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Introduction

Victime de violence dans mon enfance, puis dans

ma vie d’adulte, j’ai longtemps erré comme une

coquille vide en ayant comme seule modalité

d’expression : la violence et l’autodestruction. Aussi,

avant de devenir artiste dans LA vie, j’ai d’abord été

l’artiste de MA vie ou un peu à la manière d’un

alchimiste, j’ai transmuté mes épreuves en ressources

et mes blessures en dons et en talents…

La vérité, voila certainement le maitre mot qui a

animé la première partie de mon existence telle une

quête du Graal. Quête qui m’a amenée à comprendre

non seulement ma vie, mais l’histoire de la vie dans ce

qu’elle a de plus sombre et de plus lumineux. Peu à peu

je suis sortie des visions duelles et manichéennes pour

appréhender et développer deux pratiques que je pense

fondamentales : la conscience et le discernement.

Lorsqu’il s’agit de violence, nous avons vite fait

d’entrer dans des représentations extrêmes et erronées :

La violence est forcément physique ou sexuelle… Les

hommes sont plus violents que les femmes… Les filles

sont plus victimes que les garçons… Ou encore, la

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violence ? Ça ne me concerne pas !! etc. Nous avons

également une croyance commune qui consiste à

penser que les plus grands prédateurs se trouvent à

l’extérieur de notre foyer. Un foyer est sensé être

cocon et protecteur. Pourtant, nous sommes bien

obligés de constater, que les plus grandes violences se

déroulent à l’intérieur de nos maisons. 80 % des actes

pédocriminels se déroulent au sein des familles, une

femme sur six est concernée par la violence conjugale.

Sans parler de la violence exercée sur les hommes, ni

des enfants qui battent leurs parents… Statistiquement,

nous avons plus à craindre de mourir violenté au sein

de notre foyer, que par accident, maladie ou tué dans

une guerre !

La violence dans ses formes les plus subtiles et les

plus insidieuses (violence affective, violence

psychologique…) a trouvé refuge, à notre insu, au

sein même de notre système éducatif et habite au

creux de nos chaumières et dans l’ensemble de notre

société. Ainsi, nous pouvons nous poser la question :

Qu’elles sont les valeurs qui ont pris les commandes

de nos vies ?

Nos valeurs sont l’expression de ce que nous

sommes, de notre rapport intime à la vie. Qu’elles

soient conscientes ou non, elles dirigent notre vie.

Quotidiennement, elles sous-tendent la qualité de nos

relations, nos décisions, nos comportements, nos

actions, nos choix de vie. Ce sont elles également qui

définissent nos principes éducatifs et les règles que

nous nous appliquons à nous-mêmes. Mais

paradoxalement, c’est bien souvent par leurs absences

qu’elles nous interpellent : Confiance, estime de

soi, courage, patience, vérité, solidarité, tolérance,

justice, bienveillance, joie, sens… Nos valeurs nous

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manquent, nous faisant perdre par la même occasion

notre pouvoir personnel et notre sens commun ! Mais

Comment transmettre des repères et des valeurs à nos

enfants dans un monde « No LIMIT » qui nous invite

exactement à l’inverse ?

Cette question, je me la pose d’autant plus que je

suis mère de trois enfants et désormais grand-mère. Et

malgré mon état de conscience et mes prises de

positions dans ma vie, je reste bien souvent

impuissante face à une société dont les valeurs

obsolètes nourrissent la dualité, les jeux de pouvoir et

la souffrance humaine. La violence nous concerne

tous et le temps est venu de sortir de la culpabilité,

pour entrer dans la part de responsabilité qui nous

incombe et implique conscience et discernement.

Ce livre est la réédition revue et corrigée de la partie

théorique de mon premier livre « l’inceste, de l’autre

côté du miroir » paru en 2006, mais aujourd’hui

épuisé. A travers ce livre, mon intention est d’apporter

mon humble part au monde. Ma part de vérité, celle

que j’ai apprise à travers les méandres de ma vie et qui

ma permis d’éclairer mon chemin de guérison.

Je me réjouis d’avance s’il peut éclairer des

consciences et des chemins de vie en apportant des

repères et des clés de compréhension. En abordant les

coresponsabilités « culture/loi » et

« hommes/femmes » dans les systèmes d’emprises

familiales et l’émergence de la violence intra et extra

familiale, j’espère poser les bases d’une réflexion de

fond sur le sens des valeurs qui animent nos vies et

sur l’art de bien vivre ensemble.

J’ai voulu ce livre en deux parties. Puisque, avant

d’entrer dans une écriture théorique et conceptuelle,

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j’ai d’abord réalisé une écriture autobiographique qui

m’a permis de produire le récit de mon histoire. Ce

récit est désormais publié dans un livre qui s’intitule

« Non, je ne suis pas à toi » aux éditions Eyrolles. Il

constitue le socle et le terreau de toute mon

élaboration intellectuelle. C’est pourquoi, je propose

en deuxième partie, les tenants et les aboutissants de

ma démarche. C’est-à-dire, les différents processus

que l’écriture m’a permis d’explorer en termes de

« guérison » et de « production de savoir ».

Puisse ce livre, nous aider à trouver les clés qui

nous permettrons d’œuvrer (individuellement et

collectivement) pour un monde plus humain

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Des lois pour être humain !

A quoi servent les interdits fondamentaux ?

Et pourquoi sont-ils fondamentaux ? Voici un peu

d’histoire :

Au début de l’histoire de l’humanité, l’Homme vit

une identité primitive et archaïque où prédominent les

pulsions et l’instinct de survie. L’inceste n’est pas

interdit, bien au contraire. Il permet la survie de

l’espèce, permet de préserver les biens et les

territoires de chaque tribu. L’homme vit en hordes et

en clans et il doit combler des besoins vitaux de base,

qui sont des besoins physiologiques, alimentaires, de

sécurité et de reproduction. L’interdit du meurtre

assure la sécurité à l’intérieur du clan.

Et puis, l’humanité grandit et s’organise. Autres

que leurs besoins physiologiques de base, les hommes

cherchent alors à combler des besoins

d’appartenance, de lien et d’échange. C’est à l’ère

néolithique que l’interdit de l’inceste apparait et

permet alors divers échanges entre les tribus. En

s’ouvrant vers l’extérieur, en se reliant avec les

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autres, cette règle de l’exogamie permet de sortir du

vase clos des clans.

Si beaucoup prônent une origine sociale, pour

d’autres, il reposerait sur l’instinct, la pulsion sexuelle.

Le fait de vivre ensemble en permanence diminuerait

l’attrait sexuel entre les membres de la famille, entre

frères et sœurs, entre parents et enfants. L’origine de

l’interdiction serait donc d’ordre naturel et instinctif,

comme chez bon nombre d’animaux. Pour d’autres

encore, il reposerait sur un danger biologique et la

nécessité d’assurer la pérennité des générations au cours

des siècles, en évitant les unions consanguines qui

aboutiraient à une dégénérescence de l’humanité. On

s’interdirait les reproductions entre consanguins pour la

bonne qualité de la race, pour des raisons eugéniques,

afin d’éviter les tares héréditaires et assurer sa

descendance, pour être plus forts que ses ennemis, etc.

L’inceste est aussi à l’origine de tous les dieux :

Toutes les cosmogonies commencent par l’inceste.

De façon logique, lorsque l’Unité primordiale se

divise en deux, elle doit s’autoféconder, pour passer à

trois et pouvoir se multiplier à l’infini. Au regard de

l’histoire de l’humanité et de ses mythes fondateurs

(ex. : Adam et Eve), force est de constater que

l’inceste est originel. Nous sommes tous nés d’un

inceste il y a quelques millions d’années.

L’inceste, dans sa dimension mythique et

symbolique, représente le chaos primitif dans lequel a

pris forme l’humanité et le processus de civilisation.

Son interdit, tout comme l’interdit du meurtre,

représente le cadre fondamental dans lequel nos

sociétés se sont construites et structurées. C’est le

passage de la nature à la culture, de la pulsion à la

raison… Le début du processus de civilisation.

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Ainsi, les interdits fondamentaux (interdit du

meurtre et interdit de l’inceste) répondent à des

besoins vitaux de sécurité, de sens, d’appartenance.

Loi d’organisation sociale et de structuration

psychique, l’interdit du meurtre tout comme l’interdit

de l’inceste structurent notre identité, nos

comportements sexuels, notre façon d’aimer et notre

style relationnel, notre ouverture au langage et

permettent ainsi la descendance et le lien social.

Une règle de la parenté

Cependant, si l’interdit du meurtre, sa définition et

ses représentations sont profondément intégrées et

corporalisées en chacun d’entre nous, l’interdit de

l’inceste, reste bien souvent une énigme. C’est

pourtant cet interdit qui vient plus spécifiquement

organiser les relations entre parents et enfants et entre

les membres d’une même famille. Nous en avons

donc tous l’expérience, à notre insu, à travers nos

valeurs et nos principes éducatifs. Mais ce sujet est

tellement tabou, que son interdit concerne même

l’interdit d’en parler, laissant ainsi l’imaginaire de

chacun libre de vaquer et de se forger ses propres

représentations au risque qu’elles soient extrêmes,

rudimentaires voire totalement erronées.

Une chose est néanmoins certaine et nous pouvons

le constater de façon universelle, quelles que soient les

définitions et les images que nous pouvons en avoir, le

simple mot d’inceste a le pouvoir de déclencher des

réactions de dégoût, d’horreur et de déni…

De façon très étonnante, on peut également

s’apercevoir que la définition de l’inceste est

extrêmement variable d’une culture à une autre, et ne

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concerne pas toujours les mêmes circuits sexuels.

Dans toutes les sociétés il y a des règles qui

interdisent les unions incestueuses, aussi bien sous la

forme de relations sexuelles que sous la forme de

mariages officiels. Les deux interdits ne coïncident

pas nécessairement. Le degré de parenté lié à

l’interdit n’est pas reconnu de manière uniforme. Les

règles relatives à l’inceste doivent alors être étudiées

dans chaque société selon les règles généalogiques.

Par exemple, une tribu de Sibérie du Nord interdit

les mariages incestueux, mais accepte que les jeunes

filles perdent leur virginité avec leur père ou leur frère,

avant le mariage. Chez les indiens Kuki, seul l’inceste

mère / fils est interdit, au contraire des Kalang de Java

chez qui le mariage mère / fils porte bonheur et apporte

fertilité et abondance. En Afrique centrale, un soldat

peut avoir des relations sexuelles avec sa sœur à la

veille d’un combat, pour devenir invulnérable1.

En France les unions sont interdites entre

ascendants ou descendants ou alliés dans la même

ligne généalogique, avec son père ou sa mère, son

frère ou sa sœur, son grand-père ou sa grand-mère,

son fils ou sa fille, son petit-fils ou sa petite-fille, son

oncle ou sa tante… Certaines sociétés considèrent le

mariage entre cousins germains incestueux, alors

qu’il est admis ailleurs et notamment en France.

À la parenté généalogique, d’autres ont ajouté une

parenté spirituelle. Ainsi les Chrétiens interdisent le

mariage religieux avec le parrain ou la marraine, et

dans beaucoup d’autres sociétés le mariage est interdit

entre tous ceux et celles qui ont le même totem.

1 Exemples tirés de L’enfant victime d’inceste – Haesevoets

Yves Hiran – DE BOECK – 1997

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Dans les sociétés chinoises, le tabou contre le

mariage de personnes portant le même nom de famille

est très fort (quelle que soit la distance dans la parenté).

On distingue également la notion de communauté

de vie et d’éducation. Avec l’explosion de la cellule

familiale traditionnelle et l’émergence de nouveaux

modèles, des interrogations peuvent ainsi se poser. Par

exemple, on ne peut pas épouser son enfant adopté. Or,

un père peut épouser la fille adoptive de son ancienne

femme. Au regard de la loi psychique de l’interdit de

l’inceste, cela peut être incestueux s’il l’a élevée, tout

en restant parfaitement légal au niveau du code civil.

Les enfants du premier mariage de la mère et du père

ne peuvent avoir aucune consanguinité et avoir été

élevés comme des frères et sœurs. Leur mariage est

incestueux, mais totalement légal au niveau de la loi…

Une loi contextuelle

Le concept d’inceste est donc neutre en lui même. Il

n’est ni bien ni mal, car en effet, sa définition et donc sa

valeur, découlent du contexte de la culture et des lois.

Ce qui est considéré comme un inceste dans une culture

ne le sera pas forcément dans une autre, l’interdit ne

concerne pas toujours les mêmes circuits sexuels.

Cependant c’est lui qui définit les règles de la parenté.

Nul ne peut descendre de ses enfants ! Il y a ceux

qui viennent avant nous et ceux qui viennent après

nous. L’enfant prend donc sa place de fils ou de fille

dans l’ordre descendant de sa généalogie, et les

parents prennent leur place dans l’ordre ascendant.

L’interdit de l’inceste introduit ainsi des repères

temporels, de l’ordre et du sens dans la généalogie…

Mais au delà du contexte de la culture et de la loi,

les frontières de l’inceste dépendent, également des

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circonstances, car en effet, selon les circonstances, un

même fait peut prendre différentes significations.

Pour prendre un exemple : Faire la toilette intime

de son enfant.

• Si l’enfant a 3 mois, ce geste est considéré

comme un geste de soin qui vient satisfaire un besoin

vital d’hygiène.

• Si l’enfant a 10, 15 ou 20 ans cela a de fortes

chances d’être considéré comme un geste incestueux.

• Mais si l’enfant est handicapé, malade ou

impotent, alors ce geste est de nouveau considéré

comme un geste de soin bienveillant et cela quel que

soit l’âge de l’enfant, de 0 à 99 ans…

Les limites corporelles, affectives, psychologiques

et relationnelles doivent s’ajuster aux besoins de

l’enfant selon les âges de la vie, le contexte et les

circonstances. Ainsi, contrairement à l’interdit du

meurtre, qui représente une limite physique, claire,

nette et palpable, l’interdit de l’inceste représente une

limite beaucoup plus floue, mouvante et fluctuante

qui concerne tout autant la dimension affective et

psychologique que la dimension sexuelle.

L’interdit de l’inceste et l’interdit du meurtre fondent

le cadre de notre culture. C’est eux qui définissent nos

besoins sociaux, nos valeurs communes, nos lois, nos

règles et notre système éducatif…

Le non/nom de la loi

Le rôle des fonctions parentales (parents, familles,

éducateurs) est de satisfaire les besoins vitaux de

l’enfant et lui transmettre les valeurs nécessaires à son

élévation humaine.

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Pour grandir l’enfant a besoin de limites qui d’une

part vont le contenir, le protéger, le sécuriser, mais

d’autre part vont lui permettre de se séparer, de

s’ouvrir au monde, de s’autonomiser, de

s’émanciper… Et ces limites correspondent à des

besoins vitaux qui s’articulent autour de 3 grands

axes :

• Les besoins corporels et physiologiques

• Les besoins affectifs et relationnels

• Les besoins relationnels et symboliques.

Très curieusement, un des tout premiers besoins à

être satisfait dès les premières heures de notre

naissance est un besoin symbolique ordonné par la loi

qui consiste à donner un nom à l’enfant : Il s’agit de

l’acte civil de reconnaissance.

Nous avons besoin d’un nom pour exister. Sans

nom, sans état civil, un enfant serait sans acte de

naissance, sans appartenance, sans lien social, sans

identité, sans papier. Il ne pourrait grandir que dans la

clandestinité et ne pourrait pas s’humaniser. Sans

nom, un individu ne peut pas exister dans notre

société. Il vivrait dans un sentiment de peur et

d’insécurité permanente à défaut de sombrer dans la

folie. Ainsi, véritable rituel d’intégration du petit

homme dans le monde des humains, l’acte civil de

reconnaissance possède une double fonction :

• La première fonction est une fonction

unificatrice, puisqu’en lui donnant son nom la loi

établit un lien de filiation qui assemble, relie l’enfant

à sa mère, à ses parents, sa famille, sa culture, sa

patrie. L’enfant se retrouve inscrit dans une

communauté, un groupe d’appartenance. C’est la

dimension du « nous », du collectif et du social…

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• La deuxième fonction est une fonction

séparatrice, puisqu’en lui donnant son nom, la loi

reconnait l’enfant comme un individu a part entière et

le sépare, le différencie de sa mère, de ses parents, de

sa famille. L’enfant se retrouve inscrit dans une

identité propre. C’est la dimension du « moi je », de

l’individualité et de l’intime

Par cette fonction séparatrice, la loi exerce une

coupure créatrice et pose l’interdit d’une relation

fusionnelle et possessive avec l’enfant qui est de ce

fait accueilli et reconnu comme « enfant de la loi ».

En lui donnant son nom, la loi donne à l’enfant une

sorte d’enveloppe symbolique, un vêtement social qui

lui permet d’exister dans le monde des humains.

L’enfant est reconnu comme sujet de la loi, soumis

aux lois. On peut dire alors que son NOM représente

également le NON de la loi, c’est à dire, le sceau,

l’empreinte symbolique des interdits fondamentaux.

Nous pouvons devenir parents en adoptant un

enfant et donc n’avoir aucun lien biologique avec lui.

De la même façon, nous pouvons avoir un enfant

biologique mais ne pas l’avoir reconnu et donc n’avoir

aucune filiation légale avec lui. Un enfant peut avoir

des géniteurs inconnus, il aura toujours des parents ou

plutôt des fonctions parentales : Parents adoptifs,

famille d’accueil, institutions… Lorsque l’enfant n’est

pas reconnu par ses géniteurs et qu’il se retrouve de ce

fait sans nom, c’est l’état (« la mère patrie ») qui le

nomme et le reconnaît. Par ses liens de sangs, l’enfant

est relié de fait à sa filiation biologique, celle de son

père et de sa mère biologique. Mais ce qui institue

l’enfant dans sa filiation sociale, sa généalogie et son

état civil, c’est le droit et non le biologique.

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De langage et de chair

Notre nom (nom et prénom) est donc le premier

patrimoine qui nous est donné lors de notre naissance.

Tel un vêtement social, il est la forme audible (orale) et

visible (écrite) de notre identité. Il vient nous dire :

« Voilà qui je suis et voilà d’où je viens ! » Car notre

état civil, composé de mots, porte en lui un certain

nombre d’informations étymologiques (origine et

filiation du mot), sémantiques (sens), phoniques

(origine linguistique), identité sexuelle (fille ou

garçon)… Il est une véritable mémoire à lui tout seul !

Notre nom nous raconte l’histoire de nos origines,

celle de nos parents, de notre famille mais aussi celle de

notre culture et de la société dans laquelle nous vivons.

Le prénom est imprégné de l’histoire intime des parents,

de leurs rêves et de leurs projets sur l’enfant, il est

l’expression même de leur désir. Le choix du prénom

est porteur d’une histoire et le résultat de son choix est

déjà le début de l’histoire de l’enfant. D’où vient mon

prénom ? Qui l’a choisi ? Pourquoi ? De quelles

croyances, éventuellement de quel secret, de quelle

blessure, de quelle histoire est-il porteur (dans la famille

mais aussi dans la culture ?) Quelle est son origine

étymologique ? Son sens symbolique ? (De nombreux

livres sont écrits sur la symbolique des prénoms) De

quel son est-il porteur ? De quelle musique ? De quelle

longueur d’onde ? De quelle énergie ?

Notre patronyme est imprégné de notre histoire

collective. Il nous parle de notre appartenance

culturelle et sociale : un nom à particule viendra

immédiatement étiqueter un individu sur sa culture et

son origine sociale. Mais le nom indique aussi

l’origine géographique : patrie ou région. Nous

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pouvons porter un nom à consonance étrangère, du

sud, du nord ou du centre de la France… Chaque

pays, chaque région a ses caractéristiques, son

histoire, sa culture, ses lois, ses codes, ses rites, ses

mythes, ses blessures collectives…

L’être humain a une forme et un sens qui

dépassent sa seule forme physique et restent parfois

bien mystérieux. Ordonné par la loi, il est mis en

« sens » et en forme dès sa naissance par la parole et

l’écriture. Né de chair et de sang, l’individu se voit

ainsi attribuer un nom (son état civil) qui l’inscrit

dans la dimension symbolique du langage, des lois, de

la mémoire collective…

Avant d’être conçu physiquement, l’enfant est

d’abord conçu mentalement par ses parents (avant et

pendant la grossesse). Parlés, désirés (ou non), rêvés,

imagés, son nom et prénom représentent une sorte de

« forme pensée » qui porte en elle l’histoire qui l’a

créée, celle de ses parents, de sa famille mais aussi

celle de sa culture et du monde dans lequel il évolue.

La mémoire de notre nom/prénom est à la

naissance totalement inconsciente. Elle est reliée à un

inconscient familial et collectif. La mémoire est

intimement liée aux émotions. Si aucune image ne

peut s’associer au souvenir, il ne reste que la chair, le

corps pour se souvenir émotionnellement. La

mémoire de notre nom/prénom est inscrite dans la

mémoire de nos cellules. En le nommant à sa

naissance, l’enfant est à son insu enfermé dans ses

déterminismes familiaux et sociaux.

Le nom/prénom constitue une sorte d’enveloppe

symbolique, constituée d’histoires, de croyances, de

mémoires émotionnelles, reliées à un imaginaire

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collectif avec lequel l’enfant est totalement fusionné,

identifié au début de sa vie et qu’il lui faut apprendre

à intégrer, à corporaliser en lui-même. Peu à peu, il

acquiert des mots et des images pour nommer et

appréhender son histoire familiale et culturelle qui

prends ainsi sens et matérialité : l’inconscient devient

conscience, la mémoire devient connaissance, la

pensée prend corps à travers l’émergence de la parole

et du langage.

C’est bien souvent au prix d’un travail de quête et

de connaissance de soi que la personne pourra se

libérer, une fois adulte, de ses déterminismes

familiaux et sociaux. Chemin faisant, l’individu prend

sa propre forme et engendre sa propre histoire. C’est

ce que Jung appelle le processus d’individuation.

S’incarner dans le monde des humains, c’est

s’incarner dans un monde symbolique. Nous sommes

des individus appartenant à une société, mais la

société vit également en chacun de nous à travers son

langage, ses normes, ses lois, sa culture. Que nous en

soyons conscients ou non, nous sommes tous soumis,

agis et interagis par des codes, des règles, des

mythes… qui tissent notre identité humaine.

L’individu naît de chair et de sang, mais c’est son

nom (qui porte en lui l’empreinte symbolique des

interdits fondamentaux) qui l’ancre dans sa filiation

humaine et le monde du vivant. Ainsi l’être humain

est triple : Il est constitué de réel (la chair), de

symbolique (le langage) et d’imaginaire (les

représentations, les affects).

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Les frontières de l’intime

La fusion originelle

La construction de l’identité est un processus en

mouvement qui prend sa source dans la fusion.

Fusion du désir entre un homme et une femme, fusion

d’un ovule et d’un spermatozoïde qui devient un œuf

puis un embryon, fusion symbiotique du fœtus dans le

ventre maternel, corps à corps charnel, affectif et

psychologique entre le bébé et sa mère ou la personne

qui tient cette fonction maternante… En tant

qu’individus, nous sommes tous issus de cette relation

symbiotique et fusionnelle à notre mère. Véritable

cocon protecteur, cette fusion est vitale et inévitable

au début de notre existence.

Après les neufs mois de grossesse, le corps

maternel, bien que séparé biologiquement, continue à

œuvrer pour combler tous les besoins de son bébé

afin qu’il ne manque de rien. Le bébé a besoin de

nourritures physiologiques et affectives. Il a besoin

d’être enveloppé de gestes et de mots qui le

contiennent, l’apaisent et le sécurisent. Lui et sa mère

procèdent de la même entité.

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Paradoxalement, si cette relation est vitale et

protectrice au début de la vie, elle est aussi d’une

extrême violence. En effet le bébé, impuissant et

fragile, est dans la dépendance et la soumission totale à

sa mère. Elle le nourrit : Il vit. Elle ne le nourrit pas : il

meurt… Elle comble ses besoins physiologiques et

affectifs : c’est la béatitude. Elle ne comble pas ses

besoins physiologiques et affectifs : c’est l’horreur. Le

bébé est dans une unité duelle avec sa mère.

Ainsi, à notre naissance, le monde est duel. Il se

répartit en bons objets (ceux qui apportent la

satisfaction des besoins vitaux) et en mauvais objets

(ceux qui frustrent). Ces deux aspects coexistent

difficilement dans un même objet. Nourrisson, nous

voyageons tous entre ces états contradictoires, dans

cette violence archaïque (vie/mort), et ces expériences

contribuent à notre construction psychique.

C’est dans le contact corporel avec sa mère, dans

ce qu’il peut avoir de rassurant face à l’angoisse de

destruction, que le bébé, qui se sent contenu et

enveloppé, peut élaborer des repères sécurisants. Mais

ce contact fusionnel maintient également le bébé dans

l’idée que sa mère est toute puissante et qu’elle a pour

vocation de ne rien lui refuser. Cet état fusionnel,

Jung l’appelle l’identité archaïque en référence à

l’identité chez les hordes primitives. Aldo Naouri le

compare à un inceste sans passage à l’acte, c’est-à-

dire une relation fusionnelle, de dépendance et de

soumission où il ne manque rien2.

2 F.Héritier, B.Cyrulnik, A.Naouri – « De l’inceste » – Poche

Odile Jacob, Mai 2000

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Cet état n’est ni bon, ni mauvais. Il est vital et

inévitable, mais il n’est pas fait pour durer. Peu à peu,

la fusion originelle par essence chaotique, devra faire

place à « la dé fusion ». Dé fusionner du « nous »

originel pour intégrer la dimension du « Je » et

cheminer vers la relation « Je – Nous » et « Je – Tu »,

c’est-à-dire la relation avec un autre que soi.

Autrement dit, l’enfant sort de la dualité originelle

pour évoluer et intégrer peu à peu sa trinité humaine

faite de chair, d’esprit et d’imaginaire.

Le rôle des fonctions parentales

Avec sa naissance et son inscription dans la loi

humaine, l’enfant se retrouve inscrit dans une

triangulation entre sa mère, qui représente

symboliquement la fonction unificatrice, la fonction

cocon et maternante. Et son père, qui représente

l’altérité, la loi, la fonction séparatrice et créatrice.

La fonction séparatrice est représentée

physiquement par le père, mais c’est une fonction

psychique et symbolique qui peut être incarnée par la

mère et n’importe quel autre être humain. De même

pour la fonction maternante, qui est représentée

physiquement par la mère, mais c’est une fonction

psychique et symbolique qui peut être exercé par le

père ou n’importe quel individu. En tant qu’adulte,

nous sommes tous porteurs de ces deux fonctions, elles

ne sont ni sexuées, ni réduites aux seuls pères et mères,

qui restent cependant les premières figures parentales.

La fonction séparatrice et la fonction maternante

représentent nos deux grandes fonctions parentales,

c’est-à-dire les fonctions cadres qui incarnent les

interdits fondamentaux. Car en tant qu’adultes nous

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sommes sensés avoir intégré, corporalisé en nous-

mêmes ces interdits.

Les premiers mois de la vie, la fonction maternante

prend soin essentiellement des besoins physiologiques,

de sécurité de l’enfant. Cette étape de la vie, qui se

déroule dans un corps-à-corps fusionnel, est très

importante. Elle joue un rôle unificateur et permet à

l’enfant de conquérir son intégrité corporelle, le

sentiment d’être et la conscience de soi. La fonction

maternante est une fonction tournée vers l’intérieur.

La fonction séparatrice, en créant une faille, une

ouverture dans l’espace clos de la fusion originelle,

permet à l’enfant d’exister et de prendre corps en

dehors du corps maternant et d’accéder peu à peu à

son individualité. Cette fonction séparatrice est

primordiale pour la construction du « sujet », car elle

ouvre l’enfant à sa dimension relationnelle et

créatrice. C’est une fonction tournée vers l’extérieur.

C’est dans l’interaction entre ces deux fonctions

(maternante et séparatrice) que l’enfant construit son

identité et élabore ses frontières intimes. Aussi, le rôle

des fonctions parentales (parents, familles,

éducateurs) est de satisfaire les besoins vitaux de

l’enfant et lui transmettre les valeurs nécessaires à son

élévation humaine.

Le corps du bébé prend forme dans un tissage

entre ses sensations corporelles et ses élaborations

psychiques et émotionnelles. La représentation qu’il

s’en fait au fur et à mesure qu’il grandit dépend de la

façon dont il a été touché, parlé, agit par son milieu.

Ces différents langages, qu’ils soient verbaux ou

gestuels, sont codés et teintés par la culture et le

milieu environnant.

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C’est en l’enveloppant de gestes (en le berçant, le

lavant, en le nourrissant, en lui apportant les soins

essentiels) et en lui parlant, en le baignant dans la

langue maternelle, en posant des mots sur ses

émotions, sur ses sensations, sur ses images, que la

mère, les parents, la famille, l’environnement,

permettent à l’enfant de sentir et d’incarner les limites

de son corps physiologique, psychologique, affectif et

symbolique.

« Le mot du parent sur le corps du bébé crée une

enveloppe et un lien. C’est comme si le parent fermait

un sac d’émotions avec le lien de la tendresse. Le

bébé se sent contenu, limité, sécurisé »3

Tout comme les gestes qui contiennent, les mots et

le langage sont des enveloppes qui définissent et

structurent l’image du corps, l’image de soi en reliant

le plan de la réalité avec celui de l’imaginaire

(représentations psychiques et émotionnelles). Les

fonctions parentales ont donc un rôle de contenant,

qui permet à l’enfant de tisser progressivement le sens

de sa valeur et de ses valeurs.

Comment aimer sans étouffer, toucher sans abuser,

protéger sans enchaîner, éduquer sans briser, autoriser

sans délaisser, permettre sans abandonner… ? La

question des limites et des frontières se pose tout au

long de l’éducation, voire même tout au long de la vie.

La difficulté c’est qu’elles bougent tout le temps !!…

Car en effet les limites doivent s’ajuster aux besoins de

l’enfant selon les âges de la vie. Un enfant n’a pas les

mêmes besoins et donc les mêmes limites s’il a 3 ans,

3 Suzanne B. Robert Ouvray – Enfant abusé, enfant médusé –

Desclée de Brower – 2001

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10 ans ou 15 ans. Mais néanmoins, quel que soit son

âge, un enfant a besoin de sécurité, mais aussi de

permission et de liberté. Il a besoin de douceur, mais

aussi de rigueur et de fermeté. Il a besoin de chaleur et

de proximité, mais aussi d’intimité et de distance. Ce

n’est pas les uns ou les autres, mais les uns et les

autres. Ce sont des besoins opposés, qu’éprouvent

aussi ses parents et tous les êtres humains.

“La tendresse est une modalité relationnelle qui

satisfait les besoins psychologiques de respect et de

reconnaissance et les besoins physiologiques d’être

touchés par les mots ou par les gestes. C’est une

nourriture fondamentale qui ouvre l’appétit sur la

nécessité de s’appartenir et de se sentir libre d’exister

tel que l’on est.”4

Un des fondements de la tendresse est l’accueil et

la reconnaissance :

• Accueillir et reconnaître un enfant dans ses

sensations et ses émotions, lui permet de s’accueillir

et se reconnaître lui-même dans sa corporalité et lui

permet de faire progressivement l’apprentissage de

ses besoins vitaux, de gérer ses propres limites et

ressources.

Le rôle de nos sensations et nos émotions :

Nos sensations physiques ont un rôle primordial

dans la construction et l’intégration de nos limites

d’être humain. Elles sont, en quelque sorte, des

messagers qui nous avertissent d’un manque, d’un

besoin qui doit être satisfait. Lorsque le nourrisson

4 Suzanne Robert Ouvray. Op. cite

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éprouve une sensation de faim, il émet des pleurs

pour que son besoin de nourriture soit assouvi. Si ce

besoin de nourriture n’est pas contenté, le nourrisson

risque la mort. Tous nos besoins physiologiques de

base doivent être comblés rapidement. Air, eau,

sécurité… Une sensation physiologique est donc là

pour nous alerter d’un manque et nous permettre de

poser l’action adéquate pour que ce manque soit

satisfait. Lorsque nous sommes enfant, ce sont nos

parents ou nos tuteurs qui sont chargés de le faire ;

une fois devenus adultes, c’est nous-mêmes.

Une sensation est éphémère. Elle apparaît pour

nous délivrer un message de manque et disparaît

normalement lorsque le manque est satisfait. Si le

besoin n’est pas satisfait ou satisfait que partiellement

(par exemple malnutrition, insuffisance d’eau ou eau

impropre à la consommation, air pollué, intégrité

corporelle non respectée…), alors la sensation

physiologique s’installe dans la durée jusqu’à ce que

le corps émette des symptômes, tombe malade et que

mort s’en suive si rien n’est fait. La qualité des

nutriments de base est donc essentielle mais c’est à

partir de la façon dont ces nutriments de base vont

être administrés que l’enfant développe une vie

émotionnelle, des représentations mentales, des

systèmes de croyances.

Nos émotions sont également des repères internes.

Elles s’élaborent dans l’expérience que l’enfant fait

du réel et du monde. De ce fait, elles restent très

subjectives et propres à chaque individu. En effet à

partir d’une même expérience, chaque individu peut

ressentir des émotions et élaborer des systèmes de

croyances, très différents voire opposés. Les émotions

sont à notre corps affectif et psychologique, ce que les

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sensations sont à notre corps

physiologique. Cependant, nos émotions nous

avertissent d’autres types de besoins à satisfaire : nos

besoins affectifs, psychologiques, relationnels et

symboliques.

Par exemple, la colère nous informe que notre

territoire intime est transgressé et que nous avons un

besoin de changement et d’affirmation de nos

frontières personnelles. La tristesse, nous informe d’un

besoin de reconnaissance et de réconfort. La peur, nous

parle d’un besoin de repère, de sécurité affective et

psychologique… Tout comme nos sensations, nos

émotions sont éphémères, car elles disparaissent dès

que les besoins sont satisfaits, et se transforment alors

en sentiments de plénitude, de sérénité, d’intégrité…

Savoir les repérer lorsqu’elles apparaissent, les

nommer, permet de poser l’acte cohérent pour assouvir

le besoin vital qui y est associé.

Les émotions ont donc un rôle capital dans

l’élaboration de nos limites humaines mais également

dans l’intégration de notre propre valeur. C’est parce

que l’enfant développe son intelligence émotionnelle,

qu’il peut discerner son état émotionnel de celui de

son parent et qu’il peut s’individualiser (se séparer

émotionnellement et affectivement de son parent).

C’est également grâce à cette intelligence

émotionnelle qu’il peut développer la confiance en

lui, développer ses capacités à s’affirmer et à entrer

en relation de façon sereine et créative.

• Accueillir et reconnaître un enfant dans sa

parole, ses pensées propres et son imaginaire lui

permet de développer sa confiance en lui, sa

créativité, sa capacité d’apprendre, son autonomie…

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Comme tout être humain, l’enfant a besoin de se

dire et d’être entendu. Le confirmer dans ce qu’il dit

ou pense lui permet de se sentir exister dans ses

différences, et pris au sérieux dans ses propres mots,

sa propre parole. C’est par l’efficacité de sa parole

que l’enfant apprend sa valeur et la valeur des

échanges symboliques. C’est ainsi qu’il peut entrer en

toute confiance dans l’échange, le dialogue, la

communication et qu’il peut prendre le risque de

s’affirmer dans ce qu’il pense et dans sa propre

créativité.

C’est parce que l’enfant se sent accueilli et valorisé

dans ses pensées propres, dans ses ressentis, dans son

imaginaire qu’il peut élaborer des repères internes

stables, cohérents et sécurisants. Ces repères que

l’enfant tisse jour après jour, lui servent en quelque

sorte de tuteurs intérieurs, de bases sur lesquelles il

peut s’appuyer pour aller vers les autres et le monde

extérieur. S’il se sent encouragé, il développe ses

capacités d’apprentissage, sa créativité, ses capacités

à s’affirmer et à communiquer avec les autres. Il

élabore ainsi peu à peu de l’estime et de la confiance

en lui et développe son autonomie physique,

psychologique et affective… C’est dans ce

mouvement, ce va et vient incessant entre le dedans et

le dehors, que l’enfant se « tricote » avec son

environnement en articulant ses repères internes avec

la réalité et du monde extérieur.

C’est ainsi que le bébé, pour advenir dans la

conscience de lui-même, son autonomie et ses

différences, traverse une succession de séparations :

• Biologique d’abord, avec notre naissance nous

coupons avec la sphère biologique de notre mère.

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• Physique ensuite, puisque la relation de corps à

corps qui existe les premiers mois de la vie s’estompe

progressivement. Vers neuf mois le bébé commence à

intégrer que lui et sa mère ne sont pas la même

personne. Vers trois ans il sait dire « je ». Vers cinq/six

ans l’enfant est capable d’autonomie physique et se

débrouille seul dans les actes courants de la vie

quotidienne. S’habiller, se laver, se brosser les dents,

ranger sa chambre, faire son petit déjeuner… À cet âge-

là, parfois avant, une pudeur naturelle vient s’installer.

L’enfant a besoin de se voiler physiquement. Même s’il

a toujours besoin de câlins, une distance physique

s’instaure. Il commence à avoir des petits secrets.

• Psychologique et affective, avec la crise

d’adolescence qui vient marquer cette grande rupture.

Mais ce n’est pas fini. Les séparations psychiques et

affectives accompagnent notre processus

d’individuation, et elles peuvent être présentes à

travers différentes situations ou cycles de vie, et selon

les individus : la majorité, le premier amour, le premier

travail, le premier enfant, une maladie grave…

• Symbolique enfin, quand l’être humain quitte ses

déterminismes familiaux et sociaux pour aller vers son

autoréalisation et le sens de sa propre vie. À ce niveau

de différenciation l’être a atteint son unicité autonome et

indivisible qui lui donne l’ouverture à l’autre, distinct de

soi, le recentrage et la juste relation au monde. L’être

naît alors à son humanité pleine et entière, dans une

relation unifiée et unifiante au monde.

La première partie de son existence, l’être humain

subit les limites et les valeurs de son environnement.

Celles de ses parents, de sa famille, de sa culture. Il n’a

pas le choix et c’est normal. En ce sens, nous sommes

tous soumis et « victimes » de notre éducation

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L’objectif de l’éducation n’est-il pas, justement, de

permettre à l’enfant, puis à l’adulte qu’il deviendra, de

sortir de cet état de dépendance et de soumission pour

naître à son humanité pleine et entière, dans une

relation unifiée et unifiante au monde. C’est bien

souvent au prix d’un travail de quête et de

connaissance de soi que la personne pourra se libérer,

une fois adulte, de ses déterminismes familiaux et

sociaux et engendrer sa propre histoire.

« Je ne suis pas responsable de ce que mes parents

ont fait de moi, mais je suis responsable de ce que je

fais de ce que mes parents ont fait de moi », disait

Sartre. Le processus d’individuation arrive à son

terme lorsque l’individu accepte d’intégrer ses

propres limites et valeurs en se libérant de celles qui

lui ont été inculquées.

À ce niveau de différenciation, l’individu quitte ses

déterminismes familiaux et sociaux pour aller vers son

autoréalisation et le sens de sa propre vie. Ce faisant, il

incorpore sa fonction maternante et sa fonction

séparatrice pour devenir son propre contenant, c’est-

à-dire un père et une mère pour lui-même.

L’élaboration de l’intimité

L’enfant, comme tout être humain a besoin

d’espaces intimes. Espace physique, affectif,

psychique et temporel où il n’a de compte à rendre à

personne. Nous avons besoin d’avoir des jardins

secrets, un territoire intime et privé… Ces espaces

s’élaborent de manière très différentes selon le milieu

familial, le contexte socio-économique, socioculturel

et socio-historique et en fonction de la façon dont

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chacun des parents aura intégré et démarqué son

propre territoire intime et notamment les frontières

entre couple conjugal et couple parental.

Le couple conjugal est du domaine de l’intime. La

relation affective et amoureuse entre les parents ou

entre le parent et son nouveau compagnon ne concerne

pas l’enfant. Si la mère, par exemple, ne différencie

pas son rôle et sa relation de mère avec son enfant

d’avec son rôle et sa relation de femme avec son mari

ou son homme, alors les espaces physiques,

psychiques et émotionnels ne seront pas différenciés

non plus. C’est ainsi que l’enfant peut se retrouver

emmêlé dans les histoires intimes du couple conjugal,

voire utilisé et manipulé lorsque le couple va mal.

C’est parce que le père est aussi l’homme de la

mère qu’il exerce, en s’affirmant dans son besoin de

vie affective et sexuelle vis-à-vis de sa femme, une

coupure créatrice dans la relation fusionnelle

mère/enfant. C’est ainsi que le père agit en tiers

séparateur et, ce faisant, pose l’interdit de l’inceste et

les frontières entre couple conjugal et couple parental.

Tous les couples connaissent ce moment difficile

après la naissance de leur enfant, où la femme

accaparée par sa progéniture et le deuil parfois

difficile de son ventre vide, oublie ou refuse l’intimité

avec son compagnon. Il y a un temps nécessaire de

réajustement et d’ouverture à ce nouveau couple qui

naît avec l’enfant, le couple parental. Il y a un

équilibre à trouver entre couple conjugal et couple

parental, afin d’élaborer de nouveaux espaces

physiques, affectifs et psychiques. À défaut le couple

s’emmêle, la famille s’emmêle…

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Combien d’hommes qui, se sentant rejetés par leur

femme (mère de leur enfant) ou n’ayant pas intégré

leur propre fonction séparatrice démissionnent de

cette fonction paternelle ? Combien de femmes qui,

ne se sentant plus désirées ou désirables par leur

homme ou n’ayant pas intégré leur propre fonction

séparatrice, s’investissent trop dans leur rôle de mère

au détriment de leur vie affective de femme ?

Le rôle de la fonction séparatrice (fonction père et

mère qui demande rigueur et fermeté) est de venir

mettre une limite à la fonction maternante (fonction

papa et maman qui demande douceur et générosité) et

ainsi de séparer les espaces physiques,

psychologiques et affectifs. C’est dans l’interaction

entre ces deux fonctions parentales que l’enfant

élabore progressivement la notion d’intimité. Entre

parents et enfants, il y a donc des savoirs interdits, des

amours interdits, des territoires interdits… Tous les

désirs ne sont pas réalisables et cela est valable aussi

bien pour l’enfant que pour le parent !

Mais qu’est-ce qu’un désir ? Quelle est la

différence entre un désir et un besoin ? Il existe

aujourd’hui dans notre culture une immense

confusion entre la notion de besoin et celle de désir.

Pourtant ce discernement est fondamental pour qui

veut comprendre et intégrer la loi de l’interdit de

l’inceste et la limite de la fonction parentale. Quelle

est donc la différence ?

• Un besoin est vital. Il est commun à l’ensemble

des êtres humains et il doit être satisfait.

• Un désir, lui, est insatiable. À peine satisfait, sa

consommation fait ressurgir le désir intact. Il

appartient à l’intime de la personne et ne demande

pas nécessairement à être satisfait.

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Nous sommes des êtres de besoin, mais nous

sommes également des êtres de désir.

• Nos besoins sont reliés à nos limites (qui sont nos

contraintes pour exister).

• Nos désirs, eux, sont reliés à nos ressources et à

notre puissance créatrice (dont fait partie l’énergie

sexuelle).

Nos besoins vitaux :

Abraham Maslow a classé les besoins de l’être

humain dans un ordre hiérarchique correspondant au

caractère vital de chaque niveau, ceci sous forme

d’une « pyramide des besoins » :

En bas de la pyramide, les besoins les plus vitaux

sont les besoins physiologiques (air, eau, lumière,

nourriture, toucher…), qui sont nos contraintes

biologiques. Ensuite les besoins de protection, de

sécurité affective et matérielle, puis les besoins

d’appartenance et de reconnaissance (communication,

liens, échange, intimité…) Enfin le besoin de sens et

d’autoréalisation qui correspond à notre dimension

symbolique et spirituelle.

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Même si leurs délais de satisfaction peuvent se

permettre d’être un peu plus longs que nos besoins

physiologiques de base, leur non-satisfaction entraîne

des symptômes plus ou moins graves (selon les âges

de la vie où elles surviennent) : carences affectives

graves, blessures narcissiques, trouble de la

personnalité, clivage, maladies, dépression, pour aller

parfois vers une mort psychique, la folie, le suicide.

Si nous n’avons pas d’air pour respirer, nous

n’aurons pas le temps de nous poser la question de la

reconnaissance. Si nous n’avons pas de nourriture

pour subsister et d’habitat pour nous protéger, nous

ne nous soucierons peut-être pas de notre besoin de

sens. Mais si nous ne nous sentons pas aimé, reconnu,

et si notre vie n’a plus de sens, nous n’aurons peut-

être plus envie de nous nourrir ou de respirer.

Les parents ont la responsabilité de satisfaire

les besoins vitaux de leurs enfants (besoin

corporels, affectifs, psychologiques, relationnels,

symboliques), mais ils n’ont pas à satisfaire leurs

désirs (qui appartiennent à l’intimité de l’enfant).

Cependant, l’enfant a besoin de se sentir accueilli,

encouragé et responsabilisé au niveau de ses propres

désirs. C’est cette règle fondamentale, qui, lorsqu’elle

est appliquée au sein de l’éducation, permet à l’enfant

de s’autonomiser sur le plan de ses désirs et donc de

son intimité, de son individualité et lui permet de

développer de l’estime et de la confiance en soi…

C’est extrêmement valorisant de satisfaire un désir à

la sueur de son front. L’enfant fait ainsi l’expérience

de ses propres ressources, de sa puissance créatrice et

c’est ainsi qu’il se détache peu à peu de ses parents…

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Pour donner un exemple, je me souviens du jour

ou ma fille de 11 ans m’a demandé s’il elle pouvait

inviter des amies pour fêter Halloween. Bien sûr ! lui

ai-je répondu. Cependant, elle exigeait que j’achète

une série de gadgets et guirlandes hors de prix pour

décorer la maison, ce à quoi j’ai répondu non. J’ai eu

droit à une véritable crise avec à la clé du chantage :

« j’annule tout et c’est de ta faute ! ». Mais je n’ai pas

cédé, tout en lui donnant des pistes pour décorer la

maison avec les moyens du bord. Alors finalement,

après s’être calmée, elle est partie fouiller dans ses

fonds de placard et en a sortit du papier de toute sorte

avec lequel, elle a fabriqué les guirlandes et dessiné

les décors qu’elle souhaitait. Non seulement elle avait

su trouver les ressorts qui lui ont permis de réaliser

son désir, mais en plus elle avait renforcé son estime

d’elle-même. Elle était radieuse et a passé une

excellente soirée d’Halloween avec en prime les

compliments de ses amies !

Ce n’est pas toujours facile ou évident pour le

parent de dire « non » à son enfant, et cela pour

différentes raisons liées à son histoire passée et

présente. Cependant, il s’agit aussi de repérer ce à

quoi nous disons « oui » et les valeurs fondatrices que

nous transmettons ainsi.

Les enfants n’ont pas à satisfaire ni les besoins,

ni les désirs de leurs parents !… Ainsi, la limite

entre besoin et désir vient clairement définir les

limites de l’intimité entre le parent et son enfant,

entre soi et l’autre…

La limite entre le sacré et le profane, entre l’intime

et le social, entre soi et l’autre vont donc se construire

en fonction des besoins et des valeurs qui auront été

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nourris. C’est-à-dire en fonction des repères, des

règles, des limites que nous aurons posés nos

fonctions parentales (parents, famille, éducateur…),

Mais si les repères n’existent pas, si les règles sont

floues, incohérentes, si les limites sont impossibles,

c’est-à-dire trop rigides au point d’être étouffantes ou

cassantes, alors l’enfant ne peut pas se séparer, il ne

peut pas se différencier et accéder à son

individualité… L’enfant reste comme « collé »,

englué au désir de ses parents, à leurs besoins, à leurs

rêves, à leurs projets sur lui…

Le processus qui se met à l’œuvre est extrêmement

subtil et insidieux, et je propose d’en repérer trois

étapes :

• L’inceste affectif

• L’inceste psychologique

• Les passages à l’acte

L’inceste affectif ou emprise affective

L’inceste affectif est un système d’éducation qui

consiste à faire croire à l’enfant que pour être aimé, il

doit satisfaire les exigences, les besoins, les désirs, les

rêves de ses parents ou de ses tuteurs. L’enfant est

contraint à un chantage affectif permanent dans lequel

il serait « aimé » non pas pour ce qu’il est, mais pour

ce qu’il fait. C’est l’amour conditionnel. Pour donner

quelques exemples :

• « Ce n’est pas bien d’être en colère, tu es un

vilain garçon, arrête tout de suite sinon maman ne

t’aime plus !

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• Si tu prêtes ton jouet, tu es un amour, sinon tu es

une méchante fille et une égoïste… maman ne t’aime

plus !

• Plus tard, tu seras instituteur, comme moi, sinon

tu n’es plus mon fils !

• Arrête de pleurer, mauviette, c’est nul,

t’arriveras jamais à rien dans la vie et papa a

horreur des mauviettes !

• Ah, heureusement que tu es là, ma fille, mon

amour, sinon je mourrais !… »

Dans son histoire, Mary raconte combien le

chantage affectif était subtil et insidieux : « Après

avoir obtenu un droit de visite, ma mère est

réapparue au bout d’une année d’absence. Mais cela

venait tout compliquer. Mon père nous faisait “bien

payer” les week-ends passés avec elle. Certainement

voulait-il que nous prenions nous-mêmes la décision

de ne plus y aller ! Pour tempérer, nous passions

notre temps à faire croire à l’un que l’on détestait

l’autre. Pris en otages entre leurs règlements de

comptes, leur violence et leur chantage, notre

quotidien ressemblait à la guerre et la survivance.

Toujours livrés à nous-mêmes, c’est entre nous, frères

et sœurs, que l’on s’entretuait. Je m’évertuais à me

sacrifier, à aider mon père dans les tâches

quotidiennes, à combler ses absences, ses

mensonges… Son chantage subtil et pervers à la

DDASS… »

L’enfant, dont le besoin fondamental est d’être

reconnu, valorisé, accueilli et contenu par ses parents,

se retrouve alors dans une position où c’est lui qui

doit reconnaître, valoriser, contenir ses parents et :

• Combler leurs besoins affectifs et psychologiques ;

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• Satisfaire leurs exigences, leurs désirs, leurs

rêves… ;

• Prendre en charge leurs émotions, leurs blessures,

leurs manques.

La seule réalité possible est ce que ressentent et

pensent les adultes qui l’entourent. Les besoins de

l’enfant sont niés au profit de ceux de ses parents.

Basé sur la séduction et la manipulation affective, ce

mode relationnel finit par créer une inversion des

rôles et des places. L’enfant n’est plus dans sa place

d’enfant et se voit attribuer, en quelque sorte, le rôle

de parent de ses parents et, il se sent responsable

voire coupable de leur état émotionnel, de leurs

ressentis, de leur malheur ou de leur bonheur.

L’inceste psychologique ou emprise psychologique

L’inceste psychologique est intimement lié à

l’inceste affectif. Il en est la suite logique. L’enfant ne

peut pas intégrer ni psychiquement, ni

émotionnellement ce qu’il vit, car les mots posés sur

le réel n’existent pas ou ne sont pas les bons.

L’histoire qui se raconte n’est pas en lien avec la

réalité de ce qui est vécu au niveau des images, des

sensations, des émotions.

• « Tu es vraiment nul » alors que c’est le père qui

est déçu ou en colère.

• « Tu es un vilain garçon, je ne t’aime plus ! »

alors que c’est la mère qui est en colère.

• « Tu n’es qu’une poule mouillée » alors que

l’enfant a peur et qu’il a besoin d’être sécurisé.

• « Tu es vraiment gentille » dit un père à sa fille

de 12 ans, en lui glissant de l’argent dans la poche

pour lui toucher les seins !

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• « C’est de ta faute, si je te frappe, c’est toi qui me

fais sortir de mes gonds » !…

• Ou encore aucun mot alors qu’il subit ou qu’il est

témoin d’une scène de violence physique ou sexuelle.

Sarah raconte : « Lorsque je repense à mon

enfance, rien de visible à priori ne vient troubler

l’ordre familial. Impossible de faire des liens entre

mon état de malaise profond et cette enfance lisse et

sans histoire. Je n’ai jamais manqué de rien au

niveau matériel, mais j’étais brimée et humiliée. Je ne

recevais aucun amour. Sans histoire ou peut-être trop

d’histoire ? Enfermée dans le silence d’une famille où

l’on ne parlait pas, emmurée dans un secret que nul

ne pouvait trahir, j’ai le sentiment que mon existence

et celle de mes frères et sœurs n’avait qu’un seul

alibi : cacher la maladie mentale de mon père. Dans

le déni total de cette réalité, ma mère refusait toutes

relations avec l’extérieur. Mes parents n’avaient pas

d’amis. Les seules relations autorisées à entrer à

l’intérieur de la maison étaient familiales. J’ai vécu

toute mon enfance cloîtrée, ne pouvant pas être avec

les autres sans briser le pacte avec mes parents : Tu

nous as, tu n’as besoin de personne d’autre ! »

Mary raconte : « Lorsque ma mère est partie, mon

père était très triste, mais il ne le disait pas, il disait

plutôt : Vous être vraiment fatigants, insupportables,

allez dans votre chambre ! Et puis il nous disait que ma

mère nous avait abandonnés, mais en fait c’était lui

qu’elle avait quitté et pour se venger il l’empêchait de

nous voir et de nous parler. Alors puisque nous étions

fatigants et insupportables, on avait fini par croire que

notre mère était partie à cause de nous et que peut-être

lui aussi, un jour, il ne rentrerait pas à la maison ! Nous

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vivions dans le mensonge, la peur et le chantage

permanent, mais on ne pouvait pas se plaindre, car… »

Le décalage entre la réalité des faits (ce qui est

vécu au niveau des émotions, des sensations, des

images) et les paroles, les mots posés sur cette réalité,

est tel qu’il se produit une sorte de « ligotement

psychologique » : L’enfant est maltraité, mais il ne

peut pas le savoir, il ne peut pas le penser, il ne peut

donc ni l’exprimer, ni en parler.

Ne faisant plus le lien avec le réel, les mots et le

langage deviennent incohérents et confusionnels et

empêchent l’enfant d’identifier ce qui lui arrive

vraiment. Enfermé dans une représentation

mensongère de lui-même et de la réalité qu’il vit,

l’enfant se construit dans une totale confusion

psychique et affective et se retrouve incapable de

discerner le mensonge et la vérité, le réel et

l’imaginaire, le bien et le mal…

L’enfant, puis l’adulte qu’il deviendra, sera

éventuellement capable de raconter des faits sans y

mettre une quelconque valeur ou une valeur qui n’est

pas la bonne. « C’est ma faute. Je suis responsable. Je

suis coupable. Je suis nul ! »… N’ayant même pas la

conscience qu’un enfant, par définition, ne peut pas

être responsable de son parent. Ou encore, il pourra

raconter des faits où de toute évidence il a été

maltraité, sans intégrer qu’il s’agit de maltraitance.

Ainsi, l’inceste affectif et psychologique et l’emprise

qu’il génère, structure l’enfant dans la confusion

mentale et la dépendance affective.

C’est parce que l’enfant développe son intelligence

émotionnelle, qu’il peut discerner son état émotionnel

de celui de son parent et qu’il peut s’individualiser,

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s’autonomiser. Mais si la réalité interne de l’enfant

n’est pas prise en compte, si ses pensées ne sont pas

prises en considération, si ses émotions sont niées, mal

nommées, alors l’enfant ne pourra s’individualiser. Il

sera dans l’impossibilité de se fier à ses pensées

propres, à son ressenti, à son imaginaire. Il ne pourra

donc pas élaborer de l’estime et de la confiance en soi,

le sens de ses valeurs et de sa propre valeur… Il

devient alors comme une coquille vide.

Lorsque les besoins affectifs et psychologiques de

l’enfant sont niés au profit de ceux de ses tuteurs,

c’est comme si le monde fonctionnait à l’envers et

que l’enfant se construisait également à l’envers, dans

une sorte d’inversion psychologique où il se structure

dans le mensonge, la honte, la culpabilité, la peur et la

soumission :

• Honte parce qu’il se croit sans valeur.

• Coupable parce qu’il est à proprement dit coupé

de la réalité de son corps et de ses besoins vitaux.

• Peur, parce qu’il ne peut pas élaborer de repères

internes stables, cohérents et sécurisants.

• Et soumission, parce que sans repère internes, il

ne peut pas développer son discernement et son

autonomie affective

Les passages à l’acte

Puisque nous incarnons notre corps à travers tous

nos sens, la transgression de ses frontières intimes et

sacrées peut se faire par tous les sens et dans tous les

sens : la vue, le toucher, l’ouïe et la parole, la

bouche… Le viol de l’intime se fait en transgressant

le territoire de l’enfant, mais également en laissant ou

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en obligeant l’enfant à entrer dans le territoire intime

et privé de l’adulte.

Les interactions physiques, sexuelles, verbales,

visuelles ou psychologiques sont parfois très difficiles à

reconnaître. Elles s’insinuent de façon tellement subtile

que la victime une fois devenue adulte se demande

toujours si elle en a été l’objet ou si elle n’a été que le

jouet de son imagination trop fertile. Ce sont les effets

pervers de l’emprise affective et psychologique.

Le toucher :

• Toucher (pour ne pas dire caresser) ou obliger

l’enfant à toucher des zones intimes ou sexuelles…

• Les sévices et châtiments corporels, dont font

partie les claques et les fessées communément

admises dans l’éducation, sont des actes de violences

qui font exploser les limites corporelles de l’enfant.

Ils s’accompagnent d’une emprise affective et

psychologique telle que je la décris, avec tous les

symptômes qui l’accompagnent.

La vue :

• Être témoin de scènes de violences (physique ou

psychologique) en direct, par films ou revues

interposés. Voir un frère, une sœur se faire frapper ou

maltraiter quotidiennement, voir ses parents se battre…

• Être témoin de scènes sexuelles,

pornographiques, érotiques en direct, par films ou

revues interposées…

• Être regardé de façon érotique ou désirable

sexuellement. Combien de femmes gardent le souvenir

de ce regard pervers sur leur corps de petite fille, qui

leur colle à la peau bien souvent jusqu’à la fin de leur

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vie, sans bien savoir si cela était le fruit de leur

imagination ou la projection de leur propre fantasme !

L’ouïe et la parole :

• Etre parlé et défini comme un être sexualisé :

parents et adultes qui sexualisent les comportements

affectifs de l’enfant : « Regardez-moi cette petite

aguicheuse ! » Alors que la fillette n’a que 6 ans… Ou

encore être habillé de façon érotique, sensuelle ou

sexuelle, c’est-à-dire avec des vêtements non adaptés à

l’âge de l’enfant (string, décolleté, chaussures à talons,

voire parfois maquillage, ou teinture de cheveux alors

que l’enfant n’a que 9 ou 10 ans, par exemple…)

• Être le témoin ou le confident de l’intimité

parentale, de leurs amours, de leur sexualité… Parents

et enfants sont « copains », la barrière des générations

n’existe pas et le parent devient le confident de l’enfant

et vice versa. Un père qui prend sa fille comme

confidente enchaîne son cœur et l’entraîne dans une

emprise affective, même si la jeune fille peut se croire

honorée et fière de la confiance que son père lui fait.

De même une mère qui parle de son fils comme de

« son homme » ou de « son petit mari ».

• Le couple conjugal est du domaine de l’intime.

La relation affective et amoureuse entre les parents ou

entre le parent et son compagnon ne concerne pas

l’enfant. Si la mère, par exemple, ne différencie pas

son rôle et sa relation de mère avec son enfant d’avec

son rôle et sa relation de femme avec son mari ou son

homme, alors les espaces physiques, psychiques et

émotionnels ne seront pas différenciés. Ainsi l’enfant

se retrouve emmêlé dans les histoires intimes du

couple conjugal, voire utilisé et manipulé lorsque le

couple va mal. Comme c’est le cas par exemple dans

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une situation de divorce ou de séparation où l’un des

parents dresse son enfant contre l’autre parent.

(Syndrome d’aliénation parentale.)

La bouche :

• La bouche est un orifice intime qui sert à

embrasser sur une autre bouche (on embrasse son

amoureux(se) sur la bouche, pas les membres de sa

famille) ou d’autre zone intime ou sexuelle. C’est

aussi un orifice qui peut se faire pénétrer.

Le sexe :

• La forme sexuelle et génitale, la pénétration

anale, buccale ou vaginale, par le sexe, les doigts, la

langue ou des objets est la forme ultime de l’inceste.

À la manière d’une araignée qui tisse une toile

affective et psychologique, le processus incestueux

amène l’enfant à subir les divers passages à l’acte sans

avoir à se débattre et parfois même avec son

consentement. Anesthésié émotionnellement, ligoté

psychologiquement, il est une proie facile. Englué dans

la confusion, il a très peu de moyen de dire non. Dire

non consisterait déjà à repérer que ce qu’il vit n’est pas

normal. En admettant qu’il puisse le faire, cela le

mettrait encore en péril. Dans son lien affectif de « toute

dépendance », s’opposer à son agresseur serait le mettre

en danger lui-même dans sa propre survie. Car dans

l’esprit de l’enfant c’est cela qui est en jeu : sa survie.

L’inceste concerne tous les milieux sociaux. Les

filles comme les garçons, les hommes comme les

femmes. Vivre la forme ultime et sexuelle de

l’inceste, implique d’en vivre la forme affective et

psychologique. Mais un enfant peut vivre un inceste

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affectif et psychologique sans passage à l’acte

clairement apparent. C’est-à-dire vivre un inceste,

sans jamais le savoir !

Les différents types de traumas

Si nous ne pouvons pas réduire l’inceste à une

agression génitale, cela implique d’envisager l’inceste

comme un processus dans lequel nous pouvons

distinguer deux types de trauma.

• Un trauma subtil et insidieux, lié au système

d’éducation et à l’emprise mis en œuvre, qui reflète la

forme « invisible » de l’inceste.

• Un trauma choc qui lui est lié au passage à l’acte

et donc à la forme visible de l’inceste.

Le processus incestueux est un trauma insidieux

qui développe d’abord et avant tout un sentiment

paradoxal d’impuissance et de toute puissance. Le

sentiment d’impuissance est lié aux vécus de peur,

d’insécurité, de dévalorisation de soi… Le sentiment

de toute puissante est lié aux vécus de culpabilité et

de responsabilité de la situation et des faits : « Je suis

responsable et coupable de ce que l’autre pense,

ressent, dit, fait… » Plus généralement on retrouve les

symptômes de bases suivants :

• Trouble de l’estime et de la confiance en soi.

• Confusion mentale

• Dévalorisation des émotions, sentiments et

pensées propres. Manque de confiance en soi.

• Soumission, dépendance affective et addictions

diverses

• Dissociation émotion/pensée.

• Honte, culpabilité…

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• Insécurité, peur : peur de l’agression, de la

trahison, peur du jugement, de ne pas être aimé, peur

du rejet… peur de l’autre

• Cloisonnement, repli sur soi ou, au contraire,

exubérance, errance…

• Déni de la réalité et de l’agression

• Inversion psychologique

• Identification à l’agresseur : dans une impossible

séparation, la victime est ligotée à son agresseur. Lui

et elle sont devenus la même « chose ».

Le trauma choc lié au passage à l’acte, à sa

forme, au degré d’agression, à sa fréquence, sa durée,

va accentuer les premiers symptômes, honte,

culpabilité, peur, dissociation émotion/pensée et en

développer d’autres, clivage (coupure de la

personnalité), occultation, sentiment d’irréalité pour

aller parfois vers la psychose et le suicide…

Les somatisations corporelles ou le langage du

corps : Plus le degré d’agression est violent (en

amplitude, durée et répétition dans le temps) plus

l’enfant risque d’entrer dans des processus

d’occultation et de dissociation. Plus l’enfant est

jeune, moins il peut intégrer psychiquement ce qui lui

arrive physiquement. Par exemple, il intègre

profondément dans la mémoire de son corps :

ressentir égal mourir, plaisir égal douleur et honte,

être touché égal danger, exister égal souffrir… Le

corps, seul repère de la vie biologique, devient alors

le lieu de confrontation avec le réel, en ouvrant sur le

langage des maux. Il ne reste que la chair pour savoir,

parler et se souvenir… Lorsque le langage des mots

n’existe pas, est insensé ou incohérent, alors le corps

se met à parler avec son langage, ses maux de sang,

ses symptômes, ses maladies (mal à dire).

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« Qu’est-ce qu’un homme ? C’est un être qui se

souvient » écrit Mary Balmary. La littérature n’est

faite que de mémoire, véritable ressort de création.

Rester vivant, c’est se souvenir, témoigner encore et

encore par le langage du corps. Paradoxe ultime, les

maux du corps restent le seul lien avec le réel et la

seule stratégie que le corps trouve pour résister,

témoigner et ne pas sombrer dans la folie ou la mort.

Ils disent inlassablement ce qu’il est interdit de dire,

ils sont le signe que le sujet reste vivant et qu’il fait

toujours parti du monde des humains. Car c’est cela

qui est en jeu : son humanisation.

La promesse des mères

La relation éducative n’est pas seulement une

histoire d’amour. L’amour n’est pas tout puissant,

l’amour ne donne pas tous les droits ! Je dirais même

que plus il est mis en avant, plus il cache du sable

mouvant.

L’enfant peut être désaimé et maltraité ou au

contraire aimé, adulé et complètement étouffé, le

processus incestueux existe dans les deux cas. Sous

valorisé ou sur valorisé, les effets se rejoignent dans

les extrêmes. Trop de limites ou pas assez de limites

donnent le même résultat.

Ce n’est pas parce que l’on a été maltraité dans

l’enfance, que l’on maltraitera ses propres enfants. Le

passage à l’acte, la forme visible de la maltraitance ne

se répète pas forcément, mais l’inceste affectif et

psychologique, c’est-à-dire la forme plus insidieuse et

invisible qui structure le style affectif et relationnel,

se répète très facilement. Car par peur et culpabilité

de reproduire l’histoire, le risque est de surinvestir ce

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qui nous a manqué et de passer d’un extrême à l’autre

et finalement obtenir le même résultat.

Mary raconte : « Lorsque ma fille est née, elle est

venue réveiller la petite fille blessée en moi. Mais ça,

j’ai mis du temps à le comprendre. Moi, tout ce que je

savais, c’est que j’étais terrorisée par l’idée qu’elle

vive les mêmes choses que moi. Alors je suis devenue

hyper protectrice et je cherchais à tout contrôler.

Mais en fait, je ne la protégeais absolument pas et

bien au contraire. Je l’enfermais dans mes peurs et

lui faisais porter mes blessures d’enfants. »…

J’aime comparer l’inceste à la symbolique

de la lune : Tout comme la lune qui n’est jamais à la

même place et n’a jamais la même forme, l’inceste

peut prendre différents visages, tout comme la lune

l’inceste à une face visible et une face invisible, tout

comme la lune, l’inceste inspire l’effroi, les mystères

de la nuit et de la mort, mais la lune est aussi le

symbole de la fusion, de la mère, de la fonction

maternante…

Le père, dans sa place de tiers, a un rôle

important à tenir car il permet d’ouvrir la relation

mère/enfant pour qu’elle devienne créatrice. Mais

pour que le père puisse exercer cette fonction

séparatrice, qui permet à l’enfant de s’ouvrir à

l’altérité et de naitre à son individualité pleine et

entière, il doit être reconnu et légitimé par la mère…

Le père doit prendre sa place, mais la mère doit aussi

la lui laisser.

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Si la mère n’a pas intégré et corporalisé elle-même

la loi de l’interdit de l’inceste, c’est à dire sa propre

fonction séparatrice, alors elle aura beaucoup de mal

à laisser une juste place au père (et aux pairs), laissant

ainsi son enfant dans la (con)fusion et la dévoration

maternante.

Bien sûr, tout cela est également valable pour le

père, qui possède lui aussi une fonction maternante.

(Un père peut materner son enfant, voire l’élever seul,

on parle désormais « des nouveaux pères ») Mais

l’actualité parle déjà souvent des pères : pères

violents, pères violeurs, pères agresseurs, pères

absents, pères démissionnaires, crise de l’autorité.

Mais qu’en est-il de la responsabilité des mères ?

Entre leurs aveuglements ou leur difficulté à laisser

une place au père, sont-elles de simples victimes ?

La séparation d’avec la mère est peut-être le plus

grand défi auquel l’être humain doive se confronter.

Car en effet, nous pouvons ne jamais être en contact

physique avec notre père tandis que nous avons tous

un passage obligé dans le ventre de notre mère. De la

même façon, un géniteur peut ne jamais avoir

connaissance d’être père, ce qui est tout à fait

impossible pour la génitrice. Le lien de chair est là.

La femme a le pouvoir de donner la vie par sa chair et

ce lien charnel lui confère, qu’elle le veuille ou non,

au-delà du cœur et au-delà de la raison, une toute-

puissance particulière sur sa progéniture.

Ainsi, si le père a « une mission » à tenir, la mère

doit tenir « une promesse » ! Car si elle fait naître

l’enfant, elle doit laisser le père et la loi qu’il

représente, le mettre au monde.

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Le viol du symbolique

Le symbolique est le lieu du tissage des multiples

dimensions de la réalité et de toute sa complexité. Le

symbole est la forme que prend sa représentation

dans un espace, un contexte, un instant précis.

Inceste et filiation

« Chaque fois que la mise généalogique pour un

sujet est perdue, la vie ne se vit pas. Tel est l’enjeu à

l’échelle sociale, écraser la vie ou la faire vivre, car

il ne suffit pas de produire de la chair humaine,

encore faut-il l’instituer » écrit Pierre Legendre,

psychanalyste, qui a centré ses recherches sur

l’articulation de la psychanalyse et du droit.

La loi de l’interdit de l’inceste, inscrit l’enfant

dans sa filiation et l’ordre des générations. Il y a un

ordre et un sens dans la généalogie. Ceux qui

viennent avant nous : les ascendants, et ceux qui

viennent après nous : les descendants. L’enfant prend

donc sa place de fils ou de fille dans l’ordre

descendant de sa généalogie. Et les parents prennent

leur place de mère et de père dans l’ordre ascendant

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de la généalogie. Ainsi le droit institue, à travers la

méthode généalogique, des repères, du sens et de la

cohérence, et permet à la vie de circuler librement.

Lorsque l’interdit est transgressé, il y a négation du

lien de filiation et l’ordre des générations est

empêché. L’enfant n’est plus dans sa place d’enfant.

Il se retrouve en sens interdit, emmêlé dans un nœud

généalogique et une confusion générationnelle. Dé-

inscrit de sa filiation, dé-tissé de son lien symbolique,

l’enfant puis l’adulte qu’il deviendra, devient flottant,

comme suspendu dans le vide.

Le magistrat Denis Salas évoque une proximité

entre l’inceste et le génocide : « Cette amputation

généalogique peut s’observer de la même manière à

l’échelle des conflits internationaux comme dans les

opérations de purification ethnique en Bosnie. En tant

que crime généalogique, l’inceste est proche du

génocide qui vise à détruire l’individu en détruisant

son lien de parenté. Tous deux sont, comme le

suggère Hannah Arendt, un crime non contre la vie

mais contre la mort parce qu’ils rendent le deuil

impossible. Il n’y a ni aveu, ni trace, ni témoin mais

seulement une dénégation, une masse de secret, une

opacité sans nom ».5

Inceste et langage

Les mots sont des symboles porteurs d’un sens

abstrait et invisible qui dépasse la seule représentation

concrète de l’objet. Chaque représentation qui les

constitue est à la fois de l’ordre du corporel, de

5 Denis Salaas – L’inceste, un crime généalogique – In revue

Esprit – Seuil – 1996

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l’émotionnel, de l’imaginaire et du verbal. Ainsi le

langage est symbolique. Il advient dans le nouage

entre le réel et l’imaginaire, c’est à dire en reliant une

réalité extérieure (un fait, un acte, un objet…) avec

une représentation intérieure (image, représentation

psychique, corporelle et émotionnelle).

C’est dans ce tissage entre le dehors et le dedans,

entre le réel et l’imaginaire, que le sens du langage

émerge et qu’il structure l’image du corps en donnant

forme et sens à l’enfant. Le langage relie la chair et

l’esprit, le corps avec la pensée et l’imaginaire.

Lorsque les mots posés sur la réalité sont justes et

cohérents, alors le langage prend corps et sens en

structurant l’image de soi de façon unifiante. C’est à

dire en « tricotant », en assemblant le corps avec la

pensée et l’imaginaire.

A l’inverse, si les mots posés sur la réalité

n’existent pas ou ne sont pas les bons, alors le tissage

entre le dedans et le dehors, entre le réel et l’imaginaire

ne peut pas se faire de façon unifiante et cohérente.

Désarticulé du réel, le langage prend corps non plus en

assemblant mais en dissociant, en séparant le corps/ la

pensée/ l’imaginaire. Par conséquent, l’image de soi se

structure de façon confuse et morcelée. « Mal édicté »,

mal nommé, « mal traité », l’enfant victime se tricote

avec des mots erronés et mensongers qui entretiennent

la confusion psychique et rendent impossible le

discernement bien/ mal, plaisir/douleur,

vérité/mensonge, réel/imaginaire, tendresse/sexualité,

amour/soumission etc. Les mots sont comme des

coquilles vides, désaffectées, désincarnées de leur sens

et ils empêchent l’enfant d’identifier ce qui lui arrive

vraiment. Il se crée alors, non seulement un

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« ligotement psychologique », mais également une

inversion psychologique du type : « je t’aime donc je

me soumets, j’ai besoin de tendresse donc je dois

“coucher”, je n’ai pas de besoin et pas de désir, je suis

nulle et sans valeur, la vérité de l’autre compte plus

que la mienne, je comprends donc je subis, je souffre

donc j’existe », etc.

Inceste et nomination

En lui donnant un nom, la loi donne à l’enfant un

vêtement social, une enveloppe symbolique qui le

définit dans une identité propre et lui permet d’exister

dans le monde.

Le mot symbole vient du latin symbolum, lui-

même emprunté au grec symbolon, qui fait référence

à un objet concret partagé en deux en signe de pacte

entre deux tribus. Chaque moitié représente le contrat

ainsi établi. Syn est la racine grecque qui relie et

assemble. L’idée qui se dégage du mot symbolon est

qu’il est signe de reconnaissance, de lien, d’union,

d’échange. Le symbolique prend corps et sens en

unifiant, en rassemblant.

Ainsi, notre nom en tant que symbole, réunit la

chair et l’esprit, le fond et la forme, nous fonde et

nous légitime dans notre filiation humaine, c’est-à-

dire appartenant à un groupe, à une culture et parlant

une langue.

L’inceste provoque une « dé-nomination ». Le

nom ne réunit plus la chair et l’esprit, le fond et la

forme, mais au contraire les sépare. Le dia-bolique est

le contraire du sym-bolique : dia est la racine

(grecque) qui sépare. Le « dia-bolique » prend corps

et sens en séparant, en clivant.

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Le nom ne fonde plus, ne légitime plus, ne contient

plus. Le « je » ne peut s’incarner dans sa peau. La

parole ne peut émerger ni dans la réalité ni dans la

vérité. Le nom, désincarné de son « je », est vide de

mémoire et de sens. Il devient l’empreinte « dia-

bolique » de la loi du silence et du mensonge. Il est,

lui aussi, une coquille vide.

Le clivage ou le monde à l’envers

Comme nous l’avons vu dans le chapitre consacré à

la fusion originelle, à notre naissance, le monde est

duel, c’est-à-dire en deux dimensions. Il est clivé en

bon objet (celui qui apporte la satisfaction) ou en

mauvais objet (celui qui frustre). Ces deux aspects

coexistent très difficilement dans un même objet. C’est

l’un ou l’autre, le discernement n’existe pas encore. Le

bébé puis l’enfant quitte peu à peu cette fusion

originelle, en articulant la réalité avec son imaginaire,

son corps avec ses émotions et se tricote avec le monde

extérieur. Il sort alors du clivage (béatitude ou horreur,

bon ou mauvais, plaisir ou déplaisir) pour intégrer un

rapport au monde plus complexe et nuancé. C’est ainsi

qu’il intègre sa trinité humaine, constituée de réel, de

symbolique et d’imaginaire.

Le processus incestueux ne permet pas

l’élaboration de cette articulation, de ce lien qui

enveloppe l’être dans toutes ses dimensions et toute

sa complexité. Ne pouvant se fier ni à ses pensées

propres, ni à ses émotions, ni à ses ressentis, l’enfant

est désarticulé de la vérité de son corps et de ses

besoins vitaux. Le centre de l’être ne peut se relier et

se tisser pour advenir dans son individualité. Ne

pouvant élaborer de repères internes stables,

valorisants et sécurisants, l’enfant ne peut pas

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développer son discernement et son autonomie

affective. Il se structure dans une relation de

dépendance et de soumission. En fait, il y reste car il

ne peut sortir de sa matrice fusionnelle et de la

violence archaïque (vie/mort) qui la caractérise. Tel

un nourrisson géant, il continue d’évoluer dans un

monde duel où le sens du langage a disparu. L’enfant

se « tricote » à l’envers, selon les besoins, les désirs,

les exigences des autres et du monde qui l’entoure. Ce

n’est plus seulement une inversion psychologique qui

s’opère, c’est le monde à l’envers…

Inceste et temporalité

Être humain, c’est avoir un début – notre naissance

– et une fin – notre mort –. Nous sommes délimités

dans le temps et dans l’espace. Nos limites spatio-

temporelles définissent notre corporalité. Elles nous

contiennent et sont nos contraintes pour exister. Mais

si l’individu ne peut plus se définir corporellement

dans l’espace, comment peut-il organiser son rapport

au temps ?

Le temps s’ordonne et se structure en nous avec le

sens de l’histoire. Ce qu’il y a avant nous et ce qu’il y

a après nous. L’origine et la descendance. Le temps

humain a toujours un début et une fin. Sans limites, le

temps devient intemporel. Il ne peut pas s’ordonner. Il

s’arrête ou devient fou. L’individu « dé-écrit » de sa

généalogie, se « dé-écrit » du temps. Sans racine et

sans mémoire l’individu est enfermé dans ce temps

présent et la vie dépourvue de sens ne donne à

comprendre que le poids de la souffrance immédiate.

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Un meurtre psychique

L’inceste nie le réel, la parole, le lien de filiation et

la notion même de « sujet ». Il s’agit d’un véritable

viol du symbolique et nous réalisons rarement que

l’agresseur, qui est hors la loi, emmène sa victime

avec lui au-dehors du système symbolique de la

filiation et de la parenté, du langage et de la parole, de

la culture et de la loi. La triangulation

réel/imaginaire/symbolique ne pouvant plus avoir

lieu, la victime reste engluée dans sa matrice

fusionnelle, comme enfermée dans une bulle, dans

une séparation et une naissance impossible. Ejecté du

système symbolique qui permet normalement son

processus d’humanisation, dévoilé de son « vêtement

social », l’individu se retrouve à nu, réduit à sa seule

dimension biologique. Désarticulé de la réalité, il est

en proie à une hémorragie de l’imaginaire ou tout

devient possible. C’est d’une expérience de

déshumanisation dont il faut se relever après un viol

incestueux, écrit Eva Thomas6

La liminalité ou la naissance impossible.

J’ai trouvé le concept de liminalité très intéressant

pour décrire ce lieu de déshumanisation où est

projetée la victime d’inceste. Liminalité a pour

origine le mot latin limen, qui signifie « seuil »,

« porte », « entrée » mais aussi « début » et « fin ».

Un seuil permet de poser une frontière ou de délimiter

un espace. Lorsque l’on est sur le seuil, on est entre

deux, ni ici, ni là. La liminalité est un terme utilisé

6 Éva Thomas – « Le sang des mots » – Desclée de Brower,

2004..

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pour définir la phase de transition dans les 3 phases

des rituels initiatiques de passage :

• Première phase : la phase de séparation ou

d’isolement,

• Deuxième phase : la phase d’initiation ou

liminalité,

• Troisième phase : la phase de réintégration ou de

renaissance.

Les rites de passage impliquent la communauté dans

la transformation d’un individu qui passe d’une position

à une autre dans la société. On peut distinguer trois

catégories : l’initiation tribale, l’initiation religieuse,

l’initiation magique. Leurs fonctions sociales sont

connues, mais n’ont pas toujours le même objectif.

Certaines ont pour but d’intégrer l’individu dans la

société où sa place lui est assignée, et d’autres ont pour

but de séparer certains acteurs sociaux des autres.

La liminalité correspond donc à la phase de

transition entre l’état d’isolement et l’état de

réintégration. Le sujet est entre deux, ni dedans ni

dehors. Trois sens peuvent se distinguer :

1. Un sens anthropologique : la personne liminale

échappe aux classifications qui permettent

normalement de situer les individus dans des endroits

et des positions de l’espace culturel. La

caractéristique sociale de ces individus est leur

ambiguïté. Les entités liminales ne sont ni ici ni là.

R.F Murphy, anthropologue, parle de l’invalidité

comme une forme de liminalité (RF Murphy, Vivre à

corps perdu, Plon, 1987.) L’anthropologie rattache

également la liminalité à la mort, l’invisibilité,

l’obscurité, le monde de la nuit, la nature sauvage…

soit des archétypes reliés au féminin.

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2. Un sens sociologique : où liminalité pourrait

être remplacée par marginalité. Être à la marge,

position intermédiaire entre le dehors et le dedans de

la société. Territoires aux limites floues ou sans

limite. Violence, délinquance, errance, peuvent entrer

dans cette classification.

3. Un sens psychologique : « L’état psychologique

de liminalité se caractérise par un sens de l’identité

en suspens. Le “je” a l’impression d’être sans

foyer… le “je” est emprisonné dans des manières

d’être qu’il ne reconnaît pas comme siennes… Les

sentiments dominants sont des sentiments

d’aliénation et de marginalité, et la personne se sent

dans un degré inhabituel de vulnérabilité… Il existe

une sorte de flottement de la conscience où les

structures psychiques sont fluides et où le sens de

l’identité personnelle est floue »7

Le processus incestueux projette l’individu dans

un lieu liminal où tous les repères ont éclaté. Dans un

sentiment d’identité floue, ni ici, ni là, ni vraiment

vivant, ni vraiment mort, l’individu est comme

flottant, perdu dans des limbes obscurs et dans

l’impossibilité d’incarner sa dimension de sujet.

Toujours sur le fil, proche de la nature sauvage, à la

limite de la folie, la victime d’inceste est un être qui

inquiète, trouble et/ou fait peur. Sa nature confuse et

clivée fait de cet individu un personnage liminal.

Hors culture, à la marge, l’individu développe des

comportements hors normes : isolement, repli sur soi,

dépression, phobie sociale, dépendance affective et

7 Renée Houde, Le mentor : Transmettre un savoir être, Hommes

et perspectives 1996).

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addictions en tout genre, délinquance, prostitution,

errance, violence conjugale, violence familiale…

Le processus incestueux provoque une blessure du

lien et de la relation qui provoque un processus de

déshumanisation et l’émergence de violence sociale.

Ainsi, si le corps biologique parle avec ses

symptômes, le corps social à aussi ses maux à dire.

Des symptômes et des maladies sociales apparaissent.

Quand la famille s’emmêle, le langage s’emmêle,

le lien social s’emmêle, la culture s’emmêle et

inversement… La société devient « dia-bolique » et

ce sont « ses maux » qui relient et non plus ses mots.

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Une culture sans limite

« Ne nous trompons pas de malade. Ce

n’est pas tant sur le blessé qu’il faut agir

afin qu’il souffre moins, c’est surtout sur

la culture ! »

(Boris Cyrulnik

– Un merveilleux malheur –

Odile Jacob, 1999.)

Une loi incestueuse

La loi de l’interdit de l’inceste n’est pas inscrite

dans la loi française. Il existe une loi contre le viol,

pour les adultes. Mais il n’existe pas de loi pour les

enfants. La loi appliquée pour une femme violée par

un inconnu et pour un enfant violé par son père ou sa

mère est la même. C’est-à-dire que la femme tout

comme l’enfant devra prouver qu’il y a eu violence,

menace, contrainte ou surprise.

« Si un enfant se plaint d’avoir été violé ou agressé

sexuellement par un adulte, la loi lui répond ceci :

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• Ce n’est pas parce que tu es un enfant que la

relation sexuelle que tu as vécue est forcément un viol

ou une agression sexuelle.

• Ce n’est pas parce que c’est ton père (ou ton

oncle ou un instituteur…) qu’il s’agit forcément d’un

viol ou d’une agression sexuelle. Encore faudra-t-il

que tu m’expliques qu’au moment des faits tu étais

sous l’emprise de la violence, de la contrainte, de la

menace ou la surprise.

• C’est seulement à la condition de l’existence de

l’un ou plusieurs de ces éléments que l’infraction

existera aux yeux de la loi. Alors, tu pourras te

prévaloir de ton état d’enfant (de moins de 15 ans) et

éventuellement de ton lien à l’agresseur (lien filial ou

lien d’autorité), circonstances aggravantes qui

pourront entraîner une condamnation plus sévère à

son encontre »8

En résumé, les éléments qui constituent le viol ne

sont pas la pénétration vaginale, anale ou buccale du

corps de l’enfant mais le fait que cette pénétration soit

exercée avec « violence, menace, contrainte ou

surprise ». Si ces éléments constitutifs ne sont pas

réunis, l’enfant est jugé « consentant » et la

pénétration sexuelle ne sera qualifiée que « d’atteinte

sexuelle ». Cela dit, l’enfant a le droit de s’en

plaindre. Des peines sont prévues pour l’agresseur.

Mais l’enfant est reconnu consentant c’est-à-dire

responsable de n’avoir pas su dire non !

8 Marie-Pierre Porchy – Un juge face à l’inceste, le silence de la

loi – Hachettes – 2003

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En clair, la loi laisse la possibilité d’une relation

incestueuse ou pédophile librement consentie.

La loi nie la qualité d’enfant et le poids du lien

générationnel qui le place sous l’autorité et dans la

dépendance. Elle nie la contrainte morale de l’adulte

envers l’enfant. Elle nie l’inceste comme étant

violence en lui-même. L’enfant porte non seulement la

responsabilité de dénoncer la situation, de prouver son

innocence, mais, en plus du traumatisme subi, il porte

la responsabilité de l’éclatement de la cellule familiale.

C’est le monde à l’envers. Qui est le parent de qui ?

La loi demande à l’enfant de savoir dire non,

inverse les rôles, et laisse l’enfant dans la totale

confusion : « C’est interdit, mais c’est légal » ! Il y a

effectivement de quoi réfléchir à deux fois avant de

porter plainte.

Dans son livre Les silences de la loi, Marie-Pierre

Porchy, juge d’instruction au tribunal de grande

instance de Lyon, explique comment, « face à cette

délinquance “ordinaire”, la loi n’offre qu’un silence

coupable en ne posant pas les interdits

fondamentaux ». « Ai-je le droit d’avoir une relation

sexuelle avec un enfant ? À partir de quel âge un

enfant peut-il être considéré comme consentant à une

relation avec un adulte ? Un père a-t-il le droit

d’avoir une relation sexuelle avec sa fille ? La loi

pénale française ne répond pas à ces questions. »9

Par son incohérence, cette loi non seulement

empêche la parole des victimes en leur « inter-disant »

de penser la violence qui leur est faite, mais nourrit et

9 Marie-Pierre Porchy – Op. cite.

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cautionne l’existence et la transmission de la violence

incestueuse. A cela vient s’ajouter la prescription :

La loi permet aux victimes de porter plainte pour

atteinte sexuelle dans la limite de trois ans après la

majorité, soit 21 ans. Pour agression et viol, jusqu’à

dix ans après la majorité soit 28 ans. La prescription a

été portée à 20 ans après la majorité en 2004, sachant

qu’il n’y a pas d’effet rétroactif. C’est-à-dire que les

personnes ayant entre 28 et 38 ans en 2004 font

l’objet de calculs spécifiques et ne bénéficient que

partiellement de cette nouvelle loi. Après ces délais la

plainte n’est plus possible. Cela veut dire que la

personne s’entend dire par la loi : « Votre histoire est

prescrite, elle ne peut plus être entendue ni jugée par

la loi, vous n’avez plus le droit de la socialiser et d’en

parler publiquement ». L’histoire du procès de St

Brieuc, raconté par Eva Thomas dans son livre « le

sang des mots » illustre bien la situation :

« C. a parlé à la télévision des viols incestueux

subis dans l’enfance, elle en a parlé sans donner son

nom, ni le lieu »… « Son père a porté plainte pour

diffamation et maintenant C. est là, assise au banc

des accusées, c’est elle la “prévenue” et son père a le

droit de l’attaquer et de demander des dommages et

intérêts »10

La loi demande aux victimes « de penser » une

situation qui n’est ni pensée par sa culture ni posée

dans son Code pénal. Le négationnisme familial, puis

culturel et légal, ligote psychologiquement l’enfant

puis l’adulte qu’il deviendra. Il faudra parfois de

nombreuses années et quelques cataclysmes pour

10

Éva Thomas – « Le sang des mots » – Desclée de Brower,

2004

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mettre des mots sur la violence vécue. Par exemple

des événements impromptus comme la naissance d’un

enfant, un mariage, un décès, un accident, un film, un

mot, une phrase, une odeur… Lorsqu’enfin la

personne intègre la violence subie et qu’elle accepte

de faire face à la situation, il est souvent trop tard au

niveau de la loi… La prescription tombe :

« Le premier février 1998, je porte plainte auprès

du procureur de la République, pour « viol aggravé »

et j’envoie le double du courrier à mon père. Seule

contre toute ma famille, j’ose briser le mur du

silence. C’est comme un voile de mort qui s’envole,

un nœud qui se dénoue. Je me libère de l’emprise

familiale, je ressuscite…

… Quinze jours plus tard, je reçois la réponse du

procureur. Quelques mots sur une grande feuille

blanche : une fin de non-recevoir, la fameuse

prescription ! J’avais beau le savoir et m’y attendre,

je ne m’imaginais pas une seule seconde à quel point

cette réponse formelle de la loi serait violente et

destructrice. Après avoir été niée par mon père et

toute ma famille, ma parole et mon histoire sont

officiellement rejetées par la loi. La lettre me tombe

des mains, je suis foudroyée… Marie-Odile, n’a pas

le droit d’exister !…11

« Que faire quand il est clairement inscrit dans la

loi du pays : “Il est interdit de parler de ce crime, il

concerne la vie privée de la personne” et “se réfère à

des faits qui remontent à plus de dix ans” ?… Ou

trouver encore des forces pour relier ce qui est non

reliable, parce que la mémoire est interdite d’accès

11

Mary Genty – « Non, je ne suis pas à toi » – Eyrolles, 2011

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par le Droit ? “Qu’est-ce qu’un homme ? C’est un

être qui se souvient” écrit Marie Balmary. La

littérature n’est faite que de mémoire, véritable

ressort de création »12

Le processus incestueux bâillonne la parole et

lorsque la parole émerge enfin, tardivement, il devient

officiellement interdit de dire, interdit de parler et

d’exister en tant que victime. Parce que la vérité

enfreint la loi, en parlant la victime devient l’agresseur

passible de sanctions par la loi. Il y a vraiment de quoi

en « perdre son latin » ! Crime prescrit, parole

prescrite, l’individu ne peut plus s’exprimer en son

nom. Il a le choix entre dire et devenir hors la loi ou ne

pas dire et être condamné à une non-existence.

Une culture qui fonctionne à l’envers !

La prévention faite auprès des enfants place l’enfant

en position d’adulte en lui proposant de « savoir dire

non ». On sait aujourd’hui (statistiques à l’appui)

qu’un enfant (prévenu ou non) ne peut pas dire non. Sa

qualité même d’enfant, sa vulnérabilité, son immaturité

psychique et physiologique, bref tout ce qui fait qu’il

est un enfant, fait qu’il ne peut pas dire non. Le

système d’emprise affective et psychologique, dans

lequel il se trouve, lui rend impossible cette tâche. Et

quand bien même il dirait oui, c’est à l’adulte que

revient la responsabilité d’assurer le non-passage à

l’acte. L’enfant n’a pas à autoriser ou à refuser à un

adulte « pervers » un acte sexuel, ni à comprendre qu’il

en va de sa construction psychique personnelle.

12

Eva Thomas – Op. Cite

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Faire de la prévention aux enfants, par le biais de

méthodes pédagogiques, sur l’interdit de l’inceste et

des relations sexuelles entre adultes et enfants, ne

peut qu’introduire de la confusion :

D’une part, c’est inverser les rôles en donnant la

responsabilité à l’enfant de dire non. D’autre part, c’est

augmenter sa honte, sa culpabilité et son sentiment

d’insécurité. Car dans l’impossibilité de dire non, il

deviendra à ses propres yeux, aux yeux du monde et de

la loi, le « fauteur coupable de n’avoir pas su dire non ».

Et enfin, « depuis quand l’école serait-elle mandatée (et

d’ailleurs comment le pourrait-elle ?) pour rappeler une

loi du développement psychique ? »13

L’interdit de l’inceste ne se parle pas, il « s’agit »

et « s’inter-dit » dans les gestes et les actes du

quotidien, dans une parole incarnée. C’est-à-dire en

posant des actes et des mots cohérents sur la réalité et

permettant à l’enfant de mettre du sens. Par exemple :

• Une mère peut réprimander son enfant moralement

ou le secouer physiquement, parce qu’elle est fatiguée

ou épuisée. Si elle lui dit, en le punissant, que c’est sa

faute, qu’il est méchant et invivable, les mots posés sur

le réel sont injustes et incohérents, et mettront l’enfant, à

force de répétitions, dans la confusion mentale. Dans la

tête de l’enfant va s’imprimer « je suis méchant et

invivable, et si ma mère me tape ou me gronde, c’est ma

faute ». En revanche, si la mère lui dit qu’elle est

épuisée, qu’elle n’est pas disponible pour lui et qu’elle

lui demande d’aller dans sa chambre, elle pose sa limite

et une limite à son enfant. L’enfant pourra être frustré,

souffrir, mais les mots posés sur le réel sont justes et

13

José Morel Cinq Mars – « Quand la pudeur prend corps » –

PUF – Novembre 2002.

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cohérents. Ils lui permettront de différencier l’état

émotionnel de sa mère, du sien et il pourra mettre du

sens.

De même un enfant, qui raconte des faits et des

gestes plus ou moins obscurs et confus, a besoin que

les adultes mettent des mots justes dessus. Car l’enfant

parle. Lorsque l’enfant est victime de passages à l’acte,

il y a toujours des secrétions, des suppurations. C’est

bien souvent l’adulte qui ne sait pas voir, décoder,

entendre ou tout simplement accueillir l’enfant dans sa

réalité. Face à une situation d’inceste l’adulte, le tuteur,

va être renvoyé à sa propre représentation de la chose.

Si elle est impensable, alors elle ne pourra pas être

pensée par l’adulte pas plus que par l’enfant. Les mots

et les réactions proposés à l’enfant risquent alors d’être

décalés et confus.

L’idée que l’inceste est un fantasme, et n’existe pas

dans la réalité, est encore très prégnante dans notre

culture. Malgré les situations de pédocriminalité de

plus en plus révélées, les langues qui se délient, les

livres qui s’écrivent…, les doutes sur la parole et la

crédibilité de l’enfant sont toujours présents. Car les

traces laissées par le ou les passages à l’acte ne laissent

pas toujours de lésions visibles. Et les passages à l’acte

ne sont eux-mêmes pas toujours flagrants. L’enfant se

retrouve donc face à cette double injonction

paradoxale : « Tu n’as pas la maturité psychique pour

que l’on puisse croire ce que tu dis, par contre tu as la

maturité psychique pour consentir à un acte sexuel ou

dire non à un adulte » Comment ne pas provoquer de

ligotement psychologique ?

La mise en doute de la parole est présente partout.

Ces mères qui sont poursuivies pour enlèvement

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d’enfant, parce que tout simplement elles tentent

désespérément de protéger leur enfant d’un père

incestueux. Ce qui leur est reproché ? De se servir de

ces propos diffamatoires pour servir la cause de leur

divorce. La justice a fait de quelques cas une généralité

et laisse en danger des enfants qui ont fait pourtant

l’objet d’expertises qui ont pu prouver l’existence de

lésions corporelles et de passages à l’acte.

Les situations inverses existent aussi. Il n’y pas

que des pères agresseurs, il existe des mères abusives,

possessives et violentes psychologiquement. Au

niveau sociétal, je reste stupéfaite de voir comment

notre culture évite d’aborder la responsabilité des

mères dans les situations de violence familiale et

comment l’image de la mère reste un archétype

intouchable. En cas de divorce ou de séparation, rares

sont les pères qui obtiennent la garde de leurs enfants

qui est, de façon presque systématique, laissée à la

mère et cela même dans des situations où les carences

éducatives et les violences affectives et

psychologiques sont avérées. Combien de père ne

peuvent pas tenir leur rôle et leur place de père, parce

que la mère reste toute puissante dans sa relation à

l’enfant, avec en prime la caution de la justice ?!

Combien de membres de la famille, de voisins,

d’instituteurs, d’éducateurs, qui pointent des

situations douteuses et sont renvoyés à leurs

fantasmes personnels. Ou de médecins (qui ont

injonction par la loi de dénoncer les abus sur mineurs)

qui, faisant un signalement, se retrouvent au banc des

accusés. Sans parler de tous ceux qui ne le font pas

par peur d’être accusés d’abus de pouvoir ou de

diffamation… On nage en pleine confusion.

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Le discours freudien qui ramène la réalité de

l’inceste à un fantasme de la personne est encore très

présent dans le cabinet de certains psychanalystes,

psychologues ou thérapeutes. Faire croire à la victime

que fantasme et réalité sont la même chose continue à

faire vivre l’abus jusque dans le cabinet

« thérapeutique ». Cette escroquerie psychologique

ligote et englue la personne dans les représentations

de son thérapeute, en qui elle est sensée avoir toute

confiance, et crée, si la personne n’y met pas

rapidement un terme, une relation de dépendance

perverse. De nombreux témoignages de victimes,

mais aussi de professionnels de la relation d’aide et

d’associations, dénoncent ces pratiques qui

malheureusement sont encore légion et ce parmi des

professionnels diplômés. Si l’habit ne fait pas le

moine, le diplôme ne fait pas non plus la compétence.

À qui peut-on se fier alors ? Ici également nous

sommes en pleine confusion.

Par ailleurs, qu’il y ait eu passage à l’acte ou non,

un « inceste fantasmé » a toutes ses chances de

prendre sa source dans un inceste affectif, il existe

donc bien dans la réalité. En effet, concevoir son père

et sa mère comme objet d’amour est un état premier

bien normal et naturel. Comment reprocher ou rendre

responsable un enfant de cette situation ? C’est bien

aux parents que revient la mission de poser les

interdits affectifs et psychologiques fondamentaux,

qui vont permettre à l’enfant de les corporaliser en lui

même. Si ce processus ne se déroule pas et laisse

latent un « inceste fantasmé » alors nous pouvons

toujours nous poser la question : A qui appartient ce

fantasme ? À l’enfant ou aux parents ?

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Etre parent aujourd’hui

Comment devenir un parent structurant pour son

enfant lorsque l’on a eu soi-même des parents

défaillants ? Mais plus simplement comment ne pas

devenir un parent défaillant alors que nous vivons dans

une culture et un environnement défaillants ? Parce

qu’en effet, notre culture et notre société ne nous invite

guère ni à nous séparer, ni à intégrer des limites :

Les progrès de la science et de la médecine

repoussent sans cesse les limites de la souffrance, les

limites de la vie et de la mort, de la jeunesse et de la

vieillesse. La notion même de souffrance est devenue

insupportable et dans son quotidien, l’individu a

banni toutes les émotions dites de souffrances

naturelles. Celles-là mêmes qui nous permettent

(normalement) de nous séparer et d’intégrer nos

limites affectives et relationnelles. Il est interdit d’être

triste, en colère ou d’avoir peur… Et tout cela au

détriment de nos besoins affectifs et relationnels…

L’être humain ne sait plus et ne veut plus gérer les

frustrations, les ruptures, les séparations, les deuils.

Pour y faire face, il les fait disparaître tout en

douceur. Fabrice Hervieu-Wane, parle des rituels

dévitalisés et de l’idéologie du lissage : « Nos

passages modernes s’opèrent désormais sans rupture.

La rupture est obscène, on la traque, on la chasse, on

la fait disparaître. L’époque est à la domination

tyrannique de la transition douce, du confort moderne

et de l’occupationnel »14

. À la crèche, à la maternelle,

14

Fabrice Hervieu-Wane – « Une boussole pour la vie – Les

nouveaux rites de passages » Albin Michel, 2005

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à l’école, passerelles et transitions sont mises en place

pour éviter les ruptures trop brutales.

Arrivé à l’adolescence, aucun repère, aucun rituel

ne vient permettre à l’adolescent de se positionner dans

son rôle dans la société, ni de marquer son passage

dans la vie adulte. Les frontières entre les différents

âges de la vie sont de plus en plus invisibles, entraînant

aussi des confusions entre les générations. À défaut

d’entrer dans la vie adulte, l’adolescence devient un

lieu où l’on s’installe définitivement. Combien de

parents s’habillent, se coiffent comme leurs

adolescents ou ont les mêmes loisirs (jeux vidéo…) ?

Sans parler des liftings qui permettent une éternelle

jeunesse à ne plus savoir qui est le parent de qui ! Ou

encore le phénomène des petites lolitas qui s’habillent

comme leur mère. On peut toujours s’évertuer à faire

de la prévention contre la pédocriminalité, mais notre

culture à travers la mode, la télévision, les magazines

fait l’apologie de ces travestissements.

La mondialisation, les nouvelles technologies, les

nouveaux modes de communication ont fait exploser

les limites spatiotemporelles. Nous vivons dans un

monde sans limite où tout est possible. En quelques

secondes nous pouvons avoir le monde à domicile.

L’homme a su repousser les limites de son corps

en pulvérisant les limites de l’espace-temps. La

distance qui nous sépare physiquement n’est plus

qu’une illusion, puisqu’en quelques instants nous

pouvons être proches, voire intimes.

Nous n’avons peut-être pas toujours conscience

qu’avec notre téléphone portable nous emmenons qui

nous voulons dans notre intimité : dans notre bain, dans

notre lit, avec nous dans les toilettes, à table pendant le

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déjeuner… Et nous emmenons aussi notre intimité

partout dans les espaces publics, au travail, au

restaurant, dans la rue, le bus, le train… Avec notre

radio, notre télévision nous faisons entrer le monde dans

notre maison. Avec la nouvelle ère du « réalité show »,

notre intimité est subitement envahie par celle de l’autre

et si nous jouons le jeu, notre vie privée, notre intimité,

par écran interposé, est livrée en pâture au monde.

Avec l’Internet, c’est la même chose. L’absence

physique de l’autre permet et autorise une intimité qui

n’existerait pas dans la proximité d’un échange face à

face qui introduit plutôt une distance. Par

l’intermédiaire de listes de discussion, de forums, de

chat… tout est démultiplié en nombre et en intensité.

On assiste à une inversion et une vraie confusion

entre ce qui est de l’ordre de l’intime et du privé, et ce

qui est de l’ordre du public et du social. Tous ces

outils de communication agissent à la manière d’un

cordon ombilical qui maintient les individus dans un

monde virtuel et l’illusion de la séparation.

En refusant de se séparer, l’individu refuse de se

confronter aux limites de son corps, aux limites de la

temporalité, aux limites de la vie, soit de se

confronter à sa condition d’être mortel et se donne

l’illusion d’avoir un pouvoir illimité et absolu sur

tout…

Les frontières explosent de partout sans oublier les

frontières de la vie privée. La parentalité qui relevait

de la sphère du privé et de la « toute puissance »

paternelle est passée en une cinquantaine d’année,

avec les droits de l’enfant, l’autorité parentale

partagée, le contrôle des naissances, les allocations

familiales… dans la sphère du social. Il y a un siècle,

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on se mariait pour « donner un enfant à son mari ».

Aujourd’hui, le couple devient une histoire d’amour

et donc privée et la femme cherche un père pour son

enfant. « Ce n’est plus l’enfant qui doit la vie à ses

parents, c’est lui, au contraire, qui donne sens au

couple parental »15

, nous dit Boris Cyrulnick, et c’est

autour de l’enfant que s’organisent les valeurs

familiales. Il y a un siècle, faire des enfants était un

besoin social, aujourd’hui, il est un désir intime et

privé.

Les enfants élevés dans l’ordre du désir, veulent

tout, immédiatement et sans contre partie. Ils ont des

seuils de frustration tellement bas que les rencontres

inévitables avec les contraintes de la réalité

deviennent sujettes à la violence et aux agressions.

Mais notre société de consommation alimente cette

dictature du désir : Les désirs sont devenus des

besoins vitaux qui doivent se combler presque de

façon compulsive ! Dans cette culture du désir tout

puissant, l’ère de l’enfant roi est advenue inversant

les rôles et les places entre parent et enfant et

provoquant multiples confusions source de violence

et de sentiment d’impuissance…

Mais comment nous, parents, pouvons-nous

transmettre des valeurs à nos enfants, alors que la

valeur de référence est aujourd’hui : « NO LIMIT ».

Comment pouvons nous poser des limites, osez dire

non, alors que notre environnement social et culturel,

nous invite exactement au contraire nous faisant perdre

par la même occasion notre sens commun et notre

capacité de discernement ? Comment la fonction

15

Boris Cyrulnick – « Parler d’amour au bord du gouffre » –

Odile Jacob, 2004

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séparatrice peut-elle s’exercer au sein des familles si

elle n’est pas soutenue et légitimée dans notre culture ?

Pour intégrer ses propres limites et sa propre valeur,

l’être humain doit pouvoir se confronter à quelque

chose qui fait non et qui se faisant le contient. Mais

qu’est-ce qui fait non aujourd’hui dans notre société ?

Alors, le corps social a aussi ses mots à dire, et des

symptômes et des maladies sociales s’expriment de

plus en plus : Dépression, sentiment d’impuissance,

Isolement, phobie sociale, dépendance affective et

addictions en tout genre, délinquance, errance,

violence conjugale, violence familiale…

Prévention ou éducation ?

L’enfant a besoin, pour grandir, de mots et de gestes

qui contiennent, rassurent et structurent. Si prévention

il doit y avoir, ce que je pense, c’est auprès des parents

et des tuteurs sociaux qu’elle doit se faire. Pour qu’ils

puissent acquérir les repères, les gestes et les paroles

leur permettant ainsi d’agir au quotidien et d’exercer

leur fonction de tuteur et de « repère » structurant pour

l’enfant. Il n’y a pas meilleure prévention que celle qui

« s’agit » au quotidien.

Alors, je m’interroge. Doit-on limiter la prévention

de l’inceste à de simple mesure de détection et de

signalement de situation suspecte ?

La prévention menée jusqu’alors auprès des enfants

en milieu scolaire, a le mérite de libérer la parole des

enfants victimes, mais elle a aussi l’effet d’introduire

de la peur et de la méfiance auprès des enfants vis-à-

vis de leurs parents. Est-ce le but de l’éducation ?

D’autre part, doit-on faire porter la responsabilité à nos

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enfants de l’arrêt des violences intrafamiliales, c’est-à-

dire de la violence elle-même ?

Si nous voulons redonner à l’enfant sa place

d’enfant, et à l’adulte sa place d’adulte responsable,

alors pourquoi ne pas proposer des actions de

prévention, de formation et d’accompagnement

auprès de tous les parents et auprès de toutes les

personnes qui exercent une fonction parentale ?…

L’enfant n’a pas à être prévenu, il doit tout

simplement être éduqué. Ce qui n’implique pas du

tout les mêmes ingrédients ! Alors, puisque l’école à

une mission éducative à tenir, pourquoi ne pas

introduire dès l’école maternelle, la transmission de

savoir être : c’est-à-dire de l’intelligence

émotionnelle, de l’estime et de la confiance en soi,

des aptitudes relationnelles… C’est-à-dire de vraies

valeurs et de vrais repères, basés sur l’amour de soi et

non pas sur la peur de l’autre…

Exercer une fonction parentale consiste d’abord et

avant tout à l’exercer vis à vis de soi-même. Quel

parent sommes nous pour nous-mêmes ? Où en

sommes-nous de la satisfaction de nos besoins

vitaux ? (physiologiques, affectifs, psychologiques,

symboliques) Avec quoi nourrissons nous notre

corps, notre esprit, notre cœur, notre âme ? Que

mettons nous en œuvre pour être cohérents avec les

valeurs et les rêves qui nous animent ?

Nous sommes tous victimes de notre éducation,

enfant nous n’avons pas le choix et nous avons tous

des blessures, des contraintes et des limites avec

lesquelles il nous faut apprendre à vivre. Cependant,

nous sommes et restons responsables de ce que nous

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faisons de cette éducation reçue et de celle que nous

léguons à nos enfants…

Après avoir été votée, en Janvier 2010, la loi de

l’interdit de l’inceste a été abrogée le 16 septembre

2011 par le conseil constitutionnel. Cependant, il ne

faut pas oublier que si l’inceste est un tabou, son

interdit est une loi d’organisation sociale à travers

laquelle l’enfant, puis l’adulte et le parent qu’il

deviendra, structure son identité psychique, affective et

relationnelle. Ainsi, l’interdit de l’inceste se trouve au

cœur de notre système éducatif et nous en avons donc

tous l’expérience, à notre insu, à travers nos valeurs et

nos principes éducatifs. Tout comme l’interdit du

meurtre, cet interdit fondateur de notre identité

humaine, permet l’émergence du « sujet » et le tissage

du lien social. Mais surtout, il élabore le terreau de la

culture que nous transmettons aux générations à venir.

Dans un monde où les limites spatio-temporelles

explosent et maintient ainsi les individus dans une

réalité virtuelle où tout est possible, dans une culture

qui alimente « le désir tout puissant », la dictature des

pulsions, la jouissance et les plaisirs immédiats au

détriment de nos besoins les plus vitaux, dans une

société en pleine crise identitaire où règnent la

confusion, la victimisation et le sentiment

d’impuissance… chacun est en droit de s’interroger

sur les valeurs, les repères que nous transmet notre

nouvelle ère « du savoir et de la consommation ».

L’’interdit de l’inceste consiste à renoncer à la

toute-puissance vis à vis de ses enfants, mais aussi

vis-à-vis des autres et du milieu dans lequel nous

vivons. Ce à quoi ne nous invite guère « le monde

sans limite » au sein duquel nous évoluons. De la

toute puissance à la toute impuissance, la frontière est

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fine pour celui qui transgresse les règles du « JE » et

les conditions de l’élaboration du « sujet ».

Reposer au cœur de la loi, la limite qui fait de nous

des humains, dans tout ce que nous sommes, mais

seulement ce que nous sommes, c’est à dire des êtres

avec des valeurs et des ressources, mais aussi avec

des limites, ne peut être qu’une évolution qui vient

initier le cadre fondamental dans lequel pourront

s’élaborer toutes les actions de prévention et

l’accomplissement des mutations sociales vers plus de

conscience, de discernement et de responsabilité.

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La fonction initiatique

du récit autobiographique

De l’écriture thérapeutique à

l’écriture socialisable et socialisante

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79

Comment devenir humain

malgré les coups du sort ?

Qu’est-ce qu’un fou ?

Cette fois je vais te répondre sans tricher : la folie,

c’est l’incapacité de communiquer ses idées. Comme si

tu te trouvais dans un pays étranger : tu vois tout, tu

perçois tout ce qui se passe autour de toi, mais tu es

incapable de t’expliquer et d’obtenir de l’aide parce

que tu ne comprends pas la langue du pays. « Nous

avons tous ressenti cela un jour. Nous sommes tous un

peu fou, d’une façon ou d’une autre. » Paulo Coelho.

Je n’ai jamais oublié, jamais refoulé… Mais, je

n’ai jamais été autorisée à vivre les traumatismes en

tant que tels, parce qu’ils n’ont jamais été reconnus

pour ce qu’ils ont été. Pendant 20 ans j’ai vécu

comme anesthésiée : Impossible d’intégrer, ni

psychiquement ni émotionnellement, ce que j’avais

vécu. J’avais été maltraitée, mais en plus je n’avais

pas le droit de le savoir !

L’histoire officielle, celle racontée par mon père et

toute la famille, était tout autre. Malgré le départ de

ma mère, l’histoire d’une enfance banale, voire

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heureuse, d’un père courageux qui s’est dévoué et

sacrifié… J’étais contrainte d’adhérer à cette version.

J’y ai cru pendant longtemps, car l’autre, celle dont

j’étais la seule à être le témoin, je n’avais personne

pour l’écouter, encore moins pour la croire.

Condamnée au secret, « ligotée psychologiquement »,

les symptômes corporels dont j’ai souffert toute ma

vie étaient le signe de ma résistance au

« négationnisme familial et culturel ». Ils disaient

inlassablement ce qu’il m’était interdit de dire. Ils

étaient le signe que je restais vivante, que je n’avais

pas oublié, parce que ma tragédie, qui fut aussi ma

délivrance, c’était précisément de ne pouvoir oublier.

J’ai connu l’inceste et j’ai mis 20 ans à le savoir !

Porteuse de cette « co-naissance interdite », j’avais

perdu le sens et la valeur des mots. Interdite de

mémoire, j’étais interdite de savoir.

La quête de toute mon existence a été de retrouver

les mots pour les poser sur le réel. Pour dire l’interdit et

l’indicible, pour nommer l’impensable et l’impensé…

Pour savoir mon histoire, sortir de la confusion,

comprendre et donner du sens et de la vie à ma vie.

« Le premier février 1998, je porte plainte auprès

du procureur de la République, pour « viol aggravé »

et j’envoie le double du courrier à mon père. Seule

contre toute ma famille, j’ose briser le mur du

silence. C’est comme un voile de mort qui s’envole,

un nœud qui se dénoue. Je me libère de l’emprise

familiale, je ressuscite…

… Quinze jours plus tard, je reçois la réponse du

procureur. Quelques mots sur une grande feuille

blanche : une fin de non-recevoir, la fameuse

prescription ! J’avais beau le savoir et m’y attendre,

je ne m’imaginais pas une seule seconde à quel point

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cette réponse formelle de la loi serait violente et

destructrice. Après avoir été niée par mon père et

toute ma famille, ma parole et mon histoire sont

officiellement rejetées par la loi. La lettre me tombe

des mains, je suis foudroyée… Marie-Odile, n’a pas

le droit d’exister !…16

Après avoir été niée par mon père, ma parole et

mon histoire sont rejetées formellement par la loi. La

non-prise en compte par la justice, la non

reconnaissance sociale, me renvoie d’un seul coup à

un autre type de vide et de déni : celui de ma non-

filiation sociale, celui de ma non inscription dans la

loi, celui de ma non-place au sein du monde des

humains ! »… Après des années de parcours du

combattant et de tentative de reconstruction, je me

retrouve anéantie et reste sans mots… Que dois-je

faire de mon histoire ? L’oublier ? Impossible… Elle

secrète par tous les pores de ma peau !

Et pourtant, c’est bien ce que vient me signifier la

loi : le viol que vous avez vécu n’a jamais existé.

Oubliez ! Car la prescription agit comme si le crime

n’avait jamais existé. Mémoire prescrite. Mémoire

interdite. Comment mettre du sens quand la mémoire

est interdite ? Il y a une partie de moi qui reste

chaotique, décousue et insensée »… Mon histoire ne

peut exister ni dans ma famille, ni dans la culture, ni

dans la loi. Ma parole tombe éternellement dans le

vide et reste muette.

Étouffée par tous ces mots qui restent coincés en

travers de ma gorge, je reste en état de choc pendant

plusieurs mois. Et puis peu à peu, l’anéantissement

16

Mary Genty – « Non, je ne suis pas à toi » – Eyrolles, 2011

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fait place à un terrible sentiment d’injustice et la rage

qui émerge alors au plus profond de moi, devient un

moteur de plus en plus puissant. Rage de comprendre

la violence dans laquelle je suis enfermée. Rage de

dénoncer l’injustice dont je suis victime, rage de

témoigner…

« La manière dont l’entourage familial et culturel

parle de la blessure peut atténuer la souffrance ou

l’aggraver, selon le récit dont il entoure l’homme

meurtri », écrit Boris Cyrulnik dans son livre

« Merveilleux Malheur » sorti en 1999. La lecture de

cet ouvrage, me donne alors un sentiment de

normalité, voir même de légitimité. Je suis de la race

de ceux qu’il appelle les résilients. Premier auteur a

avoir développé ce concept, il décrit la résilience

comme étant la capacité à réussir, à vivre et à se

développer positivement, de manière acceptable, en

dépit du stress ou d’une adversité qui comporte

normalement le risque grave d’une issue négative.

Comment devenir humain malgré les coups du

sort ? Voilà bien le sujet qui canalise toute mon

énergie vitale depuis tant d’années, et la seule réponse

que je trouve face à cela est ECRIRE le récit de mon

histoire. Ecrire pour me souvenir, écrire pour savoir et

comprendre, écrire pour transmettre et témoigner,

écrire pour exister.

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Le récit au fondement de l’identité

… « Le don de raconter des histoires caractérise

l’homme autant que la station debout ou l’opposition

du pouce à l’index. Tout indique que c’est notre

manière “naturelle” d’utiliser le langage, dans le but

de caractériser les déviations qui, sans cesse,

viennent perturber le cours des choses dans une

culture donnée. Personne ne connaît exactement

l’histoire de son évolution, comment ce don est né et

a survécu. Nous savons seulement que c’est un outil

irremplaçable qui donne sens à l’interaction

humaine. J’ai fait l’hypothèse que c’est grâce au récit

que nous parvenons à créer et recréer notre

personnalité, que le Moi est le résultat de nos récits et

non une sorte d’essence que nous devrions découvrir

en explorant les profondeurs de la subjectivité. Nous

disposons maintenant de preuves pour affirmer que

sans cette capacité à construire des histoires à propos

de nous-mêmes, rien n’existerait qui ressemble à une

personnalité17

17

Jérôme Bruner – Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?

– Éd. Retz – 2002. »…

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Se raconter, faire de sa vie une histoire est donc

fondateur de sa personnalité, de son identité et aussi

de sa condition humaine. L’histoire que l’on raconte

révèle : « voilà qui je suis et d’où je viens »… La

quête fondamentale de l’être humain n’est-elle pas

depuis toujours la quête de ses origines ? Origine de

la vie, du monde, de l’univers… Savoir et

comprendre d’où l’on vient, permet de donner une

direction et un sens à sa vie, à la vie. Et ce récit de soi

n’appartient pas au seul domaine « du thérapeutique

ou du psychologique ». Le récit de soi, de la vie est

intrinsèque à l’homme et à l’humanité. Nous sommes

tous tissés de récits, d’histoires, de mythes et de

légendes, et cela non seulement depuis notre

naissance, mais depuis l’aube de l’humanité.

Rien qu’à travers notre nom et notre prénom et

avant même notre naissance, nous pouvons déjà nous

relier à l’histoire qui nous a créée. Nous sommes

fondamentalement des êtres de langage et nous avons

besoin pour exister, d’être accueilli et reconnu dans

une parole qui fonde et tisse notre humanité. Ainsi, le

récit de soi n’existe que dans l’altérité et ne peut se

dissocier de la dimension de l’autre, celui qui

accueille et qui écoute ou au contraire rejette et renie

Et cet autre peut se trouver tout aussi bien à

l’extérieur de soi, tout comme à l’intérieur de soi. Ce

n’est donc pas seulement « se raconter » qui libère et

émancipe, mais se sentir accueilli et entendu dans son

humanité. Se sentir humain amène un profond

sentiment de sécurité et d’appartenance qui procure

un sentiment de joie, de liberté et de sens. Faire un

récit de soi, se sentir entendu et accueilli dans ce récit,

aussi inhumain soit-il, rend humain.

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L’écriture comme

processus d’ancrage

Fugitive et impalpable la parole circule et obéit à

des lois silencieuses. L’écriture, elle, articule la parole

avec des lois, des règles et des codes très précis et

tangibles. C’est un arrimage, un encrage/ancrage à la

terre qui relie la chair et l’esprit, la forme et le fond,

pour lui donner sens et matérialité.

… « Août 99, je commençais l’écriture de mon récit.

Chronologiquement. Sans analyse. Sans commentaire.

J’écrivais mon récit, brut de décoffrage. L’idée dans

un premier temps était de réunir les faits pour les

mettre à plat les uns après les autres18

»…

Dans cette première étape, il n’est pas question pour

moi de socialiser ce que j’écris. Mon objectif est de

retracer les faits et les évènements chronologiquement,

sans chercher à comprendre. Ayant beaucoup

déménagé dans ma vie, ce sont les lieux qui restent

porteurs de mémoire. À partir de cette mémoire des

18

Mary ODILE – L’inceste, de l’autre côté du miroir – Ed.

Quitessence 2006

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lieux, je retrouve le contexte, les personnages, les

émotions, les dates et les âges. L’important n’est pas

de se souvenir de tout. « Comme le soulignait Maurice

Halbwachs en son temps, l’oubli est nécessaire à la

mémoire. Celle-ci n’a aucun besoin d’être exhaustive,

bien au contraire, puisqu’elle est un réservoir à la

disposition du sujet dans lequel il va puiser en fonction

des exigences du présent. La mémoire “ne retient du

passé que ce qui est encore vivant ou capable de vivre

dans le groupe qui l’entretient” (Halbwachs, 1950, p.

70). La mémoire est un moyen de se projeter dans

l’avenir plutôt qu’une fixation sur le passé. Mais cette

mémoire vivante a besoin d’être entretenue et

partagée19

».

Le récit écrit demande un effort de mémorisation

bien plus important que le récit oral. Un récit oral

peut se permettre d’être décousu, alors que le récit

écrit impose une loi beaucoup plus stricte : il s’agit

d’assembler les évènements les uns avec les autres de

façon fluide, ordonnée et cohérente. Ainsi, dans cette

grande nébuleuse que représentent la mémoire, le

temps et les souvenirs, émergent ici et là des petites

bulles de clarté, de compréhension et de sens.

Bien plus que le récit oral qui ne circule que dans

l’instant présent, le récit écrit entraine un passage

dans la matière et laisse une trace transmissible dans

la durée. C’est la « pensée qui prend corps ». C’est

pourquoi l’écriture de soi nécessite de s’accueillir soi-

même dans sa propre parole. Ce n’est plus l’écoute de

l’autre qui est fondamentale, mais l’écoute de soi,

l’écoute intérieure.

19

Vincent de Gaulejac – L’histoire en héritage – Desclée de

Brouwer – 1999.

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Cette première étape d’écriture a eu plusieurs effets :

• Le premier, fut un effet terrible de destruction :

Tout s’écroule. Les illusions, les mensonges, les mythes

et les histoires que je me suis inventées pour survivre,

tout s’effondre. J’écris ma vie, sa réalité, sa vérité, mais

en la déployant sur un morceau de papier, cette vie ne

ressemble plus à rien. Elle me semble toute aplatie,

correspondant à la réalité certes, mais elle n’est plus

qu’un ramassis d’ignominies, un tissu d’incohérences.

L’acceptation est dure, très dure. Le doute s’installe de

nouveau : « ce n’est pas possible, je délire, j’ai dû en

rajouter quelque part ! ». Alors je lis et relis… mais

c’est pourtant bien la réalité, toute simple, toute crue et

toute nue ; j’ai vécu dans le chaos, la violence… Ma vie

est un non-sens. Peu à peu, je sors de mes

aveuglements, de ce magma informe culturel, familial et

parental dans lequel je suis engluée. Mais le constat est

terrifiant et renforce mon besoin de comprendre :

« Comment est-ce que j’ai survécu à tout cela ? »

• Le deuxième effet fut de me réinscrire dans la

temporalité : En effet, relier les évènements entre

eux, crée de l’articulation, de l’ordre et nécessite

d’envisager un avant, un pendant et un après. Soit un

début, un milieu et une fin. Ainsi, en m’écrivant, je

retrouve la mémoire et le fil du temps. Je m’articule

de nouveau dans les limites du temps humain et dans

ma finitude. Je retrouve un rythme et un tempo. Est-

ce un pur hasard si c’est à cette période de ma vie que

je reprends la musique ?

• Le troisième effet fut de produire du savoir sur

moi et sur ma vie : écrire mon histoire me permet de

faire des liens. Entre différents évènements de ma vie

mais aussi avec le contexte social et culturel dans

lequel je vis. Soit parce que je me surprends à les écrire

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l’un à la suite de l’autre, soit à la relecture où je relie

différents passages. Lorsque je me retrouve devant des

impasses, je pars faire des enquêtes :

… « Peu à peu, j’approfondissais mon travail de

recherche autour de mon arbre généalogique et de

l’histoire familiale. Pour mettre à l’épreuve mes

souvenirs, mais aussi trouver de nouveaux indices et

de nouvelles compréhensions, je partais faire des

petites enquêtes. Même si ma mère restait mon

interlocutrice privilégiée, je n’hésitais pas à

contacter des membres de toute ma famille,

notamment du côté de mon père20

»…

Ainsi, en écrivant, je rends, à mon insu, visibles et

lisibles des processus invisibles. Toujours à partir du

même questionnement, qui devient mon fil rouge :

« Comment, puisque je ne suis ni morte ni folle, ce

qui est censé me détruire m’a-t-il donc construite ? »

C’est ainsi que peu à peu, émerge de la cohérence et

du sens, mieux encore : un sentiment de normalité !

— Avec tout ce que j’ai vécu, c’est donc bien

normal de penser ce que je pense et d’être dans l’état

où je suis !

L’écriture de mon histoire me permet alors de me

comprendre (prendre avec soi) et de me faire

comprendre.

La mémoire est étroitement liée aux émotions.

Nous nous imprégnons plus facilement des

évènements, des relations qui nous ont affectés

émotionnellement. En négatif comme en positif.

Ainsi, la mémoire englobe tous nos sens, donc notre

corporalité. Se souvenir, c’est se souvenir

20

L’inceste, de l’autre côté du miroir – Op cite

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émotionnellement. Nos émotions nous permettent de

tisser nos limites corporelles en nous liant avec nos

repères temporels. Ecrire son histoire permet de se

réinscrire dans la temporalité mais également

d’éprouver corporellement, émotionnellement.

… « Puis, progressivement je faisais des liens…

des prises de conscience… Ce travail d’écriture était

libérateur. Passant de la rage au désespoir… du

désespoir aux crises de larmes… des crises de larmes

aux crises de rire… L’écriture me permettait un

travail de mémoire dont je me délectais21

»…

Les mots justes peuvent alors se poser sur ces

émotions qui émergent et s’expriment. Le langage

peut s’articuler avec la réalité éprouvée et le langage

des mots remplacer le langage des maux.

« Ecrire pour oublier, délivrer le corps qui parle,

qui se souvient avec ses maux de sang. Métamorphoser

les maux en mots, laisser la mémoire au papier et les

cris s’envoler comme des papillons ! »

L’écrit, bien plus que l’oral, possède une

matérialité qui permet cette mise à distance des

évènements douloureux de notre vie. Il permet de

visualiser, de mettre hors de soi. Ce n’est pas tant

l’écriture qui provoque l’émotion, c’est bien souvent

la relecture de ce qui a été écrit. De sujet, l’auteur

devient objet de son récit et se laisse traverser et

éprouver par lui : « Ça travaille à l’extérieur comme à

l’intérieur ». « L’encrage » engage un processus

« d’ancrage » qui s’inscrit dans la durée. À travers

des allers-retours, il permet la lente maturation de

l’analyse et l’intégration de l’histoire vécue :

21

L’inceste, de l’autre côté du miroir – Op cite

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« Toute ma vie j’avais vécu dans l’illusion de la

réalité. M’inventant des histoires, des personnages

imaginaires, le mythe d’une famille harmonieuse…

Le rêve et l’imaginaire étaient devenus pour moi

comme une stratégie de survie pour faire face au

quotidien. Mon imaginaire avait fait ma force mais il

avait aussi fini par m’enfermer en dehors de la

réalité. Ecrire me permettait de reconnecter avec

cette réalité et de l’intégrer : Oui, c’est bien moi qui

ait vécu cela !22

».

« Nous sommes toutes au début un tas d’os, un

squelette démantelé gisant quelque part dans le désert

sous le sable. À nous de recoller les morceaux. C’est

une tâche pénible qu’on doit exécuter quand la

lumière est bonne, car il faut y consacrer beaucoup

d’attention. La loba nous montre ce que nous devons

chercher – l’indestructible force vitale, les os »23

.

En septembre 2002, soit 3 ans plus tard, je termine

ma première phase d’écriture qui fut une véritable

auto-thérapie. Cependant, j’ai envie d’aller plus loin.

J’ai besoin de témoigner en socialisant mon histoire,

mais surtout j’ai envie de transmettre ce que ma vie

m’a appris. Car de cette écriture thérapeutique, qui

m’a permis de retisser du lien avec moi-même et mon

histoire, a émergé de la compréhension sur les

processus éducatifs, psychiques et sociaux qui ont

imprégné mon parcours. Je souhaite développer une

écriture plus conceptuelle et distanciée et je songe

d’ores et déjà à la publication d’un livre.

22

L’inceste, de l’autre côté du miroir – Op cite 23

Clarissa Pinkola Estés – Femmes qui courent avec les loups –

Grasset et Fasquelle – 1996 – 487 p.

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91

Le récit, l’écriture et la loi

En octobre 2002, je rencontre Martine Lani-bayle,

responsable du Diplôme Universitaire « Histoire de vie

en formation » à Nantes. Chercheur en Pratique des

histoires de vie, elle a mis en place ce diplôme

universitaire depuis deux ans. Après lui avoir exposé

ma démarche elle me propose d’intégrer la prochaine

session de ce diplôme en science de l’éducation, mais

surtout, chose complètement inattendue, elle me donne

l’opportunité d’écrire un article dans sa prochaine

revue, Chemin de formation, portant sur la résilience.

Cependant, je me trouve face a un dilemme car

écrire, ce n’est pas seulement remplir des feuilles

blanches, c’est aussi apposer son nom en bas de la

page. Et l’article qu’elle me propose d’écrire relève

du témoignage, je ne peux donc pas le signer avec

mon patronyme de naissance. Car mon histoire,

comme toutes les histoires d’inceste, est prescrite par

la loi depuis le jour où j’ai eu 28 ans, soit 10 ans après

la majorité24

. C’est-à-dire qu’après ce délai, on ne

24

Ce délai est désormais passé à 20 ans après la majorité

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peut plus ni la juger, ni en parler, et encore moins

écrire un témoignage sous peine de poursuite pour

diffamation. Il me faut donc prendre un pseudonyme.

Pourquoi pas ? Le défi est de taille et le pseudo que je

trouve est plein de sens : Mary ODILE.

Marie-Odile est mon prénom de naissance. Marie

me venant de mon père et Odile de ma mère.

Cependant, interdite de parler du crime que j’ai subi

enfant, très vite vers l’âge de 20 ans, ce prénom m’est

devenu insupportable au point de l’égratigner un peu

et de me faire appeler Marie, puis Mary, le « Y »

venant ainsi marquer mes origines anglaises héritées

du côté maternel.

Mais en m’amputant d’une partie de mon prénom,

je me suis également amputée d’une partie de moi.

Ainsi, ce pseudonyme réunit de nouveau, sur le plan

réel et symbolique, toutes ces parties. Mary prénom

féminin, Odile (de Odilon) prénom masculin, je

réunis le féminin et le masculin, le fond et la forme, la

force et la fragilité… Plus besoin de trait d’union. Je

suis entière ! Plus besoin de ce trait d’union symbole

de mon sacrifice et de la « mal édiction » de mon

père, de ma mère et de la loi. Odile représentait la

partie de mon prénom qui avait signifié le NON, le

déni. Il signifiera désormais mon NOM.

Mon article « La co-naissance inter-dite » parait en

mai 2003 dans chemin de formation – les savoirs de

résistance – Ed. Du petit véhicule25

. Cet article pose

les premiers jalons d’un autre regard sur l’inceste et

me projette dans une nouvelle dimension d’écriture

plus théorique.

25

Il est disponible sur mon site internet

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En janvier 2004, j’entreprends, le diplôme

universitaire « histoire de vie en formation » avec

Martine Lani-Bayle à l’université de Nantes.

À la jonction de plusieurs champs (sociologique,

psychologique, pédagogique, anthropologique…) ce

diplôme, unique en France, s’inscrit en science de

l’éducation. Il ouvre à une pratique et une théorie qui

envisagent la question du récit et de l’histoire de vie

dans sa fonction formatrice et émancipatrice, et non

pas dans sa dimension thérapeutique, tel que

l’utilisent les psychologues ou thérapeutes.

En janvier 2004, j’ai 41 ans. Conseillère en

économie sociale et familiale de formation, je viens

de quitter un poste de directrice d’association

d’insertion par l’économique et je développe une

activité de formatrice indépendante. J’accompagne

des personnes victimes d’inceste dans le cadre de

groupe de parole et je propose des actions de

prévention. Je démarre avec beaucoup

d’enthousiasme cette formation universitaire qui doit,

en plus de l’écriture, me permettre de prendre de la

hauteur par rapport à ma pratique de terrain. Mon

sujet de mémoire est tout trouvé : « l’inceste et la

fonction initiatique du récit autobiographique ».

La spécificité de ce diplôme est qu’il permet au

chercheur d’ancrer son sujet de mémoire dans sa

propre histoire de vie. En quoi est-il concerné par son

sujet de recherche ? Quelle est son implication dans le

thème choisi ?

En ce qui me concerne, aucun problème pour

parler de mon implication. C’est justement la raison

pour laquelle j’ai choisi ce diplôme. Pouvoir dire

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enfin : « Voilà mon histoire, voilà la forme qu’elle

m’a donnée, voilà pourquoi je dis ce que je dis et je

fais ce que je fais »…

Cependant, malgré tout mon engouement,

impossible d’écrire quoi que ce soit, impossible

d’aligner deux mots. Je suis totalement bloquée dans

l’écriture… Du moins dans l’écriture de ce mémoire

universitaire, car, paradoxalement, je continue à

écrire librement et facilement tant qu’il s’agit de le

faire avec mon pseudonyme « Mary ODILE »

Je suis, bien entendu, inscrite à l’université sous

mon nom de jeune fille, soit le nom de mon père. On

ne me donne pas d’autre choix. Que se passe t-il donc

avec ce patronyme de naissance qui m’interdit l’accès

à l’écriture ? Ce nom me bâillonne et m’interdit

l’accès à la parole et à l’écriture. Difficile à

comprendre, certes, mais nous réalisons rarement que

l’agresseur emmène sa victime avec lui en dehors de

la loi. Et pourtant, écrire mon implication dans mon

sujet de recherche sous mon patronyme de naissance

fait de moi une hors-la-loi.!

Malheureusement, je ne peux pas m’inscrire à

l’université sous un pseudonyme ce que je comprends

fort bien. Mais mon patronyme de naissance m’interdit

de m’inscrire et m’écrire en tant que sujet de mon

histoire, sous peine d’être sanctionnée par la loi.

Comment accéder à l’histoire et à la mémoire,

lorsque celles-ci sont prescrites par la loi ? Lorsque la

loi se fait complice de mots muets, au nom de qui et de

quoi l’être peut-il se construire une identité ? Comment

l’être peut-il accéder à son propre récit et aux savoirs

qui lui permettraient de s’ouvrir à l’altérité ?

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Renoncer à mon sujet de recherche est comme

renoncer à ma dimension de sujet, à mon identité.

Alors, ne pouvant ni écrire, ni publier sous mon nom

de jeune fille, j’annonce officiellement en juin 2005,

et non sans émotion, que je renonce à mon diplôme.

J’ai besoin d’un nom pour écrire en auteur et non pas

en victime de la loi.

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Un « Nom » pour être humain

Nous avons besoin d’un nom pour exister. Sans nom,

sans état civil, un enfant serait sans acte de naissance,

sans appartenance, sans lien social, sans identité, sans

papier. Il ne pourrait grandir que hors la loi, dans la

clandestinité et ne pourrait pas s’humaniser. Sans nom,

un individu ne peut pas exister dans notre société. Il

vivrait dans un sentiment de peur et d’insécurité

permanente à défaut de sombrer dans la folie. En lui

donnant un nom, la loi donne à l’enfant un vêtement

social, une enveloppe symbolique qui le définit dans

une identité propre et lui permet d’exister dans le

monde. Le nom est comme un porte-parole, un grand

« oui » à la vie. Et pourtant, il existe des noms/prénoms

porteurs de secrets, de mensonges, de folie et même de

mort qui enferment, cloisonnent et empêchent la vie de

circuler librement. Et le mien, fait partie de ceux-là26

.

… « Je veux et j’exige que l’on m’appelle

mademoiselle ! Je ne suis pas la femme de mon père,

26

Je développe largement cet aspect dans la première partie. Se

référer notamment à : Le nom/non de la loi et le viol du

symbolique.

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je suis sa fille ! Les gens croient être polis ou

respectueux, mais moi je ne supporte plus d’être

dénommée madame.

Mon père s’appelle monsieur X. Et sous prétexte

que j’ai des enfants, les gens, les administrations

m’appellent madame X ! Mais madame X, c’est la

femme de mon père, ce n’est pas moi. Les gens

devraient pourtant bien savoir que ce terme de

madame introduit un nom de femme mariée. Une

jeune fille devient madame lorsqu’elle prend le nom

de son époux ! Je ne suis pas mariée avec mon père.

J’en ai assez, ça suffit.

J’étouffe sous ce nom-là, il me colle à la peau

comme de la poisse27

! »…

27

Non, je ne suis pas à toi – Op Cite

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Ecrire pour exister

Exister, vient du latin ex-sistere qui veut dire :

placer hors de… Autrement dit : sortir de la parole de

l’autre pour entrer dans sa propre parole.

Enfermée dans une opacité sans nom, destituée de

ma place dans la filiation, jetée hors la loi, je décide

d’écrire puis de publier ce qui se cache derrière le

nom de ma plume créatrice, Mary ODILE. J’écris

l’histoire de ce nom pour ensuite en proposer une

analyse théorique. Intentionnellement dépouillée de

sa dimension réflexive, j’élabore cette histoire à la

manière d’un vêtement que je découds et mets à plat.

Je me limite à raconter les événements tels que je les

ai vécus, sans romance, ni analyse, seulement les faits

qui permettent de comprendre pourquoi je m’appelle

Mary (pour mon prénom) et Odile (pour mon nom) et

de comprendre ainsi les différents processus qui

m’amènent à me renommer.

Fonder sa propre demeure

Ecrire c’est entrer dans un château magique de ce

qui se dit et de ce qui se tait (Aragon)

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C’est la colère qui me fait écrire ou plutôt la rage,

les sentiments d’injustice et d’impuissance. Mon nom

est devenu la problématique centrale de mon

existence et en racontant l’histoire de ce nom, je

trouve enfin la clé, le fil rouge pour entrer de nouveau

dans l’écriture.

Mais comment dire, transmettre, socialiser un vécu

violent par lui-même, sans être dans la violence vis-à-

vis de soi-même ? Comment préserver son intimité

quand l’histoire elle-même est une mise à nu

déchirante ? Comment ne pas déclencher l’horreur et le

dégoût ? Comment, alors que le sujet se tisse dans

l’altérité, ne pas impliquer les autres, les êtres qui vous

sont les plus proches et les plus chers au monde ?

Tiraillée entre la rage de dire et celle de prendre

soin de moi, cette deuxième étape d’écriture a tout

d’abord consisté à faire un tri et de sortir des extrêmes

du « tout dire » ou du « rien dire » : Qu’est-ce que je

choisis de transmettre ? Qu’est-ce que je choisis de

garder secret ? Qu’est-ce qui est politiquement et

socialement important de dire pour la compréhension

de l’histoire, et important de transmettre pour le

changement de l’Histoire ? Qu’est-ce qui fait partie

de mon intime, que je garde privé ?

Après une première étape de déconstruction puis

de distanciation j’entre dans une étape de

reconstruction du récit. À partir du premier travail

écrit j’effectue des coupes franches, des

couper/copier/coller et des synthèses. Le corps du

texte ainsi sculpté prend une consistance et une

cohérence tout à fait inattendues. D’une certaine

façon, je repose des frontières entre l’intime et le

collectif, le privé et le public, avec une sensation

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jubilatoire de tisser un voile d’intime autour de moi

(même si toutefois cela peut encore choquer certains).

Ainsi en posant des limites entre le dire et le taire, je

refonde ma propre demeure. Un sentiment étrange

également d’avoir produit une fiction où l’histoire

construite n’est plus ma vie, mais seulement une

partie infime choisie à travers des filtres.

Le résultat obtenu donne l’effet d’un récit très cru,

mais les consignes de l’exercice, que je me suis

proposé de faire en écrivant ce récit, l’ont d’emblée

amputé de sa dimension réflexive, mais aussi de la

rêverie et de l’imaginaire qui ont pourtant été une

dimension fondamentale de mon parcours de

résilience. Ce récit autobiographique n’est donc pas

l’histoire de ma vie, ni celui de mon chemin de

guérison ; il est seulement l’histoire de mon NOM.

Mon livre « L’inceste, de l’autre côté du miroir »

est publié aux éditions Quintessence en septembre

2006, sous le pseudonyme de Mary ODILE.

« (…) Et Mary a osé franchir le pas pour écrire

l’envers du décor trop policé de notre monde dit

civilisé. Elle l’a écrit parce qu’elle l’a connu, sinon

vécu : le tragique est alors de ne pas pouvoir savoir

sans la parole de l’autre, l’auteur comme le légiste.

Quand ils se dérobent en effet, que reste-t-il sinon à

s’engendrer soi-même par le récit et renaître comme

Phénix de ses propres cendres ?

Mary blessée petite est devenue adulte, auteur

d’elle-même comme du texte de sa vie (…) Pour

réaliser ce tissage, Mary s’est créé un nom, faisant

comme pour les enfants trouvés son néo-patronyme

d’un prénom et effaçant un trait d’union d’origine qui,

pour elle, n’en était pas un ou l’était trop. Mais ce nom

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qu’elle s’est choisi concerne tout de même son histoire,

si elle en a chassé le patronyme paternel…

Et Mary a écrit, en trois temps : raconté d’abord,

théorisé puis imaginé ; composant écriture pour le

corps, pour l’esprit et pour l’âme ; mariant réel,

symbolique diabolisé et mythe ; partant du “naître”

charnel vers le “penser”, enfin le “rêver”. Son

triptyque fonctionne alors non pas comme refus voire

comme refuge, mais comme sublimation qui réinvente

les fondements dans l’après-coup, ce que seule une

triangulation assumée permet (…) » Extrait de la

préface de Martine Lani-Bayle.

Cet ouvrage, est aujourd’hui épuisé, mais il

proposait (dans sa deuxième partie) une approche

plus théorique que j’ai reprise et réélaborée dans ce

présent ouvrage…

Écrire entre l’intime et le politique

« À la différence de l’oral, l’écrit est la langue

officielle, celle de l’administration, du droit, de

l’autorité et du pouvoir. Elle confère ainsi à l’histoire

de celui qui rédige son autobiographie une dignité,

une solennité, une valeur sociale – pour ne pas dire

une sacralisation – qu’elle n’avait pas

auparavant »28

.

En socialisant mon récit, je m’accueille et me

reconnais dans la réalité et la vérité de mon histoire et

je me « ré-écris » dans la loi des hommes de ma

culture, qui est celle du langage. À défaut d’avoir été

reconnu par la loi, mon récit « hors la loi » prend

28

Alex Lainé – Faire de sa vie une histoire – Desclée de

Brouwer – 1998.

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alors une valeur symbolique et initiatique : il devient

le récit fondateur de mon identité humaine.

Les nombreux courriers que j’ai reçus par la suite,

m’ont fait comprendre, que ce n’est pas seulement

mon histoire que j’ai écrite, mais l’histoire de milliers

d’hommes et de femmes pour qui mon livre, tout

comme ceux d’Eva Thomas, et toutes celles et ceux

qui ont osé briser la loi du silence de notre culture

dite civilisée, a été un message d’espoir et de soutien.

Ainsi, mon récit participe au changement individuel

et social.

À défaut d’être inscrit dans la loi, les témoignages

de crime d’inceste, sont une autre façon d’inscrire la

réalité de l’inceste dans la culture.

… « La loi est fascinante : elle se penche sur le

passé et convoque la mémoire pour décider si

l’affaire qu’elle traite doit être considérée comme

exemplaire ou bien comme la simple répétition de ce

qui a déjà été interdit dans le passé. Mais la culture

est animée par une dialectique qui la fait évoluer et la

préserve de sombrer dans son idéal mnémonique

inaccessible. On admettait hier le « séparés mais

égaux » : on y voit aujourd’hui l’indice d’une

oppression29

»…

La loi s’écrit en fonction des histoires qui se

racontent. Ecrire son histoire participe ainsi à écrire la

Loi et à faire l’Histoire.

29

Jérôme Bruner – Op. Cite

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Une nouvelle identité

Suite à la publication de mon premier ouvrage en

2006, j’engage fin 2007 une procédure légale de

changement de prénom. Je souhaite, en effet,

officialiser mon prénom Mary

La procédure de changement de prénom se déroule

auprès du juge aux affaires familiales du lieu

d’habitation. Cette procédure demande obligatoirement

un avocat et la personne demanderesse doit prouver

l’utilisation constante du prénom depuis au moins cinq

années. Comme quoi la loi reconnaît l’utilisation

officieuse d’un autre prénom, puisque c’est la

procédure qui permet de l’officialiser !

La loi demande également d’évoquer des raisons

légitimes pour que la demande soit prise en

considération. Ainsi, si la loi prend en compte les

motifs évoqués pour mon changement de prénom,

alors cela serait une forme de reconnaissance sociale

des violences subies. Chose qui n’a jamais été possible

du fait de la prescription. Je constitue ainsi tout un

dossier auprès d’un avocat et mon livre « L’inceste, de

l’autre côté du miroir » est joint à ma requête.

En novembre 2008, le tribunal accepte mon

changement de prénom. Toute la tension accumulée

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depuis des mois, par peur d’un éventuel refus,

retombe. Après avoir vécu cinq années sous le pseudo

de Mary ODILE, Je peux laisser ma vieille peau. J’ai

même changé ma signature !

La loi reconnait la légitimité de ma requête et de

mon histoire et accepte de me renommer

officiellement et légalement Mary. Mariée dans la

même année, je porte désormais le nom d’un autre

que mon père et vis sous le nom de Mary Genty.

… « Quelque chose est mort en moi. “Je” est une

autre. Je m’appelle Mary Genty et c’est mon vrai nom.

Cette nouvelle identité devient pour moi l’empreinte

glorieuse de mon parcours initiatique, la signature d’un

acte de renaissance… Un nom donné par la justice. Un

nom de vie, une “nouvelle peau” qui me libère, m’ancre

et m’enracine dans la loi des hommes. L’exil est

terminé, je peux enfin vivre sans porter le poids de ma

famille sur le dos. Je porte un nom qui me définit dans

mon identité propre, définitivement séparée du désir

tout-puissant de mon père. Je me sens enfin légitime et

légitimée. J’obtiens rapidement ma carte ’identité. Je

peux exister dans le monde, travailler, communiquer…

Brandir mes papiers d’identité avec fierté30

»…

Ainsi, le récit et l’écriture de mon histoire, a-t-il

contribué à faire changer les règles qui régissent mon

état civil et certainement à faire évoluées celles qui

permettent le changement de prénom. Car à force de

procédure comme la mienne, je sais qu’aujourd’hui le

« crime d’inceste » fait jurisprudence pour les

personnes qui souhaitent modifier leur prénom.

30

Non, je ne suis pas à toi – Op. Cite

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Le droit d’exister

En décembre 2010, les éditions Eyrolles me

proposent de publier mon récit dans leur nouvelle

collection « histoire de vie ». J’ai d’abord refusé,

mais après mûre réflexion, je décide de me lancer

dans cette nouvelle aventure. Pourquoi ? Parce

qu’Eyrolles me propose non seulement de publier

mon histoire, mais également de financer sa

médiatisation à travers des magazines papiers, mais

aussi audio et vidéo (radio, télé etc.…). En clair, mon

image sera associée à mon histoire. Ce qui est une

autre étape à franchir. Car en effet, ma nouvelle

identité ne me dispense pas d’une plainte pour

diffamation, car la loi m’interdit (toujours du fait de

la prescription) d’associer mon image avec mon

histoire. C’est-à-dire d’incarner mon histoire et ma

parole.

C’est ainsi pour moi l’occasion d’aller jusqu’au

bout de ma démarche et de prendre le risque d’une

parole pleine et incarnée pour témoigner et dénoncer

le système d’emprise socio-légal qui empêche les

victimes de parler de ce véritable fléau social.

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Cette fois-ci la démarche d’écriture est très

différente. A partir du premier récit déjà publié,

l’objectif est d’écrire un roman biographique en co-

création avec mon éditrice. Non seulement la règle

chronologique n’est plus respectée, mais ce n’est plus

seulement mon regard et ma parole qui sont en jeu,

mais aussi le regard et la parole de l’autre.

Ce travail éditorial me demande, une fois de plus,

d’effectuer du tri dans mon récit, et donc de faire le

deuil d’un certains nombre de faits que je ne raconte

plus par souci de fluidité du récit. La forme devient

aussi importante que le fond et je dois négocier

durement certains passages ou certaines expressions,

que je souhaite garder à tout prix. Cependant, cet

exercice d’échange et d’aller/retour avec mon éditrice

est extrêmement structurant et créateur et me permet,

une fois encore, de prendre de la hauteur et de la

distance avec mon récit.

« Non, je ne suis pas à toi » est publié chez

Eyrolles en avril 2011, sous le nom de Mary Genty.

Près de deux ans après sa publication, je n’ai toujours

pas reçu de plainte pour diffamation. Et pourtant, ce

n’est pas faute d’avoir été médiatisée !

Ce dernier ouvrage m’a permis de traverser et

lâcher ma plus grande peur : une condamnation par la

loi et de me confronter à ma plus grande blessure :

l’interdit d’exister !

Aujourd’hui, j’ai l’audace de m’aimer et d’exister

au risque de la loi. J’ai décidé de me donner une

nouvelle permission : celle de vivre pleinement dans

une parole libre et incarnée, mais surtout celle de

fonder ma vie sur mes valeurs, mes rêves les plus

fous et non plus sur mes peurs !…

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Depuis, j’ai souvent été contactée par des

journalistes pour intervenir sur des plateaux de

télévision. Mais face à mon exigence de témoigner à

visage découvert, rares sont les médias qui prennent

le risque de braver la loi et l’interdit lié à la

prescription qui les mettrait sous le coup d’une plainte

pour diffamation. Ainsi l’emprise « socio légale »

continue à exercer son chantage, à nourrir le silence,

le tabou, les représentations figées, extrêmes et

erronées. A l’heure d’aujourd’hui et mis à part mes

éditeurs qui ont joué le jeu, seul FR3, à osé la

transgression en décembre 2012, et me permettant un

débat en face à face avec la ministre du droit des

femmes dans l’émission régionale « la voix est

libre31

».

31

Emission visible sur mon site

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L’exigence du pardon

– Mais pardonnes !

Voici une expression que j’ai entendue à maintes

reprises dans mon parcours. Mais le pardon, je ne

voulais pas en entendre parler. Il y avait, pour moi,

une sorte d’injonction sous-entendue : « oublie ! » et

aussi « arrêtes de nous encombrer avec ta

souffrance !! » Et puis surtout, quoi pardonner et qui

pardonner, puisque le récit du crime que j’ai subi a

toujours été nié par son auteur. Mais de quoi parle t-

on lorsque l’on parle du pardon ?

Il y a un adage qui dit : « À trop forcer vers un but

on obtient souvent le contraire » ! Ainsi, à vouloir

pardonner à tout prix ne prends t-on pas le risque de

passer à côté » ? Le pardon ne peut pas être un

objectif en soi. Le pardon est un effet attendu, un effet

désiré. Nul ne le choisit, nul ne peut le posséder, c’est

un état qui nous traverse, le résultat de tout le chemin

accompli. Chemin de réparation, de transformation et

de renaissance.

C’est parce l’individu tisse du lien entre lui-même

et son histoire, parce qu’il fait face à la réalité de ses

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blessures, parce qu’il exprime sa colère ou sa haine,

parce qu’il met en mots et en actes, met du sens et de

la cohérence…, qu’il peut ouvrir son cœur et accéder

au pardon. Car le pardon habite le même lieu que

l’Amour. Le pardon transforme le mal et la

souffrance en promesse de vie, pour nous-mêmes et

pour nos enfants. Il libère l’homme et renforce

l’humanité en permettant à celui qui le vit d’accéder à

sa pleine puissance.

… « Finalement, la vie vaut-elle la peine d’être

vécue sans Amour ? L’Amour avec un grand A, celui

qui ne juge pas, celui qui ne possède pas, celui qui ne

condamne pas, qui n’enferme pas. Je sens au plus

profond de moi cet Amour. Je me sens libérée. Je

comprends avec mon cœur, avec mon âme que le

pardon ne se donne pas, il se reçoit. Le pardon est là.

Je ne l’ai pas choisi, pas décidé. Ce cadeau s’offre à

moi, tel l’aboutissement de tout le chemin parcouru :

je suis et je sais qui je suis32

»…

Le pardon peut être le chemin de toute une vie ou

seulement de quelques années. Nul ne le sait à

l’avance. Si l’effet désiré devient une quête, c’est-à-

dire s’il devient plus important que le chemin qui

mène jusqu’à lui, alors l’individu prend le risque de

passer à côté de l’essentiel en restant dans le sacrifice

de lui-même. Ce faisant, il prends également le risque

de confondre « toute-puissance » avec « pleine

puissance ». En bref, nous ne pouvons occulter ni le

chemin, ni le temps pour le parcourir car le temps

œuvre et fait pleinement partie du processus de

transmutation intérieur. Le pardon est un chemin

32

Non, je ne suis pas à toi – Op. Cite

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d’éveil et de conscience qui consiste d’abord et avant

tout à se pardonner soi-même.

« Le pardon qui apaise prend le temps de venir. Il

n’est pas le geste las du vaincu qui se voit contraint

de refouler sa rage ; il n’est pas l’acte conformiste

qui se soumet aux conventions ; il n’est pas

l’absolution aveugle qui craint la vérité. Il est l’acte

créateur de paix de celui qui accepte sa charge

d’humanité et la transforme33

»

Finalement, mon chemin d’écriture, chemin

d’accueil et de re(co)naissance de mon histoire,

chemin de compréhension et de mise en sens, chemin

de deuil, de désillusion et de renoncement n’a été, à

mon insu, qu’un doux compagnon qui m’a mené de la

rage au pardon.

Aujourd’hui, mon histoire a pris définitivement sa

place dans son passé et mon présent est devenu un

« présent » de chaque instant. Ainsi, de l’écriture

thérapeutique dans un premier temps, au récit

autobiographique dans un deuxième temps, puis au

roman biographique dans un troisième temps,

l’écriture m’a permis de passer de la guérison intime

à la guérison sociale et de produire du savoir sur ma

vie, la culture et le monde dans lesquels je vis.

Mes livres sont devenus la fierté de mes enfants et

un sujet de discussion fluide et créateur. Là ou se

trouvait secret, chaos et déni, se trouve désormais

vérité, sens et conscience. La parole, la vie et l’amour

peuvent désormais circuler librement dans les liens

générationnels.

33

Maryse Vaillant – Il n’est jamais trop tard pour pardonner à

ses parents – Éd. La Martinière – Mai 2001

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Au bout du conte

« L’expérience n’est pas ce qui arrive à quelqu’un,

mais ce que ce quelqu’un fait avec ce lui arrive ! »

Aldous Huxley

Autrement dit, transmuter le plomb en or, consiste

avant tout à tirer les leçons de vie, la morale de

l’histoire. C’est-à-dire à percevoir les enseignements,

les aspects positifs, la valeur ajoutée de nos épreuves.

Ainsi, je me rends compte aujourd’hui, combien les

difficultés de ma vie m’ont permis de développer des

ressources, des dons, des talents totalement inattendus

et insoupçonnés qui m’ont peu à peu guidé sur le

chemin de ma légende personnelle. Ainsi j’ai

compris, que de la même façon que dieu a besoin du

diable ou que la lumière à besoin de l’ombre pour

savoir qu’ils existent, nos épreuves sont là pour nous

permettre de découvrir nos trésors intérieurs et nous

révéler qui nous sommes véritablement.

J’ai rejoint la grande aventure de la vie. Moi qui

étais « interdite de parler », je me suis mise à chanter

et après avoir été l’artiste de ma vie, je suis devenue

artiste dans la vie.

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Une loi pour être humain :

Notice d’utilisation

Dénomination : Loi de l’interdit de l’inceste

Indication : Organisation sociale et construction

de l’identité. Comble un besoin vital de sécurité, de

sens et d’appartenance. Permet de vivre ensemble

dans une communauté.

Mode d’action : Structure notre façon d’aimer et

notre style relationnel, apprend à gérer les pulsions et

les désirs, permet d’intégrer des limites et d’accéder à

l’autonomie, développe l’estime et la confiance en

soi, notre capacité de discernement et l’aptitude au

bonheur…

Composition : 1/3 père, 1/3 mère, 1/3 loi et

culture

Posologie : Les limites doivent s’ajuster tout au

long de l’éducation, selon l’âge de l’enfant.

Mode d’administration : Avec douceur,

souplesse et fermeté par voie d’actions cohérentes

avec les paroles.

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Précaution d’emploi : L’interdit de l’inceste est

un produit actif. Bien vérifier l’équilibre de la

composition tout au long du traitement. Notamment

en cas de confusion persistante entre désirs et besoins.

Effet non désiré : Si la composition ou les

posologies ne sont pas respectées peuvent apparaître

des effets plus ou moins gênants :

• Trouble de l’identité

• Trouble du lien et de la relation

• Trouble du langage et de la parole

A moyen terme peuvent apparaître des symptômes

sociaux communément appelés « crise du lien social »

du type : peur, haine, sentiment d’impuissance,

isolement, repli sur soi, dépression, drogue, alcool,

phobie sociale, délinquance, errance, prostitution,

dépendance affective, répétition de la maltraitance,

violence conjugale…

Contre indication : Aucune !

A l’usage de tous les êtres humains.

L’administration doit se faire dès le plus jeune âge,

voir pendant la grossesse. A l’âge adulte, combat le

sentiment d’impuissance et de toute puissante…

Durée du traitement : A durée indéterminée. Le

traitement demande une intention et une attention

constante.

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Autres publications de Mary Genty :

« Non, je ne suis pas à toi » – Mary Genty –

Edition Eyrolles – Collection histoire de vie. Avril

2011 – 160 pages. Genre : Roman

autobiographique/témoignage

Comme support de débat et de réflexion sur les

sujets développés dans ce livre, Je propose

aujourd’hui des outils artistiques, ludiques et

interactifs pour aborder la profondeur par la légèreté,

le « JE » par le « Jeu », déterminée à apporter ma part

active pour créer un monde avec plus de joie, de

conscience et de responsabilité.

Pour me contacter

Mary Genty

06 74 49 41 49

[email protected]

www.marygenty.com

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Table des matières

Introduction ...................................................................... 3

Des lois pour être humain ! .............................................. 7

A quoi servent les interdits fondamentaux ? ............................... 7

Une règle de la parenté ............................................................... 9

Une loi contextuelle ................................................................. 11

Le non/nom de la loi ................................................................. 12

De langage et de chair .............................................................. 15

Les frontières de l’intime ............................................... 19

La fusion originelle .................................................................. 19

Le rôle des fonctions parentales ............................................... 21

Le rôle de nos sensations et nos émotions : .............................. 24

L’élaboration de l’intimité ........................................................ 29

L’inceste affectif ou emprise affective ..................................... 35

L’inceste psychologique ou emprise psychologique ................ 37

Les passages à l’acte ................................................................ 40

Les différents types de traumas ................................................ 44

La promesse des mères ............................................................. 46

Le viol du symbolique .................................................... 49

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Inceste et filiation ..................................................................... 49

Inceste et langage ..................................................................... 50

Inceste et nomination ............................................................... 52

Le clivage ou le monde à l’envers ............................................ 53

Inceste et temporalité ............................................................... 54

Un meurtre psychique .............................................................. 55

La liminalité ou la naissance impossible. ................................. 55

Une culture sans limite .................................................. 59

Une loi incestueuse .................................................................. 59

Une culture qui fonctionne à l’envers ! .................................... 64

Etre parent aujourd’hui............................................................. 69

Prévention ou éducation ? ........................................................ 73

Comment devenir humain malgré les coups du sort ? 79

Le récit au fondement de l’identité .............................. 83

L’écriture comme processus d’ancrage ....................... 85

Le récit, l’écriture et la loi ............................................. 91

Un « Nom » pour être humain ...................................... 97

Ecrire pour exister ......................................................... 99

Fonder sa propre demeure ........................................................ 99

Écrire entre l’intime et le politique ......................................... 102

Une nouvelle identité ................................................... 105

Le droit d’exister ......................................................... 107

L’exigence du pardon .................................................. 111

Au bout du conte .......................................................... 115

Une loi pour être humain : Notice d’utilisation ........ 117

Table des matières ....................................................... 121

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