Les inspecteurs du travail à l'épreuve de l'évaluation des risques ...

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HAL Id: tel-00353866 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00353866 Submitted on 16 Jan 2009 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Les inspecteurs du travail à l’épreuve de l’évaluation des risques : une profession sous tension Vincent Tiano To cite this version: Vincent Tiano. Les inspecteurs du travail à l’épreuve de l’évaluation des risques : une profession sous tension. Sociologie. Université de la Méditerranée - Aix-Marseille II, 2003. Français. <tel-00353866>

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    Submitted on 16 Jan 2009

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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    Les inspecteurs du travail lpreuve de lvaluation desrisques : une profession sous tension

    Vincent Tiano

    To cite this version:Vincent Tiano. Les inspecteurs du travail lpreuve de lvaluation des risques : une profession soustension. Sociologie. Universit de la Mditerrane - Aix-Marseille II, 2003. Franais.

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  • Ecole doctorale des Sciences conomiques et de gestion de l Universit dAix-Marseille II

    Facult des Sciences conomiques et de gestion Universit de la Mditerrane Aix Marseille II Laboratoire dconomie et sociologie du travail

    Thse pour lobtention du titre de

    Docteur en sociologie prsente et soutenue publiquement par

    Vincent TIANO

    LES INSPECTEURS DU TRAVAIL A LEPREUVE DE LEVALUATION DES RISQUES

    UNE PROFESSION SOUS TENSION

    le 19 dcembre 2003

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    Ecole doctorale des Sciences conomiques et de gestion de l Universit dAix-Marseille II

    Facult des Sciences conomiques et de gestion Universit de la Mditerrane Aix Marseille II Laboratoire dconomie et sociologie du travail

    Thse pour lobtention du titre de

    Docteur en sociologie prsente et soutenue publiquement par

    Vincent TIANO

    LES INSPECTEURS DU TRAVAIL A LEPREUVE DE LEVALUATION DES RISQUES

    UNE PROFESSION SOUS TENSION

    JURY

    Nicolas DODIER, rapporteur, Directeur de recherche lINSERM, Cermes-Villejuif, directeur dtudes lEHESS,

    Claude DUBAR, Professeur de Sociologie, Universit de Saint Quentin en Yvelines,

    Jean MARIMBERT, Conseiller dEtat, ancien Directeur des relations du travail,

    Jean SAGLIO, rapporteur, Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire Cristo-Grenoble, Eric VERDIER, directeur de thse, Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire dconomie et de sociologie du travail- Aix en Provence Vincent VIET, Charg de mission la Mission Recherche du Ministre des Affaires sociales, du travail et de la solidarit.

    19 dcembre 2003 Volume I LUniversit nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans les thses : ces opinions doivent tre considres comme propre lauteur.

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    Avant propos et remerciements Cette thse porte sur les inspecteurs du travail. Aprs quinze annes de pratique en qualit dinspecteur du travail, et passionn par la problmatique de lvaluation des risques, jai prouv le dsir de prendre de la distance lgard de mon mtier et dapprofondir mon regard sur les problmes auxquels le soumettait cette nouvelle arme de la prvention quest lvaluation des risques professionnels. Ainsi cette thse rsulte dun dsir daction et de rflexion, de continuit et de rupture, defficacit professionnelle et de dveloppement personnel. Elle naurait pas pu tre accomplie sans les divers concours dont jai bnfici. Aussi, je tiens remercier en premier lieu les agents de linspection du travail qui se sont prts mes enqutes et dont beaucoup mont encourag. Quils sachent que mon dsir dlucider les ressorts de leur action a toujours t parcouru de la crainte de diminuer la spontanit de leur dvouement laccomplissement de leur mission de protection des salaris. Mes remerciements vont aussi au diffrents chelons et services du ministre du travail qui ont tous marqu leur intrt pour cette thse et mont accord les facilits ncessaires sa ralisation, dans un respect total de lindpendance du chercheur. Je remercie aussi les chercheurs du Laboratoire dconomie et de sociologie du travail dAix en Provence pour lencadrement de mes travaux et leur grande disponibilit lgard dun tudiant tardif. Un merci aussi aux membres de la communaut scientifique et aux praticiens de la prvention qui ont accept de me faire part de leur point de vue sur mes travaux. Un merci, encore, toutes celles et tous ceux qui mont apport une aide matrielle prcieuse pour mes travaux. Enfin, que mes proches reoivent tous mes remerciements pour la patience dont ils ont fait preuve lgard de cette aventure personnelle.

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    SOMMAIRE INTRODUCTION GENERALE .................................................................................................... 8 PREMIERE PARTIE ................................................................................................................... 29 CHAPITRE 1 LA DIMENSION NORMATIVE DE LA PREVENTION DES RISQUES .... 30 1. LES NORMES ISSUES DE LETAT....................................................................................... 33

    1.1 La lente affirmation de la lgitimit de lEtat en matire de protection de la sant/scurit des travailleurs ........................................................................................ 33

    1.2. Lorganisation lgale de la prvention ......................................................................... 35 1.3. Lextension des assujettis aux rgles de scurit du code du travail............................. 52 1.4. Une production rglementaire abondante ..................................................................... 55 1.5. La sanction du non-respect des normes ........................................................................ 59

    2. LE DISPOSITIF NORMATIF PRIVE .................................................................................... 66 2.1. Une production unilatrale des employeurs .................................................................. 66 2.2. Une production partage ............................................................................................... 69 3. LIMPULSION SUPRA NATIONALE ................................................................................... 80 3.1. LEurope source majeure dimpulsion normative......................................................... 81 3.2. LOrganisation internationale du travail ....................................................................... 85 4. LE DISPOSITIF NORMATIF RELATIF A LEVALUATION DES RISQUES................ 87 4.1. Une importation Europenne......................................................................................... 87 4.2. Un dispositif lgal souple et contraignant ................................................................. 88 4.3. La contribution limite des acteurs privs au dispositif normatif ................................. 90 4.4. Une prescription qui marque le reflux des prescriptions juridiques ?........................... 92 CONCLUSION............................................................................................................................... 93

    CHAPITRE 2 : LA DIMENSION COGNITIVE DE LA PREVENTION DES RISQUES ............................................................................................................................... 96 1. QUEL SENS POUR LA PREVENTION ......................................................................... 101

    1.1. Adhsions et conflits autour du compromis civique marchand ............................... 102 1.2. Quelle approche globale de la prvention ?................................................................. 127 1.3. Une approche prescriptive et sur dtermine par le risque......................................... 150 1.4. Lvaluation des risques acclre la mutation............................................................. 166

    2. LES EXPERTISES ET LA CONNAISSANCE MOBILISEES POUR LA PREVENTION ............................................................................................................................ 183

    2.1. Lexpertise de linspection du travail .......................................................................... 184 2.2. Les diffrentes connaissances mobilises dans le champ de la prvention................. 192 2.3. les controverses autour de lexpertise dans le champ de la prvention ....................... 195 2.4. Lvaluation des risques, facteur de reconfiguration des expertises .......................... 201

    3. LA FABRIQUE DU SENS ET DE LEXPERTISE.............................................................. 204 3.1. La faiblesse des indicateurs handicape la production dun sens commun de

    la.prvention ................................................................................................................ 205 3.2. Les dbats et la formation : le forum .......................................................................... 209

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    3.3. Les ngociations autour de la prvention : larne ..................................................... 211 3.4. La production dun sens commun de lvaluation des risques ................................... 217

    CONCLUSION............................................................................................................................. 218

    CHAPITRE 3 : LA POLITIQUE PUBLIQUE DE PREVENTION DES RISQUES PROFESSIONNELS......................................................................................... 223 1. LES ORIENTATIONS DENSEMBLE DU MINISTERE CHARGE DU TRAVAIL .... 226

    1.1.La priorit lemploi.................................................................................................... 226 1.2.La primaut du dialogue social .............................................................................. 229 1.3. Le management de linspection du travail .................................................................. 231

    2. LES ORIENTATIONS EN MATIERE DE PREVENTION DES RISQUES ................... 233 2.1. Les canaux dexpression des orientations donnes linspection .............................. 233 2.2. Les problmes identifis par le ministre ................................................................... 234 2.3. Les objectifs du ministre du travail en matire de prvention .................................. 235 2.4. La configuration des acteurs et la conduite de projet portes par les circulaires ....... 239 2.5. Les ressources dployes au service de ces orientations ............................................ 244 2.6. Quels apprentissages .................................................................................................. 262

    3. LEVALUATION DES RISQUES ......................................................................................... 263 3.1. Le sens donn lvaluation des risques .................................................................... 263

    3.2. La configuration des acteurs dessines par le dispositif relatif lvaluation des risques ................................................................................................................................ 266

    3.3. Les procdures et outils de la politique publique dvaluation des risques ................ 273 CONCLUSION............................................................................................................................. 287 SECONDE PARTIE ................................................................................................................... 296

    CHAPITRE 4 : LUNITE DE LINSPECTION DU TRAVAIL ............................................. 296 1. LE MARCHE INTERNE DE LA PROFESSION ............................................................... 300

    1.1. Les dlimitations du corps .......................................................................................... 300 1.2. La carrire des inspecteurs ......................................................................................... 306 1.3. Socio-dmographie des inspecteurs du travail en section dinspection aujourdhui .. 315

    2. LA LICENCE DES INSPECTEURS ET SES INTERPRETATIONS ........................ 319 2.1. Une profession librale ? La question de lindpendance ........................................... 319 2.2. Lhygine et la scurit au cur dune comptence gnraliste ................................ 324

    3. LES MISSIONS DES INSPECTEURS DU TRAVAIL ....................................................... 330 3.1. La dfense des salaris et de lordre public ................................................................ 330 3.2. Les missionnaires sur le terrain .................................................................................. 355

    CONCLUSION ............................................................................................................................ 362

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    CHAPITRE 5 : LES INSPECTEURS DU TRAVAIL AUX PRISES AVEC LEVALUATION DES RISQUES ............................................................................................ 365 1. LACTIVITE DES INSPECTEURS : LA DOMINATION PAR LES

    CIRCONSTANCES................................................................................................................. 367 1.1. Lactivit des inspecteurs est domine par les circonstances..................................... 368 1.2. Une domination qui partage les inspecteurs............................................................... 378 2. LES PRATIQUES DES INSPECTEURS LORS DES CONTROLES SONT

    ATTEINTES PAR LEVALUATION DES RISQUES........................................................ 381 2.1. Le diagnostic des IT : une forme dvaluation des risques ? ..................................... 381 2.2. La prescription de lvaluation des risques, un abandon de la posture protectrice .... 387 CONCLUSION......... 398 CHAPITRE 6 : LES REGULATIONS ET LES APPRENTISSAGES DES INSPECTEURS DU TRAVAIL, A LEPREUVE DE LEVALUATION DES RISQUES... 400 1. UNE REGULATION DE CONTROLE PEU PROPICE AUX APPRENTISSAGES ...... 403 1.1. La rgulation par la loi ............................................................................................... 403

    1.2. La faiblesse de la rgulation de contrle par les directives adresses aux inspecteurs ................................................................................................................... 405

    1.3. Les dfaillances du contrle sur les inspecteurs affaiblissent le prescrit et les apprentissages.............................................................................................................. 420

    2. LA REGULATION AUTONOME DES INSPECTEURS NE FAVORISE PAS LAPPRENTISSAGE .................................................................................................................. 439 2.1. Les lgitimits de la rgulation autonome................................................................... 439 2.2. Une rgulation autonome limite ................................................................................ 440 2.3. Les raisons de cette rgulation limite et les difficults dauto valuation des IT..... 445 3. LES DIFFICULTES DE LA REGULATION CONJOINTE ET DE LAPPRENTISSAGE ORGANISATIONNEL ......................................................................... 447 3.1. Quelle lgitimit pour la rgulation conjointe au sein du ministre ?......................... 447 3.2. Les modalits de la rgulation conjointe..................................................................... 452 3.3. Une rgulation conjointe instable ............................................................................... 458 3.4. Efficacit de la rgulation conjointe les apprentissages qui en rsultent ................. 461 CONCLUSION............................................................................................................................. 470 CHAPITRE 7 : LES DIFFICULTES DE LA MISE EN PLACE DUN TRAVAIL EN RESEAU AVEC LES AUTRES ACTEURS DE LA PREVENTION..................................... 478 1. LES INSPECTEURS DU TRAVAIL ET LES AUTRES ACTEURS DE LA PREVENTION ............................................................................................................................. 480 1.1. Les porte-parole de linspection et les cooprations externes..................................... 480 1.2. Le point de vue des inspecteurs sur les acteurs et leurs pratiques de coopration ...... 482 2. LA FAIBLESSE DUN CADRE ORGANISE POUR LES COOPERATIONS ................ 491 2.1. Les cadres ddis la prvention ............................................................................... 492 2.2. La rsistance la mise en place du Conseil national de linspection du travail......... 495 CONCLUSION............................................................................................................................. 498 CONCLUSION GENERALE ..................................................................................................... 501

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    TABLE DES MATIERES ........................................................................................................... 516 TABLE DES ENCADRES........................................................................................................... 527 TABLE DES ANNEXES ........................................................................................................... ..529 SIGLES UTILISES...................................................................................................................... 531 BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................... 533 ANNEXES, EN VOLUME II.

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    INTRODUCTION GENERALE

    1. LE DEBAT SUR LEVALUATION DES RISQUES Et 1999, une lettre ouverte de quatre inspecteurs du travail de la rgion parisienne adresse leur directeur rgional circule parmi les inspecteurs. Ils lui demandent de ne pas suivre la dmarche prconise par les agents de linspection du travail de la rgion Provence Alpes Cte dAzur (PACA) concernant la mise en uvre de la nouvelle obligation dvaluation des risques : La dmarche de contrle propose par le guide mthodologique PACA est en fait un leurre. Il ne sagit pas en effet de contrle mais daccompagnement de lemployeur : il faut conseiller, valuer, puis valider. Linspection du travail devient coauteur de lvaluation des risques professionnels. Quelle est alors sa lgitimit contrler ensuite le respect des obligations concernant ces mmes risques ? A trop sengager aux cts de lemployeur, lagent de contrle risque de se trouver encore ses cts en cas de recherche de responsabilit pnales 1. Janvier 2000, la revue Sant et Travail, dite par la Fdration des mutuelles de France ouvre un dossier Rle de linspection du travail, accompagner et/ou sanctionner ? et pose le problme : Linspection du travail doit-elle prendre part lvaluation des risques ? Au sein de ce corps des inspecteurs et contrleurs, le dbat est vif. Les uns se proposent daccompagner les entreprises dans cette dmarche lgale. Les autres considrent quils doivent sen tenir lexercice de leur pouvoir coercitif. Enqute . La revue donne alors la parole aux agents de linspection du travail et leur deux principales associations professionnelles : Villerm et L 611-10 . (Cf. encadr n0-1) La premire, cre en 1981, voit depuis 1997, non sans dbat interne, dans lvaluation des risques le vecteur dune transformation souhaitable de lapproche traditionnelle de la prvention par linspection du travail : Lapproche classique de linspection tourne autour dune logique de contrle, tablissement par tablissement, qui fait essentiellement fonctionner lil, loreille et lodorat et qui sarticule autour de rgles rgissant des risques pr identifis. Bien que gnraliste, notre inspection du travail franaise na pas encore intgr comme dmarche naturelle une approche globale des risques professionnels, ni forcment dcloisonn ses divers domaines dintervention. Enfin, reste pose la question de nos cooprations : elles relvent plus du relationnel souvent parce que nous ne pouvons pas faire autrement que dune stratgie intgre et systmatique. La directive cadre appelle une transformation radicale de cette approche. Il sagit maintenant, la fois dembrayer sur lvaluation des risques et de mettre en place des cooprations ad hoc, seules mmes de ne pas nous disqualifier relativement brve chance , (InterdITs janvier 1997, p.12). Il sagit pour lassociation Villerm de contribuer une mise en mouvement des acteurs : Le rle de linspecteur du travail ne peut plus se limiter au seul contrle du prescrit "technique", mme sil reste essentiel bien entendu ; il doit sy ajouter "la mise en mouvement" dune dmarche globale de prvention des risques sous la forme la plus approprie aux circonstances. Notre intervention pour tre efficace, peut moins que jamais tre mene seule ; elle exigera dans lentreprise et lextrieur de celle-ci une collaboration de comptences diverses et complmentaires entre les prventeurs (Richard-Mollard M., Pierret C., et alii, 2000)2. La seconde, laquelle adhrent les quatre inspecteurs prcits dIle de France, sest constitue en raction cette thse. Pour lassociation L 611-10 : Le concept dvaluation des risques est utilis pour prner la transformation fondamentale du rle de linspection du travail . (Communiqu du 3 avril 2000).

    1 Les auteurs de cette lettre lui ont annex des extraits du guide mthodologique labor par la rgion PACA et titre dexemple, une lettre type, signe Tiano V., propose dans le guide. (Voir en annexe). 2Richard-Mollard M., Pierret C., et alii, (2000), Lvaluation des risques pour une approche globale de la prvention , Interd'ITs n12, avril 2000. Interd'ITs est le titre du bulletin de lassociation Villerm.

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    Dans la revue Prvenir3, elle dnonce lvaluation des risques, comme : un instrument dautorgulation qui permet lemployeur dexercer une discrtion certaine pour dcider quelle est la marge de risque acceptable et ds lors, il va devenir extrmement difficile aux reprsentants de lEtat daffirmer la force de la loi et dobtenir son application . Et elle ajoute : La lgitimit dont dispose linspection du travail face un employeur ne rside, ni dans ses comptences techniques (fort heureusement !), ni dans une soi-disant capacit de persuasion ou dorchestration, mais bien dans la mission qui lui a t confie de faire appliquer la rglementation, y compris en utilisant ses pouvoirs coercitifs . En avril 2000, dans la revue de lassociation Villerm, son prsident donne pour titre une contribution de fond : Lvaluation des risques : une nouvelle bataille dHernani . On mesure ainsi lampleur de la controverse qui anime les inspecteurs du travail. Elle interpelle sur les mutations en cours du champ de la prvention et de linspection elle mme. Cette controverse, qui constitue un matriau important mais pas exclusif de notre thse, nous invite investir les constructions rhtoriques de la lgitimit des inspecteurs qui ne sont pas de simples discours, mais le support idologique et cognitif didentit(s) et de positionnements professionnels dans des configurations individuelles et collectives de plus en plus complexes. Celles ci mobilisent, on le verra, des acteurs tant privs que publics. Ainsi les dbats sur lvaluation des risques participent la construction du sens de laction publique par ses acteurs (Jobert et Muller, 1987) 4. Elle repose demble sur la mise en place dun forum5 qui mobilise en premier lieu les associations dinspecteurs avec leurs propres publications et les rencontres quelles organisent. Il mobilise aussi les inspecteurs du travail amens dbattre de leurs pratiques et des orientations lors de runions de service, ou lors de rencontres organises par leur centre de formation, lInstitut national du travail de lemploi et de la formation professionnelle. Ainsi, en juin 2001, prs du tiers des inspecteurs avaient particip un stage ou un sminaire sur lvaluation des risques organis dans les trois annes prcdentes. Au del du cercle restreint de linspection du travail, diffrentes revues spcialises donnent la parole ce sujet aux inspecteurs mais aussi aux autres prventeurs, principalement mdecins du travail. Citons les revues Travail et Sant, de la Fdration des Mutuelles de France6 et Travail et changement, le mensuel de lANACT7, Prventique-Scurit8.

    3 Les missions de linspection du travail : critiques et suggestions pour lavenir Collectif de membres de lAssociation L 611-10, Revue Prvenir, n40, 1er semestre 2001, p.97-107. 4 Jobert B., Muller P. (1987), LEtat en action, Paris, PUF, 1987. 5 Pour reprendre lexpression de Bruno Jobert : Aussi nous parat-il souhaitable de ne pas postuler la concidence entre lespace de ngociation et celui des dbats de politiques publiques. Nous proposons de qualifier les premiers "darnes des politiques", les seconds de "forum des politiques publiques" .(p.19) Jobert, B., (1995), Rhtorique politique, controverses scientifiques et construction des normes institutionnelles : esquisse dun parcours de recherche , in La construction du sens dans les politiques publiques, (dir.) A.Faure, G.Pollet, P.Warin, LHarmattan, 1995. 6 En mars 1993, octobre 1997, en avril 1998 et en janvier 2000 cette revue interrogeait des agents du ministre du travail. Son rdacteur en chef est le prsident de lAssociation nationale de dfense des victimes de lamiante. 7 Le numro 251 de novembre 1999 interroge des agents de linspection du travail de la rgion Provence Alpes Cte dAzur. 8 Dont le rdacteur en chef est Hubert Seillan. Voir le n50 mars avril 2000 et Les cahiers de Prventique n1 de juin 2001

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    Encadr n0-1 : Les deux principales associations dinspecteurs du travail LAssociation Villerm a t cre en 1981. Elle sest dissoute fin juin 2002. (Voir lencadr en conclusion). Bon an mal an, lassociation revendiquait, de son apoge son dclin, entre 400 et 200 adhrents, inspecteurs et contrleurs du travail. Le nombre rel tait plus prs de 150 et 50. Les membres taient initialement plus proches de la CFDT que de la CGT. Beaucoup de ses premiers adhrents sont aujourdhui membres de la hirarchie du corps de ladministration du travail. Dans un document de janvier 1997 Pourquoi Villerm ? adress lensemble des agents lassociation se prsente ainsi : Lassociation Villerm est ne en 1981 de la volont dinspecteurs du travail de contribuer une meilleure effectivit du droit du travail. Face un immobilisme et un cloisonnement administratif touffant, il sagissait notamment de favoriser les changes sur les pratiques professionnelles, dvelopper la rflexion et laction collective . Villerm(1) sinscrivait dans un mouvement plus large, de la fin des annes 1970 et du dbut des annes 1980, qui vit lmergence de collectifs de professionnels qui convertissaient la critique du capitalisme dans des outils professionnels. A la mme poque se constituaient le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, lAssociation Sant et Mdecine du travail, etc., avec lesquels Villerm allait changer. Ainsi Villerm tait confiante dans le droit du travail pour endiguer les excs du capitalisme. Dune manire diffuse Villerm dfendait la rupture avec limage de linspecteur du travail notable promoteur de la paix sociale, et avec limage de linspecteur intransigeant de la sanction telle quil tait apparu au milieu des annes soixante dix. Elle dfendait aussi lide dune problmatisation et dune ngociation du droit. Son activit a volu dans le temps. A lchange sur les pratiques professionnelles, et la confrontation des ides sest combine partir de la fin des annes 80 une activit de tmoignages, de propositions et dinterpellations publiques du ministre. Villerm a dit prs de 80 bulletins et a organis priodiquement des rencontres locales, nationales et europennes dagents de linspection du travail. Dans la plupart, elle invitait des acteurs extrieurs linspection dont elle attendait un stimulus afin de dcentrer le dbat sur linspection au profit dun dbat sur le monde du travail. LAssociation Villerm na jamais t un bloc homogne mais davantage un forum pour la profession dont elle affirmait lautonomie professionnelle. Les changes dexpriences et doutils, qui posaient lassociation en concurrence avec ladministration centrale, y concouraient aussi. Villerm se prvalait davoir pes sur le contenu de dispositions lgales et rglementaires et davoir, partir de lexprimentation de ses adhrents, rpandues de nouvelles pratiques parmi linspection du travail. LAssociation L 611-10(2) a t cre en 1997 par des inspecteurs du travail de la rgion parisienne. Son but est : daffirmer en toutes circonstances la mission de contrle de linspection du travail qui a fond sa lgitimit et qui reste un des instruments essentiels de la dfense de lordre public social, dfense plus que jamais indispensable pour prserver les droits lmentaires de lhomme au travail. Soutenir cette mission jusque dans sa dimension pnale. Dans cette perspective, riposter toute attaque, toute initiative, de quelque nature quelle soit et dou quelle vienne, visant dvaloriser, dnaturer, ou remettre en cause cette mission ; procder galement lexamen critique des rglementations du travail tant dans leur laboration que dans leur mise en uvre .(Article 2 des statuts). Selon ses propres fondateurs, lassociation sest constitue en raction aux prises de position de lassociation Villerm sur lvaluation des risques exprimes dans le rapport remis au BTS en 1996-97, et dans le cadre dun mouvement dauto-organisation de la socit civile. Elle est statutairement constitue exclusivement dagents en section dinspection. La majorit de ses membres sont syndiqus et adhrents soit la CGT, soit au syndicat Sud-Travail cre en 1998 par des militants de la CFDT. Lassociation ne regroupe quasiment que des agents dIle de France, laquelle elle restreint le champ de la diffusion de ses prises de position pisodiques. L 611-10 (1) se conoit comme un groupe de pression sur le pouvoir politique et non comme un lieu de construction de pratiques. Elle comporte une vingtaine dadhrents et ne formule aucun appel ladhsion. Lassociation partage les prises de positions de diverses associations sexprimant dans le champ de la sant au travail. Les des inspecteurs du travail connaissent lexistence de cette association. Une troisime association, lAssociation de dfense et de promotion de linspection du travail (ADPIT), connue par prs dun tiers des inspecteurs, est implante dans le nord de la France. Cre en 1995, elle se situe mi chemin de Villerm pour son investissement dans la pratique professionnelle et de L 611-10 pour sa conception des missions. Cette association ne sest pas exprime sur lvaluation des risques. (1)Par la suite nous employons Villerm ou L 611-10 pour les associations du mme nom. (2) Du nom de larticle L 611-10 du code du travail qui stipule: les inspecteurs du travail, les contrleurs du travail et les fonctionnaires de contrles assimils constatent les infractions par des procs-verbaux qui font foi jusqu preuve du contraire () .

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    Les arbitres potentiels de ce dbat sont le Ministre du travail et la Direction des relations de travail qui produit les textes rglementaires et les circulaires nationales dorientation. Ce sont aussi les groupes de travail locaux qui apparurent dans les rgions sur ce thme, associant les agents de terrain, leur hirarchie et des experts des directions rgionales, selon un mode de rgulation pratiqu depuis vingt ans linspection du travail sur de nombreux sujets. Ces groupes arbitrent les dbats locaux et peuvent tre amens dfendre leur point de vue au niveau national. Larne est aussi constitue, de 1998 2002, par un groupe de travail national sur lvaluation des risques, associant ladministration centrale et des agents des services dconcentrs, parmi lesquels des reprsentants des groupes de travail rgionaux sur lvaluation des risques dIle de France, dont sont membres les quatre inspecteurs prcits, et des agents de la rgion PACA. Ce groupe de travail labora la circulaire spcifique sur la question de lvaluation des risques. Cest aussi parfois, tout simplement, les runions, formalises ou non, dans lesquelles sont arrtes des positions collectives. Ce dbat ne laisse pas indiffrent tous les inspecteurs du travail. Notre enqute mene auprs deux, rvle dailleurs que les quatre cinquimes en sont au courant, et que prs des trois quart le trouvent justifi. En effet, ce dbat renvoie au cur de leur mtier , lactivit en matire dhygine et de scurit. Cette activit met en jeu parmi les inspecteurs des savoirs, des rapports aux autres, ladhsion des valeurs, qui structurent des formes identitaires en conflit les unes avec les autres ; soit autant de dimensions qui motivent une approche en terme de sociologie des professions. Ce que nous avons laiss entrevoir du dbat fait apparatre la rsurgence dune opposition traditionnelle, plus rhtorique que pratique, au sein de linspection du travail sur sa mission : contrler et punir et/ou accompagner et conseiller. Pour dramatiser le dbat, les partisans de la premire y associe la question de la responsabilit pnale des agents, caractristique dune approche morale de la mission et de la prvention des risques ; les partisans de la seconde lui associent, la crainte dune disqualification rvlatrice dune approche socio-technique (Dodier N. 1994)9. A ce questionnement sur les missions est aussi associ celui sur les ressources mobilises par linspection : dune part la place de la loi, ou la ressource normative, et dautre part la comptence et lexpertise des agents, ou la ressource cognitive. Et, intimement li lensemble, apparat un questionnement sur les cooprations noues par linspection qui rendent compte de la porosit des frontires du groupe professionnel et, de ce fait, de laction publique de prvention. La vigueur de ce dbat tient aussi son contexte. Il sagit en premier lieu de lirruption de nouvelles connaissances sur les rapports entre sant et travail, dont lappropriation par les inspecteurs simpose comme une dimension essentielle de ses enjeux. Citons la prise de conscience, notamment, des carts entre le travail rel et le travail prescrit et de ses effets perturbateurs sur une approche prescriptive de la prvention, et des ravages des facteurs psychosociaux sur la sant des travailleurs et des effets diffrs (cancers et troubles musculo-squelettiques) de certaines activits. Ceci pose avec acuit le problme de lorganisation du travail et de la polarisation excessive des prventeurs sur laccident. Citons aussi la comprhension du risque comme une construction sociale travers, dune part, la visibilit donne aux atteintes la sant, et, dautre part, la notion de risque acceptable posant le problme de la subjectivit du jugement des prventeurs sur les conditions de travail.

    9 Dodier N. (1994) Causes et mises en cause Innovation sociotechnique et jugement moral face aux accidents du travail , Revue franaise de sociologie, nXXXV, 1994, pp.251-273.

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    A la faveur de lembellie conomique de la fin des annes 1990, les mdias, ainsi que le ministre du travail, semparent de cette problmatique10. Le centre de formation des inspecteurs, lInstitut national du travail, organise un sminaire en novembre 1997 Prvention : un concept en volution ? que son directeur introduit par cinq questions : la rationalit conomique ne surdtermine-t-elle pas la prvention ; le concept de prvention nest-il pas sur investi par la notion de risque ; lhomme est-il acteur ou objet de la prvention ; la prvention : processus ou finalit de laction ; la prvention est-elle une discipline constitue? 11. Lassociation Villerm, intervenant en novembre 2000 dans un sminaire europen dassociations dinspecteurs du travail, nonce : Les difficults dintervention de linspection du travail concernant les TMS 12.

    La remise en cause de lefficacit de lEtat et de ses modes dactions, dune manire gnrale et en particulier en matire de prvention des risques professionnels, caractrise aussi le contexte de ce dbat. Ainsi la rvlation, partir du milieu des annes 1990, de ltendue des victimes professionnelles de lamiante, et des responsabilits de lEtat leur gard (Cf. encadr n0-2) et celui dune croissance brutale des maladies professionnelles (Cf. encadr n0-3) interroge lEtat sur son efficacit. Dune manire symtrique, et avec un temps de retard de la jurisprudence (Cf. les arrts du 28 fvrier 2002, en encadr n0-2), de nouvelles responsabilits sont imputes lemployeur depuis la loi du 31 dcembre 1991 (Moreau M-A., 2002)13. Fondes notamment sur lobligation dvaluer les risques, elles traduisent une forme de dlgation de responsabilits aux employeurs, non sans conflit sur la place accorde aux reprsentants du personnel. Citons la lecture qui en est faite par le patronat dans son avis favorable au rapport Fiterman14 : Mais dans la lutte mene contre le risque rsiduel, un autre constat simpose : la rduction de la frquence des accidents stagne depuis quelques annes. En fait, cette stagnation est le signe clair, et lavis ne sy trompe pas, que les voies classiques de la rglementation et de la technique ont atteint leurs limites, que de nouveaux fronts doivent tre ouverts, que de nouveaux moyens dactions doivent tre imagins. La voie privilgier se fonde sur la constitution de vritables systmes intgrs de gestion de la scurit, centrs sur lentreprise, prenant appui sur tous les acteurs de terrain concerns (). Concrtement cette approche implique de recourir la normalisation et la certification plutt qu la rglementation (). Dans le mme esprit, la scurit gagnera ce quun plus grand nombre de thmes soient davantage traits par la voie de la ngociation collective (.). Concernant lEtat, ce dplacement du centre de gravit de la prvention vers le terrain ncessite, par voie de consquence, que celui-ci se recentre sur ses missions naturelles dincitation, dorientation et de contrle. Cependant nous avons un point de dsaccord. Certaines recommandations concernant les CHSCT ne sont pas justifies (.).

    10 Ainsi le journal Le Monde titrait-il, dans son supplment conomique du 24 octobre 2000 : Mauvais bulletin de sant pour les conditions de travail , Les troubles musculo-squelettique une nouvelle pathologie en explosion Des experts tirent le signal dalarme sur la dgradation des conditions de travail en Europe , Linsuffisance des contrles ternit la volont europenne dencadrer les pratiques des entreprises . Pendant plusieurs mois de lanne 2000, Christophe Dejours, auteur de louvrage Souffrance en France 10, directeur du laboratoire de psychologie du travail au Conservatoire national des arts et mtiers, partage avec Jean Pierre Le Goff, sociologue, une chronique hebdomadaire dans le journal Le Monde intitule Vie des organisations dans laquelle ils voquent Les vertus caches du jeu au travail (11/04/2000), Lambigut de la gestion du stress (06/12/2000) Le dangereux culte du changement (27/06/2000) Des svices dans les services (26/09/00), Le mal vivre ensemble (16/01/2001), etc 11 Prvention, un concept en volution Points de vue tirs du sminaire INTEFP 11/97, 1998, INTEFP 12 InterdITs , n14, mars 2001 13 Moreau M-A., (2002), Pour une politique de sant dans lentreprise , Droit Social, septembre octobre 2002. 14 Rapport prsent le 12 mars 2003 par Charles Fiterman au Conseil conomique et social sur la "Prvention et gestion des risques technologiques et industriels" p.I.47.

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    Ainsi la "refondation sociale" prne avec fracas par le MEDEF partir de la fin des annes 199015, dont lun des objectifs est de redfinir la place du contrat et de la loi, au profit du premier, fait de la prvention et de la gestion des risques lun des sujets privilgis de ngociation avec les organisations syndicales, voire dune autorglementation des entreprises (Supiot A. 1992)16. Elle interroge lactivit rgalienne de lEtat dans ce domaine, ainsi que la posture traditionnelle des inspecteurs. Il en rsulte, pour laction publique en matire de prvention des risques professionnels, une incertitude accrue. Lobligation lgale dvaluation des risques semble lgitimer les employeurs disputer aux inspecteurs le monopole du jugement sur les risques. Elle rvle laccroissement des incertitudes qui psent sur leur action compte tenu de linstabilit des normes, de la reconfiguration du jeux des acteurs, et de la substitution dune rationalit procdurale une rationalit instrumentale. Nous faisons, ds lors, lhypothse que lactivit daccommodation des inspecteurs du travail, remarquablement mis jour par Nicolas Dodier ( Dodier N. 1989)17, est rendue encore plus difficile. Qui sont donc ces inspecteurs du travail qui, au sein de leur corps et par mdias interposs, polmiquent sur leurs missions ? Que rvle la question de lvaluation des risques de la dynamique de ce groupe professionnel ? Comment les inspecteurs parviennent-ils (re) construire leur lgitimit ? Llucidation des ressorts dune controverse et des tensions que les inspecteurs entretiennent sur la lgitimit de leur activit, nous situe dans une perspective interprtative o le phnomne [est vu] comme lexpression dun sens qui est dcouvrir, celui que les individus et les groupes donnent leurs expriences (auquel la sociologie comprhensive de Max Weber cherche accder) ou celui quune recherche peut rvler 18.

    15 Indispensable et fragile refondation sociale, Ernest Antoine Seillire, Le Monde, 6 dcembre 2000. 16 Supiot A.(1992) La rglementation patronale de lentreprise , Droit Social, mars 1992. 17 Dodier N. (1989), Le travail daccommodation des inspecteurs du travail en matire de scurit , in Boltanski L., et Thevenot L. (ds.), 1989, Justesse et justice dans le travail, Cahiers du CEE, n33, srie PROTEE, Paris, PUF ; ainsi que 18 Quivy R., Van Campenhoudt L. (1995), Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, p.97.

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    Encadr n0-2 Une judiciarisation de la sant au travail, Citons le journal Le Monde : Les procdures judiciaires sur le dossier de lamiante se multiplient 4-5 juin 2000. Des condamnations de plus en plus nombreuses 8 aot 2001. Amiante : lEtat condamn pour ses carences en matire de prvention 20 octobre 2001. Les juges bouleversent les rgles de la scurit au travail 2 mars 2002. Cest principalement sous limpulsion des associations de victimes de lamiante et sur le terrain civil, de la faute inexcusable, que les juges ont censur les entreprises et lEtat : Le 18 octobre 2001, dans un premier jugement la Cour administrative dappel de Marseille condamne lEtat pour ne pas avoir adopt les mesures rglementaires que la prvention du risque amiante ncessitait depuis le milieu des annes 1950 o le caractre cancrogne de lamiante a t mis en vidence en Angleterre. Dans un second, elle considre que les seuils dexposition aux fibres damiante fixs par la rglementation de 1977 ntaient pas tays par des lments scientifiques permettant de penser quils taient de nature prvenir les risques (n00MA01666 et n00MA01667). Les arrts amiante du 28 fvrier 2002 rendus par la chambre sociale de la cour de cassation instituent une obligation de rsultat de scurit pour les employeurs: Extrait dun des arrts amiante du 28 fvrier 2002 sur lobligation de scurit : Mais attendu quen vertu du contrat de travail le liant son salari, lemployeur est tenu envers celui-ci dune obligation de scurit de rsultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractes par ce salari du fait des produits fabriqus et utiliss par lentreprise, que le manquement cette obligation a le caractre dune faute inexcusable, (), lorsque lemployeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel tait expos le salari, et quil na pas pris les mesures ncessaires pour len prserver () (Cass.Soc.28/02/02, n.a 838, FP-PI SA Eternit c/ Chavatte et autres ). La Cour de cassation a confirm sa jurisprudence en avril 2002 en ltendant aux accidents du travail (Cass.Soc 11/04/02, Hachadi c/Camus industrie et autre). De nombreux commentaires de ces arrts, dont Matthieu Babin et Nathalie Pichon, Obligation de scurit et faute inexcusable de lemployeur, Droit Social, Septembre Octobre 2002. Franois Fillon, Ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarit a pris acte devant le Conseil suprieur des risques professionnels lors de sa sance plnire du 31 mars 2003 de limportance de ces arrts, pour en valoriser limpact sur la rparation: Lvolution de la jurisprudence sur la faute inexcusable de lemployeur est plus quun changement juridique. Elle correspond un changement de notre socit qui ne tolre plus le risque, et qui escompte une indemnisation complte des prjudices subis . 2. LE PROJET DE RECHERCHE ET LA POSTURE DU CHERCHEUR Notre questionnement initial, est sous tendu par une exigence dactions. En effet, lauteur est impliqu dans le contrle et la promotion de lvaluation des risques dans les entreprises, dans le dbat et dans la dtermination dorientations pour linspection du travail. Au commencement de cette thse, il est inspecteur du travail, sur le terrain et membre du groupe de travail rgional sur lvaluation des risques de la rgion PACA, puis, pendant la recherche, il est, mi-temps, inspecteur du travail ressource mthode 19, en appui ses collgues de travail, et enfin, lors de la rdaction, directeur adjoint du travail, charg des fonctions dencadrement et danimation des sections dinspection du travail Marseille. Comprendre ce qui se joue parmi les inspecteurs devient un outil pour laction et ltude des transformations en uvre parmi le corps des inspecteurs devient aussi celle du chercheur. Un projet de recherche dimension institutionnelle Le projet de recherche est labor et port, au cours du premier semestre 1999, conjointement avec lingnieur de prvention de la DRTEFP PACA20, qui anime le groupe de travail rgional sur lvaluation des risques. Il est prsent au ministre du travail duquel dpend

    19 Poste cr en 1996 la demande des inspecteurs du travail, pourvu de 1996 1998 et vacant en 1999. 20 Philippe Sotty. DRTEFP : Direction rgionale du travail, de lemploi et de la formation professionnelle.

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    loctroi des facilits dhoraires pour laccomplissement de la thse et dont les chercheurs attendent ladoption dune doctrine en matire dvaluation des risques. La gense du questionnement, lengagement professionnel des chercheurs et les besoins de lgitimer le temps consacr la recherche au dtriment des tches normales, amnent les chercheurs, en janvier 1999, libeller leur projet recherche-action , il lintitule Dvelopper nos comptences en matire dvaluation des risques professionnels projet de recherche-action sur les pratiques des entreprises et de linspection du travail . Le projet est destin staler sur trois annes et doit porter sur : limpact de la nouvelle obligation dvaluation des risques, introduite par la directive europenne du 12 juin 1989 et retranscrite par la loi du 31 dcembre 1991 sur : - dune part, lvolution des pratiques de prvention des risques professionnels par les entreprises, et, - dautre part, sur lvolution de la pratique de linspection du travail en matire de prvention des risques

    professionnels .(Lettre du 9 juin 1999 du DRTEFP la DAGEMO) Lingnieur de prvention investira la premire question, et lauteur de cette thse la seconde. Au premier semestre 1999, laccueil du projet de recherche, par les chelons locaux et nationaux du ministre21, est dautant plus favorable quelle se fixe pour objectif de contribuer une plus grande efficacit de la prvention des risques professionnels et notamment de laction de linspection du travail. Si les futurs chercheurs se situent dans une perspective dvolutions des pratiques, ils nidentifient pas les tensions quelles peuvent gnrer. Les attentes de la DRT sont dabord instrumentales. Il sagit dans un premier temps dune assistance la constitution dune doctrine franaise de lvaluation des risques, dun inventaire de tous les leviers et des partenariats, internes et externes lentreprise, utiles lvaluation des risques, dune capitalisation des expriences de linspection du travail en cours dans les diffrentes rgions, dune aide ladministration centrale pour clarifier les supports et la mthodologie de laction en vue de renforcer les partenariats. La prise en compte du dbat interne linspection du travail, suscite une inflexion du questionnement initial qui soriente vers la problmatique finalement retenue. Et, en 2000, la DRT qui vient de rendre un premier arbitrage dans le dbat : Les dmarches rgionales menes jusqu prsent en matire dvaluation des risques ont t loccasion de faire merger des questions relatives aux consquences dun positionnement ambigu des agents de contrle () 22, fera preuve de prudence lgard de la recherche. Elle en rduit la porte aux exprimentations rgionales et les enjeux, une comprhension du jeu des acteurs. Enfin elle sinquite de la confusion des rles de chercheurs et de responsables de projet sur le mme thme23. Port par les chercheurs, un comit de pilotage est mis en place. Le but poursuivi est de nourrir la recherche du questionnement institutionnel, en mme temps que dassurer un transfert des connaissances produites par la recherche vers linstitution. Il associe les services dconcentrs (une reprsentante du groupe de travail de la rgion PACA et de son quivalent en Aquitaine, le directeur dpartemental et rgional), les administrations centrales (DRT, DARES, INTEFP), le L.E.S.T et par la suite des membres dautres institutions (ANACT, dpartement universitaire A.P.S.T). Ce rapide expos du cadre institutionnel de la recherche renforce le questionnement sur la posture du chercheur et la construction de lobjet de recherche.

    21 La DARES, la DRT et lINTEFP 22 Circulaire annuelle du 23 fvrier 2000 relative au programme dactions coordonnes 2000 de linspection du travail pour la prvention des risques professionnels. 23 La DRT exprime ses attentes dans la lettre de Jean Marimbert du 17 juin 1999 puis dans le relev de conclusion du comit de pilotage tabli le 6 avril 2000 par ladjointe au DRT. (courriers en annexe).

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    Une posture engage La posture de lauteur a constitu une ressource pour la recherche en mme temps quun handicap li son implication, professionnelle et politique dans le champ tudi et qui pose donc, pour suivre Pierre Bourdieu (Bourdieu P. 1984)24, la question du contrle du rapport lobjet. Selon Michel Arliaud25 le problme est de savoir quelles sont les conditions de possibilit dune objectivation pertinente et valide du monde social "dans lequel on est pris" et dune rception correcte du contenu dune analyse que tout concourt faire fonctionner dans une logique polmique . Et selon Arliaud le problme peut se rsoudre dans la construction pertinente de lobjet de recherche, entendu par Bourdieu comme la dlimitation d () un ensemble fini de proprits pertinentes, institues par hypothses en variables efficaces, dont les variations sont associes aux variations du phnomne observ (). Bien videmment, tous les enjeux dun tel pari scientifique nont pas t traits ici. Il reste que nous nous sommes efforcs de mobiliser les ressources et les matriaux qui sinscrivaient dans cette perspective. Une ressource, la connaissance du milieu Lconomie de la recherche reposait tout dabord sur la connaissance du milieu dinvestigation qui favorisait lidentification, laccs et la comprhension des sources. Limmersion dans le terrain tudi constituait un autre atout. Ainsi, lauteur a pratiqu lobservation participante pendant la totalit de la recherche, avec videmment une dperdition de matriau compte tenu de limpossibilit mentale de rester en permanence sur le double registre dacteur et dobservateur26. La ressource consistait encore dans lexprience de quinze annes en section dinspection de lauteur, qui favorisait la perception de la complexit des situations et suscitait des intuitions et hypothses explicatives. La convocation de lexprience a servi aussi pourvoir la recherche, non pas des donnes et reprsentations quil sagissait dtablir objectivement, mais, lappui des dmonstrations, de faits et de subjectivit dont lauteur avait t tmoin, si ce nest acteur, et dont Franois Dubet dfend la lgitimit dans sa sociologie de lexprience , qui met en avant la rflexivit dont les acteurs peuvent faire preuve sur leur propre activit (Dubet F. 1994)27. Pour autant, notre exprience individuelle elle seule ne saurait suffire pour assurer le passage de la conscience pratique (Giddens A. 1994)28 (ce que savent les acteurs sur leurs propres actions sans pouvoir lexprimer directement) la conscience discursive (ce que les acteurs sont capables dexprimer dans le langage sur les conditions de leur action) et linterprtation sociologique. Le fait que les deux tiers des inspecteurs interrogs par questionnaire ne parviennent pas se reconnatre dans les points de vue des associations et syndicats (dont ils se disent pourtant

    24 Bourdieu P. (1984), Homo Academicus, Ed. de Minuit. 25 Arliaud M., note de lecture de Homo Academicus de Pierre Bourdieu, in Revue franaise de sociologie, octobre dcembre 1985, XXVI-4 26 Nous considrons que cette posture na pas biais la recherche. En effet, une distance tait dj en place avec les collgues observs du fait de notre fonction dinspecteur ressource mthode. Par ailleurs, la poursuite dentretiens et dinterviews dagents hors de la rgion largissait notre horizon. 27 Dubet F. (1994), Sociologie de lexprience, Seuil, Paris. 28 Giddens A. (1994), Les consquences de la modernit, LHarmattan, Paris.

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    membres pour prs dun sur deux) tmoigne de la faiblesse de lactivit rflexive29. Elle rsulte des difficults, pour la majorit des agents, produire une conscience discursive sans oprer une rupture, telle que la construction dun objet de recherche le permet, ou sans laide de collectifs, tels que lAssociation Villerm ou les groupes de travail, dont nous observerons les tentatives de capitaliser les expriences des agents et de desserrer ltau de lagenda dbordant des inspecteurs. Cette dimension collective de la rflexion est dautant plus importante quest grande lincertitude laquelle sont confronts les inspecteurs du travail et la distance dont ils font preuve lgard des formes daction collective. Citons la rponse des inspecteurs du travail la dernire question de notre questionnaire : Considrez vous que le point de vue que vous avez dvelopp dans les rponses ce questionnaire Oui Non Ne sais pas + NR Est proche de celui dune association ou dun syndicat de linspection du travail

    21% 18% 61%

    Est pour lessentiel partag par les autres IT de France

    24% 9% 67%

    Q 85, questionnaire IT ; A rapprocher de la question n10 : Participez-vous une association caractre militant : oui 32% ; un syndicat : oui 47,5% Les ractions la recherche La ressource rsidait, enfin, dans les ractions des inspecteurs que suscitaient les investigations de lun de leur pairs. Ainsi, a contrario des multiples manifestations dintrt, la prsidente de lAssociation L611-10 adressa le 4 aot 2001 lauteur, avec copie lensemble des inspecteurs, un courrier par lequel elle linformait des raisons pour lesquelles lassociation refusait de rpondre au questionnaire que nous avions adress aux inspecteurs ; Citons-en un extrait : Attardons-nous plutt sur les prsupposs de ton questionnaire. Comment ne pas remarquer limportance accorde lvaluation des risques ? Pas moins de treize questions tournent autour de ce thme. Lorsque lon connat les thses que tu as portes jusqu la DRT qui font de lvaluation des risques lalpha et lomga de la prvention et le vecteur de la transformation des pratiques de linspection du travail, il nest pas difficile dimaginer tes conclusions lorsque "lenqut" aura eu le mauvais got de rpondre navoir jamais "assist un sminaire sur lvaluation des risques" () . A la suite de cette prise de position nous recevions, le 7 aot, un courrier, rest unique, dun inspecteur : Salut, jai bien reu votre questionnaire et je lai mme rempli sauf certaines questions dont le caractre par trop orient mest apparu caricatural. Toutefois, inform de la position de L611-10, jai considr prfrable de ne pas vous retourner ce dossier. Cordialement, B.L . Ultrieurement, en mai 2002, nous recevions en raction un travail dtape (Tiano V. 2001)30 accessible sur le site internet du LEST, un courrier de la dernire prsidente en date de lassociation Villerm qui sopposait aux figures types dinspecteurs construites par lauteur, opposant les deux associations, et revendiquait une htrognit de lassociation sur la question de lvaluation des risques. En juin de la mme anne, nous tions invit, en qualit de doctorant, par le directeur rgional du travail de lemploi et de la formation professionnelle (DRTEFP) dIle de France exposer nos travaux, devant une centaine dinspecteurs et contrleurs du travail, lors dune table ronde runissant des universitaires et des reprsentants des deux associations et nous observions une

    29 Parmi les entretiens que nous avons mens, ceux qui taient bass sur la narration dune action rvlaient aussi la difficult des agents exprimer les enseignements gnraux de leurs expriences, confortant les agents dans lapproche clinique, personnalise, des entreprises. 30 Tiano V. (2001) Le dbat au sein de linspection du travail sur lvaluation des risques , sminaire de thse du 5 mars 2001, littrature grise sur le site internet du LEST.

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    attitude critique de lassistance, en mme temps quun alignement de la prsidente de Villerm sur lassociation L 611-10, anticipant sa dissolution sur laquelle nous revenons en conclusion31. Le handicap li la posture Le handicap rsidait, lenvers de la ressource, dans le ncessaire effort de distanciation prendre lgard du dbat, et des enjeux associs la posture professionnelle propre de lauteur. Dans quelle mesure le chercheur parviendrait-il ne pas sombrer dans lauto-justification, avec lrection de sa pratique et de ses opinions en point de vue de lensemble de la profession ? Leffort concernait aussi labandon dune posture normative, sans que cela nteigne pour autant le questionnement. Il sest alors agi de transformer en hypothses vrifiables les intuitions et convictions initiales. De plus, dans quelle mesure le chercheur parviendrait-il ordonner et faire des choix dans le foisonnement de questions et de pistes de travail rsultant de son exprience ? Par ailleurs, laccumulation dinformations dtenues ne se substituerait-elle pas un travail interprtatif mobilisant les thories scientifiques ? Un autre handicap rsidait dans la recherche dune lgitimit, en tant que chercheur, auprs de la communaut professionnelle dappartenance. Cette qute de reconnaissance tait susceptible damener lauteur mousser ses interprtations dans un souci de construire un consensus rassurant. Les ractions contrastes, recueillies lors des prsentations de rsultats intermdiaires, nous rassurent quant lvitement de cet cueil. Enfin, lenqute, elle-mme, tait expose au handicap de notre posture. Lempathie de lauteur avec les personnes interviewes ntait-elle pas susceptible den mousser le questionnement ? Son engagement, plus ou moins connu ou suppos, menaait-il les enqutes dun biais dans les rponses ? Nous y reviendrons dans notre prsentation de ces enqutes. 3. LA CONSTRUCTION DE LOBJET DE RECHERCHE La construction de lobjet de recherche a traduit la distanciation ncessaire et labandon dune posture normative. Le sujet dtude tait relativement clair, linspection du travail et ses rapports lvaluation et la prvention des risques professionnels. Et notre questionnement initial consistait lucider les raisons dune faible appropriation, par linspection, de lvaluation des risques et apprhender comment amliorer lefficacit de linspection du travail en matire de prvention des risques professionnels ? Construire lobjet de recherche ncessitait de dlimiter le sujet, de le soumettre des interrogations, faire le deuil de certaines dentre elles, sur lesquelles nous reviendrons en conclusion, et de rompre avec une approche normative telle que celle consistant, dans notre cas, poser comme pertinente une dfinition de lvaluation des risques, savoir celle produite par linspection du travail de la rgion PACA. Lvaluation et la prvention des risques qui sont, avec les inspecteurs, au centre de la recherche, nen constituent pas lobjet. Il eut fallu pour cela en tudier lensemble des acteurs et de leurs dimensions, discursives et pratiques, tandis que nous centrions notre regard sur les inspecteurs.

    31 Un compte rendu de la runion de circonscription du 4 juin 2002 dans La gazette sociale dIle de France, revue interne des services dconcentrs du travail, de lemploi et de la formation professionnelle dIle de France, n47 dcembre 2002.

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    En revanche, lvaluation des risques a t adopte comme cl dentre, comme rvlateur des tensions qui traversaient le corps des inspecteurs du travail, car tout en accordant une importance cl aux rhtoriques gnrales de la profession, il importait den chercher un domaine de concrtisation. Ds lors, il tait inconcevable de ne pas sinterroger sur les dimensions normatives, cognitives et politiques de lvaluation et de la prvention des risques professionnels afin de contextualiser notre tude sur les inspecteurs. Cest lobjet des trois premiers chapitres de cette thse. Le sujet sest ainsi limit aux inspecteurs du travail, non sans incomprhension dune partie dentre eux, et notamment les plus attachs la mission de contrle, qui stonnaient que, prcisment, les contrleurs soient laisss de ct, rvlant, par cette raction, dune part limportance pour la profession dune approche de son activit en terme de mission, et dautre part les enjeux des dlimitations internes du groupe professionnel des inspecteurs, que nous tudions dans notre chapitre quatre. Lapproche en terme danalyse de laction publique tait tentante. En effet, un tel cadre danalyse, plus large que celui de la politique publique engageant le ministre du travail et les inspecteurs du travail, permettait de prendre en compte lenchevtrement des rationalits des multiples acteurs de la prvention, autrement dite linteraction entre les diffrents acteurs qui font exister la prvention. La problmatique de la nouvelle obligation lgale dvaluation des risques, telle quelle est pose par une majorit des acteurs invoquant les cooprations quelle appelle, ou la nouvelle hirarchie des normes et des acteurs quelle induit, se prtait bien cette approche. Nous y aurions intgr les thmatiques de la lgitimit des composantes de laction publique - ses acteurs, les connaissances utilises, les normes produites, les formes dactions - et celles de lapprentissage collectif, particulirement pertinentes lgard de la dynamique et de la nouveaut du concept dvaluation des risques. En mme temps nous aurions situ laction rgulatrice des pouvoirs publics en matire de prvention et dvaluation des risques professionnels dans le contexte gnral de la perception du risque et des rponses quy apporte la collectivit. Le choix de la sociologie des professions Mais les tensions qui traversent le groupe professionnel des inspecteurs du travail, et notre souci de mieux en connatre la dynamique, nous ont incit privilgier une approche en terme de sociologie des professions, sans nous fermer lanalyse en terme daction publique, qui contextualise notre recherche. Cest dautant plus le cas quil est permis de penser quelle fonde plus sa dynamique sur une rationalit endogne laction organise par les acteurs, qui y sont mobiliss et tentent dy cooprer, que sur une rationalit extrieure et substantielle rsultant de linvocation de lintrt gnral ou du service public dfini par en haut au seul niveau national 32. Nous privilgions dans notre travail le terme de groupe professionnel, largement utilis dans la sociologie franaise33, celui de profession que la littrature anglo-saxonne, qui en est lorigine, a utilis pour dcrire, dans un premier temps, des occupations intellectuelles et savantes bnficiant dune reconnaissance par lEtat, dont les archtypes sont les professions de mdecin ou davocat. Ainsi notre propos nest pas de rechercher en quoi les inspecteurs du

    32 Les mutations de la "socit de march" : coordinations, cooprations et apprentissages, dossier contrat quadriennal 2004-2007, LEST, juin 2002. 33 Dubar C. et Lucas Y.,( ds.) ( 1994), Gense et dynamique des groupes professionnels, Presses Universitaires de Lille, 1994.

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    travail constitueraient ou pas une entit dment tablie mais dadopter une approche sociologique des dynamiques et tensions en uvre au sein de ce groupe, en interaction avec son environnement. Tout en adoptant, autant quil se pouvait, lvaluation des risques comme thme analyseur, il nous est apparu alors ncessaire de nous inspirer du programme de recherche exprim par Lise Demailly34 : Il y a en matire de sociologie des professions ou des groupes professionnels, quatre niveaux danalyses et dapproches empiriques, quatre objets possibles (et complmentaires) : 1) lvolution des caractristiques individuelles et des trajectoires biographiques des membres du groupe

    professionnel, 2) lvolution des tches que les membres du groupe professionnel se voient (ou obtiennent de se voir ) confier

    dans la division sociale et technique du travail, 3) le travail propre de construction identitaire, de production de sens, de placement stratgique, de lgitimation,

    de mobilisation interne, ralis par les membres du groupe, 4) lintervention opre, sur un groupe professionnel donn, par les groupes ou catgories dagents

    professionnels "voisin" (lis aux premiers par des rapports de collaboration, concurrence, hirarchie, expertise, etc.)

    Nous navons investi que partiellement ce programme ambitieux. De la dimension individuelle et biographique, nous navons retenu pour lessentiel que lapproche en terme de carrire des agents relativisant les dterminants personnels, familiaux, politiques. Lvolution des tches, centre sur lactivit en matire de prvention des risques professionnels, et le travail de construction identitaire constituent lessentiel de notre recherche, comme y invite lentre par la controverse. Enfin nous proccupant, dune part, des rgulations internes linspection du travail, et dautre part de la ressource potentielle que constitue pour elle laction publique, nous avons mis laccent, la frontire de ce groupe professionnel, sur la hirarchie des inspecteurs, et sur les autres acteurs de la prvention des risques. Nous avons mis ce programme de recherche au service de notre thse. Selon nous, dans un contexte de mutation et dincertitude de laction publique en matire de prvention des risques professionnels, le groupe professionnel des inspecteurs du travail, caractris par une autonomie forte et le partage de valeurs civiques, rencontre, pour refonder sa lgitimit, des difficults dapprentissages collectifs lies sa configuration structurelle. Dans cette thse, lobligation lgale dvaluation des risques intervenue en 1991 constitue un rvlateur pertinent des mutations en uvre au sein de laction publique et du groupe professionnel des inspecteurs. 4. LES RESSOURCES SCIENTIFIQUES SOLLICITEES Lobjet de recherche que nous avons progressivement construit nous a amen solliciter, principalement, les trois branches de la sociologie de laction publique, des organisations et des professions. 34 Demailly L., (1994), Rapports dencadrement et mobilisation des groupes professionnels : le cas des enseignants, in Genses et dynamiques des groupes professionnelles, Dubar C., Lucas Y., 1994, Presses Universitaires de Lille ; aussi Demailly L., (1998), La restructuration des rapports de travail dans les mtiers relationnels , in Travail et emploi, n76, DARES, Ministre de lemploi et de la solidarit, La documentation franaise, 1998.

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    La sociologie des professions En voquant ci-dessus le programme de recherche de Lise Demailly, nous nous sommes situs dans lapproche interactionniste des professions, telle que Claude Dubar et Pierre Tripier (1998)35 lont caractrise et dont les concepts cls de carrire, de licence et de mandat nous paraissent constituer un bon support pour lanalyse des tensions en uvre au sein du groupe professionnel des inspecteurs. Aussi nous interrogerons-nous sur la carrire, plus pour apprhender la nature du march ferm du travail des inspecteurs que les dterminants de leurs cheminements individuels, et nourrir lhypothse dune convergence entre les inspecteurs et leur hirarchie. Nous mettrons laccent sur les interprtations de la licence , qui habilite les inspecteurs exercer leur mtier, pour mesurer limportance que revt lindpendance et la rfrence au droit dans leurs attributions statutaires, et sur le mandat ou la mission quils sassignent, et desquelles rsultent leur identit et leur lgitimit professionnelle bties autour des notions, plus ou moins controverses, dordre public social et de contrle. En nous loignant de lapproche interactionniste traditionnelle exprime par Hughes, pour nous rapprocher dune vision plus institutionnelle, nous avons t doublement stimul par Eliott Freidson, tel que le donnent comprendre Dubar et Tripier (1998) et Thomas Le Bianic (2003)36. En premier lieu, pour reconnatre chez les inspecteurs du travail un attachement fort au monopole dun savoir sotrique, et leurs rticences un contrle de leurs performances. Nous faisons lhypothse que le premier se traduit par la dfense par les inspecteurs de leur pouvoir dtablir des procs verbaux qui constitue le moyen de clore la discussion dont leur expression du droit peut faire lobjet. Ainsi nous rejoignons Le Bianic lorsque, rendant compte du dernier ouvrage de Freidson, il nonce que ce nest pas tant la nature des savoirs impliqus qui importe (en effet les juristes dentreprises, et certains syndicalistes matrisent autant si ce nest mieux le code du travail que les inspecteurs), que les conditions de leur mise en uvre (dans notre cas la clture du dbat par ltablissement du procs verbal). Or, intimement li la loi, ce savoir, qui est assimil le plus souvent un pouvoir de linspection du travail, est fragile. Il nest pas anodin que la proposition de loi dinspiration librale prsente en juin 2003 sur linspection du travail propose que les inspecteurs ne constatent les infractions qu accompagns dun agent de police judiciaire , ce qui amne le journal lHumanit titrer La droite veut la peau des inspecteurs du travail (16/07/03). De cet attachement ce savoir/pouvoir, nous faisons lhypothse explicative dun attachement la fonction de contrle dont nous avons mesur les controverses auxquelles elle donne lieu, et quil sagit dexplorer dans la thse. La rticence dont font preuve les inspecteurs du travail a un contrle de leur propre performance, se traduit dans linterprtation quils font de leur indpendance statutaire pour en revendiquer une forte autonomie individuelle, qui constitue une caractristique dterminante du corps des inspecteurs. Nous en tirons lhypothse quelle entrave lapprentissage collectif de ce groupe professionnel. Il faut aussi prendre en compte les deux autres types-idaux de contrle du travail, noncs par Freidson, que sont le march et la bureaucratie, pour tudier, alors, la dtermination de lactivit des inspecteurs par les usagers/clients (les salaris, les reprsentants du personnel et les employeurs), ainsi que les hsitations du ministre du travail rendre effectif un contrle bureaucratique. Les unes et les

    35 Dubar C. et Tripier P. (1998) Sociologie des professions, Armand Colin, 1998. 36 Le Bianic T., (2003), note de lecture de Freidson E., Professionnalism, the third logic : on the practice knowledge, The Univiersity of Chicago Press, Chicago, 2001, in Sociologie du Travail, 2003.

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    autres concourant une dfaillance des rgulations destines orienter lactivit de linspection du travail. En second lieu, il faut rvler la lgitimit que ce groupe professionnel tente de construire autour de la rfrence aux valeurs civiques. Nous faisons lhypothse quelle est dterminante pour diffrencier les inspecteurs des autres acteurs de la prvention pour lesquels les rfrences aux valeurs industrielles ou marchandes sont davantage prsentes. Ce faisant nous sommes en convergence avec les travaux des Economies de la Grandeur37 sur les justifications, produites par les acteurs, dont les auteurs tablissent les compromis tel que celui, entre les grandeurs civiques et industrielles, en recomposition dans le champ de la prvention des risques professionnels. La sociologie des organisations et des relations professionnelles Lappartenance des inspecteurs du travail une administration hirarchise, qui dtermine des rgles internes et tente de contrler lactivit des agents, nous situe bien dans le cas dune organisation. La sociologie des organisations nous invite reprer, dans les discours et pratiques des inspecteurs, la dfense de leurs intrts spcifiques. Sans attribuer aux inspecteurs une prsomption stratgique forte, nous retenons le concept cl de cette sociologie de veine crozrienne38, savoir lincertitude que chaque joueur utilise pour que les autres partenaires-adversaires ne puissent deviner, ni percer son jeu. Nous faisons lhypothse que lindpendance revendique par les inspecteurs, leur rfrence au terrain et lacceptation de la contingence de leur activit constituent une gestion de lincertitude leur assurant un pouvoir, autant quune condition defficacit de laccomplissement de la mission que leur a confie le ministre. Pour passer des jeux dacteurs ltude des rgles qui cadrent les pratiques, la sociologie des relations professionnelles de Jean Daniel Reynaud39 nous invite identifier les stratgies rationnelles des acteurs et leurs rajustements mutuels dans le cours des changements organisationnels et normatifs. Ainsi, dans lanalyse des processus dapprentissage collectifs de linspection du travail, nous cherchons restituer les modes de production des rgles internes linspection. A partir de la typologie des rgulations tablie par Jean Daniel Reynaud40 nous faisons lhypothse dun lien entre la rfrence des inspecteurs lindpendance de leur statut et le dficit dorientation et de capitalisation des expriences qui prsident aux relations internes linspection du travail41. Ainsi, on rejoint la sociologie de laction publique, et la thse selon laquelle celle-ci volue progressivement, grce des mcanismes apprentissages 42. Elle nous conforte dans notre hypothse du caractre dterminant des rgulations pour faire face linstabilit de la posture des inspecteurs. Et lapproche de lEtat, en terme de convention conclue entre les personnes,

    37 Boltanski L. et Thvenot L., 1987, Economies de la Grandeur, Cahiers du CEE, PUF, 1987 38 Crozier M. et Friedberg E., (1977), Lacteur et le systme, Seuil. 39 Reynaud JD., (2001), Les rgles du jeu, laction collective et la rgulation sociale, Armand Colin. 40 Reynaud E. et Reynaud JD., (1994), La rgulation conjointe et ses drglements, Le Travail humain , Tome 57, n3/1994. 41 Les apports dconomistes ou de gestionnaires comme Chris Argyris, Olivier Favereau et Armand Hatchuel ont t aussi stimulants sur la question cl de lapprentissage organisationnel. Ce dernier nous conduit poser lhypothse selon laquelle lintroduction de lvaluation des risques relverait dune nouvelle tape de la rationalisation de cette action publique en sefforant de ragencer les acteurs et de produire des apprentissages collectifs. 42 Muller P. et Surel Y., (2000), Lanalyse des politiques publiques, Montchrestien.

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    expose par Salais R.et Storper M.43, ainsi que la problmatique de lEtat animateur de Donzelot et Estebe44, nous ont permis de poser lhypothse dune interaction entre les attentes des acteurs de la prvention et la pluralit de postures des inspecteurs du travail leur gard. Mais le lecteur se rendra vite compte que notre problmatique sest moins nourrie dinterrogations conceptuelles pour lesquelles, vingt ans aprs linterruption de nos tudes nous tions en difficult, que des constats et des difficults issus de notre pratique professionnelle. Ainsi notre thse relve-t-elle dune approche empirico-dductive45. 5. LE PLAN DE LA THESE Dans une premire partie, destine donner le contexte de laction des inspecteurs du travail, et des tensions qui les traversent, nous campons les dimensions normative ( I), cognitive (II) et politique (III) de lvaluation et plus largement de la prvention des risques professionnels. Dans une seconde partie, nous analyserons ce en quoi la carrire des inspecteurs et les interprtations de leur mandat et de leur mission forgent les identits professionnelles en dbat parmi les inspecteurs (IV). Nous analyserons ensuite, lpreuve de lvaluation des risques, leur activit dans les entreprises et linstabilit de leur posture (V), puis, les rgulations en uvre dans la profession et leurs difficults produire un sens (VI), et enfin, les difficults quont les cooprations noues avec les autres acteurs suppler chez les inspecteurs les dficiences dapprentissage dune posture adapte aux volutions de la prvention (VII). Mais auparavant, prsentons notre enqute. 6. PRESENTATION DE NOTRE ENQUETE Travaillant sur un groupe professionnel dont nous savions lintensit de lengagement et des impratifs de justification et qui est, en outre, confront un dbat vif et des portes paroles dont lexpression est trs idologique, nous avons t amen accorder une place importante aux reprsentations et aux justifications avances par les inspecteurs du travail. Notre enqute a vis objectiver les reprsentations des inspecteurs du travail et leurs pratiques en rapport avec notre problmatique. Immergs dj parmi les inspecteurs du travail, en situation dobservation participante dans les instances de rgulation (groupe de travail, runions de service, etc.,..) nous navons pas recouru la mthode de lobservation socio ethnographique si fructueusement mis en uvre par Nicolas Dodier dans sa recherche mene en 198646. Nous avons fait appel aux techniques du questionnaire invitant, grande chelle, les agents dire ce quils pensaient et ce quils faisaient et des entretiens semi-directifs dont certains taient centrs sur la pratique des agents. La partie centrale de notre enqute est constitue par un questionnaire adress aux inspecteurs du travail, responsables des 432 sections dinspections du travail de mtropole, identifies dans lannuaire 1998 des services dconcentrs du ministre du travail. Compte tenu des postes non pourvus, 403 inspecteurs taient concerns.

    43 Salais R. et Storper M., (1993), Les mondes de production, EHESS, Paris 44 Donzelot J. et Estebe P., (1994), LEtat animateur, essai sur la politique de la ville, Esprit, 1994. 45 La spcification de la problmatique , in Recherche sociale : de la problmatique la collecte de donnes, sous la direction de Benot Gauthier, Presse de lUniversit du Quebec. 46 Dodier N., (1986), Linspection du travail face la diversit des entreprises, lhygine-scurit dans la pratique professionnelle des inspecteurs et contrleurs du travail , Centre dEtudes de lemploi, 1986.

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    Ce questionnaire, qui a t rempli par 185 inspecteurs, a t complt par des entretiens semi-directifs auprs de vingt deux inspecteurs du travail (grille dentretien en annexe). Nous interrogeant sur la trajectoire professionnelle des inspecteurs, nous nous sommes tourns, en amont, vers les inspecteurs lves du travail et en aval vers les directeurs adjoints. La comparaison des rsultats des inspecteurs lves (ge moyen 30 ans), des inspecteurs en place (ge moyen 44 ans) et des directeurs adjoints rcemment promus (ge moyen 47 ans) nous a permis demprunter une optique inter-gnrationnelle. (voir en annexe la structure de ces questionnaires et les rsultats). Cette enqute a t complte, en interne, par des entretiens avec des directeurs dpartementaux du travail et dautres agents du ministre, et en externe avec des agents des diffrentes institutions de prvention et organisations professionnelles. (liste des personnes entendues en annexe) Le questionnaire adress aux inspecteurs du travail Le choix dun questionnaire et sa construction Nous avons choisi la technique du questionnaire afin : - dobjectiver les caractristiques du groupe professionnel - dtre en mesure doprer un traitement statistiques des donnes pour tablir des

    corrlations entre elles et avancer dans notre travail interprtatif (Voir en annexe les modalits de traitement des donnes et les rsultats).

    Les entretiens exploratoires que nous avons raliss auprs dinspecteurs du travail nous ont servi intgrer dans notre questionnaire la terminologie, les expressions employs et la varit des rponses apportes par les inspecteurs aux questions que nous leur posions. Nous avons prvu pour la plupart des questions une modalit sans opinion afin de prserver la possibilit pour lagent de ne pas rpondre. Les biais attendus et le contrle de ceux-ci Compte tenu du fait que nous tions connu dun nombre significatif dinspecteurs nous pouvions redouter que ne rpondent que des agents ayant des affinits avec nous. Aussi, avons-nous opr plusieurs relances lgard de lensemble des agents : envoi du questionnaire par courrier lectronique le 20 juin et par la poste le mme jour, relance par courrier le trois juillet. La quasi-totalit des questionnaires complts tait reus en juillet. Une relance postale du 30 juillet na suscit que quelques rponses supplmentaires. Nous avons aussi voulu viter la construction de discours auto-justificatif et de cohrence a posteriori de la part des agents (une rponse donne une question en appelant une autre cohrente avec la prcdente, quand bien mme lagent naurait pas une pense ou une pratique cohrente). Cest pour cela que nous avons, dans une certaine limite, dispers des indicateurs se rapportant la mme notion (par exemple, les questions renvoyant lidentit professionnelle que lon trouve en position 2, 26,82 et 84). Le champ du questionnaire Notre souci initial de limiter notre sujet de recherche nous a amen ne pas inclure les contrleurs du travail dans notre enqute par questionnaire. Leussions-nous fait, que nous nous aurions t confront deux difficults : dune part, le ministre ne dispose pas dune

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    base de donne spcifique aux contrleurs du travail en section dinspection qui nous aurait permis dapprcier la reprsentativit de lchantillon des contrleurs qui nous auraient rpondu (les contrleurs en section constituent moins dun tiers du corps des contrleurs du travail); dautre part leurs diffrences, avec les inspecteurs, en ce qui concerne le statut (carrire et pouvoirs diffrents) et le milieu dintervention (les contrleurs interviennent quasi exclusivement dans les entreprises de moins de 50 salaris) auraient introduit des biais dans les rponses une enqute unique. Pour autant, nous avons pris en compte dans notre analyse le collectif de travail que reprsente la section dinspection, qui associe inspecteur et contrleurs. Le contenu du questionnaire Avec des questions prcises et ferms, nous avons tent de srier au plus prs les reprsentations et les pratiques des inspecteurs, eut gard notre problmatique. Le questionnaire comportait quatre vingt cinq questions, dont les subdivisions ont port le nombre de variables 342. Le nombre lev de questions visait dune part viter les ambiguts et prendre en compte la varit des situations et dautre part, grce la multiplication des indicateurs relatifs une mme notion, den obtenir une image la plus fidle. Nos questions revoyaient aux hypothses rsultant de nos cadres thoriques de rfrence, et de notre problmatique nourrie de lanalyse des entretiens exploratoires et du dbat sur lvaluation des risques. Une premire partie du questionnaire concerne les donnes biographiques et la trajectoire professionnelle de lagent (questions 1 10), tandis quune seconde partie concerne le cadre organisationnel dans lequel linspecteur travaille (questions 11 24). Avec ces deux parties nous avons recherch les dterminants sociaux et organisationnels des opinions et des pratiques exprimes par les agents. Lessentiel du questionnaire (questions 25 85) se rapporte ensuite, dune part, lactivit de lagent et aux cooprations internes et externes quil noue, et dautre part ses opinions sur lattrait du mtier, les qualits quil requiert, la nature des missions et des ressources sa disposition. Nous avons singularis la question des pratiques et des opinions de lagent concernant lvaluation des risques (questions 65 75). Nous avons, ds lors, t en capacit de mettre en relation, dune manire gnrale et en particulier lgard de lvaluation des risques, les pratiques exprimes et les opinions (par exemple la pratique du travail en groupe de travail et lopinion sur limportance de lautonomie de linspection, ou encore, la pratique du recours aux vrifications techniques par des experts et lopinion sur lintrt de lvaluation des risques ) ou, les attitudes (les pratiques et les opinions) lgard dune thmatique et celle lgard dune autre (par exemple, le lien ventuel entre lapproche de lvaluation des risques et les cooprations noues avec lextrieur, ou encore, le lien entre limportance accorde la ressource juridique et les cooprations noues en interne). Le contexte du questionnaire et la pertinence des rponses face son volution Les questions poses aux inspecteurs sont intervenues dans un contexte donn qui circonscrit la pertinence des rponses. Si certaines questions sont relativement atemporelles (telles que les donnes socio-biographiques et les opinions gnrales sur le mtier), dautres sont

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    directement lies lactualit. Il en est ainsi de celles relatives laccord sur la sant au travail conclu en septembre 2000 et lvaluation des risques. Ainsi, titre dexemple, il ne fait pas de doute que les rponses que nous obtiendrions en 2003, aprs la publication du dcret du 5 novembre 2001 instituant lobligation dun document crit dvaluation des risques et une pnalit, ne seraient pas les mmes que celles que nous avons obtenues en juillet 2001. Cette situation ne prive pas les rponses de leur puissance rvlatrice et les corrlations tablies entre les diffrentes rponses apportes conservent tout leur intrt pour apprhender les systmes daction des agents et tablir les figures types dinspecteurs du travail. Des entretiens semi-directifs Des entretiens dune dure dune heure une heure et demie chacun ont eu lieu entre mars 2001 et juin 2002 et ont concern vingt deux inspecteurs. Nous avons slectionn ces inspecteurs/inspectrices de manire disposer dun chantillon le plus reprsentatif possible de la diversit des agents et des organisations dans lesquelles ils travaillaient. Nous avons eu trois types dentretien de recherche avec ces inspecteurs du travail : des entretiens semi-directifs individuels consistant en un recueil orient de points de vue des agents, des entretiens en groupe de 2 et 3 personnes, et, des entretiens individuels fonds sur lexamen rtrospectif de leur agenda. Les entretiens collectifs et ceux relatifs aux agendas taient principalement destins confronter la pratique des agents leurs justifications.(voir en annexe la grille dentretien et des prcisions)

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    Encadr n 0-3 : Les inquitudes sur la sant au travail Une baisse des accidents sur une longue priode. Ainsi, depuis 1980, le nombre daccidents avec arrts a baiss de 40%, celui des accidents mortels sest rduit de moiti, et on observe une augmentation du nombre daccidents lors des reprises de lactivit conomique. Un palier dans la diminution des accidents du travail 1996 1997 1998 1999 2000 Nombre daccidents avec arrt 658 083 658 551 689 859 711 035 743 435 Nombre daccidents graves 48 762 45 579 47 071 46 085 48 096 Nombre de dcs 773 690 719 743 730 Une hausse sensible du nombre de maladies professionnelles reconnues 1996 1997 1998 1999 2000 2001 Nombre de maladies 13 658 15 554 17 722 24 208 30 127 39 755 professionnelles. Nombre de dcs 96 95 104 161 235 n.c De 1988 2001 le nombre de cas de maladies professionnelles reconnues a t multipli par plus de 6. Sur la mme priode