Les explorateurs ignorés - RBC

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Les explorateurs ignorés Leurs expéditions dans desrégions lointaines et ingrates en font lessuccesseurs de Champlain, de Hearne et de Mackenzie. Ilsontuvré dansl’ombre, et peuaujourd’hui se souviennent d’eux ou de leurs travaux. À notre constellation de grandes figures canadiennes, ajoutons les pionniers de la Commission géologique du Canada. Ce que nousleurdevons, nul ne peut ledire... [] « Ils ontété lesderniers blancs à voir le Canada surtout et avant toutcomme paysencore largement inconnu. Leur tâche principale consistait littérale- ment à en sonder et à en cartographier les multiples strates rocheuses, mais il devait forcément leur appartenir d’en répertorier leshabitants dispersés, les oiseaux, les animaux, les fleurs, les arbres et les climats. » Ainsis’exprimait en 1962 l’éminent écrivain Ralph Allenen évoquant un grouped’hommes des plushéroïques et cependant des moins célèbres de l’histoire canadienne, c’est-à-dire lesbâtisseurs de la Commission géologique du Canada. Toutécolier connaît les noms de Champlain et d’Hudson, mais peu de Canadiens, jeunes ou vieux,ont entendu parler des explorateurs beaucoup plusrécents qui ont sué sanget eau dansla solitude presque im- pénétrable des terres inhabitées pour permettre au Canada de s’engager dansla voiede la viabilité économique et desprouesses scientifiques. L’héritage qu’ils ontlaissé réside dans lespuits et les fouilles de certaines desmines lesplus riches du monde ainsique dansles fruits incessants du flotd’investissement et d’immigration qui suivit leur découverte des immenses ressources minéra- les du Canada. Et--chose aussi importante- dansles centaines de milliers de menus morceaux de pays qu’ils ont rapportés, à Ottawa, de leurs lointains voyages, pour établir lesfondations d’une tradition scientifique typiquement canadienne, toujours florissante. Leur uvre monumentale a commencé avant même que le Canada ne soit un pays, soit à l’époque de l’ancienne union de l’Ontario et du Québec d’aujourd’hui. Le premier d’entre eux, William Logan, devait être un modèle vivace, non seule- ment de précision scientifique, mais aussi d’excen- tricité. C’était un hommeriche qui s’habillait comme un clochard et que l’on pritsouvent pour un aliéné évadé. Court detaille, filiforme, le nez coiffé de lunettes cerclées de métal, avecla mine ahurie et drôle d’unprêteur sur gages, il parcourut des milliers de milles d’étendues sauvages à mesurer le Canada de son temps en comptant ses pas. Il aimait jouer de la flûte et chanter des vieilles chansons écossaises. Raconteur intéressant, bon vivant, érudit, c’était par-dessus tout un savant accompli. Loganétaitné à Montréal, en 1798,de riches parents écossais. A 16 ans,il partait pouraller étudier à Édimbourg. Il passera 27 ans à l’étranger avant de trouver sa carrière et de rentrer pour de bon au pays.Dans l’intervalle, il étaitdevenu géologue, métallurgiste, arpenteur, maître carto- graphe et uneautorité mondiale en ce qui concerne les origines du charbon. Il avait étudié cinq langues, les mathématiques, la chimieet la logique. Il possédait de bonnes notions de botanique, de zoolo- gie et de banque. Et il avait dirigé une fonderie

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Les explorateurs ignorésLeurs expéditions dans des régions lointaines etingrates en font les successeurs de Champlain, deHearne et de Mackenzie. Ils ont �uvré dans l’ombre,et peu aujourd’hui se souviennent d’eux ou de leurstravaux. À notre constellation de grandes figurescanadiennes, ajoutons les pionniers de la Commissiongéologique du Canada. Ce que nous leur devons, nulne peut le dire...

[] « Ils ont été les derniers blancs à voir le Canadasurtout et avant tout comme pays encore largementinconnu. Leur tâche principale consistait littérale-ment à en sonder et à en cartographier les multiplesstrates rocheuses, mais il devait forcément leurappartenir d’en répertorier les habitants dispersés,les oiseaux, les animaux, les fleurs, les arbres et lesclimats. »

Ainsi s’exprimait en 1962 l’éminent écrivainRalph Allen en évoquant un groupe d’hommes desplus héroïques et cependant des moins célèbres del’histoire canadienne, c’est-à-dire les bâtisseurs dela Commission géologique du Canada. Tout écolierconnaît les noms de Champlain et d’Hudson, maispeu de Canadiens, jeunes ou vieux, ont entenduparler des explorateurs beaucoup plus récents quiont sué sang et eau dans la solitude presque im-pénétrable des terres inhabitées pour permettre auCanada de s’engager dans la voie de la viabilitééconomique et des prouesses scientifiques.

L’héritage qu’ils ont laissé réside dans les puitset les fouilles de certaines des mines les plus richesdu monde ainsi que dans les fruits incessants duflot d’investissement et d’immigration qui suivitleur découverte des immenses ressources minéra-les du Canada. Et--chose aussi importante-dans les centaines de milliers de menus morceauxde pays qu’ils ont rapportés, à Ottawa, de leurslointains voyages, pour établir les fondations d’une

tradition scientifique typiquement canadienne,toujours florissante.

Leur �uvre monumentale a commencé avantmême que le Canada ne soit un pays, soit à l’époquede l’ancienne union de l’Ontario et du Québecd’aujourd’hui. Le premier d’entre eux, WilliamLogan, devait être un modèle vivace, non seule-ment de précision scientifique, mais aussi d’excen-tricité. C’était un homme riche qui s’habillaitcomme un clochard et que l’on prit souvent pour unaliéné évadé. Court de taille, filiforme, le nez coifféde lunettes cerclées de métal, avec la mine ahurieet drôle d’un prêteur sur gages, il parcourut desmilliers de milles d’étendues sauvages à mesurer leCanada de son temps en comptant ses pas. Il aimaitjouer de la flûte et chanter des vieilles chansonsécossaises. Raconteur intéressant, bon vivant,érudit, c’était par-dessus tout un savant accompli.

Logan était né à Montréal, en 1798, de richesparents écossais. A 16 ans, il partait pour allerétudier à Édimbourg. Il passera 27 ans à l’étrangeravant de trouver sa carrière et de rentrer pour debon au pays. Dans l’intervalle, il était devenugéologue, métallurgiste, arpenteur, maître carto-graphe et une autorité mondiale en ce qui concerneles origines du charbon. Il avait étudié cinq langues,les mathématiques, la chimie et la logique. Ilpossédait de bonnes notions de botanique, de zoolo-gie et de banque. Et il avait dirigé une fonderie

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de cuivre galloise. Il était artiste paysager, visiteurassidu de l’Europe, aimable causeur et un parfaitgentleman de l’ancienne école.

Au début des années 1840, c’était aussi un hommed’un certain âge, à qui la grande occasion de sa viese présentait enfin. Car l’Assemblée législative deKingston adoptait en 1841 une résolution prescri-vant « qu’une somme n’excédant pas mille cinqcents livres sterling soit octroyée à Sa Majesté pourpourvoir aux frais éventuels à débourser pour faireeffectuer un Relevé géologique de la Province. »

Voilà donc que les longues veilles et les préoccu-pations scientifiques de Logan durant ses annéesd’exil prenaient soudain tout leur sens. Comme ledira un de ses successeurs, Logan s’était préparé àcette tâche « comme s’il y avait été destiné par lamain infaillible de la Providence ». Comme sesrelations étaient au moins aussi bonnes que sestitres et qualités, il réussit dès le printemps de1842 à se faufiler à la direction de la nouvelleCommission géologique du Canada. Mais il avaitpeu d’employés à diriger. Avec son unique adjoint,Logan était chargé non seulement de l’explorationgéologique, mais aussi de conduire des levés topo-graphiques et d’approvisionner la collection quidevait un jour devenir le superbe Musée Nationaldu Canada.

De toute façon, il occupa rarement le fauteuil dudirecteur. Durant ses 27 ans à la tête de la Com-mission, il fut un explorateur infatigable; il péné-tra dans les recoins les plus profonds de la broussecanadienne et cartographia des régions où aucunblanc ne s’était encore aventuré. Il dut se transfor-mer en véritable homme des bois pour marteler lesrochers et explorer les trésors enfouis sous la sinis-tre enveloppe du bouclier précambrien. Avec sonfusil, il alimentait les équipes d’arpentage enviande fraîche. Il les égayait de ses chansons et deses histoires. Jamais il ne se sentait aussi à l’aiseque parmi les arbres, les lacs et les rivières desterres inconnues.

Ce n’est pas qu’il ait été immunisé contre lestourments des expéditions en forêt. Il se plaintdans son journal des piqûres des mouches, desjambes écorchées et de la soif si ardente qu’elleempêche de manger. Sur la côte de Gaspé, en 1843,il partage un petit wigwam avec six Indiens, deuxchiens et deux chats. A l’extérieur, il faut endurer« l’abominable puanteur » des déchets de poisson et

de la graisse de baleine en putréfaction. « La pluietombe de plus en plus fort, note-t-il. Le vent s’élève,la mer commence à battre fortement le rivage etnotre tente à couler. »

Logan continuera à mener cette vie péniblejusqu’à ses dernières années. Il ne prendra saretraite qu’en 1869, à 70 ans. Ses remarquablestravaux en géologie et en cartographie lui ont déjàacquis une renommée mondiale. Il a accepté le titrede chevalier de la reine Victoria et des décorationsde l’empereur de France aussi volontiers qu’il avaitun jour accepté du porc-épic rôti et des côtelettes demarsouin d’Indiens amis à Gaspé. Il portera lesnombreuses médailles que lui avaient values sessuccès scientifiques avec toute la dignité naturelled’un archiduc.

La découverte d’un héritage imprévude vastes étendues et de richessesgéologiques

Le moment était venu de confier les rênes à desmains plus jeunes. Avec la Confédération, le rôlede la Commission avait pris une extension considé-rable. A l’extrême ouest, de gigantesques terri-toires nouveaux allaient bientôt faire partie dupays naissant. Le successeur de Logan, choisi avecson approbation, fut un Anglais de 45 ans, AlfredSelwyn, qui avait auparavant dirigé des étudesgéologiques analogues en Australie.

Homme au visage grêlé et à la tête hirsute,Selwyn était si maigre et haut enjambé que sonpersonnel l’avait surnommé « le trépied ». Il avaitdéjà prospecté la Nouvelle-Écosse pour y chercherde l’or, du fer et du charbon, pénétré dans la valléedu haut Fraser, en Colombie-Britannique, etaccompli un périple de 2,300 milles dans la Prairie,en chariot, à cheval et en bateau.

C’était aussi un esprit snob, distant et autocrate,dont la sévère révision des rapports d’arpentageirritait ses subordonnés. Ceux-ci l’avaient baptisé« La chose » et le « Roi des menteurs », et, à lalongue, les victimes de ses insultes, de ses révoca-tions et de ses réprimandes voudront avoir sa peau.

Les faiblesses de sa direction furent dramatique-ment mises en lumière, en 1884, alors que lui-même et ceux qui l’abominaient transformèrentune audience parlementaire en une véritable ava-lanche d’insultes, de récriminations et de querelles

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intestines. Pourtant, le premier ministre JohnMacdonald fit confiance à Selwyn. Ce n’est qu’en1895 que le gouvernement retraitera cet hargneuxchef de la Commission géologique.

Il avait fait marcher l’affaire pendant 26 ans. Et,quoi que ses subalternes aient pensé de lui, cesannées ont marqué une époque glorieuse de l’explo-ration canadienne. Ses hommes s’étaient déployésaux quatre vents pour mesurer, cartographier,décrire, dessiner, flairer, piocher, scruter et, ausens le plus large, découvrir le patrimoine in-soupçonné de l’immensité du Canada et de sesrichesses géologiques. Ils avaient parcouru en toussens les tumultueuses rivières de la Colombie-Britannique et les froides vallées du Yukon, passépar la Toundra et pénétrer, à travers la périlleusearidité de l’Ungava et les embûches du Labrador,jusqu’aux îles lointaines des mers arctiques.

Avec l’aide d’avironneurs indiens, métis etcanadiens-français, ils avaient couvert des centai-nes de milliers de milles, marcher de mer en meret joué un rôle d’avant-garde aux points les plusreculés de leur pays. Seuls les indigènes, les mis-sionnaires, les commerçants de fourrures et une

poignée d’explorateurs les avaient précédésç Desfermes, des mines, des camps de bûcherons, destrains d’immigrants, des villes entières allaientsurgir sur leurs traces.

Trait d’union entre l’âge de l’amateuret celui du spécialiste.

Ils avaient servi de trait d’union entre l’âge dubrillant amateur et celui du spécialiste. Certainsavaient des diplômes universitaires en géologie,mais connaissaient assez l’histoire naturelle pourêtre des collectionneurs avisés de plantes, d’in-sectes, de poissons, d’oiseaux et d’autres animaux.D’autres collectionnèrent des objets fabriqués parles Indiens et les Esquimaux, des légendes et desvocabulaires, et contribuèrent ainsi à la créationde l’anthropologie au Canada.

Comme l’écrivait en 1926, le directeur en exer-cice de la Commission, W. H. Collins, « ils s’inté-ressèrent à presque toute la gamme des sciencesd’extérieur et leurs rapports sont des mines derenseignements sur la topographie, le climat, lafaune et la flore, les habitants du pays, ainsi quesur la géologie et les ressources minérales. »

Robert Bell, qui avait un jour qualifié Selwyn« d’ignorant, d’incompétent et de sans scrupules »,fut le type classique de l’explorateur géologiqueaux talents multiples de la fin du XIXe siècle.Intrigant acharné qui avait mené la campagnepour faire déposer Selwyn, à Ottawa, il fut hommede toutes les disciplines. A 15 ans, il avait en 1857exploré la région du Saguenay pour la Commissionet rapporté une remarquable collection botanique.Diplômé en génie et en médecine, il avait aussienseigné la chimie. Il était photographe, taxi-dermiste, cartographe et un peu astronome. Ce futaussi un des premiers explorateurs de la Com-mission à s’intéresser comme collectionneur aufolklore indien. Bell courut le pays plus que touthomme de son temps et rédigea des comptes rendusbien documentés non seulement sur la minéralogieet la géologie, mais aussi sur les sols, les semences,les récoltes, les forêts, l’énergie hydraulique, la viesauvage, la végétation, le climat et l’éthnologie.

En trois jours, un double filon desquelettes de dinosaures et de charbon

Ces hommes-là étaient attirés vers la Commis-sion, soit par l’amour de la nature sauvage, soit parle magnétisme de la brousse, soit, de toute façon,pour des raisons ayant peu de rapport avec leurinstruction. Encore petit garçon, Joseph Tyrrellavait un zoo privé d’animaux qu’il avait capturéssur les bords de la rivière Humber de Toronto.Pendant ses études en droit, un médecin lui ditqu’il ferait bien, à cause de la faiblesse de sespoumons, de prendre la brousse. Tyrrell abandonnale droit, entra à la Commission et commença alorssa vie extraordinaire d’explorateur, d’historien, demagnat de l’industrie minière et de rescapé. Ilmourra, comblé d’honneurs, à 99 ans.

Ainsi que l’écrit Pierre Berton dans GreatCanadians, c’est Tyrrell qui, « en l’espace de troisjours vraiment incroyables de juin 1884, découvrit,primo les squelettes de dinosaures dans la valléede la rivière Red Deer en Alberta, et secundo ungisement de charbon bitumineux sur l’emplacementactuel de Drumheller. La première de ces décou-vertes fut la plus importante trouvaille de songenre en Amérique; ces inestimables ossementssont l’honneur des grands musées contemporains.La seconde mit àjour le plus vaste dépôt de charbonau Canada. »

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George Mercer Dawson était un pygmée en com-paraison de l’énorme Tyrrell. Il subsista tant bienque mal jusqu’à 52 ans. Sa taille était celle d’unenfant de 12 ans et ses poumons étaient si maladesqu’un simple rhume était pour lui danger de mort.Pourtant, il passe pour le plus opiniâtre, le plusinlassable et le plus audacieux de tous les prospec-teurs de la Commission. Malgré ses dehors de nain,il fut un véritable géant parmi les explorateurset les savants du Canada du XIXe siècle.

Dawson rédigea des articles non seulement surplusieurs aspects de la géologie, mais aussi sur labotanique, la zoologie, l’histoire et l’anthropologie.Peintre, poète, conférencier, professeur, diplomate,il se transformait en gendarme sur les sentiers demontagne. En 1877, il parcourut sans carte desmilliers de milles de régions montagneuses enColombie-Britannique. Il s’en était fait une cheminfaisant. C’est en son honneur que la capitale de laruée vers l’or reçut le nom de Dawson. A sa mort, leBritish Columbia Mining Record lui dédia un élogeen vers.

Faute de mieux, on mange du goéland,de la marmotte et de l’ours

Selon Bell, Dawson était un intrus aussi odieuxque Selwyn, mais lui et Dawson avaient un traitcommun, celui d’aimer avec passion la vie dure dela brousse. Dans le cas des explorateurs de laCommission, la « vie dure » est un euphémisme. Ilsaccomplissaient des prouesses d’endurance augrand air à peine croyables à notre âge de confort.Ils voyageaient à pied, avec des chiens, en chariot,en charrette, en radeau, à dos de cheval et demulet, en canoë de bois, d’écorce ou de toile. Leursurvie même au milieu des périls infinis de labrousse tenait à leur connaissance de la forêt.

Tyrrell avait appris à tirer dès sa tendre enfance.Bon tireur de la droite comme de la gauche, ilpouvait couper la tête d’une gélinotte à 100 pieds.Au pistolet, il éteignait une chandelle à 20 pas.

Grâce surtout à Tyrrell, les hommes de la légen-daire, épuisante et quasi funeste expédition de1893 dans la Toundra se régalaient de cerf, decaribou, de lapin, de lagopède, de canard et, quandla chasse était mauvaise, de goéland, d’écureuil, demarmotte et d’ours blanc.

PUBLIÉAUSSI EN ANGLAIS ET EN BRAILLE

Même si les députés accusaient la Commissionde gaspillage, les équipes d’arpentage vivaient leplus souvent sur le pays, et leurs chefs étaientplutSt chiches. Un demi-siècle après les jours degloire de l’explorateur Bell, le personnel de laCommission parlait encore du « festin » qu’il leuravait offert pour terminer une saison de dur travail.Des semaines durant, ses hommes n’avaient mangéque des haricots et de la « galette ». Puis, ce fut leretour vers la civilisation. Un soir, ils dressèrentleurs tentes près d’un magasin. Bell alla chez lemarchand, revint au camp et dit au cuisinier:« Joe, les gars ont fait un long et pénible voyage. Ilsont bien travaillé. Ils méritent un régal. Voici uneboîte de tomates en conserve. »

Mais les mets inattendus n’étaient pas la pireépreuve des explorateurs. A l’automne de 1893,Tyrrell et ses hommes, affamés et sans vivres, envinrent à deux doigts de perdre la vie dans unelente et atroce course vers le sud contre l’hiver dela baie d’Hudson. Le poudrin gelait dans leursbarbes, la glace gainait les canoës et les avirons,et, jusqu’à ce que les plus solides d’entre euxentrent en chancelant dans Churchill, il semblaitsûr que s’ils ne mouraient pas de faim, le froidfinirait par les avoir.

Les explorateurs savaient affronter le danger, lasaleté, la douleur, la solitude et l’hostilité desIndiens. Ils passaient des mois loin de leurs fa-milles. Leur salaire n’était que de moitié de ce qu’ilsauraient gagné en quittant la Commission, commecertains le firent. Ceux qui restèrent y consentirenten grande partie parce que la Commission lesreplongeait chaque année dans les stupéfiantesbeautés et les envoûtants mystères des régions lesplus reculées du Canada.

Tous les automnes, en novembre, les géologuesrefluaient vers Ottawa, la mémoire remplie du sou-venir grandiose des montagnes, des forêts et deslacs sauvages. Ils passaient l’hiver à rédiger leursrapports, à échanger leurs impressions, à grognercontre leurs salaires et, dans certains cas, à mau-dire le patron. Ils attendaient surtout le printempset avec lui le temps favorable, l’autorisation et lesfonds nécessaires pour répondre à l’appel de labrousse. Jamais hommes n’accomplirent davanta-ge pour faire connaître le Canada au monde etd’ailleurs aux Canadiens. Et personne ne sauraitestimer tout ce que nous leur devons aujourd’hui.

~LA BANQUE ROYALE DU CANADA 1979/IMPRIMÉ AU CANADA