Les indicateurs de besoins relatifs pour...

22
75 ____________________________________________________________________________ ____________________________________________________________________________ Cah. Socio. Démo. Méd., XXXXIIème année, n°1, p. 75-96 (Janvier-Mars 2002) _________________________________________________________ Cah. Socio. Démo. Méd., 42 (1) : 75-96 (January-March 2002) ____________________________________________________________________________ ____________________________________________________________________________ L’ALLOCATION REGIONALE DES RESSOURCES DE SANTE AU CANADA : LES INDICATEURS DE BESOINS Jean-Pierre Thouez Département de géographie, Université de Montréal Laboratoire de géographie de la santé, Unité de recherche en épidémiologie, CR-CHUM, Hôtel-Dieu de Montréal, Canada

Transcript of Les indicateurs de besoins relatifs pour...

75

________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Cah. Socio. Démo. Méd.,XXXXIIème année, n°1, p. 75-96 (Janvier-Mars 2002)

_________________________________________________________

Cah. Socio. Démo. Méd.,42 (1) : 75-96 (January-March 2002)________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

L’ALLOCATION REGIONALE DES

RESSOURCES DE SANTE AU CANADA :

LES INDICATEURS DE BESOINS

Jean-Pierre Thouez

Département de géographie, Université de MontréalLaboratoire de géographie de la santé, Unité de recherche en épidémiologie,

CR-CHUM, Hôtel-Dieu de Montréal, Canada

76

Health resources allocation in Canadian provinces : the role of indicators of health needs

In an attempt to limit their health care expenditures Canadianprovinces have strengthened the necessity to allocate health careresources according to their population needs.

The difficulties and limitations of the needs-based approach areexplored. First, indicators of population needs for health carewere introduced into a formula of resource allocation forhospital-based services in England in the late 1970. Secondly,there are broad similarities between both the philosophy andresource allocation strategies of Canada and Britain. Thirdly,the main definition of a needs indicator is to measure the level ofequity-or inequity-in the distribution of health care resourcesbetween regions. Fourthly, a needs indicator, as least asdeveloped by the Canadian provinces, concerns general andspecialized services that should be found in each of their regions.Fifthly, a needs indicator constitutes a tool for the calculation ofa capitation rate. Finally, future research should focus onparameters which are not an integral part of the allocationmethod, but which have a strong impact, in the attainment ofregional equity such as administrative decisions that are takenwhen budgets are to be allocated or reduced between regions.

77

INTRODUCTION

À la lumière de l’expérience britannique et des expériencesmenées dans quelques provinces canadiennes, il semble légitimede se demander si les procédures d’allocation territoriale desressources seraient susceptibles de corriger certains effets de laplanification actuelle pour mieux répondre aux besoins de lapopulation (Rathwell, 1994 ; Nguyen, 1996).

Les stratégies de planification sanitaire sont de plus en pluscentrées sur la population et sur les déterminants de la santé aulieu de l’être sur les ressources. Par exemple, dans les paysdéveloppés, les soins intégrés consistent en grande partie àrenforcer les soins de santé primaires et à éviter les traitementsinutiles, notamment les hospitalisations (OMS 2000). Ceglissement des ressources vers la population a suscité larecherche d’indicateurs territorialisés de besoins dans la plupartdes provinces canadiennes. Toutefois, l’implantation d’unsystème de financement territorialisé soulève plusieurs questions,d’une part, sur les variables qui déterminent les besoins, et doncsur les indicateurs de besoins susceptibles de permettre uneallocation des ressources ; d’autre part, sur les méthodesdistributives pour reporter les fonds publics car elles ne sont passans importance.

Au préalable, il importe de mentionner ce que pourraient être lesobjectifs généraux d’une planification sanitaire qui tendrait àredéployer les ressources selon les besoins.

Premièrement, le concept de besoin est défini comme l’écartentre l’état de santé désiré – normatif – et l’état de santé actuel –réel – des populations. La littérature, dans son ensemble, associeles écarts de santé et de bien-être aux inégalités sociales. Un desobjectifs généraux du système de santé sera donc d’atténuer lesinégalités en améliorant la santé des moins bien portants, lorsquela situation est justifiable d’une intervention (OMS, 2000). SelonPampalon et al. (1994), un système de santé doit aussi viser

78

l’équité, de manière à ce que les niveaux de santé et de bien-êtresoient comparables au sein des différentes couches de lapopulation, d’où la recherche d’une distribution équitable desressources entre les régions tenant compte des besoins despopulations et des coûts des services. Bien qu’équité et égalité nesignifient pas tout à fait la même chose, ces termes sontintimement reliés. En effet, certains écarts de santé reflètent desiniquités (c’est-à-dire des inégalités en matière de santé qui sontproprement injustes). L’égalité est aussi comprise commel’égalité d’accès aux soins (Culyer et Wagstaff, 1993), principeplus complexe à déterminer et difficilement justifiable. Il semblelogique, par exemple, qu’une personne âgée fasse un usage plusimportant du système de soins qu’une personne plus jeune. Êtreen mesure de déterminer en quoi consiste l’inéquité (plutôt que lasimple égalité) requiert, au préalable, une conception de lajustice (Waters, 2000).

Le mode d’organisation susceptible de répondre à cet objectifgénéral est la décentralisation : il s’agit de transférer à desniveaux inférieurs du système la propriété, les responsabilités etl’obligation de rendre compte (imputabilité). Ce transfert s’opèregénéralement entre l’administration centrale et les régions. SelonDuriez et Lequet-Slama (1999), la région est généralementconsidérée comme l’échelle géographique appropriée pour unerépartition rationnelle et cohérente des ressources. Au Canada, ladistribution des ressources est dévolue dans chaque province àdes autorités régionales et il revient aux provinces d’assurerl’allocation régionale des ressources selon les besoins despopulations. Ce mode d’organisation vise à rationaliser l’offre desoins et son financement en notant que rationalisation etfinancement sont déterminés à priori et non selon les dépensesconstituées à posteriori. Enfin, la gestion de la santé est souventréalisée par programmes clientèles, il s’agit de transposer entermes opérationnels les objectifs généraux, leur mise en œuvreen association avec un financement déterminé à priori.

79

Ainsi, au niveau central (provincial), l’introduction d’uneprocédure d’allocation des ressources interrégionale fondée surune mesure des besoins relatifs des populations serait de nature àfavoriser l’équité du financement et pourrait être une réponse auproblème des disparités interrégionales de l’offre de soins.

Dans un premier temps, nous décrirons les expériencesbritannique et canadienne en mettant l’accent sur la constructiondes indicateurs de besoins ; dans un second temps, nousprésenterons les enjeux politiques et les problèmesméthodologiques.

I.- La recherche d’indicateurs de besoins de santé

Il n’est pas facile de s’entendre sur ce que recouvre la santé.Même si on s’éloigne de la définition générale de l’OMS et on selimite aux besoins de santé auxquels peut répondre le système desanté, il faut reconnaître que l’on ne dispose pas d’outil objectifsimple pour approfondir les besoins réels de la population(Desplanques, 1994). Comment définir les besoins ?

Le concept de besoin est difficile à saisir que l’on retienne lesfondements théoriques dont les toxinomies pour préciser lesniveaux de besoins et leur organisation ou les caractéristiques dece concept dont la subjectivité, la nécessité, la plasticité etl’organisation. Le besoin est par définition subjectif, le propre dubesoin est de s’imposer à nous d’où sa nécessité ; il est aussiplastique car modulable selon les conditions individuellessociales et/ou environnementales ; enfin, un besoin précis doitêtre analysé en relation avec différents niveaux de besoins(Doyal et Gouth, 1991). Examinons les expériences britanniqueet canadienne d’indicateurs de besoins susceptibles de permettreune allocation territoriale des ressources.

80

II.- La formule RAWP

La croissance des coûts de santé et la persistance, voire,l’aggravation des inégalités de santé furent à l’origine de latransformation du système de santé britannique (le Pays deGalles, l’Écosse, l’Irlande du Nord ont leur propre système derépartition). Les réformes de 1974 et de 1982 furentadministratives, elles ont porté sur l’organisation territoriale de lasanté. Celle de 1976 met en place une Commission de répartitionterritoriale des ressources (Resource Allocation Working Partyon RAWP). Elle introduit une formule dite formule RAWPassociant besoins de santé de la population et financement etdont le principe revient à appliquer les mêmes règles« objectives » d’affectation des ressources pour chacune desrégions (Mays et Bevan, 1987 ; Jourdain, 1991).

La formule de 1976 retient quatre éléments principaux : lacomposition de la population régionale par classes d’âge et parsexe ; les taux moyens d’hospitalisation par catégorie de maladienormalisée selon l’âge ; le coût moyen d’hospitalisation pourchaque catégorie de maladie. Pour chacun des six secteursd’activité du NHS (National Health Service), on détermined’abord la population pondérée – c’est-à-dire le nombred’individus corrigé des effets de la structure d’âge et de l’état desanté – puis on estime les ressources nécessaires en multipliant lapopulation pondérée par un coût moyen de service. Le quatrièmeélément est le taux de mortalité standardisé (standart mortalityratio ou SMR) pour chaque région pour obtenir le ratio desurmortalité ou de sous-mortalité de la région selon que le SMRde la région est au-dessus ou en dessous de la moyennenationale. Le RAWP reconnaît que la mortalité d’une régionserait un bon indicateur de son niveau de morbidité (Mays etBevan, 1987 ; Jourdain, 1991).

Notons que, si l’on procède ainsi pour chacun des six secteurs desoins, la méthode de pondération diffère par exemple pour les

81

soins de santé mentale, ils sont calculés à partir de la structurematrimoniale. Le SMR n’est pas retenu pour ce secteur.Comme la planification a une base régionale, certains servicesspécialisés attirent les patients d’autres régions, il a donc falluprendre en compte les flux de patients entre les régions. Lesrégions attractives devraient bénéficier de créditssupplémentaires pour financer leurs services. On a donc retenu lenombre de patients venant d’autres régions que l’on a multipliépar le taux national de consultation pour corriger l’effectif de lapopulation régionale. Finalement, les différentes populations deréférence des secteurs de soins ont été agrégées. On obtient ainsiune population pour la région tenant compte des secteursd’activité. C’est en fonction de cette population finale que larépartition du budget national est allouée entre les régions (Mayset Bevan, 1987 ; Jourdain, 1991).

La formule RAWP a été abondamment critiquée bien qu’elle fututilisée depuis 1976 par les gouvernements travailliste etconservateur. Chacun des quatre paramètres manquerait deprécision et l’indicateur SMR serait peu approprié à l’évaluationdes besoins de santé (West, 1991). Le paramètre population est ladonnée qui a l’impact le plus fort sur les résultats. C’est aussiune cause d’erreur importante car on ne connaît avec précision lechiffre des populations régionales ou infrarégionale qu’aumoment du recensement. Le paramètre utilisation des lits par âgeet par pathologie a été peu critiqué contrairement aux coûts quel’on estime de faible qualité. Toutefois, comme les types depathologies traitées dans les hôpitaux des différentes régions nediffèrent pas significativement, l’impact de la qualité desdonnées diminue lorsqu’on introduit le paramètre population(West, 1987). Si le SMR utilisé comme indicateur de besoinprésente de nombreux avantages : données fiables, disponibles,faible coût de recueil de l’information, il n’est pas exempt dedéfauts. Des études ont montré que les indicateurs de mortalité etde morbidité sont corrélés pour les maladies chroniquessusceptibles de longs séjours à l’hôpital, par contre les arrêts detravail ne le sont pas avec la mortalité (Mays et al., 1992). De

82

même, la demande pour les services - taux de fréquentationhospitalière de courte durée - est peu corrélée avec le SMR, etcertaines causes de morbidité (psychiatrie, par exemple) seraienttotalement indépendantes de cet indice (Mays et al., 1992). Fauted’indicateur alternatif, on considère que le SMR n’a pas pourobjet de fournir une estimation précise de la morbidité absoluemais plutôt d’évaluer la valeur relative de la morbidité pouvantconduire à un financement supplémentaire pour réduire lesinégalités de santé (Jourdain, 1991).

Dans les années 1980, des formules alternatives furent proposéespour mieux mettre en évidence les écarts entre les régions. Eneffet, les populations défavorisées compensent généralement leurhandicap social par un recours accru aux services de santé, d’oùla réclamation par des régions d’allocations supplémentaires.Jourdain (1991) considère que, si l’argument est solide, ilsoulève un problème de fond, est-il pertinent de répondre auxproblèmes induits par la pauvreté par des ressources de santésupplémentaires. Cet argument est étayé par le fait que le SMRinclut déjà l’effet des problèmes sociaux et la forme de larelation entre SMR et ressources est linéaire.

Dans les années 1990, les dernières propositions incorporent desdonnées socioéconomiques comme mesure de la défavorisationen complément avec les données de santé des populations (Carr-Hill et al., 1994). La formule nationale d’allocation desressources n’est pas la seule mesure de planification sanitaire oùles données socioéconomiques sont pertinentes. Par exemple,l’indice de défavorisation de Jarman (1983) fut utilisé pourcalculer la tâche de travail et la rémunération des généralistes ;Townsend et Whitehead (1988) ont proposé un indicateur dedéfavorisation matérielle dont la relation avec l’état de santé despopulations serait plus élevée que la défavorisationsocioéconomique.

En conclusion, lors de son introduction, la formule RAWPdevrait répondre aux inégalités régionales, mais il semble que la

83

raison principale devrait être recherchée du côté de la gestion desressources du NHS. En effet, cet organisme souhaitait avoir unebase objective de répartition des ressources plus satisfaisante quel’allocation historique. Il est possible, selon Carr-Hill et al.(1994) que le motif gestionnaire ait apporté une attention plusgrande à la question de l’équité. Pour Curtis et Taket (1996), laformule RAWP a non seulement mis en évidence les inégalitésrégionales mais, avec le temps, les résultats seraient positifs carelle aurait aidé à réduire les disparités.

III.- Le cas des provinces canadiennes

L’adaptation d’un système analogue par les provincescanadiennes soulève plusieurs questions, d’une part, sur lesvariables qui déterminent les besoins et donc sur les indicateursde besoins relatifs et, d’autre part, sur les modalités pratiques demise en œuvre dans le contexte du système de santé canadien.Plusieurs rapports de la Fondation Canadienne de la Recherchesur les Services de Santé (FCRSS 1998) sont incontournables(Hurley et al., 1998 ; Hutchinson et al., 1998).

a.- Alberta

Le principal objectif du programme introduit en 1997-98proposait un système de financement plus transparent et pluséquitable entre les 17 régions (Regional Health Authorities) dontla taille variait entre 18 500 et 850 000 habitants. Les servicescompris dans ce projet étaient les services hospitaliers de courtedurée, les services ambulatoires, les services à domicile et lessoins de santé communautaire dont la promotion de la santé. Laformule comprenait quatre paramètres : les dépenses normaliséespar sexe (g), groupe d’âge (i) et le statut socioéconomique (s) ; lapopulation régionale pondérée selon le sexe (g), groupe d’âge (i)et statut socioéconomique (s) ; un coefficient d’ajustement pourles flux interrégionaux (XR), un autre pour les régions éloignées(OR) et finalement un coefficient d’ajustement budgétaire (NR)(Tableau 1). La somme des résultats permettait d’estimer le

84

budget à allouer par région (BR). La formule tenait compte ducontexte albertain, par exemple, de la présence des autochtones,du coût des services dans les cinq régions les plus nordiques etde la distance aux services selon que l’on ait une distance de 80kms et plus d’une ville de 5000 habitants (Alberta Health, 1998).

b.- Colombie Britannique

Le programme complétait les initiatives du Ministère de la santéde la Colombie Britannique pour décentraliser la gestion dusystème de santé en 20 régions (Regional Health Boards) dont lapopulation, en 1995, variait entre 60000 et 500 000 habitants.Les services impliqués étaient les soins hospitaliers, les soins àdomicile, les services des centres d’hébergement, la santépublique et la santé mentale. La première partie de la formulecorrespond à une proportion région (R) versus le reste avec leséléments suivants : population de la région (R) par classes d’âge(i), dépenses extérieures par personne dans la classe d’âge (i),sexe (g) et un indice de statut mental pour la région (R) ; dans laseconde partie, on trouve les flux des patients (XR) et le budgetprovincial de l’année précédente (Bt-1). Les deux dernierséléments sont : le coût d’ajustement pour la région r (CR) et lebudget total de la province (Bt). La formule de l’indice de santémentale est :

MR = 1 + [0,5 (HSR – HSmin/HS)] où HSR est l’indice demortalité de la région ; 0.5 RRASMR + 0.5 RRPYLLSR(RRASMR est le ratio du taux de mortalité ajusté – SMR de larégion divisé par le taux de mortalité provincial - ; RRPYLLSRest le ratio du nombre d’années perdues de la région divisé parcelui de la province ; HSmin est le taux de mortalité régional leplus bas ; HS le taux de mortalité de la province (Tableau 1). Lebudget régional estimé (BR) est ajusté pour tenir compte descoûts régionaux (British Columbia Ministry of Health, 1996).

85

c.- Ontario

Plusieurs approches exploratoires furent réalisées (Eyles et al.,1991). Les principaux objectifs du programme portaient sur ladiminution des coûts du système de santé, la distribution pluséquitable des fonds supplémentaires et la promotion des servicesà domicile et des services communautaires. La province estorganisée en 38 Centres de soins communautaires (CommunityCare Access Center, CCAC) dont la taille varie de 37 800 à plusde 2 millions (Toronto métropolitain). Les services impliquéssont les soins de longue durée et les services communautaires debase. La formule est la somme de la population du CCAC (R) parclasses d’âge (i), sexe (g) et des dépenses estimées par personnede la classe d’âge (i) et sexe (g) rapporté à la somme de ceséléments pour l’ensemble des CCAC (Tableau 1). Dans les casoù cela s’applique, un ajustement pour le rural ou l’éloignementfut appliqué. BR n’est pas le budget estimé mais un nouveaufinancement entendu comme une proportion de l’ensemble desservices à domicile. En d’autres termes, le Ministère établit unfond pour tenir compte des inégalités régionales, si la somme desBR est supérieure à ce fond, chacun des CCAC admissible nepourra recevoir sa part mais seulement une partie du budgetprovincial disponible (Basrur et al., 1996). Notons que ceprogramme n’a pas été mis en œuvre par le gouvernementontarien.

d.- Manitoba

L’expérience du Manitoba est décrite dans le rapport duManitoba Centre for Health Policy and Evaluation (MCPHE)(Mustard et Derksen, 1997). Elle porte sur le financement des 13Regional Health Authorities (RHA) au regard des soins àdomicile et des services de longue durée en institution. Laméthode comprend les étapes suivantes : calculer les dépenses desanté per capita selon les classes d’âge (i), le sexe (g) despopulations pour chaque catégorie de service ; développer unemesure des besoins – on a retenu la mortalité prématurée : décès

86

avant 75 ans – et six caractéristiques socioéconomiquesrégionales. L’indicateur de besoin est ensuite utilisé pournormaliser l’allocation de financement per capita selon l’âge etpour chaque catégorie de service. Finalement, l’allocationrégionale per capita est multipliée par la population de chaqueclasse d’âge pour produire l’allocation ajustée pour chaquerégion.

e.- Saskatchewan

La proposition d’une formule d’allocation territoriale futformulée par les chercheurs du Centre for Health Economics andPolicy Analysis de l’Université Mc Master. Les objectifsprincipaux portaient sur la distribution plus équitable desressources entre les régions, la décentralisation de la gestion et letransfert du financement des fournisseurs aux populations. Laformule s’applique à l’allocation de 80 % du financement des 32districts de santé (Health Districts) et pour une Health Authority.Les programmes impliqués étaient les soins aigus, les soins eninstitution, les soins à domicile et les initiatives de santé. Laformule varie selon chacun des quatre programmes. Celle desservices à domicile (tableau 1) est le ratio des éléments suivantspour le district (R) utilisation des services à domicile (Vig), pourla classe d’âge (i), le sexe (g) ; la population du district (R) parclasses d’âge (i), sexe (g) ; ajustement pour les besoins (EiR) pourla classe d’âge i (où i est 64 ans et moins ou 65 ans et plus) ; etun ajustement pour la distance-temps – pour les services àdomicile – rapporté à la somme de ces éléments pour l’ensembledes territoires. Ce ratio est multiplié par (B) le budget provincialpour ce programme. Notons que le budget estimé est aussi ajustépour tenir compte de la proportion des personnes âgées vivantseules et de la faible densité des populations (Donnelly etOsiowy, 1997).

87

f.- Québec

Parallèlement aux réformes de la santé de 1995 sur l’accessibilitéaux services et de 1996 sur les compressions et réallocationsbudgétaires, on a précisé et expérimenté des mesures d’allocationpour quelques programmes-clientèles pour les 18 régionssociosanitaires du Québec dont la population varie de plus de 1,8millions (Montréal) à moins de 10 000 habitants. Des indicateursde besoin ont été créés pour huit programmes (Pampalon et al.,1994). Présentons brièvement les paramètres utilisés pour laconstruction des indicateurs de besoin pour le programme santé-physique, le plus important des programmes retenus (tableau 1).Le premier paramètre correspond à la taille de la populationspécifique au programme. Le paramètre fixe la population dechaque région à 1.00, par conséquent, il est assimilé à uneconstante qui ne contribue pas à la variation interrégionale desbesoins. Par contre, les autres paramètres indicateur de mortalité(SMR) et indicateur de prévalence régionale selon l’âge et lesexe (hospitalisation de courte durée) sont responsables de lavariation des indicateurs de besoins entre les régions (Pampalonet al., 1994). En d’autres termes, la formule tient compte de lapopulation régionale, pondérée par les taux québécoisd’hospitalisation selon l’âge (i) et le sexe (g) ainsi que par unindice régional de mortalité (SMR - toutes causes) chez les 0-75ans. Les données pour construire ces indicateurs proviennent desrecensements, des fichiers d’hospitalisation et du registre desdécès. Notons que ce programme de santé physique recoupeplusieurs services des établissements hospitaliers. De plus,l’objectif d’équité en matière d’allocation interrégionale dépendde la somme engagée, or elle est moins de 1 ou 2 pour cent desressources totales du Ministère de la santé et des services sociaux(MSSS) du Québec.

Pour les années budgétaires 1996-97 et 1997-98, on est passé desindicateurs de besoin par programme à un indicateur global desbesoins et on a utilisé l’ensemble de ressources du réseau(Pampalon et al., 1997). L’indicateur global des besoins combine

88

le coût des services par âge et par sexe et le coût national desservices de santé physique de courte durée pondérés parl’espérance de vie à la naissance et la sous-scolarité. Au-delà dela composition de la population par âge et par sexe, les meilleursdéterminants de l’hospitalisation de courte durée seraientl’espérance de vie à la naissance et la sous-scolarité, cesparamètres présentant une large variation régionale, les valeurss’étendant de 0.86 à 1.22. Les variations de l’indice globalreflètent celles de la mortalité générale, des fluctuations de lacroissance de la population, du revenu, de la scolarité, del’emploi et aussi celles d’un indicateur subjectif : la perceptionde l’état de santé des enquêtes de Santé-Québec.

IV.- Les enjeux méthodologiques et politiques des mesuresd’allocation régionale des ressources de santé

Les enjeux méthodologiques sont importants et ils se posent entermes géographiques puisqu’il s’agit de mettre en place uneméthode dont l’objectif est d’estimer la richesse relative dechaque région par rapport à un ensemble régional (ou la sommedes régions). Si la mesure des besoins relatifs est prioritaire, cen’est pas le seul enjeu méthodologique.

1.- Définition du champ des dépenses à considérerIl s’agit ici de préciser la nature et l’étendue des services oudes activités selon leur niveau de desserte : national, régionalet local.

2.- Comptabilisation des dépensesIl faut pouvoir aussi estimer la somme des dépenseseffectuées soit nationalement, régionalement ou localement,dans le cadre de chacun des services et activités définis.

3.- Coût de production des servicesComme le coût de production des services peut varier enfonction de caractéristiques régionales (éloignement desgrands centres, dispersion de la population, faible taille desétablissements, etc.), il importe de prendre en compte cecoût.

89

4.- Prise en compte de la mobilité des clientèlesEncore ici, il importe de mesurer l’importance de laconsommation trans-frontalière et de tenir compte de lafaçon dont on aura décidé de faire au plan politique.

5.- Précision de la population couverteDans le cas d’une allocation globale, ce sera la populationtotale. Mais dans le cas d’une allocation spécifique, ilimportera de préciser la population visée, soit les nouveau-nés, la population âgée, les jeunes et les adolescents, leshommes ou les femmes, etc.

6.- Les besoins de la populationCes besoins sont effectivement définis comme des écartsdans les caractéristiques de la population (états de santé ouindices socio-économiques) qui auront un lien avec laconsommation de services de santé ou de services sociaux. Ils’agit bien-sûr de besoins relatifs et non absolus, de besoinsrelatifs entre régions. On pourra envisager ces besoins defaçon globale ou spécifique, par programme-clientèles.

Les méthodes suggérées doivent être valides (basées sur despreuves empiriques), acceptables par les politiciens etadministrateurs (simples, satisfaisantes au plan intuitif), robustes(ou résistantes à la manipulation), flexibles (pour permettre desréallocations entre secteurs d’activités), sans effets pervers(comme de restreindre les services) et faisables (données dequalité, accessibles).

Le point le plus problématique est la validité, car il existe trèspeu d’analyses empiriques, notamment sur les besoins et le coûtde production de services. On connaît celles faites en Angleterre,mais un peu moins celles faites ailleurs, notamment en Ontario,au Manitoba et au Québec.

Les enjeux politiques sont fondamentaux et constituent unpréalable à toute méthode d’équité et de répartition desressources.

90

1.- Équité entre populations définies géographiquement (régionsou sous-régions) en fonction de leurs besoins et non-équitéentre populations adhérentes à des organisations de servicesen fonction de leurs risques (HMO, HSO et GPfundholdings). C’est l’option retenue par certains pays, dontle Canada et le Québec. Le but recherché est simple : répartiréquitablement, en fonction des besoins, les ressourcesdisponibles du secteur de la santé (et des services sociaux,dans certains cas). Cette forme d’équité ne vise pas d’autresobjectifs tels qu’une meilleure répartition des ressourcesentre établissements d’un réseau, entre programmes-clientèles ou entre les missions sociales et sanitaires et lesautres secteurs d’activités gouvernementales.

2.- Redistribution de toutes les ressources dans chaque régionou une partie de celles-ci. La question est de savoir si l’ondoit trouver dans chaque région toutes les ressources duréseau de la santé ou seulement celles qui peuvent êtrerendues avec le maximum d’efficience. En somme, ilimporte de définir la gamme de services à redistribuer àchaque niveau territorial : le national, le régional et le local.

3.- Faut-il ou non permettre la consommation trans-frontalière ?Peut-on permettre que des services de niveau local puissentêtre rendus à des non résidants de cette localité ? Jusqu’oùdoit aller la volonté d’autosuffisance des organisationsterritoriales ? Doit-on garantir la liberté de choix despraticiens et des institutions par les patients ?

4.- Allocation globale ou par programme-clientèlesLes deux sont possibles et des pays ont opté pour des formesglobales (Finlande, Australie, Norvège, Alberta et Québec),d’autres pour des formes spécifiques, dans le secteurhospitalier de courte durée (Angleterre) ou dans une gammeplus large de services tels que dans le cas des services delongue durée, du maintien à domicile ou de la santé publique(Nouvelle-Zélande, Saskatchewan, Ontario et Québec).

5.- A quel rythme souhaite-t-on réduire les écarts observés ? Ilimporte d’envisager la réduction des écarts sur du long

91

terme (au moins 10 ans), peut-être plus rapidement pourcertains programmes.

CONCLUSION

1.- L’équité interrégionale de ressources ne signifie pas que lespopulations des régions auront le même état de santé, quetout citoyen aura accès à tous les services dans sa région. Ence sens, l’équité des ressources (égalité d’utilisation,distribution selon les besoins, capacité selon l’accessibilité etégalité de santé) ne joue qu’un rôle limité sur le plan despolitiques de la santé, faute de bien identifier le typed’équité que l’on cherche à atteindre car aucune méthode nepermet de réduire tous les écarts simultanément. Dans cetessai, il semble que les autorités provinciales ont cherché àréduire les écarts financiers entre régions. Si l’on cherche àréduire les écarts de santé, les indicateurs de besoinsdevraient être prédominants.

2.- Les indicateurs de besoins permettent d’exprimer les besoinsrelatifs de services entre les régions et non pas de déterminerles besoins absolus de la population (la demande). Si l’on nepeut pas évaluer le nombre de clients à desservir parprogramme, il sera difficile de planifier la production desservices.

3.- Les indicateurs de coûts différentiés sont inclus dans lesméthodes provinciales d’allocation interrégionale desressources, mais leur fondement conceptuel etméthodologique ne semble pas soulever de questions commepour les indicateurs de besoins.

4.- La décentralisation des responsabilités de gestion desautorités provinciales vers les régions modifie leurs rôlesrespectifs dans le processus de répartition des ressources.Peut-on aller plus loin et adopter ces méthodes et indicateursde besoins à l’échelle intrarégionale. À un premier niveau,

92

on établirait des indicateurs globaux simples par larépartition interrégionale sous la responsabilité de l’autoritéprovinciale ; à un second niveau, des indicateurs deprogramme sous l’autorité des régions. Pour cela, il faudraitque les régions modifient leur structure de service.Les plans de transformation actuels des régions au Canadanous amènent aussi à nous questionner sur les changementsde structure et sur les changements de la production desservices de première ligne dont le SSI (Système de ServicesIntégrés).La conjoncture actuelle relativement aux orientations desanté et d’économie conduit à des changements profonds dessystèmes de santé : il est difficile de dégager un modèleunique et global, toutefois la tendance s’oriente vers ladécentralisation, la régionalisation et la gestion deprogrammes.

Références

Alberta Health (1998). Population based funding model manual: 1998-1999regional funding. Alberta Health, health resourcing branch, Edmonton,Alberta.Basrur S, Decks S, Demeter S, Gray P, Harvey B, Hermann A, Johnson I,Mulder C, Pasut G, Patychuk D, Sidu D, Williams D (1996). Towardsequitable funding for public health. Final Report, Ontario, Ministry of Health,Public Health Unit, Toronto, Ontario.British Columbia Ministry of Health (1996). Regional funding formula – aresource allocation initiative to support the regionalization of health careservices. British Columbia Ministry of Health and Ministry responsible forseniors, Victoria, BC.Carr-Hill R, Smith P, Martin S, Peacock S, Hardman G (1994). Allocatingresources to health authorities: development of methods for small areaanalysis of use of inpatient service. British Medical J 289, 1587-1592.Culyer AJ, Wagstaff A (1993). Equity and egality in health and health care. J.Health Economics 12, 431-457.Curtis S, Taket A (1996). Health and societies: changing perspectives.Londres: Arnold, 358p.Desplanques G (1994). Intérêt potentiel des procédures d’allocation desressources en France. Actes, Étude des populations et Épidémiologie enplanification sanitaire, Paris : ENSP et MIREP, 200-210.

93

Donnelly R, Osiowy K (1997). Population needs-based funding inSaskatchewan : four years of experience. Saskatchewan Health, Regina,Saskatchewan.Duriez M, Lequet-Slama D (1999). Régionalisation et systèmes de santé enEurope. Actualité et Dossier en Santé Publique 29, 29-32.Doyal L, Gouch I (1991). A theory of human need, New-York: The GuilfordPress.Eyles J, Birch S, Hurley J, Hutchinson B (1991). A needs-based methodologyfor allocating health care resources in Ontario, Canada: development andapplication. Soc. Science Med 33(4):489-500.Ham C (1997). Priority setting in health care : learning from internationalexperience. Health Policy 42, 49-66.Hurley J, Hutchinson B, Giacomini M, Birch S, Dorland J, Reid R,Pizzoferrato G (1998). Considerations in implementing capitation forintegrated health systems Ottawa. Fondation Canadienne de la Recherche surles Services de Santé 765.Hutchinson B, Hurley J, Reid R, Dorland J, Birch S, Giacomini M,Pizzoferrato G (1998). Capitation formulae for integrated health systems : apolicy synthesis Ottawa. Fondation Canadienne de la Recherche sur lesServices de Santé, 89-107.Jarman B (1983). Identification of underprivileged areas. British Medical J286, 1705-1709.Jourdain A (1991). Comment “Rawper” les inégalités de santé entre régions.Cah. Socio. Demo. Med 36(4)309-344.Mays N, Bevan G (1987). Resource allocation in the health service.Occasional paper on social administration no 81, Londres: Bedford SquarePress.Mays N, Chinn S, Hok M (1992). Interregional variations in measures ofhealth from the health and lifestyle and their relation with indicators of healthcare need in England. J. Epidem. Comm. Health 46, 38-47.Mustard C, Derksen S (1997). A need-based funding methodology forregional health authorities: a proposed framework. Manitoba Centre forHealth Evaluation, Université du Manitoba, Faculté de Médecine, 85 p.Nguyen H (1996). La répartition interrégionale des ressources financières.Tremblay M, Nguyen H, Turgeon J eds. La planification régionale desservices sociaux et de la santé. Les Publications du Québec, 77-100.Organisation Mondiale de la Santé OMS (2000). Rapport sur la santé dans lemonde : pour un système plus performant. Genève : OMS, 237 p.Pampalon R, Saucier A, Berthiaume N, Ferland P, Couture R, Caris P, FortinL, Lacroix D, Kirouack R (1994). The selection of needs indicators forregional resource allocation in the fields of health and social services inQuebec. VIth international medical geography symposium, Vancouver BC, 27p.Pampalon R, Rochon M, Piche J, Barriault C, Berthiaume N, Ferland P,Levasseur M, Saucier A (1997). Un indicateur global de besoins pour

94

l’allocation interrégionale des ressources publiques en santé et servicessociaux. Québec : Ministère de la Santé et des Services Sociaux, division del’évaluation, 43 p.Rathwell T (1994). Health care in Canada: a system in turmoil, Health Policy,24, 5-17.Townsend P, Whitehead M (1988). Inequalities in health. Hammordsworth:Pelican.Waters G (1987). What does equity in health mean? World Health Stat Q40(4)296-303.West P (1987). La gestion territoriale de la santé : l’allocation des ressourcesdans les systèmes décentralisés ou centralisés. In : Systèmes de santé,pouvoirs publics et financiers, qui contrôle quoi? Paris : La documentationfrançaise.West P (1991). Rethinking the health selection explanation for healthinequalities. Soc. Science and Medicine 32(4)373-384.

Tableau 1 : Formules d’allocation des ressources de santé selon les besoins relatifs des populations

ALBERTA

Σ Σ Σ Vigs PigsR + XR + OR + NR = BRg = 1 i = 1 s = 1

Vigs Dépenses estimées de santé per capita i, g et (s) groupesocioéconomique

PigsR Population i, g, r et sXR Ajustement entrée/sortie pour (R)

OR Coût additionnel pour régions éloignées(> 50 km et > 80 km d’une ville de 5 000 +)

NR Provision pour perte R

95

COLOMBIE BRITANNIQUE

Σ PiR Vig MR XR( ——————— + ———) CR • Bt = BR Σ Σ PiR Vig MR Bt-1

PiR Population R (région) et i (âge)Vig Dépenses estimées de santé par i (âge), g (sexe)

MR Indice de statut de santé région (R)Où MR = 1 + [ 0.5 (HSR – HSmin / HSP) ]Où HS indice de mortalité

Bt Budget total de santé pour la provinceBt-1 Budget de l’année précédenteCR Ajustement pour coûts différentiels (R)

ONTARIO

Σ Σ PiRg Vig i g ——————— + Ai = BR Σ Σ Σ PiRg Vig R i g

PiRg Population du district R, i, gVig Dépenses estimées per capita i, gAi Allocation de rural/éloignéBR Nouveau financement (équité) comme % du budget

global des soins à domicile et communautaires

Si Σ BR > financement provincial, chaque district ne recevrapas BR

R mais une proportion du budget provincialdisponible

96

SASKATCHEWAN

Σ Σ Vig PigR EiR CR g=1 i=1 —————————————— • B = BR Σ Σ Σ Vig PigR EiR CR R=1 g=1 i=1

Vig Utilisation relative des services à domicile i, gPigR Population de la région R, g, iEiR Ajustement pour les besoins i (0-64 et 65+)RB Budget de la province pour les soins à domicileBR Allocation optimale pour les soins à domicile en R

QUÉBEC

┌ ┌ HQig ┐ ┐ │ Σ │—— • PRig) / PR │ │

│ └ POig ┘ │ • SMRRIR = │ ———————―――― │

└ Σ HQig / PQ ┘

IR Indicateur régional des besoinsHQ Hospitalisation court terme au Québec en joursPQ Population du QuébecPR Population régionaleSMRR Ratio de mortalité standardisé (0-74 ans)