, I don’t have time, I’m here to make money, for my family, to enhance their
situation in the country, and for me to eat here. I don’t have time to waste with political
actions.
-You told me about the pressure that the communities abroad can exercised over the
government through their connections with different organisations such an amnesty and many
else. Do you know if governments try to keep a hand over these populations abroad?
-In my country there is nothing like that.
-Relative to the problem of press freedom in your country, don’t you think that the Internet
could represent a further path for journalist to publish their articles?
-Of course, I had this discussion with my brother, and we pointed out that I have more access
to the Congolese press than most of the Congolese who are still there. The government
120
controls the press, but he cannot control the Internet, that’s why it is very useful for me. I can
balance the ideas through different newspapers online.
-Do you think the Internet could be a new way of political actions?
-(il s’arrête un instant et réfléchi). Well, sure it could be. But I’m not sure that people like me
are involved to such an extent that they try to develop this kind of movements. It is of course
a new way for us to keep the country in touch, and to remain interested about it. But far away
the idea to fight for political rights. Actually, I’m sure that there are some people who went
abroad by force, people who represented threats for the governments, and who continue their
political practices, but this kind of movement will never make things change, you can trust
me. Things can evolve only on the field, by physical actions. The associations, or all the stuff
interested about the political situation in our country are limited, and even if some important
movement are created, the power is still in the hands of political parties home.
-So, for you, the Internet is a good way for pacifist mobilization, share of ideas, but in any
way a good tool for powerful political organization.
-Yes.
-Do you think that the Internet will enlarge the interest about Africa in the world?
-Of course not, my continent is delayed, people don’t care about, the situation there, they
don’t mind. Read the news man, whatever the newspapers, the guardian, the Independent,
they just write article concerning Africa when there is wars, turmoil, elections. Broadly, only
when the situation is under a lot of strain, especially for European people who are living there.
-That’s true.
-What do you think, the Internet is not a revolution, things won’t change because of
technology. Of course, it is easier for me to organize my commerce, but in no way it will
change the vision of Africa by people.
-Of course that’s true.
121
• Extraits d’entretiens : passages pertinents.
Salomon, 28 ans, togolais, étudiant en anglais.
Date de réalisation de l’entretien : 3 mars 2006.
-What are your relations with your brother home?
-I send him emails, about the transactions, the way I want him to use the money. But also to
give him some news about my situation here.
-How can you ensure that your brother will make the good investments with the money you
send home?
- Our relation is based on confidence, I give him the full responsibility to use the money how
we decided, and make everybody taking advantage of these transfers. He will never try to
keep the money for him, or dupe the family. He is a good guy.
-Do you contact your family home only by emails?
-No I also use phone, and Skype, but it’s not steady at all. I only contact my relative home by
phone to fix a date, in the Internet coffee, to discuss longer, with Skype. But it is only when I
need to tell something important and hurry.
-And tell me more about your brother. What is he doing in the Internet coffee, about his uses
of the Internet?
- He uses that for information, knowledge, and further opening toward the world. This access
to internationals information gave him the possibility to have further vision about the situation
in Togo, and to discuss about his political ideas.
-Are you also invest in the political situation in Togo?
Yes, I’m a member of Diastode, and I surf on the Togolese news websites, and so on.
-Tell me about Diastode, and your expectations about this website.
-There is one essential point I wanted to tell you about. The way in which I use Diastode is
mostly practical, to connect myself with other members in different places of the Diaspora,
and discuss about what are the economic opportunities over there, when the Togolese events
are settled around Europe, and… basically to express what I think about our situation, how to
increase, enhance the Diaspora’s organisation, and so on.
-So you essentially use that related to the Togolese community abroad. Is it important for your
identity?
122
-That’s through Diastode that we keep up the vitality of our community. And even more, we
manage to remote from the traditional isolation of each community in the host country, we are
well connected, and aware about our common belongings throughout the world.
-And what about your political involvement in Togo?
-I’m very implying in politic, but I’m not an activist. And I don’t think that things will evolve
there thanks to the Internet and the broaden access to information.
- (je m’arrête, il a l’air embarassé) You don’t even think that it can enlarge the consciousness
of the situation there. I mean, at least, people can access to some news about what happen,
and discuss, as you do, in forums or by mail.
-You’re right, people are aware, but what’s happening? Is the corruption in political sphere in
Togo erased? Is the government enhanced the policies? Even if people become aware about
that, they don’t have influence.
-Sure, that’s true. (Je marque une pause) So, you don’t consider yourself as a militant, acting
to change politics in Togo.
-If you want, there, to be invest in the political actions, you life is every day endangered, you
cannot know if you will be still alive day after day, each sunset is a kind of chance. I’m not
living under such a strain; I’m away from the field, isolated from the political fights. It would
be too proud to feel myself as active as people there.
-Ok, I understand. And what about your other uses of the Internet, do you go on different
forums, websites…?
-Of course, that’s why I’m not only a member of Diastode, I need to enlarge my knowledge,
and to overtake the mere internal analysis, and to know what external people think about our
situation.
Michael, ghannéen, 32 ans, gérant « d’Hackney.com ».
Date de réalisation de l’entretien : 10 mars 2006.
-How could you define me this cyber coffee?
-Hackney Centre is an open place toward the outside, toward the community settled abroad,
and also the news about every single place in the world. A way to access, in a full freedom, to
a huge amount of information.
-But what is happening in the inside is very particular, isn’t it?
-Of course there are computers in this place, but what people is looking for is more than a
basic Internet connexion, it’s social exchange and integration. What I tried to do when I
123
opened this Internet coffee was to create a place in which the migrant could find a way to
associate the use of the Internet to feel still belonging to his community; with a natural
adaptation to the London Ian everyday life.
-I’m a little astonished by the national mixture of your customers, who all seems to be friends,
standing by each people.
-I don’t want to make my cyber coffee exclusively Ghanaian, or Ethiopian. What I’m proud
about is especially this mixture. In a way, Hackney Centre is a community, which overcomes
all the different cultural belongings.
-The friendship mood of your place must be attractive for people. Do you think it is the key of
your success?
-I really don’t consider my work as a success. I’m not looking for personal glory. I created
this Internet coffee to live, and make money. But much more to help migrants to feel
belonging to a group of people, happy to come together, and to share the everyday life.
-Do you think your coffee is a good way for people to find jobs?
-When a new customer is coming, and he starts to ask me about the way to find work, or flat;
I just tell him, the more people you know, the easier it is going to be for you to find. So just
look around you, and don’t be shy. That is not due to my coffee in particular, but more due to
people and mood inside.
-Tell me a bit more about the computer courses Salomon gives to your customers. Do you
choose the topics by yourself?
-Most of the time yes. What I am trying to do is to awake people about different topics very
under covered in the mass media, and by this way, it is spreading through their own group.
-It is a great method, very clever. You found a way to articulate social, political and economic
topics about what is happening in the world with the basic learns of the Internet. What do you
think about this tool, I mean, the shift it will introduce in society.
-I know a sentence full of truth, let me tell you. The Internet is changing the world. But the
world cannot change only by the Internet.
Wilson, kenyan, 35 ans, caissier.
Date de réalisation de l’entretien: 18 mars 2006
-Why do you come to this Internet coffee?
-Well it is simple. You have computers, people to help you, and a friendly mood. Everything
you need in this kind of place.
124
-Do you use the Internet to connect yourself to your homeland?
-Not at all. My relatives are living in a village. In my homeland, there is no Internet
connection, I am here totally disconnected from my background, the only way to have news is
to call by phone or to send letters, but it’s long, expensive, and not regular at all.
-I’m sorry. So for you what is useful with the Internet?
-I am coming here to go on forums, and to read some news about the situation in Kenya. But
what I found here is more than a way to surf on the web. It is a proper community, a group of
people who doesn’t care about origins, about culture. I’m feeling well surrounded here, so I
come regularly.
-So even if you aren’t very imply in international communications, you still feel the need to
come here, visit people, and spend friendly time?
-Exactly.
-But you don’t have any relations, or connections with other people from Kenya, settling in
other parts of the world? A way to still feeling belonging to your country.
-Not really, but I know what you mean. The more you are internationally connected, the more
you have the opportunity to develop a common feeling across boundaries. I’m not linked, or
involve in a Kenyan network, which doesn’t really exist by the way. I’m here isolated in my
city, and I don’t feel Kenyan, I don’t even feel English, I feel from nowhere. Or only from
“Hackney Centre”
Karim, ghanéen, 21 ans, travailleur informel.
Date de réalisation de l’entretien : 2 avril 2006
-Tell me about your activities here in London.
-I do a lot of things, I just arrived, and I need money.
-Tell me more precisely.
-I work once a week with michæl in the Internet coffee, I help Samuel on the market in
Brixton, I sell some food with Temi in Camden Town. I travel every day, waiting for a call, to
make money
-Tell me about your work with Michael, what are you doing?
-I’m casher, cleaner, I’m doing the coffee. Actually, I’m doing many things.
-How is he contacting you?
-Michael bought me a phone, and he sends me messages regularly to know when I must come
to work.
-That’s interesting, why did he buy you a phone?
125
-Just because I needed a house to make a contract, and other conditions. I still don’t have
-Sorry to ask that, but that’s an informal job, isn’t it?
-Well, yes. As all my jobs, I’m an illegal migrant. Not allowed to be here. So I try to do as
much as I can.
-And what about your activity with Samuel? Is he a good guy?
- (Il se marre) Yes, he is. He just needs me in Brixton, because there are a lot of people. And
this market looks like a jungle, a competition between marketers. When somebody asks for
something we don’t have, we are going to another man, and keep a commission on the total
price. So we need to be two. One who stays, the other who moves.
-But is it a fair competition between people?
-Almost. Actually yes, but in this work, you must know your working fellows; you must trust
them, in order to have good relations. Everything is regulated by talk, there is no contract,
nothing is written, it is informal, and so you must be very clean.
-And you met all these people in “Hackney Centre”?
-Yes
-Is it a good way to be integrated to the society?
-Yes, of course. There is many people, everybody is nice, and have plan to share for work. I
would resume this place like that: we come to “Hackney Centre” to be connected to the
outside, and we left the place seduced by the vitality and the happiness of the inside.
Yomi, nigérianne, 26 ans, Caissière et peintre.
Date de réalisation de l’entretien: 12 avril 2006
-Do you use the Internet to communicate with your relatives in Nigeria?
-Yes, I’m sending emails approximately every week, to tell them about my daily life, my
problems. And especially to show them that I can live on my own, and continue to paint, as an
independent artist.
-Do you use only emails?
-Not really, but mostly yes.
-Which other communication way?
- (Elle hésite, semble un peu génée) Well, sometimes I’m looking for an oral conversation, to
feel closer to my mate. So, I just use Skype when I am feeling sad, and when I miss my
husband. But nothing else.
126
-Ok well, and let’s talk again about the news you send back home by mail, and especially
your artistic project.
-Yes
-How does your family home regard your artistic activity?
-They don’t feel really keen on. According to my husband, I should have stayed in Nigeria
and just painting for pleasure. He doesn’t understand why I travelled here to try to become a
real artist, able to earn money by painting.
-And so, are you able to live by you art?
-Not yet, I’m still in the need to work as a casher in Sainsbury. But apart from this job, I can
display my paints in this Internet coffee thanks to Michael. And also in the market here in
Hackney every Sunday, and in Brixton on Monday. I have a kind of contract with Africa
Centre as well; they allow me to use their office in Covent Garden to display over there.
-Tell me more about this function of displaying in “Hackney Centre”; is it an idea coming
from Michael?
-Yes, he is really keen on enlarge the activity in the cyber coffee, he tries to diversified this
place.
-And, what do you think about this diversification?
-Basically, what I found in this centre is more than a way to communicate with my fellows
home, I could have been any elsewhere. I found a real way to express myself, to display my
work, and to open my mind to other way of thought. It is very friendly here, I’m feeling well.
-But it still doesn’t allow you to earn money?
-I know that it doesn’t represent a way for me to earn money or start a real career, but I don’t
care. That does enlighten the inside, attract people’s eyes, and give me the opportunity to
show my paints.
-So why don’t you try to find another way to display?
-I try, I’m very active, and looking for as much opportunity as I can find. But, you mustn’t be
too pretentious when you are an artist. Things will not come directly, you need to use every
opportunity you have to show your work. It is evolving step by step.
Laolu, nigérian, 24 ans, étudiant en anglais
Date de réalisation de l’entretien: 12 avril 2006
-How did you find the address of this Internet coffee?
127
-You know, it is quite easy to come here when you live in Hackney. Many people comes here,
it is the best Internet coffee I know, because people are very pleasant.
-And what did attract you to come in this particular place?
-Actually, that’s Salomon who told me about this place, I was looking for Internet courses,
which is important for me in my English school. Salomon is my neighbour, and he told me
that he gave classes here during the week. It was great for me to find a way to articulate my
links toward the homeland with the training of the basic uses of the Internet.
-What do you think about this cyber coffee? The atmosphere, the mood, and so on. I’m gonna
be clear and brief: we can summarize what characterized Hackney Centre in a word:
solidarity. It is a perfect place to find friends, and to settle in a steady way in the city.
-Let’s talk about something else
-Carry on
-Why do you use the Internet?
-A lot of things man. First to give and receive news about my wife essentially, who is still
there, waiting for a possibility to come. But also to discuss on forums, to read news about
Nigeria, and a lot of things.
-How do you communicate with your wife in Nigeria?
-I prefer to send e-mails, but sometimes, when I need some comfort, I call my wife, with
Skype, and tell how much I am in love with her
-Why emails?
-It is the easier way to communicate. You don’t have to be free at the same time, you can send
a lot of information in only one mail. It is great.
-Can you merely explain what are you talking about?
-Well, it depend, I know that my wife is in a dire need to move abroad, she wants to leave the
country, so I tell her how things are happening here, how are the lectures, the everyday life. In
a sense, the Internet permits her to escape from the everyday life there, and to open her mind
toward new perspectives. She can access to some forums, visit web site, and speak with me,
abroad.
-Is the fact that you went here had repercussions over her use of the Internet?
-Yes, I told her when I left that I will send news essentially through the Internet, so she made
a lot of effort to learn the basic functions of this tool. But, by the way, she known read and
speak English, so it was easier for her.
-Do you think her access to this tool of information and communication has changed her
vision of life and future?
128
-As I told you, she planned to come here, but I’m sending her money to help her to pay the
ticket; it takes time, but soon, she’s going to join me. I hope so (dit-il d’un air impatient). But
apart from that, she is sharing ideas on forums and she is bored with the habits here. She
wants to work, to have a role, and to discover Europe. She had a big chance to access to the
Internet, and she is not the only one.
-What do you mean?
-She is always spreading the advantages of this new communication and information tool to
her fellows, and she told me that a lot of women are coming with her to learn and use the
computers. They desire to change their life is increasing, and the Internet is one of the
reasons.