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epuis la levée de l’embargo européen sur les armes destinées à la Syrie, le 1er juin, une question importante domine la politique et la presse internationale : « Va-t-on armer, oui ou non, les rebelles syriens ? » Les gouvernements pèsent le pour et le contre. Un des arguments en faveur des transferts d’armes vers l’opposition sy- rienne, soulevé par le Royaume-Uni notamment, est qu’ils permettraient d’accroître la pression sur le régime de Bashar al-Assad. Le message serait limpide : si le régime refuse toute solution négociée et continue de bafouer les règles les plus élémentaires du droit international humanitaire et des droits de l’homme, les États européens et les États-Unis armeront l’opposi- tion. Plusieurs personnalités politiques ont aussi soulevé que l’Occident ne pouvait plus demeurer simple spectateur des massacres, et qu’il fallait équiper les rebelles afin qu’ils puissent se défendre et protéger les civils. En revanche, d’autres voix soulignent le risque avéré de dégradation du conflit, tant au niveau interne que régional, si les États européens décidaient de franchir le pas. La première raison invoquée – com- me nous le constatons déjà aujourd’hui – est que les armes pourraient se propager dans les pays voisins. De même, il est fort probable que si l’Europe commence à armer l’opposition syrienne, les alliés d’Assad – tels que la Russie, l’Iran et le Hezbollah – renforceront également leurs livraisons d’équipement à l’armée et aux services de sécurité du régime alaouite. Juste après la levée de l’embargo euro- péen, Moscou a fait plusieurs déclarations en ce sens. Enfin, il existe aussi les risques liés à la gestion des stocks et à l’utilisation des armes. En effet, l’opposition ne semble pas en mesure de contrôler les flux d’armes sur le territoire et ses hommes seraient tout simplement incapables de se servir de manière adéquate de certaines armes lourdes. S’il est indéniable que ces débats politiques, éthiques et diplomatiques sont très importants, il nous semble que les règles de droit en la matière n’ont, jusqu’à présent, pas été appréciées à leur juste valeur. Étonnamment, les juristes ne se sont pas clairement prononcés sur la légalité de ces livrai- sons aux adversaires du régime Assad. Nous tenterons ici de démontrer LES NOUVELLES DU Lettre d’information du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) Trimestriel n°68 – 2e trimestre 2013 GRIP - Chaussée de Louvain, 467 B-1030 Bruxelles Tél.: (32.2) 241 84 20 Fax: (32.2) 245 19 33 Courriel: [email protected] Site Internet: www.grip.org Ed. resp.: Luc Mampaey (Dépôt B-Bruxelles X) Le GRIP (ASBL) est une organisation d’éducation permanente, reconnue et soutenue par la Communauté française. 2/13 (suite en page 2) D LES NOUVELLES DU GRIP ARMER LES REBELLES SYRIENS ? UNE ACTION EN PRINCIPE ILLéGALE ! © Damien Spleeters, mars 2013, Syrie. Plus que jamais d’actualité ! Mouvements de contestation en Turquie, élection d’Hassan Rohani à la présidence iranienne, la Syrie qui continue sa descente aux enfers... Le livre L’Iran et la Turquie face au « printemps arabe » (par Mohammad- Reza Djalili et Thierry Kellner) est à relire, voire à découvrir. Signalons que l’ouvrage, sorti en automne 2012, vient d’être traduit en turc (aux éditions Bilge Kültür Sanat). À commander au GRIP. 115 pages, 11,90 €

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epuis la levée de l’embargo européen sur les armes destinées à la Syrie, le 1er juin, une question importante domine la politique et la

presse internationale : « Va-t-on armer, oui ou non, les rebelles syriens ? » Les gouvernements pèsent le pour et le contre.

Un des arguments en faveur des transferts d’armes vers l’opposition sy-rienne, soulevé par le Royaume-Uni notamment, est qu’ils permettraient d’accroître la pression sur le régime de Bashar al-Assad. Le message serait limpide : si le régime refuse toute solution négociée et continue de bafouer les règles les plus élémentaires du droit international humanitaire et des droits de l’homme, les États européens et les États-Unis armeront l’opposi-tion. Plusieurs personnalités politiques ont aussi soulevé que l’Occident ne pouvait plus demeurer simple spectateur des massacres, et qu’il fallait équiper les rebelles afin qu’ils puissent se défendre et protéger les civils.

En revanche, d’autres voix soulignent le risque avéré de dégradation du conflit, tant au niveau interne que régional, si les États européens décidaient de franchir le pas. La première raison invoquée – com-me nous le constatons déjà aujourd’hui – est que les armes pourraient se propager dans les pays voisins. De même, il est fort probable que si l’Europe commence à armer l’opposition syrienne, les alliés d’Assad – tels que la Russie, l’Iran et le Hezbollah – renforceront également leurs livraisons d’équipement à l’armée et aux services de sécurité du régime alaouite. Juste après la levée de l’embargo euro-péen, Moscou a fait plusieurs déclarations en ce sens. Enfin, il existe aussi les risques liés à la gestion des stocks et à l’utilisation des armes. En effet, l’opposition ne semble pas en mesure de contrôler les flux d’armes sur le territoire et ses hommes seraient tout simplement incapables de se servir de manière adéquate de certaines armes lourdes.

S’il est indéniable que ces débats politiques, éthiques et diplomatiques sont très importants, il nous semble que les règles de droit en la matière n’ont, jusqu’à présent, pas été appréciées à leur juste valeur. Étonnamment, les juristes ne se sont pas clairement prononcés sur la légalité de ces livrai-sons aux adversaires du régime Assad. Nous tenterons ici de démontrer

��LES NOUVELLES DULettre d’informationdu Groupe de rechercheet d’information sur la paixet la sécurité (GRIP)

Trimestriel n°68 – 2e trimestre 2013GRIP - Chaussée de Louvain, 467B-1030 BruxellesTél.: (32.2) 241 84 20Fax: (32.2) 245 19 33Courriel: [email protected] Internet: www.grip.orgEd. resp.: Luc Mampaey(Dépôt B-Bruxelles X)

Le GRIP (ASBL) est une organisationd’éducation permanente,reconnue et soutenuepar laCommunauté française.

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LES NOUVELLES DU GRIP

ARMER LES REBELLES SyRIEnS ?UnE ACTIon En PRInCIPE ILLéGALE !

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Plus que jamais d’actualité !

Mouvements de contestation en Turquie, élection d’Hassan Rohani à la présidence iranienne, la Syrie qui continue sa descente aux enfers...Le livre L’Iran et la Turquie face au « printemps arabe » (par Mohammad-

Reza Djalili et Thierry Kellner) est à relire, voire à découvrir. Signalons que l’ouvrage, sorti en automne 2012, vient d’être traduit en turc (aux éditions Bilge Kültür Sanat).

à commander au GRIP.

115 pages, 11,90 €

qu’au regard du droit international et européen, et eu égard à la réalité complexe sur le terrain, la conclusion suivante s’impose : en règle géné-rale, le transfert d’armes vers les rebelles syriens est illégal.

Un conflit armé particulièrement destructeurAlors qu’elle avait débuté comme un mouvement pacifique début 2011, la révolution syrienne s’est vite dégradée pour faire place à des affronte-ments de plus en plus violents. Après plus d’un an de combats, la com-munauté internationale appuyée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), reconnaissait finalement qu’il y avait un « conflit armé non-international en Syrie »1. Cette classification a eu pour conséquence que les parties au conflit sont dorénavant obligées de respecter le droit de la guerre, soit le droit international humanitaire. De même, cette qualifi-cation implique que tous les États sont désormais tenus de respecter les règles régissant les interventions extérieures dans une guerre civile, sur lesquelles nous reviendrons plus loin.

L’ampleur du conflit syrien est illustrée par quelques chiffres récents. Depuis le début des hostilités, plus de 93 000 personnes ont été tuées et des dizaines de milliers blessées ; il y a plus de 4,25 millions de Syriens déplacés à l’intérieur du pays et 1,6 million de réfugiés hors du territoire ; sans oublier qu’ils sont plus de 6,8 millions à avoir besoin d’une aide urgente2. L’érosion de l’autorité politique et la destruction des infrastructures étatiques de base ont par ailleurs entraîné une dispa-rition quasi totale des services les plus élémentaires, tels que les soins médicaux ou l’éducation.

Certes, chaque conflit armé a son prix, mais la guerre civile en Sy-rie est particulièrement destructrice, tant sur le plan humain que maté-riel. Ce chaos s’explique notamment par le non-respect des règles les plus élémentaires en matière de droit humanitaire et de droits de l’homme. Toutes les parties sont accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité – accusations très graves. L’implication, tant de la part du régime Assad que de l’opposition armée – qui est fortement divisée et composée de modérés et de radicaux – dans les violations flagrantes du droit international a été démontrée. Un rapport de la Commission d’en-quête internationale indépendante sur la Syrie est pour le moins explicite : « Le conflit en République arabe syrienne s’est transformé en une guerre d’usure de plus en plus dangereuse pour les civils. Les zones civiles ont fait l’objet d’attaques aveugles (…). Les groupes armés anti-gouverne-mentaux conduisent leurs opérations à partir de zones à forte densité de

1. En mai et juillet 2012, le CICR qualifiait le conflit en Syrie de « conflit armé non-interna-tional ». L’ONU et les organisations régionales ont rapidement accepté ce statut.

2. Rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, A/HRC/23/58, 4 juin 2013. 2

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• « Mission d’étude à bamako » menée par bérangère Rouppert, sur la mise en place de la mission EUTM Mali. Du 10 au 19 mars.

• « Détention d’armes en Belgique ». Interview de cédric Poitevin par LNFM. 20 mars.

• « Conflits liés à l’eau en Afrique ». Interview de bruno hellendorff par la Deutsche Welle. 20 mars.

• « Transition politique au Mali ». Interview de Michel Luntumbue par la Deutsche Welle. 21 mars.

• « Politique européenne de voisinage ». Participation de cédric Poitevin à la conférence organisée par le collège d’europe. 21 mars.

• « Présentation du projet sur les ALPC en Afrique ». Exposé conjoint de Jihan Seniora et du Small Arms Survey, lors du side-event en marge des négocia­tions sur le TcA (new york). 26 mars.

• « Tensions dans la péninsule coré-enne ». Interviews multiples de bruno hellendorff par La Première, Radio Méditerranée Internationale, Le Soir, L’avenir, RTBF et RTL TVI. Du 26 mars au 16 avril.

• « Adoption du TCA ». Interview de Jihan Seniora par L’Express. 28 mars.

• « Midi stratégique sur la course aux armements en Asie du Sud-Est ». Présentation de bruno hellendorff au GRIP, en présence de l’ambassadeur indonésien Arif Havas oegroseno. 28 mars.

• « négociations sur le TCA ». Interview de Jihan Seniora par La Première (RTBF), et citée par Alter-Presse, un journal en ligne haïtien. Les 3 et 11 avril.

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population, plaçant ainsi les civils à la merci des tirs et les obligeant à fuir leurs maisons. Les forces gouvernementales conduisent leurs opérations militaires en faisant fi de la distinction entre civils et personnes partici-pant directement aux hostilités. »� L’illégalité de la plupart de ces actes est confirmée dans le dernier rapport de la Commission d’enquête publié dé-but juin. Le gouvernement alaouite et l’opposition armée y sont accusés de crimes de guerre, y compris meurtre, condamnation ou exécution en l’absence d’un procès équitable, torture, prises d’otage et pillages�.

Étant donné l’ampleur des crimes, plusieurs États et l’Union euro-péenne (UE) dans son ensemble, insistent aujourd’hui sur la nécessité de saisir la Cour pénale internationale (CPI) de la situation en Syrie.

Les ingérences et livraisons d’armesLorsqu’on dresse un tableau de la situation actuelle en Syrie, il est essen-tiel de pointer l’ingérence de plusieurs acteurs, étatiques ou non, dans ce conflit. Nous pouvons affirmer aujourd’hui avec certitude que l’Iran, la Russie et le Hezbollah libanais arment le régime Assad, alors que des pays comme l’Arabie saoudite et le Qatar fournissent équipements et technologies militaires à plusieurs groupes adverses. En outre, plusieurs États européens envisagent de plus en plus sérieusement d’armer l’aile modérée de l’opposition syrienne. Mi-juin, les États-Unis ont, de leur côté, déclaré vouloir apporter un soutien militaire aux rebelles.

Les réalités complexes sur le terrain, dont les flagrantes violations du droit international et les multiples ingérences étrangères, conditionnent la légalité de tout transfert d’armes vers la Syrie, sur laquelle nous allons maintenant nous pencher.

De l’illégalité des transferts d’armes Un État européen qui envisage d’armer une des parties lors d’une guerre civile est tenu de respecter les obligations émanant du droit de l’UE et du droit international. Alors que le droit de l’UE articule des règles contraignantes en matière de contrôle des exportations d’armes, le droit international établit des règles contraignantes en matière de soutien aux parties engagées dans une guerre civile.

Au niveau européen, les États de l’UE se sont tout d’abord engagés dès 2002 à ne « fournir des armes de petit calibre qu’aux gouvernements »5. Mais le plus grand défi pour ceux qui souhaiteraient armer l’opposition syrienne, restera de prouver que cette action respecte les critères de la Position commune de 2008, sur le contrôle des exportations de techno-logie et d’équipements militaires6.

Une lecture attentive de ce document contraignant mène à la conclu-sion que les États européens doivent refuser toute exportation, notam-ment lorsqu’il existe un risque manifeste que ces armes sont utilisées dans des violations flagrantes du droit humanitaire, qu’elles prolongent ou aggravent éventuellement le conflit armé, et qu’elles mettent en dan-ger la paix, la sécurité et la stabilité régionale. Une interprétation stricte

�. Idem, A/HRC/22/59, 5 février 2013, §119. �. Idem, A/HRC/23/58, 4 juin 2013.5. L’Action commune du Conseil relative à la contribution de l’Union européenne à la

lutte contre l’accumulation et la diffusion déstabilisatrices des armes légères et de petit calibre (2002).

�. Position commune définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires (2008).

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Le coMPeNdiUM NoUveAU eST ARRivé !

Chaque année, le Compendium présente une synthèse des prin-cipales statistiques relatives aux dépenses militaires mondiales, à la production et aux transferts d’armements conventionnels.

En 2011, avec une croissance quasi nulle par rapport à 2010, les dépenses militaires dans le monde se sont élevées à 1 738 milliards de dollars, soit environ 249 dollars par habitant. Les États-Unis comp-tent à eux seuls pour 40,9 % de ce total, suivis par la Chine (8,2 %).

Les transferts d’armement conven-tionnels majeurs se sont répartis à raison d’environ 27 % pour l’Union européenne, 33 % pour les États-Unis et 26 % pour la Russie. Bien qu’il soit difficile d’évaluer la valeur financière de ce commerce, on peut estimer qu’il représente environ 0,3 % des échanges commerciaux mondiaux de biens et services.

Les transferts d’armes légères et de petit calibre, de leurs pièces dé-tachées, accessoires et munitions, sont estimés à 8,5 milliards de dollars annuellement. La Belgi-que figure parmi les 10 premiers exportateurs et occuperait la 2e place au classement mondial si l’on ne retient que les armes de type militaire.

Le chiffre d’affaires cumulé réalisé par les 100 principaux producteurs d’armement dans le monde est évalué à 414,3 milliards de dollars pour l’année 2011, un très léger recul par rapport à 2010.

Un rapport de 52 pages (8 €), réalisé par Sabrina Lesparre et Luc Mampaey.

à commander au GRIP !

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Nos chercheurs SUR LA bRèche

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• « Mission d’étude en République du congo » menée par cédric Poitevin, dans le cadre de la lutte contre la prolifération des armes légères en Afrique. Du 6 au 14 avril.

• « Analyse des tensions en Corée du nord ». Publications d’articles de bruno hellendorff et Thierry Kellner pour Asia Times Online et East Asia Forum. 9 et 20 avril.

• « Trafic de drogue en Afrique de l’ouest ». Interview de Georges ber­ghezan par la BBC-Afrique. 12 avril.

• « L’avenir de l’armée belge ». Interview de bernard Adam par Le Soir. 16 avril.

• « Présentation sur le TCA ». Jihan Seniora a participé à une conférence organisée par la cellule du droit international humanitaire de l’ULb. 17 avril.

• « Mission d’étude au Tchad » menée par cédric Poitevin et claudio Gramizzi, dans le cadre du projet de lutte contre la prolifération des armes légères en Afrique. Du 19 au 27 avril.

• « Mission d’étude au Togo » menée par Jihan Seniora, dans le cadre du projet de lutte contre la prolifération des armes légères en Afrique. Du 21 au 27 avril.

• « Midi stratégique sur l’offensive de charme chinoise en Asie du Sud-Est ». Présentation du professeur Sophie boisseau du Rocher (chercheure associée) au GRIP. 23 avril.

• « Bombes nucléaires B 61-12 ». Inter-view de bérangère Rouppert par la RTBF (Journal parlé de 8h). 26 avril.

• « Montée en puissance de l’Asie du Sud-Est ». Participation de bruno hellendorff à la conférence organisée au Parlement européen. 29 avril.

de ces critères permet de conclure – au vu de la situation chaotique ac-tuelle en Syrie – que les États membres doivent s’abstenir de toute livrai-son d’armes.

Eu égard au droit international, la même conclusion s’impose. Tout d’abord, les principes de non-intervention et de non-usage de force ne permettent aucunement à un État de transférer des armes à l’opposition syrienne. Le Conseil de sécurité de l’ONU a souvent condamné voire sanctionné des États qui fournissent un appui politique, financier ou militaire à des groupes armés opérant en territoire étranger�. La Cour internationale de justice (CIJ) est tout aussi intransigeante ; en témoigne sa jurisprudence selon laquelle un État viole le principe du non-recours à la force dans les relations internationales et le principe de non-inter-vention lorsqu’il soutient « activement, sur les plans militaire, logistique, économique et financier, des forces irrégulières »8. La CIJ a entre autres condamné les États-Unis et l’Ouganda pour de telles pratiques illégales. Ces deux principes, dont émane également l’inter-diction d’intervention dans un conflit interne, relèvent du droit interna-tional coutumier et s’im-posent donc à tout État�.

En parallèle au droit régissant le recours à la force dans les relations internationales, le droit in-ternational humanitaire et les droits de l’homme conditionnent également la légalité d’éventuels transferts d’armes vers la Syrie. Effectivement, ces deux corpus de droit créent des obligations, tout d’abord pour les parties engagées mais aussi pour des États qui ne sont pas directement impliqués dans un conflit armé.

En somme, chaque État a l’obligation non seulement de s’abstenir de toute violation du droit de la guerre et des droits de l’homme – par ses propres organes ou agents –, mais aussi de ne pas y contribuer. Puis-qu’aussi bien le régime Assad que toutes les composantes de l’opposition sont accusés de crimes internationaux, le transfert d’armes vers ces ac-teurs est forcément contraire aux obligations, en vertu du droit humani-taire et des droits de l’homme.

ConclusionMême si une analyse approfondie des règles de droit, souvent comple-xes, ne peut être exposée ici, force est de constater que les livraisons d’armes vers la Syrie sont généralement illégales. Dans le cas syrien, les

�. Voir par exemple Résolution 190�, S/RES/190�, 23 décembre 2009 et Résolution 2023, S/RES/2023, 5 décembre 2011.

8. CIJ, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo, 19 décembre 2005, §345, ou encore CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, 2� juin 198�, §14�.

�. Pour un panorama complet du droit international public régissant la légalité des transferts d’armes vers la Syrie, nous référons au rapport du GRIP à ce sujet ; à paraître prochainement.

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Homs, l’une des villes martyre de cette guerre.

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LE TRAITé SUR LE CoMMERCE DES ARMES : DéSoRMAIS UnE RéALITé

près plus de sept années de discussions préparatoires et d’âpres négociations, le Traité international sur le commerce des armes (TCA) était enfin ouvert à la

signature en ce début juin. Si ce moment est d’ores et déjà une victoire en matière de contrôle des armes, les États doivent maintenant continuer sur cette lancée en surmon-tant les défis et obstacles à venir en vue de son application. Hasard du calendrier ? Quelques jours avant la signature du TCA, l’Union européenne décidait de lever son embargo sur les armes à destination de la Syrie…

Le 3 juin 2013, tous les membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) étaient invités à venir signer, au cours d’une cérémonie officielle au siège à New York, ce texte inédit dans l’histoire du contrôle des armes conventionnelles. 6� États ont d’emblée signé ce nouveau traité, signe de l’importance de ce texte international, et depuis lors � autres pays ont suivi le mouvement. Ils se sont ainsi engagés à désormais respecter des règles internationales communes pour les transferts d’armes, telles que les avions et navires de combat, les chars et véhicules militaires, les armes légères et de petit calibre, les munitions ou encore les missiles. La Belgique, comme la plupart des États membres de l’UE (à l’exception de la Bulgarie, de la Pologne et de la Slovaquie), faisait partie des premiers signataires du Traité. De même qu’une vingtaine de pays latino-améri-cains et des Caraïbes et une douzaine de pays africains, majoritairement d’Afrique de l’Ouest.

Au premier rang des grands absents : trois membres du Conseil de sécurité des Nations unies. Les États-Unis ont déclaré qu’ils signeraient dans quelques mois, une fois les traductions officielles du texte effec-tuées. Pour ce qui concerne la Chine et la Russie, sceptiques depuis le début du processus pour l’adoption d’un TCA, il est peu probable qu’ils rejoignent le mouvement à l’avenir. Autres absents de taille parmi les signataires : les pays du Moyen-Orient et les États asiatiques – à l’excep-tion du Japon et de la Corée du Sud – qui comptent pourtant plusieurs importateurs et exportateurs d’armes émergents.

Une victoire pour le contrôle des armes. Déjà historique ?« Ce qui fut considéré par certains comme irréaliste ou trop ambitieux il y a quelques années, est aujourd’hui devenu réalité ! », se réjouissait Bénédicte Frankinet, l’ambassadrice belge auprès des Nations unies, au moment de signer. Le chemin pour y parvenir fut en effet particulièrement long. Plus de vingt années de lobbying de la société civile, sept années de discussions prépa-ratoires, deux conférences de négociations qui se sont toutes deux termi-nées par un échec – en juillet 2012 et mars 2013 – entraînant finalement un vote du texte à l’Assemblée générale le 2 avril, auront été nécessaires avant de pouvoir le soumettre à la signature. Et ouvrir, peut-être, une nouvelle page de l’Histoire du contrôle des armes conventionnelles.

L’adoption du TCA est déjà, sans conteste, une victoire. Les États n’avaient jamais auparavant signé de texte qui soumettait leurs décisions – nationales – en matière de transferts d’armes à des règles juridiques in-ternationales. Avec le TCA, ils ont en outre accepté de faire des droits de l’homme et du droit humanitaire international non seulement des critères, que tous les États signataires devront désormais prendre en compte au 5

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Aseules circonstances qui peu-vent justifier une intervention officielle ou un appui mili-taire apporté à l’opposition sont, d’une part une autori-sation du Conseil de sécurité – ce qui est très peu probable eu égard à la position russe –, et d’autre part l’auto-défense. Il est donc vraisemblable que les États souhaitant armer l’opposition ou le régime alaouite s’agrippent aux concepts de la « responsabilité de protéger », d’« interven-tion humanitaire » ou encore à l’idée de « riposte à une ingérence extérieure ». Or, ces arguments ne justifient aucunement, dans le contexte actuel, qu’un État arme des groupes – quel que soit leur statut – qui violent de façon flagrante et systématique les règles les plus fondamentales du droit.

L’Europe est donc tenue de favoriser la voie diplo-matique pour aider la Syrie à sortir de l’impasse. Elle peut également – elle le fait déjà – imposer des sanctions. Mais ni les États européens, ni aucun autre gouverne-ment, n’ont à l’heure actuelle le droit de recourir à la force.

Le débat « va-t-on ar-mer, oui ou non, les rebelles syriens ? » doit dès lors et sans délai être recentré sur la question de la légalité de tels transferts. Et tout décideur politique doit respecter les règles de droit lorsqu’il envi-sage d’intervenir, d’une façon ou d’une autre, dans la guerre civile en Syrie, ou ailleurs.

Mélanie de Groof

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moment d’autoriser une exportation d’armes, mais également certains des fondements mêmes de ce Traité. Autre signal fort lancé à la communauté internationale et surtout aux milliers de victimes des armes à feu dans les conflits et la violence armée quotidienne : la reconnaissance que le com-merce des armes est une menace à la sécurité et à la stabilité internationale et régionale, et qu’il est à l’origine d’une grande souffrance humaine.

Des défis et des obstacles encore nombreuxLes signatures récoltées le 3 juin ne signifient néanmoins pas une ap-plication directe du Traité. En effet, une fois le texte signé, les États devront le ratifier et ainsi concrétiser leur engagement. L’objectif des 50 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur sera probablement atteint. Cependant, l’un des véritables défis du Traité sera son applica-tion universelle. Certains États ne signeront probablement pas avant des années et parmi ceux-ci, au moins deux membres du Conseil de sécurité, par ailleurs gros exportateurs d’armes conventionnelles : la Chine et la Russie. Pour d’autres, comme les États-Unis – qui se sont donc abstenus le 3 juin mais qui devraient signer à terme – la ratification sera sans doute problématique. Le texte risque en effet d’être bloqué par l’opposition au Congrès.

D’autres difficultés sont encore à prévoir pour de nombreux États dans la mise en œuvre des dispositions du Traité, étape qui nécessite des moyens financiers, humains mais aussi techniques conséquents. Pour combler ces lacunes, ils pourront néanmoins faire appel à l’assistance et la coopération in-ternationales entre États, prévues dans le Traité. Un fonds d’assis-tance, volontaire, sera ainsi créé auquel les Pays-Bas, le Danemark et l’Australie ont déjà promis de contribuer. Est également prévu un soutien de la société civile qui est à l’origine de l’idée même de ce traité. Les ONG et les centres de recherche ont développé une réelle expertise à son sujet et ont déjà effectué un travail d’assistan-ce et de conseil essentiel auprès de nombreux États tout au long du processus préparatoire.

On ne peut toutefois s’empê-cher de s’interroger sur l’appli-cation future du TCA et son impact sur le commerce des armes. Cela prendra du temps avant que les effets de ce traité se fassent ressentir. Changer les mentalités et les pratiques, en particulier dans un domaine aussi sensible et secret que le commerce des armes, ne se fera pas unique-ment sur base des déclarations de bonnes intentions des États, y compris européens. Car si l’Union européenne (UE) peut se prévaloir de règles déjà existantes concernant les exportations d’armes, elle affiche encore

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LE TRAITé SUR LE CoMMERCE DES ARMES

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Nos chercheurs SUR LA bRèche

• « Enjeux juridiques des frappes de drones ». Participation de Mélanie de Groof à la conférence organisée par l’université de droit de Ljubljana et interview pour la télévision publique slovène TV Slovenia 1. 23-24 mai.

• « Henri La Fontaine, Prix nobel de le Paix en 1913 ». Participation de Luc Mampaey au colloque organisé à l’université de Mons. 24 mai.

• « Utilisation d’armes chimiques en Syrie ». Interview de bérangère Roup­pert par Métro-France. 27 mai.

• « Brigade d’intervention de l’onU dans l’est de la RDC ». Interview de Georges berghezan par la Deutsche Welle. 28 mai.

• « Risques de prolifération des armes en Syrie ». Interview de cédric Poi­tevin par L’Express ; de Mélanie de Groof par France24-version anglaise et La Première (Journal parlé de 18h), citée par Slate.fr et publication d’un article-opinion pour RTBF Info. 28-29 mai.

• « Débat interactif sur la Syrie ». « Live-chat » animé par trois chercheurs du GRIP : Mélanie de Groof, cédric Poitevin et bérangère Rouppert sur le site RTBF Info. 29 mai.

• « Exportations d’armes wallonnes ». Interview de Luc Mampaey par De Tijd. 31 mai.

• « Transferts d’armes au Moyen-orient ». Publication d’un article-opi-nion de Fanny Lutz pour RTBF Info. 11 juin.

• « Le rôle du Rwanda sur la scène africaine ». Interview de Georges berghezan pour la Deutsche Welle. 11 juin.

2 avril 2013 : l’Assemblée générale approuve le Traité sur le commerce des armes.

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aujourd’hui des décisions regrettables et des divergen-ces entre États membres. Quelques jours avant la signa-ture du Traité, l’UE décidait de lever son embargo sur les armes à l’encontre de la Syrie, sous la pression du Royaume-Uni et de la France, deux pays qui envisagent d’envoyer des armes aux groupes d’opposi-tion syriens. La question ici n’est pas celle de la fourniture de matériel militaire à des groupes armés (les négocia-teurs du TCA ont d’ailleurs sciemment choisi d’omettre un critère à ce sujet dans le traité). Néanmoins, un strict respect du TCA, tout comme des règles européennes, imposerait de ne pas transfé-rer des armes vers ce pays en conflit. L’absence du ministre des Affaires étrangères de la France pour signer le TCA est apparue pour beaucoup comme un signe de la volonté de l’Hexagone de faire profil bas, elle qui soutient pourtant activement le Traité depuis ses débuts.

En l’absence d’un mé-canisme de sanction des États qui ne le respecteraient pas, l’opinion publique et la société civile auront leur rôle à jouer dans l’application du TCA. Ils devront poursuivre le travail entamé en exerçant une pression constante sur les décideurs politiques et en les plaçant face à leurs responsa-bilités. Désormais, l’opinion publique a les outils pour agir dans de nombreux pays et contraindre les gouverne-ments à plus de transparence et de responsabilité dans leurs transferts d’armes.

virginie Moreau

LE TRAITé SUR LE CoMMERCE DES ARMES

DéPEnSES MILITAIRES En ASIE DU SUD-EST : FAUT-IL S’InqUIéTER ?

n 2012, d’après les données du SIPRI, les dépenses militaires mon-diales ont atteint 1 �50 milliards de dollars, soit une baisse de 0,5 %

par rapport à 2011. Or, aujourd’hui, il n’y a qu’en Europe et en Amérique du Nord que ces dépenses diminuent. Partout ailleurs, la tendance in-dique un réarmement. Depuis 2008, l’Asie a même dépassé l’Europe en termes de dépenses militaires. L’Asie du Sud-Est a ainsi vu ses budgets militaires et ses importations d’armements augmenter sensiblement ces dix dernières années.

Un développement militaire à lier à la diplomatieL’Asie du Sud-Est est une région stratégique, une vaste zone hétérogène1 où s’expriment aujourd’hui avec force diverses initiatives diplomatiques remarquables, ainsi que d’importants programmes de renforcements mi-litaires. Entre 2002 et 2012, les dépenses militaires y ont augmenté de �2 %, soit plus rapidement qu’aux États-Unis (+50 % sur la même pério-de), mais largement inférieur à celui de la Chine (+198 % !). En 2012, les dépenses militaires en Asie du Sud-Est ont atteint une valeur cumulée de ��,6�� milliards de dollars, ce qui représenterait le 11ème budget mili-taire mondial, derrière l’Italie, mais devant le Brésil et la Corée du Sud.

Ces dépenses restent pourtant relativement modérées, au regard de la croissance économique de la région. En moyenne, ces pays ont consacré 2 % de leur PIB à leurs dépenses militaires en 2012, contre 3,� % en 1990, ce qui les situe au même niveau que la Chine en termes relatifs et loin derrière les États-Unis (4,4%).

La hausse des dépenses militaires en Asie du Sud-Est s’accompagne d’importants transferts d’armes vers la région, et c’est peut-être à ce ni-veau-là que se trouvent les éléments les plus saillants des renforcements militaires. Tout d’abord, 89 % des armes importées par la région entre 200� et 2011 ont un rôle essentiellement (navires, sous-marins…) ou potentiellement (avions de combat, missiles, radars…) maritime, ce qui correspond au développement de leurs intérêts dans ce champ d’action. Ensuite, plusieurs pays de la région (ceux disposant des plus importants budgets militaires) partagent avec leurs voisins une volonté très nette de développer leurs capacités sous-marines, à des fins de dissuasion et de contrôle des mers. Enfin, ces acquisitions d’armements sur le marché international s’accompagnent d’une importante emphase politique sur le nécessaire développement d’une industrie de défense locale, et sur l’as-pect purement défensif de ces investissements.

On retiendra que les États d’Asie du Sud-Est dépensent dans leur outil militaire non tant en raison de menaces immédiates qu’en relation avec des logiques de défense historiquement bien établies2. La hausse de leurs dépenses militaires s’explique par : une croissance économique

1. L’Asie du Sud-Est regroupe les dix pays membres de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) : Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam, ainsi que l’État du Timor-Leste.

2. Tim Huxley, « Defence Procurement in Southeast Asia ». 5th workshop of the Inter-Parliamentary Forum on Security Sector Governance (IPF-SSG) in Southeast Asia. Phnom Penh, 12-13 octo-bre 2008. Disponible sur : http://ipf-ssg-sea.net/5th_WS/defence_procurement_overview_Tim +Huxley.pdf

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(suite de la page 7)

soutenue, la recapitalisation des forces armées, une disponibilité nouvelle d’équi-pements militaires à l’importation, le besoin perçu de ne pas se laisser « distancer » par les voisins, des questions de prestige, des enjeux d’équilibres de pouvoir sur la scène interne, voire de corruption, ainsi que la nécessité de protéger certaines ressources maritimes dans leurs zones économiques exclusives, afin de défendre leur souveraineté territoriale face à leurs voisins (pas seulement la Chine).

Quelles options pour l’Europe ? Face à la montée en puissance chinoise, et au « pivot » américain, les États d’Asie du Sud-Est ont adopté une approche composite et flexible. Ils profitent des retom-bées économiques de la croissance chinoise tout en cherchant à assurer la présence militaire américaine dans la région. L’histoire de l’Asie du Sud-Est donne sens à ce positionnement, qui relève d’une stratégie « du faible au fort » éprouvée, basée sur deux piliers. Une capacité de dissuasion autonome, orientée au moins autant vers la scène intra-régionale que vers l’extérieur, d’abord. Une diplomatie active ensuite, qui cherche à profiter des avantages (en termes d’autonomie et de souve-raineté) que confèrent de bons rapports avec les grandes puissances sans dépen-dre d’une seule.

Alors même que les États-Unis re-centrent leurs efforts vers leurs intérêts en Asie-Pacifique, l’Europe tente à son tour d’effectuer son propre « pivot ». Lors du dernier Shangri-La Dialogue, un fo-rum informel rassemblant à Singapour de nombreux décideurs politiques pour discuter d’enjeux sécuritaires contempo-rains, Catherine Ashton rappelait ainsi la volonté de l’Union d’intégrer l’organi-sation régionale de l’East Asia Summit, tandis que le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, énonçait que la France « est une puissance de l’océan Indien et de l’océan Pacifique ». Sans le moindre doute, ces déclarations vont dans le bon sens, et sont accueillies positivement par les partenaires d’Asie du Sud-Est, pour qui cette implication européenne permet de multiplier les partenariats et consolide du même coup leur approche médiatrice vis-à-vis des États-Unis et de la Chine.

Quelle substance les décideurs européens peuvent-ils cependant donner à ces promesses d’implication accrue dans la sécurité régionale asiatique, dans le contexte de crise budgétaire qui est le leur ? Les États d’Asie du Sud-Est inves-tissent dans leur armée non seulement pour des raisons de dissuasion, mais aussi et surtout en vue de renforcer leur poids géopolitique. Ils se posent ainsi comme acteurs et moteurs – à titre individuel et collectif – de tendances stratégiques lourdes par laquelle l’Asie du Sud-Est affirme ses dynamiques propres, pour être plus qu’une région « au sud de la Chine » ou « à l’est de l’Inde ». L’Europe peut – et doit – apprendre de ses partenaires sud-est asiatiques. Peut-être plus encore que l’évocation de « partenariats stratégiques », la fourniture de matériel militaire, ou encore la présence à divers forums de discussion régionaux, c’est dans la recon-naissance comme partenaires de premier plan vis-à-vis de la Chine, des États-Unis et d’autres puissances, que l’Europe peut démontrer une réelle vision du futur.

bruno hellendorff

Pour aller plus loin, voir Dépenses et transferts militaires en Asie du Sud-Est : une modernisation qui pose question, une note d’analyse publiée sur le site http://www.grip.org/fr/node/90�

DéPEnSES MILITAIRES En ASIE DU SUD-EST

Asie du Sud-Est : quel partenariat avec l’Europe ?

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