Les mécanismes de plainte interétatique en matière …...Dominic Roux, directeur de recherche...
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Les mécanismes
de plainte interétatique en matière de droits humains : L’influence d’une procédure judiciarisée
Mémoire
Nicolas Michaud
Maîtrise en études internationales
Maître ès arts (M.A)
Québec, Canada
© Nicolas Michaud, 2016
Les mécanismes de plainte interétatique en matière de droits humains :
L’influence d’une procédure judiciarisée
Mémoire
Nicolas Michaud
Sous la direction de :
Dominic Roux, directeur de recherche
Anessa Kimball, codirectrice de recherche
iii
Résumé
Intégrés dans la majorité des conventions internationales visant la protection des droits humains, les
mécanismes de plainte interétatique sont une composante fondamentale du système international de protection
des droits de l’homme. Depuis 1919, date à laquelle l’OIT a introduit pour la première fois ce type de mécanisme,
seulement une quinzaine de plaintes interétatiques ont été déposées par les États parties alors qu’un nombre
substantiel de plaintes individuelles ou, dans le cas de l’OIT, de plaintes syndicales et patronales ont été
entreprises. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer le faible intérêt des États envers ces
procédures. Dans ce mémoire, nous explorons le lien entre le caractère judiciaire des mécanismes de plaintes
interétatiques et leur utilisation. Plus précisément, en établissant un modèle permettant de mesurer le degré de
judiciarité de ces mécanismes et en procédant à quelques études de cas, ce mémoire met de l’avant l’influence
que peut avoir une procédure judiciarisée sur la fréquence d’utilisation de ce type de procédures. Sans répondre
à l’ensemble des questions entourant les difficultés auxquelles sont confrontés les mécanismes de plainte
interétatique en matière de droits humains, notre mémoire contribue néanmoins à approfondir la réflexion
entourant cette problématique. Finalement, la recension des plaintes interétatiques ainsi que la présentation de
l’ensemble des mécanismes de plainte, y compris ceux entrés en vigueur récemment, offrent une synthèse
permettant de mieux saisir l’apport de ces procédures à la protection des droits humains.
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Table des matières
Résumé ________________________________________________________________________________ iii
Table des matières _______________________________________________________________________ iv
Liste des figures __________________________________________________________________________ vi
Liste des tableaux ________________________________________________________________________ vii
Remerciements _________________________________________________________________________ viii
Introduction _____________________________________________________________________________ 1
La problématique ______________________________________________________________________ 1
Méthodologie _________________________________________________________________________ 4
L’intérêt de notre recherche ______________________________________________________________ 6
Chapitre 1 : Les mécanismes de plainte interétatique ___________________________________________ 8
Identification des procédures de plainte interétatique _________________________________________ 8
La Constitution de l’Organisation Internationale du Travail ____________________________________ 10
La Convention européenne des droits de l’homme ___________________________________________ 13
La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale _________ 17
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques _____________________________________ 18
La Convention américaine relative aux droits de l’homme _____________________________________ 22
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ______________________________________ 25
La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants _____ 29
La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées 30
Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels _____________________________________________________________________________ 31
Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de
présentation de communication. _________________________________________________________ 33
Chapitre 2 : Le degré de judiciarité des procédures de plainte interétatique _______________________ 36
Cadre théorique _______________________________________________________________________ 36
Notre modèle _________________________________________________________________________ 40
L’accès ____________________________________________________________________________ 42
Les décideurs _______________________________________________________________________ 44
La force décisionnelle ________________________________________________________________ 47
L’exécution de la mise en œuvre des décisions ____________________________________________ 50
v
Chapitre 3 : Analyse _____________________________________________________________________ 53
Analyse du degré de judiciarité ___________________________________________________________ 53
La recension des cas de plainte interétatique _______________________________________________ 57
Comparaison entre les cas de plainte et le degré de judiciarité _________________________________ 64
Étude de cas __________________________________________________________________________ 67
Géorgie – Russie ____________________________________________________________________ 68
Nicaragua – Costa Rica _______________________________________________________________ 71
Conclusion _____________________________________________________________________________ 76
Bibliographie ___________________________________________________________________________ 81
Annexe 1 : Principales caractéristiques des mécanismes étudiés _________________________________ 87
Annexe 2 : Calcul détaillé du degré de judiciarité ______________________________________________ 88
vi
Liste des figures Figure 1 : Degré de judiciarité _____________________________________________________________ 41
Figure 2 : Accès au mécanisme de plainte ___________________________________________________ 43
Figure 3 : Accès durant le traitement de la plainte ______________________________________________ 44
Figure 4 : Décideurs_____________________________________________________________________ 47
Figure 5 : Force décisionnelle _____________________________________________________________ 49
Figure 6 : Exécution de la mise en œuvre des décisions _________________________________________ 52
Figure 7 : Classement des mécanismes de plainte interétatique ___________________________________ 56
vii
Liste des tableaux
Tableau 1 : Comparaison entre le degré de judiciarité et les plaintes interétatiques ........................................ 65
viii
Remerciements
Pour leurs bons conseils, je remercie mes codirecteurs, Anessa et Dominic. Merci à Geneviève, qui m’a
encouragé à retourner aux études pour entreprendre ce projet et, plus encore, pour son écoute durant les
longues minutes où je lui ai fait part en détail de mes nombreuses remises en question. À mes parents, Gilles
et Nicole, pour leur soutien indéfectible depuis 27 ans. Finalement, au petit Louis qui m’a tenu compagnie au
cours des derniers miles.
1
Introduction
La problématique
Sur la scène internationale, on recense diverses institutions régionales et internationales au sein desquelles les
États ont participé à la rédaction de conventions visant la protection des droits humains. L’Organisation des
Nations unies (ONU), l’Organisation Internationale du Travail (OIT), l’Organisation des États américains, l’Union
africaine et le Conseil de l’Europe sont des institutions qui ont adopté de telles conventions. Ces dernières
couvrent un large éventail de droits humains tels que le droit à la vie, le droit à la liberté d’expression et le droit
d’association. De plus, certaines pratiques telles que le travail forcé ou encore la torture sont expressément
interdites. Puisque ces conventions ont fait l’objet d’une vaste ratification, parfois même universelle, ces
dernières forment un élément central du système international de protection des droits humains.
En ratifiant ces conventions ou en y adhérant, les États acceptent non seulement de se conformer aux normes
qui y sont énoncées, mais également de se soumettre à des procédures qui visent à s’assurer que ces normes
sont appliquées de manière concrète et effective. Afin de veiller au respect des obligations contractées par les
États parties, différents mécanismes de surveillance sont intégrés dans ces conventions. La procédure de
plainte interétatique constitue l’un de ces mécanismes. Dans une étude portant sur les mécanismes de
surveillance en matière de droits humains, Kidanemariam retient que « The term Inter-state complaint, in
international law, refers to complaints made by one state against another before an international body or tribunal
alleging a violation of other state’s obligations. » (2006, p. 24). Les plaintes interétatiques sont donc un
mécanisme de surveillance qui implique directement les États dans le processus visant à assurer le respect des
obligations contractées par les autres États parties. Ce mécanisme de surveillance prend son origine dans
l’intérêt qu’ont les États pour le respect des droits humains (Kidanemariam, 2006, p. 24). En adhérant ou en
ratifiant une convention donnée, les États parties conviennent de l’importance capitale des droits humains qui y
sont enchâssés. En conformité avec l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), ces
derniers s’engagent également à exécuter leurs obligations de bonne foi. Par conséquent, les États doivent
prendre les mesures requises pour que les droits fondamentaux soient respectés sur leur territoire. Encore plus,
étant donné l’importance qu’ils accordent au respect de ces droits, il est normal qu’ils puissent veiller à ce que
les autres États parties respectent également leurs engagements.
La plupart des conventions internationales visant la protection des droits humains ont intégré un tel outil de
surveillance. Bien que cette procédure fasse partie intégrante du système international de protection des droits
humains, il existe un nombre limité de cas dans lesquels des États ont exercé un tel recours. En comparant les
données relatives aux cas de plainte interétatique à celles ayant trait au nombre de plaintes individuelles ou
encore, pour l’OIT, de plainte émanant d’associations patronales ou syndicales, on dénote une sous-utilisation
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notable des mécanismes de plainte interétatique (Leckie, 1988; Nowak, 2003; Whiteman et Nielsen, 2013).
Pourtant, les exemples dans lesquels les États auraient été justifiés de déposer une telle plainte ne manquent
pas. À cet égard, on peut se référer aux nombreux cas de violation des droits humains qui ont été constatés en
Europe de l’est et en Asie centrale (Association Assistance civique Russie et Fédération internationale des
ligues des droits de l’Homme, 2008). Au cours des dernières décennies, le Conseil de l’Europe a connu une
expansion fulgurante dans cette région. Malgré l’existence de nombreux rapports internationaux faisant état de
la violation systématique de droits humains sur le territoire de plusieurs de ces nouveaux membres, les États
parties n’ont pas eu recours au processus de plainte interétatique pour atteindre l’objectif visé par le Conseil de
L’Europe. On peut également traiter de la réaction des États membres de l’OIT en relation avec les agissements
du Myanmar. Malgré la documentation abondante faisant état du recours systématique au travail forcé par les
autorités publiques, aucun État n’a entrepris une démarche de plainte. En fait, c’est plutôt les représentants
d’associations syndicales qui ont décidé d’intervenir en déposant un recours en vertu de l’article 26 de la
Constitution en date du 20 juin 1996 (Organisation internationale du Travail, 2015). Aucun État n’a pris part à
cette plainte alors que des délégués de plus d’une vingtaine de pays y ont participé. Finalement, ce n’est qu’à
la suite du rapport d’enquête, en 2000, que les États ont agi en adoptant des sanctions économiques en vertu
de l’article 33 de la Constitution.
Malgré la sous-utilisation des mécanismes de plainte interétatique, ces derniers demeurent, encore aujourd’hui,
une option dont certains États se prévalent. On note toutefois que quelques procédures semblent plus
attrayantes que d’autres (Leckie, 1988; Prebenson, 2009). En fait, plusieurs de ces mécanismes n’ont
simplement jamais été utilisés alors que d’autres ont suscité un intérêt limité, mais constant au cours des
dernières décennies. Cette disparité constitue la pierre d’assise sur laquelle repose notre étude.
Nos recherches ne nous ont pas permis de retracer un grand nombre d’études portant spécifiquement sur
l’utilisation des mécanismes de plainte interétatique. Dans ce contexte, Scott Leckie fait figure de pionnier avec
son article The Inter-State Complaint Procedure in International Human Rights Law: Hopeful Prospects or
Wishful Thinking?. Datant de 1988, cette recherche met de l’avant plusieurs hypothèses pour expliquer le faible
intérêt des États envers ces mécanismes. Ne pouvant explorer en détail l’ensemble de ces hypothèses, cet
article propose néanmoins plusieurs pistes de réflexion pouvant potentiellement expliquer les disparités que
nous avons constatées. L’une des hypothèses soulevées laisse entendre que la nature juridique ou
diplomatique, selon le cas, d’une procédure de plainte interétatique pourrait influencer sa fréquence d’utilisation.
En nous appuyant sur ces constatations, notre question de recherche est la suivante : le caractère judiciaire
d’une procédure de plainte interétatique est-il un facteur qui influence son utilisation? À notre avis, plus une
procédure s’apparente à un mécanisme judiciaire, plus elle sera utilisée par les États. Si notre hypothèse s’avère
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juste, nous tenterons également de mieux comprendre l’importance que prend le caractère judiciarisé d’un
mécanisme dans la décision des États de déposer une plainte contre un autre État.
L’hypothèse que nous avons formulée découle du fait que la procédure de plainte interétatique constitue une
solution de dernier recours pour les États :
Practice has shown that states prefer to pursue mutually acceptable policies when addressing human rights in other states if they have interests other than human rights in the country in question. Thus, if they are concerned or pressured by nongovernment organization (NGOs) or other groups, most states will tend at least initially to pursue quiet forms of diplomacy aimed at enhancing respect for human rights in general, while simultaneously minimizing potentially harmful economic or political consequences (Leckie, 1988, p. 252).
Dans l’étude qu’il a produite en 1988, Scott Leckie conclut que, sur la scène internationale, le dépôt d’une plainte
interétatique est vu comme étant un acte hostile, inamical entre États (p. 297). La peur des conséquences
pouvant découler du dépôt d’une plainte interétatique amène les États à privilégier des options moins
« drastiques » (Decaux et Martin, 2011, p. 733). Nowak retient même que cette perception du mécanisme de
plainte interétatique fait en sorte que ce dernier sera utilisé uniquement dans des situations extrêmes (2005,
p. 758). Max Van der Stoel, ancien ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas ayant œuvré au dépôt d’une
plainte de son gouvernement contre la Turquie en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme
confirme la préoccupation qu’ont les États concernant de possibles représailles :
(...) quite a number of governments-not all governments-are reluctant to raise human rights matters in Strasbourg or Geneva because they fear they will damage their export interests. If governments do not think of it, then the export companies concerned are raising hell. Usually this leads to the Ministry of Economic Affairs ringing the bell at the Foreign Ministry. (Leckie, 1988, 295)
Nous croyons qu’étant donné l’importance et la nature des conséquences auxquelles ils s’exposent, les États
qui décident tout de même de déposer une plainte contre un autre État membre vont privilégier les procédures
qui sont les plus susceptibles de mettre un terme définitif aux violations qu’ils dénoncent. Dans l’éventualité où,
à leur avis, aucune procédure de plainte interétatique ne dispose des outils pouvant leur permettre de faire
cesser les violations, d’autres options seront probablement évaluées. Decaux et Martin rapportent deux cas qui
démontrent l’importance que les États accordent au processus et aux résultats de la démarche de plainte (2011).
Dans le cadre du Protocole international relatif aux droits civils et politiques, deux États du pacifique se sont
renseigné sur la procédure de plainte alors qu’ils envisageaient d’entreprendre un tel recours contre un État
africain. Au final, l’auteur rapporte qu’ils ont conclu que la procédure prévue au PIDCP ne pouvait produire les
résultats escomptés (Decaux et Martin, 2011, p. 735). À notre avis, les États vont donc se tourner vers les
procédures qui peuvent apporter des solutions efficaces et durables. Nous croyons que, plus une procédure est
judiciarisée, plus elle peut répondre aux aspirations et aux attentes des États qui choisissent, à leur péril, de se
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risquer sur cette voie. En effet, les mécanismes judiciarisés offrent un cadre indépendant, entraînent des
décisions formelles devant être appliquées et peuvent même conduire à la prise de sanctions en cas de non-
respect.
Méthodologie
Pour répondre à notre question de recherche, nous effectuerons tout d’abord un survol des règles applicables
pour chacun des mécanismes de plainte interétatique qui sera retenu. Cette analyse juridique mettra de l’avant
les similarités et les différences qui caractérisent les différentes procédures interétatiques. Pour réaliser cette
tâche, il est nécessaire d’identifier les principaux éléments qui caractérisent les conventions visant la protection
des droits humains. À cet égard, on notera que ce n’est qu’après 1945 que le droit international visant
spécifiquement à favoriser la protection des droits humains s’est développé (Forsythe, 2006, p. 3). La
Déclaration universelle des droits de l’homme a joué un rôle fondamental en jetant les bases du système
international de protection des droits humains (Tomuschat, 2003, p. 58). Plus récemment, en 1993, plus de 171
pays ont adopté par consensus la Déclaration de Vienne. Cette déclaration, qui n’est pas un traité ouvert à la
ratification stipule, entre autres, que les droits humains sont universels, indivisibles, interdépendants et
interreliés (Nowak, 2003, p. 27). Conformément aux dispositions contenues dans cette déclaration, les États ont
l’obligation de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits de l’homme et les libertés fondamentales, et ce,
peu importe leur évolution historique, leur culture, leur religion ou encore le régime politique en place (Nowak,
2003, p. 27; Haut-commissariat aux droits de l’homme, 2011, p. 1). Aux fins de notre étude, nous considérons
donc que les droits de l’homme sont « les droits inaliénables de tous les êtres humains, quels que soient leur
nationalité, lieu de résidence, sexe, origine ethnique ou nationale, couleur, religion, langue ou toute autre
condition. » (Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, 2016)
L’article 8 du Projet d’article sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite stipule que le
comportement d’une personne ou d’un groupe de personne est considéré comme étant le fait d’un État lorsque
ces derniers agissent selon les instructions ou sous le contrôle de cet État (2001). Les violations aux droits
humains résultant des actions d’acteurs agissant sous les directives d’un État entraînent donc la responsabilité
internationale de ce dernier (article 28 du Projet d’article sur la responsabilité de l’État pour fait
internationalement illicite). De plus, lorsque des personnes physiques, entreprises ou autres organisations
portent atteinte aux droits de l’homme sur le territoire d’un État, ce dernier a la responsabilité de mettre un terme
à ces violations notamment en procédant à des enquêtes, en poursuivant les auteurs et en réparant le préjudice
subit (Haut-commissariat aux droits de l’homme, 2011, p. 3). Encore plus, l’État doit adopter des mesures pour
empêcher la survenance de telles atteintes. On considère que :
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L’obligation de protéger incombant à l’État est une norme de conduite. En conséquence, les États ne sont pas tenus responsables à proprement parler des atteintes aux droits de l’homme commises par des acteurs privés. Ils peuvent toutefois être réputés avoir manqué à leurs obligations en vertu du droit international des droits de l’homme lorsque ces atteintes peuvent leur être attribuées ou lorsqu’ils ne prennent pas les dispositions voulues pour empêcher ces atteintes par des acteurs privés, et lorsqu’elles se produisent, enquêter à leur sujet, en punir les auteurs, et les réparer (Haut-commissariat aux droits de l’homme, 2011, p. 3).
Les instruments internationaux visant la protection des droits humains sont basés sur ces fondements
(Tomuschat, 2003, p. 58). Aujourd’hui, il existe donc un système international relativement complexe qui vise à
assurer la protection universelle des droits humains. Le mécanisme de plainte interétatique ne fait pas exception
à cette règle. En effet, la nature des mécanismes de plainte interétatique qui sont établis dans ces conventions
montre clairement que les États considèrent que les droits humains sont une préoccupation universelle (Leckie,
1988, p. 256). À cet égard, Prebensen note ces éléments concernant l’objectif recherché par le Conseil de
l’Europe en intégrant un tel mécanisme de plainte :
It was not to concede to each other reciprocal rights and obligations in pursuance of their individual national interests but to realise the aims and ideals of the Council of Europe, as expressed in its Statute, and to establish a common public order of the free democracies of Europe. (2009, p. 445)
Ainsi, pour recourir à ce mécanisme de plainte interétatique, l’État plaignant n’a pas à démontrer qu’il a un intérêt
à faire valoir. Cette règle s’applique à tous les mécanismes de plainte interétatique. Ces derniers introduisent
donc une justification à toute ingérence d’un État dans les affaires d’un autre État lorsque le respect des droits
humains est en jeu (Leckie, 1988, p. 298).
Cette particularité ne semble toutefois pas suffisante pour amener les États à utiliser les différentes procédures
de plainte interétatique lorsqu’ils constatent des violations aux droits humains. Pour comprendre ce phénomène,
nous avons mis de l’avant un facteur pouvant potentiellement être responsable de cette situation. Pour vérifier
notre hypothèse concernant l’influence du caractère judiciaire d’une procédure, nous devrons évidemment être
en mesure d’évaluer la mesure dans laquelle une procédure est judiciarisée ou non. Après avoir présenté le
cadre juridique applicable à chacun des mécanismes, nous utiliserons les travaux de Abbott, Keohane,
Moravcsik, Slaughter et Snidal ainsi que ceux de Smith pour développer un modèle nous permettant de mesurer
cette caractéristique. Dans leurs études respectives publiées au tournant des années 2000, ces auteurs ont
identifié différentes dimensions qui nous permettent de déterminer le « level of legalization » d’un traité ou d’une
règle internationale. Aux fins de nos travaux, nous avons adapté ces dimensions au contexte applicable en
matière de plainte interétatique liée à la violation de droits humains. Puisque ce degré est déterminé par
l’ensemble de ces dimensions indépendantes, nous utilisons un spectre allant du mécanisme diplomatique au
mécanisme judiciaire pour illustrer et comparer les résultats obtenus. Pour chacune des dimensions retenues,
quelques indicateurs nous permettent d’attribuer une valeur aux diverses procédures et, en combinant les
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résultats pour chacune des dimensions, nous obtiendrons une valeur générale propre à chaque mécanisme de
plainte interétatique.
Les résultats obtenus suite à la réalisation de cette analyse combinant science politique et droit seront ensuite
comparés avec le nombre de plaintes interétatiques ayant été effectuées en vertu de chacune des conventions
étudiées. Cette étape permet de mettre en évidence le lien possible entre le caractère judiciarisé d’une
procédure et sa fréquence d’utilisation. Puis, avec l’objectif de mesurer l’influence potentielle de cette
caractéristique sur les décisions des États relatives à l’utilisation ou non d’un mécanisme de plainte interétatique,
nous procéderons à deux études de cas. À terme, cette démarche nous permettra de mieux saisir l’importance
que prend le caractère judiciarisé d’une procédure de plainte interétatique. Plus encore, en conclusion, nous
pourrons énoncer certaines constatations plus générales portant sur l’utilisation des mécanismes de plaintes
interétatiques par les États.
L’intérêt de notre recherche
Au cours des dernières années, malgré la faible utilisation des mécanismes de plainte interétatique, les États
ont multiplié les occasions d’intégrer cette procédure dans diverses conventions internationales existantes visant
la protection des droits humains (par le biais d’un nouveau protocole) ainsi que dans plusieurs conventions
récemment adoptées. Ces constatations démontrent que les États ont, encore aujourd’hui, l’intention d’intégrer
ce mécanisme dans les traités qu’ils adoptent pour favoriser le respect des obligations contractées. Dans ces
circonstances, l’étude de ce mécanisme est toujours d’actualité. Étant donné le faible nombre de recherches
portant sur ce sujet, notre mémoire vient combler, en partie, le vide existant.
Côté pratique, notre recherche offrira une mise à jour répertoriant non seulement les conventions internationales
visant la protection des droits humains qui comportent un tel mécanisme de plainte, mais également leurs
caractéristiques respectives. Encore plus, nos travaux permettront de dresser une liste exhaustive de tous les
cas dans lesquels un mécanisme de plainte interétatique a été utilisé ainsi que des circonstances générales
entourant le dépôt de ces recours. À notre connaissance, de telles recensions n’ont pas été réalisées depuis
1988. Encore plus, le modèle que nous avons développé pour mesurer le degré de judiciarité d’une procédure
de plainte interétatique en matière de droits humains peut s’appliquer à un ensemble de mécanismes de
règlement des différends qui ne sont pas nécessairement reliés au domaine des droits humains.
Également, en abordant l’un des facteurs susceptibles d’influencer la fréquence d’utilisation d’un mécanisme de
plainte interétatique, ce mémoire s’inscrit dans une réflexion plus générale concernant les difficultés auxquelles
sont confrontés les mécanismes de plainte interétatique. Plus particulièrement, notre recherche contribuera à
l’identification des raisons susceptibles d’expliquer la faible utilisation de ces procédures. La compréhension de
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ce phénomène est essentielle en raison de l’importance de la contribution des mécanismes de plainte
interétatique au système de protection des droits de l’homme. Comme le souligne Leckie, pour optimiser
l’utilisation du système international de protection des droits de l’homme, il est primordial que chacune de ses
composantes puisse être pleinement effective (2010, p. 249). Puisque la procédure de plainte interétatique fait
partie intégrante de ce système, il est important de se pencher sur les difficultés qui entravent son utilisation.
De plus, le faible intérêt manifesté par les États pour l’utilisation de ces mécanismes ne signifie pas pour autant
que cette procédure n’a aucun rôle à jouer dans la protection des droits humains. Au contraire, les études ayant
été produites ont soulevé son importance ainsi que sa contribution potentielle à la protection des droits humains.
Dans son analyse portant sur la Convention européenne des droits de l’homme, Prebenson note que les États
qui ont participé à la rédaction de cette convention souhaitaient que le mécanisme de plainte interétatique
constitue le moyen central permettant de garantir le respect des droits qui y sont énoncés (2009, p. 446). Dans
l’article The Inter-State Complaint Procedure in International Human Rights Law : Hopeful Prospects or Wishful
Thinking?, Scott Leckie retient que la procédure de plainte interétatique comporte généralement moins de règles
d’admissibilités que la procédure individuelle. Bien que les motivations ayant mené à l’incorporation d’une
procédure de plainte interétatique ne soient pas toujours clairement établies dans les diverses conventions
internationales, le fait que chacune d’entre elles ait intégré une telle procédure laisse également supposer que
les États sont conscient du rôle pouvant être joué par les mécanismes de plainte interétatique.
Initialement, ce mécanisme de surveillance était perçu comme un moyen essentiel pour assurer la protection
des droits humains. Aujourd’hui, malgré le faible nombre de plaintes ayant été déposées, il demeure important
que cette procédure puisse être utilisée afin d’assurer la pleine efficacité du système de protection des droits
humains. La réalisation d’études portant sur l’utilisation des mécanismes de plainte interétatique s’avère
pertinente puisqu’à terme elles pourront permettre d’identifier les éléments qui rendent les États retissant à avoir
recours à cette procédure ou, au contraire, qui les encouragent à se tourner vers ce type de recours.
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Chapitre 1 : Les mécanismes de plainte
interétatique
Identification des procédures de plainte interétatique
Afin de répondre à notre question de recherche, nous avons répertorié les différentes institutions ayant adopté
des conventions visant la protection des droits de l’homme. La revue de la littérature existante sur ce sujet nous
a permis d’identifier des institutions qui œuvrent tant au niveau international que dans un contexte régional.
Dans le premier cas, au sein du système onusien, on retrouve plusieurs institutions ayant été créées pour
assurer la protection d’un large éventail de droits humains : le Comité pour l’élimination de la discrimination
raciale, le Comité des droits de l’homme, le Comité des droits économiques sociaux et culturels, le Comité contre
la torture, le Comité des disparitions forcées, la Commission de conciliation et de bons offices de l’UNESCO, le
Comité des droits de l’enfant et le Comité des travailleurs migrants intègrent un mécanisme de plainte
interétatique.
Il est toutefois important de noter que, dans le dernier cas, la procédure de plainte interétatique n’est pas encore
entrée en vigueur. En effet, l’article 76, alinéa 2, de la Convention internationale sur la protection des droits de
tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille indique que le mécanisme de plainte interétatique
entrera en vigueur lorsqu’au moins dix États auront effectué une déclaration dans laquelle ils acceptent de
recevoir de telles plaintes. Aux fins de notre étude, nous n’évaluerons pas la procédure de plainte mise en place
par cette convention puisqu’elle ne peut en aucun cas être utilisée par l’un des États parties. Également, le
mécanisme de plainte interétatique intégré dans le Protocole instituant une Commission de conciliation et de
bons offices chargée de rechercher la solution des différends qui naîtraient entre États parties à la Convention
concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement sera exclu de notre étude puisque
les conventions garantissant la protection spécifique d’un droit dans un cadre précis et très restreint ne feront
pas l’objet de notre analyse.
Toujours à l’échelle multilatérale, plusieurs conventions relatives aux droits fondamentaux des travailleurs ont
été adoptées au sein de l’OIT. Il y a lieu de se pencher sur cette institution puisque l’article 26 de la Constitution
de l’OIT prévoit la possibilité pour un État membre de déposer une plainte contre un autre État lorsque ce dernier
omet de se conformer aux obligations contractées. Finalement, le Conseil de l’Europe, l’Organisation des États
américains et l’Union africaine sont les institutions régionales qui ont adopté des conventions dans lesquelles
on retrouve un mécanisme de plainte interétatique visant à garantir le respect des droits humains.
Dans ce chapitre, nous présenterons le cadre juridique qui définit chaque procédure de plainte. Pour ce faire, il
est nécessaire de se référer aux textes des conventions suivantes : la Constitution de l’Organisation
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Internationale du Travail (OIT), la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), la Convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CEDR), le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques (PIDCP), la Convention américaine des droits de l’homme (CADH), la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants (CCT), la Convention internationale pour la protection de toutes
les personnes contre les disparitions forcées (CDF), le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et le Protocole facultatif à la Convention relative
aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communication (CDE).
Certains de ces traités prévoient que le comité chargé de surveiller l’application d’une convention donnée peut
intenter une procédure d’enquête lorsque des informations crédibles concernant l’existence de violations graves,
sérieuses ou systématiques lui sont communiquées. Dans le cadre de notre étude, nous n’analyserons pas les
dispositions établissant ce type de recours. D’une part, les renseignements peuvent être fournis à la fois par
des individus, des associations ou des organisations internationales que par des États. D’autre part, le fait qu’un
État membre puisse transmettre des informations au comité administrant la convention ne constitue pas une
plainte interétatique. Dans un tel cas, nous considérons que l’État agit plutôt en tant que dénonciateur puisqu’il
ne sera pas directement impliqué dans les procédures qui suivront.
D’autres accords comportent une procédure de résolution des différends interétatiques touchant l’interprétation
et l’application de la convention. Dans certains cas, des États ont tenté d’utiliser cette procédure pour dénoncer
des violations aux droits humains garantis par une convention. Par exemple, en 2008, la Géorgie a déposé une
requête introductive d’instance contre la Russie devant la CIJ dans laquelle il est allégué que la fédération russe
a commis des actes qui violent les obligations en matière de droits humains contractés en vertu de la CEDR
(Géorgie c. Fédération de Russie, C.I.J. Recueil 2011). Plus précisément, la Géorgie prétend que l’article 22 de
la CEDR lui permet d’intenter une action contre la Russie devant la CIJ. Cet article, que l’on retrouve dans
plusieurs conventions onusiennes visant la protection des droits humains stipule que :
Tout différend entre deux ou plusieurs États parties touchant l’interprétation ou l’application de la présente Convention qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention sera porté, à la requête de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justice pour qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne conviennent d’un autre mode de règlement.
Le 1er avril 2011, la CIJ a rendu un jugement suite aux objections préliminaires formulées par la Russie. La CIJ
a rejeté la requête de la Géorgie en retenant que tout recours intenté en vertu de l’article 22 de la CEDR pour
dénoncer des violations aux droits humains requiert que l’État plaignant ait, au préalable, eu recours à la
procédure de plainte interétatique énoncée à la convention ou à d’autres moyens de négociations qui y sont
10
prévus (Géorgie c. Fédération de Russie, C.I.J. Recueil 2011, p. 128). La Cour tient donc compte du fait que
des moyens spécifiques sont mis à la disposition des États parties qui souhaitent dénoncer des violations aux
droits humains. Dans le cadre de notre mémoire, nous étudierons uniquement les procédures qui sont
expressément créées pour traiter des plaintes portant sur la violation des droits humains garantis par une
convention. Puisque le type de procédure invoqué par la Géorgie peut porter sur n’importe qu’elle question
d’application ou d’interprétation de la convention et que la Cour a retenu la nécessité de recourir aux
mécanismes de plaintes interétatiques pour dénoncer des violations aux droits humains, elles ne seront pas
prise en compte dans notre étude.
Après avoir fait ressortir les caractéristiques propres à chacun des mécanismes étudiés, nous rassemblerons
les données recueillies dans un tableau synthèse afin de faciliter la comparaison entre les diverses procédures
de plainte interétatique. Cette synthèse nous permettra de faire ressortir les différences qui existent entre les
divers mécanismes de plaintes interétatiques.
La Constitution de l’Organisation Internationale du Travail
En 1919, après la fin des hostilités, les anciens belligérants se réunirent à Versailles afin de discuter des termes
d’un traité visant à assurer la paix en Europe (Servais, 2009, p. 24). Lors de ces discussions, les États
s’entendirent pour créer l’Organisation Internationale du Travail et rédigèrent la partie XIII du traité de Versailles
qui confirme la création de cette organisation permanente dont le mandat est de promouvoir la paix universelle
en garantissant des conditions de travail adéquates (De la Cruz, Von Potobski, Swepston, 1996, p. 5).
L’importance accordée aux droits des travailleurs lors de cette conférence est intimement liée au fait que les
conditions de travail lamentable qui sévissaient depuis les révolutions industrielles du siècle précédant ont
conduit à la création de divers mouvements sociaux et politiques qui, au lendemain de la Première Guerre
mondiale, menacent le monde capitaliste (Servais, 2009, p. 24). Dans ce contexte, la révolution russe de 1917
vient ajouter à l’urgence de mettre en place une organisation capable de garantir les droits des travailleurs et,
ainsi, diminuer les tensions sociales. Pour répondre à cette menace, les États ont créé un organe tripartite dont
les organes décisionnels sont composés de représentants des États, des associations d’employeurs et des
associations syndicales (Servais, 2009, p. 24). Cette caractéristique, déjà innovante en son temps, n’est que
l’une des nouveautés dont l’OIT peut se targuer d’être l’instigateur sur la scène internationale. À cet égard, on
note que l’OIT est la première institution internationale à avoir intégré un mécanisme de plainte interétatique.
L’article 26, alinéa 1 de la Constitution de l’OIT prévoit que tout État ayant ratifié une convention adoptée dans
le cadre des travaux de l’OIT peut déposer une plainte lorsqu’il juge qu’un autre État ne respecte pas ses
obligations concernant cette convention. Comme pour tous les autres instruments qui seront étudiés
subséquemment, l’État plaignant n’a pas à motiver sa plainte en démontrant qu’un de ces citoyens subit un
11
préjudice ou alors qu’il a tout autre intérêt à protéger; il suffit que les deux États aient ratifié la convention mise
en cause (Hannum ou Swepston, 2004, p.97). Lorsqu’un État entame cette procédure, il dépose sa plainte au
Bureau International du Travail (article 26, alinéa 1 de la Constitution). Par la suite, le Conseil d’administration,
composée de 28 représentants des États membres, de 14 représentants d’employeurs et de 14 représentants
syndicaux ressortissants de ces États, peut choisir de communiquer la plainte au gouvernement mis en cause
et l’inviter à produire toute déclaration en vertu de l’article 24 de la Constitution (article 26, alinéa 2 de la
Constitution). Dans ce cas, si la réponse de l’État mis en cause ne satisfait pas le Conseil, ce dernier peut mettre
en place une commission d’enquête qui a pour mission d’étudier la question et de déposer un rapport sur le
sujet (article 26, alinéa 3 de la Constitution). À contrario, le Conseil peut également refuser de mettre en place
une telle commission après avoir reçu la réponse de l’État mis en cause. On notera par ailleurs que le Conseil
peut décider de mettre immédiatement en place une commission d’enquête pour étudier l’affaire sans
communiquer avec l’État répondant (article 26, alinéa 3 de la Constitution). À cette étape, le Conseil
d’administration dispose donc d’un pouvoir discrétionnaire important. Comme le souligne Osieke, le Conseil doit
procéder à une certaine évaluation de la teneur générale de la plainte afin d’établir la démarche à suivre (1985,
p. 226). Ainsi, bien que les conditions de recevabilité soient moindres par rapport à celles que l’on retrouve dans
plusieurs autres mécanismes internationaux (aucune déclaration d’acceptation, aucun délai et aucune obligation
d’épuisement des recours), la plainte est soumise à un contrôle des États membres avant que la procédure sur
le fond ne soit entamée (Osieke, 1985, p. 226). D’ailleurs, la pratique démontre que le Conseil d’administration
a parfois décidé que les faits de l’affaire ne justifiaient pas la mise en place d’une commission d’enquête (Osieke,
1985, p. 226).
La commission d’enquête ainsi instituée se compose de 3 membres qui doivent mettre en place les propres
règles de procédure qui seront applicables (Osieke, 1985, p. 227; Hannum ou Swepston, 2004, p.98). Au fil du
temps, différentes pratiques se sont développées comme la communication des procédures par écrit, la
formulation d’objections préliminaires, la tenue d’audiences ou encore la représentation des parties impliquées
(Hannum ou Swepston, 2004, p.98; De la Cruz, Von Potobsky, Swepston, 1996, p. 96). De plus, l’article 27 de
la Constitution indique que tous les États membres doivent mettre tout renseignement disponible concernant
l’objet de la plainte à la disposition de la commission d’enquête. Dans le cadre de ce processus, la commission
d’enquête peut même aller jusqu’à se déplacer dans le pays où les violations alléguées auraient été commises
afin d’y recueillir des informations et témoignages (De la Cruz, Von Potobsky, Swepston, 1996, p. 97). Pour
terminer, on notera que, dans les cas où un État refuse de collaborer, la Commission d’enquête peut poursuivre
ses efforts pour recueillir toutes les données nécessaires à l’accomplissement de ses travaux (De la Cruz, Von
Potobsky, Swepston, 1996, p. 94).
Selon l’article 28 de la Constitution, la Commission d’enquête doit produire un rapport :
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La Commission d’enquête, après un examen approfondi de la plainte, rédigera un rapport dans lequel elle consignera ses constatations sur tous les points de fait permettant de préciser la portée de la contestation, ainsi que les recommandations qu’elle croira devoir formuler quant aux mesures à prendre pour donner satisfaction au gouvernement plaignant et quant aux délais dans lesquels ces mesures devraient être prises.
Bien que le texte de cet article semble indiquer que l’analyse de la Commission d’enquête se limite aux faits de
l’affaire, les questions de droit doivent être étudiées puisque la Commission doit nécessairement se pencher sur
la nature des obligations contractées par les États pour accomplir son mandat en formulant les
recommandations exigées (Osieke, 1985, p. 231). Dans les faits, les décisions produites dans le rapport d’une
commission d’enquête comportent une conclusion sur l’existence ou non d’une violation des obligations par
l’État répondant ainsi que des recommandations pour remédier à la situation en cas de violation (Hannum ou
Swepston, 2004, p.98).
L’alinéa 2 de l’article 28 indique que chacune des deux parties doit signifier dans un délai de 3 mois si elle
accepte ou non les recommandations contenues dans le rapport rendu public. Ainsi, les conclusions du rapport
ne sont pas applicables avant la fin de ce délai (Osieke, 1985, p. 233). Lorsqu’un État accepte les conclusions
du rapport, il sera de ce fait lié par ces dernières et tenu de mettre en œuvre les recommandations de la
commission d’enquête. Si un État ne fait pas parvenir sa position dans le délai requis, il est présumé avoir
accepté les conclusions et recommandations de la Commission d’enquête (Osieke, 1985, p. 233).
Dans l’éventualité où un État n’accepte pas les conclusions et recommandations de la commission d’enquête,
ce dernier doit informer le Bureau international du Travail de son intention de soumettre ou non le différend
devant la Cour internationale de justice (article 29, alinéa 2 de la Constitution). Lorsqu’une affaire est portée
devant la CIJ par l’un des États impliqués, les conclusions et recommandations ne lient pas les parties
puisqu’une décision judiciaire suivra (Osieke, 1985, p. 233).
La CIJ est un tribunal permanent et indépendant dont les jugements sont finaux et lient directement les parties
au litige (article 20 et 59 du statut de la Cour). Composée de quinze membres élus par l’Assemblée générale
des Nations unies et le Conseil de sécurité, la CIJ peut entendre les litiges qui peuvent lui être soumis en vertu
d’une multitude de conventions internationales (article 3 du Statut de la Cour internationale de justice). En vertu
de la constitution de l’OIT, la Cour aura l’opportunité de confirmer ou d’infirmer les conclusions et
recommandations de la Commission d’enquête (article 31 et 32 de la Constitution). En ce qui concerne les
mesures prises pour assurer l’exécution des décisions, on notera que les Statuts de la Cour ne prévoient aucune
disposition permettant à la CIJ de jouer un rôle actif en cette matière. Évidemment, le Conseil de sécurité pourrait
toujours adopter des mesures pour donner effet au jugement (International Court of Justice, 2016).
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Finalement, si un État rejette les conclusions et recommandations et qu’il fait part de sa décision de ne pas
soumettre le différend devant la CIJ, il sera présumé avoir accepté les conclusions et recommandations de la
Commission d’enquête (Osieke, 1985, p. 233). Ainsi, pour éviter d’être lié par le rapport de la commission
d’enquête, un État n’a pas d’autre choix que de signifier qu’il désire soumettre le différend à la CIJ.
La Convention européenne des droits de l’homme
Dès la création du Conseil de l’Europe en 1949, les questions liées au respect des droits humains devinrent un
enjeu important. À preuve, lors de la première Assemblée Consultative tenue en août, les États membres mirent
en place un comité chargé de travailler au développement d’un instrument visant à garantir le respect des droits
et libertés (Dijk et Arai, 2006, p. 3). L’expérience tirée de la Deuxième Guerre mondiale fit en sorte que les États
parties considérèrent qu’un traité visant la protection des droits humains pourrait contribuer au maintien de la
démocratie et de la paix en Europe (Renucci, 2012, p. 12). Adoptée officiellement le 4 novembre 1950, cette
convention est entrée en vigueur le 3 septembre 1953.
Puisque la Convention européenne des droits de l’homme est en constante évolution, il n’est pas surprenant
que le 11e Protocole (1998) soit venu modifier considérablement sa structure institutionnelle (White, Ovey et
Jacobs, 2010, p.4). Encore plus, le Protocole 14 qui a modifié certaines règles telles que le mandat des juges
ou les fonctions du Conseil des ministres est entré en vigueur le 1er juin 2010. Pour répondre à notre question
de recherche et pour bien comprendre la procédure de plainte interétatique intégrée dans la CEDH, il sera
nécessaire de se référer non seulement aux nouvelles règles qui ont été énoncées, mais également au
processus qui existait auparavant.
Sous l’ancien système, l’article 24 de la CEDH de 1950 stipulait que tout État partie pouvait déposer une plainte
contre un autre État partie s’il constatait que ce dernier ne respectait pas les obligations qu’il avait contractées
(White, Ovey et Jacobs, 2010, p.10). Aucune déclaration de compétence de la part des parties n’était requise
et l’État plaignant n’avait pas à démontrer qu’il était une victime directe ou indirecte de la violation qui était
perpétrée (Leckie, 1988, p. 272). Néanmoins, deux conditions de recevabilité étaient prévues à l’article 26 de la
CEDH de 1950 : les recours internes devaient avoir été épuisés et la plainte devait être déposée dans les six
mois suivant la dernière décision du tribunal national. Élu par le Comité des Ministres pour six ans et composé
habituellement d’un représentant par État membre, la Commission européenne des droits de l’homme était
mandatée pour traiter la plainte (article 20 et 21 de la CEDH de 1950). Lorsque cette dernière déclarait la plainte
recevable, elle devait former une sous-commission composée de 7 de ses membres (article 29, alinéa 1 de la
CEDH de 1950). De plus, chaque État partie au litige avait l’opportunité de désigner un seul membre (article 29,
alinéa 2 de la CEDH de 1950).
14
La sous-commission avait pour mandat de prendre connaissance des faits de l’affaire et elle était alors autorisée
à conduire sa propre enquête (article 28 (a) de la CEDH de 1950). Son rôle principal consistait à se mettre à la
disposition des parties afin de les aider à trouver un règlement à l’amiable qui respecte les droits énoncés dans
la convention (article 28 (b) de la CEDH de 1950). Lorsqu’un tel règlement intervenait, la sous-commission
devait faire parvenir aux États concernés, au Comité des Ministres et au Secrétariat général un rapport dans
lequel elle présentait les faits et la solution intervenue (article 30 de la CEDH de 1950). Si la sous-commission
ne parvenait pas à trouver une solution par cette voie, la Commission européenne des droits de l’homme (et
non pas la sous-commission) devait rédiger un rapport dans lequel elle présentait les faits de l’affaire ainsi que
son opinion concernant l’existence ou non d’une violation des obligations prévues dans la CEDH (article 31
alinéa 1 de la CEDH de 1950). La décision de la Commission requérait l’approbation de la majorité des membres
(article 34 de la CEDH de 1950). Selon l’alinéa 3 de cette même disposition, ce rapport était transmis
directement au Comité des Ministres.
Lorsque les deux parties manifestaient leur accord ou qu’elles acceptaient la compétence du tribunal, la
Commission pouvait alors décider de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme pour que
cette dernière rende un jugement auquel les parties avaient l’obligation de se soumettre (article 48 et 53 de la
CEDH de 1950). Élus pour neuf ans par l’Assemblée Consultative, les membres de la Cour avaient le mandat
de rendre un jugement de façon indépendante sur le litige interétatique qui leur était soumis par la Commission
(article 39, 40 et 47 de la CEDH de 1950).
Si, dans les trois mois suivant la réception du rapport de la Commission par le Comité des Ministres la Cour
n’avait pas encore été saisie de l’affaire, le Comité des Ministres devait se prononcer sur l’existence ou non
d’une violation (article 32, alinéa 1 de la CEDH de 1950). Composé d’un délégué provenant de chaque État
membre, plus des 2/3 des voix étaient nécessaires pour que le Comité des Ministres puisse conclure à
l’existence d’une violation et prescrire les mesures requises pour y mettre un terme ou réparer le préjudice subi
(article 32, alinéa 1 de la CEDH de 1950). Lorsque les deux tiers du Comité des Ministres ne pouvaient être
atteints pour confirmer ou infirmer la survenance d’une violation, aucune décision n’était rendue (Dijk et Arai,
2006, p. 297). Après avoir décidé qu’un État avait violé la convention, le Comité des Ministres devait fixer un
délai à l’intérieur duquel l’État pris en défaut devait se conformer à la décision (article 32, alinéa 2 de la CEDH
de 1950). Puisqu’en vertu de l’article 32, alinéa 4, les parties s’engageaient à respecter les décisions du Comité
des Ministres, ces dernières avaient donc force obligatoire. Dans l’éventualité où l’État ne se conformait pas à
la décision du Comité, des mesures pour favoriser la mise en conformité pouvaient être adoptées aux 2/3 des
voix (article 32, alinéa 3 de la CEDH de 1950).
15
Suite à l’entrée en vigueur des protocoles 11 (1998) et 14 (2010), le système applicable au dépôt d’une plainte
interétatique a été considérablement revu. Aujourd’hui, c’est l’article 33 de la CEDH qui permet le dépôt d’une
plainte interétatique lorsqu’une partie contractante manque à ses obligations. Selon cette disposition, l’État qui
désire déposer une plainte interétatique doit saisir la Cour européenne des droits de l’homme sans avoir besoin
d’en référer à une quelconque commission au préalable. Permanente, la Cour se compose d’un nombre de
juges égal à celui des États contractants (article 19 et 20 de la CEDH). Élus par l’Assemblée parlementaire
parmi trois candidats présentés par la partie contractante concernée, les juges siègent durant 9 années ou
encore, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 70 ans (article 22 et 23 de la CEDH). Bien qu’ils soient élus par les
États parties, les juges siègent à titre individuel, ils doivent aussi jouir de la plus haute considération morale et
réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant
une compétence notoire (article 21 de la CEDH). Ce processus de nomination en deux étapes (national et
européen) permet aux juges qui siègent à cette cour de bénéficier d’une légitimité démocratique tout en
conservant leur indépendance vis-à-vis leur État d’origine (Renucci, 2012, p. 947).
La Cour européenne des droits de l’homme se caractérise par l’existence de plusieurs formations telles que la
Grande Chambre ou la formation de juge unique (Renucci, 2012, p. 963). Lorsque, par le dépôt d’une requête
écrite, un recours est institué en vertu de l’article 33, la Grande Chambre est mandatée pour entendre la requête
(article 31 de la CEDH; article 45 du Règlement de la Cour). Cette chambre est composée de 17 juges dont le
président de la cour, les vice-présidents et les présidents des diverses chambres (article 26, alinéa 1 et 5 de la
CEDH). De plus, les juges présentés par chacune des parties contractantes impliquées dans le litige siègent
également en tant que membre de la Grande Chambre (article 26, alinéa 4 de la CEDH).
Dès la réception d’une requête interétatique, une copie de cette dernière est envoyée à toute autre Partie
contractante dont l’un des ressortissants est un requérant (article 44, alinéa 1 du Règlement de la Cour). La
partie contractante qui reçoit une telle communication peut décider de présenter ses observations écrites ou
alors participer à l’audience (article 44, alinéa 2 du Règlement de la Cour). Par la suite, la Grande Chambre doit
se prononcer sur la recevabilité du recours effectué en vertu de l’article 33 de la CEDH. Tout au long du litige, y
compris sur les questions d’admissibilité, les parties ont le droit d’être représentées par des agents et des
conseillers (article 35 du Règlement de la Cour). L’article 35, alinéa 1 de la CEDH énonce les deux conditions
de recevabilité applicables à une requête interétatique :
La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.
Toutefois, lorsqu’un État dénonce une situation généralisée sans que le cas ne soit relié à une victime en
particulier, ces deux conditions ne s’appliquent pas (Dijk et Arai, 2006, p. 128).
16
Une fois la requête jugée recevable, la Cour fixe les délais pour le dépôt des observations écrites sur le fond et
pour la production de preuves supplémentaires et, si les parties en font la demande, une date est fixée pour
entendre la requête sur le fond lors d’une audience (article 58 du Règlement de la Cour). Devant le tribunal,
l’affaire procède de manière contradictoire, les documents déposés sont accessibles à tous et, sauf exception,
le tout se déroule publiquement (article 38 et 40 de la CEDH; article 63 du Règlement de la Cour).
Tout au long de ce processus (recevabilité et enquête sur le fond), il est en tout temps possible de conclure un
règlement à l’amiable du litige (Renucci, 2012, p. 1018). En fait, non seulement la Cour à la possibilité de se
mettre à la disposition des parties pour parvenir à une solution qui respecte les droits de l’homme reconnus
dans la CEDH et ses protocoles, mais la Cour doit également prendre toutes les mesures appropriées pour
faciliter le règlement amiable du litige (article 39 de la CEDH; article 62 du Règlement de la Cour). Lorsqu’un
règlement à l’amiable est intervenu, la Cour raye l’affaire du rôle, produit une décision dans laquelle on retrouve
uniquement un bref exposé des faits et la solution intervenue et transmet le tout au Comité des Ministres qui se
charge de surveiller l’exécution de l’entente (article 39, alinéas 4 et 5 de la CEDH).
Dans l’éventualité où aucun règlement à l’amiable n’intervient et, après que la Cour ait procédé sur le fond, une
décision publique comprenant l’ensemble des motifs justifiant les conclusions de la Cour est rendue (article 42
et 45 de la CEDH; article 77 et 79 du Règlement de la Cour). L’arrêt de la Grande Chambre est définitif et peut
comporter les dissidences ou opinions séparées de tout juge (article 44 et 45 de la CEDH; article 74, alinéa 2
du Règlement de la Cour).
Puisqu’en vertu de l’article 46, alinéa 1 de la CEDH les parties se sont engagées à respecter les arrêts définitifs
de la Cour, les États doivent se conformer à la décision de la Grande Chambre. Néanmoins, pour s’assurer que
les États respectent cet engagement, certains mécanismes ont été introduits dans la convention. Le Comité des
Ministres joue un rôle important pour assurer l’application des arrêts de la Cour (article 46, alinéa 2 de la CEDH).
Afin de remplir son rôle efficacement, il peut, par une majorité des 2/3, demander à la Cour de se prononcer sur
toute difficulté d’interprétation de la décision (article 46, alinéa 3 de la CEDH). De plus, selon l’alinéa 4 de
l’article 46 :
Lorsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette Partie de son obligation au regard du paragraphe 1.
Dans l’éventualité où la Cour constate que l’État ne se conforme pas à sa décision, elle renvoie l’affaire au
Comité des Ministres qui peut alors examiner la prise de mesure qu’il juge appropriée. Le Comité des Ministres
a la possibilité d’adopter des résolutions dans laquelle il demande à l’État de prendre des mesures spécifiques
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telles que l’abolition d’un article de loi ou encore la mise en place d’un mécanisme judiciaire (Dijk et Arai, 2006,
p. 297). Bien que plutôt rare, le Comité des Ministres peut aller jusqu’à adopter des mesures pour faire pression
sur la partie en défaut (Renucci, 2011, p. 1073).
La Convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale
L’adoption de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (21
décembre 1965) était non seulement une réponse aux traitements inhumains dont certains groupes avaient fait
l’objet durant la Seconde Guerre mondiale ou l’époque colonialiste, mais également un message fort envoyé à
tous les États qui, encore à cette époque, exerçait une forme ou l’autre de discrimination sur leur territoire
(Diaconu, 2011, p. 17). Entrée en vigueur le 4 janvier 1969, la CEDR vise à garantir que toute personne puisse
bénéficier des mêmes droits et protections que ses concitoyens et ce, peu importe sa race, sa couleur, sa
religion, sa langue, sa nationalité, etc. (article 2 à 5 de la CEDR). Pour s’assurer que les États parties respectent
leurs engagements, différends mécanismes ont été intégrés dans cette convention. Le mécanisme de
surveillance prévue à l’article 9 de la CEDR en vertu duquel les États doivent produire un rapport faisant état
des mesures prises pour donner effet à leurs engagements est sans doute le plus connu. Néanmoins, d’autres
mécanismes dont, notamment, la procédure de plainte interétatique viennent compléter ce dispositif de
surveillance.
En vertu de l’article 11, les États signataires se voient conférer le pouvoir de dénoncer les États qui violent les
obligations contractées dans la présente convention. C’est le Comité pour l’élimination de la discrimination
raciale qui est chargé de recevoir toute plainte et de la transmettre à l’État visé. Ce Comité se compose de 18
experts élus par les États parties et qui siègent à titre individuel (article 8 de la CEDR). L’État répondant dispose
de trois mois pour soumettre des « explications ou déclarations écrites éclaircissant la question et indiquant, le
cas échéant, les mesures qui peuvent avoir été prises par ledit État pour remédier à la situation ». Si aucune
entente n’est conclue dans les 6 mois, l’une des parties impliquées peut le soumettre à nouveau au Comité qui
doit alors se prononcer sur l’admissibilité de la plainte. À cette étape, on notera que la réciprocité d’une
déclaration dans laquelle les parties acceptent la compétence du comité n’est pas une condition de recevabilité
puisque l’accès à ce mécanisme n’est pas conditionnel à une telle déclaration.
Lorsque la plainte est recevable, le mandat du Comité se limite à recueillir toutes les informations pertinentes
sur le cas en litige (article 12 alinéa 1 a) de la CEDR). Pour mener à bien sa mission, le Comité peut exiger que
les États parties lui communiquent les renseignements jugés utiles (article 11 alinéa 1 4) de la CEDR). Durant
ce processus, les États ont l’opportunité de désigner un représentant sans droit de vote pour participer aux
travaux (article 11 alinéa 1 5) de la CEDR). Toutefois, contrairement à d’autres procédures de plaintes, le Comité
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n’a pas le mandat de conduire des travaux visant à obtenir un règlement amiable entre les parties et,
conformément à l’article 12, alinéas 1 et 8, il doit se contenter de remettre les renseignements obtenus à la
Commission de conciliation ad hoc.
Cette commission est « chargée de parvenir à une solution amiable de la question, fondée sur le respect de la
présente Convention » (article 12 alinéa 1 a) de la CEDR). Pour réaliser leur mandat, les membres de la
Commission disposent des mêmes moyens que ceux octroyés sous l’égide du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques et ils peuvent également, à leur tour, demander tous renseignements complémentaires
(article 11, alinéa 8 de la CEDR). Les règles qui régissent la mise en place et le fonctionnement de cette
commission ad hoc sont prévues à l’article 12, alinéas 2 à 7 de la CEDR et sont identiques à celles prévues à
l’article 42 du PIDCP.
Lorsque la Commission de conciliation ad hoc parvient à un règlement où, en l’absence d’un règlement à
l’amiable, si elle juge qu’une telle entente est impossible, elle met fin à ses travaux et soumet un rapport au
Comité (Diaconu, 2011, p. 345). L’article 13, alinéa 1 de la CEDR indique que ce rapport doit contenir « ses
conclusions sur toutes les questions de fait relatives au litige entre les parties et renfermant les
recommandations qu’elle juge opportunes en vue de parvenir à un règlement amiable au différend ». Après
avoir reçu le rapport final, le Comité le transmet aux parties impliquées. Ces derniers disposent d’un délai de
trois mois pour indiquer s’ils acceptent ou non les recommandations contenues dans le rapport (article 13,
alinéa 2 de la CEDR). Aucune règle n’oblige expressément l’État à appliquer ces recommandations et la
procédure de plainte interétatique prévue aux articles 11 à 13 prend donc fin avec ou sans l’acceptation des
recommandations. Néanmoins, peu importe la décision des parties, le rapport est, à terme, remis à tous les
États membres (article 13, alinéa 3 de la CEDR).
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Il aura fallu près de 20 ans aux membres des Nations-Unies pour s’entendre sur le libellé du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Après l’adoption de ce protocole en date du 16 décembre 1966, dix
autres années seront nécessaires pour que cette composante de la Charte internationale des droits de l’homme
entre en vigueur (Carlson et Gisvold, 2003, p. 2). En établissant des obligations plus spécifiques et plus
contraignantes, ce protocole vient compléter les principes généraux contenus dans la Déclaration universelle
des droits de l’homme (1948). De par son contenu et son influence, ce texte est l’une des composantes
fondamentales du système de protection des droits humains (Carlson et Gisvold, 2003, p. xi). À titre d’exemple,
le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sécurité, le droit à la
protection de la vie privée ou encore le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion constituent
quelques-unes des garanties offertes par cette convention.
19
Le Comité des droits de l’homme est l’organe chargé de surveiller l’application du PIDCP et des protocoles
facultatifs. Les 18 membres qui forment ce comité sont élus par les États ayant ratifié ce protocole et doivent
tous être citoyen de l’un ou l’autre des États membres (article 28 et 29 du PIDCP). Une fois élus, les membres
du comité forment un groupe d’experts indépendants qui veille au respect des obligations enchâssées dans ce
traité. En vertu des dispositions du PIDCP, le Comité se voit confier de nombreuses responsabilités. Parmi ces
dernières, on compte celles qui lui sont dévolues dans les dispositions instaurant la procédure de plainte
interétatique.
Le mécanisme de plainte interétatique prévu à l’article 41 du PIDCP est entré en vigueur près de 3 ans après
son adoption puisque l’alinéa 2 de cette même disposition exigeait qu’un minimum de 10 États ait reconnu la
compétence du Comité pour recevoir et examiner les plaintes effectuées par d’autres États parties. Cette
constatation démontre bien que le recours au mécanisme de plainte interétatique est loin d’être automatique.
En effet, l’alinéa 1 de l’article 41 établit clairement qu’un État doit avoir présenté une déclaration dans laquelle
il confirme la compétence du comité lorsque des plaintes interétatiques le concernant sont déposées. Encore
plus, l’État plaignant doit également avoir produit une telle déclaration. Les États parties ont donc convenu
d’intégrer une obligation basée sur le principe de la réciprocité (Decaux et Martin, 2011, p. 733).
Les modalités du processus de plainte sont entièrement prévues aux articles 41 et 42 de la convention. Tout
État qui désire déposer une plainte doit le faire par écrit (article 41 (a) du PIDCP). Par la suite, dans les 3 mois
suivants la réception de cette plainte, l’État répondant doit communiquer, par écrit, avec l’État plaignant pour lui
faire part des précisions, indications ou déclarations nécessaires pour clarifier la situation ainsi que les
procédures passées ou en cours (article 41 (a) du PIDCP). Lorsque 6 mois se sont écoulés depuis l’envoi de
la plainte, les deux parties ont la possibilité de soumettre la question au Comité (article 41 alinéa b)).
L’instauration d’un tel délai vise à donner l’opportunité aux États de trouver une solution sans l’intervention d’une
tierce partie (Nowak, 2005, p. 765). Sauf dans les cas où les procédures excèdent des délais raisonnables, ce
n’est qu’après avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés que le Comité peut accepter de
considérer la plainte (article 41 c) du PIDCP). Ainsi, avant de poursuivre son mandat, le Comité doit se prononcer
sur l’admissibilité de la plainte en évaluant si toutes les conditions sont respectées. Outre le défaut d’avoir épuisé
l’ensemble des recours, l’inexistence d’une déclaration effectuée par les parties et le non-respect des délais
minimum prescrits sont des éléments pouvant entraîner l’inadmissibilité d’une plainte (Nowak, 2005, p. 768).
Bien qu’aucune disposition ne traite explicitement du devoir du Comité de régler ces questions préalables,
Manfred Nowak souligne qu’il est nécessaire que le Comité produise une décision procédurale portant sur la
recevabilité pour avoir la légitimité d’exercer le mandat qui leur est dévolu (2005, p. 768).
Le rôle du comité est énoncé à l’alinéa e) de l’article 41 du PIDCP :
20
e) Sous réserve des dispositions de l’alinéa c, le Comité met ses bons offices à la disposition des États parties intéressés, afin de parvenir à une solution amiable de la question fondée sur le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tels que les reconnaît le présent Pacte.
À cette étape, selon Nowak, le Comité est non seulement habilité à fournir ses bons offices, mais également à
participer activement à la recherche de solutions pouvant satisfaire les deux parties, y compris par le biais d’une
médiation (2005, p. 772). Pour ce faire, le Comité peut même aller jusqu’à proposer toutes solutions qui
respectent les droits garantis par le PIDCP (Nowak, 2005, p. 773). Pour accomplir efficacement le rôle qui lui
est dévolu et surtout, pour compléter le rapport exigé à l’article 41 alinéa h), le Comité doit s’assurer de prendre
connaissance des faits véritables de l’affaire (Nowak, 2005, p. 770). Implicitement, ce dernier se voit donc confier
la tâche d’effectuer un certain « fact-finding ». Pour se faire, il peut exiger que les parties lui fournissent les
renseignements pertinents (article 41 alinéa f).
L’article 41 (d) prévoit que l’ensemble de ce processus se déroule à huit clos. Ainsi, les discussions reliées à
l’admissibilité, les négociations ainsi que les séances du Comité pour examiner d’autres questions sont
confidentielles. Néanmoins, en vertu du paragraphe g), les parties peuvent se faire représenter durant
l’ensemble du processus. Les représentants des États impliqués peuvent donc intervenir afin de partager leurs
observations lors des séances du Comité.
Au maximum 12 mois après que le Comité ait reçu la soumission, un rapport doit être présenté par le Comité
lorsque la plainte a été jugée admissible (article 41 h) du PIDCP). Deux alternatives sont prévues. Dans
l’éventualité où un règlement à l’amiable survient, un rapport contenant un résumé des faits ainsi qu’une
description de la solution intervenue est rendue et la procédure de plainte est ainsi conclue (article 41 h) i) du
PIDCP). À contrario, lorsqu’aucune solution n’a pu se dégager malgré les interventions du Comité, le rapport
comprend un bref exposé des faits, les observations écrites présentées par les États ainsi que le procès-verbal
contenant les représentations orales des parties (article 41 h) ii) du PIDCP). Peu importe son contenu, le rapport
est remis aux États parties et, en l’absence de règle explicite sur le sujet, on peut croire que les États impliqués
ont la liberté de rendre public ce rapport (2011, p. 735; Nowak, 2005, p. 776).
La procédure de plainte interétatique prévue à l’article 41 du PIDCP peut donc prendre fin sans qu’un règlement
amiable ne soit trouvé et qu’aucune décision n’ait tranché le litige. Dans de tels cas, le Comité peut néanmoins
faire appel au processus prévu à l’article 42 du PIDSC. Ce dernier offre la possibilité de poursuivre la démarche
de plainte. Il est important de noter que le mécanisme établit par cette disposition ne peut être appliqué qu’avec
l’accord des deux parties (article 42 alinéa 1) a) du PIDCP). Ainsi, comme le soulignent Decaux et Martin, « la
mainmise des États concernés sur la phase de conciliation proprement dite est pratiquement totale : ce n’est
qu’avec leur consentement que le comité peut désigner la Commission de conciliation ad hoc » (2011, p. 734).
21
Après le dépôt du rapport prévu à l’article 41 h) ii) du PIDCP, le seul pouvoir du Comité est de proposer que le
processus de plainte interétatique puisse se poursuivre (Nowak, 2005, p. 781).
Dans l’éventualité où les parties déclarent qu’ils acceptent que le Comité applique le processus prévu à
l’article 42, ce dernier nomme les 5 personnes qui composeront la Commission de conciliation ad hoc. Les
conditions nécessaires pour devenir membres sont prévues à l’alinéa 2 : « Les membres de la Commission
siègent à titre individuel. Ils ne doivent être ressortissants ni des États parties intéressés, ni d’un État qui n’est
pas parti au présent Pacte, ni d’un État partie qui n’a pas fait la déclaration prévue à l’Article 41 ». Chacun des
membres doit recevoir l’assentiment des deux États impliqués (article 42 alinéa 1 b) du PIDCP). Un scrutin
secret est tenu par le Comité pour élire les membres dont la nomination n’a pu faire consensus après 3 mois
(article 42 1) b) du PIDCP).
Une fois formé et après avoir adopté un règlement intérieur, cet organe jouit d’un statut identique à celui octroyé
au Comité (Decaux et Martin, 2011, p. 734). En plus d’être en mesure d’exiger que les parties intéressées lui
fournissent tous renseignements jugés utiles, on note que la Commission de conciliation a accès aux
informations ayant été colligées par le Comité lors de ses travaux (article 42, alinéa 6 du PIDCP). Les fonctions
de la Commission de conciliation ad hoc sont essentiellement les mêmes que celles qui sont dévolues au Comité
en vertu de l’article 41 du PIDCP. La Commission doit elle aussi tenter de parvenir à une solution amiable de la
question qui respecte les garanties du présent pacte. Bien que l’article 42 du PIDCP traite de conciliation et non
de bons offices ou encore que l’alinéa 7 stipule que la question puisse être évaluée sous tous ces aspects, dans
les faits, les méthodes pouvant être utilisées par les deux organes ne diffèrent pas (Nowak, 2005, p. 784).
C’est l’article 42 7) du PIDCP qui prévoit la soumission d’un rapport dans les douze mois suivants la saisie par
la Commission de conciliation ad hoc :
7. Après avoir étudié la question sous tous ses aspects, mais en tout cas dans un délai maximum de douze mois après qu’elle en aura été saisie, la Commission soumet un rapport au Président du Comité qui le communique aux États parties intéressés :
a) Si la Commission ne peut achever l’examen de la question dans les douze mois, elle se borne à indiquer brièvement dans son rapport où elle en est de l’examen de la question;
b) Si l’on est parvenu à un règlement amiable de la question, fondé sur le respect des droits de l’homme reconnus dans le présent Pacte, la Commission se borne à indiquer brièvement dans son rapport les faits et le règlement auquel on est parvenu;
c) Si l’on n’est pas parvenu à un règlement au sens de l’alinéa b, la Commission fait figurer dans son rapport ses conclusions sur tous les points de fait relatifs à la question débattue entre les États parties intéressés ainsi que ses constatations sur les possibilités de règlement amiable de l’affaire; le rapport renferme également les observations écrites et un procès-verbal des observations orales présentées par les États parties intéressés;
22
Alors que l’alinéa b) prescrit la rédaction d’un rapport comparable à celui prévu à l’article 41 h) i) du PIDCP, les
éléments devant être intégrés dans le rapport qui est soumis en cas d’échec de la conciliation diffèrent de celui
du Comité (article 42 alinéa 7 c) du PIDCP). En effet, la Commission est autorisée à faire part de ses
constatations sur la possibilité de concilier le litige. Dans un tel cas, la force de ces constatations est quasi
inexistante puisqu`à ce stade il apparaît évident qu’après 3 étapes infructueuses pour régler le litige, les
possibilités de parvenir à une solution négociée sont faibles (Nowak, 2005, p. 785). De plus, pour Decaux et
Martin, le terme « constatation » a assurément une connotation plus faible que le terme « recommandation »
(2011, p. 735). Par conséquent, il semble plus qu’évident que les pouvoirs de la Commission ont été limités
dans l’objectif d’éviter que le processus puisse se conclure par une décision contraignante.
Au final, le rapport est divulgué aux parties et peut, selon la volonté des parties ou encore les règles internes de
la Commission de conciliation, être rendu public puisqu’aucune règle explicite ne prévoit sa confidentialité. Par
la suite, les États impliqués disposent de 3 mois pour signifier s’ils acceptent les termes du rapport (article 42 7)
d) du PIDCP). Néanmoins, dans les cas où les États signifient leur refus, aucune mesure supplémentaire n’est
explicitement prévue.
La Convention américaine relative aux droits de l’homme
Ce n’est qu’en 1969, plus de 20 ans après la création de l’Organisation des États américains que le contexte
politique permit l’adoption de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (Hennebel, 2007, p. 19).
Malgré tout, dès 1959, la Commission interaméricaine des droits de l’homme fût créée en tant que forum
intérimaire pour étudier les questions reliées aux violations des droits humains, enjeu de plus en plus important
dans les Amériques (Cerna, 1998, p. 66). Lors de l’entrée en vigueur de la CADH, le 18 juillet 1978, deux
organes furent mandatés pour veiller à l’exécution des obligations prises par les États contractants (Hennebel,
2007, p. 20). La Commission intérimaire précédemment créée devint ainsi permanente et la Cour
interaméricaine des droits de l’homme s’établit à San José au Costa Rica. Alors que ces deux organes entrent
parfois en conflit au cours des procédures de plaintes individuelles (Hennebel, 2007, p. 86), en matière de plainte
interétatique, les règles sont plus claires. En effet, un État qui décide de porter plainte devra compléter le
processus de plainte prévu aux articles 48 et 50 de la Convention avant de pouvoir intenter une procédure
devant la Cour (article 61, alinéa 2 de la CADH).
La Commission interaméricaine des droits de l’homme représente l’ensemble des pays signataires et se
compose de 7 membres élus pour 4 ans par les gouvernements des parties (article 35, 36 et 37 de la CADH).
Un État membre peut déposer une plainte devant la Commission seulement lorsqu’il a produit une déclaration
dans laquelle il reconnaît la compétence de la Commission pour examiner de tels recours et que l’État répondant
a également reconnu cette compétence de la même façon (article 45 de la CADH). Sur réception de la plainte
23
interétatique, un groupe de travail doit évaluer l’admissibilité de cette dernière en fonction des règles prévues à
l’alinéa 1 paragraphe a) à c) de l’article 46 (article 35 des Statuts de la commission américaine des droits de
l’homme) :
1. La Commission ne retient une pétition ou communication présentée conformément aux articles 44 ou 45 que sous les conditions suivantes, à savoir :
a. Que toutes les voies de recours internes aient été dûment utilisées et épuisées conformément aux principes du Droit international généralement reconnus;
b. que la pétition ou communication soit introduite dans les six mois à compter de la date à laquelle l’individu présumé lésé dans ses droits a pris connaissance de la décision définitive;
c. que l’objet de la pétition ou communication ne soit pas en cours d’examen devant une autre instance internationale […]
L’alinéa 2 de ce même article prévoit des exceptions en vertu desquelles une plainte peut tout de même être
déclarée admissible dans certaines circonstances qui sont potentiellement visées par l’alinéa 1. Puis, toujours
à l’étape de la recevabilité, la Commission doit faire une évaluation primae facie de la plainte afin de déterminer
si les faits contenus dans la requête constituent une violation des droits garantis par la CADH, qu’elle ne soit
pas dénuée de tout fondement ou encore similaire à une autre requête déjà examinée (article 47 de la CADH).
Après avoir rendu une décision sur la recevabilité d’une plainte conformément à l’article 36 des Règles de la
Commission, celle-ci communique les passages pertinents de la requête à l’État répondant et demande la
transmission des informations sur la situation en cause dans un délai raisonnable (article 48 alinéa 1 a) de la CADH).
Après avoir examiné ces renseignements, la commission peut « déclarer la pétition ou la communication irrecevable
ou non conforme aux normes », classer l’affaire ou poursuivre la procédure (article 48 alinéa 1 b) et c) de la CADH.
Lorsque la Commission décide de poursuivre le processus de plainte, elle entreprendra son examen sur le fond
(article 48 alinéa 1 d) de la CADH). Pour ce faire, la commission peut demander aux parties toutes informations
jugées pertinentes, entendre les exposés oraux des parties s’ils le demandent ou encore recevoir leurs
commentaires écrits (article 48 alinéa 1 e) de la CADH). De plus, la Commission dispose du pouvoir de conduire
une enquête à laquelle les parties doivent coopérer (article 48 alinéa 1 e) de la CADH). Si l’État concerné accepte,
cette enquête peut être conduite sur son territoire (article 48, alinéa 2 de la CADH; article 39 des Statuts de la
commission américaine des droits de l’homme).
La Commission doit également se mettre à la disposition des parties pour faciliter le règlement à l’amiable du litige
qui respecte les droits garantis par la convention interaméricaine (article 48 alinéa 1 f) de la CADH; article 40 des
Règles de la Commission). Dans l’éventualité où un tel règlement est conclu, la Commission rédige un rapport
exposant sommairement les faits de l’affaire et la solution intervenue (article 49 de la CADH). Lorsqu’aucune entente
n’est conclue, la Commission doit alors rédiger un rapport qui expose les faits du litige, les dépositions orales
effectuées par les parties, les déclarations écrites effectuées en vertu de l’article 48, alinéa 1 e) ainsi que ses
24
conclusions (article 50, alinéa 1 de la CADH). Chaque membre de la Commission peut joindre son opinion dissidente
et, au moment de soumettre le rapport aux États intéressés, la Commission dispose du pouvoir de formuler des
recommandations et propositions (article 50, alinéas 2 et 3 de la CADH). Il est important de noter qu’à ce stade, les
États n’ont pas l’obligation d’appliquer les conclusions, recommandations ou propositions soumises avec le rapport
(Cerna, 1998, p. 106). C’est l’article 51 qui prévoit les règles qui s’appliquent à la suite du dépôt du rapport. D’une
part, la Commission ou l’État répondant peut décider de transmettre l’affaire à la Cour interaméricaine des droits de
l’homme (article 51, alinéa 1 de la CADH). Il est important de préciser qu’il s’agit d’une option facultative et qu’en
aucun temps il n’a été prévu que toutes les plaintes interétatiques devaient être transmises à la Cour (Cerna, 1998,
p. 105). D’ailleurs, après l’écoulement d’un délai de 3 mois suite à la remise du rapport, la Commission, à la majorité
absolue de ses membres, dispose du pouvoir d’émettre un avis contenant ses conclusions et recommandations sur
la question soumise à examen (article 51, alinéa 1 de la CADH). Cet avis qui constitue une alternative à la procédure
devant un tribunal est publié dans le rapport annuel de l’Assemblée Générale et dès lors, a force obligatoire (Cerna,
1998, p. 105 et 106). L’État répondant doit alors se conformer à cette décision et appliquer les recommandations
demandées sous peine, à l’expiration du délai accordée, de voir la Commission adopter une décision dans laquelle
elle constate le défaut de l’État d’avoir pris les mesures exigées (article 51, alinéas 2 et 3 de la CADH).
Il est important de noter que la Cour interaméricaine des droits de l’homme ne peut entendre un litige que dans les
cas où les États ont, au préalable, produit une déclaration dans laquelle ils acceptent la juridiction de la Cour ou,
à tout le moins, conclu un accord indiquant leur acceptation pour un litige donné (article 62 de la CADH). Cette
Cour se compose de 7 juges indépendants élus pour un mandat de 6 ans par la majorité absolue des États
parties à la CADH (article 52, 53 et 54 de la CADH). Lorsqu’une plainte interétatique leur est transmise, la Cour
informe les parties qu’ils ont la possibilité de nommer un juge ad hoc pour se joindre au panel qui entendra le
litige (article 20 du Règlement de la Cour américaine des droits de l’homme). Lorsqu’elle examine une affaire,
la Cour peut tenir toutes les auditions qu’elle juge appropriées; ces dernières sont publiques (article 15, alinéa 1
du Règlement de la Cour américaine des droits de l’homme). Après avoir entendu l’affaire, le tribunal rend un
jugement motivé, contenant les dissidences s’il y a lieu (article 66 de la CADH). Les décisions du tribunal sont
finales et sans appel, elles sont notifiées aux États parties à la Convention et rendus publics (article 67 et 69 de
la CADH; article 32 du Règlement de la Cour américaine des droits de l’homme). Ces jugements sont
obligatoires et les États s’engagent à mettre en place les mesures exigées (article 68 de la CADH).
Pour s’assurer que les États appliquent les décisions rendues, il est prévu que l’État mis en cause doive
soumettre des rapports à la Cour sur les mesures qu’il prend pour se conformer à la décision et que la
Commission puisse faire part de ses observations à la Cour (article 69, alinéa 1 du Règlement de la Cour
américaine des droits de l’homme). On prévoit également que « The Court may require from other sources of
information relevant data regarding the case in order to evaluate compliance therewith. To that end, the Tribunal
25
may also request the expert opinions or reports that it considers appropriate » (article 69, alinéa 2 du Règlement
de la Cour américaine des droits de l’homme). Encore plus, l’article 69, alinéa 3 énonce que des audiences
peuvent être tenues concernant l’application des décisions de la Cour. Ainsi, la Cour dispose de plusieurs
moyens pour évaluer les efforts déployés par les États et rendre des décisions pour assurer que l’État se met
en conformité avec les décisions rendues (article 69, alinéa 4 du Règlement de la Cour américaine des droits
de l’homme).
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
Entrée en vigueur le 21 octobre 1986, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples s’inspire
fortement des conventions européennes et interaméricaines (Umozurike, 1997, p. 27). Cette charte garantit
l’ensemble des droits considérés comme étant de première génération ainsi que plusieurs droits dits de
deuxième génération (Umozurike, 1997, p. 29 et 46). Aujourd’hui, plus de 53 États ont ratifié ce texte
fondamental dans une région souvent aux prises avec de graves violations aux droits humains (Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples, 2016).
Cette charte comprend divers mécanismes qui permettent aux États membres d’entreprendre un recours contre
un autre État membre qui ne respecterait pas les obligations qu’il a contractées en vertu de ce texte. Organe
permanent visant à assurer la promotion et la protection des droits énoncés dans la CADHP, c’est à la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples que le rôle d’examiner ce type d’allégations a tout
d’abord été dévolu (Nmehielle, 2001, p.198). Cet organe est composé de 11 membres élus par la Conférence
des Chefs d’État (article 31 et 32 de la CADHP).
Toutefois, avec l’entrée en vigueur du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples
portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples qui établissait un nouveau tribunal
africain, un autre organe s’est vu attribuer des fonctions relatives à la protection des droits de l’homme contenus
dans la CADHP (Kamto, 2011, p. 1247). Aujourd’hui, les deux organes cohabitent; alors que la Commission
conserve son mandat visant la promotion des droits enchâssés dans la convention, la Cour et la Commission
sont dorénavant toutes deux chargées d’assurer la protection de ces droits (Kamto, 2011, p. 1247). Aux fins de
notre recherche, il y a donc lieu d’étudier ces deux processus de façon distincte en gardant à l’esprit que le
recours, par un État membre, à la procédure prévue dans la Charte et administrée par la Commission n’exclut
pas pour autant que ce même État plaignant puisse entamer une action devant la Cour (Kamto, 2011, p. 1248).
Encore plus, comme nous le verrons, la Commission peut, dans certains cas, référer des affaires interétatiques
à la Cour; ce tribunal constitue donc un mécanisme à la fois concurrent et complémentaire.
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Dans un premier temps, un État dispose de deux voies pour introduire une plainte contre un autre État devant
la Commission (Maikassoua, 2013, p. 26). Aucune de ces avenues ne nécessite le dépôt préalable d’une
déclaration d’acceptation; l’accès à la procédure de plainte interétatique est donc automatique (Nmehielle, 2001,
p. 198). L’article 47 de la CADHP énonce que :
Si un État partie à la présente Charte a de bonnes raisons de croire qu’un autre État également parti à cette Charte a violé les dispositions de celle-ci, il peut appeler, par communication écrite, l’attention de cet État sur la question. Cette communication sera également adressée au Secrétaire Général de l’OUA et au Président de la Commission. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la communication, l’État destinataire fera tenir à l’État qui a adressé la communication, des explications ou déclarations écrites élucidant la question, qui devront comprendre dans toute la mesure du possible, des indications sur les lois et règlements de procédure applicables ou appliqués et sur les moyens de recours, soit déjà utilisés, soit en instance, soit encore ouverts.
Cette procédure de communication-négociation n’implique pas directement la Commission puisque le tout se
déroule sans son intervention (Kamto, 2011, p. 919). Après avoir échangé des renseignements concernant
l’affaire selon les règles prévues à l’article 47 ci-dessus, les États qui choisissent cette avenue sont encouragés
à parvenir au règlement amiable du différend en recourant à toutes procédures pacifiques (article 48 de la
CADHP). Après un délai minimum de 3 mois suivant la réception de la communication par l’État répondant,
n’importe laquelle des deux parties peut décider de soumettre le tout à la Commission (article 48 de la CADHP).
Ainsi, si l’État répondant ne fait parvenir aucun renseignement ou si les négociations échouent, il est possible
de passer à l’étape de la « communication-plainte » (Kamto, 2011, p. 927).
En vertu de l’article 49 de la CADHP, les États peuvent directement présenter leur plainte devant la Commission
en envoyant une communication au président de cette dernière, au Secrétaire Général de l’OUA et à l’État
répondant. Ainsi, alors que dans d’autres conventions relatives aux droits humains adoptées à l’intérieur du
système onusien il est prévu que cette procédure de « communication-négociation » doit précéder le dépôt de
la plainte devant l’organe chargé de l’étudier, la Charte africaine intègre un processus optionnel.
Avant toute chose, la Commission doit évaluer la recevabilité de la communication en appliquant la procédure
établie à l’article 88, alinéa 1 du Règlement intérieur de la Commission et en produisant une décision motivée
(article 89 du Règlement intérieur de la Commission). Dans son évaluation, la Commission doit s’assurer que
l’ensemble des recours internes a été épuisé (article 50 de la CADHP). Dans les cas où la procédure est
introduite en vertu de l’article 47 et 48, les délais doivent avoir été respectés.
Une fois la communication jugée admissible, la Commission doit tenter de favoriser le règlement à l’amiable du
litige en établissant un contact avec les parties au litige par le biais du Bureau de la Commission (article 52 de
la CADHP; article 90, alinéa 2 du Règlement intérieur de la Commission). Ce bureau produit un rapport et des
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recommandations pour qu’un processus de règlement amiable adaptée à la situation soit entamé (article 90
alinéa 3 et 4 du Règlement intérieur de la Commission). Si une entente survient, un projet de rapport est soumis
à la Commission et, une fois le rapport adopté, la Commission en suit l’application (article 90, alinéas 5 à 7 du
Règlement intérieur de la Commission).
Lorsque les tentatives de règlement à l’amiable échouent, la Commission procède sur le fond en demandant
« aux parties de fournir, dans un délai de trente (30) jours, leurs observations écrites » et communique les
informations reçues à chacune des parties qui disposent de 30 jours pour répondre (article 91 du Règlement
intérieur de la Commission). En vertu de l’article 51 de la CADHP, la Commission peut demander tout
renseignement pertinent pour l’aider à se prononcer sur cette affaire. La Commission dispose donc d’un certain
pouvoir d’investigation afin de recueillir l’information nécessaire pour accomplir son mandat (Kamto, 2011,
p. 972). Lorsqu’elle le juge pertinent, une audience peut être tenue et les parties au litige ont alors le droit d’être
représentées devant la Commission (article 51 de la CADHP; article 91, alinéa 2 de la CADHP).
La Commission dispose d’un délai de 12 mois pour rendre sa décision à partir de la réception de la
communication reçue par l’État plaignant (article 92 du Règlement intérieur de la Commission). Sa décision doit
comporter les faits et les conclusions auxquelles elle a abouti suite à son analyse de l’affaire et elle doit être
envoyée aux États parties et à la Conférence des Chefs d’État (article 52 de la CADHP). On notera également
que, lors de la transmission du rapport à la Conférence des Chefs d’État, la Commission peut effectuer des
recommandations à cet organe (article 53 de la CADHP). Le rapport ainsi soumis ressemble presque en tout
point à une décision puisque la Commission peut interpréter des dispositions de la Charte et se prononcer sur
l’existence ou non d’une violation (Kamto, 2011, p. 988). Toutefois, sur papier la décision n’a aucune force
puisqu’elle ne vient pas trancher l’affaire définitivement. C’est la Conférence des Chefs d’État, composé des
représentants des différends membres, qui se prononce en dernier lieu; bien que cet organe ne soit pas lié par
les conclusions de la Commission, en pratique, les recommandations sont souvent consignées dans les rapports
annuels d’activités et il est peu probable que les conclusions et recommandations de ce rapport ne soient pas
adoptées (Kamto, 2011, p. 988).
Une fois le rapport adopté, aucune disposition de la Charte ne prévoit de règles concernant le suivi des mesures
ayant été décidées. Néanmoins, l’article 118 du Règlement de la Commission prévoit un processus permettant
d’assurer un suivi des décisions de la Commission :
Lorsque la Commission a pris une décision concernant une Communication soumise aux termes des Articles 48, 49 ou 55 de la Charte et estime que l’État ne s’est pas conformé ou est peu disposé à se conformer à ses recommandations eu égard à la Communication, au cours de la période énoncée à l’article 112(2), la Commission peut soumettre ladite communication à la Cour, conformément à l’article 5 (1) (a) du Protocole et en informer les parties en conséquence.
28
Ce processus fait appel à la Cour africaine qui est intégrée au système de protection des droits humains africains
depuis une dizaine d’années et est l’un des exemples où les deux organes de protection mis en place sont
complémentaires.
Au-delà de ce mandat de contrôle, le nouveau tribunal peut se voir confier d’autres compétences qui sont
susceptibles de lui permettre de jouer un rôle important lorsqu’un État intente une requête interétatique. D’une
part, en vertu de l’article 5 alinéa 1 b), les États ayant ratifié le Protocole relatif à la Charte africaine des droits
de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples peuvent
présenter leur requête devant la Cour après en avoir saisi la Commission. D’autre part, en vertu de l’article 118
du Règlement de la Commission « La Commission peut saisir la Cour à tout moment de l’examen d’une
communication, si elle le juge nécessaire. »
Dans les cas où un État décide d’introduire une requête contre un autre État devant la Cour Africaine, il doit
donc, au préalable en avoir saisi la Commission. Selon certains auteurs, une fois cette condition respectée,
l’État peut intenter une procédure devant le tribunal africain malgré le fait que la procédure devant la Commission
soit toujours en cours (Kamto, 2011, p. 1272). On notera même que, lorsqu’un ressortissant d’un État est victime
d’une violation des droits humains, l’État peut se plaindre directement à la Cour sans passer par la Commission
(article 5 alinéa 1 d) du Protocole). Il y a donc lieu de présenter brièvement les règles applicables à ce processus
de plainte.
La Cour africaine est composée de « onze juges, ressortissants des États membres de l’OUA, élus à titre
personnel parmi des juristes jouissant d’une très haute autorité morale, d’une compétence et expérience
juridique, judiciaire ou académique reconnue dans le domaine des Droits de l’Homme et des Peuples. »
(Article 11 du Protocole.) Chaque État partie peut présenter des candidats et ces derniers sont élus pour un
mandat de 6 ans au scrutin secret (articles 12, 14 et 15 du Protocole). Ces derniers doivent exercer leur mandat
de façon indépendante et impartiale (article 17 du Protocole).
Pour toute requête étatique, une fois la recevabilité de celle-ci établie en vertu des critères énoncés dans la
Charte, la Cour africaine peut tenter de régler le litige à l’amiable (article 6 et 9 du Protocole). Lors d’une tentative
de règlement à l’amiable, les dispositions prévues dans la Charte sont applicables (article 9 du Protocole). Sauf
exception, la Cour tient une audience publique au cours de laquelle chaque partie a le droit d’être représentée
et d’appeler des témoins à se présenter au tribunal (article 10 du Protocole). La Cour entend toute affaire de
manière contradictoire et peut, si nécessaire, procéder à une enquête (article 26 du Protocole). Les décisions
de la Cour sont motivées et elles sont fondées sur les preuves recueillies par ces moyens (article 26 et 28 du
Protocole). Lorsque la majorité estime qu’il y a eu violation des droits de l’homme, « la Cour ordonne toutes les
mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi
29
d’une réparation. » (Article 27 du Protocole.) Au final, contrairement au rapport de la Commission, les décisions
de la Cour sont obligatoires puisque les parties s’engagent à s’y conformer et à assurer l’exécution de la décision
(article 30 du Protocole). Pour terminer, on notera que le Protocole ne prévoit pas de mécanisme élaboré pour
contrôler l’application des décisions. En fait, ce protocole se limite à indiquer que le Conseil des Ministres est
responsable de l’exécution des décisions sans plus de précision. Néanmoins, la Cour peut jouer un certain rôle
dans l’exécution des jugements puisqu’elle traite des cas où un État n’a pas exécuté ses obligations dans ses
rapports annuels (article 31 du Protocole).
La Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants
Les travaux visant la rédaction d’une convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ont débuté en 1977 suite à un vote de l’Assemblée générale des Nations-Unies
(Burgers et Danelius, 1988, p. 31). Bien qu’une première version ait été déposée par la Suède dès 1978, les
travaux se poursuivirent durant plusieurs années vu la difficulté de parvenir à un compromis sur les mesures de
surveillances et le principe d’une juridiction universelle (Egan, 2011, p.97). Après que l’Assemblée générale ait
adopté le texte final en 1984, la CCT est entrée en vigueur le 26 juin 1987 (Egan, 2011, p.97). La CCT met en
place des mesures visant à renforcer l’interdiction de la torture lorsque celle-ci se déroule sous une forme ou
l’autre de contrôle gouvernemental (Burgers et Danelius, 1988, p. 1). Pour atteindre ses objectifs, la CCT est
divisée en trois parties; la première section comporte les normes substantives. Dans la deuxième partie, on
retrouve les dispositions qui assurent l’application du traité en établissant différents mécanismes de supervision
alors que la troisième partie contient les clauses finales relatives à la ratification, aux amendements ou encore
aux dénonciations. La procédure de plainte interétatique est une composante de la deuxième partie. En vertu
de ce mécanisme, un État membre peut envisager le dépôt d’une plainte contre un autre État membre lorsque
ce dernier viole l’une des normes énoncées dans cette convention ou qu’il ne respecte pas une procédure
prévue à cette convention. Puisque le processus de plainte est somme toute assez similaire à celui que l’on
retrouve dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nous traiterons principalement des
différences qui existent entre ces deux mécanismes.
Lorsque le Comité contre la torture (composé de 10 experts élus pour 4 ans) se prononce sur l’admissibilité de
la plainte, il s’assure que la partie plaignante et la partie répondante ont effectué une déclaration conforme, que
les délais prévus aux articles 21 alinéa 1 a) et b) de la CCT sont respectées et que les recours internes ont été
épuisés. Toutefois, l’alinéa c) de l’article 21 prévoit une exception dont l’État plaignant peut se prévaloir au stade
de l’admissibilité (article 97 du règlement interne). Sans égard au principe de l’épuisement des recours, cette
exception permet à l’État plaignant d’effectuer une plainte lorsqu’il est peu probable que le recours interne donne
satisfaction à la victime.
30
Le Comité contre la torture met ses ressources à la disposition des parties afin de trouver un règlement amiable
du différend (article 21 e) de la CCT). La médiation constitue un moyen privilégié par lequel le Comité peut
parvenir à élaborer une solution qui respecte les obligations de la présente convention (Nowak, 2008, p. 716).
Pour l’aider à accomplir sa mission, le Comité peut mettre en place une commission de conciliation ad hoc
(article 21 e) de la CCT). À la différence du PIDCP, l’assentiment des parties impliquées dans le litige n’est pas
requis et cette commission ad hoc peut être mise en place dès que la plainte est jugée admissible (Nowak,
2008, p. 712). Encore plus, puisqu’aucune procédure n’établit clairement le fonctionnement de cette commission
de conciliation, il revient au Comité de déterminer les modalités applicables (Nowak, 2008, p. 713).
Pour réaliser son mandat, le libellé des paragraphes d), f) et g) de l’article 21 nous indiquent que le Comité
contre la torture dispose des mêmes pouvoirs et est soumis aux mêmes obligations que le Comité des droits
civils et politiques (confidentialité, demande d’information, représentations). À terme, il doit produire un rapport
dont le contenu dépendra des résultats obtenus dans le cadre de son mandat. Si le Comité ou la Commission
de conciliation ad hoc parviennent à amener les parties à régler leur différend à l’amiable, le rapport présente
un bref exposé des faits et la solution ainsi intervenue (article 21, alinéa 1 h) i) de la CCT). Sinon, le comité
produit un rapport qui se limite à un bref exposé des faits ainsi qu’aux observations et orales et écrites
présentées par les parties lors des séances (article 21, alinéa 1 h) ii) de la CCT). Ainsi, pour produire son rapport,
le Comité doit avoir effectué un minimum d’enquêtes par le biais de demandes d’informations aux parties
(Nowak, 2008, p. 716). Bien qu’en aucun temps ce rapport final ne puisse contenir des conclusions concernant
le bien-fondé de la plainte, l’exposé des faits contient, de par sa nature, une certaine évaluation des pratiques
en causes (Nowak, 2008, p. 716).
La Convention internationale pour la protection de toutes les
personnes contre les disparitions forcées
Au cours des années 1990 et au début des années 2000, plusieurs groupes de travail furent mandatés par
l’Assemblée générale des Nations-Unies pour élaborer et rédiger une convention touchant à la problématique
des disparitions forcées (Ott, 2011, p. 190). Ces efforts ont conduit à l’adoption de la Convention internationale
pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées en date du 29 juin 2006. Bâti sur un
modèle similaire à la Convention sur la torture, ce traité vise à empêcher que les autorités étatiques ou que des
groupes supportés par ces derniers procèdent à des arrestations en niant, par la suite, qu’ils sont impliqués
dans cette privation de liberté (Vermeulen, 2012, p. 1).
Comme la majorité des conventions internationales de droits humains adoptées sous l’égide des organes
onusiens, ce traité met également en place une procédure de plainte interétatique. Plus spécifiquement, c’est
l’article 32 de la CDF qui énonce les règles applicables à ce type de plainte. Cette disposition stipule que les
31
plaintes doivent être envoyées au Comité des disparitions forcées sur lequel siègent dix experts ayant été élus
par les parties pour une durée de 4 ans. Ce sont ces experts qui, en premier lieu, doivent statuer sur
l’admissibilité de ce recours. Alors que l’article 32 exige que l’État plaignant et l’État répondant aient tous deux
produit une déclaration dans laquelle ils reconnaissent la compétence du Comité pour entendre toutes plaintes
interétatiques, l’épuisement des recours internes ne constitue pas une condition explicite d’admissibilité pour
avoir accès à cette procédure. Une fois la plainte déclarée admissible, le Comité tente de parvenir à un
règlement à l’amiable du différend en mettant « ses bons offices à la disposition des États parties intéressés »
(article 85 du Règlement intérieur). De façon similaire au processus ayant cours en vertu du PIDCP, le Comité
peut utiliser différends moyens afin de favoriser un rapprochement entre les parties. Toutefois, en aucun temps
il n’est spécifié que le comité dispose du pouvoir de mettre en place une commission de conciliation ad hoc.
Pour faciliter sa tâche, le comité peut demander aux parties de lui fournir tout renseignement qu’il juge pertinent
(article 86 du Règlement intérieur).
Dans tous les cas, peu importe la manière dont les membres du comité choisissent de conduire le processus
de plainte, le comité peut, s’il le désire, produire un rapport final (article 87, alinéa 1 du Règlement intérieur). Ce
rapport optionnel peut alors prendre deux formes selon le résultat obtenu par le Comité dans le cadre de ses
travaux. Lorsqu’« une solution a pu être trouvée conformément aux dispositions de l’article 85 du présent
règlement, le Comité se limite, dans son rapport, à un bref exposé des faits et de la solution »; dans le cas
contraire, « le Comité expose dans son rapport les faits pertinents concernant l’objet du différend entre les États
parties intéressés » (article 87, alinéa 2 du Règlement intérieur). En l’absence d’entente, il doit également
joindre les observations écrites ayant été présentées par les parties au cours des travaux réalisés pour parvenir
à un règlement amiable (article 87, alinéa 2 du Règlement intérieur). Finalement, on notera que, dans ce rapport,
le Comité a l’opportunité de « communiquer aux États parties intéressés seulement les vues qu’il peut considérer
comme pertinentes dans l’affaire » (article 87, alinéa 2 du Règlement intérieur).
Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels
Le 16 décembre 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) a été
adopté à l’unanimité par les États membres de l’Assemblée générale des Nations-Unies (Baderin et
McCorquodale, 2007, p. 3). Néanmoins, il aura fallu attendre près de dix ans pour que ce traité entre en vigueur
(3 janvier 1976). Avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Déclaration universelle des
droits humains, il est une composante de la Charte internationale des droits de l’homme (Craven, 1998, p.7). À
la différence du PIDCP, ce pacte vise à garantir les droits humains dits de « seconde génération », c’est-à-dire
ceux qui ont émergé vers la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle et qui découlent des idéaux socialistes
(Craven, 1998, p.7). Des garanties telles que le droit à la sécurité sociale, le droit à l’éducation, le droit au travail
32
ou encore le droit de participer à la vie culturelle sont ainsi incluses dans cette convention (article 6 et ss. du
PIDESC). Contrairement à plusieurs conventions ayant été adoptées dans les mêmes années que le PIDESC,
ce dernier ne comportait aucun mécanisme de plainte individuelle ou interétatique. Plusieurs décennies seront
nécessaires pour que les droits économiques sociaux et culturels puissent bénéficier d’une procédure de
protection plus efficace et, au final, assez similaire à celles que l’on retrouve dans d’autres conventions
internationales qui garantissent certains droits civils et politiques (Institut interaméricain des droits de l’homme,
2010, p. 12 et 18). C’est le 10 décembre 2008, avec l’adoption par l’Assemblée générale des Nations-Unies du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels que
l’on remédia à cette situation. Lors de son entrée en vigueur, le 5 mai 2013, trois nouvelles procédures
internationales visant la protection des droits économiques, sociaux et culturels devinrent accessibles (Institut
interaméricain des droits de l’homme, 2010, p. 16). Parmi ces dernières, on retrouve la procédure de plainte
interétatique.
Puisqu’elle a été adoptée récemment, la procédure de plainte interétatique intégrée dans le protocole facultatif
du PIDESC aurait pu intégrer certaines nouveautés en tirant certaines leçons du fonctionnement des
mécanismes de plainte préexistants. Toutefois :
La réglementation de la procédure de communications dans l’article 10 du PF-PIDESC s’inspire des articles 41 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 21 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et n’apporte pas de modifications majeures. (Institut interaméricain des droits de l’homme, 2010, p. 94)
Tout comme ses prédécesseurs, il s’agit donc essentiellement d’une procédure visant à favoriser le règlement
amiable des différends.
C’est l’article 10 du Protocole facultatif du PIDESC qui intègre le mécanisme de plainte interétatique. L’alinéa 1)
indique qu’une plainte peut uniquement être déposée contre un État qui a produit une déclaration dans laquelle
il reconnaît que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels peut entendre de telles plaintes (une
telle déclaration doit être réciproque). Ce Comité se compose de 18 experts indépendants qui sont élus par les
États membres pour une durée de 4 ans. Les alinéas a) et b) de l’article 10 du Protocole facultatif du PIDESC
énoncent le processus et les délais devant être respectés par les États lors du dépôt de la plainte interétatique.
Cette procédure est similaire à celle que l’on retrouve aux alinéas a) et b) de l’article 41 du PIDCP.
Après avoir statué sur l’admissibilité de la plainte en fonction des critères énoncés à la disposition 42 des Règles
de procédures du protocole facultatif du PIDESC, le Comité doit mettre ses bons offices à la disposition des
parties pour faciliter le règlement amiable du différend (article 10 alinéa d) du protocole facultatif du PIDESC).
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels est investi d’un mandat identique à celui du Comité des
33
droits civils et politiques. Ainsi, le Comité peut prendre tout moyen pour faciliter le règlement du différend
(Nowak, 2005, p. 772). De plus, le Comité doit conduire certaines enquêtes pour évaluer les faits et il peut aller
jusqu’à mettre en place l’infrastructure nécessaire au déroulement d’un processus de conciliation (article 43 des
Règles de procédures du protocole facultatif du PIDESC). Toutefois, à la différence du PIDCP, les modalités
applicables au processus de conciliation ne sont pas prévues.
Lors des rencontres qu’il tient à huit clos, le Comité examine les communications des parties, demande des
informations supplémentaires lorsque nécessaire et prend connaissance des représentations orales et écrites
que font les parties par l’intermédiaire de leurs représentants (article 10 alinéa e), f) et g) du protocole facultatif
du PIDESC). À terme, le Comité doit rendre un rapport dont le contenu varie en fonction des résultats obtenus
à la suite du déroulement du processus de plainte. Lorsqu’un règlement est intervenu, le rapport présente
brièvement les faits en litige et la solution trouvée. Dans le cas contraire, les faits et les soumissions des parties
sont inclus. De plus, le Comité peut également communiquer aux parties toutes vues qu’il considère comme
pertinentes.
Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de
l’enfant établissant une procédure de présentation de
communication.
Bien que les conventions adoptées au sein du système onusien protègent les droits fondamentaux de tous les
êtres humains indépendamment de leur âge, les États membres ont jugé qu’il était nécessaire d’adopter une
convention visant spécifiquement la protection des personnes âgées de moins de 18 ans. Adoptée par
l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1989, la Convention relative aux droits de l’enfant garantit le respect
d’un éventail de droits humains qui affecte plus spécifiquement les mineurs (Collection des traités des Nations
unies, 2016).
Pour veiller à ce que les États signataires respectent les obligations qu’ils ont contractées, l’article 43 de cette
convention crée le Comité des droits de l’enfant. Plus récemment, avec l’entrée en vigueur du Protocole facultatif
à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communication, ce
comité s’est vu attribuer de nouveaux mandats. Adopté en 2011 et entrée en vigueur le 14 avril 2014, ce
protocole facultatif vient, entre autres, intégrer un mécanisme de plainte pour les victimes ainsi que pour les
États. C’est l’article 12 de ce protocole facultatif qui énonce les modalités s’appliquant à la procédure
interétatique. Bien que moins détaillées que la plupart des procédures similaires adoptées dans le cadre des
Nations-Unies, on constate néanmoins bon nombre de similarités entre ces dernières et le processus énoncé
dans ce protocole. L’article 12 alinéa 1 et 2 de ce protocole facultatif à la CDE indique que :
34
Tout État partie au présent Protocole peut déclarer à tout moment qu’il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications dans lesquelles un État partie affirme qu’un autre État partie ne s’acquitte pas de ses obligations au titre de l’un quelconque des instruments suivants auquel l’État est parti : a) La Convention; b) Le Protocole facultatif à la Convention, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants; c) Le Protocole facultatif à la Convention, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés.
Le Comité ne reçoit aucune communication visant un État partie qui n’a pas fait une telle déclaration ou émanant d’un État partie qui n’a pas fait une telle déclaration.
À la différence de beaucoup d’autres procédures de plainte interétatique intégrées dans les conventions
onusiennes, le dépôt d’une déclaration d’acceptation par chacune des parties est la seule condition
d’admissibilité explicitement requise. Après avoir statué sur l’admissibilité de la plainte, les 18 membres du
Comité des droits de l’enfant qui sont élus pour 4 ans tiennent des rencontres avec les parties en privé pour
parvenir à un règlement amiable du différend qui respecte les obligations de la présente convention (articles 46
et 47, alinéa 1 du Règlement intérieur au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant
établissant une procédure de présentation de communications). À cette étape, le Comité peut mettre en place
une commission de conciliation ad hoc s’il le juge nécessaire (article 47, alinéa 2 du Règlement intérieur). Pour
mener à bien son mandat, le Comité peut demander au Secrétaire général de transmettre une requête aux
parties dans laquelle il exige que certaines informations pertinentes lui soient divulguées (article 48 du
Règlement intérieur). Lors de ces séances, les parties ont l’opportunité de faire valoir leur point de vue en
présentant toutes observations dans les délais fixés (article 48 du Règlement intérieur).
Au final, l’article 49 du Règlement intérieur énonce que le Comité peut adopter un rapport. Le libellé de cette
disposition étable clairement que le dépôt d’un rapport au terme de ce processus est facultatif. D’ailleurs, le
protocole lui-même n’indique pas que le Comité s’est vu confier cette possibilité. Dans l’éventualité où le Comité
décide d’aller de l’avant avec le dépôt d’un rapport final, il doit respecter les conditions énoncées à l’article 49,
alinéa 2) du Règlement intérieur :
Si une solution a pu être trouvée conformément aux dispositions de l’article 47 du présent règlement, le Comité se limite, dans son rapport, à un bref exposé des faits et de la solution; si une solution n’a pas pu être trouvée conformément aux dispositions de l’article 47 du présent règlement, le Comité expose dans son rapport les faits pertinents concernant l’objet du différend entre les États parties concernés. Le texte des observations écrites présentées par les États parties concernés est joint au rapport.
L’alinéa 3 du même article va encore plus loin en stipulant que « le Comité peut également communiquer aux
États parties concernés seulement les vues qu’il peut considérer comme pertinentes dans l’affaire ».
35
* * *
En résumant les différents processus de plainte interétatique, nous avons fait ressortir les caractéristiques
propres à chacun de ces mécanismes. Ces données sont essentielles pour nous permettre de déterminer le
degré de judiciarité de ces diverses procédures. Pour ce faire, nous accorderons une importance particulière à
certaines de ces caractéristiques en fonction des critères que nous établirons dans le chapitre suivant. Puisqu’il
peut s’avérer difficile de retrouver les informations pertinentes dans chacun de ces résumés, l’annexe 1 propose
un tableau récapitulatif dans lequel les particularités de ces procédures interétatiques sont mises de l’avant.
Pour chacune des conventions traitées ci-dessus, nous présenterons les règles qui sont applicables en date
d’aujourd’hui. Ce tableau facilitera la réalisation des analyses que nous entreprendrons tout en servant de
référence aux lecteurs.
36
Chapitre 2 : Le degré de judiciarité des procédures
de plainte interétatique
Bien que notre étude démontre que plusieurs mécanismes de plainte interétatique intégrés dans les conventions
visant la protection des droits humains partagent certaines caractéristiques communes, il existe de fortes
disparités entre ces procédures. Avant même de procéder à toute analyse approfondie, il est aisé de constater
que certains mécanismes mettent en place des processus permanents plus détaillés et plus contraignants alors
que d’autres n’intègrent qu’une procédure visant à ouvrir la voie à un règlement à l’amiable. Pour répondre à
notre questionnement concernant l’impact de ce facteur sur la fréquence d’utilisation des différents mécanismes
de plainte interétatique, il est tout d’abord nécessaire de procéder à une analyse systématique de certaines
caractéristiques choisies afin de classer ces procédures en fonction de leur caractère plus politique ou juridique.
Cadre théorique
Dans le cadre de notre mémoire, nous adopterons un modèle basé sur le concept de « légalization » développé
par Abbott, Keohane, Moravcsik, Slaughter et Snidal (2000) ainsi que sur les travaux de Smith (2000) qui a
adopté une approche compatible et complémentaire avec ce concept dans le cadre de ses travaux sur les
mécanismes de règlement des différends contenus dans les accords commerciaux internationaux. Dans l’article
Concept of Legalization, Abbott, Keohane, Moravcsik, Slaughter et Snidal indiquent que ce concept « refers to
a particular set of characteristics that institutions may (or may not) possess » (2000, p. 401). Loin du sens
juridique traditionnel donné à cette expression, Keohane, Moravcsik et Slaughter considèrent que la
« légalization » est une forme d’institutionnalisation définie par trois dimensions : obligation, précision et
délégation (2000, p.458). Il y a obligation lorsqu’un État est tenu légalement de respecter et de se soumettre à
certaines règles et procédures (Abbott, Keohane, Moravcsik, Slaughter et Snidal, 2000, p. 401). La précision
réfère à l’existence de règles et procédures détaillées et sans ambiguïtés (2000, p. 401). Finalement, il y a
délégation lorsque des tiers se voient confier le mandat d’interpréter et d’appliquer des règles ou encore de
résoudre des différends (2000, p. 401). Chacune de ces dimensions comporte différends degrés et, pour chaque
analyse, le niveau d’obligation, de précision et de délégation doit être situé sur un spectre allant de faible à
élever (2000, p. 404). Selon cette théorie, il y a un haut degré d’obligation, de précision et de délégation en
présence de règles ou procédures contraignantes, hautement élaborées et soumises à un contrôle judiciaire
(2000, p. 404). Au contraire, les règles ou procédures non contraignantes, vagues et diplomatiques seront
considérées comme peu judiciarisées (2000, p. 404). Puisque l’intensité de ces trois composantes varie de
manière indépendante l’une de l’autre et qu’il existe plusieurs niveaux pour chaque dimension entre ces deux
extrêmes, la « legalization » peut prendre plusieurs formes (2000, p. 406).
37
Aux fins de notre étude portant sur les mécanismes de règlement des différends interétatiques contenus dans
les conventions internationales relatives aux droits de l’homme, c’est la délégation qui présente un intérêt tout
particulier. Selon la théorie élaborée dans l’article Concept of Legalization, le spectre de la délégation va de la
procédure diplomatique qui indique une faible « legalization » à la procédure judiciaire contraignante qui est
caractéristique d’un degré plus élevé de « legalization » (2000, p. 404). Pour référer à ce concept de « level
of legalization », nous n’avons pu identifier un terme français équivalent pour qualifier la nature des mécanismes
étudiés en fonction de leur caractère judiciarisé ou non. Afin d’éviter toute confusion, nous avons opté pour
l’utilisation d’un nouveau terme : « degré de judiciarité ». Bien qu’imparfait, nous considérons que le terme
« judiciarité » réfère au fait d’être juridique. Ainsi, l’expression « degré de judiciarité » sera employée pour
caractériser le niveau occupé par une procédure sur le spectre de la « legalization ».
Dans l’article Legalized Dispute Resolution : Interstate and Transnational, Keohane, Moravcsik et Slaughter
établissent que la délégation comporte trois dimensions : l’indépendance, l’accès et le contrôle de l’application
des jugements (2000, p. 458). Puisque ces trois composantes influencent chacune le degré de judiciarité d’une
procédure de règlement des différends, une analyse plus détaillée s’impose.
Tout d’abord, la variable de l’indépendance mesure « the extent to which adjudicators for an international
authority charged with dispute resolution are able to deliberate and reach legal judgments independently of
national governments» (Keohane, Moravcsik et Slaughter, 2000, p. 460). Pour déterminer le niveau
d’indépendance des décideurs, le mode de sélection, le niveau de discrétion et les ressources financières et
matérielles mis à leur disposition sont des critères à prendre en compte (2000, p. 460). L’analyse du processus
de nomination, de la durée des mandats et des qualifications requises pour exercer la fonction permettent de
caractériser le mode de sélection des décideurs (2000, p. 460). Ce critère est considéré comme étant le plus
important puisqu’il est déterminant sur le niveau d’indépendance d’un décideur ou d’un organe (2000, p. 460).
En effet, dès lors qu’un décideur est nommé par son gouvernement et qu’il doit s’y rapporter pour rendre des
comptes, les ressources lui étant allouées et son niveau de discrétion légale ne sont pas suffisants pour lui
conférer une véritable indépendance. Pour Keohane, Moravcsik et Slaughter, un processus électoral autonome
et démocratique conduisant à l’élection de juges avec de longs mandats indique un degré d’indépendance plus
élevé alors que la nomination d’un représentant direct par un État conduit à la conclusion inverse (2000, p. 461).
Au milieu de ces extrêmes, ils considèrent que la nomination de décideurs sur un comité ou un tribunal ad hoc
par les parties au litige indique un degré d’indépendance modéré (2000, p. 461).
L’accès constitue la deuxième dimension étudiée par Keohane, Moravcsik et Slaughter (2000, p. 462). D’une
perspective légale, l’accès réfère aux acteurs qui sont autorisés à intenter un recours devant un organe donné
alors que, d’une perspective politique, l’accès réfère plutôt au contrôle exercé par certains acteurs sur le
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processus de règlement du différend (2000, p. 462). En vertu de ces deux aspects, la nature des acteurs ainsi
que la possibilité qu’ont les partis au litige de contrôler l’accès à un mécanisme sont des caractéristiques
fondamentales qui déterminent le degré d’accès offert par une procédure de règlement des différends. Selon le
modèle proposé, le degré d’accès à une telle procédure peut être faible, élevé ou encore se situer au milieu de
ce spectre. Les procédures nécessitant l’accord des deux parties au litige pour être recevables sont considérées
comme ayant un faible accès alors que les mécanismes autorisant un État à déposer une plainte sans l’accord
préalable de l’État répondant sont vus comme offrant un accès modéré (2000, p. 462). L’accès aux procédures
autorisant le dépôt de plainte individuelle ou une saisie par le biais des cours nationales est élevé (2000, p. 462).
Finalement, le contrôle relatif à l’application des jugements est une variable qui réfère au processus mis en
place pour assurer le respect des décisions prises par un organe de règlement des différends (2000, p. 462). À
l’international, l’application des jugements, y compris ceux rendus par des organes judiciaires indépendants,
peut se révéler problématique étant donné la difficulté de contraindre les États à respecter ces derniers. En
pratique, bien que la plupart des mécanismes de règlements des différends internationaux mettent en place
différends systèmes plus ou moins contraignants visant à assurer l’exécution des décisions, peu d’États sont
véritablement enclin à intégrer des mécanismes légaux domestiques susceptibles de les contraindre à l’interne
(2000, p. 462). Selon le modèle proposé par Keohane, Moravcsik et Slaughter, le contrôle des décisions est
faible lorsque les États peuvent apposer leur veto pour se soustraire à leurs obligations. Dans les cas où les
États ne disposent pas de ce veto, mais qu’il n’existe aucun mécanisme domestique d’exécution des décisions,
le contrôle est modéré. Un contrôle élevé sera constaté lorsque des décisions internationales peuvent être
appliquées à l’interne par le système judiciaire national.
De façon contemporaine à ces travaux, James McCall Smith a développé son propre modèle pour classer les
mécanismes de règlements des différends contenus dans les accords commerciaux régionaux en fonction du
degré de judiciarité de chacun. En ce qui concerne le spectre à l’intérieur duquel il est possible de classer ces
mécanismes, Smith retient que :
Discussions of dispute settlement in international and comparative law texts present the universe of institutional options as a standard set that ranges from direct negotiation at one extreme to third-party adjudication at the other. (2000, p. 139)
Par la suite, le chercheur a établi cinq critères lui permettant d’établir à quel niveau une procédure de règlement
des différends se situe sur ce spectre. Le premier critère aborde la question du contrôle qui est exercé sur le
processus de plainte. Selon Smith, certains mécanismes requièrent l’approbation de toutes les parties pour
qu’une plainte soit déclarée recevable alors que d’autres requièrent que l’ensemble des États membres se
prononce sur l’admissibilité d’un recours (2000, p. 139). Lorsque l’État répondant peut contrôler l’accès au
mécanisme ou encore qu’un organe politique peut rejeter ou approuver l’ensemble des plaintes soumises, ces
39
constatations militent en faveur de la conclusion que la procédure de règlement des différends tend vers la
diplomatie plutôt que vers le juridisme (2000, p. 140). Les procédures comportant un accès automatique sont
quant à elles considérées comme étant plus judiciarisées.
Dans un deuxième temps, le statut international et la force des décisions rendues par une tierce partie suite au
processus de règlement des différends doivent être considérés. Dans le cadre de certaines conventions, la
procédure conduit à une décision dont les parties au litige ont l’obligation légale d’en appliquer les conclusions
(2000, p. 140.) D’autres traités prévoient plutôt l’adoption de rapports contenant des conclusions sous forme de
recommandations aux États parties (2000, p. 140.) Smith note également que d’autres conventions « give legal
force to arbitral rulings only after they have been officially adopted, and perhaps substantially revised, by political
representatives of the member governments acting through one of the pact's governing institutions » (2000,
p. 140.) Au final, les décisions qui font naître des obligations légales comportent un degré de judiciarité plus
élevé que celles soumises à un contrôle politique. Évidemment, les processus qui aboutissent à l’élaboration de
recommandations ne contraignent pas juridiquement les États en droit international et, par conséquent, se
rapprochent des mécanismes plus politiques.
La troisième variable prise en compte par Smith se rapporte au type d’organe mis en place pour entendre les
différends. La méthode de sélection des juges ou arbitres, les termes de leur mandat ou encore leur nombre
sont des caractéristiques qui affectent l’influence des parties sur le processus de plainte :
What varies is the extent to which disputants are able to angle strategically for sympathetic or biased judges. With a standing tribunal, the parties have little if any influence over the composition of the court after its initial establishment. With arbitrators selected ad hoc by the disputants, however, each party may be free to name nearly half the panel. (2000, p. 140)
Lorsque les parties jouent un rôle prépondérant ou direct dans la composition de cet organe, la procédure est
tributaire des aléas politiques et diplomatiques alors que les décideurs élus démocratiquement au sein d’un
tribunal permanent et autonome pour un mandat déterminé ont un devoir d’impartialité et, au fil du temps, leurs
décisions sont susceptibles de faire jurisprudence. Dans cette dernière situation, le côté légal de la procédure
sera plus prononcé et se rapprochera de l’extrémité droite du spectre.
Le type d’acteur étant autorisé à utiliser une procédure donne également un indice sur le caractère du
mécanisme de règlement des différends. Dans la majorité des conventions, ce sont uniquement les États qui
jouissent du statut nécessaire pour entamer des procédures. Néanmoins, de plus en plus de traités permettent
aux individus, firmes ou organisations d’avoir accès au processus de plainte lorsqu’ils ont un intérêt à faire valoir
(2000, p. 141). Selon Smith, plus il existe d’acteurs au statut divers autorisés à déposer une plainte, plus la
procédure est judiciarisée (2000, p. 141). Cette conclusion s’explique par le fait que la mise en œuvre efficiente
40
du traité est assurée par une grande variété d’acteurs moins politisés que les États et plus enclins à faire
respecter les règles établies (2000, p. 141).
Finalement, le contrôle exercé pour assurer l’exécution des décisions est un critère qui influence le degré de
judiciarité d’un mécanisme de règlement des différends. À l’extrémité plus juridique du spectre, on retrouve les
décisions qui sont directement applicables en droit interne (2000, p. 141). Dans ces cas, les cours nationales
ont l’obligation d’appliquer les décisions rendues par le mécanisme international sur requête de l’État ou de
l’individu ayant eu gain de cause (2000, p. 141). Peu de mécanismes de règlement des différends contiennent
de telles dispositions; la plupart prévoient plutôt la possibilité pour les États membres à la convention d’adopter
des sanctions en cas de non-respect ou n’intègrent tout simplement pas de procédure visant à assurer
l’application effective des décisions rendues (2000, p. 141). L’absence de surveillance post-décisionnelle donne
toute la latitude voulue aux États pour se défiler alors que la nécessité de faire adopter des sanctions ouvre la
porte aux jeux politiques.
Puisqu’ils établissent un cadre général et des critères concrets permettant d’évaluer le degré de judiciarité d’une
procédure, norme ou convention donnée, les travaux de Smith ainsi que ceux de Abbott, Keohane, Moravcsik,
Slaughter, et Snidal constituent la base sur laquelle repose notre modèle.
Notre modèle
Les travaux réalisés par ces chercheurs démontrent que les procédures de plainte interétatique peuvent être
classées sur un spectre allant de la procédure diplomatique à la procédure judiciaire. La position d’une
procédure interétatique sur une telle interface est influencée par un ensemble de variables prédéterminées.
Concrètement, chaque variable est évaluée indépendamment et le degré de judiciarité de la procédure
interétatique déprend du résultat obtenu après avoir regroupé l’ensemble de ces dimensions. En vertu du
modèle de Abbott, Keohane, Moravcsik, Slaughter, et Snidal, étant donné la prise en compte de trois grandes
dimensions pouvant chacune être caractérisées par un degré faible, modéré ou élevé de légalisme, il existe huit
possibilités pour qualifier le degré de légalisme d’une procédure (2000, p. 406). Pour Smith, une telle évaluation
peut conduire aux conclusions suivantes : la procédure n’est aucunement judiciarisée elle est faiblement
judiciarisée, elle est modérément judiciarisée, elle a un degré élevé de judiciarité ou, finalement, elle a un degré
très élevé de judiciarité (2000, p. 156). Au final, dans chacune de ces études, les chercheurs ont regroupé des
procédures ayant un degré de judiciarité relativement similaire sous l’un de ces qualificatifs.
Bien que nous utiliserons une représentation graphique mettant de l’avant une ligne allant des mécanismes
diplomatiques aux mécanismes judiciaires, nous considérons que notre analyse doit conduire à des conclusions
plus précises pour faciliter les comparaisons entre les diverses procédures de plainte interétatique. En effet, les
41
procédures étudiées dans le cadre de notre mémoire partagent souvent plusieurs similarités; malgré certaines
subtilités importantes, certains mécanismes pourraient donc être classés dans le même ensemble et,
conséquemment, être considérés comme ayant le même degré de judiciarité. Bien que notre analyse reprenne
les qualificatifs employés par Smith ainsi que Abbott, Keohane, Moravcsik, Slaughter et Snidal pour marquer
ces différents degrés, l’attribution d’une valeur chiffrée pour chaque procédure permettra de classer ces
dernières à n’importe quel emplacement sur le spectre retenu. À titre d’exemple, après la prise en compte de
toutes les dimensions ayant été retenues pour notre étude et suite au calcul de la moyenne totale ainsi obtenue,
une procédure pourrait se retrouver entre le seuil modéré et élevé. Cette façon de faire offre donc plus de latitude
et s’avère plus précise :
Figure 1 : Degré de judiciarité
Pour classer les mécanismes de plainte interétatique sur ce spectre, il est nécessaire d’identifier les dimensions
qui, prises ensemble, sont susceptibles de révéler le degré de judiciarité de ces processus interétatiques. Les
dimensions considérées dans les études exposées dans ce mémoire sont, somme toute, assez similaires et se
rejoignent sur plusieurs points. Peu importe l’objet à l’étude, la majorité de ces variables permet de prendre en
compte diverses caractéristiques qui, chacune à leur façon, révèlent la nature du mécanisme interétatique. Les
dimensions que nous avons retenues sont conformes à celles élaborées par ces auteurs et empruntent
fréquemment des éléments propres à chacun des modèles étudiés. Néanmoins, nous nous sommes permis
d’adapter ces variables générales issues de la littérature aux particularités propres aux procédures
interétatiques en matière de droits humains.
Au total, nous tiendrons compte de cinq dimensions : l’accès initial au mécanisme de plainte et l’accès durant
le processus de plainte (traité tous deux dans la partie portant sur l’accès), l’organe décisionnel, la force
42
décisionnelle et la mise en œuvre des décisions. Pour chacune de ces dimensions, nous avons retenu des
indicateurs significatifs et nous les avons classés sur un spectre allant du mécanisme diplomatique au
mécanisme judiciaire. Chacun de ces indicateurs s’est vu attribuer une valeur afin de permettre le calcul d’une
moyenne finale basé sur les résultats obtenus pour chaque dimension. Pour assurer une certaine équité entre
les dimensions sélectionnées, nous avons divisé la valeur donnée à chaque indicateur en fonction du nombre
d’indicateurs retenus. Cette moyenne indiquera le degré de judiciarité propre à chacune des procédures de
plainte interétatique en fonction des niveaux établis sur le spectre général.
L’accès
Keohane, Moravcsik et Slaughter notent que « from a political perspective, access measures the range of those
who can set the agenda » (2000, p. 462). La dimension de l’accès vise donc à mesurer l’influence des États
parties sur le processus de plainte interétatique. Plus spécifiquement, nous analyserons l’impact que peut avoir
l’État répondant sur l’accès au mécanisme ainsi que sur le déroulement du processus.
L’accès initial au mécanisme de plainte
Smith considère que les procédures prévoyant un droit automatique à recourir aux divers mécanismes de
règlement des différends montrent un caractère plus judiciaire que celles qui exigent l’accord de l’État répondant
(2000, p. 140). Pour sa part, Keohane, Slaughter et Moravcsik notent que les procédures exigeant que les États
parties au litige aient donné leur accord pour qu’une plainte interétatique soit recevable dénotent un faible degré
de judiciarité alors que celles ne prévoyant pas une telle condition sont associées à un niveau plus modéré
(2000, p. 464.)
Afin d’établir la position d’une procédure de plainte interétatique sur le spectre propre à l’accès au mécanisme,
nous considérons que la nécessité d’obtenir l’accord de l’État répondant pour déposer une plainte démontre que
la procédure de plainte interétatique relève de la diplomatie plutôt que de la procédure judiciaire alors que la
possibilité pour un État d’agir individuellement est associée aux mécanismes judiciaires. Concrètement, dans
les conventions relatives aux droits humains à l’étude, il faut donc rechercher l’existence d’une disposition
stipulant que les États impliqués doivent avoir produit une déclaration d’acceptation pour que la plainte soit
déclarée admissible. Si aucun article ne prévoit une telle condition de recevabilité, l’accès à la procédure peut
être considéré comme étant automatique.
En outre, Keohane, Slaughter et Moravcsik retiennent que la présence d’un mécanisme permettant aux individus
de déposer directement une plainte porte à croire que ce mécanisme est fortement judiciarisé. Puisque notre
étude exclut les plaintes individuelles pour se concentrer sur les procédures de plaintes interétatiques, cet
indicateur n’a pas été pris en compte dans le cadre de notre analyse. Dans un autre ordre d’idée, Smith note
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que certaines conventions prévoient que les États membres qui ne sont pas impliqués dans le litige peuvent
exercer un contrôle sur l’accès au mécanisme de plainte (2000, p. 140). Dans ces cas, les États membres ayant
ratifié ces traités peuvent avoir un impact prépondérant sur l’accès à la procédure et cette caractéristique doit
être prise en compte. Bien que la présence d’une telle condition ne permette pas à l’État répondant d’empêcher
par sa seule volonté le dépôt d’une plainte interétatique, le jeu politique engendré par de telles décisions peut
tout de même affecter le degré de judiciarité de la procédure. Lorsqu’un tel contrôle politique est présent, nous
considérons que la procédure étudiée doit être classée au milieu du spectre. Au final, cette dimension peut être
représentée comme suit :
Figure 2 : Accès au mécanisme de plainte
L’accès durant le traitement de la plainte
En analysant cette dimension, nous ne recherchons pas à mesurer la capacité d’un État de prendre des
décisions durant le déroulement d’une enquête ou d’une audition; nous cherchons plutôt à savoir si un État peut,
par sa simple volonté, mettre un terme définitif au processus en refusant l’application d’une étape prévue à ce
mécanisme de plainte. L’octroi d’une telle faculté à l’État répondant lui permet d’exercer un grand contrôle
discrétionnaire sur la procédure. Les considérations politiques sont alors susceptibles d’entrer en jeu lors du
choix gouvernemental de poursuivre ou non le processus. L’importance de cette dimension est fondamentale
puisque l’inclusion d’un tel droit discrétionnaire peut empêcher l’État requérant d’avoir accès à l’ensemble des
moyens diplomatiques et/ou judiciaires mis à sa disposition. La prise en compte de cette dimension permet de
tenir pleinement compte de la perspective politique relative à l’accès qui, selon Keohane, Slaughter et
Moravcsik, affecte le degré de judiciarité d’une procédure.
Habituellement, une fois la plainte interétatique jugée admissible, les conventions en matière de droits humains
obligent tous les États à se soumettre à un processus déterminé qui conduit généralement à l’adoption d’un
rapport ou d’une décision. Dans certaines conventions, le processus se fait en plusieurs étapes successives et
plus ou moins distinctes. Dans ces cas, la première étape est souvent moins encadrée que les étapes
subséquentes. Certains mécanismes de plainte ne rendent obligatoire que la participation à cette première
étape. Les étapes subséquentes étant facultatives, l’État mis en cause peut donc, à sa discrétion, refuser de s’y
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soumettre. Lorsque cette décision discrétionnaire met fin au processus de plainte, nous considérons qu’il s’agit
d’un mécanisme qui revêt un caractère plus diplomatique. Dans les cas où l’ensemble des étapes prévues est
obligatoire, nous sommes en présence d’un mécanisme plus judiciarisé.
Aux fins de notre analyse, nous considérons que les procédures qui donnent le choix ou non à un État de
contester une décision rendue par une tierce partie devant un tribunal sont également considérées comme ayant
un degré de judiciarité élevé. Dans de tels cas, l’État n’exerce pas un contrôle sur le déroulement de la
procédure; l’État exerce son droit de contester des conclusions d’une manière qui s’apparente plutôt à un droit
d’appel qu’à un droit de veto visant à mettre un terme à la procédure de règlement des différends et ainsi se
soustraire à ses obligations.
Figure 3 : Accès durant le traitement de la plainte
Les décideurs
Selon Keohane, Slaughter et Moravcsik, l’indépendance dont jouissent les décideurs dans l’exercice de leur
mandat est une variable fondamentale pour mesurer le degré de judiciarité d’une procédure (2000, p. 460).
Lorsque les décideurs bénéficient d’un niveau d’indépendance élevé, il y a lieu de considérer que le mécanisme
de règlement des différends est grandement judiciarisé (Smith, 2000, p. 140). D’un autre côté, dans les cas où
le niveau d’indépendance des décideurs est faible, ces derniers peuvent être soumis aux pressions des États
impliqués ou encore tout simplement contrôlés par ces derniers (Smith, 2000, p. 140). Conséquemment, la
procédure de plainte est influencée par des considérations politiques et, dès lors, ce mécanisme adopte une
approche plus diplomatique.
La durée et les termes des mandats ainsi que le mode de sélection sont des éléments qui permettent d’établir
le niveau d’indépendance des décideurs (Keohane, Moravcsik et Slaughter, 2000, p. 460; Smith, 2000, p. 140).
Bien que les ressources allouées lors d’un cas ainsi que le pouvoir discrétionnaire donné influencent également
le degré d’indépendance, Keohane, Moravcsik et Slaughter concluent que les deux variables relatives au
mandat et à la sélection sont celles dont la prise en compte est fondamentale pour caractériser le niveau
d’indépendance d’une procédure (2000, p. 460). Dans le but de simplifier notre analyse, nous limiterons cette
dernière aux deux variables déterminantes. En règle générale, de longs mandats bien définis et irrévocables
permettent aux décideurs d’être à l’abri des interventions politiques alors que les mandats plus courts et moins
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encadrés ouvrent la porte aux pressions, représailles et influences de toutes sortes (Keohane, Moravcsik et
Slaughter, 2000, p. 461). En ce qui concerne le mode de sélection, on notera que les décideurs nommés
directement par les États se voient fréquemment confier le mandat de faire valoir les intérêts de l’État qu’ils
représentent alors qu’une élection démocratique par l’ensemble des États membres selon un processus
standardisé permet de limiter l’influence d’un État sur un décideur (Smith, 200, p. 140).
Dans leur article Legalized Dispute Resolution : Interstate and Transnational, Keohane, Moravcsik et Slaughter
retiennent que l’implication de représentants directs des États parties au litige dans le processus décisionnel
signale un faible degré d’indépendance (2000, p. 461). Ces décideurs sont nommés directement par les
gouvernements et leur mandat est révocable en tout temps selon la volonté de l’État qu’il représente. Au final,
le décideur n’est souvent qu’une simple courroie de transmission servant à exprimer la volonté étatique
(Keohane, Moravcsik et Slaughter, 2000, p. 460). Les jeux politiques entre représentants étatiques font donc
partie intégrante du fonctionnement de ce type d’organe et, conséquemment, de la prise de décision. Au
contraire, ce même article souligne que le niveau le plus élevé d’indépendance est rencontré lorsque les
décisions sont prises par des juges siégeant sur des tribunaux internationaux. Entre ces deux niveaux, il existe
plusieurs cas de figure; puisque notre étude porte spécifiquement sur les conventions en matière de droits
humains, nous limiterons notre étude aux situations rencontrées dans ce domaine.
L’analyse que nous avons effectuée sur les conventions retenues au chapitre 1 démontre que les rapports ou
décisions sont pris par l’un ou l’autre de ces organes : l’organe de surveillance créé dans la convention ou une
sous-commission mandatée par cet organe, une commission de conciliation ad hoc ou un tribunal international.
En caractérisant chacun de ces organes en fonction de la durée et des termes des mandats ainsi que du mode
de sélection des décideurs, nous pourrons classer plus facilement les différentes procédures de plainte
interétatique selon le degré d’indépendance octroyé aux décideurs.
Les organes de surveillance créés dans les traités visant la protection des droits humains sont composés de
membres élus par les États parties pour un mandat à durée déterminée (en moyenne 4 ans). Une fois en poste,
leur mandat ne se limite pas à entendre les plaintes interétatiques; ils doivent notamment assurer la promotion
des droits inclus dans la convention et procéder à l’analyse des rapports périodiques soumis par les États
membres. Bien que ces membres peuvent être appelés à produire des rapports ou décisions dans les cas de
plainte interétatique, leur mandat est nettement plus large que celui des autres décideurs considérés ci-dessous.
Certaines conventions prévoient également que ces organes peuvent mandater une sous-commission pour
effectuer l’enquête nécessaire. Dans de tels cas, ces commissions diffèrent des commissions de conciliation ad
hoc en raison du processus de nomination des membres.
46
Les membres des commissions de conciliation ad hoc formés pour entendre certaines plaintes interétatiques
sont élus par les parties au litige. Les parties doivent ainsi s’entendre sur l’identité de chacun des décideurs.
Dans l’éventualité où les parties ne parviennent pas à s’entendre, l’organe de surveillance prévu à la convention
tiendra un vote sur la composition de la commission de conciliation ad hoc. Bien que communes, ces
nominations comportent une dimension politique. Au niveau du mandat, on note que les rapports ou décisions
sont rendus par des décideurs ayant reçu la mission spécifique d’entendre un cas donné. Une fois mandaté, ils
ne peuvent être révoqués, mais, lorsque leur travail est terminé, le mandat prend fin. Dès lors, le caractère
éphémère de leur mandat fragilise leur indépendance (Keohane, Moravcsik et Slaughter, 2000, p. 460).
Finalement, des tribunaux internationaux peuvent être chargés d’entendre les plaintes interétatiques. Dans ces
cas, des juges sont élus par l’ensemble des États membres avec la mission précise d’entendre les litiges qui
sont soumis au cours de leur affectation; ils n’exercent donc aucun autre rôle que celui de décideurs. Dans la
très grande majorité des cas, les juges sont élus pour des mandats relativement plus longs que les membres
composant les organes de surveillance (entre 6 et 9 ans). Sauf en de rares exceptions, une fois nommés pour
un mandat déterminé (souvent renouvelable à une reprise), ces décideurs ne peuvent être démis de leurs
fonctions et des dispositions stipulent que leur mandat doit être exercé de façon indépendante et impartiale. Les
juges se voyant octroyer ce type de mandat sont en mesure d’assurer la cohérence des décisions et de
développer une jurisprudence (Smith, 2000, p. 140). À long terme, une institution juridique ayant ses propres
traditions et, donc, plus éloignée des aléas politiques est formée.
À terme, notre modèle basé sur celui de Keohane, Moravcsik et Slaughter nous permet de classer les
procédures de plaintes interétatiques en matière de droits humains selon leur degré d’indépendance en fonction
de trois indicateurs. Du côté diplomatique du spectre, nous retrouvons les procédures où l’on prévoit que des
représentants directs des États impliqués sont chargés de résoudre les différends. Le milieu du spectre est
occupé par les mécanismes dont les décisions sont prises par une commission de conciliation ad hoc ou encore
les procédures de plainte dans lesquelles l’organe de surveillance est chargé de rendre le rapport ou la décision.
Malgré certaines différences entre ces deux types d’organes au niveau de la nomination des décideurs et de
leur mandat, il y a lieu de conclure que leur niveau d’indépendance reste, somme toute, assez similaire.
Finalement, à droite, nous classons les procédures intégrant un tribunal international habilité à prendre des
décisions. Bien que certains mécanismes de plainte intégrant un tribunal international prévoient que les parties
ont la possibilité de nommer des juges pour entendre le litige, nous classons tout de même les conventions
prévoyant une telle possibilité à droite du spectre puisque dans tous les cas les juges élus démocratiquement
pour un mandat déterminé détiennent la majorité et peuvent donc imposer leurs décisions à ceux nommés par
les parties.
47
Graphiquement, on obtient un tel spectre :
Figure 4 : Décideurs
Tel que noté dans la section portant sur la dimension de l’accès, des mécanismes de plainte interétatique
comportent plusieurs étapes successives. Parfois, plus d’une décision ou rapport peuvent ainsi être rendu. Dans
certains cas où ces derniers sont rendus par des organes qui ne comportent pas le même degré
d’indépendance, cette situation est susceptible d’affecter notre classement. Aux fins de notre analyse, nous
avons choisi de tenir compte de l’organe dont le degré d’indépendance est le plus élevé puisque pour déterminer
le degré de judiciarité véritable d’une procédure, nous devons mesurer l’ensemble du processus et donc,
jusqu’où ce dernier peut mener. Dans les cas où l’accès à cet organe plus tardif est limité, la dimension visant
l’accès aux étapes du processus de plainte tiendra compte de cette donnée importante.
La force décisionnelle
Smith retient que la capacité de rendre des décisions contraignantes est l’une des caractéristiques
fondamentales d’un mécanisme judiciarisé (2000, p. 140). Selon lui, plus les décisions rendues dans le cadre
d’une procédure de règlement des différends entraînent des obligations légales pour les États plaignants, plus
la capacité des États à ignorer la décision est limitée et plus le mécanisme tend vers un processus pleinement
judiciarisé (2000, p. 140). En présence d’une obligation légale, les États sont contraints d’appliquer les
conclusions contenues dans la décision qui met un terme au litige alors qu’en l’absence d’une telle obligation,
les stratégies politiques et diplomatiques jouent un rôle plus ou moins important.
Dans son étude, Smith recense trois types de mécanismes décisionnels et les classes selon leur degré de
judiciarité. À gauche du spectre, on retrouve les mécanismes prévoyant qu’un rapport de conciliation contient
des recommandations puisque ces rapports ont généralement une force juridique assez faible et que les États
peuvent parvenir à les ignorer sans trop de conséquences (Smith, 2000, p. 140). Puis, Smith considère que les
décisions rendues par une tierce partie qui nécessite l’approbation d’un organe politique sont plus
contraignantes, mais demeurent tout de même soumises à un jeu politique (2000, p. 140). Finalement, lorsque
les parties au litige ont une obligation légale d’appliquer la décision, on classe ces mécanismes de règlements
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des différends à droite du spectre (2000, p. 140). Ces catégories constituent les indicateurs sur lesquels se base
notre classification.
Dans les conventions relatives à la protection des droits humains, les différents mécanismes de plainte
interétatique prévoient tous qu’un rapport ou qu’une décision doit être rendue au terme du processus. En
analysant les dispositions qui énoncent la forme, le contenu ou encore la portée de ces rapports ou décisions,
il est possible de les classer sous l’un des indicateurs retenus. Néanmoins, pour faciliter la compréhension de
notre classement, il est pertinent de lier chacun de ces indicateurs plus généraux aux caractéristiques
spécifiques des procédures de plainte interétatique prévues en cas de violation des droits humains. De plus,
nous avons également choisi d’ajouter un indicateur sur notre spectre puisque la recension effectuée au
chapitre 1 nous a permis de constater que certaines procédures prévoient que les rapports de conciliation qui
sont rendus ne contiennent qu’un exposé des faits. Ainsi, aucune recommandation sous une quelconque forme
n’est intégrée au rapport. Nous considérons que ces mécanismes occupent l’extrême gauche du spectre.
Dans certaines conventions, le rapport final produit par les décideurs au terme d’un processus de conciliation
ne peut contenir qu’un exposé des faits sur l’affaire en litige. Malgré l’enquête qui doit être effectuée, le rapport
ainsi produit n’entraîne aucune obligation légale puisqu’il ne fait que présenter un État de la situation et, par
conséquent, il ne peut en aucune façon lier l’État mis en cause. Tout au plus, ce rapport constitue une base sur
laquelle peuvent être entreprises de futures actions politiques ou diplomatiques.
Les procédures interétatiques peuvent également prévoir qu’un rapport doit être rendu par les membres d’une
commission de conciliation ad hoc ou encore les membres de l’organe de surveillance du traité au terme d’un
processus visant avant tout un règlement à l’amiable par le biais d’une médiation, conciliation ou de bons offices.
Dans tous les cas, ce n’est qu’en cas d’échec de la conciliation qu’un rapport peut faire état de recommandations
portant sur le règlement à l’amiable. Comme Smith le mentionne, ces recommandations dénotent un faible degré
de judiciarité. Dans quelques conventions, on énonce plutôt que les décideurs peuvent faire part de leurs
constatations ou alors de toutes vues qu’ils jugent pertinentes en la matière au terme du processus de
conciliation. Bien que certains termes employés semblent ouvrir la voie à ce que les décideurs puissent émettre
certains commentaires portant sur l’existence ou non d’une violation dans leur rapport, il n’en est rien. Puisqu’il
s’agit avant tout d’un processus de conciliation ayant pour but de favoriser un règlement, ces termes doivent
être vus comme permettant aux décideurs d’inclure des éléments pouvant avant tout faciliter l’atteinte de cet
objectif. Encore plus, on peut noter que, dans le cadre de ces mêmes traités, certaines procédures n’impliquant
pas un litige interétatique permettent aux décideurs de faire part de leurs « conclusions » (à titre d’exemple,
l’article 20 du CAT). Ainsi, puisque le terme conclusion n’est utilisé dans aucune des dispositions relatives aux
49
plaintes interétatiques, force est de constater que l’utilisation des termes recommandations, constatations ou
vues ne peut pas être assimilée à des conclusions susceptibles de lier les parties.
Dans les traités recensés au chapitre 1, on note parfois que l’organe de surveillance peut rendre des décisions
comportant ses conclusions sur l’affaire lui ayant été soumise et émettre ses recommandations à un organe
politique composé des représentants de chaque État membre. Dans ce cas, en plus de se prononcer sur
l’existence d’une violation au sens des articles contenus dans la convention, l’organe de surveillance fait
également part des mesures qu’elle juge nécessaires pour remédier à la situation. Toutefois, notre revue des
mécanismes de plainte interétatique démontre que les conclusions de droit et recommandations émises par
l’organe de surveillance du traité n’ont aucun effet légal tant et aussi longtemps que l’organe politique ne les a
pas adoptés. La décision n’a donc pas une force contraignante dès sa communication puisqu’elle doit être
confirmée par les États membres pour qu’elle ait force obligatoire. Bien que cette étape n’est souvent qu’une
simple formalité, un jeu politique peut parfois être nécessaire pour que les conclusions et recommandations
soient adoptées et que l’État mis en cause ait l’obligation de s’y conformer.
Finalement, des décisions ayant une valeur légale et qui, par conséquent, lient les parties peuvent être rendues
au terme d’une plainte interétatique portant sur une violation aux droits humains. Ce type de décision est rendu
par des juges siégeant sur un tribunal spécialisé. Dans la plupart des cas, ce sont les statuts de ces tribunaux
internationaux, un protocole prévoyant la création du tribunal ou encore les dispositions contenues directement
dans une convention visant la protection des droits humains qui énoncent que les États ont l’obligation de
respecter les décisions rendues par le tribunal. Sans contredit, ces décisions sont celles dont le degré de
judiciarité est le plus élevée.
Aux fins de notre analyse, cette dimension sera donc évaluée en vertu de ces indicateurs :
Figure 5 : Force décisionnelle
À cette étape, il est pertinent de noter que, pour les mêmes raisons qui sont applicables à la dimension touchant
les décideurs, nous prendrons en compte le plus contraignant des mécanismes prévus à chacune des
50
procédures de plainte interétatique. Également, malgré le fait que le dépôt d’un rapport soit optionnel ou que
des recommandations, vues ou constatations soient facultatives, nous considérons tout de même que les
décideurs ont l’opportunité d’adopter un tel rapport ou d’introduire de tels éléments; par conséquent, il y a lieu
de mesurer la force décisionnelle dans ce type de situation.
L’exécution de la mise en œuvre des décisions
Bien qu’un mécanisme de règlement des différends puisse prévoir explicitement que les jugements rendus ont
force légales, l’exécution de la décision s’avère souvent problématique en droit international :
Therefore, even if authority to render judgments is delegated to an independent international tribunal, implementation of these judgments depends on international or domestic action by the executives, legislatures, and/or judiciaries of states. Implementation and compliance in international disputes are problematic to a far greater degree than they are in well-functioning, domestic rule-of-law systems. (Keohane, Moravcsik, Slaughter, 2000, p. 466)
La mise en place d’un mécanisme visant à assurer l’exécution des décisions internationales est donc d’une
importance capitale pour veiller à la mise en œuvre des mesures exigées. Lorsqu’un État peut décider d’ignorer
une décision internationale sans n’en subir aucune conséquence, le degré de judiciarité de la procédure en
souffre. Ainsi, pour Keohane, Moravcsik et Slaughter, une procédure qui permet à un État d’exercer son droit
de veto pour éviter la mise en œuvre d’une décision internationale comporte un faible degré de judiciarité (2000,
p. 467). Au contraire, la décision pouvant être directement applicable en droit interne est associée à un degré
plus élevé de judiciarité (2000, p. 467). Smith partage la vision de ces chercheurs, mais considère également
que les procédures qui établissent que les États membres peuvent adopter des sanctions en cas de non-
application d’une décision ou encore que les tribunaux peuvent d’office suivre l’application de leurs décisions
doivent être considérées comme ayant un degré modéré de légalisme (2000, p. 142).
Ces indicateurs constituent une base solide qui nous permettra de classer les procédures de plaintes
interétatiques sur un spectre mesurant le degré de judiciarité en fonction du mécanisme visant à assurer
l’application des décisions internationales. En raison de certaines particularités propres aux mécanismes de
plainte interétatique, nous avons précisé certains de ces indicateurs. De plus, à partir des observations de Smith,
nous avons été en mesure d’ajouter des indicateurs en fonction des possibilités de sanctions ou de suivi
judiciaire. Avant d’aborder plus spécifiquement nos indicateurs, il est important de rappeler que notre analyse
se limitera aux mesures prévues directement dans les conventions à l’étude. De plus, on notera qu’en cas de
défaut d’exécution, une procédure peut prévoir que la plainte interétatique est référée à un tribunal international
pour une nouvelle analyse sur le fond. Dans ces cas, le mécanisme est classé en fonction de la procédure de
contrôle applicable à ce tribunal.
51
Lorsque notre analyse démontre que l’État ne peut exercer un veto et se soustraire à l’application de la décision,
nous évaluerons si une procédure de suivi est intégrée au mécanisme de règlement des différends. L’absence
de dispositions traitant du suivi applicable aux rapports ou décisions rendues indiquera que l’État, bien que ne
pouvant exercer explicitement un veto, n’est en réalité soumis à aucune procédure permettant de vérifier
l’application des mesures prévues aux rapports et décisions. Conséquemment, ce dernier peut ignorer les
conclusions, recommandations ou constatations sans trop se soucier des conséquences. Les procédures qui
exigent que l’État accepte ou refuse explicitement les conclusions, recommandations ou faits contenus dans un
rapport ou une décision et qui, en cas de refus, ne prévoient aucun suivi supplémentaire sont aussi classées
sous cet indicateur.
Comme le souligne Smith, certaines conventions autorisent parfois les tribunaux internationaux à assurer le
suivi des décisions qu’ils ont rendues. Dans la grande majorité des cas, en matière de droits humains, les
procédures de plainte interétatique ne vont pas jusqu’à permettre à un tribunal d’entamer, par lui-même, des
actions visant à évaluer si les États se sont conformés à la décision obligatoire qu’il a rendue. Néanmoins,
certains traités précédemment étudiés permettent aux tribunaux de faire état des cas où un État n’exécute pas
les décisions rendues dans le rapport annuel du tribunal qui est transmis à l’organe décisionnel composé des
représentants des États membres. Parfois, le tribunal est même autorisé à faire part de ses recommandations
en lien avec ce défaut d’appliquer les mesures exigées. Cette façon de faire permet aux tribunaux d’avoir la
légitimité nécessaire pour surveiller l’application de leurs décisions. Toutefois, à l’exception de ces constatations
ou recommandations, les tribunaux ne peuvent prendre aucune mesure pour forcer un État à appliquer leur
décision et, bien que les États membres prennent connaissance du degré de mise en œuvre des décisions, la
procédure ne prévoit pas explicitement que des mesures visant à inciter l’État à se conformer à ses obligations
puissent être adoptées. Le caractère judiciaire de telles dispositions en est par conséquent diminué.
On note également que certaines conventions prévoient que le tribunal ayant rendu une décision sur le fond est
habilité à rendre un jugement concernant l’exécution des mesures exigées dans cette décision. Parfois, ce type
de procédure de suivi est soumis aux décisions politiques des États membres puisque le tribunal ne peut, de
son propre chef, rendre une telle décision. Encore plus, certains mécanismes prévoient explicitement que des
mesures peuvent être adoptées par les États membres si le tribunal conclut que l’État manque à ses obligations
alors que dans d’autres cas on ne retrouve pas de dispositions qui traitent des sanctions pouvant être appliquées
en cas de défaut de respecter ce second jugement. Au final, lorsque des dispositions prévoient explicitement
que le tribunal ayant rendu la décision puisse se prononcer sur la mise en œuvre de ses conclusions ou alors
que des sanctions peuvent être prises suite à un jugement, le contrôle sur l’exécution des décisions est plus
élevé puisque l’État fautif fait face à un suivi rigoureux, et parfois même à une réelle possibilité de subir les
conséquences de son défaut.
52
Finalement, lorsque les décisions rendues dans le cadre d’une procédure de plainte interétatique s’appliquent
directement en droit interne, on considère que la mise en œuvre des mesures exigées est optimale. En effet,
en cas de défaut à se conformer à une décision internationale, les tribunaux nationaux pourront ordonner à l’État
de se conformer à ces décisions obligatoires et prescrire les mesures devant être mises en œuvre.
En regard de tous ces éléments, notre classement se fera sur ce spectre :
Figure 6 : Exécution de la mise en œuvre des décisions
***
Les travaux effectués en matière de « legalization » nous ont permis de bâtir un modèle qui tient compte d’un
ensemble de caractéristiques qui ont, chacun à leur façon, un impact concret sur le degré de judiciarité des
mécanismes de règlement des différends. Les indicateurs que nous avons développés permettent d’évaluer le
degré de judiciarité de chacune des dimensions y étant associées. En combinant les résultats obtenus pour les
cinq dimensions retenues, le degré de judiciarité des conventions présentées au chapitre 1 sera établit. En plus
d’être une composante essentielle pour répondre à notre question de recherche, le modèle mis de l’avant dans
ce mémoire est susceptible de s’appliquer à d’autres procédures en matière de droits humains.
53
Chapitre 3 : Analyse
À partir de notre modèle, nous serons en mesure de classer chacune des procédures étudiées en fonction de
leur degré de judiciarité. Les données ainsi recueillies seront comparées au nombre de plaintes ayant été
déposées en vertu de chacune des conventions retenues pour déterminer si les procédures judiciarisées sont
celles qui sont le plus utilisées. Pour recenser l’ensemble des plaintes, nous avons répertorié de nombreux
ouvrages portant sur les différentes conventions étudiées ainsi que l’ensemble des rapports et décisions ayant
été rendus dans le cadre de ces litiges. Ces renseignements nous ont également permis de procéder à deux
études de cas pour approfondir le lien entre le degré de judiciarité d’une procédure et la décision des États de
recourir à cette procédure.
Analyse du degré de judiciarité
Dans cette section, l’ensemble des procédures de plainte sera évalué selon les indicateurs retenus dans
chacune des cinq dimensions exposées; les résultats obtenus pour chaque dimension seront ensuite pris en
compte pour établir la position de chaque mécanisme sur notre spectre général. Toutefois, avant de procéder à
ce classement, les particularités propres à certaines procédures de plainte interétatique nous ont amenés à
subdiviser l’analyse de certaines des conventions.
D’une part, la procédure mise en place par le Conseil de l’Europe a considérablement évolué depuis l’adoption
de la Convention européenne des droits de l’homme en 1950. Plus spécifiquement, en ce qui a trait à la
procédure de plainte interétatique, le 11e Protocole adopté en 1998 a modifié considérablement les règles
applicables à ce mécanisme. Il est donc possible que le degré de judiciarité du mécanisme de plainte
interétatique ait été affecté par ces changements législatifs. Puisque plusieurs plaintes interétatiques ont été
effectuées sous l’ancien régime, il est nécessaire de tenir compte de ces deux mécanismes pour éviter que la
comparaison entre les cas de plainte interétatique et le degré de judiciarité de la procédure ne tiennent pas
réellement compte de la situation qui prévalait à l’époque du dépôt de la plainte. Notre double analyse permettra
d’établir ce degré pour la procédure de 1950 et celle applicable après 1998.
D’autre part, à la différence des autres procédures de plaintes interétatiques, le mécanisme prévu dans la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples n’établit pas un processus à étapes successives permettant, à
terme, l’audition devant un tribunal international. Notre analyse a plutôt démontré que, depuis l’entrée en vigueur
du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour
africaine des droits de l’Homme et des peuples il existe deux procédures concurrentes. Bien qu’en certains cas
les mécanismes de plaintes prévus à ces deux accords puissent être complémentaires, un État désireux de
déposer une plainte contre un autre État membre peut parfois choisir d’opter pour l’un ou l’autre de ces
54
mécanismes. De plus, la CADHP ayant été adoptée en 1981, des plaintes interétatiques peuvent avoir été
déposées avant que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples n’entre en fonction en 2004. Afin
de tenir compte de ces particularités, nous analyserons séparément la procédure prévue à la CADHP ainsi que
celle se déroulant devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Tout comme dans le cas
européen, le degré de judiciarité de ces deux mécanismes sera établi pour s’assurer que l’analyse qui sera
effectuée au chapitre 3 soit représentative. Néanmoins, puisqu’en certains cas les deux processus peuvent se
compléter, nous retrouverons une seule valeur pour la procédure africaine sur notre spectre général puisque
c’est la moyenne des deux mécanismes qui sera prise en compte.
Dans un premier temps, trois indicateurs permettent de mesurer l’accès initial au mécanisme. Les procédures
de plaintes prévues dans la CADH, le PIDCP, le Protocole du PIDESC, le Protocole à la CDE, la CDF et la CCT
nécessitent qu’une déclaration réciproque ait été produite pour qu’une plainte puisse être déclarée recevable. À
l’exception du mécanisme de plainte prévu dans la Constitution de l’OIT, aucune autre procédure ne prévoit un
processus dans lequel d’autres États membres peuvent exercer un contrôle sur la suite à donner à une plainte
interétatique lors de son dépôt. Finalement, les plaintes interétatiques déposées devant la CEDH de 1950, la
CEDH, la CADHP, le Protocole de la CADHP et la CEDR ne nécessitent pas qu’une déclaration ait été
préalablement produite et, par conséquent, les États membres peuvent utiliser ces mécanismes
automatiquement (sous réserve des autres conditions d’admissibilité s’il y a lieu).
Dans un deuxième temps, l’accès au processus de plainte tient compte du fait que certaines étapes sont
facultatives. En vertu des critères que nous avons énoncés pour permettre la classification des différentes
procédures et des caractéristiques exposées au chapitre 1, la procédure prévue au PIDCP est la seule qui
intègre une étape facultative. L’ensemble des autres procédures peut donc être qualifié d’obligatoire.
Dans un troisième temps, aucun mécanisme de plainte interétatique étudié dans ce mémoire ne prévoit que les
rapports ou décisions faisant suite à ces plaintes sont rendus par un ou des représentants directs des États
concernés. Par contre, plusieurs procédures habilitent les membres d’une commission de conciliation ad hoc ou
d’un organe de surveillance à produire des rapports sur les cas de plainte qui leur sont soumis. Plus précisément,
la CEDR, le PIDCP, le Protocole du PIDESC, le Protocole à la CDE, la CDF, la CCT ainsi que la CADHP
comportent des dispositions spécifiant que les membres de ces organes doivent produire des rapports ou
décisions pour chaque cas de plainte interétatique qu’ils entendent. Notre analyse nous permet également de
noter que la CEDH de 1950, la CEDH, la CADH, la Constitution de l’OIT et le Protocole de la CADHP énonce
plutôt que ce sont des juges siégeant sur des tribunaux internationaux qui peuvent ultimement rendre des
décisions sur ce type de plainte.
55
Dans un quatrième temps, la force décisionnelle attribuée à chacun des mécanismes a été évaluée. Alors que
la procédure de plainte prévue à la CCT ne prévoit que la production d’un rapport de conciliation exposant les
faits de l’affaire, celles de la CEDR, du PIDCP, de la CDF et du Protocole de la CDE et du PIDESC énoncent
que ce rapport doit contenir des recommandations, constatations ou vues sur le cas soumis. Le mécanisme
contenu à la CADHP stipule quant à lui que les décisions rendues doivent être approuvées par l’organe
administrant le traité qui est composé des représentants des pays membres. En ce qui concerne la procédure
contenue à la CEDH de 1950, la CEDH, la CADHP, la Constitution de l’OIT et le Protocole de la CADHP, on
peut retenir que les tribunaux rendent des décisions ayant une grande force juridique.
Dans un cinquième temps, en ce qui concerne le suivi de la mise en œuvre des décisions rendues suite à une
plainte interétatique, on note qu’aucune procédure ne prévoit qu’un État a un droit de veto lui permettant de
refuser d’appliquer un rapport ou une décision ou encore qu’une décision est directement applicable au niveau
national. La plupart des mécanismes de plainte (CEDR, PIDCP, CCT, CDF, Protocole de la CDE et du PIDESC
et les statuts de la CIJ pour L’OIT) ne prévoient aucune disposition traitant explicitement du suivi des rapports
et décisions. La CADHP intègre peu de disposition concernant la surveillance des jugements qu’elle rend, mais
elle est autorisée à traiter ces questions dans le rapport annuel de la Cour transmis à l’organe politique qui
administre le traité. Finalement, alors que la CEDH énonce qu’une décision judiciaire peut être rendue et que
des sanctions peuvent être adoptées en cas de défaut d’exécution d’une décision, la CADH prévoit quant à elle
que la Cour a la possibilité de rendre des décisions concernant l’exécution des jugements. Pour sa part, la
CEDH de 1950 prévoit la possibilité que des sanctions soient adoptées, et ce, sans jugement préalable.
Pour faciliter la comparaison entre les diverses procédures de plaintes interétatiques, l’annexe 2 présente les
résultats obtenus sous forme de tableau. Ce dernier regroupe l’ensemble des procédures de plaintes étudiées
et intègre, pour chaque dimension, la valeur attribuée à chaque procédure en fonction du modèle présenté et
du classement précédemment effectué. De plus, cette annexe présente la moyenne totale qui sera prise en
compte pour classer l’ensemble des procédures sur notre spectre général. Puisque sur ce spectre la valeur de
0 est attribuée aux mécanismes purement diplomatiques et que la valeur de 1 est donnée aux mécanismes
essentiellement judiciaires, le maximum de point pouvant être octroyé pour chaque dimension équivaut à 1. Au
final, en additionnant les résultats obtenus dans chaque colonne et en divisant le tout par 5 (le nombre de
dimensions), nous obtiendrons une moyenne qui variera entre 0 et 1 pour chacun des mécanismes de plaintes.
Cette moyenne représente le degré de judiciarité associé à chaque procédure.
Les données ainsi recueillies ont été intégrées sur notre spectre général :
56
Figure 7 : Classement des mécanismes de plainte interétatique
Au regard de ces résultats, on constate que les conventions onusiennes sont celles dont le degré de judiciarité
est la moins élevée. Malgré tout, on notera que la procédure intégrée dans la CEDR tend vers les mécanismes
plus judiciarisés et, par le fait même, se différencie des autres mécanismes onusiens en termes. En comparant
le degré de judiciarité de la CEDR à celui du PIDCP, la faiblesse juridique de ce dernier est frappante. Pourtant
adopté à un an d’intervalle, le mécanisme prévu à la CEDR possède un degré de judiciarité trois fois plus
important que la procédure de plainte interétatique du PIDCP. Au-delà de cette simple comparaison, on constate
également que le mécanisme de plainte interétatique prévu au PIDCP est celui qui revêt le degré de judiciarité
le plus faible de toutes les procédures étudiées. Étant donné la place centrale et l’influence du PIDCP en matière
de protection des droits humains, ces constatations peuvent étonner.
En obtenant un total tournant autour de 0,75, les procédures interaméricaines, africaines ainsi que celle de l’OIT
peuvent être considérées comme étant fortement judiciarisées. Malgré plusieurs disparités au niveau
procédural, le degré élevé de judiciarité de ces mécanismes est indiscutable. Alors que les procédures incluses
dans la CADHP et la CADH s’inspirent de celle qui était intégrée dans la CEDH de 1950, les États ayant participé
à la rédaction des dispositions relatives aux plaintes interétatiques semblent avoir choisi de limiter le caractère
judiciaire de ces mécanismes en apportant certaines nuances ou en adaptant le modèle européen.
À l’extrême droite du spectre, la procédure européenne dénote quant à elle un caractère judiciaire très important
et est, sans contredit, celle dont les effets se rapprochent le plus d’un mécanisme national. À cet égard, on note
que nos résultats démontrent que la procédure qui prévalait avant 1998 a un degré de judiciarité comparable à
57
celui qui est aujourd’hui en vigueur. Puisque l’ancien mécanisme de plainte interétatique ouvrait déjà la voie à
la possibilité d’obtenir un jugement obligatoire, qu’elle était applicable sans nécessiter de déclaration
d’acceptation et qu’un mécanisme de surveillance des décisions était intégré à l’époque, le degré de judiciarité
de la procédure n’a pas été grandement affecté par les changements datant de 1998. Néanmoins, en simplifiant
la procédure et en clarifiant le processus de plainte interétatique, ces modifications ont pu affecter d’autres
aspects non mesurés dans notre étude. Au final, nos résultats démontrent que la procédure énoncée dans la
CEDH a été et est toujours la procédure la plus judiciarisée.
Plusieurs autres constatations peuvent être tirées des résultats obtenus suite à notre analyse du degré de
judiciarité. D’une part, il semble que les mécanismes de plaintes intégrés dans les conventions internationales
soient nettement moins judiciarisés que les procédures prévues dans les conventions régionales. En effet, à
l’exception de l’OIT et de la CEDR, l’ensemble des conventions internationales a intégré un mécanisme de
plainte interétatique ayant un degré de judiciarité faible à modérée alors que les procédures prévues dans les
trois conventions régionales ont un degré de judiciarité élevé.
D’autre part, on peut également noter que la date à laquelle une procédure de plainte a été adoptée n’indique
en rien le degré de judiciarité auquel il est possible de s’attendre. Contrairement à ce que l’on aurait pu croire,
les procédures de plaintes plus récentes ne sont pas plus judiciarisées. À preuve, les dernières procédures
onusiennes adoptées (PIDESC, CDE et CDF) ont un degré de judiciarité se situant entre les niveaux faible et
modéré alors que les deux premières procédures de plainte interétatique (OIT et CEDH) sont parmi les plus
fortes. Ces constatations permettent d’affirmer que, de nos jours, les États ne semblent pas plus ouverts à
prévoir des procédures interétatiques plus judiciarisées qui limitent leur souveraineté en matière de droits
humains.
L’analyse nous ayant permis d’établir le degré de judiciarité des procédures de plaintes interétatiques n’est que
la première étape qui nous permettra de réponse à notre question de recherche. En comparant ces résultats au
nombre de plaintes interétatiques ayant été déposées en vertu de l’une ou l’autre de ces conventions, nous
pourrons déterminer l’influence potentielle du degré de judiciarité d’une procédure de plainte interétatique sur
son utilisation par les États.
La recension des cas de plainte interétatique
Pour répondre à notre question de recherche, nous procéderons à la recension de tous les cas de plaintes ayant
été déposées en vertu de l’une des procédures traitées au chapitre 1. Une fois cette compilation effectuée, la
comparaison entre le degré de judiciarité précédemment déterminée et le nombre de plaintes interétatiques
58
déposées pour chaque convention étudiée permettra de vérifier la mesure dans laquelle le caractère judiciaire
d’un mécanisme de plainte influence son utilisation.
Nos recherches nous ont permis de répertorier un certain nombre de plaintes interétatiques ayant été déposées
en vertu d’un des mécanismes étudiés précédemment. Afin de sélectionner les cas devant être retenus, nous
avons dû définir la nature des plaintes visées par notre étude, préciser les exigences relatives à l’admissibilité
et établir les critères permettant de classer différentes procédures se rattachant à une seule et même situation.
D’une part, les plaintes retenues doivent porter spécifiquement sur des violations aux droits humains. Alors que
la grande majorité des conventions présentées contiennent des mécanismes de plainte permettant de relever
le non-respect de dispositions établissant différents droits humains, la procédure prévue à l’OIT permet le dépôt
de plaintes interétatiques lorsqu’un État ne respecte pas les obligations qu’il a contractées dans l’une des
conventions adoptées au sein de cette institution. Bien que plusieurs conventions de l’OIT intègrent des
obligations visant à faire respecter des droits humains, certaines dispositions sont susceptibles d’aborder des
questions plus techniques relevant surtout du droit du travail. Lorsqu’une plainte dénonce strictement la violation
de ce type de dispositions et que les faits en litige ne peuvent être associés à la violation de droits humains,
nous considérons qu’il ne s’agit pas d’une plainte interétatique en matière de droits humains en vertu de la
définition que nous avons adoptée dans le cadre de ce mémoire.
D’autre part, nos recherches ont permis de répertorier certains cas de plaintes interétatiques qui ont été déclarés
irrecevables en vertu des règles énoncées dans les diverses conventions étudiées. Aux fins de notre mémoire,
nous avons retenu ces plaintes puisque nous considérons que, malgré leur irrecevabilité, le dépôt d’une plainte
formelle met en évidence la volonté qu’ont les États d’utiliser ce mécanisme. À partir du moment où un État
dépose un tel recours, il fait le choix d’utiliser un mécanisme de plainte interétatique donné. Aux fins de notre
questionnement, il y a lieu de tenir compte de cette volonté manifeste d’utiliser ce processus.
Finalement, plusieurs plaintes contre un même État membre peuvent être rattachées à une seule et même
situation. Bien que plusieurs années puissent s’écouler entre le dépôt de ces plaintes, nous jugeons tout de
même qu’elles sont liées de façon substantielle et que les liens qui les unissent font en sorte qu’il est nécessaire
de les traiter conjointement. Ainsi, un cas de plainte interétatique pourra référer à plusieurs plaintes successives.
On notera également que les plaintes effectuées conjointement par plusieurs États membres constituent une
seule et même plainte interétatique.
En fonction des critères précédemment établis, une quinzaine de cas dans lesquels des États ont eu recours à
l’un des mécanismes de plaintes interétatiques à l’étude ont été recensés. Pour associer ces derniers au
mécanisme de plainte en vigueur à l’époque du dépôt et pour faciliter la compréhension de ce type de procédure,
59
nous présenterons brièvement chacun de ces cas en mettant l’accent sur les dates, la convention invoquée
ainsi qu’une brève description de la violation générale dénoncée et du résultat obtenu.
Dans le premier cas de plainte interétatique répertorié, la Grèce invoquait que le Royaume-Uni avait violé
plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme dont, notamment, l’article 3
concernant l’interdiction de la torture et les articles 5 et 6 portant sur les arrêts, détentions et déportations
arbitraires (Grèce c. Royaume-Uni, 1958, p. 6). Deux plaintes ont été déposées au cours des années 1956 et
1957 pour dénoncer ces violations ayant eu lieu dans la colonie britannique de Chypre (Prebensen, 2009,
p. 442). Au final, des dizaines de cas individuels ont été portés à l’attention de la Commission européenne qui
a produit au final un rapport assez critique des actions britanniques sans toutefois explicitement conclure à
l’existence d’une violation de la CEDH (Grèce c. Royaume-Uni, 1958). À la suite de cette décision, le Comité
des Ministres a décidé de ne pas entreprendre aucune action vu la survenance des accords de Zurich et de
Londres portant sur l’indépendance de Chypre (Prebensen, 2009, p. 442).
En 1960, l’Autriche a déposé une plainte contre l’Italie en vertu des articles 6 et 14 de la Convention européenne
des droits de l’homme (Prebensen, 2009, p. 443). Cette plainte faisait suite à la tenue d’un procès pour le
meurtre d’un douanier italien qui a conduit à la condamnation et à l’emprisonnement de six hommes originaires
de l’ancienne région autrichienne du Trentin-Haut-Adige (Prebensen, 2009, p. 443). Déclarée admissible le 11
janvier 1961, la Commission européenne a soumis un rapport dans lequel elle déclare que les faits ne permettent
pas de conclure à l’existence d’une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention européenne ni à la
violation du droit à un procès équitable tel que prévu par l’article 6 de cette même convention (Autriche c. Italie,
1963). Trois mois après la divulgation de ce rapport et en l’absence de toute contestation devant la Cour
européenne, le Comité des Ministres déclara que l’Italie n’avait pas violé la CEDH (Conseil des Ministres, 1963).
En 1961, le Ghana a déposé une plainte en vertu de l’article 26 de la Constitution de l’OIT contre le Portugal.
Invoquant la Convention no. 105 portant sur l’abolition du travail forcé (1957), le Ghana prétendait que le
Portugal avait violé les obligations qu’il avait contractées en vertu de ce traité dans ses territoires du
Mozambique, de l’Angola et de la Guinée (Leckie, 1988, p. 278; Bureau international du travail, 1962). Après
avoir rencontré plus de 31 témoins, la Commission d’enquête mise sur pied a produit un long rapport dans lequel
elle conclut que le Portugal n’a pas respecté l’ensemble de ses obligations et, conséquemment, émet de
nombreuses recommandations (Leckie, 1988, p. 283). Aucune action ne fût intentée devant la CIJ suite à ce
rapport.
La même année, le Portugal a, à son tour, entrepris la même procédure contre le Libéria (1961). Cette fois, le
Portugal a invoqué la Convention no. 29 sur le travail forcé de 1930 en prétextant, entre autres, que la législation
libérienne autorisait des pratiques généralisées assimilables à l’esclavage (Bureau international du Travail,
60
1963, p. 9). Devant la Commission d’enquête, le Libéria a fait valoir qu’il s’agissait d’une plainte éminemment
politique déposée dans le but de détourner l’attention de la communauté internationale sur un autre enjeu que
les violations portugaises en Afrique (Bureau international du travail, 1963, p. 6). Après avoir écarté cette
objection concernant la nature politique de la plainte, la Commission d’enquête a produit un rapport dans lequel
elle conclut que la législation en vigueur n’est pas conforme à la convention no. 29 et émet des
recommandations pour corriger la situation (Leckie, 1988, p. 287).
Alléguant des violations graves et systématiques aux droits humains par le régime militaire grec alors au pouvoir,
le Danemark, la Norvège, la Suède et les Pays-Bas ont déposé deux plaintes (1967 et 1968) contre la Grèce
en vertu des règles applicables devant la CEDH. Après avoir déclaré ces plaintes admissibles et étudié la preuve
lui ayant été soumise, la Commission européenne des droits de l’homme a produit un rapport dans lequel elle
conclut que la Grèce n’a pas respecté ses obligations en matière de droits humains (Danemark, Norvège, Suède
et Pays-Bas c. Grèce, 1976). En 1970, suite à la transmission de ce rapport, le Comité des Ministres a produit
une décision dans laquelle il confirme les conclusions de la Commission et conclut qu’il ne peut recommander
que des actions concrètes soient prises pour favoriser la mise en conformité. La faiblesse de cette décision
s’explique par le fait que la Grèce avait entre temps quitté le Conseil de l’Europe pour protester contre la volonté
du Comité des Ministres de proposer sa suspension du Conseil de l’Europe (Prebensen, 2009, p. 443). Le 10
avril 1970, une nouvelle plainte interétatique a été déposée par les mêmes États membres et déclarée
admissible le 16 juillet de la même année (Prebensen, 2009, p. 443). En 1974, la Grèce fût réadmise au Conseil
de l’Europe suite à des changements politiques majeurs ayant notamment eu un effet sur les pratiques en
matière de respect des droits humains (Prebensen, 2009, p. 443). Vu ces avancées, le Comité des Ministres a
conclu qu’il y avait lieu de ne pas poursuivre la procédure intentée en 1970 (Prebensen, 2009, p. 443).
Le cas opposant l’Irlande au Royaume-Uni fait suite au dépôt d’une plainte par l’Irlande dans laquelle il est
allégué que les autorités britanniques n’ont pas respecté les obligations qu’ils ont contractées en vertu de la
CEDH lors d’interrogatoires et de détentions en Irlande du Nord (Prebensen, 2009, p. 443). Déposée en 1971,
la première plainte a été déclarée admissible le 1er octobre 1972 (Prebensen, 2009, p. 443). D’abord entendue
par la Commission européenne des droits de l’homme, cette dernière a conclu à la violation des articles 3, 4, 5
et 14 de la CEDH (Irlande c. Royaume-Uni, 1978, p. 490). Puis, comme le permettait la procédure en vigueur à
l’époque, la plainte a été entendue par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans son jugement, le
tribunal a renversé plusieurs conclusions de la Commission, mais a tout de même conclu que certains droits
prévus à la CEDH avaient été violés (notamment les garanties prévues à l’article 3 de la CEDH) (Irlande c.
Royaume-Uni, 1978, p. 86). Finalement, on notera qu’une seconde plainte ayant été déposée par l’Irlande fût
abandonnée en octobre 1972.
61
Dans le cas opposant Chypre à la Turquie, plusieurs plaintes se sont succédé au cours des dernières décennies.
Depuis le dépôt de deux plaintes interétatiques contre la Turquie pour ses opérations militaires sur l’île de
Chypre, de nombreux rapports et décisions ont été rendus tant par la Commission européenne des droits de
l’homme que par la Cour européenne. Le premier rapport portant sur ces deux plaintes a été rendu par la
Commission le 10 juillet 1976 et stipule que Chypre a violé de nombreux droits garantis par la CEDH (Prebensen,
2009, p. 444). La décision du Comité des Ministres qui confirme les violations et demande l’application de
certaines mesures n’empêcha pas Chypre de déposée, en 1977, une autre plainte en invoquant que les mêmes
violations ase sont poursuivies (Prebensen, 2009, p. 444). En 1983, un nouveau rapport comportant des
conclusions similaires a été rendu (Prebensen, 2009, p. 444). Dix ans plus tard, en 1994, une autre plainte
faisant suite à la même situation dénoncée plusieurs années auparavant fût logée par Chypre. Suite au dépôt
du rapport par la Commission en 1999, cette plainte fût portée devant la Cour européenne des droits de l’homme
(Prebensen, 2009, p. 444). Dans sa décision rendue le 10 mai 2001, le tribunal conclut que la Turquie a violé
un nombre important de dispositions dont, notamment, les articles 3, 6, 8 et 13 de la CEDH. Encore récemment,
en 2014, la Cour a rendu un jugement concernant la mise en œuvre de sa précédente décision (Chypre c.
Turquie, 2014).
Alléguant des violations graves et massives aux droits humains perpétrées par le régime militaire turc sur son
territoire, la France, la Norvège, le Danemark, la Suède et les Pays-Bas ont déposé une plainte interétatique
contre la Turquie en 1982 (Prebensen, 2009, p. 444). Plus spécifiquement, les plaignants prétendaient que la
junte militaire avait contrevenu à l’article 3 de la CEDH concernant la torture, aux articles 5 et 6 ainsi qu’aux
articles 9, 10 et 11 en raison des restrictions quant au droit d’association, à la formation de partis politiques et à
la liberté de la presse (France, Norvège, Danemark, Suède et Pays-Bas c. Turquie, 1985, p. 3). Après plusieurs
échanges entre les six gouvernements et des délégués européens, les parties sont parvenues à un règlement
à l’amiable (Prebensen, 2009, p. 444). Dans un rapport adopté le 7 décembre 1985, la Commission européenne
des droits de l’homme rappelle les termes du règlement à l’amiable et ordonne la fermeture du dossier (France,
Norvège, Danemark, Suède et Pays-Bas c. Turquie, 1985, p. 12).
En date du 29 août 1985, le gouvernement tunisien a présenté une plainte en vertu de l’article 26 de la
Constitution de l’OIT dans laquelle il prétend que la Libye a violé certaines obligations prévues dans la
Convention no. 95 de 1949 sur la protection du salaire, la Convention no. 111 de 1958 concernant la
discrimination (emploi et profession) et la Convention no 118 de 1962 sur l’égalité de traitement (sécurité sociale)
(Leckie, 1988, p. 281). Plus particulièrement, ce recours faisait suite à l’expulsion par les autorités libyennes
d’un grand nombre de travailleurs tunisiens et égyptiens (Bureau international du travail, 1986, p. 1). La Tunisie
a principalement reproché aux autorités libyennes les pratiques discriminatoires et inhumaines qui ont eu cours
durant les expulsions de travailleurs (Bureau international du travail, 1986, p. 8). Dans ce cas, aucune
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commission d’enquête n’a été établie puisqu’une fois la plainte déclarée recevable, le Directeur général a choisi
d’entamer une procédure de bons offices pour favoriser un règlement à l’amiable (Leckie, 1988, p. 281). On
peut finalement noter que la plainte fût formulée suite à une rupture diplomatique importante entre les deux pays
(Leckie, 1988, p. 281).
En lien avec les mauvais traitements ainsi que la torture infligée à l’un de ses citoyens se trouvant en Turquie,
le Danemark a entamé une procédure de plainte interétatique contre le gouvernement turc le 7 janvier 1997
(Prebensen, 2009, p. 461). Le 31 mars 2000, moins d’un an après que la plainte ait été déclarée admissible, la
Cour européenne des droits de l’homme a rendu un jugement dans lequel elle constate la survenance d’un
règlement à l’amiable et raye le dossier du rôle (Danemark c. Turquie, 2000). En plus de l’obligation pour la
Turquie de formuler des excuses officielles, l’entente entre les parties prévoyait le paiement d’une compensation
au citoyen lésé, l’ouverture d’un dialogue et l’organisation de formations conjointe entre la police des deux pays
impliqués (Prebensen, 2009, p. 461).
Le 8 mars 1999, le Secrétariat de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a reçu une
communication du Congo dans laquelle ce dernier porte plainte contre le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda en
vertu de l’article 49 de la Charte africaine (Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda, 2003). Dans sa plainte, le
Congo met de l’avant les violations aux droits humains perpétrées par les forces armées de ces trois pays sur
son territoire (Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda, 2003, p. 1). Plus particulièrement, le Congo prétend que
plus de 138 membres des forces congolaises auraient été assassinés après s’être rendus dans la province du
Sud-Kivu et que de nombreux civils auraient également été tués ou déportés par les forces armées des trois
pays répondants (Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda, 2003, p. 1). Après avoir déclarée la plainte admissible
et étudiée l’ensemble de la preuve lui ayant été soumise par les parties, la Commission a conclu que les trois
États répondant avaient violé les articles 2, 4, 5, 12(1) et (2), 14, 16, 17, 18(1) et (3), 19, 20, 21, 22 et 23 de la
Charte africaine (Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda, 2003, p. 14). Par la suite, notant le retrait des forces
rwandaises, burundaises et ougandaises, la Commission a recommandé le versement de réparations adéquates
aux victimes (Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda, 2003, p. 15).
Suite à l’arrestation de quatre citoyens russes pour espionnage, la Géorgie a allégué que la Russie a entrepris
divers actes discriminatoires (harcèlement, persécution, détention et expulsion) contre des populations
géorgiennes établies en Russie. Conséquemment, une plainte interétatique a été déposée en date du 26 mars
2007 contre la Fédération de Russie (Prebenson, 2009, p. 461). Dans son jugement, la Cour européenne des
droits de l’homme conclut que la Fédération de Russie a violé plusieurs dispositions de la CEDH dont,
notamment, les articles 3, 4, 5 et 13 (Géorgie c. Russie, 2014). En lien avec ce cas, il est important de noter que
la Géorgie a déposé une requête en vertu de l’article 22 de la CEDR en date du 12 août 2008. Le 1er avril 2011,
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cette requête avait été déclarée inadmissible par la Cour internationale de justice (Géorgie c. Fédération de
Russie, 2011). Finalement, une deuxième plainte interétatique en vertu de l’article 33 de la CEDH a été déposée
par le gouvernement géorgien contre la Russie en 2009. Ce recours fait suite à des attaques des forces russes
et séparatistes contre des populations civiles lors des affrontements ayant eu lieu sur le territoire géorgien. En
date du 13 décembre 2011, le tribunal européen a déclaré cette plainte recevable et, pour l’instant, aucune
décision n’a encore été rendue sur le fond.
Dans une décision rendue le 8 mars 2007, la Commission américaine des droits de l’homme a déclaré
inadmissible la plainte effectuée en 2006 par le Nicaragua contre le Costa Rica (Nicaragua c. Costa Rica, 2007).
Cette plainte interétatique faisait suite à l’agression d’un migrant d’origine nicaraguayenne au cours de laquelle
des policiers du Costa Rica ont assisté à la scène sans intervenir (Nicaragua c. Costa Rica, 2007). Le Nicaragua
prétend qu’il s’agit d’un cas de discrimination envers cette population migrante (Nicaragua c. Costa Rica, 2007).
Bien que les deux parties aient produit une déclaration dans laquelle ils se déclarent liés par la procédure de
plainte interétatique prévue dans la CADH, la Commission a considéré que toutes les voies de recours internes
disponibles n’avaient pas été épuisées et a, par conséquent, déclaré que la plainte était irrecevable (Nicaragua
c. Costa Rica, 2007).
Le 11 juin 2009, l’Équateur a transmis une communication à la Commission américaine des droits de l’homme
dans laquelle elle porte plainte contre la Colombie en vertu de l’article 45 de la CADH. Dans sa plainte,
l’Équateur invoque que les forces armées colombiennes ont violé les articles 4.1, 5.1, 8.1 et 8.2 de la CADH
lorsqu’ils ont exécuté un citoyen équatorien dans le cadre de « l’opération phœnix » (Équateur c. Colombie,
2010, p. 2). Après avoir constaté que les deux parties avaient produit une déclaration d’acceptation conforme,
la Commission s’est prononcée sur la recevabilité de cette plainte interétatique dans un jugement rendu le 21
octobre 2010 (Équateur c. Colombie, 2010, p. 2). Dans cette décision, la Commission conclut qu’elle est
compétente pour entendre cette plainte (Équateur c. Colombie, 2010, p. 29). À notre connaissance, aucune
décision sur le fond n’a encore été rendue par la Commission.
Finalement, le 13 mars 2014, l’Ukraine a déposé une plainte interétatique contre la Russie en vertu de l’article 33
de la CEDH. Dans sa soumission, l’Ukraine allègue que, par ses agissements sur la péninsule de Crimée, son
puissant voisin a violé plusieurs droits humains garantis par cette charte dont, entre autres, le droit à la vie privée
ou la liberté de mouvement (Registraire de la Cour européenne des droits de l’homme, 2015a). Quelques mois
plus tard, en date du 13 juin 2014, une autre plainte interétatique a été entamée par l’Ukraine contre la fédération
russe suite à l’enlèvement présumé de 3 jeunes enfants dans l’Est de l’Ukraine (Registraire de la Cour
européenne des droits de l’homme, 2015a). Après avoir reçu la notification de ces plaintes, la Russie devait
faire parvenir ses observations au cours de l’année 2015 (Registraire de la Cour européenne des droits de
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l’homme, 2015a). On notera que, depuis août 2015, une autre plainte invoquant des violations russes en Ukraine
a été déposée par l’Ukraine (Registraire de la Cour européenne des droits de l’homme, 2015b). Pour l’instant,
aucune décision portant sur l’admissibilité de ces plaintes n’a été rendue par la Cour européenne des droits de
l’homme et ces cas liés à l’invasion russe sont donc toujours pendants.
Nos recherches nous ont permis d’identifier d’autres cas potentiels de plainte interétatique. Néanmoins, ces cas
n’ont pas été retenus en raison du manque d’informations disponibles ou encore de leur incompatibilité avec les
critères de sélection énumérés. Tout d’abord, Umozurike rapporte qu’en 1995 la Libye aurait déposé une plainte
contre les États-Unis à la suite des interventions américaines au Tchad (1997, p. 75). Cette plainte aurait été
jugée irrecevable puisque les Américains n’étaient pas partis à la CADHP. Malheureusement, nous n’avons
trouvé aucune autre source faisant état d’une telle plainte. Toujours dans le cadre de la CADHP, Nmehielle
mentionne l’existence d’une plainte ayant été déposée par le Soudan contre l’Éthiopie en 1997 à la suite des
événements s’étant déroulés le 12 janvier lors de l’invasion des régions de Kurmuk et Gissan (2001, p. 202).
Comme dans le cas précédant, des recherches plus poussées ne nous ont pas permis de trouver des
informations plus précises. Dans les circonstances, nous avons décidé de ne pas tenir compte de ces deux
plaintes puisque nous n’avons pu consulter aucun rapport, décision ou communiqué officiel relatifs à ces cas.
Finalement, les plaintes ayant été effectuées en 1976 et 1978 par la France contre le Panama en vertu de
l’article 26 de la Constitution de l’OIT ont été exclues de notre analyse puisqu’elles ne concernaient pas des
questions liées aux droits humains. En fait, ces plaintes mettaient en cause des conventions portant sur les
règles applicables aux travailleurs œuvrant dans le secteur du transport maritime. Plus concrètement, les
plaintes France-Panama portaient sur des questions de certification et de paiements des travailleurs (Leckie,
1988). Ces litiges sont les seules autres plaintes interétatiques ayant été déposées à l’OIT.
Comparaison entre les cas de plainte et le degré de judiciarité
Après avoir répertorié l’ensemble des cas de plainte interétatique, nous sommes en mesure d’établir le nombre
de plaintes ayant été déposées en vertu de chaque convention étudiée dans le cadre de ce mémoire. De plus,
en associant ce nombre de plaintes au degré de judiciarité évalué précédemment, il sera possible de voir si ce
facteur influence son utilisation. Pour faciliter cette comparaison, nous avons produit le tableau suivant :
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Tableau 1 : Comparaison entre le degré de judiciarité et les plaintes interétatiques
Notre tableau récapitulatif démontre que la procédure de plainte interétatique prévue à la CEDH est la plus
utilisée. Dans l’ensemble, 9 plaintes ont été déposées depuis 1950 devant la Commission ou la Cour
européenne des droits de l’homme, ce qui, au final, donne une moyenne d’environ 1,2 plainte par décennie. On
notera que l’utilisation de cette procédure de plainte est trois fois plus élevée que tout autre mécanisme étudié.
Encore plus, la procédure prévue à l’OIT qui avec 3 cas enregistrés arrive au deuxième rang est en vigueur
depuis 1919. Bien que les États aient disposé de 30 ans de plus pour utiliser cette procédure, cette dernière
arrive loin derrière les mécanismes mis en place par la CEDH.
1 Dans les cas où plusieurs plaintes se sont succédé, nous avons uniquement inséré l’année où la première plainte a été
déposée.
Mécanisme de plainte
Degré de judiciarité
Nombre de
plaintes
Cas et années1
OIT (1919)
(0,75) 3 Ghana c. Portugal (1961); Portugal c. Libéria (1961); Tunisie c. Libye (1985)
CEDH (1950)
(0,95) 7 Grèce c. Royaume-Uni (1956); Autriche c. Italie (1960); Danemark, Norvège, Suède et Pays-Bas c. Grèce (1967); Irlande c. Royaume-Uni (1971); Chypre c. Turquie
(1977); France, Norvège, Danemark, Suède et Pays-Bas c. Turquie (1982);
Danemark c. Turquie (1997)
CEDH (1998)
(0,95) 2 Géorgie c. Russie (2007); Ukraine c. Russie (2014)
CEDR (1965)
(0,62) 0 Aucun
PIDCP (1966)
(0,22) 0 Aucun
CADH (1969)
(0,75) 2 Nicaragua c. Costa Rica (2006); Équateur c. Colombie (2009)
CADHP (1981)
(0,82) 1 Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda (1999)
CCT (1984)
(0,35) 0 Aucun
CDF (2006)
(0,42) 0 Aucun
Protocole PIDESC (2008)
(0,42) 0 Aucun
Protocole CDE (2011)
(0,42) 0 Aucun
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Pour leur part, les mécanismes intégrés dans la CADH et la CADHP arrivent en troisième et quatrième place
puisqu’ils ont été invoqués respectivement à deux et une seule reprises. Plus contemporaines, il n’en demeure
pas moins que ces deux procédures sont loin d’avoir été utilisé plus d’une fois par décennie. En fait, les deux
cas de plainte interétatiques déposés devant la CADHP sont très récents et ce mécanisme est resté inutilisé
durant de nombreuses années. Pourtant, contrairement à la situation qui prévaut en Europe, où une majorité de
pays sont reconnus pour assurer un grand respect des droits humains, plusieurs cas de violations ont été
largement documentés en Afrique et en Amérique. Encore plus, en Amérique, tout comme en Europe, certains
États membres sont parmi les pays les plus actifs en matière de protection des droits humains. Malgré un
potentiel plus élevé de cas pouvant conduire au dépôt de plaintes interétatiques, les mécanismes prévus à ces
deux conventions n’ont pas été en mesure d’amener les États parties à ces conventions à utiliser ce type de
recours.
Pour expliquer ces incohérences, notre hypothèse met de l’avant que le degré de judiciarité est un élément
central qui influence l’utilisation de ces procédures de plaintes interétatiques. Lorsque l’on compare la le degré
de judiciarité de ces mécanismes, on constate que celle des procédures de l’OIT, de la CADHP et de la CADH
est élevée alors que celle du mécanisme européen est très élevée. Malgré plusieurs similarités entre ces
procédures et celle prévue par le Conseil de l’Europe, la différence au niveau du degré de judiciarité est
substantielle. Notre tableau démontre que cette caractéristique semble avoir un impact important sur la
fréquence d’utilisation.
Cette constatation est renforcée par le fait qu’aucun des mécanismes étudiés ayant un degré de judiciarité
inférieur à 0,75 n’a été utilisé. Pourtant, la plupart de ces conventions font l’objet d’une large ratification et, dans
les cas où l’utilisation du mécanisme de plainte interétatique nécessite une déclaration préalable, un nombre
important de pays membres provenant de tous les continents a produit une telle déclaration. À titre d’exemple,
177 États ont ratifié la CEDR, près de 50 États sur les 168 partis au PIDCP ont effectué une déclaration
conformément à l’article 41 et 72 États sur les 159 membres ont accepté l’application de l’article 21 du CAT
(Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, 2016). Pourtant à la disposition des États, ces
mécanismes n’ont pu remplir adéquatement leur mandat de protection et de surveillance. Notre tableau permet
de faire un lien entre le degré de judiciarité de ces procédures et cet échec.
L’ensemble de nos observations démontre qu’il y a une corrélation entre le nombre de plaintes interétatiques
effectuées et le degré de judiciarité d’un mécanisme donné. Avec un score de 0,95, la CEDH se démarque
nettement des autres procédures en raison du nombre de plaintes qu’elle a reçu. Quant à eux, les mécanismes
se démarquant par une un degré de judiciarité élevé (autour de 0,75) ont reçu quelques plaintes et ce, peu
importe l’année d’entrée en fonction ou encore les différences institutionnelles. De plus, on notera que le
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caractère international ou régional de la convention ne semble avoir aucun impact sur la fréquence d’utilisation
de la procédure puisque l’OIT, la CADH et la CADHP ont reçu un nombre comparable de plaintes. Finalement,
l’ensemble des mécanismes ayant un degré de judiciarité modéré ou faible n’a jamais reçu de plainte
interétatique.
Nos conclusions concernant l’influence du degré de judiciarité sur l’utilisation des mécanismes de plainte
interétatique sont également renforcées par la comparaison des données associées aux deux versions de la
CEDH. Entre 1950 et 1998, 7 plaintes interétatiques ont été déposées devant la Commission européenne des
droits de l’homme alors que, depuis 1998, deux cas de plainte ont été entendus par la Cour européenne des
droits de l’homme. Peu importe la version de la CEDH qui est prise en compte, on constate qu’il y a en moyenne
environ un cas de plainte interétatique par décennie. Ainsi, aucun changement substantiel n’a été observé
depuis les modifications apportées à la CEDH en 1998. En tenant compte du fait que le degré de judiciarité des
deux procédures n’a pas été modifié par les changements survenus en 1998, il est normal que la fréquence
d’utilisation de cette procédure ne se soit pas accrue. Ainsi, ces conclusions sont conformes à notre proposition
de recherche.
Notre analyse a permis jusqu’ici d’établir que plus un mécanisme est judiciarisé plus ce dernier a été utilisé.
Bien que d’autres facteurs potentiels comme la culture institutionnelle ou encore les alliances politiques entrent
nécessairement en jeu, ces données laissent fortement présager que le degré de judiciarité joue un rôle non
négligeable quant à la fréquence à laquelle un mécanisme de plainte interétatique est utilisé. En plus d’influencer
la fréquence d’utilisation d’un mécanisme, nos résultats laissent croire que, confrontés à un choix entre deux
mécanismes, les États seraient portés à utiliser le mécanisme le plus judiciarisé. Conséquemment, il est
pertinent de vérifier cette hypothèse qui, si elle s’avère juste, confirmera l’importance que prend le degré de
judiciarité d’un mécanisme pour les États envisageant un recours contre un autre État. Pour ce faire, nous
procéderons à quelques études de cas.
Étude de cas
Parmi l’ensemble des cas recensés, nous avons sélectionné deux cas de plainte interétatique dans lesquels les
États plaignants avaient la possibilité d’invoquer plus d’une convention pour dénoncer une violation donnée aux
droits humains. Ces deux cas ont été sélectionnés en raison du fait que des décisions détaillées et accessibles
ont été rendues dans chacun d’eux. De plus, pour élargir notre analyse, nous souhaitions que ces deux plaintes
aient été déposées devant des institutions différentes et que leur déroulement ne suive pas un parcours
identique.
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Pour chaque cas, nous mettrons de l’avant les faits à l’origine du litige, les dispositions potentiellement
applicables qui sont intégrées dans l’une ou l’autre des conventions à l’étude (y compris celle ayant été
invoquée), les enjeux relatifs à la recevabilité de ces plaintes, ainsi que tout autre élément en lien avec la
démarche de l’État plaignant qui peut se révéler pertinent. Au final, nous serons en mesure de déterminer
qu’elles sont les conventions en vigueur au moment de la plainte qui auraient raisonnablement pu être utilisées
pour déposer une plainte interétatique. Ces études de cas nous permettront de voir si, confrontés à un choix,
les États invoquent la violation des conventions dont le mécanisme de plainte interétatique est le plus judiciarisé.
Dans l’affirmative, le tout viendra appuyer notre hypothèse quant à l’influence du degré de judiciarité d’une
procédure sur l’utilisation des mécanismes de plainte alors que dans le cas contraire notre analyse de cas
pourrait permettre de conclure que, malgré les corrélations précédemment établies, le degré de judiciarité d’une
procédure ne joue pas un rôle aussi important que nous le croyions.
Aux fins de notre analyse, nous présumons que les États sont des acteurs rationnels qui, au moment de déposer
une plainte interétatique, évaluent chacune des options disponibles afin de privilégier l’alternative qu’ils jugent
la plus favorable (Snidal, 2002). Bien qu’un grand nombre de facteurs entrent en jeu lors de telles décisions,
notre étude de cas pourrait démontrer que le caractère judiciaire d’une procédure est considéré comme étant
un avantage par les États plaignants.
Géorgie – Russie
Le premier cas de plainte interétatique sur lequel nous nous pencherons est celui ayant impliqué la Géorgie et
la Russie. Le 26 mars 2007, une plainte a été déposée par la Géorgie en vertu de l’article 33 de la CEDH.
Déclarées recevables par le Tribunal, les dénonciations aux droits humains invoquées par la Géorgie ont été
confirmées dans un jugement rendu le 3 juillet 2014. Bien que sa démarche ait été un succès, notre analyse
démontrera que la Géorgie aurait pu faire appel à d’autres mécanismes de plainte pour dénoncer le
comportement de la Russie.
Évidemment, la Géorgie et la Russie ont toutes deux ratifié la CEDH. De plus, on notera que la Géorgie a
également ratifié la CEDR en 1999, le PIDCP en 1994 et la CCT en 1987 (Haut-commissariat des Nations unies
aux droits de l’homme, 2016). Toutefois, une déclaration d’acceptation de la procédure de plainte interétatique
a uniquement été transmise pour l’article 21 de la CCT (Haut-commissariat des Nations unies aux droits de
l’homme, 2016). De plus, on notera que la Géorgie est un État membre de l’OIT. Pour sa part, en plus d’être
membre de l’OIT, la Russie a ratifié la CEDR en 1969, le PIDCP en 1973 et la CCT en 1987 (Haut-commissariat
des Nations unies aux droits de l’homme, 2016). Des déclarations acceptant l’application de l’article 41 du
PIDCP et de l’article 21 de la CCT ont été transmises (Haut-commissariat des Nations unies aux droits de
l’homme, 2016).
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Ce survol nous permet de constater que plusieurs mécanismes de plainte interétatique étaient à la disposition
de la Géorgie. En plus de l’OIT, la CEDR et la CCT auraient pu être utilisées pour entamer un recours contre
la Russie. À cette étape, il y a lieu de voir si les faits de la présente affaire auraient pu donner ouverture à une
plainte en vertu de l’une ou l’autre de ces conventions :
The applicant Government alleged that the respondent State had permitted or caused to exist an administrative practice of arresting, detaining and collectively expelling Georgian nationals from the Russian Federation in the autumn of 2006, resulting in a violation of Articles 3, 5, 8, 13, 14 and 18 of the Convention, and of Articles 1 and 2 of Protocol No. 1, Article 4 of Protocol No. 4 and Article 1 of Protocol No. 7. (Géorgie c. Russie, 2014, par. 3)
Plusieurs violations ont donc été invoquées par la Géorgie. À cet égard, on notera que les allégations visent
plus particulièrement l’interdiction de la torture, le droit à la liberté et à la sûreté, le droit au respect de la vie
privée et l’interdiction de la discrimination. Au-delà de ces prétentions, la lecture de la décision rendue par le
tribunal européen en 2014 met clairement en évidence que les actes de discriminations envers la population
géorgienne sont à l’origine de ce litige :
It has been established that during the period in question (from the end of September 2006 until the end of January 2007) Georgian nationals were arrested, detained and then expelled from the territory of the Russian Federation.
According to the applicant Government, these were reprisals following the arrest of the Russian officers in Tbilisi and Georgian nationals were expelled regardless of whether they were lawfully or unlawfully resident in the Russian Federation, simply because they were Georgian. (Géorgie c. Russie, 2014, par. 23 et 24)
D’autre part, les actions entreprises par la Russie contre cette population ont amené la Géorgie à prétendre que
son puissant voisin avait violé plusieurs engagements. Notamment, on retiendra aux fins de notre étude que la
Géorgie prétend qu’un traitement inhumain et dégradant a été infligé à plusieurs individus :
The applicant Government submitted that the serious overcrowding in the cells, the inadequacy of the sleeping facilities, the lack of hygiene or privacy of the sanitary facilities, the fact that the detainees lived, slept and used the toilets in the same room, the examples of deaths and serious illnesses among the detainees and all the other circumstances described above clearly showed that the Russian Federation had failed to comply with the obligations incumbent upon it under the Convention. They added that the transport conditions, particularly in the buses and the cargo plane, had been especially humiliating and referred to the statements of the Georgian witnesses in that connection. Accordingly, the applicant Government requested the Court to conclude that there had been a violation of Article 3 of the Convention. (Géorgie c. Russie, 2014, par. 190)
Considérants les faits à l’origine de cette affaire, il est possible de conclure qu’en 2007 la Géorgie aurait pu opter
pour le mécanisme de plainte interétatique prévue à l’article 11 de la CEDR. Plus spécifiquement, la violation
des articles 2 et 3 de la CEDR aurait pu être invoquée. Dans une moindre mesure, si elle avait souhaité que sa
70
plainte porte sur des actions plus restreintes et particulières, la Géorgie aurait également pu invoquer la
procédure prévue à l’article 21 de la CCT.
En 2007, la Géorgie a plutôt choisi d’opter pour la procédure prévue à l’article 33 de la CEDH. Cette procédure
s’avère être celle dont le degré de judiciarité est le plus élevé. En effet, notre modèle a démontré que le
mécanisme de plainte interétatique prévu à la CEDH a un degré de judiciarité de 0,95 comparativement à 0,62
pour la procédure de la CEDR et 0,35 pour celle de la CCT.
Au-delà de ces constatations, une autre procédure intentée par la Géorgie en 2008 démontre bien que ce pays
n’avait aucune intention d’utiliser la procédure de plainte interétatique prévue à la CEDR. Le 12 août 2008, soit
quelques mois après avoir entrepris un recours en vertu de l’article 33 de la CEDH, la Géorgie a entamé un
recours en vertu de l’article 22 de la CEDR. Cet article énonce ce qui suit :
Any dispute between two or more States Parties with respect to the interpretation or application of this Convention, which is not settled by negotiation or by the procedures expressly provided for in this Convention, shall, at the request of any of the parties to the dispute, be referred to the International Court of Justice for decision, unless the disputants agree to another mode of settlement.
Cette disposition permet à un État d’entreprendre un recours devant la CIJ sur toute question relative à
l’application de cette convention. Les actes discriminatoires à l’origine de ce recours sont assez similaires à
ceux qui ont amené la Géorgie à déposer une plainte interétatique en vertu de la CEDH :
La République de Géorgie, en son nom propre et en qualité de parens patriae de ses citoyens, prie respectueusement la Cour de dire et juger que la Fédération de Russie, par l’intermédiaire de ses organes et agents et d’autres personnes et entités exerçant une autorité gouvernementale, ainsi que par l’intermédiaire des forces séparatistes sud-ossètes et abkhazes et d’autres agents opérant sur ses instructions ou sous sa direction et son contrôle, a violé les obligations que lui impose la CIEDR : a) en se livrant à des actes et pratiques de « discrimination raciale contre des personnes, groupes de personnes ou institutions » et en ne faisant pas « en sorte que toutes les autorités publiques et institutions publiques, nationales et locales, se conforment à cette obligation », en violation de l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention; b) en « encourageant, défendant ou appuyant la discrimination raciale », en violation de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention; c) en n’« interdisant pas, par tous les moyens appropriés, y compris, si les circonstances l’exigent, des mesures législatives… la discrimination raciale… et en n’y mettant pas fin », en violation de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention; d) en ne condamnant pas la « ségrégation raciale » et en n’« éliminant pas… toutes les pratiques de cette nature » en Ossétie du Sud et en Abkhazie, en violation de l’article 3 de la Convention; e) en ne « condamnant pas toute propagande et toutes organisations… qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales » et en n’« adoptant pas immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination », en violation de l’article 4 de la Convention; f) en portant atteinte à la jouissance, par les populations de souches géorgienne, grecque et juive d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, des droits de l’homme fondamentaux énumérés à l’article 5 de la Convention, en violation de cet article 5; g) en n’assurant pas « une protection et une voie de recours effectives »
71
contre les actes de discrimination raciale, en violation de l’article 6 de la Convention. (Géorgie c. Fédération de Russie, 2011par. 16)
Dans une décision rendue en 2011, la CIJ a déclaré que ce recours était irrecevable puisque l’article 22 établit
que les États doivent recourir à la négociation ou aux procédures spécifiques prévues dans la CEDR avant
d’entamer une telle action. La Cour a jugé que la Géorgie devait, au préalable, utiliser la procédure de plainte
interétatique prévue à l’article 11 de la CEDR puisque c’est ce mécanisme qui a été spécifiquement mis en place
pour qu’un État dénonce les violations d’un autre État (Géorgie c. Fédération de Russie, 2011, p. 128). Ce
jugement vient donc confirmer que la procédure de l’article 22 ne peut permettre à un État de contourner le
mécanisme de plainte interétatique prévu à la CEDR. Suite à ce jugement, la Géorgie n’a pas déposé de plainte
en vertu de l’article 11 de la CEDR.
En 2007, lors de la première plainte effectuée par la Géorgie, la procédure prévue à l’article 11 de la CEDR n’a
pas été retenue. Moins d’un an plus tard, en invoquant l’article 22 de la CEDR, la Géorgie a pourtant démontré
son intérêt à entamer une action en vertu des dispositions prévues dans cette convention. Malgré tout, au lieu
d’entreprendre le recours spécifiquement prévu pour ce type de plainte, la Géorgie a encore une fois préféré se
tourner vers un autre mécanisme. À chacune de ses décisions, la Géorgie a opté pour le mécanisme qui lui
permettait d’être entendu par un tribunal international. Encore plus, en 2008, elle a préféré entreprendre un
recours dont la recevabilité était loin d’être garantie plutôt que de se tourner vers la procédure de plainte
interétatique spécifiquement établie pour entendre ces litiges et dont les critères de recevabilité sont moins
exigeants. Ces constatations laissent donc croire que, dans toutes ces affaires liées à la discrimination envers
les populations géorgiennes, la Géorgie ne souhaitait pas utiliser la procédure interétatique prévue à la CEDR.
En fait, elle est même allée jusqu’à tenter de contourner cette procédure.
Notre analyse appuie l’hypothèse selon laquelle le degré de judiciarité joue un rôle dans les décisions relatives
aux procédures invoquées en cas de plainte interétatique. L’une des différences majeures entre les mécanismes
de l’article 11 et 22 de la CEDR réside dans le caractère judiciaire de l’un d’entre eux. Alors que l’article 11 se
rapproche des mécanismes de conciliation, l’article 22 conduit à un processus judiciaire devant la Cour
internationale de justice. Bien que d’autres facteurs non évalués soient inévitablement entrés en ligne de compte
dans la décision géorgienne de déposer une plainte devant la CEDH, ce cas est néanmoins conforme à notre
hypothèse.
Nicaragua – Costa Rica
Le deuxième cas de plainte interétatique que nous évaluerons est celui ayant impliqué le Nicaragua et le Costa
Rica. Dans cette affaire, le Nicaragua a déposé une plainte interétatique en date du 6 février 2006 devant la
Commission américaine des droits de l’homme. Alors que la plainte du Nicaragua a été déclarée irrecevable
72
dans une décision rendue le 8 mars 2007, les faits démontrent que le gouvernement nicaraguayen aurait pu
opter pour une autre alternative.
Le Nicaragua a ratifié la CADH en 1979 et a produit une note le 6 février 2006 dans laquelle il déclare avoir
ajouté un paragraphe à sa déclaration datant de 1991. Dans cette note, il est stipulé que le Nicaragua accepte
que des communications interétatiques soient reçues (Organisation des États américains, 2016.) Pour sa part,
le Costa Rica est devenu membre de la CADH en 1970 et il a également produit une telle déclaration
d’acceptation en 1980 (Organisation des États américains, 2016). De plus, la même année, ce dernier a produit
une déclaration dans laquelle il accepte la juridiction de la Cour américaine des droits de l’homme (Organisation
des États américains, 2016). Au cours des dernières décennies, ces deux États ont également ratifié plusieurs
autres traités de droits humains contenant un mécanisme de plainte interétatique.
On notera que le Costa Rica a ratifié la CEDR en 1967, le PIDCP en 1968, la CCT en 1993, le Protocole
optionnel du PIDESC en 2014, le Protocole optionnel relatif à la convention sur les droits de l’enfant en 2014 et
la Convention contre les disparitions forcées en 2012 (Haut-commissariat des Nations unies aux droits de
l’homme, 2016). Alors qu’une déclaration dans laquelle le Costa Rica accepte l’application de la procédure de
plainte interétatique prévue à l’article 21 de la CCT a été produite, aucune autre déclaration d’acceptation n’a
été communiquée par ce pays (Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, 2016). En ce qui
concerne la CEDR, on retiendra qu’aucune déclaration d’acceptation n’est requise pour que le mécanisme de
plainte interétatique soit applicable. Pour terminer, le Costa Rica est membre de l’OIT.
Pour sa part, le Nicaragua a ratifié la CEDR en 1978, le PIDCP en 1980 et la CCT en 2005. Par contre, à la
différence du Costa Rica, le Nicaragua n’a enregistré aucune déclaration dans laquelle il accepte que les
diverses procédures de plaintes interétatiques lui soient applicables. Le Nicaragua est également membre de
l’OIT.
Au final, la CEDR et la Constitution de l’OIT sont les deux seules autres conventions pouvant conduire au dépôt
d’une plainte interétatique entre ces deux pays. À cette étape, il est nécessaire de se référer aux faits qui sont
à l’origine de la plainte pour déterminer si ces derniers sont susceptibles de donner ouverture à une plainte en
vertu de l’une de ces conventions.
Dans la décision précédemment mentionnée, le Nicaragua alléguait que :
(...) the State of Costa Rica has committed violations of Articles 1(1) (Obligation to respect rights), 8 (Right to a fair trial), 24 (Right to equal protection), and 25 (Right to judicial protection) of the American Convention on Human Rights (hereinafter “the Convention” or “the American Convention”); Articles 2, 7, 8, and 28 of the Universal Declaration of Human Rights; Articles II (Right to equality before law) and XVIII (Right to a fair trial) of the American Declaration of the
73
Rights and Duties of Man; and Article 9 of the Inter-American Democratic Charter, which refers to the elimination of all forms of discrimination, due to the alleged failure on the part of the State of Costa Rica to fulfill its duty to ensure protection for the human rights of the Nicaraguan migrant population under its jurisdiction. (Nicaragua c. Costa Rica, 2007, par. 1)
Bien que plusieurs violations aux droits humains soient invoquées par le Nicaragua, les trois situations qui sont
à l’origine de ce litige mettent directement en cause le traitement discriminatoire qui a été infligé à plusieurs
migrants nicaraguayens. Selon le Nicaragua, ces violations sont le résultat d’actions discriminatoires dont l’État
costaricain peut être tenu responsable :
(...) the failure to adopt effective measures to ensure prompt justice and prevent impunity stimulates, at least indirectly, greater discrimination on the basis of nationality, which encourages intolerant sectors to continue their campaign of xenophobia and discrimination, exposing the migrant population to greater peril and risk. (Nicaragua c. Costa Rica, 2007, par. 66)
De plus, la plainte du Nicaragua porte sur une situation qui va au-delà de ces trois cas et fait référence, dans
une large mesure, aux discriminations systématiques envers les migrants d’origine nicaraguayenne qui ont
cours au Costa Rica :
As regards the Nicaraguan migrant population in Costa Rica, the State of Nicaragua argues that "the circumstances that have surrounded the case of Natividad Canda, as well as the murder of José Ariel Urbina and the attacks on Francisco Angulo García, Elder José Angulo García, José Antonio Martínez Urbina, Rito Obando and other companions, are merely outward symptoms of a much deeper underlying situation rooted in sentiments of xenophobia, intolerance, and rejection that reign in some sectors in Costa Rica, despite the solidarity and generosity that prevails in the vast majority of the noble Costa Rican people. (Nicaragua c. Costa Rica, 2007, par. 64)
L’analyse des prétentions nicaraguayennes démontre que la discrimination envers les migrants provenant de
son territoire est l’élément central qui a amené le Nicaragua à déposer une telle plainte contre son voisin. Étant
donné l’importance que prend la discrimination dans cette affaire, un recours en vertu de la CERD était une
option fortement envisageable. Notamment, on peut croire que le Nicaragua aurait pu invoquer la violation de
l’article 5 de la CEDR. Bien que certains cas de discrimination puissent être liés aux milieux de travail dans
lesquels certaines victimes étaient employées, la majorité des cas individuels sur lesquels repose cette plainte
ne sont pas liés au travail (les cas de José Ariel Silva Urbina, José Antonio Martínez Urbina, Francisco Angulo
García, Rito Antonio Obando and Elder Angulo García font suite à une altercation dans un bar situé au Costa
Rica). En fait, la plainte nicaraguayenne dénonce plus généralement la discrimination qui a cours dans plusieurs
sphères de la vie des Nicaraguayens vivants au Costa Rica. Puisque le recours aux conventions de l’OIT aurait
eu pour effet de limiter l’étendu de la plainte aux travailleurs migrants, cette avenue ne semble pas envisageable
et doit donc être écartée. Encore plus, il y a lieu de noter que le Nicaragua et le Costa Rica n’ont pas ratifié les
conventions de l’OIT sur les travailleurs migrants de 1949 et de 1975.
74
Lors de l’audition portant sur la recevabilité de ce recours, la Commission américaine des droits de l’homme a
jugé que la plainte du Nicaragua était irrecevable en vertu de l’article 46 a) de la CADH en raison du fait que
l’État plaignant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles et qu’il n’a pas démontré que l’une des
exceptions à cette règle était applicable en l’espèce (Nicaragua c. Costa Rica, 2007, par. 309). En considérant
que l’article 11 alinéa 3) de la CEDR énonce que l’épuisement des recours internes est une condition de
recevabilité, la plainte intentée en vertu de cette convention aurait été confrontée au même défi.
Néanmoins, en soumettant sa plainte devant la CEDR, le Nicaragua aurait pu éviter qu’une autre problématique
pouvant faire échec à son recours soit soulevée par le Costa Rica. Avant le dépôt de sa plainte, le Nicaragua
n’avait fait aucune déclaration d’acceptation préalable. Conséquemment, il a dû produire une telle déclaration
lors du dépôt de sa plainte et il était alors prévisible que le Costa Rica allait invoquer cet élément lors de l’audition
portant sur la recevabilité de la plainte nicaraguayenne :
However, five months later, in the framework of the hearing held on October 18, 2006, at the 126th Session of the IACHR, the State of Costa Rica requested that the Commission suspend the hearing, arguing that the latter was not competent to examine the instant communication. As the basis for its argument it presented a statement from the Office of International Law of the General Secretariat of the Organization of American States to the effect that said office had no record of additional acts on the part of the Government of Nicaragua in connection with the American Convention since the deposit of its declaration concerning the competence of the Inter-American Court of Human Rights on February 12, 1991. The Costa Rican State submitted on that occasion that the information provided by the Office of International Law constitutes information or supervening proof that there was no official record that the State of Nicaragua had formally deposited a declaration of recognition of the competence of the IACHR and, therefore, the note by which the Nicaraguan State presented its interstate communication against the Costa Rican State should be refused by the Commission. (Nicaragua c. Costa Rica, 2007, par. 158)
Bien que la CADH ait conclu que ce dépôt tardif n’était pas un motif d’irrecevabilité (Nicaragua c. Costa Rica,
2007, para, 163), le Nicaragua aurait pu simplifier son recours en déposant une action en vertu de la CEDR
puisque la procédure de plainte interétatique est automatiquement accessible sans exigence d’acceptation.
Ainsi, malgré ces écueils prévisibles, le Nicaragua a tout de même choisi d’intenter son recours en vertu de la
CADH.
Bien que cette étude de cas ne porte pas sur l’ensemble des motifs ayant pu justifier ce choix (coûts, culture
institutionnelle, régionalisme, etc.), il est permis de se demander si le caractère judiciaire de la procédure prévue
à la CADH a joué un rôle dans cette décision. En vertu de notre analyse, le degré de judiciarité associé au
mécanisme prévu à la CADH est de 0,75 alors que le degré de judiciarité de la procédure interétatique intégrée
à la CEDR est de 0,62. Sans pouvoir affirmer qu’il s’agit de la raison expliquant le choix nicaraguayen, il n’en
demeure pas moins que, malgré la possibilité de recourir à une convention portant spécifiquement sur les
questions liées à la discrimination qui ne nécessitait aucune déclaration préalable, le Nicaragua a préféré
75
déposer sa plainte devant la CADH. À coup sûr, l’analyse de ce cas vient à tout le moins confirmer que le
Nicaragua a fait le choix d’utiliser la procédure la plus judiciarisée malgré l’existence d’une option autant ou
sinon plus manifeste au regard de l’objet du litige et de la recevabilité.
Les cas précédemment étudiés confirment que, confrontés à un choix, les États optent pour la procédure la plus
judiciarisée. Puisque nous n’avons pas mesuré tous les facteurs qui entrent en ligne de compte dans une telle
décision, notre étude de cas ne nous permet pas de conclure que le motif déterminant ayant amené les États à
opter pour une procédure donnée est le degré de judiciarité de cette dernière. Néanmoins, en combinant le
résultat de nos analyses de cas avec ceux indiquant que seuls les mécanismes ayant un degré de judiciarité
élevée sont utilisés, nous sommes en mesure de confirmer notre proposition selon laquelle le degré de judiciarité
a une influence certaine sur l’utilisation des mécanismes de plaintes interétatique. Encore plus, nous croyons
que nos analyses de cas permettent d’établir que le caractère juridique d’une procédure joue un rôle plus
important qu’anticiper dans la décision des États. Dans le cas opposant la Géorgie à la Russie, le fait que la
Géorgie ait également opté pour un mécanisme judiciaire international inclus dans la CEDR alors même qu’une
plainte avait été formulée devant le Conseil de l’Europe met en évidence que le caractère régional ou
international d’une convention ne semble pas avoir une importance particulière lorsqu’un État souhaite dénoncer
une violation aux droits humains. D’autre part, dans la plainte impliquant le Nicaragua et le Costa Rica l’État
plaignant n’a pas opté pour le mécanisme dont la recevabilité était la moins complexe. Ces constatations nous
laissent croire que le caractère judiciaire d’une procédure revêt une importance plus marquée que ces
considérations. Par conséquent, il devient difficile de nier le rôle primordial que notre étude semble accorder au
degré de judiciarité d’une procédure de plainte interétatique.
76
Conclusion
Dans le cadre de ce mémoire, nous avons tenté de savoir si le degré de judiciarité d’une procédure de plainte
interétatique avait une influence sur son utilisation. Au départ, nous avions émis l’hypothèse que les États étaient
portés à utiliser les procédures ayant un degré de judiciarité plus élevé et, pour vérifier cette hypothèse, nous
avons procédé en trois grandes étapes.
Pour sélectionner les conventions visant la protection des droits humains qui contiennent une procédure de
plainte interétatique, nous avons établi différents critères qui ont conduit à l’exclusion de certains mécanismes
ou encore de procédures non en vigueur. Aux fins de cette sélection, nous n’avons pas tenu compte du nombre
d’États pouvant se prévaloir de chacune de ces procédures puisque notre question de recherche porte plus
spécifiquement sur l’influence du degré de judiciarité d’une procédure sur sont sur utilisation. Néanmoins, à ce
stade de notre analyse, nous pouvons simplement noter que certaines conventions dont nous avons souligné
la ratification quasi universelle n’ont jamais été utilisées alors que d’autres au sein desquelles peu d’États ont
accepté l’application des mécanismes de plaintes ont été utilisé à quelques reprises (à titre d’exemple, une
quinzaine de pays a fait la déclaration d’acceptation nécessaire à l’application de la procédure de plainte
interétatique de l’article 45 de la CADH).
Après avoir sélectionné les conventions contenant un mécanisme de plainte interétatique, nous avons identifié
les principales caractéristiques de chacune de ces procédures. L’annexe 1 permet de résumer les particularités
propres à ces procédures. Bien qu’au premier regard il existe un grand nombre de similarités entre plusieurs
des procédures retenues vu l’influence qu’ont eue certains traités précurseurs sur la rédaction des conventions
subséquentes, ce tableau permet de constater rapidement les disparités existantes. Essentielles pour
déterminer leur degré de judiciarité, ces caractéristiques permettent de classer les différents processus de
plainte interétatique en vertu des critères que nous avons établis au chapitre 2.
Dans leurs travaux Abbott, Keohane, Moravcsik, Slaughter et Snidal ont abordé différentes dimensions qui
permettent de classer une procédure ou un traité en fonction de son degré de judiciarité (2000). Selon eux,
chacune des dimensions est indépendante et ce n’est qu’en les combinant qu’il est possible de déterminer le
degré de judiciarité d’une procédure sur un spectre allant du mécanisme diplomatique au mécanisme judiciaire.
Réalisant une étude sur les mécanismes de règlement des différends en matière commerciale, Smith a dû lui
aussi se pencher sur les critères qui permettent de déterminer le degré de judiciarisation d’une procédure (2000).
Portant spécifiquement sur un mécanisme de règlement des différends, cette étude apporte des pistes de
réflexion pertinentes dans le cadre de ce projet. Au final, ces deux études mettent de l’avant plusieurs
dimensions similaires ou se recoupant. En combinant et en adaptant chacune des dimensions retenues en
fonction de l’objet de notre étude, nous avons identifié 5 dimensions dont la prise en compte nous permet de
77
déterminer le degré de judiciarité d’une procédure de plainte interétatique en matière de violation des droits
humains : l’accès initial au mécanisme de plainte et l’accès durant le processus de plainte (traité tous deux dans
la partie portant sur l’accès), l’organe décisionnel, la force décisionnelle et la mise en œuvre des décisions. Pour
chacune de ces dimensions, des indicateurs permettant de mesurer le caractère judiciaire ou diplomatique d’une
procédure ont été établis. Bien que tous les indicateurs s’inspirent et concordent avec les travaux réalisés par
Abbott, Keohane, Moravcsik, Slaughter et Snidal ainsi que Smith, certains ont été adaptés au contexte particulier
du type de plainte à l’étude.
En se référant aux données exposées dans le premier chapitre, chaque procédure a pu être classée sous
l’indicateur approprié lors de notre analyse présentée au chapitre 3. Pour tous les mécanismes étudiés, nous
avons effectué la moyenne en tenant compte des résultats obtenus sous chacune des 5 dimensions. Cette
moyenne a été calculée de manière à ce qu’elle oscille entre 0 et 1. Alors qu’une moyenne totale de 0,25 dénote
un faible degré de judiciarité, une moyenne égale ou supérieure à 0,75 permet de conclure à un degré de
judiciarité élevé. L’ensemble de nos résultats est compilé dans un tableau que l’on retrouve à l’annexe 2. Ce
résumé fait ressortir le caractère judiciarisé de la procédure interétatique européenne et, dans une moindre
mesure des procédures prévues dans les conventions africaines, américaines ainsi que celles adoptées par
l’OIT. Par contre, à l’exception du mécanisme prévu à la CEDR, les conventions onusiennes se démarquent par
leur faible niveau de juridisme. Par la suite, nous avons utilisé un spectre allant du mécanisme diplomatique au
mécanisme judiciaire pour présenter graphiquement le degré de judiciarité des procédures. À ce niveau, nous
avons pu constater un écart marqué entre les procédures étudiées. Pour compléter notre analyse, nous avons
répertorié l’ensemble des cas de plainte interétatique ayant été déposée en vertu de l’une des conventions
retenues. La comparaison entre le degré de judiciarité et le nombre de plaintes interétatique déposé en vertu
de chaque mécanisme a démontré que le degré de judiciarité d’une procédure de plainte interétatique est un
facteur qui influence l’utilisation de ce type de procédure. Bien qu’il existe peu de cas de plaintes sur lesquels
nous avons pu baser ces conclusions, leur répartition entre les divers mécanismes nous semble suffisante pour
émettre cette constatation. Par la suite, les deux analyses de cas que nous avons effectuées laissent croire que
le degré de judiciarité du mécanisme interétatique pouvant être utilisé peut jouer un rôle important dans la
décision des États relative aux moyens à prendre pour dénoncer une violation aux droits humains. Dans les cas
de la Géorgie en 2007 et du Nicaragua en 2006, ces deux États ont opté pour le mécanisme ayant le degré de
judiciarité le plus élevé. Encore plus, les circonstances entourant le dépôt des plaintes démontrent que ces États
semblent avoir porté une attention particulière au caractère judiciarisé du mécanisme de plainte
comparativement à d’autres questions d’importances.
Nos résultats montrent que le degré de judiciarité est un facteur dont les États tiennent compte et qui,
conséquemment, peut expliquer les disparités relatives à l’utilisation des diverses procédures. De plus, notre
78
étude nous porte à affirmer que le caractère judiciaire d’une procédure est un facteur devant être pris en compte
lorsque l’on évalue la question plus globale de la sous-utilisation des mécanismes de plaintes interétatiques. En
effet, le faible degré de judiciarité d’une procédure pourrait expliquer en partie la sous-utilisation de plusieurs
mécanismes dont, notamment, ceux intégrés dans des conventions adoptées sous l’égide des Nations unies.
Dans les situations où les mécanismes plus judiciarisés ne peuvent être invoqués, les États ont toujours le choix
d’opter pour d’autres alternatives comme la négociation bilatérale et ainsi écarter les procédures de plainte
interétatiques faiblement judiciarisées. Tel que soulevé lors de la formulation de notre hypothèse, les
conséquences politiques associées au dépôt d’une plainte interétatique préoccupent les États. En plus d’être
susceptible d’amener une détérioration des relations avec le pays répondant, l’utilisation d’une procédure
faiblement judiciarisée est loin de garantir qu’une solution sera trouvée puisque ces procédures se limitent
souvent à favoriser un règlement à l’amiable. La volonté des États d’avoir accès à un mécanisme ayant un degré
élevé de judiciarité combinée à l’incapacité de plusieurs conventions d’offrir un tel processus peut expliquer que
certains États optent pour une solution n’impliquant pas le dépôt officiel d’une plainte contre un autre État
membre. Puisque les cas où les États n’ont pas accès à des mécanismes ayant un degré élevé de judiciarité
sont nombreux, il se peut que ce facteur ait repoussé plusieurs États et qu’il ait contribué à la sous-utilisation de
certains mécanismes. À titre d’exemple, les États du Proche-Orient, du Moyen-Orient et de l’Asie ne peuvent,
pour la plupart, avoir ratifié les conventions européennes, africaines et américaines et, par conséquent, ces pays
ne peuvent invoquer que les mécanismes prévus dans les conventions onusiennes. Lorsque le litige ne porte
pas sur des questions liées au domaine du travail, la Constitution de l’OIT ne peut être invoquée par les États
provenant de ces régions. Les choix potentiels de ces pays provenant de zones où les droits humains sont
souvent bafoués se limitent donc aux mécanismes de plaintes qui sont les moins judiciarisés. En mettant de
l’avant le facteur juridique, notre étude contribue donc aux travaux visant à mieux saisir les enjeux expliquant la
sous-utilisation de ces mécanismes.
Puisque notre étude se limite à prendre en compte la question du degré de judiciarité, nous n’avons pas étudié
l’impact potentiel d’autres facteurs sur l’utilisation des mécanismes de plainte interétatique. Néanmoins, comme
nous l’avons souligné à maintes reprises, il nous apparaît évident que d’autres facteurs viennent contribuer à la
disparité existant au niveau de la fréquence d’utilisation des différents mécanismes de plaintes et au faible
nombre de recours intentés en vertu de ces mécanismes. Cette limite fait en sorte que nous ne pouvons
comparer le rôle joué par le degré de judiciarité à d’autres facteurs pouvant potentiellement influencer l’utilisation
des mécanismes de plaintes. Dans ces circonstances, notre étude ne peut donc prétendre que le degré de
judiciarité est l’élément central qui joue sur la décision des États. Nous ne pouvons que constater l’importance
que semble prendre ce facteur à plusieurs niveaux. Pour conclure que la nature plus diplomatique ou judiciaire
d’un mécanisme est le facteur prépondérant qui affecte l’utilisation des mécanismes de plainte interétatique, il
serait nécessaire d’approfondir nos recherches et de prendre en compte d’autres facteurs pouvant
79
potentiellement influencer ces recours. À cet effet, quelques avenues prometteuses sont envisageables et il
serait notamment possible de poursuivre notre réflexion sur l’impact de la distinction entre convention régionale
et internationale. Bien que nous l’ayons soulevé a quelques reprises dans notre mémoire, nous ne possédons
pas toutes les données pour nous prononcer sur cette question. Également, il pourrait être intéressant de
démontrer de façon détaillée que le nombre de ratifications d’une convention et l’exigence relative à la production
d’une déclaration dans laquelle un État accepte l’application d’une procédure de plainte interétatique ont une
faible influence sur l’utilisation des mécanismes étudiés.
Sur la question plus générale de la sous-utilisation des mécanismes de plaintes interétatiques, nous croyons
qu’il serait pertinent de se pencher sur le caractère contentieux des mécanismes de plaintes interétatiques. Tel
que nous l’avons établi, ces mécanismes ont été intégrés dans les conventions visant la protection des droits
humains pour permettre aux États membres du surveiller l’application de la convention par les autres pays
membres. À la base, l’État est donc considéré comme un policier dont l’action permet de compléter les autres
mécanismes de surveillance ayant été inclus. Pourtant, l’analyse que nous avons conduite au chapitre 1
démontre que ces procédures mettent en place des processus contentieux similaires à ceux utilisés en cas de
différends internationaux entre les États. Or, en matière de plainte interétatique, nous avons soulevé que l’État
plaignant qui agît comme surveillant n’a pas a démontrer que ses intérêts sont affectés pour dénoncer une
violation. Ainsi, un État plaignant peut ne pas avoir de réel différend touchant ses intérêts avec l’État répondant
et vouloir agir uniquement dans l’intérêt commun. La seule problématique alors existante est le non-respect des
obligations par l’État répondant. En procédant à des audiences contradictoires et en tentant de trouver une
solution dans le cadre d’un processus de règlement amiable des différends, les procédures de plaintes actuelles
créent une opposition entre les États sans que cela soit toujours nécessaire. Nous croyons que cette opposition
est un facteur qui peut influencer l’utilisation des mécanismes de plainte interétatique puisque les États n’ayant
pas d’intérêt spécifique à faire valoir pourraient ne pas vouloir investir toutes les énergies requises pour passer
à travers les divers processus de plainte contradictoire. La réalisation d’une étude approfondie sur cette question
pourrait mettre de l’avant une autre explication potentielle à la sous-utilisation générale. Cette réflexion soulève
également des questions relatives à l’individualisation du processus de plainte. Comme Leckie l’a souligné,
certains États semblent plus confortables à effectuer des plaintes en coopération avec d’autres États membres
pour minimiser les impacts que peut avoir une procédure contradictoire (1988, p. 295). Dans ces circonstances,
on peut se demander si un processus stipulant que le litige confronte un organe multipartite représentant
l’ensemble des États membres à l’État répondant pourrait minimiser le caractère individualisé d’une plainte et
encourager les États membres à jouer leur rôle de policier sans avoir à se soumettre à un long processus
contradictoire.
80
Toutes ces questions devront être approfondies pour comprendre les difficultés auxquelles sont confrontés les
mécanismes de plaintes interétatiques en matière de droits humains. Néanmoins, notre mémoire permet de
mettre l’emphase sur l’un des nombreux facteurs qui influent sur la fréquence d’utilisation de ces procédures.
Peu étudiés par les juristes et les politicologues, les mécanismes de plaintes interétatiques en matière de droits
humains demeurent pourtant l’une des procédures sur laquelle repose le système de protection international
des droits humains. Plusieurs des études que nous avons consultées ne font que soulever les enjeux politiques
liés au dépôt d’une telle plainte interétatique. Pour leur part, les travaux des juristes se limitent souvent à
analyser les conditions donnant ouverture à ces recours ainsi que les exigences relatives à la recevabilité de ce
type de plainte. Dans notre mémoire, nous avons poussé la réflexion un peu plus loin en procédant à une
analyse juridique de ces procédures pour établir un modèle basé sur une théorie relevant de la science politique.
En combinant le droit et la science politique, nous souhaitions ainsi contribuer à apporter des réponses à des
questions trop souvent ignorées.
81
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Annexe 1 : Principales caractéristiques des
mécanismes étudiés
Mécanisme de plainte
interétatique
Exigence relative à la production
d’une déclaration
d’acceptation
Nombre de pays soumis au processus
de plainte interétatique
(2016)
L’épuisement des recours internes est
expressément prévu
Droit de veto
pouvant mettre un terme à la procédure
Décideurs Finalité du mécanisme
Dispositions concernant la
mise en œuvre expressément
prévues
OIT (1919)
Non 187 Non Non Commission d’enquête ou tribunal
Rapport d’enquête avec
recommandations ou décision
judiciaire
Non
CEDH (1950)
Non 47 Oui Non Tribunal Décision judiciaire Oui
CEDR (1965)
Non 177 Oui Non Organe de surveillance/commission
ad hoc
Rapport de conciliation
Non
PIDCP (1966)
Oui 50 Oui Oui Organe de surveillance/commission
ad hoc
Rapport de conciliation
Non
CADH (1969)
Oui 19 Oui Non Organe de surveillance ou Tribunal
Rapport avec conclusions et
recommandations ou décision
judiciaire
Oui
CADHP (1981)
Non 53 Oui Non Organe de surveillance ou Tribunal
Rapport avec conclusions et
recommandations ou décision
judiciaire
Oui
CCT (1984)
Oui 63 Oui Non Organe de surveillance/commission
ad hoc
Rapport factuel Non
CDF (2006)
Oui 20 Non Non Organe de surveillance Rapport de conciliation
Non
Protocole PIDESC (2008)
Oui 5 Oui Non Organe de surveillance/commission
ad hoc
Rapport de conciliation
Non
Protocole CDE
(2011)
Oui 9 Non Non Organe de surveillance/commission
ad hoc
Rapport de conciliation
Non
88
Annexe 2 : Calcul détaillé du degré de judiciarité
Mécanisme de plainte
Accès
initial au mécanisme
Accès
durant le processus
Décideurs
Force
décisionnelle
Contrôle
sur l’application des décisions
Moyenne
Total
OIT (1919)
1/2 1/1 2 /2 3/3 1/4 3,75/5 (0,75)
CEDH (1950)
2/2 1/1 2/2 3/3 3/4 4,75/5 (0,95)
CEDH (1998)
2/2 1/1 2/2 3/3 3/4 4,75/5 (0,95)
CEDR (1965)
2/2 1/1 1/2 1/3 1/4 3,08/5 (0,62)
PIDCP (1966)
0/2 0/1 1/2 1/3 1/4 1,08/5 (0,22)
CADH (1969)
0/2 1/1 2/2 3/3 3/4 3,75/5 (0,75)
CADHP (1981)
2/2 1/1 1/2 2/3 2/4 3,67/5 (0,73)
Protocole CADHPCr
(1998)
2/2
1/1
2/2
3/3
2/4
4,5/5 (0,90)
0,82
CCT (1984)
0/2 1/1 1/2 0/3 1/4 1,75/5 (0,35)
CDF (2006)
0/2 1/1 1/2 1/3 1/4 2,08/5 (0,42)
Protocole PIDESC (2008)
0/2 1/1 1/2 1/3 1/4 2.08/5 (0,42)
Protocole CDE (2011)
0/2
1/1
1/2
1/3
1/4
2,08/5 (0,42)