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Établissement : Lycée Pierre Bourdieu. Fronton Nom - Prénom du candidat : OBJET D’ÉTUDE N° 1 : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle Œuvre intégrale choisie : Les Fleurs du Mal Baudelaire 1857 explication n° 1 Extrait : Spleen LXXXVIII "Spleen et idéal" explication n° 2 Extrait : Recueillement Ed. Posthume 1861 CLIX explication n° 3 Extrait : Une Charogne XXIX "Spleen et idéal" Parcours associé : Alchimie : La boue et l'or , Magie du quotidien Lecture(s) cursive(s) proposée(s) : Alcools Apollinaire Les Cahiers de Douai Rimbaud Le parti pris des choses de Francis Ponge OBJET D’ÉTUDE N° 2 : La littérature d’idée du XVIe au XVIIIe siècle Œuvre intégrale choisie : Les Lettres Persanes de Montesquieu 1754 explication n° 4 Extrait : Lettre XI « Tu renonces à ta raison ,...eux-mêmes » explication n° 5 Extrait : Lettre XIV Intégrale explication n° 6 Extrait : Lettre XXIV « Nous sommes à Paris ...sur les esprits. » explication n° 7 Extrait : Lettre CLXI Intégrale Parcours associé : Le Regard éloigné « Dans la lune » Lecture(s) cursive(s) proposée(s) : Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot L'ingénu , Zadig, Micromegas de Voltaire 1984 , la ferme des animaux G Orwell, Fahrenheit 451 R. Bradbury Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift Histoires vraies , Lucien de Samosate Voyage dans les états et empire de la lune Cyrano de Bergerac Les Aventures et mésaventures du Baron de Munchausen Gottfried August Bürger

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Établissement : Lycée Pierre Bourdieu. Fronton

Nom - Prénom du candidat :

OBJET D’ÉTUDE N° 1 : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale choisie : Les Fleurs du Mal Baudelaire 1857

explication n° 1 Extrait : Spleen LXXXVIII "Spleen et idéal"

explication n° 2 Extrait : Recueillement Ed. Posthume 1861 CLIX

explication n° 3 Extrait : Une Charogne XXIX "Spleen et idéal"

Parcours associé : Alchimie : La boue et l'or , Magie du quotidien

Lecture(s) cursive(s) proposée(s) : – Alcools Apollinaire– Les Cahiers de Douai Rimbaud– Le parti pris des choses de Francis Ponge

OBJET D’ÉTUDE N° 2 : La littérature d’idée du XVIe au XVIIIe siècle

Œuvre intégrale choisie : Les Lettres Persanes de Montesquieu 1754

explication n° 4 Extrait : Lettre XI « Tu renonces à ta raison ,...eux-mêmes »

explication n° 5 Extrait : Lettre XIV Intégrale

explication n° 6 Extrait : Lettre XXIV « Nous sommes à Paris ...sur les esprits. »

explication n° 7 Extrait : Lettre CLXI Intégrale

Parcours associé : Le Regard éloigné « Dans la lune »

Lecture(s) cursive(s) proposée(s) : – Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot– L'ingénu , Zadig, Micromegas de Voltaire – 1984 , la ferme des animaux G Orwell, – Fahrenheit 451 R. Bradbury– Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift– Histoires vraies , Lucien de Samosate– Voyage dans les états et empire de la lune Cyrano de Bergerac– Les Aventures et mésaventures du Baron de Munchausen Gottfried August Bürger

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OBJET D’ÉTUDE N° 3 : Le roman et le récit du moyen âge au XXIe siècle

Œuvre intégrale choisie : La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette

explication n° 8 Extrait : « Il parut alors une beauté à la cour, ..la mener à la cour . [...]»

explication n° 9 Extrait : « Le lendemain qu’elle fut arrivée...extraordinaires.[...] »

explication n° 10 Extrait : « Elle passa tout le jour ….l’avoir jamais vu .[...] »

Parcours associé : Individu, morale et société. Grandeur et décadence de l'héroïne ?

Lecture(s) cursive(s) proposée(s) : – La Princesse de Montpensier de Mme de Lafayette– Paul et Virginie de Bernardin de St Pierre– Manon Lescaut et le Chevalier Des Grieux de Prévost– Mme Bovary de Flaubert– Thérèse Desqueyroux de F.Mauriac– Orgueil et préjugés de Jane Austen

OBJET D’ÉTUDE N° 4 : le théâtre du XVIIe au XXIe siècle

Œuvre intégrale choisie : Le Malade imaginaire de Molière

explication n° 11 Extrait : Acte I, scène 2 Intégrale

explication n° 12 Extrait : Acte III, scène 12 « TOINETTE :Ah, mon Dieu !...pour vous. »

explication n° 13 Extrait : Acte III, scène 14 « ARGAN : Ah ! ma fille.....nous conduit »

Parcours associé : spectacle et comédie. Le Mariage de Figaro de Beaumarchais 1784

explication n° 14 Extrait : Acte III, 5 « Il veut venir à Londres....chanson du bon roi. »

Lecture(s) cursive(s) proposée(s) : – Art de Yasmina Reza – L’Île des Esclaves de Marivaux– Le Mariage de Figaro , Le Barbier de Séville de Beaumarchais– M. de Pourceaugnac de Molière

SITUATION PARTICULIÈRE DU CANDIDAT, le cas échéant

Justification de la modification apportée au descriptif classe :

Signature du chef d’établissement :

Descriptif arrêté à la date du :

Nom et signature du professeur : M.Chaton

Le chef d’établissement :

Signature du candidat :

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Liste alphabétique des élèves Œuvre choisie en vue de l’entretienNom Prénom Titre, AuteurBEDOS Chloé – Le Mariage de Figaro de Beaumarchais

BELLIURE Justine – Fahrenheit 451 R. Bradbury

BENETTI Lila – La Princesse de Montpensier de Mme de Lafayette

BORGHI Louis - la ferme des animaux de G.Orwell

BOUBADDARA Lina - la ferme des animaux de G.Orwell

BOUZEKRI Joumana – Orgueil et préjugés de Jane Austen

COUILLAUD-LLABARRENA

Ema – La Princesse de Montpensier de Mme de Lafayette

CUNNINGTON Lola – Le Mariage de Figaro de Beaumarchais

DAURE Jeanne – Art de Yasmina Reza

DAVY Jean - Le Malade imaginaire de Molière

DEROUICH Marouane – L’Île des Esclaves de Marivaux

DESCHAMP Terence – Manon Lescaut et le Chevalier Des Grieux de Prévost

ESPERON Baptiste – L’Île des Esclaves de Marivaux

ETIEVANT Enzo – 1984 de G.Orwell

FAGNET Tom – Fahrenheit 451 R. Bradbury

GOLFIER Martin – Fahrenheit 451 R. Bradbury

HUTIN Maxime – L’Île des Esclaves de Marivaux

KUPP Hanne – La Princesse de Montpensier de Mme de Lafayette

LARROQUE Damien - la ferme des animaux de G.Orwell

LAVAL Justine – La Princesse de Montpensier de Mme de Lafayette

MILLIEN Paul - La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette

PINARD Marius - la ferme des animaux de G.Orwell

RATOMAHENINA Andry – Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot

RAYNAUD Mathilde – L’Île des Esclaves de Marivaux

RENNANE Zohare – Art de Yasmina Reza

ROSE Alex – Art de Yasmina Reza

ROSINE Noémie – La Princesse de Montpensier de Mme de Lafayette

ROYER Arthur – Le Barbier de Séville de Beaumarchais

SARRAZIN Mélissa – La Princesse de Montpensier de Mme de Lafayette

SCOPULOVIC Romain – La Princesse de Montpensier de Mme de Lafayette

TEULIER Zoé – Les Cahiers de Douai Rimbaud

TYPALDOSLOVERDOS

Theodora - la ferme des animaux G Orwell

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Les Fleurs du Mal Baudelaire

LXXVIII – Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercleSur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,Et que de l’horizon embrassant tout le cercleII nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,Où l’Espérance, comme une chauve-souris,S’en va battant les murs de son aile timideEt se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînéesD’une vaste prison imite les barreaux,Et qu’un peuple muet d’infâmes araignéesVient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furieEt lancent vers le ciel un affreux hurlement,Ainsi que des esprits errants et sans patrieQui se mettent à geindre opiniâtrement.

– Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

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XXIX – Une Charogne

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,Ce beau matin d'été si doux :Au détour d'un sentier une charogne infâmeSur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,Brûlante et suant les poisons,Ouvrait d'une façon nonchalante et cyniqueSon ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,Comme afin de la cuire à point,Et de rendre au centuple à la grande NatureTout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbeComme une fleur s'épanouir.La puanteur était si forte, que sur l'herbeVous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,D'où sortaient de noirs bataillonsDe larves, qui coulaient comme un épais liquideLe long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vagueOu s'élançait en pétillantOn eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,Comme l'eau courante et le vent,Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmiqueAgite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,Une ébauche lente à venirSur la toile oubliée, et que l'artiste achèveSeulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquièteNous regardait d'un oeil fâché, Epiant le moment de reprendre au squeletteLe morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,A cette horrible infection, Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,Apres les derniers sacrements,Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermineQui vous mangera de baisers,Que j'ai gardé la forme et l'essence divineDe mes amours décomposés !

Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire

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Recueillement

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :Une atmosphère obscure enveloppe la ville,Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,Va cueillir des remords dans la fête servile,Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années, Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal CLIX

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Les Lettres Persanes de Montesquieu 1754

Lettre XI USBEK AU MEME. (Mirza)A Ispahan.

«Lettre XI

USBEK À MIRZA.À Ispahan.

Tu renonces à ta raison pour essayer la mienne ; tu descends jusqu’à me consulter ; tu me crois capable de t’instruire. Mon cher Mirza, il y a une chose qui me flatte encore plus que la bonne opinion que tu asconçue de moi : c’est ton amitié, qui me la procure.

Pour remplir ce que tu me prescris, je n’ai pas cru devoir employer des raisonnements fort abstraits. Il ya certaines vérités qu’il ne suffit pas de persuader, mais qu’il faut encore faire sentir : telles sont les vérités de morale. Peut-être que ce morceau d’histoire te touchera plus qu’une philosophie subtile.

Il y avoit en Arabie un petit peuple, appelé Troglodyte, qui descendoit de ces anciens Troglodytes qui, si nous en croyons les historiens, ressembloient plus à des bêtes qu’à des hommes. Ceux-ci n’étoient point si contrefaits, ils n’étoient point velus comme des ours, ils ne siffloient point, ils avoient des yeux ; mais ils étoient si méchants et si féroces, qu’il n’y avoit parmi eux aucun principe d’équité ni de justice.

Ils avoient un roi d’une origine étrangère, qui, voulant corriger la méchanceté de leur naturel, les traitoitsévèrement ; mais ils conjurèrent contre lui, le tuèrent, et exterminèrent toute la famille royale.

Le coup étant fait, ils s’assemblèrent pour choisir un gouvernement ; et, après bien des dissensions, ils créèrent des magistrats. Mais à peine les eurent-ils élus, qu’ils leur devinrent insupportables ; et ils les massacrèrent encore.

Ce peuple, libre de ce nouveau joug, ne consulta plus que son naturel sauvage. Tous les particuliers convinrent qu’ils n’obéiroient plus à personne ; que chacun veilleroit uniquement à ses intérêts, sans consulter ceux des autres.

Cette résolution unanime flattoit extrêmement tous les particuliers. Ils disoient : Qu’ai-je affaire d’aller me tuer à travailler pour des gens dont je ne me soucie point ? Je penserai uniquement à moi. Je vivrai heureux : que m’importe que les autres le soient ? Je me procurerai tous mes besoins ; et, pourvu que je les aie, je ne me soucie point que tous les autres Troglodytes soient misérables.

On étoit dans le mois où l’on ensemence les terres ; chacun dit : Je ne labourerai mon champ que pour qu’il me fournisse le blé qu’il me faut pour me nourrir ; une plus grande quantité me seroit inutile : je ne prendrai point de la peine pour rien.

Les terres de ce petit royaume n’étoient pas de même nature : il y en avoit d’arides et de montagneuses, et d’autres qui, dans un terrain bas, étoient arrosées de plusieurs ruisseaux. Cette année, la sécheresse fut très-grande ; de manière que les terres qui étoient dans les lieux élevés manquèrent absolument, tandis que celles qui purent être arrosées furent très-fertiles : ainsi les peuples des montagnes périrent presque tous de faim par la dureté des autres, qui leur refusèrent de partager la récolte.

L’année d’ensuite fut très-pluvieuse : les lieux élevés se trouvèrent d’une fertilité extraordinaire, et les terres basses furent submergées. La moitié du peuple cria une seconde fois famine ; mais ces misérablestrouvèrent des gens aussi durs qu’ils l’avoient été eux-mêmes. [...] »

D’Erzeron, le 6 de la lune de Gemmadi 2, 1711.

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Lettre XIV

Lettre XIV. Usbek au même

Comme le peuple grossissait tous les jours, les Troglodytes crurent qu’il était à propos de se choisir un roi. Ils convinrent qu’il fallait déférer la couronne à celui qui était le plus juste, et ils jetèrent tous les yeux sur un vieillard vénérable par son âge et par une longue vertu. Il n’avait pas voulu se trouver à cette assemblée; il s’était retiré dans sa maison, le coeur serré de tristesse.

Lorsqu’on lui envoya des députés pour lui apprendre le choix qu’on avait fait de lui: « A Dieu ne plaise,dit-il, que je fasse ce tort aux Troglodytes, que l’on puisse croire qu’il n’y a personne parmi eux de plusjuste que moi! Vous me déférez la couronne, et, si vous le voulez absolument, il faudra bien que je la prenne. Mais comptez que je mourrai de douleur d’avoir vu en naissant les Troglodytes libres et de les voir aujourd’hui assujettis. » A ces mots, il se mit à répandre un torrent de larmes. « Malheureux jour, disait-il; et pourquoi ai-je tant vécu? » Puis il s’écria d’une voix sévère: « Je vois bien ce que c’est, ô Troglodytes! votre vertu commence à vous peser. Dans l’état où vous êtes, n’ayant point de chef, il faut que vous soyez vertueux malgré vous: sans cela vous ne sauriez subsister, et vous tomberiez dans le malheur de vos premiers pères. Mais ce joug vous paraît trop dur; vous aimez mieux être soumis à un prince et obéir à ses lois, moins rigides que vos moeurs. Vous savez que, pour lors, vous pourrez contenter votre ambition, acquérir des richesses et languir dans une lâche volupté; et que, pourvu que vous évitiez de tomber dans les grands crimes, vous n’aurez pas besoin de la vertu. » Il s’arrêta un moment, et ses larmes coulèrent plus que jamais. « Et que prétendez-vous que je fasse? Comment se peut-il que je commande quelque chose à un Troglodyte? Voulez-vous qu’il fasse une action vertueuse parce que je la lui commande, lui qui la ferait tout de même sans moi et par le seul penchant de la nature? O Troglodytes! Je suis à la fin de mes jours, mon sang est glacé dans mes veines, je vais bientôtrevoir vos sacrés aïeux. Pourquoi voulez-vous que je les afflige, et que je sois obligé de leur dire que je vous ai laissés sous un autre joug que celui de la vertu? […] »

D’Erzeron, le 10 de la lune de Gemmadi 2, 1711.

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LETTRE XXIV.RICA À IBBEN.

À Smyrne.

Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. Il faut bien des affaires avant qu’on soit logé, qu’on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu’on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.

Paris est aussi grand qu’Ispahan : les maisons y sont si hautes, qu’on jugerait qu’elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu’une ville bâtie en l’air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée : et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s’y fait un bel embarras.

Tu ne le croirois pas peut-être, depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher personne. Il n’y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les Français ; ils courent, ils volent : les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feroient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d’allure, j’enrage quelquefois comme un chrétien : car encore passe qu’on m’éclabousse depuis les pieds jusqu’à la tête ; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement. Un hommequi vient après moi et qui me passe me fait faire un demi-tour ; et un autre qui me croise de l’autre côté me remet soudain où le premier m’avoit pris ; et je n’ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j’avais fait dix lieues.

[...]

Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre ; et, par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes se trouvoient payées, ses places munies, et ses flottes équipées.

D’ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux, il n’aqu’à leur persuader qu’un écu en vaut deux, et ils le croient. S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent, et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits.

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LETTRE CLXI.

ROXANE À USBEK.

À Paris.

Oui, je t’ai trompé ; j’ai séduit tes eunuques ; je me suis jouée de ta jalousie ; et j’ai su, de ton affreux sérail, faire un lieu de délices et de plaisirs.

Je vais mourir ; le poison va couler dans mes veines : car que ferois-je ici, puisque le seul homme qui me retenoit à la vie n’est plus ? Je meurs ; mais mon ombre s’envole bien accompagnée : je viens d’envoyer devant moi ces gardiens sacrilèges, qui ont répandu le plus beau sang du monde.

Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule pour m’imaginer que je ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices ? que, pendant que tu te permets tout, tu eusses le droit d’affliger tous mes désirs ? Non : j’ai pu vivre dans la servitude, mais j’ai toujours été libre : j’ai réformé tes lois sur celles de la nature ; et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance.

Tu devrois me rendre grâces encore du sacrifice que je t’ai fait ; de ce que je me suis abaissée jusqu’à te paraître fidèle ; de ce que j’ai lâchement gardé dans mon cœur ce que j’aurois dû faire paraître à toute la terre ; enfin de ce que j’ai profané la vertu en souffrant qu’on appelât de ce nom ma soumission à tes fantaisies.

Tu étois étonné de ne point trouver en moi les transports de l’amour : si tu m’avois bien connue, tu y aurois trouvé toute la violence de la haine.

Mais tu as eu longtemps l’avantage de croire qu’un cœur comme le mien t’étoit soumis. Nous étions tous deux heureux ; tu me croyois trompée, et je te trompais.

Ce langage, sans doute, te paroît nouveau. Seroit-il possible qu’après t’avoir accablé de douleurs, je te forçasse encore d’admirer mon courage ? Mais c’en est fait, le poison me consume, ma force m’abandonne ; la plume me tombe des mains ; je sens affaiblir jusqu’à ma haine ; je me meurs.

Du sérail d’Ispahan, le 8 de la lune de Rébiab 1, 1720.

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La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette

« Le portrait de Mlle de Chartres »

« Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l’on doit croire que c’était une beauté parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu où l’on était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le Vidame de Chartres et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l’avait laissée sous la conduite de Mme de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l’éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté, elle songeaaussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s’imaginent qu’il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Mme de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des peintures de l’amour ; elle lui montrait ce qu’il ad’agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d’un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d’une honnête femme, et combien la vertu donnait d’éclat et d’élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance ; mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême défiance de soi-même et par un grand soin de s’attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d’une femme, qui est d’aimer son mari et d’en être aimée.

Cette héritière était alors un des grands partis qu’il y eût en France ; et quoiqu’elle fût dans une extrêmejeunesse, l’on avait déjà proposé plusieurs mariages. Mme de Chartres, qui était extrêmement glorieuse,ne trouvait presque rien digne de sa fille ; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour.

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« La rencontre du Prince de Clèves »

Le lendemain qu’elle fut arrivée, elle alla pour assortir des pierreries chez un Italien qui entrafiquait par tout le monde. Cet homme était venu de Florence avec la Reine, et s’étaittellement enrichi dans son trafic que sa maison paraissait plutôt celle d’un grand seigneurque d’un marchand. Comme elle y était, le prince de Clèves y arriva. Il fut tellement surprisde sa beauté qu’il ne peut cacher sa surprise ; et Mlle de Chartres ne put s’empêcher derougir en voyant l’étonnement qu’elle lui avait donné. Elle se remit néanmoins, sanstémoigner d’autre attention aux actions de ce prince que celle que la civilité lui devaitdonner pour un homme tel qu’il paraissait. M de Clèves la regardait avec admiration, et il nepouvait comprendre qui était cette belle personne qu’il ne connaissait point. Il voyait bien,par son air et par tout ce qui était à sa suite, qu’elle devait être d’une grande qualité. Sajeunesse lui faisait croire que c’était une fille, mais, ne lui voyant point de mère, et l’Italien,qui ne la connaissait pas, l’appelant « Madame », il ne savait que penser, et il la regardaittoujours avec étonnement. Il s’aperçut que ses regards l’embarrassaient, contre l’ordinairedes jeunes personnes qui voient toujours avec plaisir l’effet de leur beauté ; il lui parutmême qu’il était cause qu’elle avait de l’impatience de s’en aller, et en effet elle sortit assezpromptement. M de Clèves se consola de la perdre de vue dans l’espérance de savoir quielle était ; mais il fut bien surpris quand il sut qu’on ne la connaissait point. Il demeura sitouché de sa beauté et de l’air modeste qu’il avait remarqué dans ses actions qu’on peut direqu’il conçut pour elle dès ce moment une passion et une estime extraordinaires.

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« La rencontre au bal de M. de Nemours »

« Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu’elle arriva, l’on admira sa beauté et sa parure; le bal commença et, comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu’un qui entrait et à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser et, pendant qu’elle cherchait des yeux quelqu’un qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait. Ce prince était fait d’une sorte qu’il étaitdifficile de n’être pas surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu’il avait pris de se parer augmentait encore l’air brillant qui était dans sa personne; mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement.

M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu’il fut proche d’elle, et qu’elle lui fit la révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu’ils ne s’étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur demandèrent s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s’ils ne s’en doutaient point.

– Pour moi, madame, dit M. de Nemours, je n’ai pas d’incertitude; mais comme Mme de Clèves n’a pasles mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j’ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.

– Je crois, dit Mme la dauphine, qu’elle le sait aussi bien que vous savez le sien.

– Je vous assure, madame, reprit Mme de Clèves, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.

-Vous devinez fort bien, répondit Mme la dauphine; et il y a même quelque chose d’obligeant pour M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l’avoir jamais vu.

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Le Malade imaginaire Molière

ACTE I, 2 ToinetteTOINETTE, ARGAN.

TOINETTE, en entrant dans la chambre.- On y va.

ARGAN.- Ah ! chienne ! Ah carogne…

TOINETTE, faisant semblant de s’être cogné la tête.– Diantre soit fait de votre impatience, vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d’un volet.

ARGAN, en colère.- Ah ! traîtresse…

TOINETTE, pour l’interrompre et l’empêcher de crier, se plaint toujours, en disant.- Ha !

ARGAN.- Il y a…

TOINETTE.- Ha !

ARGAN.- Il y a une heure…

TOINETTE.- Ha !

ARGAN.- Tu m’as laissé…

TOINETTE.- Ha !

ARGAN.- Tais-toi donc, coquine, que je te querelle.

TOINETTE.- Çamon, ma foi, j’en suis d’avis, après ce que je me suis fait.

ARGAN.- Tu m’as fait égosiller, carogne.

TOINETTE.- Et vous m’avez fait, vous, casser la tête, l’un vaut bien l’autre. Quitte, à quitte, si vous voulez.

ARGAN.- Quoi, coquine…

TOINETTE.- Si vous querellez, je pleurerai.

ARGAN.- Me laisser, traîtresse…

TOINETTE, toujours pour l’interrompre.- Ha !

ARGAN.- Chienne, tu veux…

TOINETTE.- Ha !

ARGAN.- Quoi il faudra encore que je n’aie pas le plaisir de la quereller ?

TOINETTE.- Querellez tout votre soûl, je le veux bien.

ARGAN.- Tu m’en empêches, chienne, en m’interrompant à tous coups.

TOINETTE.- Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que de mon côté, j’aie le plaisir de pleurer ; chacun le sien ce n’est pas trop. Ha !

ARGAN.- Allons, il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci. (Argan se lève de sa chaise.) Mon lavement d’aujourd’hui a-t-il bien opéré ?

TOINETTE.- Votre lavement ?

ARGAN.- Oui. Ai-je bien fait de la bile ?

TOINETTE.- Ma foi je ne me mêle point de ces affaires-là, c’est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu’il en a le profit.

ARGAN.- Qu’on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l’autre que je dois tantôt prendre.

TOINETTE.- Ce Monsieur Fleurant-là, et ce Monsieur Purgon s’égayent bien sur votre corps ; ils ont en vous une bonne vache à lait ; et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes.

ARGAN.- Taisez-vous, ignorante, ce n’est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu’on me fasse venir ma fille Angélique, j’ai à lui dire quelque chose.

TOINETTE.- La voici qui vient d’elle-même ; elle a deviné votre pensée.

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Acte III Scène 12Béline, Toinette, Argan, Béralde

TOINETTE s’écrie.

Ah, mon Dieu ! Ah, malheur ! Quel étrange accident !

BÉLINE

Qu’est-ce, Toinette ?

TOINETTE

Ah, Madame !

BÉLINE

Qu’y a-t-il ?

TOINETTE

Votre mari est mort.

BÉLINE

Mon mari est mort ?

TOINETTE

Hélas ! oui. Le pauvre défunt est trépassé.

BÉLINE

Assurément ?

TOINETTE

Assurément. Personne ne sait encore cet accident-là, et je mesuis trouvée ici toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise.

BÉLINE

Le Ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d’un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de t’affliger de cette mort !

TOINETTE

Je pensois, Madame, qu’il fallût pleurer.

BÉLINE

Va, va, cela n’en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que lasienne ? et de quoi servoit-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.

TOINETTE

Voilà une belle oraison funèbre.

BÉLINE

Il faut, Toinette, que tu m’aides à exécuter mon dessein, et tupeux croire qu’en me servant ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur, personne n’est encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu’à ce que j’aye fait mon affaire. Il y a des papiers, il y ade l’argent dont je veux me saisir, et il n’est pas juste que j’aye passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Viens, Toinette, prenons auparavant toutes ses clefs.

ARGAN, se levant brusquement.

Doucement.

BÉLINE, surprise et épouvantée.

Ahy !

ARGAN

Oui, Madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aimez ?

TOINETTE

Ah, ah ! le défunt n’est pas mort.

ARGAN, à Béline, qui sort.

Je suis bien aise de voir votre amitié, et d’avoir entendu le beau panégyrique que vous avez fait de moi. Voilà un avis au lecteur qui me rendra sage à l’avenir, et qui m’empêcherade faire bien des choses.

BÉRALDE, sortant de l’endroit où il étoit caché.

Hé bien ! mon frère, vous le voyez.

TOINETTE

Par ma foi ! je n’aurois jamais cru cela. Mais j’entends votrefille : remettez-vous comme vous étiez, et voyons de quelle manière elle recevra votre mort. C’est une chose qu’il n’est pas mauvais d’éprouver ; et puisque vous êtes en train, vous connoîtrez par là les sentiments que votre famille a pour vous.

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Acte III, scène 14 dernièreARGAN se lève.- Ah ! ma fille.

ANGÉLIQUE, épouvantée.- Ahy !

ARGAN.- Viens. N’aie point de peur, je ne suis pas mort. Va, tu es mon vrai sang, ma véritable fille, et je suis ravi d’avoir vu ton bon naturel.

ANGÉLIQUE.- Ah ! quelle surprise agréable, mon père, puisque par un bonheur extrême le Ciel vous redonne à mes vœux, souffrez qu’ici je me jette à vos pieds pour vous supplier d’une chose. Si vous n’êtes pas favorable au penchant de mon cœur, si vous me refusez Cléante pour époux, je vous conjure, au moins, de ne me point forcer d’en épouser un autre. C’est toute la grâce que je vous demande.

CLÉANTE se jette à genoux.- Eh, Monsieur, laissez-vous toucher à ses prières et aux miennes ; et ne vous montrez point contraire aux mutuels empressements d’une si belle inclination.

BÉRALDE.- Mon frère, pouvez-vous tenir là contre ?

TOINETTE.- Monsieur, serez-vous insensible à tant d’amour ?

ARGAN.- Qu’il se fasse médecin, je consens au mariage. Oui, faites-vous médecin, je vous donne ma fille.

CLÉANTE.- Très volontiers, Monsieur, s’il ne tient qu’à cela pour être votre gendre, je me ferai médecin, apothicaire même,si vous voulez. Ce n’est pas une affaire que cela, et je ferais bien d’autres choses pour obtenir la belle Angélique.

BÉRALDE.- Mais, mon frère, il me vient une pensée. Faites-vous médecin vous-même. La commodité sera encore plus grande, d’avoir en vous tout ce qu’il vous faut.

TOINETTE.- Cela est vrai. Voilà le vrai moyen de vous guérir bientôt ; et il n’y a point de maladie osée, que de se jouer à la personne d’un médecin.

ARGAN.- Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi. Est-ce que je suis en âge d’étudier ?

BÉRALDE.- Bon, étudier. Vous êtes assez savant ; et il y en a beaucoup parmi eux, qui ne sont pas plus habiles que vous.

ARGAN.- Mais il faut savoir bien parler latin, connaître les maladies, et les remèdes qu’il y faut faire.

BÉRALDE.- En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela, et vous serez après plus habile que vous ne voudrez.

ARGAN.- Quoi ? l’on sait discourir sur les maladies quand on a cet habit-là ?

BÉRALDE.- Oui. L’on n’a qu’à parler ; avec une robe, et un bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devient raison.

TOINETTE.- Tenez, Monsieur, quand il n’y aurait que votre barbe, c’est déjà beaucoup, et la barbe fait plus de la moitié d’un médecin.

CLÉANTE.- En tout cas, je suis prêt à tout.

BÉRALDE.- Voulez-vous que l’affaire se fasse tout à l’heure ?

ARGAN.- Comment tout à l’heure ?

BÉRALDE.- Oui, et dans votre maison.

ARGAN.- Dans ma maison ?

BÉRALDE.- Oui. Je connais une Faculté de mes amies, qui viendra tout à l’heure en faire la cérémonie dans votre salle. Cela ne vous coûtera rien.

ARGAN.- Mais, moi que dire, que répondre ?

BÉRALDE.- On vous instruira en deux mots, et l’on vous donnera par écrit ce que vous devez dire. Allez-vous-en vous mettre en habit décent, je vais les envoyer quérir.

ARGAN.- Allons, voyons cela.

CLÉANTE.- Que voulez-vous dire, et qu’entendez-vous avec cette Faculté de vos amies... ?

TOINETTE.- Quel est donc votre dessein ?

BÉRALDE.- De nous divertir un peu ce soir. Les comédiens ont fait un petit intermède de la réception d’un médecin, avec des danses et de la musique ; je veux que nous en prenions ensemble le divertissement, et que mon frère y fasse le premier personnage

ANGÉLIQUE.- Mais, mon oncle, il me semble que vous vous jouez un peu beaucoup de mon père.

BÉRALDE.- Mais, ma nièce, ce n’est pas tant le jouer, que s’accommoder à ses fantaisies. Tout ceci n’est qu’entre nous. Nous y pouvons aussi prendre chacun un personnage, et nous donner ainsi la comédie les uns aux autres. Le carnaval autorise cela. Allons vite préparer toutes choses.

CLÉANTE, à Angélique.- Y consentez-vous ?

ANGÉLIQUE.- Oui, puisque mon oncle nous conduit.

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Le Mariage de Figaro Beaumarchais