Les organisations paysannes et rurales · 2020. 9. 23. · 7 Introduction PREMIÈRE PARTIE 9...

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Les organisations paysannes et rurales Des acteurs du développement en Afrique sub-saharienne Réseau GAO Chaire de Sociologie Rurale Institut National Agronomique 16 rue Claude Bernard 75231 Paris Cedex 05 FRANCE Tel (33 1) 44 08 16 36 Fax (33 1) 44 08 18 55 Groupe de travail : État et organisations rurales Rédaction coordonnée par Daouda DIAGNE et Denis PESCHE Mars 1995

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  • Les organisationspaysanneset ruralesDes acteurs du développement

    en Afrique sub-saharienne

    Réseau GAOChaire de Sociologie Rurale Institut NationalAgronomique16 rue Claude Bernard75231 Paris Cedex 05FRANCETel (33 1) 44 08 16 36Fax (33 1) 44 08 18 55

    Groupe de travail : État et organisations rurales

    Rédaction coordonnée par Daouda DIAGNEet Denis PESCHE

    Mars 1995

  • 7 Introduction

    PREMIÈRE PARTIE

    9 Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui?

    10 1. Rappel historique de l’évolution des OPR11. Les caractéristiques générales des OPR12. Le désengagement de l’État et les OPR

    11 2. Les organisations paysannes au niveau villageois21. Saisir la diversité des groupements22. Des mouvances différentes

    17 3. Les organisations fédératives21 4. Quelques questionnements

    41. Le processus du « transfert » d’activités aux OPR42. La question juridique : une reconnaissance ou une dépendance pour les OP?43. Forces et faiblesses des groupements44. Le rôle des responsables paysans

    DEUXIÈME PARTIE

    29 Que pourraient être demain les OPR?

    30 1. Les OPR vues par leurs promoteurs32 2. Les OPR vues par leurs partenaires

    21. Le point de vue des bailleurs de fonds22. Les organismes privés d’appui aux OPR23. L’administration24. Les sociétés d’intervention

    40 3. Quelques questionnements31. Quel rôle pour l’État?32. Un rôle économique pour les organisations paysannes?33. Quelles fonctions pour les organisations rurales?34. La complexification des appuis aux OPR : vers de nouvelles relationsentre partenaires

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    s o m m a i r e

  • TROISIÈME PARTIE

    49 Comment accompagner les OPR?

    50 1. Quels statuts et quelle législation pour les groupements?51 2. Le fonctionnement des OPR

    21. Organisations paysannes, appui/formation et information22. L’alphabétisation et la comptabilité/gestion dans les groupements

    61 3. Les organisations paysannes et le financement31. La participation des OPR au financement du monde rural32. Le financement des activités et du fonctionnement des OPR

    68 4. Les organisations paysannes face à la restructuration des filières41. Filières : de quoi parle-t-on?42. Des Interprofessions pour quoi faire?

    71 5. Le renforcement du pouvoir des Fédérations

    75 Conclusion

    79 Bibliographie

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    i n d e xt h é m a t i q u e

    Alphabétisation : 57

    Appui-conseil : 55, 56, 72,73

    Bailleurs de fonds : 32-34, 28, 47, 48, 68-70

    Bureaux d’études : 35, 47, 48

    Classements typologies et mouvances : 12-16, 17-19

    Comptabilité-gestion : 58-61

    Coopératives agricoles : 10

    Echanges paysans : 53, 54, 20

    Economique et/ou social : 44-46, 42, 43

    Epargne-crédit et financement : 61-67, 47

    Etat : désengagement et nouveaux rôles : 21, 22, 40, 41, 10, 11, 37, 38, 44, 68-70

    Fédérations paysannes : 17-20, 71-74, 30, 31

    Filières : 21-22, 68-70, 38-40

    Fonctionnement des OPR : 24-26

    Formation : 51-53, 56

    ONG : 34, 35, 47, 48

    Professionnalisation : 32, 33, 36, 37, 16, 30, 39

    Responsables paysans : 26-28

    Statuts et législation : 23, 50

    Vulgarisation agricole : 41, 42

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    a v a n t p r o p o s

    C e document rassemble des informations, des réflexions et des questionne-ments issus du groupe de travail État et organisations rurales du Réseau GAOmais aussi de personnes qui, d’une manière ou d’une autre, accompagnent desorganisations paysannes et rurales dans les pays du sud, en particulier en Afriquesub-saharienne.

    I l est la version définitive d’un document élaboré et mis en forme durant l’année1994. Il a été rédigé par Daouda Diagne et Denis Pesche avec la relectureattentive des membres du bureau du Réseau GAO : Médard Lebot, président ;Jean-Pierre Prod’homme, INA-PG ; Jean-Claude Devèze, CFD ; Marie-Pierre Brunet,AFDI ; Guillaume Randriamampita, Philippe Rémy, Ministère de la Coopération ;Etienne Beaudoux, IRAM. Le groupe de travail État et organisations rurales s’estréuni plusieurs fois depuis 1992. De nombreuses personnes ont ainsi apportéleurs témoignages et leurs commentaires aux deux versions provisoires : qu’ellesen soient ici remerciées.

    C e document est conçu comme un support pour des débats et propose uncertain nombre de pistes de réflexion. Le lecteur est donc fortement conviéà réagir, critiquer, faire des propositions en vue d’enrichir les questions abordéespar des exemples concrets. Le Réseau GAO peut alors servir de support à la diffu-sion de ces informations et à l’organisation de débats sur l’appui aux organisationspaysannes.

  • D ans tous les pays, qu’elles soient informelles, reconnues, éphémères,souples, de grande ou petite taille, les organisations paysannes sont à la foisle lieu d’expression des intérêts de paysans et un moyen d’atteindre les objectifsqu’ils se fixent. Si les organisations paysannes et rurales intéressent un nombrecroissant de personnes, c’est qu’elles sont amenées à jouer un rôle de plus en plusimportant dans le développement rural des pays du Sud.

    Au-delà de leurs multiples finalités, évoquées tout au long de ce document, lesOPR devraient s’orienter vers la construction d’un pouvoir paysan, certes multi-forme, capable à la fois de peser sur la définition et la mise en œuvre des poli-tiques concernant le monde rural, et de préciser la place des agriculteurs dans dessociétés en construction.

    La multiplication et le développement des OPR doivent être replacés dans uncontexte de changements profonds qui affectent les pays africains depuis unedizaine d’années. En déréglementant les prix et en imposant un désengagementdes États de la gestion du secteur agricole, les politiques d’ajustement proposéespar certains bailleurs de fonds ont contribué à donner, du moins dans le discours,une place importante aux organisations paysannes.

    La valorisation de ces nouvelles structures et plus largement des opérateurs éco-nomiques privés (de la « société civile ») a relayé, amplifié et rendu dominant undiscours et des pratiques portées jusqu’alors par des acteurs non gouvernemen-taux (ONG, Églises et « leaders locaux ») depuis plusieurs années.

    C es schémas et ces déclarations d’intentions commencent à rencontrer lesaspirations de populations longtemps anesthésiées par des États omnipo-tents et souvent corrompus. En général, on observe une relation étroite entre ledéveloppement des organisations paysannes et les espaces politiques et légaux

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    i n t r o d u c t i o n

  • que laisse l’État aux acteurs autonomes. Le désengagement de l’État est rarementvolontaire et de fortes résistances existent encore à l’émergence d’organisationspaysannes autonomes et capables de faire entendre leur voix et de peser sur lesdécisions.

    Le discours sur les organisations paysannes se réduit trop souvent à une visionmodernisante de l’agriculture, où une profession organisée va prendre en main lesrênes de son propre développement. Professionnalisation de l’agriculture, struc-turation du monde rural sont autant d’expressions, qui ne doivent pas faireoublier l’existence de réalités rurales complexes et de multiples logiques des pro-ducteurs agricoles. On ne peut nier la grande diversité des situations (systèmes deproduction, environnement économique, social), dans lesquelles se trouvent lespaysans et qui impose le rejet de modèles univoques d’agriculture et d’organisa-tion des producteurs.

    A cette complexité s’ajoutent les facteurs « culturels » ou plus généralementsociaux qui, d’une manière ou d’une autre, confèrent aux acteurs des rationalitésoù les critères économiques sont loin d’être les seuls guides de l’action. Sans tom-ber dans le piège d’une vision réductrice où la tradition résiste à la modernité, ilfaut prendre en compte les différents registres qu’utilisent les acteurs et les diffé-rentes ressources qu’ils mobilisent pour arriver à leurs fins. Si les agriculteurs« ont de bonnes raisons de faire ce qu’ils font », ces raisons sont multiples, pastoujours explicites et sûrement pas exclusivement dictées par une rationalitétechnico-économique.

    D es mouvements paysans ont pu naître et se développer quand des hommesont su se situer dans la société, en comprendre les enjeux et construireprogressivement des organisations capables de défendre leurs objectifs. Ces orga-nisations se sont consolidées par la formation des gens, mais aussi dans l’actioncollective qui forge les responsables paysans.

    Il convient cependant d’être prudent et lucide sur cette « importance » que l’onconfère aux organisations paysannes. Chacun, en fonction de la place qu’il occupe,de sa fonction et de ses moyens, a un intérêt particulier à s’intéresser aux orga-nisations paysannes. Chacun, depuis le paysan jusqu’à l’homme politique en pas-sant par le chercheur, le technicien, le représentant d’un organisme decoopération, possède une vision de ce que sont les organisations paysannes et dece qu’elles devraient être. Si tous proclament leur volonté d’accompagner lesorganisations paysannes, chacun ne souhaite pas forcément le faire dans le mêmebut et de la même façon.

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  • C’est un peu l’objet de ce document que de contribuer à faire s’exprimer cesvisions différentes, à les confronter pour, au bout du compte, donner auxprincipaux acteurs, les paysans et ceux qui les accompagnent, des moyens pourmieux exprimer leur vision des choses.Le parti pris de ce document est de favoriser l’émergence de débats et deconfrontations entre différents groupes de producteurs agricoles, de ruraux et deleurs partenaires du développement. En dehors des cadres strictement institu-tionnels et des lieux de pouvoirs, chercher les points de rencontre d’opinions dif-férentes, c’est favoriser l’émergence de débats, c’est faire s’exprimer les gens,tenter de mettre à jour leurs idées et leurs objectifs.

    S’il est devenu banal de dire que l’Afrique sub-saharienne connaît l’éclosion et ledéveloppement de nombreuses formes d’organisations paysannes et rurales, ilconvient de replacer ce foisonnement dans sa dimension spatiale et historique.Tout ne se passe pas de la même manière partout : certains pays du Sahel sontmaintenant célèbres pour la richesse de leur mouvement associatif en milieu rural(Sénégal, Burkina Faso,...), d’autres pays, un peu oubliés des feux de l’actualité,voient pourtant se développer, à l’écart des interventions classiques, des mouve-ments paysans originaux (Zaïre, Tchad, Niger,...). Notre objet n’est pas de rendrecompte de toutes les organisations paysannes et rurales (nous en serions bienincapables), mais de tenter, à partir de quelques expériences concrètes, de tracerdes axes de réflexion utiles pour l’action.

    La prise en compte de l’histoire est aussi un élément-clé dans la compréhensiondes sociétés rurales. Le foisonnement d’organisations paysannes, observé actuel-lement dans certains endroits est le produit d’une histoire complexe et de la ren-contre de multiples facteurs et aspirations. Certains ont parfois tendance à fairedémarrer l’histoire des organisations paysannes à celle des interventions exté-rieures pour le développement. Au-delà du rôle déterminant qu’ont pu avoir desinitiatives privées (ONG) ou publiques (administrations, sociétés d’interven-tions,...), la nature, le fonctionnement et les aspirations des multiples groupementset organisations paysannes ne peuvent être appréhendés sans une prise encompte de l’histoire des sociétés agraires, leur mode de fonctionnement et lesétapes de leurs transformations. Ce n’est qu’à ce prix que les analyses actuellessur les organisations paysannes prennent tout leur sens et s’enracinent dans lesgrands courants qui traversent et transforment les sociétés rurales africaines.

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  • « Il y a assez d’études, assez d’enquêtes et derecherches sur les organisations paysannes. Il fautagir, les appuyer et travailler à les renforcer »,pourraient dire nombre de personnes enga-gées dans le développement et soucieuses dela promotion des organisations paysannes.

    Sans refaire une étude de plus, ce qui n’est pasl’objectif de ce document, il est utile de mettreà plat, de recenser, de confronter et de com-parer différentes tentatives qui ont été faitespour décrire et comprendre la diversitédes organisations paysannes.

    Les études sur les groupements, les organisa-tions paysannes, sont la plupart du temps le faitde personnes extérieures au monde paysan :chercheurs ou praticiens du développement.Les principaux intéressés, membres et respon-sables d’organisations paysannes, s’exprimentmoins sur ce sujet. Pourtant, les outils deconnaissance de la réalité peuvent devenir desatouts utiles pour ceux qui tentent de renfor-cer la capacité des producteurs à défendreleurs intérêts et à faire entendre leur voix.

    Si les paysans ont rarement été associés à cesétudes (si ce n’est comme objet de recherche),certains de leurs représentants perçoiventtout l’intérêt qu’ils peuvent avoir à connaître età maîtriser les outils qu’utilisent ceux qui lesétudient et qui parfois ont parlé et parlentencore en leur nom. Bien sûr, des chercheurs« restituent » leurs travaux, mais cela restesouvent un moment éphémère, bref, où lespaysans écoutent. Les organismes d’appui, deformation, qui accompagnent les organisationspaysannes tentent parfois d’utiliser les résultatsmis en évidence par les chercheurs. Dans une

    certaine mesure, des lieux d’échanges, deconfrontation d’idées, existent entre lespaysans et certains acteurs du développement,mais ils sont fragmentaires, éphémères ettrop liés par des individus. Ils restentencore trop souvent l’apanage de quelques-unset débouchent rarement sur un véritable dia-logue avec les décideurs (hommes politiques,dirigeants d’entreprises, bailleurs de fonds...).

    Pour plus de clarté, nous séparerons cette par-tie en trois. Après un bref rappel du contextedans lequel se sont créées et ont évolué lesorganisations paysannes, nous regarderons leurdiversité au niveau local en essayant, grâceaux nombreuses contributions, d’y voir plusclair. Puis, nous nous intéresserons aux orga-nisations fédératives, celles qui dépassent lecadre local. Cette division est bien sûr artifi-cielle et arbitraire. Nous tenterons de com-prendre les articulations qui existent entre cesdeux niveaux pour identifier ce que pourraientêtre les ressorts d’un mouvement paysan.

    Le choix a priori du critère spatial pour délimi-ter les organisations paysannes peut se justifierpar le fait que, dans leur grande majorité, lesorganisations paysannes africaines ont une acti-vité qui reste locale. Si certaines expériencesfédératives originales existent depuis déjà denombreuses années, les organisations dépas-sant le cadre local pour agir au niveau régionalou national, voire international, sont encorepeu nombreuses.

    Cette partie se terminera par un certainnombre de questionnements destinés à poserles termes du débat sur les groupements etorganisations paysannes.

    RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui? 9

    Quelles organisations paysanneset rurales aujourd’hui? 1111

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui?10

    L’organisation des paysans n’est pas un phé-nomène récent en Afrique. Sous sa forme tra-ditionnelle (les groupes d’entraide pour lestravaux agricoles, les tontines...), elle resteencore en vigueur dans la plupart des socié-tés rurales. Quant à l’organisation des pay-sans sous une forme moderne empreinte dejuridisme (les coopératives), elle a été intro-duite pendant la période coloniale. Depuis lesindépendances, d’autres types d’organisa-tions sont apparus avec des appellationsdiverses (les groupements, les associationsvillageoises...). En même temps que lecontexte politique, économique et social desÉtats africains, les multiples formes d’organi-sation du monde rural ont aussi évolué.

    11. Les caractéristiquesgénérales des OPR

    En Afrique sub-saharienne, pour qui chercheà comprendre l’évolution de l’organisationdu monde rural, la référence coopérativeapparaît comme une donnée constante?

    LES COOPÉRATIVES AGRICOLES

    Les coopératives structurées ont été introduitespour la première fois en Afrique pendantl’époque coloniale, dans le but le plus souventde fournir à leurs membres des services de dis-tribution des facteurs de production et de com-mercialisation. Après l’indépendance, lesnouveaux gouvernements ont eu tendance àconsidérer les coopératives comme des instru-ments de développement rural, qui pou-vaient faciliter l’exécution de leurs politiques.L’adhésion était obligatoire et les fonctionnairesétaient fréquemment affectés à des postes degestion. Du fait de l’importante interventiondes gouvernements, les membres ont fini parconsidérer ces organisations comme des insti-tutions publiques plutôt que comme leurspropres coopératives.Extraits de BRENNEMAN L. et al,Document technique n°199, 1994.

    Deux décennies après les indépendances, leconstat était le même pour l’ensemble despays :

    LE MOUVEMENT COOPÉRATIF : DE GRANDS ESPOIRS SUIVIS DE GRANDES DÉCEPTIONS

    • Des modèles importés par les États et impo-sés d’en haut par des appareils étatiques et parle biais de législations, servilement calquées surcelles des anciens pays colonisateurs et étran-gères aux cultures locales (même leur appella-tion est transférée telle quelle sans qu’aucuneffort n’ait été entrepris pour le traduire dansles différentes cultures des pays concernés).

    •Une tendance constante à s’orienter -au nomde la rentabilité et des économies d’échelle- versdes entreprises économiques, d’une taille telleque leur contrôle devient tout à fait impossiblepar les coopérateurs.

    •Des systèmes de comptabilité doublementétrangers par la langue (le français) et le lan-gage (ésotérique), excluant toute association ouparticipation de ces derniers à la gestion deleurs coopératives.

    • Un environnement économique souvent trèsdéfavorable au développement des coopérativescomme entreprises.Éléments tirés de BELLONCLE G., 1993.

    Depuis les indépendances, les États africainsont développé des politiques agricoles dontun des objectifs implicites était de préleverdes surplus pour financer un appareil d’Étatnaissant. De ce fait, ils ont déployé leursefforts dans les zones (et avec les produc-tions), où ils pouvaient espérer tirer de l’agri-culture des revenus substantiels à partir demécanismes plus ou moins complexes baséssur des systèmes de prélèvements1. Concrète-ment, cela signifie que l’État s’est investi demanière très discontinue dans le monderural : des zones entières ont été complète-ment laissées à l’abandon. On a privilégié uneapproche par filière autour de quelques pro-

    1111Rappel historique de l’évolution des OPR

    1. Les paysans et le pouvoir en Afrique noire, Karthala, Politiqueafricaine n° 14, juin 1984.

  • duits commercialisés sur le marché mondialou déterminants pour l’alimentation desvilles : coton, café, cacao, arachide, riz...

    Dès les premières années d’indépendance (etmême parfois avant, surtout sous l’impulsiondes Églises), mais de manière plus impor-tante depuis les années 70, des organismesprivés ont travaillé aux côtés des popula-tions dans des zones « à l’écart » et sur desthèmes délaissés par les pouvoirs publics :maraîchage, crédit rural... Ce travail s’estaccompagné en général de la création d’orga-nisations à l’échelle villageoise chargées degérer les activités mises en place. Un grandnombre d’organisations paysannes auto-nomes se sont ainsi créées.

    12. Le désengagementde l’État et les OPR

    Depuis les politiques d’ajustement (milieudes années 80), les administrations et lessociétés para-publiques en charge du déve-loppement rural ont vu leurs prérogativesfortement réduites. Ce processus n’est pasachevé et s’accompagne de résistances fortesde la part de ceux qui tiraient profit du sys-tème en place. Depuis cette période, on parlebeaucoup du transfert de fonctions aux pay-sans organisés, sans forcément que desmesures d’accompagnement conséquentessoient mises en place.

    C’est dans ce contexte qu’évoluent actuelle-ment les organisations paysannes aussi bienau niveau des villages qu’au niveau intervil-lageois, voire national.

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    Un désengagement ambiguLes États et les intervenantsextérieurs affirment de nouvellesoptions et certains déclarent renon-cer aux modèles d’organisations pré-établis imposés de façon plus oumoins directive aux paysans.Dans certains cas, on assiste à untransfert aux paysans des responsabili-tés, des fonctions et des charges(notamment financières) que l’État nepeut plus assumer. Ce transfert estsouvent décidé de façon unilatéralepar l’État et ses bailleurs de fonds ; ils’effectue alors selon un rythme etdes modalités définis sans concerta-tion avec les paysans ; il concerne desfonctions plus ou moins rentables etétablit des limites strictes à la « res-ponsabilisation paysanne ».

    Extraits de MERCOIRET M.R. (coord.), Ministère de laCoopération et du Développement, CIRAD, 1994.

    2222Les organisations paysannes au niveau villageois

    Au niveau du village, les formes d’organisa-tions paysannes prennent plusieurs noms :groupements, associations villageoises... Pourne pas alourdir le texte, nous utiliserons cou-ramment le terme groupement, en le précisantquand ce sera nécessaire.

    Tout le monde s’accorde à dire que dansbeaucoup d’endroits, il y a foisonnement degroupements. Pour mieux cerner cette diver-sité, bon nombre d’intervenants ont procédéà leur classement. Cependant, une adminis-tration, une ONG, un chercheur, etc, inven-

    tent des classements adaptés aux questionsqu’ils se posent. De ce fait, un classementn’est pas objectif en soi et il exprime lavision et les attentes de celui qui le bâtit parrapport à ses objectifs qu’il convient d’explici-ter, et autour desquels doivent être retenusdes indicateurs facilement observables.

    En tant qu’outil de connaissance, une typolo-gie doit s’appuyer sur des critères élaborés àpartir d’hypothèses établies pour arriver àexpliquer une situation observée.

  • C’est aux principaux intéressés, les paysans,qu’il revient de peser sur ceux qui « se pen-chent » sur eux pour transformer ces outils deconnaissance en atouts, en ressources mobili-sables pour l’action. C’est dans la mesure oùdes responsables paysans seront progressive-ment associés2 à toutes les étapes des étudesles concernant, que pourront s’établir lesconditions d’un dialogue et d’une confronta-tion équitables. La réflexion sur la stratégiedes groupements, leurs projets et leur deve-nir sont des moyens de rendre ces outilsvivants.

    21. Saisir la diversitédes groupements

    Quels sont aujourd’hui les points communs,les idées principales de ces tentatives de

    décrire et comprendre la diversité des grou-pements? Nous pouvons d’ores et déjà direqu’elles peuvent s’appuyer sur des indica-teurs donnés, tels que l’origine du groupe-ment, sa composition, sa fonction ou sonmode de fonctionnement. Mais encore, il estpossible de combiner plusieurs critères pourarriver à analyser la viabilité des groupe-ments ou les finalités qu’ils se donnent.

    • L’origine des groupements peut permettrede les différencier selon qu’ils sont suscités del’extérieur ou issus d’une initiative locale. Cescatégories peuvent être affinées, en précisantla nature du « créateur » du groupement(État, organisme para-public, ONG, Église...)ou les liens qu’ils entretiennent avec l’exté-rieur pour les groupements plus autonomes.

    RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui?12

    Classer selon l’origineOn peut utiliser l’origine des groupements pour les regrouper en « grandesfamilles ». C’est souvent le cas dans les études et rapports sur les groupements.• Groupements de la mouvance étatique (anciennes coopératives, comités villa-geois).• Groupements de type para-étatique (créés par les sociétés de développement :SEMRY, SODECOTON,...)• Groupements d’initiative privée (action des ONG, des Églises, des « élites » et ini-tiatives locales).

    Extraits de PROD’HOMME J.P., 1992.

    On remarquera que, dans la réalité, on a sou-vent une combinaison entre des facteursinternes et des stimulants externes, le toutest de voir quels sont les tendances princi-pales et les facteurs déterminants de l’émer-gence des groupements.

    • L’ancrage par rapport aux groupes sociauxet à l’organisation de la société locale estsans doute aussi un facteur déterminant pourcomprendre l’origine et la nature d’un grou-pement. Les exemples sont nombreux pourmontrer l’influence des pratiques sociales etdu fonctionnement des sociétés locales sur lesformes d’organisations paysannes (migrantsde la vallée du fleuve Sénégal, influence de lasociété mossi sur le fonctionnement des grou-pements Naam au Burkina Faso).

    A ce titre, il est important de pouvoir appré-cier la composition de l’organisation : queltype de producteurs la composent? Repré-sentent-ils un groupe homogène? Y trouve-t-on des représentants de l’ensemble de lapopulation locale ou seulement un groupebien particulier? Autant de questions qui doi-vent permettre de faire des hypothèses (tou-jours à vérifier) sur la cohésion sociale dugroupe par rapport à ses objectifs.

    On peut bien sûr distinguer les groupementsselon ceux qui les composent : groupementsde jeunes, groupements de femmes...

    Des outilsde connaissance :

    un classementpour décrire,

    une typologiepour expliquer

    2. Sans pour autant mélanger les genres en faisant faussementjouer à des responsables paysans un rôle » d’expert ».

  • LES GROUPEMENTS FÉMININS

    Parmi les descriptions des OP africaines, celledes « groupements féminins » mérite une placeparticulière, car il s’agit d’un phénomène origi-nal et porteur d’une dynamique sociale nova-trice que certains pensent déterminante pourl’avenir.

    La création des groupements féminins est laréponse des femmes à une évolution cruciale deleur environnement socio-économique. Au-delàde leurs multiples activités, la finalité réelle dela plupart de ces groupements féminins sembleêtre d’obtenir leur reconnaissance sociale, entant que femmes dans une société villageoisedominée par les hommes.

    Le groupement permet en effet aux femmes desortir de leur isolement familial imposé par lacoutume. Parmi les avantages de l’apparte-nance à un groupement, elles citent : sortir dechez soi, travailler ensemble, se rencontrer, seconnaître, se sentir unies, prendre confiance ensoi,... Le groupement est aussi le cadre où ellespeuvent mettre en œuvre des stratégies poursauvegarder leur autonomie, pour réaliser leursprojets, pour faire valoir leur point de vue surles affaires du village et pour bénéficier desactions de développement dont elles sont géné-ralement exclues : accès à la terre, aux crédits,aux intrants, aux équipements, à l’alphabétisa-tion, à la formation, à l’appui technique.

    Les hommes se montrent souvent réticents faceà ce mouvement des femmes : ils cherchent à lerécupérer ou à le freiner ou font obstructionaux demandes des femmes ou encore dissua-dent leurs épouses de participer au groupe-ment. Les organismes extérieurs, surtout s’ilssont représentés par des hommes, ont souventla même attitude : soit ils ignorent l’existencedes groupements de femmes (des enquêteurschargés de faire l’inventaire des associationsdans quelques villages de la vallée du fleuveSénégal, ont « oublié » de mentionner les asso-ciations féminines), soit ils ne les associent pasaux programmes de développement qu’ils sou-tiennent. Extraits d’une note établie par ABELA M.T.(Paysannes Africaines), février 1994.

    • A l’observation de l’origine des groupe-ments, on ajoute souvent des critères descrip-tifs comme la taille du groupement (nombrede membres) et sa situation géographiquepar exemple. A ce propos, il est intéressant designaler que pour s’organiser, le village n’estpas nécessairement le niveau le plus perti-nent. Les producteurs préfèrent la plupart dutemps s’associer sur la base d’une apparte-nance à une entité sociale (quartier, famille,classe d’âge, clan,...). Cette association nedébouche pas toujours sur la constitutiond’un groupement formellement et juridique-ment reconnu : si tel est le cas, il y a une inter-action qui peut être neutre ou au contrairenégative, entre les règles sociales préexis-tantes au groupement et les règles « impor-tées » par la structure moderne d’organisationqu’a choisi d’adopter le groupe. On peut voirainsi coexister dans un village plusieursgroupements de nature différente.

    A travers leurs objectifs prédominants, lesorganisations peuvent être regroupées enplusieurs catégories.

    Quel objectif principal pour le groupement?

    On peut voir trois finalités principales auxgroupements :•Gestion de biens communautaires, oùdes objectifs sont fixés pour l’ensemble du vil-lage ou un groupe social (les femmes parexemple) : ces groupements répondent à desobjectifs d’intérêt général et combinent desobjectifs économiques et sociaux.•Organisation à participation plusvolontaire, sous forme d’entreprise collectiveà vocation prioritairement économique.•Groupements à vocation de représenta-tion ou négociation avec l’extérieur (opé-rateurs privés, État.,..).Éléments issus de BEAUDOUX E. et GANDIN J.P., 1993.

    •Les classements et typologies de groupe-ment résultent le plus souvent de la combi-naison de plusieurs critères.

    RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui? 13

  • Combiner des critères

    • Groupes dits informels ou traditionnels(tontines, groupes d’entraide.,..).• Organisations à initiative non étatique(multifonctionnels, imbrication de l’écono-mique et du social, activités dans secteurséconomiques « marginaux »).•Des formes diversifiées de cogestion(rencontre de l’action de sociétés de dévelop-pement et de paysans : OP des zones coton-nières, OP des aménagements hydroagricoles,organisations des éleveurs).

    Éléments issus de CCCE, Notes et Études n° 35.

    La combinaison de critères et le croisementdes points de vue correspondent souvent àune préoccupation particulière de celui quiobserve la réalité. En fonction de ce que l’oncherche à observer, de ce que l’on veut trou-ver, on privilégiera tel ou tel autre point devue. Cela n’est pas forcément gênant dans lamesure où on en a conscience et où on le pré-cise bien.

    Un ensemble de critères de différenciation

    C’est dans un souci opérationnel, pour uneapproche adaptée à chaque typed’OPR, que plusieurs critères ont été utiliséspour essayer de cerner la diversité des OPRtogolaises :• Le mode de création (endogène/exo-gène),• L’encadrement (public, para-public, privé),• La taille,• La composition (producteurs/villageois),• Les ressources financières (cotisations,crédits, subventions),• Les activités (production/collecte,...),• L’utilisation des revenus (redistribution,investissements collectifs,...).

    Extraits de DIAGNE D., 1994.

    La diversité des groupements entraîne de faitune diversité d’approches permettant d’obte-nir maintes possibilités de classification selonles critères qu’on a privilégiés.

    Plusieurs points de vue pour classer

    • Classification selon le statut des regroupe-ments professionnels : mouvement coopératif,associations de producteurs, syndicat, comitésde développement villageois,• Classification selon les domaines d’inter-vention : fonction économique, épargne/cré-dit, organisation du travail, représentation,défense d’intérêts catégoriels, développementtechnique et vulgarisation (rôle non tenu parles OPR jusqu’à maintenant), mutualité, assu-rances,• Classification selon le niveau de profes-sionnalisme : mesuré à partir de l’apprécia-tion du niveau de maturité (organisationsprovoquées ou spontanées) et de leur degréd’autonomie (prise de décision, définition desobjectifs, planification,...).

    Éléments issus de FERAILLE J.N. et ROSSIN F., 1992.

    • On effectue souvent une distinction selonque le groupement assure une seule fonction(banque de céréales par exemple) ou qu’il estplurifonctionnel. La prise en compte desfonctions mises en œuvre par les organisa-tions paysannes part de l’analyse que cesorganisations n’ont de sens que par rapportaux services qu’elles apportent et donc auxfonctions qu’elles remplissent pour permettreaux producteurs de faire face à leurs diffé-rents besoins.

    De manière très grossière (et un peu arbi-traire), on peut mettre d’un côté ce qui relèvedes fonctions « d’intérêt général » (pistes,puits, école, centre de santé,...) et d’un autrece qui relève plus strictement de l’intérêt d’ungroupe restreint de personnes (autour d’unefonction économique précise par exemple).Cette distinction, difficilement perceptibledans la réalité, renvoie aux débats complexessur l’articulation entre le développementagricole et le développement rural, sur ladécentralisation et l’émergence de collectivi-tés territoriales devant assumer ces fonctionsd’intérêt général.

    RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui?14

  • La distinction, que les intervenants font entre« le bien public » et « le bien commun d’accèslimité », entretient la confusion entre le déve-loppement rural et le développement agri-cole. Au Mali, on encourage maintenant lesAV à utiliser leurs ristournes pour accroîtreleur capacité de production, alors que pen-dant longtemps ces ristournes ont servi àfinancer le développement des villages avecles encouragements de la structure d’enca-drement.

    Concernant les fonctions plus directementliées à la production agricole, on peut distin-guer un certain nombre de catégories.

    QUELLES FONCTIONS POURLES ORGANISATIONS PAYSANNES?

    A partir d’une étude effectuée en Guinée, uninventaire non exhaustif a été réalisé pour faireressortir les diverses fonctions remplies par desorganisations paysannes (sachant qu’une mêmeorganisation peut remplir plusieurs fonctions) :

    1. La gestion du foncier : en particulier dansles zones où il y a des aménagements hydroa-gricoles,2. La gestion de l’environnement (gestion del’espace, gestion de terroir),3. La gestion d’équipements (moulins, décor-tiqueuses),4. La production collective (champ collectif),5. L’approvisionnement (cadre pour l’inven-taire des besoins, achat groupé, gestion du cré-dit),6. Le stockage en commun (grenier semen-cier, banques de céréales,...),7. Le travail en commun (groupes d’échangede travail),8. Le financement (systèmes de crédit intégrésà d’autres activités, institutions spécialiséesdans le crédit,...),9. La commercialisation,10. Le conseil aux producteurs (conseil tech-nique, expérimentation,...),11. La représentation des producteurs.

    Extraits de BEAUDOUX E. et FORGET E., 1992.

    L’analyse du fonctionnement des groupe-ments est un thème prisé des anthropologues,qui nous apportent souvent un éclairage utilesur les motivations des membres des groupe-ments, sur l’articulation des groupements

    avec leur entourage social (le reste du village,les anciens,...) et sur le mode de fonctionne-ment interne (prise de décisions, mécanismesde délégation,...), (voir les différents bulletinsde l’APAD, cités en bibliographie, ).

    Pour pouvoir faire des propositions d’appuiou accompagner les groupements, les orga-nismes cherchent à déterminer ou contribuerà forger les projets de ces groupements,mesurant ainsi la viabilité de ces organisa-tions. Pour cela, les développeurs et cher-cheurs se penchent sur la dynamique et lastratégie des groupements. Lorsqu’elle estclairement explicitée, cette stratégie estd’abord un moteur de l’action avant d’être unoutil de classement.

    Ce groupement est-il viable?

    Par trois ensembles de critères, les auteurstentent d’apprécier la viabilité des groupe-ments: 1. La satisfaction des besoins à la base :besoins matériels et individuels, besoinssociaux et collectifs.2. L’appropriation de l’expérience collective :le degré d’initiative interne, la rentabilité éco-nomique, le contrôle de la gestion par labase, la gestion des conflits.3. L’ouverture sur l’extérieur : la présenced’un leader, ouverture à de nouveauxmembres, recherche de nouveaux parte-naires, qualité de la relation avec l’encadre-ment.

    Éléments issus de MALHERBE C., PRIMAUX A.S. et PROD’HOMME J.P., 1990.

    22. Des mouvances différentes A partir de ces éléments de connaissance, onpeut dresser les principales caractéristiquesde ce que l’on pourrait appeler des mou-vances ou des familles de groupements. Celane veut pas dire que toute organisationappartient automatiquement à une catégoriedonnée, mais une organisation possède descaractéristiques qui la rattachent à desdegrés différents, à l’une ou l’autre desmouvances.

    RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui? 15

  • Cette précision permet de faire ressortir undes éléments essentiels de toute démarche deconnaissance des formes d’organisations pay-sannes : l’histoire. Comprendre une organisa-tion agricole, c’est s’intéresser à sa naissance,sa genèse et saisir le contexte et les raisonsqui lui ont permis de devenir ce qu’elle est.C’est aussi reconstituer les étapes de sondéveloppement pour comprendre quels ontété les ressorts de son évolution.

    Dans la réalité, les organisations résultentsouvent de la combinaison de plusieurstypes de mouvances. On voit ici que les clas-sements et typologies n’ont un sens que s’ilssont utiles pour comprendre la réalité, pourexpliquer le présent et préparer l’avenir.

    • Les groupements initiés et/ou contrôléspar une instance externe administrative, ouune ONG, ou une église : ce sont lesanciennes coopératives mais aussi les comitésvillageois de développement, organisationsde jeunes et toutes les organisations dont lacréation a été impulsée par l’administration.Ils sont souvent encadrés par un appareiltechnico-administratif. Ils ont en général unstatut reconnu par une juridiction officielleet assurent des activités à caractère écono-mique mais aussi souvent social. L’échec fré-quent de ces formes d’organisation, et plusgénéralement des modes d’intervention diri-gistes (longuement analysé dans diversouvrages), a contribué à discréditer l’idée dela coopérative auprès des paysans africains,au moins dans les pays francophones.

    •La mouvance « communautaire » : groupe-ments plutôt à « vocation générale » enraci-nés localement et animés par des leadersvillageois. Ce sont en général des initiativeslocales issues de la rencontre entre le cha-risme d’un leader local et la volonté d’actiond’un groupe. Il peut s’agir dans certains casde ressortissants regroupés en associationdans une capitale ou à l’étranger (zone de lavallée du fleuve Sénégal). Elles prônent sou-vent l’autopromotion (en général cette notion

    est à relier avec des appuis d’ONG catho-liques). Pour la plupart, elles intègrent à leursactivités une forte composante sociale (santé,éducation,...). Même si c’est parfois délicat ouschématique, on peut faire la distinction entreles organisations à caractère opportuniste,créées de toute pièce pour recevoir desappuis extérieurs, et celles qui sont soutenuespar une dynamique locale solide qui sait uti-liser les ressources extérieures sans s’y alié-ner.

    •La mouvance économique : elle comprendsurtout les groupements créés par des socié-tés dites de développement, qui sont en faitdes sociétés commerciales.. Les organisationsde cette mouvance sont en général engagéesdans la gestion directe d’opérations (com-mercialisation primaire, approvisionnementen intrants,...). Elles ont en général un statutreconnu par une juridiction officielle(qu’elles n’ont pas forcément choisie) et assu-rent souvent des activités à caractère écono-mique dominant. On peut aussi trouver danscette mouvance des groupements de produc-teurs (par exemple maraîchers) indépendantsdes sociétés de développement.

    •La mouvance représentative, ou « syndi-cale », ou de négociation : elle se constituepour la défense des intérêts des paysans.D’émergence plus récente, elle peut recouperdes mouvances déjà citées. Elle regroupe desorganisations encore jeunes, où la consciencede faire un métier commun (agriculteur) estun fort élément de cohésion. Ces organisa-tions souhaitent défendre des intérêts deproducteurs et les représenter face à leursinterlocuteurs (État, bailleurs de fonds,...).Elles sont surtout présentes dans des filièresde culture de rente (coton, café, cacao,...),mais peuvent aussi avoir une assise territo-riale. Elles prennent en général des formesd’action proches du syndicalisme, mais sou-haitent parfois aussi prendre en charged’autres objectifs plus globaux liés au déve-loppement local.

    RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui?16

    Les groupementssuscités

    par l’administration,la mouvance

    « communautaire »,la mouvanceéconomique

    et la mouvancereprésentative

    ou « syndicale »ou de négociation

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui? 17

    Beaucoup de personnes appellent de leursvœux la création ou le renforcement d’orga-nisations dépassant le cadre villageois. Lesfédérations, les unions, les regroupementsd’organisations paysannes sont souvent pré-sentés comme étant le seul chemin possiblepour l’expression de la « voix des paysans »et la meilleure façon pour les agriculteursd’avoir du poids auprès des autres parte-naires du développement.

    •Certains auteurs dressent un inventaire desfacteurs favorables à l’émergence d’un mou-vement paysan (Gentil D. et Mercoiret M.R.,1990) ou de structuration professionnelle dela paysannerie (Berthomé J. et MercoiretM.R., 1992). On se trouve en présence d’ana-lyses qui mêlent la référence à un métier (pro-fession agricole), à la défense d’une catégoriesociale (mouvement paysan) (Devèze J.C.,1992). Quoi qu’il en soit, les fédérations etautres regroupements d’organisations localessont partie intégrante d’un mouvement pay-san en voie de constitution. Ce mouvementpaysan va au-delà de la somme de ses organi-sations membres, car il implique des valeurs,un engagement de type politique (participerà la définition de la politique de développe-ment du pays) et une dynamique plus largeque l’activité de fédérations.

    Sans se prononcer a priori sur ce genre deprocessus, il est intéressant de connaître lesexpériences concrètes, leurs succès et leursdifficultés, pour mieux saisir les enjeux de laconstruction d’un mouvement paysan.

    En définissant ce que devrait être un mouve-ment paysan, les auteurs ont conscienced’adopter une démarche arbitraire et discu-table. Pourtant, ces éléments se basent surune grande connaissance de certaines expé-riences : s’ils traduisent les conceptions desauteurs, ils expriment aussi des tendancesque l’on retrouve dans beaucoup de mouve-ments et d’organisations paysannes enAfrique.

    Un mouvement paysan c’est une organisation...

    Voulue et créée par les paysans eux-mêmeset ayant un rayonnement régional ou natio-nal, et qui - se donne des objectifs conscients, explicitésavec un projet pour la paysannerie dans unesociété en construction,- est capable de formuler des revendicationsexprimant les aspirations du monde paysan,- est en mesure, si nécessaire, de mobiliserles masses paysannes dans des actionsconcrètes pour faire aboutir les revendica-tions,- est reconnue par les pouvoirs publicscomme interlocuteur pour négocier les dos-siers de la paysannerie et d’un projet desociété,- trouve sa légitimité dans des structureslocales (villageoises ou communales) avec uneposition dominante ou majoritaire,- a un fonctionnement démocratique où lesresponsables élus sont porteurs de mandats,rendent des comptes et acceptent leur renou-vellement par vote à bulletin secret desmembres.LEBOT M., Président du Réseau GAO, décembre 1993.

    3333Les organisations fédératives

    Qu’est-ce qu’un mouvement paysan?On peut choisir cinq critères pour apprécier l’existence d’un mouve-ment paysan :1. Une autonomie financière et intellectuelle (marge demanœuvre par rapport à l’État et aux bailleurs de fonds).2. Des objectifs conscients et explicites (un projet d’avenir, unevision du monde).3. Des rapports significatifs avec l’État et/ou le reste de lasociété civile (négocier des alliances, apparaître au grand jour).4. Une taille ou un poids économique/politique « suffisant ».5. Une organisation interne déjà établie.

    Éléments issus de GENTIL D. et MERCOIRET M.R., 1992.

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui?18

    • Quoi qu’il en soit, le schéma de structura-tion « de bas en haut » du monde rural afri-cain n’est pas nouveau puisque: «Dès 1961,« l’esprit fertile des bureaucrates » inventera desstructures intermédiaires, les GRA (groupementsruraux associés) et les FGR (fédérations de grou-pements ruraux), au niveau de l’arrondissement(au Mali) » (Gentil D., 1986).

    •On a souvent la vision de l’organisationfédérative qui se construit par union d’orga-nisations plus petites. Cette vision ascen-dante à partir de la base ne correspond pastoujours à la réalité. Des organisations deproducteurs peuvent se créer au niveaurégional ou national (souvent plus près deslieux de décision donc de négociation pos-sible) par un petit groupe de personnes etensuite travailler à se constituer une basesociale, à s’enraciner dans le monde rural...avec le risque de trouver difficilement sonencrage et de sombrer dans la bureaucratie.

    •Les niveaux de structuration peuvent êtremultiples. Ils recouvrent en général des enti-tés géographiques ou administratives.

    QUELQUES FÉDÉRATIONS PAYSANNES AU CAMEROUN

    Beaucoup de groupements se sont créés auCameroun sous des formes diverses au cours dela décennie 80. Les premières fédérations degroupements sont nées à la fin de cette mêmedécennie. Quelques fédérations ont joué un rôlepionnier (ASAD dans le secteur de NangaEboko (centre), BOSAPPAL dans la Lékié,UGCE de la région d’Esse (centre) parexemple). L’émergence de ces fédérations est enpartie liée au travail d’appui du SAILD (orga-nisme d’appui). Ces fédérations se sont pro-gressivement consolidées et ont formé en 1991le Conseil des Fédérations Paysannes du Came-roun (CFPC).Le projet du CFPC est exprimé par ses respon-sables en quatre objectifs fondamentaux :• Assurer le bien-être des membres des fédéra-tions.• Développer la solidarité entre les membres,c’est-à-dire les fédérations, en visant à l’autofi-nancement de leurs projets.• Devenir un interlocuteur des paysans auprèsdes pouvoirs publics, ainsi que des partenairesdes pays du Sud et du Nord.•Défendre les intérêts économiques de sesmembres, et peut-être un jour faire groupe depression auprès des autorités.

    Extraits de PROD’HOMME J.P., 1992.

    Même s’il est encore timide, le mouvement defédération de groupements est indéniabledans beaucoup de pays. Très lié au contextesocio-politique et à l’aggravation de la situa-tion économique, la naissance de fédérationsde groupements est sans doute un signe posi-tif vers la construction d’une société civileafricaine, pouvant contrebalancer le pouvoirde l’administration et des opérateurs écono-miques.

    Pour comprendre la diversité des organisa-tions fédératives, nous distinguerons grossiè-rement deux dynamiques qui cependant sontparfois combinées :

    • Une dynamique coopérative bâtie par lehaut, généralement à vocation économique.Ce sont le plus souvent des unions, desregroupements de coopératives largementcontrôlés par l’État et qui peuvent recevoirdes appuis de bailleurs de fonds internatio-naux (BIT par exemple). Ces grosses struc-tures ont été créées pour remplir une fonctionprécise, par exemple la commercialisation,l’exportation... Elles peuvent évoluer dans lesens d’une meilleure participation paysannecomme c’est le cas pour l’UCOBAM au Bur-kina Faso. Voisines de cette mouvance, onpeut citer les tentatives actuelles dans cer-tains pays de mettre en place des « chambresd’agriculture », où l’État et les notables cher-chent à garder de fait le contrôle d’instancescensées représenter les paysans.

    •Une dynamique fédérative ascendanterésultant d’union et de regroupement d’or-ganisations de base. C’est un processus qui,en général, se produit sous les auspices d’unou plusieurs organismes d’appui souvent pri-vés. Cela, malheureusement, ne préjuge enrien de la viabilité de la fédération, mais peutpermettre un cadre plus souple d’accompa-gnement facilitant la construction de dyna-miques collectives dépassant le cadre local.On peut y distinguer une mouvance plus spé-cialisée (intérêts spécifiques liés à une pro-duction dominante : cas du SYCOV au Malipour le coton, des organisations de produc-teurs de Cacao en Côte d’Ivoire) et une mou-vance généraliste (cas des groupementsNaam au Burkina Faso, de la FONGS auSénégal,...). Ces tendances ne sont pas exclu-sives et le SYCOV, par exemple, prend encompte les questions relatives aux produitsvivriers.

    La naissancedes fédérations :

    vers la constructiond’une société

    civile africaine,nouveaux pôles

    socio-économiquesou ferment d’une force

    de négociationavec l’administration

    et les opérateurséconomiques?

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui? 19

    La naissance et le développement d’organisa-tions fédératives correspondent au dévelop-pement d’enjeux de luttes pour lareconnaissance de mouvements paysansreprésentatifs. Il est probable que la nais-sance et la solidité d’organisations profes-sionnelles agricoles reposera en grande partiesur la capacité du mouvement paysan des’approprier les responsabilités et le pouvoirnécessaire pour faire entendre sa voix, maisaussi de réussir des opérations économiques,gage de solidité pour ses membres et sonenvironnement. Cette solidité dépendra aussien grande partie de la capacité qu’auront lesstructures fédératives d’assurer le développe-ment autonome de chacune de ses compo-santes.

    Il n’est pas rare de voir des organisationsfédératives privilégier un travail à caractèresyndical et revendicatif (tout en prêtant unegrande attention aux activités économiquesseules susceptibles de leur conférer une auto-nomie financière).

    Dans la réalité, les mouvements paysansnaissants en Afrique sont souvent proches deplusieurs mouvances et s’appuient sur desgroupements pouvant être issus eux aussi dediverses mouvances.

    L’exemple ci-contre montre que des organisa-tions créées et encadrées par des structuresextérieures, privilégiant à la fois l’écono-mique et le communautaire, peuvent évoluervers des organisations fédératives à objectif« syndical » et professionnel.

    Par ailleurs, un mouvement paysan peut êtreporté au départ par des organisations appar-tenant à la mouvance communautaire. C’estle cas du Comité National de Concertationdes Ruraux (CNCR) qui est né le 17 mars 1993suite au Forum National organisé par laFONGS sur le thème « Quel avenir pour lepaysan sénégalais? ».

    Des groupements villageoisau « syndicalisme » agricole : Le SYCOV au Mali

    Les associations villageoises (AV) ontété suscitées par la CMDT (organismepara-étatique) à partir de 1975.Conçues pour transférer des activités(commercialisation primaire du coton)aux paysans organisés, ces AV ont été lelieu de formation progressive d’un vivierde dirigeants alphabétisés et de per-sonnes capables de tenir un rôle dans lagestion des différentes étapes liées à laproduction du coton.

    On pourrait dire que ces AV appartien-nent à la mouvance coopérative (mêmesi elles n’en ont pas la forme juridique nile fonctionnement), tout en assurantdes fonctions les rapprochant de lamouvance communautaire (investisse-ments sociaux permis grâce à la ris-tourne de la commercialisation ducoton,...).

    Issus de ces AV, des paysans ont orga-nisé une plate-forme de revendicationsqui a débouché en 1992 sur la créationd’un syndicat des producteurs decoton et vivrier (SYCOV) qui, auniveau national, a su imposer sa partici-pation à des négociations sur la gestionde la filière coton.

    PESCHE D., pour le Réseau GAO, 1994.

    Parler d’une seule voix : le CNCR au SénégalLe CNCR est une plate-forme regroupant sept Fédérations d’organi-sations sénégalaises qui représentent quelques trois millions d’agricul-teurs, d’éleveurs et de pêcheurs. (...)

    L’objectif du CNCR comme son nom l’indique, est de se concerter envue d’harmoniser les interventions de ses membres, et afin de parlerd’une seule voix. La formation et l’information sont deux activités essen-tielles du Comité. (...)

    Vue la dimension acquise par le CNCR en dix huit mois, certains seméfient un peu (...) : le but du CNCR n’est pas de se substituer à l’É-tat, ni d’être une espèce de syndicat paysan. Nous avons d’ailleursadopté trois principes :- Le respect de l’autorité de l’État.- La reconnaissance de tous les autres partenaires de développement.- Notre volonté de nous assumer. Nous ne voulons plus que les gensparlent en notre nom ou prennent à notre place des décisions quinous concernent.

    Le CNCR est devenu incontournable dans le processus socio-écono-mique au niveau du Sénégal. C’est un interlocuteur naturel de l’État et unporte-parole auprès des bailleurs de fonds et des autres acteurs de l’éco-nomie sénégalaise.CISSOKHO M., Président du CNCR et GUEYE S., Membre de la cellule du CNCR : Fédération nationaledes GIE de Pêcheurs du Sénégal, extraits tirés de DEFIS-SUD, décembre 1994.

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui?20

    Il est probable que l’émergence d’organisa-tions paysannes complexes, se structurant surplusieurs niveaux, nécessite une adaptationradicale dans les appuis traditionnellementproposés aux groupements et organisationslocales. La naissance de tâches spécifiques, defonctions bien précises (de caractère adminis-tratif, commercial, de gestion, de représenta-tion politique, de négociation,...) impose uneréponse rapide et adaptée de la part des opé-rateurs d’appui aux organisations paysanneset une imagination et une souplesse de la partdes bailleurs de fonds, qui seront sans doutesollicités pour financer des activités ou desopérations inhabituelles pour eux.

    Depuis quelques années, des responsables(mandatés ou non) de fédérations représenta-tives engagées ont pu se retrouver lors derencontres paysannes régionales et sous-régionales organisées dans le cadre des acti-vités de certains réseaux ou programmes.

    En plus du réseau APM, on peut citerd’autres initiatives qui permettent aussi larencontre de responsables de diverses organi-sations paysannes fédératives :- Le réseau Innovations et Réseaux pour leDéveloppement (IRED).- Le programme d’appui à la professionnali-sation initié par le Ministère français de laCoopération et du Développement, et adoptépar la Conférence des Ministres de l’Agricul-ture de l’Afrique de l’Ouest et du Centre(CMA/AOC)

    Le réseau APM (Agriculture Paysanne etModernisation), animé par la Fondation pourle Progrès de L’Homme (FPH, 38 rue St Sabin75011 PARIS) rassemble des responsablesd’organisations paysannes et des personnesengagées dans la promotion de ces organisa-tions dans le monde entier. Depuis peu, ceréseau développe des activités avec l’Afriqueet s’est constitué officiellement en janvier1995 à M’Bour au Sénégal. Il est présidé parBaba Antoine BERTHE (Mali) et son secréta-riat est basé à Yaoundé (Jeannot MinlaMFOU’OU BP 4551 Nlongkack), Yaoundé(Cameroun). Mais laissons la parole à ceuxqui, en Afrique, coordonnent les activitésd’APM.

    Le Réseau APM-Afrique

    Bara GOUDIABY (Sénégal) : Le réseaudoit d’abord être un lieu de rencontre de per-sonnes ressources, paysans, techniciens, cher-cheurs, membres d’ONG qui, au-delà del’organisation à laquelle elles appartiennent etsans souci de représenter qui ou quoi que cesoit, acceptent de confronter leurs expé-riences et de réfléchir ensemble.

    Son objectif principal est d’élaborer une stra-tégie commune au profit du mouvement pay-san. Assurant une fonction essentiellementintellectuelle, il œuvre pour l’unité des organi-sations paysannes et le renforcement desstructures du mouvement paysan.

    Textes extraits de La Lettre du réseau GAO, n˚ 17, 1993.

    En plus du réseau APM, on peut citerd’autres initiatives qui permettent aussi larencontre de responsables de diverses organi-sations paysannes fédératives :• Le réseau Innovations et Réseaux pour leDéveloppement (IRED).• Le programme d’appui à la professionnali-sation initié par le Ministère français de laCoopération et du Développement, et adoptépar la Conférence des Ministres de l’Agricul-ture de l’Afrique de l’Ouest et du Centre(CMA/AOC).

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui? 21

    Il est évident que la compréhension de ladiversité des OPR passe par leur description.Ce qui n’est pas suffisant, si nous voulonsparvenir à dégager quelques éléments d’ex-plication qui devront nous aider à mieuxappréhender cette diversité et son impor-tance par rapport à l’avenir du monde rural.L’impact de l’environnement des OPR, leurrôle et le pouvoir qu’elles se donnent inter-pellent un certain nombre d’intervenants etd’observateurs à travers notamment le trans-fert d’activités et la législation. Sur le planinterne, les atouts et les faiblesses des OPR,ainsi que le rôle de leurs responsables, susci-tent une attention particulière.

    41. Le processus du « transfert » d’activités aux OPR

    • Au lieu de parler de désengagement de l’É-tat, il conviendrait plutôt de parler de trans-fert des responsabilités (et plus souvent) descharges de l’État : la plupart des fonctionstransférables étant peu rémunératrices dansla filière et peu porteuses de pouvoirs. Leterme de sous-traitance de certaines fonc-tions serait sans doute plus approprié, mêmesi la sous-traitance implique un certain équi-libre dans l’établissement du contrat et unenégociation qui n’a pas toujours eu lieu.

    •Ce transfert est loin d’être achevé, et selonles pays et les filières, la place des organisa-tions paysannes (existantes, en formation ouen gestation) n’est pas clairement préciséeface à d’autres opérateurs privés mieux orga-nisés et mieux dotés en moyens financiers(commerçants, exportateurs...) et face auxrésistances de l’État. L’analyse de la placedes organisations paysannes doit aussiprendre en compte la nature de la filièreconcernée : au Mali, par exemple, la filière rizest a priori plus facile à défendre (importa-tions contrôlables) qu’au Cameroun, où denombreux exportateurs travaillent en compli-cité avec certains représentants de l’État pourexporter sur le marché mondial.

    Le cas des filières Café/Cacaoau Cameroun

    Les réformes des systèmes de commercialisa-tion et de stabilisation, bien qu’engagées dansles deux pays (Cameroun et Côte d’Ivoire),butent sur des résistances dues aux compor-tement des agents qui défendent la partie dela rente qu’ils ont obtenue et qui sont inca-pables, par leur inorganisation, de prendreleur responsabilité.

    Au Cameroun, l’État n’a pas pu s’opposeraux réformes proposées par les bailleurs defonds. Ayant accepté en bloc les réformes, lesautorités freinent aujourd’hui leur mise enœuvre. Des décrets sont pris, annulés, rené-gociés, amendés alors même que la cam-pagne est entamée (1992).

    4444Quelques questionnements

    Le transfert à des groupements dans un aménagementhydroagricole : le cas de l’Office du NigerDepuis 1985, 150 associations villageoises (AV récemment créées demanière autoritaire) ont été équipées de batteuses. Cela a été l’occa-sion de donner aux AV leur première fonction économique en mêmetemps qu’un premier « transfert de responsabilité » par l’Office duNiger (ON).

    Presque simultanément, la « collecte primaire » a été transférée pro-gressivement aux AV dotées de bascules ainsi que la gestion des sacset leur rotation : ces deux activités étaient rémunérées plus ou moinsrégulièrement sous forme de ristournes versées par l’ON.

    A partir de 1987, dans la partie réaménagée, le crédit de campagneet d’équipement, jusqu’alors consenti individuellement aux colons parl’ON a été « doublement transféré » : de l’ON à une institution finan-cière (la BNDA) d’une part, et d’autre part, du colon à l’AV quiemprunte et se porte caution auprès de la BNDA, redistribue ennature à ses membres et assure le recouvrement individuel deséchéances moyennant un point supplémentaire au taux d’intérêtperçu par la banque.

    Éléments tirés de Doucet M.J., 1993.

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui?22

    Les intérêts sont divergents au sein d’unemême profession mais aussi entre les profes-sions. Les exportateurs sont regroupés ausein du GEX. Si ces groupements sont repré-sentatifs, ils n’arrivent pas à aplanir les diffé-rends au sein de leur profession (oppositionentre ceux qui veulent « faire des coups » surle marché et les véritables professionnels).Les banques, actuellement désengagées de lafilière, refusent de participer au CICC (Comitéinterprofessionnel du café/cacao) pour ne paspartager les responsabilités et les consé-quences financières d’un échec. Il y a aussiopposition ouverte entre les exportateurs etles transformateurs locaux. Ces oppositionsfont le jeu des pouvoirs publics qui, face àdes opérateurs incapables de prendre enmain la filière, font pression pour réintervenirdirectement dans leur gestion.

    Éléments issus de LAPORTE B., 1992.

    En terme général, on peut soulever un certainnombre de questionnements autour destransferts d’activités aux organisations pay-sannes :

    La collecte primaire de produits agricoles, lacommercialisation, l’approvisionnement, lagestion en commun d’équipements, la ges-tion du crédit et de l’épargne,... : autant d’ac-tivités dont il faudra analyser la nature, laplace dans la filière et le coût de leur transfertaux OP.

    Une technologie appropriable, une activitéqui satisfait l’intérêt particulier des membresdu groupement, une responsabilisation dansla gestion... : autant de conditions qui fontque l’environnement économique, politiqueet social doit être favorable au transfert poursa viabilité.

    Dans le contexte actuel des marges réduitesdans les principales filières, la prise de res-ponsabilité par les organisations paysannesentraîne souvent pour elles la nécessité d’im-poser une discipline aux producteursqu’elles souhaitent représenter (qualité des

    produits, quotas de production,...) : ce« cadeau empoisonné » porte en lui le risquede saper leur base sociale avant mêmequ’elles aient pu se constituer solidement. Lesorganisations paysannes risquent d’être ame-nées malgré elles à gérer la crise, faisant officede tampon inespéré entre des producteursvoyant leur revenus baisser et les agents éco-nomiques de la filière.

    Cependant, même si le transfert de fonctionaux organisations paysannes est souventsource de difficultés pour elles, il faut noterque cela peut aussi leur permettre d’acquérirde l’autonomie et même parfois de larichesse : ce qui était peu rentable pour unegrosse société d’intervention peut s’avérergénérateur de revenus pour des groupements(cas de la sacherie à l’Office du Niger au Mali,et de la collecte primaire du coton au sud duMali).

    Enfin, la réalisation par les organisations pay-sannes d’activités de plus en plus impor-tantes pose la question de leur pouvoir, deleur poids politique et de leur compétence.Il est fort probable que l’avenir du dévelop-pement des organisations paysannes afri-caines sera parsemé d’embûches, dont unedes premières est les alliances possibles entrecertains cadres de l’État, des oligopoles mar-chands et une bourgeoisie rurale en cours deconstitution (Gentil D., 1993).

    De fait, on assiste déjà à un désengagementde l’État surtout par rapport à certaines fonc-tions dans les filières de produits d’exporta-tion. De plus en plus on parle de ladécentralisation, de la définition du nouveaurôle de l’État et d’une nouvelle forme d’orga-nisation de la société civile.

    Toutefois, ne serait-il pas préférable dans cedébat de considérer comme une nécessité lerôle de l’État (une de ses attributions est dedéfinir la politique nationale agricole -enconcertation avec les autres acteurs-, et degarantir le respect de son application), etcomme une perspective dynamique en prisede responsabilité d’OPR pour des fonctionsqui les concernent? Ceci nous amène donc àréfléchir sur le rôle que devra jouer l’État.

    Quelles fonctionstransférer et

    dans quelles conditions?

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui? 23

    42. La question juridique :une reconnaissance ou une dépendance pour les OP?

    Les aspects juridiques et statutaires sont sou-vent montrés du doigt comme posant desproblèmes. On remarquera que ce sont prin-cipalement les personnes extérieures auxorganisations paysannes qui soulèvent cegenre de problème. Une fois encore, ce n’estpas une question récente : «une constante rap-proche la quasi totalité des pays africains franco-phones, c’est l’importance accordée à la législationet au formalisme juridique » (Gentil D., 1986).

    La plupart des intervenants s’accordent à direaujourd’hui qu’il est urgent de mettre enplace des cadres législatifs souples et simpleslaissant aux organisations paysannes unegrande liberté dans leur adaptation aux mul-tiples contraintes qu’elles peuvent rencontrer.Compte tenu de l’importance des procédures(écrites ou non) pour régler les relations enAfrique, cette question reste importante.

    QUELLE LÉGISLATION POURUNE ENTREPRISE COOPÉRATIVE?

    Les législations coopératives africaines sontparfaitement surréalistes.Dans leurs intentions, il s’agit toujours defavoriser cette forme d’organisation, d’assisterson développement, de contrôler son bon fonc-tionnement et de laisser l’initiative aux intéres-sés.Dans la réalité, c’est un fatras de dispositionsdont la majorité reste étrangère aux préoccupa-tions réelles des intéressés et surtout un entre-lacs d’obligations légales ou réglementaires,que l’expert le plus diplômé et le plus qualifiéaurait bien du mal à déchiffrer et à respecter...

    ...Il est plus que temps d’éviter la proliférationdu juridisme au détriment de l’action en fai-sant confiance aux intéressés.Un cadre légal de 20 articles maximum accor-dant beaucoup de souplesse serait le bienvenu.Surtout pas de formalisme. Une simple décla-ration d’existence exprimant l’objet, le lieu, lerésumé des organes et principes de fonctionne-ment, tel qu’il ressort d’un procès verbal d’as-semblée générale accompagné de la liste desresponsables, devrait suffire à conférer la per-sonnalité morale de la coopérative sans autresformalités.MOURET C. (note ronéotypée).

    Les responsables paysans ne s’y trompentpas :

    Chemin faisant, notre organisation pourrait setrouver un nom qui serait plus adapté. Entout cas, pour le moment, pour avoir unstatut il fallait qu’elle prenne la déno-mination de syndicat. On n’a pas trouvéde dénomination à notre regroupement. Cettedifficulté nous a conduit à laisser l’enfantnaître, grandir et trouver son propre nom,sachant que par ses gestes et actions il vaimposer son nom. En attendant, c’est ungroupement de paysans que l’on a nommésyndicat, pour que nous puissions avoir unstatut juridique et être connus partout sur leplan national et international. Au départ, onl’appelait Comité de Coordinationmais tout le monde ne savait pas ceque c’était.

    Entretiens avec une délégation de représentants du SYCOV, extraits de DAGNON G., 1992.

    Des exemples récents de réforme des loisencadrant les organisations agricoles tendentà montrer que, même si des aménagements etune plus grande souplesse sont recherchés,les fondements juridiques de ces procéduresrestent les mêmes (voir l’élaboration de lanouvelle loi coopérative au Cameroun dansla troisième partie). Le plus important estsans doute de faciliter un fonctionnementdémocratique grâce au respect des règles etprocédures qui ont été appropriées par lesprincipaux intéressés.

    43. Forces et faiblesses des groupements

    •La finalité des groupements est un critèresouvent utilisé pour classer les groupements.La difficulté réside dans son appréciation :quelle est la coïncidence entre les attentesdiverses des membres d’un groupement et lafinalité officiellement déclarée (observée) dece groupement? Il convient d’être prudentsur cette question d’autant plus que les finali-tés et les objectifs des groupements peuventêtre amenés à changer au cours du temps.L’observateur ne court-il pas le risque de pla-quer une finalité souhaitée sur la réalité, ou

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui?24

    d’enfermer des groupements dans des objectifsdéfinis de manière trop stricte et exogène?

    L’analyse des objectifs et des projets desgroupements renvoie à la question lancinantede l’articulation entre des objectifs écono-miques et des objectifs sociaux. Sans déve-lopper ce point, il convient de faire quelquesremarques sur la stratégie économique desgroupements et ses conséquences sur leurcomposition.

    •Contrairement aux idées reçues, se regrou-per n’entraîne pas forcément un gain écono-mique. Ce que les économistes appellent des« économies d’échelles » ne s’observe pas tou-jours dans les activités des groupements.Dans certains cas, il peut être utile de s’unirpour travailler mais dans d’autres, le travailen commun peut ralentir ceux qui, isolément,auraient fait mieux. Cette question qui nepeut être développée en détail ici doit êtreprésente à l’esprit de celui qui veut promou-voir ou analyser une activité économique réa-lisée par un groupement.

    •L’activité en commun d’un groupementgénère souvent d’autres activités et des inves-tissements lorsque tout va bien. Une fois quel’activité du groupement tourne bien se posela question de l’adhésion de nouveauxmembres : des personnes nouvelles peuvent-elles, sans efforts, bénéficier du fruit du tra-vail de ceux qui ont initié le groupement?Cette question délicate du « ticket d’entrée »ne doit pas être négligée et pose aussi celle duprix des services que peut rendre le groupe-ment à ses adhérents. Si le groupement offredes services qui bénéficient à toute la com-munauté, comment peut-il inciter de nou-veaux membres à s’investir?

    D’une manière plus générale, l’environne-ment (économique, mais aussi politique, ins-titutionnel,...) des groupements a uneinfluence indéniable sur leur devenir.

    La connaissance des stratégies des groupe-ments (ou plus simplement de leurs projets)est indispensable pour définir avec eux l’ac-compagnement qui peut leur être utile. Tou-tefois, il serait illusoire de penser que lesgroupements possèdent forcément et tou-jours une stratégie claire et définie. Un certainnombre d’entre eux se forment en lien à desopportunités externes (aides) et disparaissenten général après le départ de cette aide.

    Environnement et performance des « associations volontaires »

    ESMAN M. et UPHOFF N. (1984) ont analyséun échantillon de 150 associations volontairesprises dans tous les continents, en étudiantles rapports entre leur environnement et leursperformances. La notion d’environnementétait prise au sens très large, puisqu’elleregroupait à la fois des données physiques(topographie, infrastructures, accès aux res-sources), économiques (possibilités locales dediversification des activités, niveau de revenus,distribution des revenus), sociales (hétérogé-néité sociologique, stratification, occupationdes sols, degré d’éducation, discriminationsociale et sexuelle) et politico-administratives(factions, parenté, clientélisme, normes villa-geoises, normes nationales, supports de l’Étatet de la bureaucratie). Les performancesétaient regroupées en cinq grandescatégories : les gains économiques, les béné-fices sociaux, les effets d’équité (accès desservices par les pauvres,...), la réduction dela discrimination, la participation aux déci-sions. Leur conclusion est que le bon envi-ronnement ne produit pas forcémentles bonnes organisations. Pour cesauteurs, ce sont les facteurs structuraux quiont le plus de chances d’influer sur les perfor-mances des associations. Par facteurs structu-raux, les auteurs entendent les variables quiconstituent les caractéristiques propresdes organisations locales concernées(mono ou plurifonctionnalité, caractère formelou non, système de prise de décision, taille,système de recrutement, composition écono-mique, sociale et sexuelle, philosophie partici-pative ou non), mais aussi les rapportsqu’elles entretiennent avec l’extérieur,avec les autres associations, les regroupe-ments de second degré, l’État.

    Extraits de JACOB J.P. et MARGOT F., 1993.

    Ceux qui accompagnent ou représentent lesgroupements doivent être capables d’enmontrer les faiblesses. Nier ces faiblessesrevient à donner une vision tronquée de laréalité.

    Apporter aux OPRun appui en fonction

    de leurs besoins,mais aussi

    les accompagner dansla définition

    d’une stratégie

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui? 25

    DES FAIBLESSES ÉVIDENTES MAIS PEUEXPLICITÉES

    Les groupements ont des faiblesses qui peuventavoir des causes internes ou externes. Onretiendra essentiellement quatre types de fai-blesses, sans tenir compte ici de celles liées plusstrictement à l’environnement administratif etéconomique des organisations paysannes etrurales.

    1. Certains germes de fragilité existent dèsla naissance des groupements, à l’insu detous, particulièrement dans deux cas qui peu-vent d’ailleurs se recouvrir. Il y a tout d’abordcelui du groupement quasiment imposé auxvillageois par un leader à forte personnalité.Son influence et son pouvoir de persuasion fontque le groupe va très vite s’agréger autour delui, sans respecter les rythmes nécessaires d’in-tériorisation de la démarche, aboutissant à uneidentification du groupement au seul leader.

    Par ailleurs, la phase initiale d’élaboration destextes juridiques -statuts et règlement inté-rieur- et de reconnaissance officielle par lesautorités administratives peut être longue etempreinte de formalisme excessif et devenirdémobilisatrice pour les membres.

    2. Lorsque le groupement est créé, une secondefaiblesse potentielle est liée à son mode de fonc-tionnement réel, et donc aux difficultés degestion sociale, interne et externe, du grou-pement. Alors que fréquemment les actionsd’appui et de formation portent prioritairementsur les questions techniques et économiques,c’est sur les aspects organisationnels que sontconstatées des défaillances dont les effets ne semanifestent que progressivement, entraînantun lent, mais parfois irréversible, dépérisse-ment du groupement.

    3. Une des principales causes de fragilité desgroupements, en particulier des groupementsd’initiative locale, tient au choix et aux résul-tats des actions.

    D’abord les conseils extérieurs, puis de plus enplus le mimétisme entre groupements, ontconduit ceux-ci à promouvoir des activitéscommunautaires engageant la totalité deleurs membres. Dans leur projet initial, lesmobiles sont à la fois idéologiques (atelier col-lectif : lieu de mobilisation des énergies indivi-duelles vers un objectif commun ; preuvevisible de l’existence du groupement), et écono-

    miques (résultats financiers attendus devantpermettre des investissements collectifs au pro-fit du village et plus tard une mythique redis-tribution de tout ou partie des bénéfices entreles membres).

    Pourtant, malgré les fréquents échecs sur lesdeux plans, dans une démarche de profession-nalisation, le principe de l’atelier collectif pour-rait combiner l’utile fonction sociale à unefonction technique, en devenant un lieu d’ex-périmentation, de démonstration et d’échangesur les systèmes productifs au village, au profitdes membres et plus largement de l’ensembledes villageois.

    4. Une autre cause possible de faiblesse desgroupements provient paradoxalement dumode de relation avec les organismes definancement et d’appui quels qu’ils soient(bailleurs de fonds, sociétés de développement,ONG,...). Il s’agit du rapport déséquilibré entredes groupements presque toujours demandeurset prêts à se soumettre aux orientations quiaccompagnent l’appui, et des organismes quiont la compétence pour élaborer un projet et lefinancement pour le mettre en œuvre. Il enrésulte plusieurs conséquences néfastes pourl’évolution du groupement.

    Enfin, sur un autre plan, du fait du manque decoordination et souvent de la concurrence entreune multitude d’intervenants, il existe de trèsgrandes disparités entre groupements par rap-port aux aides reçues. Certains « groupe-ments-vitrines » drainent des aides multiplesparce qu’ils sont bien placés géographiquementou bien introduits auprès des bailleurs defonds, alors que d’autres -leurs voisins parfois-n’ont jamais bénéficié d’aucune aide. Car danscertains cas les groupements peuvent aussidevenir les instruments involontaires d’accrois-sement du pouvoir des organismes d’appui,africains ou étrangers.Éléments issus de PROD’HOMME J.P.,La Lettre du Réseau GAO n° 18 et n° 19.

    Déjà, la nature exogène des groupements lesprédispose à connaître des difficultés dans lefonctionnement, une préoccupation consen-suelle et commune à tous les membresn’ayant pas forcément été à l’origine de sacréation. Cependant, il appartient au groupe-ment de chercher cette voie consensuelledans son fonctionnement interne. Les AV dela zone de Niono au Mali ont été confrontéesà ce problème.

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui?26

    Des procédures de prises de décisionà mettre en place

    Les AV ont été créées, des bureaux ont étédésignés soi-disant collectivement, mais biensouvent les gens ne connaissaient pas lesrôles qu’ils devaient tenir. Récemment, unrèglement intérieur standard a été pro-posé aux AV. (...)

    La prise de décision se fait selon des procé-dures et des processus de formation deconsensus exprimés par quelques personnesreconnues pour le faire et qui donnent à pen-ser que la formation du consensus s’appuiesur une base large. (...)

    Le fonctionnement démocratique est àla fois un principe de départ et l’abou-tissement d’une démarche rigoureuse.Ce qu’il faut, c’est aider les gens à mettre enplace des procédures de prise de décision quifont que l’instance de décision soit reconnue,qu’elle ait un mandat et que la décision prisesoit aussi reconnue par l’ensemble du groupe,même si tout le monde n’est pas d’accord.

    Extraits de DOUCET M.J., La Lettre du Réseau GAO n° 17.

    Pour dépasser leurs faiblesses, les groupe-ments doivent veiller à définir des stratégiescorrespondant à leurs besoins et des règles defonctionnement à la fois garantes d’une ges-tion rigoureuse et transparente et appro-priées par les membres.

    44. Le rôle des responsables paysansL’émergence et le rôle des responsables desorganisations rurales renvoient à l’analyse dufonctionnement interne et de l’articulation deces organisations avec la société locale, maisaussi avec les pouvoirs publics et agents éco-nomiques (privés).

    •Au sein d’organisations d’une certaineimportance, on rencontre des leaders charis-matiques qui sont « de fortes personnalités, àcheval sur deux mondes, ayant suivi une scolari-sation même incomplète, parfois fonctionnairesrenonçant à leur poste, ayant été travailleursmigrants ou ayant voyagé, ayant su tisser des

    liens amicaux ou familiaux avec des groupes exté-rieurs au monde paysan » (Gentil D., 1986). Ilsont une « capacité à formuler un projet mobilisa-teur à partir des aspirations diffuses, et ceci dansun langage qui sonne juste et qui fonde en partiele charisme qu’on leur attribue » (MercoiretM.R., 1990).

    •Il peut être intéressant d’observer les modesde légitimité des dirigeants paysans. Com-ment et par qui un dirigeant a-t-il étéreconnu? N’y a-t-il pas le risque de déstabili-ser des dirigeants en leur conférant une légiti-mité « de l’extérieur »?

    La représentativité s’acquiert et s’entretient.Elle recouvre par ailleurs un sens différentselon les sociétés et les cultures. Pour les paysdu Nord, la représentativité est un conceptpolitique qui sous-entend des mécanismes dedélégation fonctionnant selon un modedémocratique (vote). Cette vision se nuancedéjà lorsque le mode de désignation change(vote à bulletin secret ou à main levée) et enfonction du mode de désignation des per-sonnes éligibles.

    Au-delà des discours et des chiffres douteux(nombre de cartes vendues,...), il convientd’être lucide sur le fonctionnement interned’une organisation et sur le type d’intérêtqu’elle défend.

    Le dirigeant et sa base« Si j’occupe le poste qui est actuelle-ment le mien au SYCOV, c’est parceque la base l’a voulu, son expression aune importance fondamentale. On nesaurait toutefois en rester à cettesimple affirmation et il est du devoirdes leaders paysans, à partir desvolontés et des attentes formulées parceux qui les ont élus, d’instruire cha-cun de toutes les données de la situa-tion, ainsi que des différentesdémarches ou négociations possiblespour qu’ensemble, dirigeants etmembres de base réunis, nous arri-vions à un consensus sur les actions àentreprendre ».BERTHE B.A., Président du SYCOV, extraits de FPH, 1992.

    Le fonctionnementdémocratique s’acquiert

    dans la constructionde ses propres règles

  • RÉSEAU GAO. 1. Quelles organisations paysannes et rurales aujourd’hui? 27

    Représentatif par rapport à qui?

    La représentativité des organisations pay-sannes peut s’apprécier par rapport auxpopulations, en étudiant le fonctionnementde l’OP (représentation des différentes caté-gories de population,...) et le degré d’intégra-tion des leaders à la société locale (rapportaux structures de pouvoir traditionnelles,...).

    La représentativité des OP s’apprécie aussipar rapport à leurs membres. On peuten avoir une idée en observant la nature duleadership, le taux de rotation des respon-sables, le cumul des fonctions par les respon-sables, l’existence ou non d’un systèmed’incitation, de décision et de sanction.

    Extraits de JACOB J.P. et MARGOT F., 1993.

    La légitimité des responsables repose parfoissur leur capacité à drainer des ressourcesfinancières et matérielles pour leur commu-nauté. Ainsi, le dirigeant est en général choisipar ses mandants, non pas parce qu’il estreprésentatif du « paysan moyen », mais plu-tôt parce qu’il est supposé, sur la base de sesqualités reconnues, défendre mieux que lesautres les intérêts des paysans, et avoir accèsaux financements extérieurs. Plus générale-ment, les organisations paysannes reconnais-sent des leaders dans lesquels elles voient desmodèles pour leur développement futur :

    Une exigence et une vision

    Certains individus s’avancent plus loin que lesautres. Ils ont une exigence plus grande queles autres («la manière dont on est en trainde réfléchir sur l’Union nous empêche de dor-mir. Nous voulons que l’Union soit un modèlepour toute la région » El Hadj SOUMAMA,M’Bida, Niger. « On veut mettre tout enœuvre pour atteindre les premières unions quiont été créées et les dépasser », KARMA). Ilsont également une capacité de vision plusdéveloppée («la nuit, je rêve des moyens quipeuvent nous permettre d’améliorer la situa-tion, je rêve de nouvelles canalisations pourirriguer les rizières ; je voudrais voir où lestechniques nouvelles sont utilisées », El HadjALZOUMA, M’Bida), un sens de l’innovation, de

    l’initiative, une forme d’audace également. Laprésence de tels hommes ou de tellesfemmes constituent un « ferment » extrême-ment fécond pour l’avancée des organisationspaysannes.

    Extraits de BARBEDETTE L. et OUEDRAOGO J., 1993.

    La légitimité des dirigeants renvoie à celledes organisations vis-à-vis de leur environne-ment et de leurs partenaires.

    DES INTERLOCUTEURS SÉRIEUX?

    Les organisations paysannes peuvent-ellesdevenir des partenaires légitimes, être recon-nues comme représentatives et considéréescomme des interlocuteurs sérieux? Cette légiti-mité doit s’acquérir à différents niveaux :- vis-à-vis de l’État et de ses appareils, lapartie est plus difficile du fait du complexe desupériorité des cadres vis-à-vis des paysans etde la perte de leurs privilèges. Les cadres ontalors tendance à freiner les évolutions et préfè-rent s’allier aux commerçants plutôt qu’auxpaysans.- vis-à-vis de l’extérieur et notamment desbailleurs de fonds et des ONG. Malgré lamode favorable aux organisations paysannes,les bailleurs de fonds ont tendance à considérerles OP comme un instrument de leur proprepolitique. Elles doivent rester à la place quileur a été impartie, se couler dans un moulejuridique déterminé du sommet et remplir àmoindre coût les fonctions économiques ancien-nement exercées par les cadres. Si l’efficacitééconomique n’est pas au rendez-vous, si les OP« partent dans tous les sens », ne se coordon-nent pas ou ne se fédèrent pas dans des cadreslogiques, « font de la politique » ou du social,ont d’autres priori