Les rôles des médias religieux au Sénégal · Communication et D Media. Internet, médias...

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Les rôles des médias religieux au Sénégal Contexte La population du Sénégal est musulmane à environ 94 pour cent, et la plupart appartiennent à l’une des nombreuses confréries soufies. Certains Musulmans s’affilient aux mouvements réformateurs sunnites ou chiites. Quelque 4 pour cent de la population est chrétienne, comprenant des Catholiques romains, des Protestants et des groupes syncrétiques chrétiens animistes. Les 2 pour cent restants pratiquent exclusivement des religions autochtones locales, d’autres religions ou n’ont pas de religion. Le pays est diversifié sur le plan ethnique et religieux. Malgré une intégration notable de tous les groupes, les Musulmans sont généralement concentrés dans le nord et les Chrétiens dans l’ouest et le sud ; les groupes qui pratiquent des religions autochtones locales se trouvent principalement dans l’est et le sud. La religion a toujours occupé une place de choix dans les programmes des médias au Sénégal (radio, télévision, journaux et Internet). Les grilles de programmes des médias sénégalais intègrent presque toutes les émissions religieuses, qu’elles soient musulmanes ou chrétiens. Les grands événements religieux sont largement couverts ainsi que les autres événements religieux de moindre importance. Les médias se mobilisent pendant des semaines à travers des reportages, des émissions, des documentaires et des directs pour le Magal de Touba (commémoration du retour d’exil de Cheikh Amadou Bamba) et Gamou (célébration de la naissance du prophète), pèlerinage de Popenguine (localité située dans la Petite Côte, où les Chrétiens célèbrent chaque année Marie, la mère de Jésus). La place de la religion dans les médias sénégalais L’étude de l’histoire des médias au Sénégal ne relève pas l’existence de beaucoup de médias religieux proprement dits. Les médias qu’on peut considérer comme religieux n’ont pas exclusivement un programme sur les religions, elles réservent le plus souvent une très grande place à l’information générale et aux émissions thématiques dans tous les domaines, tels que la politique, la santé, la société, la culture et l’économie. Les médias d’informations générales ont toujours inséré dans leurs Ce document a été élaboré en 2015 par Mouhamadou Abdoulaye Barro, consultant du WFDD, journaliste et coordinateur du Réseau des journalistes pour l’information religieuse (REJIR). Il a fait l’objet d’une révision par le personnel du WFDD. Le contexte était un projet du WFDD, avec l’appui de la Fondation Hewlett, visant à engager les leaders religieux sénégalais dans les efforts nationaux de planification familiale. L’objectif de cette étude était de fournir le contexte pour un plaidoyer à travers les médias sur les dimensions religieuses de la planification familiale. Vu la pénurie d’informations sur les médias religieux au Senegal, nous mettons à disposition ce document sous forme d’un document de travail informel.

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  Les rôles des médias religieux au Sénégal

Contexte La population du Sénégal est musulmane à environ 94 pour cent, et la plupart appartiennent à l’une des nombreuses confréries soufies. Certains Musulmans s’affilient aux mouvements réformateurs sunnites ou chiites. Quelque 4 pour cent de la population est chrétienne, comprenant des Catholiques romains, des Protestants et des groupes syncrétiques chrétiens animistes. Les 2 pour cent restants pratiquent exclusivement des religions autochtones locales, d’autres religions ou n’ont pas de religion. Le pays est diversifié sur le plan ethnique et religieux. Malgré une intégration notable de tous les groupes, les Musulmans sont généralement concentrés dans le nord et les Chrétiens dans l’ouest et le sud ; les groupes qui pratiquent des religions autochtones locales se trouvent principalement dans l’est et le sud. La religion a toujours occupé une place de choix dans les programmes des médias au Sénégal (radio, télévision, journaux et Internet). Les grilles de programmes des médias sénégalais intègrent presque toutes les émissions religieuses, qu’elles soient musulmanes ou chrétiens. Les grands événements religieux sont largement couverts ainsi que les autres événements religieux de moindre importance. Les médias se mobilisent pendant des semaines à travers des reportages, des émissions, des documentaires et des directs pour le Magal de Touba (commémoration du retour d’exil de Cheikh Amadou Bamba) et Gamou (célébration de la naissance du prophète), pèlerinage de Popenguine (localité située dans la Petite Côte, où les Chrétiens célèbrent chaque année Marie, la mère de Jésus). La place de la religion dans les médias sénégalais L’étude de l’histoire des médias au Sénégal ne relève pas l’existence de beaucoup de médias religieux proprement dits. Les médias qu’on peut considérer comme religieux n’ont pas exclusivement un programme sur les religions, elles réservent le plus souvent une très grande place à l’information générale et aux émissions thématiques dans tous les domaines, tels que la politique, la santé, la société, la culture et l’économie. Les médias d’informations générales ont toujours inséré dans leurs

Ce document a été élaboré en 2015 par Mouhamadou Abdoulaye Barro, consultant du WFDD, journaliste et coordinateur du Réseau des journalistes pour l’information religieuse (REJIR). Il a fait l’objet d’une révision par le personnel du WFDD. Le contexte était un projet du WFDD, avec l’appui de la Fondation Hewlett, visant à engager les leaders religieux sénégalais dans les efforts nationaux de planification familiale. L’objectif de cette étude était de fournir le contexte pour un plaidoyer à travers les médias sur les dimensions religieuses de la planification familiale. Vu la pénurie d’informations sur les médias religieux au Senegal, nous mettons à disposition ce document sous forme d’un document de travail informel.

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programmes des émissions religieuses. Cette place réservée aux émissions confessionnelles poursuit principalement deux objectifs : il s’agit d’abord de contribuer à l’éducation et à la sensibilisation des populations par le biais des prédicateurs mais aussi d’attirer le maximum d’auditeurs, de téléspectateurs et d’annonceurs pour un but purement commercial. Les émissions religieuses surtout celles qui sont interactives sont très suivies par les populations. Cela explique la forte rentrée d’argent des services commerciaux des médias grâce aux appels téléphoniques à travers le serveur vocal qui demeure encore très cher. Les principaux animateurs des émissions religieuses surtout dans les grands groupes de médias sont devenus de grandes vedettes qui participent ainsi à augmenter l’audience et l’attractivité des médias. C’est dire que les médias, y compris les médias confessionnels, sont en compétition permanente pour élargir leur audience et certaines émissions religieuses prennent même souvent des allures de show médiatique. Les personnes qui sont invitées dans les émissions religieuses sont d’abord les acteurs religieux (les prédicateurs, enseignants d’arabe, les responsables des organisations islamiques, les imams des mosquées, etc.). Il arrive aussi souvent que d’autres acteurs soient invités, surtout si la thématique qui est développée porte sur des sujets techniques. Les animateurs des émissions religieuses font parfois appel à des médecins, des journalistes, des juristes, etc. Cet intérêt prononcé pour les émissions religieuses est dicté par trois facteurs : l’ouverture des universités arabes aux étudiants sénégalais qui choisissent, au retour au Sénégal, l’enseignement et le prêche comme activité principal ; le conflit au Moyen-Orient, qui a conduit beaucoup de Sénégalais à s’intéresser à l’Islam et à la vie religieuse ; ainsi que la place de l’Islam dans la mondialisation perçue non plus comme espace de dialogue et d’échange mais plutôt comme champ de confrontation et de confrontation idéologique. L’évolution des médias au Sénégal Les premiers journaux d’expression française furent crées en 1956 avec la parution du Bulletin administratif du Sénégal et le Moniteur du Sénégal et dépendances, tous deux créés par les autorités coloniales. De 1956 à 1960, le bouillonnement politique a favorisé l’émergence des médias politiques partisans qui étaient beaucoup plus l’affaire des partis politiques et syndicats qui se réclamaient de l’idéologie de la Gauche. A partir de 1960, année de l’indépendance du Sénégal, « la presse plurielle héritée de la colonisation a cédé à un monopole médiatique avec l’instauration du parti unique de fait, malgré l’existence de quelques téméraires qui s’aventuraient à créer leurs journauxi. » Le véritable déclic sera connu dans la deuxième moitié des années 1980 avec l’émergence de la presse indépendante dans un contexte d’ajustement structurel voulu par le FMI et la Banque Mondiale. A partir de 2000, date de la première alternance politique au Sénégal, le nombre des médias s’est accru avec l’avènement des chaines de télévisions privées. En 1963, avec l’appui de l’UNESCO, la télévision a débuté au Sénégal. Les émissions régulières n’ont pas démarré jusqu’à 1965, deux ans plus tard. De nos jours, la RTS (Radiodiffusion Télévision Sénégal) ne monopolise plus le marché des médias. Il existe une grande diversité de chaînes, comme RDV, SN2, TFM, Walf TV, Touba TV, 2sTV, Canal Info, SenTV, Africa7, Lamp Fall TV et Mourchid TV.

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Evolution des émissions religieuses dans les médias « L’émission « Manhar Al Islam » de Elhadj Cheikh Gassama et l’émission catholique le « jour du Seigneur » sur l’ORTS (RTS) sont des œuvres pionnières qui ont marqué les premiers pas des émissions religieuses dans la presseii. » L’émission Manhar Al Islam, qui remonte au moins en 1957, serait la première du genre non seulement au Sénégal mais au sein de l’espace de l’Afrique Occidentale Française. En 1974, Ahmed Bachir Kounta, un islamologue issu de la confrérie Qadiriyya (première confrérie au Sénégal) fut nommé chef de la chaîne nationale. Il devint du coup, secrétaire général de la commission chargée des affaires religieuses au sein de la chaîne nationale. C’est ainsi qu’il introduit en plus du wolof cinq émissions islamiques en langues nationales. En 1981, le nouveau Ministre de l’information M. Djibo Ka prend un arrêté, créant une nouvelle commission des affaires religieuses composée de huit membres dont un homme d’Église, chargée de la supervision de tous les programmes religieux à l’ORTS. A partir des années 90, les médias, privés emboîtant le pas aux médias publics, commencèrent à recruter des prédicateurs formés d’abord dans les daara (écoles islamiques traditionnelles) sénégalais, comme ceux à Touba, Tivaouane, Pire, Ndiassane, Médina Baye à Kaolack, et ensuite, quelques années plus tard, dans les universités du Maghreb et d’Egypte. A l’instar du système politique, le système médiatique sénégalais est devenu pluraliste après quelques années de monopole de l’Etat sur les médias. Il compte, aujourd’hui, 16 chaînes de télévision dont trois religieuses (Lamp Fall TV, Mourchid TV et Touba TV) ; une radio publique avec ses stations régionales ; une vingtaine de radios privées commerciales ; une soixantaine de radios communautaires ; 20 quotidiens, dont Le Soleil (média public) ; de nombreux périodiques ; et plusieurs journaux en ligne. Pour l’essentiel, ces médias sont présents sur Internet. Ce dynamisme médiatique est allée de pair avec la mise en place de groupes de presse privés devenus, au fil des ans, de véritables entreprises commerciales, dont Sud Communication, Futurs Médias, WalFadjri, Avenir Communication et D Media. Internet, médias sociaux et discours religieux Les médias traditionnels (radio, télévision, journaux), n’ont plus le monopole de l’information religieuse au Sénégal. Depuis une dizaine d’années, l’Internet est devenue un puissant levier d’information pour les organisations religieuses et les prédicateurs. Les réseaux sociaux deviennent ainsi des espaces de vulgarisations des sermons des imams, des conférences religieuses et des grandes manifestations. Les sites Internet et les réseaux sociaux, surtout Facebook, sont très utilisés grâce à leur accessibilité facile, à leur coût financier réduit et à leur capacité de toucher une population d’internautes de plus en plus grandissante. Au Sénégal, les sites religieux les plus actifs demeurent www.degdine.net et www.xamsadine.net. Ces sites diffusent en radio, vidéo et télé, ils sont présents sur les réseaux sociaux et sont suivis par des milliers de sénégalais vivants au Sénégal et à l’étranger. Ces sites sont souvent très proches de la tendance islamique de l’Arabie Saoudite, dont le principal représentant religieux au Sénégal est Docteur Ahmad Lo. Ce grand prédicateur, qui dirige une université islamique à Pikine dans la banlieue de Dakar, est très influent chez les jeunes. Ses sermons et ses conférences sont diffusés à travers les sites et les réseaux sociaux.

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Le discours religieux dans les médias Aujourd’hui, les émissions religieuses musulmanes et chrétiennes occupent toutes les chaines et peuplent les grilles des programmes ; les prêcheurs sont parmi les animateurs les plus en vue. Le discours religieux dans les médias, porté par les prêcheurs de toutes confessions confondues, vise la promotion de la religion à travers les idéaux qu’ils prônent. Ce discours a comme cible les fidèles croyants et les non croyants et il ne s’appuie pas uniquement sur le dogme mais, il s’oriente aussi vers les questions politiques, culturelles et socio économiques. Cependant, le discours religieux dans les médias est axé autour de deux orientations principales :

• L’orientation globalisante, incarnée principalement par les acteurs du mouvement réformiste. Cette tendance intègre dans son discours tous les aspects de la vie avec une forte orientation politico-religieuse. Les acteurs de ce discours se retrouvent principalement dans les associations islamiques non soufies et dans certains milieux confrériques influencés par les idées réformistes.

• L’orientation typiquement mystique et cultuelle, incarnée par les prédicateurs issus des milieux soufies, traditionnel, qui limitent le discours religieux aux questions de dogme, la pensée, le culte des saints et la jurisprudence islamique.

Le discours religieux dans les medias était très marginal avant les années 70, au regard de son ampleur réduit et du nombre limité d’acteurs qui s’y consacraient. Cette situation était aussi provoquée par la forte influence de la culture occidentale léguée par le colonisateur français. La naissance du mouvement islamique réformiste dans les années 1950, les conséquences des politiques d’ajustements structurels dans les années 1980 et la libéralisation de l’espace médiatique dans les années 1990 ont favorisé la création de médias privées et, par conséquent, la prolifération des émissions religieuses et des prédicateurs médiatiques. Le discours des prêcheurs dans les médias porte généralement sur l’exégèse du coran, l’histoire et la vie des prophètes et de ses compagnons et sur des thématiques qui tournent autour de l’unicité de Dieu et du rappel des hauts faits des chefs religieux. L’utilisation des langues locales dans les émissions religieuses a été une option stratégique qui a permis de toucher le maximum d’auditeurs et de téléspectateurs tout en permettant à des arabisants d’occuper leur temps d’antenne (en s’exprimant en langues locales, telles que le wolof et le pulaar, au lieu du français). Beaucoup de Sénégalais se sont imprégnés de leur religion à travers ces émissions. Quand les médias généralistes, surtout privés, ont commencé à introduire les langues nationales pour les éditions d’informations, ce sont les présentateurs formés dans les écoles islamiques traditionnelles et au département d’arabe de l’Université de Dakar qui ont été sélectionnés. C’est le cas à Sud FM Dakar, qui est la première radio privée du Sénégal (1994). Ces prédicateurs sont aussi sollicités pour l’animation des conférences religieuses, en particulier pendant le Ramadan. Le discours religieux connaît cependant des moments très vifs à cause de l’actualité et de l’enjeu des questions qui se posent au monde musulman et aux Sénégalais. « Durant les années 1990, un groupe d’intellectuels sénégalais a proposé la promotion d’un Code de statut personnel et l’abrogation du

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Code de la famille voté en 1973. […] Le Conseil supérieur islamique au Sénégal créa en 1996 le Comité islamique pour la réforme du Code de la famille au Sénégal (CIRCOFS) qui critiqua vivement le Code de la familleiii. » Les médias étaient devenus naturellement le lieu de débat des pros et anti réforme du ode de la famille. La majeure partie des prédicateurs des médias qui étaient favorable à la cause du CIRCOFS utilisaient leurs émissions pour amplifier le débat et mobiliser l’opinion publique. Le discours religieux chrétien dans les médias est généralement dominé par celui des Catholiques. L’Église Catholique bénéficie beaucoup plus de plages horaires dans les médias contrairement aux Protestants et aux églises évangéliques. Les nouvelles églises évangéliques qui ont commencé à s’installer au Sénégal dans les dix dernières années sont obligées de débourser d’importantes sommes d’argent pour acheter des temps d’antennes dans les médias. C’est le cas de l’Église Universelle du Royaume de Dieu, qui achète des émissions pour vulgariser ses prêches. Ces évangéliques occupent pour la plupart d’anciennes salles de cinéma à travers le pays et leurs discours s’appuient surtout sur les enseignements de Jésus Christ et sur l’exorcisme. Le mouvement réformiste islamique et les médias Les prédicateurs musulmans les plus actifs qui ont investi les journaux d’obédience islamique en langue arabe et les émissions à la radio et à la télévision sont issus surtout du mouvement islamique réformiste, qui s’est positionné comme une alternative aux confréries soufies traditionnelles. Les médias furent ainsi de puissants relais de communication qui ont permis d’amplifier le discours religieux qui s’était beaucoup plus limité dans les mosquées et les cercles religieux. Ces prédicateurs qui offraient leurs services aux médias de manière bénévole sont devenus très populaires au regard de leur notoriété qu’ils ont acquise. Cependant, ces prédicateurs qui n’étaient pas rémunérés au début, deviennent de plus en plus des salariés avec des contrats réguliers, surtout dans les grands groupes de médias. Le mouvement réformiste islamique est né au Sénégal dans les années 1950. Il se caractérise par son discours, qui appelle à un retour aux enseignements du Coran et à la tradition du prophète de l’islam. Le mouvement réformiste est né dans un contexte d’un fort ancrage de la culture occidentale et de ce qu’il a considéré comme un éloignement des confréries de la tradition du prophète de l’islam (Sounna). Ce discours alternatif, porté par le mouvement qui se voulait authentique, a très vite pris une très grande place dans les différents médias du Sénégal. Le mouvement réformiste, dans sa conception la plus large, englobe certains courants et organisations « progressistes », issus des confréries soufies. L’on peut retrouver dans cette mouvance des organisations non soufies comme le mouvement Al Falah, l’Union culturelle musulmane (UCM), la Jama’atou Iboudou Rahman (JIR) et le mouvement chiite (qui s’inspire des enseignements de l’Imam Khomeini), mais aussi des mouvements issus des confréries comme Moustarchidina Wal Moustarchidaty chez les Tidianes et Hizbut Tarqiyyah chez les Mourides. Toutes ces organisations ont plus ou moins développé dans leur déploiement une stratégie de prédication et de communication qui a abouti à la création de leurs propres outils d’informations ou à leur investissement dans les médias d’information générale.

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Le mouvement Hizbut Tarqiyyah a été crée en 1975 par un groupe d’intellectuels mourides au sein de l’Université de Dakar. Il a créé beaucoup de supports médiatiques allant d’une radio communautaire—Hizbut Tarqiyyah FM 95.6, qui couvre toute la communauté rurale de Touba Mosquée—au site internet www.htcom.sn. Ils éditent le journal trimestriel L’abreuvoir des assoiffés. Le mouvement Moustarchidina Wal Moustarchidaty a été fondé dans les années 1970, mais c’est en 1980 que la structure va sortir du cercle familial pour s’élargir grâce à Serigne Moustapha Sy, qui est son principal leader. Fils du Khalife de la confrérie des Tidianes, Serigne Moustapha Sy a créé en mars 2013 le groupe de presse Mourchid Communication dont le slogan est « la Chaîne des valeurs ». Les programmes ont démarré en mars 2013. La télévision, installée à Dakar, est suivie en partie à Thiès, Saint-Louis et Louga. La communauté musulmane chiite du Sénégal, à travers l’institut Mozdahir International a aussi créé en 2014 une radio communautaire, Mozdahir FM 93.2, à Guédiawaye, dans la banlieue de Dakar. Le promoteur de cette radio est Chérif Mohamed Ali Aidara, fondateur de l’institut Mozdahir International, créé en 2000. La radio accompagne les programmes du mouvement Mozdahir, qui s’active dans les domaines de l’éducation islamique et de la formation professionnelle, la santé, la culture et le micro crédit. La radio est aussi un moyen de vulgarisation et de promotion de la pensée chiite. L’essentiel des financements du mouvement Mozdahir est assuré par ses partenaires et organisations chiites basées en Iran et dans le monde. Le mouvement Al Falah est crée en 1946 par Mamadou Ba Djéwol, un arabisant qui a fait ses études en Arabie Saoudite. C’est officiellement en 1975 que l’association dénommée Mouvement Al Falah pour la culture et l’éducation islamique est créée par d’anciens disciples de Mamadou Ba Djéwol. Le mouvement s’est très tôt investi dans la création d’écoles arabes islamiques modernes grâce au soutien financier de l’Arabie Saoudite. Même si ce mouvement ne s’est pas illustré dans la création de ses propres supports de communication, il a tout de même encouragé ses prédicateurs à investir très tôt les médias d’informations religieuses. Le mouvement sponsorise aussi certaines émissions religieuses dans les radios à travers le pays. Ces émissions sont le plus souvent animées par les prédicateurs du mouvement qui traitent globalement des thèmes qui tournent autour du dogme musulman et de l’unicité de Dieu (Al Aqida). La Jama’atou Ibadou Rahmane est crée en 1978 par des dissidents de l’Union Culturelle Musulmane. La JIR est reconnue officiellement le 30 janvier 1979. Les membres fondateurs de ce mouvement sons issus des universités islamique en Tunisie, Egypte et au Soudan. Elle s’est inspirée du mouvement réformiste international dont celui des Frères musulmans d’Egypte. La JIR a très tôt créée son journal (en français et arabe), Le Musulman, qui s’est positionné comme une alternative à l’information publique. En plus de cela, la JIR a aussi encouragé ses membres à investir dans les médias d’information générale pour la prédication. Les premiers animateurs des émissions islamiques dans les médias privés du Sénégal ont été pour la plupart des membres actifs ou des responsables de la JIR.

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Le journal l’Etudiant Musulman a été crée dans les années 1990 par l’Association des Etudiants Musulmans de Dakar dont le siège est la mosquée de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ce journal édité en français est un bimensuel. Il est animé par des cadres et des étudiants qui y traitent des questions d’actualités, géopolitiques, économiques, culturelles et religieuses. Le journal Al sahwa, qui s’signifie Le Réveil, a été crée par Fadel Guèye en 1992. Il est un mensuel publié en arabe et français. Il est soutenu par l’Ambassade de l’Arabie Saoudite à Dakar. D’autres revues et journaux musulmans de moindre importance sont édités en arabe et en français avec une cible particulière. Ces publications sont créées par des associations ou simplement par des arabisants privés. Les confréries et les médias Toutes les grandes confréries soufies du Sénégal ont investi l’espace médiatique national. En plus de leur présence et de leur influence dans les médias d’information générale, elles ont aussi créé leurs propres supports médiatiques (radio, télévision, journaux et sites internet). Même si certains de ces médias se consacrent exclusivement à des programmes islamiques, la majorité allie à la fois les programmes religieux et programmes généralistes. La confrérie Mouride de Touba est plus active dans la création des médias religieux. Parmi ces médias, il y a les groupes Lamp Fall TV et Lamp Fall radio, qui sont basés à Dakar, et le groupe Touba TV et la radio Disso FM installés à Touba Mbacké. Cette radio, qui a été créée en 2003 à Touba par Abdou Aziz Moustapha Mbacké, a été finalement offerte en 2011 au Khalife Général des Mourides, qui a mis en place une équipe de gestion dirigée par Samba Ndiaye, ancien chef de station de la RTS Touba Mbacké. Il est à signaler que la ville religieuse de Touba avait accueilli beaucoup de radios privées, mais c’est suite à des malentendus entre les responsables religieux et les dirigeants de ces radios que celles-ci ont été sommées de quitter la ville religieuse. Ces radios sont délocalisées à partir de 2003 dans la ville de Mbacké, qui est tout de même frontalière à Touba. Touba TV Le programme de télévision a démarré le vendredi 29 janvier 2009. Il a été créé par deux investisseurs sénégalais, membres actifs de la confrérie Mouride. L’actionnaire majoritaire est Mbakiyou Faye, qui par ailleurs est représentant du Khalife général des Mourides à Dakar. Touba TV est une chaîne satellitaire dont l’objectif est : « éduquer, informer et divertir en conformité constante avec nos valeurs et principes moraux fondamentaux ». Elle ne propose que des émissions islamiques et éducatives et surtout celles qui parlent de la confrérie mouride. Il y a dans le programme des émissions qui parlent de situation du monde musulman. La plupart des animateurs sont de la confrérie. C’est le cas de Cheikhouna Mbacké, fils de l’ex-Khalife des mourides, Serigne Bara Mbacké. La plupart des reportages et documentaires diffusés dans cette chaîne parlent de l’islam, de la science et du monde musulman. La chaîne s’identifie aussi dans sa manière de couvrir les événements religieux au Sénégal. Elle couvre en direct l’essentiel des grands événements religieux musulmans, surtout ceux de la confrérie Mouride.

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Lamp Fall TV et la radio Lamp Fall FM La chaîne Lamp Fall Télévision a démarré ses programmes le vendredi 28 octobre 2011. Elle est une entité du groupe de presse Lamp Fall Communication, qui diffuse la radio Lamp Fall FM et Lamp Fall Télévision. Le promoteur de ce groupe, Alioune Thioune, membre de la communauté Mouride, s’est engagé dans cette entreprise pour la vulgarisation de l’islam et la confrérie de Cheikh Amadou Bamba. Les émissions religieuses qui sont animées dans ces médias portent généralement sur l’islam, le Mouridisme et sur la géopolitique islamique. Ils diffusent surtout l’information religieuse à travers des reportages et des documentaires sur les figures religieuses sénégalaises et sur la réalité de l’islam dans le monde. Toutes les émissions thématiques animées dans ces deux médias ont un fort soubassement moral ou religieux. Elles couvrent aussi en direct l’essentiel des grands événements religieux musulmans surtout ceux de la confrérie Mouride. La radio Al Bayan FM ou Tivaoaune FM 103.6 La communauté Tidiane de Tivaoaune a créé sa propre radio, Al Bayan FM ou Tivaoune FM, qui se veut être une voix de la confrérie et un relais des aspirations des populations locales. Cette radio est installée dans la ville de Tivaoaune, capitale de la confrérie des Tidianes du Sénégal. La radio a démarré ses programmes en 2008 à l’occasion de la célébration de la naissance du Prophète Mohamed (Gamou). La radio émet sur un rayon de 40 km avec un programme religieux et des émissions thématiques sur la santé, l’éducation, l’environnement, le sport, le genre et l’agriculture. La radio est gérée par des responsables du Comité d’organisation au service de Khalifa Ababacar Sy, la structure qui se charge de la coordination des programmes religieux de la ville. Médias de la communauté Niassène La communauté Niassène (de la Tijaniyya), fondée par le guide Ibrahima Niasse et dont le centre névralgique est à Kaolack, a aussi beaucoup investi dans les médias. Le grand groupe de presse WalFadjri a été créé par le marabout et intellectuel arabisant Sidy Lamine Niasse, fils d’Abdoulaye Niasse, l’un des plus illustres guides religieux de son époque et de la communauté religieuse des Niassènes. Ce groupe de presse est composé d’un journal, d’une radio d’information générale 99.0 FM, d’une télévision et d’une radio arabo-islamique 96.3 FM. Le groupe gère aussi des stations radios à travers certaines régions du Sénégal. Dans la ville de Kaolack, il existe déjà quatre radios dont les principaux promoteurs appartiennent à la confrérie Niassène. Il s’agit de Al Madina FM 98.8, Alfayda FM 90.1, Baye FM 88.3 et Lamp Fall FM 99.7. A Dakar, La radio Al Madina FM 100.8 a été créée par Mansour Niasse, fils de Serigne de Mamoune Niasse (fils de Ibrahima Niasse). Mamoune Niasse était un grand leader religieux, riche et fondateur du parti politique le Rassemblement Populaire (RP). Mansour Niasse est aussi le promoteur du amgazine bilingue arabe-français Al Madina, dirigé par Babacar Niang, un ancien animateur religieux du groupe WalFadjri. Le programme religieux de la radio se déroule tous les jeudis de 19h à 19h30 par une édition d’information en arabe. Les émissions islamiques sont animées dans cette radio du jeudi à partir de 20h au samedi à 6h30. Certaines sont interactives et synchronisées avec la station Al Madina FM Kaolack 98.8. Médias de la communauté Layene La communauté Layène de Yoff à Dakar s’est aussi investie dans le secteur des médias avec la création en août 2014 d’une radio communautaire, Diamalaye FM 92.3. Cette radio, basée dans la

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capitale sénégalaise, a uniquement un programme religieux notamment les chants spirituels (Zikr), les émissions interactives religieuses et la prédication. L’essentiel des émissions de cette radio tourne autour de la vie et de la pensée du fondateur de la confrérie, Seydina Liamamoulaye, né en 1875 et dont l’appel à l’islam a commencé en 1883. Le financement des émissions religieuses au Sénégal Les émissions religieuses sont rarement sponsorisées au Sénégal même si les services commerciaux des médias parviennent à obtenir de la part de certaines entreprises, l’achat de spots et de programmes de jeux concours islamiques. Ce sont les émissions islamiques des grands groupes de médias qui bénéficient le plus souvent des parts de sponsoring et de publicité des entreprises. Celles-ci sont attirées par les animateurs religieux dont les émissions sont très suivies par les populations. C’est le cas à la radio Sud FM Dakar 98.5 où l’animateur phare, Oustaz Aliou Sall, attire les auditeurs et les sponsors à travers ses émissions interactives organisées dans la nuit du jeudi et les vendredis. Au niveau de la télévision (Sen TV) et à la radio (Zik FM du groupe D Média), le célèbre prêcheur Ibrahima Badiane, connu sous le nom de Iran Ndao dont les émissions très suivies, intéresse aussi beaucoup d’annonceurs. Il faut cependant noter qu’à part les sponsorisations sporadiques de certaines émissions islamiques par des organisations et ONG islamiques, la plus grande manne financière du sponsoring provient des entreprises commerciales sénégalaises. L’Arabie Saoudite, par le biais de certaines associations comme le mouvement Al Falah, sponsorise certaines émissions islamiques, surtout dans les stations régionales. Ces émissions financées par Al Falah sont souvent animées par des prédicateurs choisis et payés par le mouvement. C’est le cas à la radio Dunya Mbour 102.8 où Al Falah achète régulièrement des plages horaires pour des émissions dont les thématiques tournent le plus souvent sur l’unicité de Dieu. A Ziguinchor, l’ONG islamique humanitaire Agence Musulmane d’Afrique (AMA) sponsorise souvent des émissions islamiques dans les radios, comme Sud FM Ziguinchor, Dunya FM Ziguinchor et Zig FM 100.8. L’ONG AMA, fondé en 1981, est basée au Koweït avec une présence au Sénégal (Ziguinchor) et dans de nombreux pays africains. Les montants du financement de ces émissions, dont le contrat a généralement une durée d’un an, tourne autour de 1000 dollars américain. Les thématiques développées à travers ces émissions tournent autour de la pratique islamique (jurisprudence) et sur les réalisations de l’ONG AMA, qui s’active dans le domaine de l’éducation islamique et de la culture (alphabétisation, enseignement, sensibilisation) et de l’assistance sociale (prise en charge des orphelins et des enfants de la rue, la santé, le financement des projets sociaux, l’hydraulique, la microfinance, la construction des mosquées, le soutien aux femmes et la distribution des vivres).iv Ces émissions sont animées dans les différentes langues nationales pour toucher le maximum de populations. Les animateurs de ces émissions sponsorisées par AMA sont généralement des prêcheurs recrutés et rémunérés par l’ONG. La place des femmes prédicatrices dans les médias La diversification des médias au Sénégal est l’une des conditions de l’essor des femmes, qui est aussi lié au pluralisme et à l’évolution politique du pays.

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L’irruption des femmes prédicatrices dans les médias a commencé par leur présence dans les émissions religieuses comme des invitées. Les hommes, qui ont été beaucoup plus nombreux à animer les émissions religieuses dans les médias, avaient l’habitude d’inviter des femmes prédicatrices, surtout quand il s’agissait de parler de thématiques qui touchent à la sexualité, à la famille et à la morale islamique. C’est ainsi que progressivement ces femmes prédicatrices ont finalement obtenu leurs propres émissions, surtout à la fin des années 1990. Il faut dire que jusqu’à nos jours le discours de ces femmes prédicatrices se limite globalement au statut de la femme avec ses corollaires comme l’avortement, le mariage, la planification familiale, la question du divorce et la polygamie. Il est cependant important de signaler que malgré le positionnement des femmes prédicatrices dans les médias et la bonne audience de leurs émissions, elles tardent encore à produire un discours ouvert et scientifique. Ces femmes sont souvent confinées à un discours moralisateur et sexiste qui est aussi adossé à l’interprétation des hommes. Les femmes qui animent les émissions religieuses islamiques sont généralement formées dans les écoles religieuses du pays où dans les grandes universités des pays arabes. Il y a aussi parmi elles des femmes qui ont une double formation dans les écoles islamiques et dans les universités sénégalaises et occidentales. C’est l’exemple de la prédicatrice Aicha Diagne, qui anime des émissions islamiques très suivies à la télévision nationale RTS, surtout pendant le mois du Ramadan. Certaines animatrices d’émissions se sont faites une bonne place dans les médias grâce à leurs prestations qui sont très suivies par les populations. C’est le cas de la prédicatrice Sokhna Bintou Diop à la Télévision Futurs Médias (TFM), de Sokhna Absa Lo de la Radio Dunya Vision (RDV), membre du mouvement national des femmes de la Jama’atou Ibadou Rahmane et d’Aicha Guèye, prédicatrice à la radio municipale de Dakar (RMD). Les femmes qui animent les émissions catholiques sont quant à elles généralement issues des églises. Ce sont souvent des religieuses, même si certaines femmes catholiques laïques sont aussi invitées selon leur profil et les thématiques développées dans les émissions. La place des programmes religieux dans des médias Malgré l’ampleur des programmes religieux dans les grilles des médias, il est certain que c’est l’actualité politique qui demeure la plus traitée dans les éditions et les émissions. Les religions occupent une plus grande place à la radio et à la télévision que dans les journaux. Les journaux traitent généralement l’information religieuse tout simplement comme une information générale. La spécificité de la radio et la télévision du Sénégal est que l’information religieuse et les émissions islamiques sont diffusées les jeudis et les vendredis. Les émissions catholiques sont traitées à la radio et aux chaînes de télévision les samedis et surtout les dimanches. Celles-ci par contre sont rarement interactives, mais elles sont faites sous forme de prêches avec un prêtre qui commente des textes de la Bible. Le traitement de l’information religieuse par les journalistes professionnels Au Sénégal, la religion demeure l’élément le plus fondamental dans la construction de la nation et cela grâce aux croyances, aux symboles, aux valeurs et la culture qui sont véhiculés par celle-ci. Mais

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malgré tout, les médias ne réservent pas un traitement adéquat aux différentes questions qui touchent les religions. Cette situation est causée surtout par l’inculture des journalistes dans ce domaine et le manque de prise en charge du besoin de formation sur les faits religieux dans les différentes écoles de journalisme communication et dans les rédactions. Ce manque de maîtrise du fait religieux est valable pour les trois grandes religions (l’islam, le christianisme, et le judaïsme) et pour les croyances africaines traditionnelles. L’expérience religieuse que peut avoir un journaliste est d’ailleurs un atout considérable quand il traite des questions qui touchent la vie de millions de personnes. Le problème vient le plus souvent moins d’une hostilité à l’égard des religions que d’une difficulté à les comprendre : les journalistes restent à la surface sans être mal intentionnés. Ou alors, la religion est traitée de façon superficielle, anecdotique, voire même caricaturale. La bonne maîtrise de l’information religieuse par les journalistes professionnels permettrait ainsi de mieux comprendre les enjeux internationaux, la vie en société et les défis du vivre ensemble. Soumis aux impératifs de temps, d'espace, d'audimat et de budget, les journalistes sont obligés de simplifier à l'extrême le traitement d'événements complexes. Les impératifs des médias actuels (immédiateté, rapidité, superficialité, sensationnalisme) sont totalement à l’opposé du temps des religions. Les religieux au Sénégal dénoncent le plus souvent le fonctionnement même de la machine médiatique dont les informations sont placées sous le signe de la rapidité. Les médias ne peuvent pas prendre le temps de s’attarder sur la complexité des questions religieuses, soit parce qu’ils n’ont pas ce temps, soit parce que, de toute façon, exposer cette complexité c’est prendre le risque d’ennuyer le lecteur ou le spectateur habitué au sensationnel. En effet l’islam court les mêmes dangers que le christianisme et le judaïsme si bien que les religieux sont obligés de s’exprimer à travers des formules courtes, voire des slogans, comme ils sont sujets à la dictature de l’émotionnel qui est propre à la culture du zapping. Ainsi, le choix des sujets par les médias et la façon de les traiter se ressemblent très souvent. Les religions offrent une plus grande source d’information dans les domaines de la civilisation, de l’histoire, de la santé maternelle, du bien-être familial, de la mystique, de l’environnement, du développement, de la spiritualité etc. Mais malheureusement, les populations sont souvent horrifiées par la prestation de certains prédicateurs qui font de la simplification et le populisme dans leurs approches. Beaucoup de journalistes sénégalais ignorent les différences entre sunnites, chiites et les soufis. Ils ne savent pas différencier l'amalgame entre juifs et sionistes ou nuancer les mots antisémitisme, judéophobe ou islamophobe. Ils ignorent, par exemple, la différence entre un concile et un conclave, un Luthérien et un Anglican, etc. Il n’y a presque pas de spécialistes de la religion parmi les journalistes professionnels sénégalais. Si les musulmans ont souvent l’impression que l’islam n’est pas abordé avec objectivité dans les médias, les chrétiens aussi se plaignent de l’image de leur religion. C’est fort de ce constat que des journalistes professionnels sénégalais qui s’intéressent à l’information religieuse ont décidé de mettre en place un réseau pour combler le gap dans la prise en charge du traitement du fait religieux dans les médias.

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Le Réseau des Journalistes pour l’Information Religieuse (REJIR) s’est fixé quatre objectifs. Il s’agit : • de regrouper les journalistes professionnels chargés de l'information religieuse dans la presse

écrite, parlée, en ligne ou audiovisuelle ; • de susciter des actions en vue de la formation permanente des membres ; • de contribuer à la recherche sur les religions, au dialogue et à la paix ; • de resserrer les liens confraternels entre ses membres.

Pour l’atteinte de ses objectifs, le REJIR a proposé à ses membres des rencontres avec des experts ou de grandes personnalités religieuses, ainsi que des voyages, au Sénégal ou à l'étranger, afin de développer une solidarité active avec des confrères étrangers et de multiplier les expériences. Des séminaires de formation sont régulièrement proposés aux membres et aux autres journalistes sur les questions qui touchent les religions. La politique de formation du REJIR vise à offrir au public une information religieuse de qualité et à améliorer le dialogue et les relations religions-médias en apprenant à mieux se connaître et à partager sur les attentes de chacun. Un autre objectif consiste à profiter au maximum de l’expérience des intervenants, ainsi que des journalistes, pour faire avancer le débat sur l’information religieuse. Il s’agira de familiariser les journalistes avec le monde religieux en leur donnant quelques outils utiles pour s’informer et quelques clefs pour décoder l’information religieuse. Cette formation visera aussi à outiller les journalistes sur l’histoire et l’évolution des religions, les concepts religieux, les courants de pensée, etc. Les catholiques et les médias Les catholiques du Sénégal ont très tôt investi aussi les médias d’information générale pour leurs prêches. L’essentiel des émissions catholiques sont organisées les samedis et surtout les dimanches à travers tout le pays. Les Catholiques, qui sont majoritaires dans la population des Chrétiens au Sénégal, sont les plus présents dans les médias, surtout à la télévision et à la radio. Les émissions catholiques sont souvent animées par des hommes d’Église choisis par les diocèses ou par des laïcs catholiques qui s’activent dans l’organisation des activités des églises. Contrairement aux musulmans, l’église a une forme d’organisation centralisée et unifiée qui lui permet de coordonner plus ou moins les programmes et le discours de ses prêcheurs. Les thématiques qui sont abordées dans ces émissions sont diverses, elles sont surtout d’ordre spirituel et sociétal. En plus des émissions de prêches et les homélies des prêtres, les animateurs organisent des émissions interactives. L’Église Catholique tente de créer depuis quelques années ses propres médias. La création de la radio Espérance FM 95.2 en est une parfaite illustration. La station a démarré en 2013 avec la bénédiction du Cardinal Théodore Adrien Sarr. Cette radio a été financée par l’Association des dirigeants, entrepreneurs et cadres catholiques du Sénégal (ADECCS), créée en mai 2013. La radio Espérance FM est une société anonyme avec un capital de 200 millions FCFA. Elle est gérée par un conseil d’administration composé de l’ADECCS, du diocèse de Dakar et par des particuliers. L’Archevêque de Dakar, qui est le président d’honneur de cette radio, a inauguré officiellement la station le 25 octobre 2014. La radio a comme slogan « la voix de l’espoir, la radio de la jeunesse ». Elle couvre la région de Dakar avec un projet d’extension vers Mbour. La radio se veut être un organe généraliste d’obédience chrétienne avec un programme religieux qui occupe 80 pour cent de la grille. Les

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animateurs et les journalistes de la radio sont composés de laïcs et de religieux qui sont sous la direction d’Abbé Roger Gomis, qui est l’aumônier (conseiller spirituel de la radio) et le chargé de communication de l’Archidiocèse de Dakar. La radio fonctionne 24h par jour avec des programmes en direct du 6h du matin à minuit. Les émissions religieuses ne sont pas encore interactives contrairement à celles qui sont sociétales. Les thématiques qui y sont diffusées touchent plusieurs domaines (santé, environnement, genre, etc.). Les thématiques des émissions sont choisies selon l’actualité et l’orientation morale et éthique de l’Église. La communication de l’Archidiocèse s’appuie aussi sur d’autres supports comme le bulletin d’information publié par l’office de communications. En plus de cette radio, il existe dans la ville de Thiès une station Coorkat FM 90.2 dont les promoteurs sont d’obédience chrétienne. Cette radio communautaire qui promeut, à travers ses émissions, les valeurs chrétiennes réserve la nuit du vendredi aux émissions musulmanes.                                                                                                                          Notes de fin i Barry, Moustapha. “Médias et pouvoir au Sénégal depuis les indépendances (1960).” Thèse de doctorat, Université Panthéon-Assas, 2012. ii Kasse, Mamadou. “RELIGIONS ET PAIX - Pourquoi les médias doivent-ils assurer leur mission de veille et d’alerte ?” Sud Quotidien. 2013. Disponible à l’adresse : http://www.sudonline.sn/religions-et-paix----pourquoi-les-medias-doivent-ils-assurer-leur-mission-de-veille-et-d-alerte-_a_12044.html. iii Mbow, Penda. “Contexte de la réforme du Code de la famille au Sénégal.” Droit et cultures 59(2010): 87-96. iv Sogoba, Seydou. “Contribution des ONG musulmanes à l’accroissement de l’offre éducative de base au Burkina Faso: Cas de l’Agence des musulmans d’Afrique.” Thèse, Université de Koudougou, 2011.