Les contrats civils appliqués aux actions

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Les contrats civils appliqu´ es aux actions Benoist Delecourt To cite this version: Benoist Delecourt. Les contrats civils appliqu´ es aux actions. Droit. Universit´ e du Droit et de la Sant´ e - Lille II, 2010. Fran¸ cais. . HAL Id: tel-00577724 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00577724 Submitted on 17 Mar 2011 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

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  • Les contrats civils appliques aux actions

    Benoist Delecourt

    To cite this version:

    Benoist Delecourt. Les contrats civils appliques aux actions. Droit. Universite du Droit et dela Sante - Lille II, 2010. Francais. .

    HAL Id: tel-00577724

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00577724

    Submitted on 17 Mar 2011

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinee au depot et a la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publies ou non,emanant des etablissements denseignement et derecherche francais ou etrangers, des laboratoirespublics ou prives.

    https://hal.archives-ouvertes.frhttps://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00577724

  • PRES Universit Lille Nord de France

    Thse dlivre par

    LUniversit Lille 2 Droit et Sant

    THSE Pour obtenir le grade de Docteur en Droit priv

    Prsente et soutenue publiquement par Benoist Delecourt

    Le 4 octobre 2010

    LES CONTRATS CIVILS APPLIQUS AUX

    ACTIONS

    JURY

    Directeur de thse : Madame Marie-Christine Monsallier-Saint Mleux, Matre de confrences lUniversit de Paris IX, Paris-Dauphine.

    Membres du jury : Monsieur Renaud Mortier, Professeur lUniversit de Rennes I, Rapporteur.

    Monsieur Pierre-Yves Verkindt, Professeur lUniversit de Paris I Panthon-Sorbonne, Rapporteur.

    Monsieur Denis Voinot, Professeur lUniversit de Lille II.

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    PRES Universit Lille Nord de France

    Thse dlivre par

    LUniversit Lille 2 Droit et Sant

    THSE Pour obtenir le grade de Docteur en Droit priv

    Prsente et soutenue publiquement par Benoist Delecourt

    Le 4 octobre 2010

    LES CONTRATS CIVILS APPLIQUS AUX

    ACTIONS

    JURY

    Directeur de thse : Madame Marie-Christine Monsallier-Saint Mleux, Matre de confrences lUniversit de Paris IX, Paris-Dauphine.

    Membres du jury : Monsieur Renaud Mortier, Professeur lUniversit de Rennes I, Rapporteur.

    Monsieur Pierre-Yves Verkindt, Professeur lUniversit de Paris I Panthon-Sorbonne, Rapporteur.

    Monsieur Denis Voinot, Professeur lUniversit de Lille II.

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    Je remercie Madame Monsallier-Saint Mleux pour ses conseils,

    Madame Fatus pour les vacations en B.D.E.,

    Lensemble des vacataires qui se sont succds en B.D.E.,

    Mes parents pour leur soutien.

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    PLAN GNRAL

    PARTIE I - LUTILIT DES CONTRATS CIVILS APPLIQUS

    AUX ACTIONS

    TITRE I - LE RECOURS AUX CONTRATS CIVILS AUX FINS

    DEXERCER UN POUVOIR POLITIQUE SUR LA SOCIT

    Chapitre I - Laccs au poste dadministrateur ou de membre du conseil de surveillance

    Section I - Le prt dactions de droit commun

    Section II - La vente rmr dactions

    Chapitre II - Le transfert du droit de vote afin de prendre le contrle de la socit

    Section I - Les contrats civils permettant de transfrer directement le droit de vote

    Section II - Les contrats civils permettant de transfrer indirectement le droit de vote

    TITRE II - LE RECOURS AUX CONTRATS CIVILS AUX FINS DE

    TIRER PROFIT DES DROITS FINANCIERS INHRENTS AUX

    ACTIONS

    Chapitre I - Lutilisation des contrats civils afin de transmettre une entreprise

    Section I - La donation dactions avec rserve dusufruit

    Section II - La socit holding

    Chapitre II - Lutilisation des contrats civils afin dobtenir du crdit

    Section I - Linsuffisante scurit du nantissement de meubles incorporels

    Section II - Les risques du transfert temporaire de proprit en droit commun

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    PARTIE II - VERS DE NOUVEAUX CONTRATS,

    DINSPIRATION CIVILISTE, APPLIQUS AUX ACTIONS

    TITRE I - LA PROLIFRATION DES CONTRATS AYANT POUR

    ORIGINE LES MARCHS FINANCIERS

    Chapitre I - Les contrats oprant un transfert temporaire de proprit sur les actions

    Section I - Les contrats nomms

    Section II - Un contrat innomm : le portage

    Chapitre II - Le cas particulier du nantissement de comptes-titres

    Section I - La nature et les conditions dapplication du nantissement de comptes-titres

    Section II - Les effets du nantissement de comptes-titres

    TITRE II - PLAIDOYER POUR LA RFORME DE LA FIDUCIE

    Chapitre I - Prsentation de la fiducie

    Section I - La fiducie en droit compar

    Section II - La fiducie en droit positif

    Chapitre II - Les applications possibles de la fiducie

    Section I - Les fiducies innommes

    Section II - Les applications politiques et financires de la fiducie sur des actions

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    INTRODUCTION

    1- Analyser les contrats civils appliqus aux actions ncessite pralablement de dfinir les

    contours des principaux concepts, contrats civils et actions , qui structurent le sujet de

    ltude. Cette dfinition ne sera dailleurs pas exhaustive car elle se limitera au choix des

    contrats les plus pertinents et aux actions ordinaires de socits anonymes, ce qui sera sans

    incidence sur la porte de ltude puisque les rgles appliques ces contrats et ces actions

    seront largement transposables dautres types de contrats et de titres.

    2- Sagissant des contrats civils, il convient pralablement de rappeler que la qualification

    civile ou commerciale dun contrat sera le plus souvent fonction des parties qui contractent ou

    des intrts quelles dfendent : Tout contrat peut tre civil, commercial ou mixte. Tout

    dpend des personnes qui contractent et du dessein quelles poursuivent. Ainsi, un contrat

    sera commercial quand il est pass par un commerant pour les besoins de son commerce. il

    a alors un caractre commercial, du moins vis--vis de la partie qui agit de cette faon. Ce

    caractre peut tre partag par les deux co-contractants et la convention est ainsi entirement

    commerciale. Sil est unilatral, le contrat est mixte. Le seul moyen de distinguer les contrats

    commerciaux des contrats civils tient donc la qualit des parties 1.

    3- Nanmoins, certains contrats sont par nature civils ou commerciaux :

    - Civils par nature les contrats conclus titre gratuit tels que la donation. Lesprit de

    lucre tant totalement exclu de ce type de convention, le droit commercial naura

    jamais vocation simmiscer dans cette matire.

    - Commerciaux par nature les contrats propres une entreprise commerciale tels que les

    contrats de franchise, de concession, de courtage, de commission ou encore la vente

    dun fonds de commerce ou de parts ou actions dune socit commerciale si celles-ci

    constituent un bloc de contrle2.

    1 COLLART-DUTILLEUL (F.) et DELEBECQUE (Ph.), Contrats civils et commerciaux, Prcis Dalloz, 5me d., 2001, n 19, p. 21. 2 Cf. larticle L. 721-3 du Code de commerce. Cass. com., 28 dcembre 1978. Cf. BOUSQUET (J.-C.), D., 1980, p. 316.

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    4- Quoi quil en soit, si la qualification commerciale est retenue, cela entranera lapplication

    des rgles spcifiques aux contrats commerciaux qui sont tantt moins rigoureuses (preuve,

    comptence), tantt plus svres (solidarit) que les normes civiles 3.

    5- Cest pourquoi la qualification de contrats civils ne doit pas tre comprise dans un sens

    restrictif puisquen plus des rgles du droit commun des contrats, issues des articles 1101 et

    suivants du Code civil, les rgles propres chaque contrat spcial seront galement tudies.

    Or, ces dernires sont souvent de nature commerciale.

    En outre, les contrats voqus ne seront pas obligatoirement issus du seul Code civil.

    Beaucoup dentre eux sont rglements par le Code montaire et financier. De fait, les

    contrats civils ou dinspiration civiliste4 appliqus aux actions ont les origines les plus

    diverses :

    - Ils sont issus du droit des contrats - prt de consommation, vente rmr, mandat,

    convention de vote, usufruit, indivision - ou du droit des socits comme cest le cas

    par exemple de la socit holding dont la pratique relve tout autant du droit des

    contrats que du droit des socits5.

    - Ils sont indiffremment innomms - convention de vote, portage - ou nomms,

    principalement dans le Code civil - prt de consommation, vente rmr, usufruit,

    mandat - mais aussi dans le Code montaire et financier - prt de titres financiers,

    pension, nantissement de comptes-titres, garantie des obligations financires.

    - Ils transfrent gnralement la proprit - prt de consommation, vente rmr, prt

    de titres financiers, pension - ou un dmembrement de proprit - usufruit - mais ce ne

    sera pas toujours le cas - nantissement de meubles incorporels, nantissement de

    comptes-titres.

    - Ils ralisent le plus souvent un transfert temporaire des actions mais ce transfert peut

    aussi tre dfinitif, notamment lorsque la finalit poursuivie est de transmettre

    lentreprise - donation avec rserve dusufruit, donation de parts ou actions dune

    socit holding.

    3 COLLART-DUTILLEUL (F.) et DELEBECQUE (Ph.), Contrats civils et commerciaux, Prcis Dalloz, 5me d., 2001, n 19, p. 21. 4 Infra, n 15. 5 En outre, une socit est un contrat. Cf. CHAMPAUD (C.), Le contrat de socit existe-t-il encore ?, Le droit contemporain des contrats, Economica, 1987, p. 125.

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    Enfin, il est important de prciser que certaines techniques telles que lusufruit ou lindivision

    ne seront abordes que sous leur forme contractuelle : les usufruits ou les indivisions issus de

    la loi nintresseront pas une tude focalise sur le contrat. Les indivisions et les usufruits

    issus des successions ou des liquidations de rgimes matrimoniaux sont subis par les sujets de

    droit et ne font pas partie du champ contractuel.

    6- Sagissant des actions, si ltude se limite, pour des raisons de clart, aux actions ordinaires

    mises par des socits anonymes, le rgime de ces actions ordinaires est souvent identique

    celui des autres titres ngociables. Cela est particulirement vrai lorsque les actions servent

    garantir un crdit. Cest pour cette raison que ltude slargit considrablement lorsque la

    thmatique aborde est financire. L encore, ce qui est vrai pour les actions ordinaires est

    vrai pour les actions de prfrence mais aussi pour lensemble des titres ds lors quils sont

    ngociables6. Cela peut se justifier par trois arguments :

    7- En premier lieu, laction se dfinit comme une part dassoci dans les socits dites de

    capitaux, socits anonymes ou en commandite par actions, qui est caractrise par sa libre

    cessibilit de principe et se prsente comme une fraction du capital social servant dunit aux

    droits et obligations des associs 7. Cest prcisment leur libre cessibilit de principe qui

    permettra aux actions de faire lobjet de nombreux contrats civils : laction se distingue ainsi

    de la part sociale mise par une socit de personnes o chaque associ est rput navoir

    consenti quen considration de la personne de ses coassocis (intuitu personae) et qui exige

    leur collaboration personnelle la poursuite du but social, do il rsulte que la part

    sociale de chacun deux [] nest transmissible quen vertu dune clause expresse et avec le

    consentement des coassocis 8. En dautres termes, laction, parce quelle est librement

    cessible ou ngociable, est plus facilement lobjet de transactions que les parts sociales. Cela

    est dautant plus vrai lorsque les socits mettrices sont cotes sur un march rglement9. Il

    rsulte de cette libre cessibilit10 ou ngociabilit11 que les transferts temporaires dactions,

    6 Sont donc exclues les actions qui reprsentent des apports en industrie, mises par les socits par actions simplifie, puisque celles-ci, en vertu de larticle L. 227-1 du Code de commerce, sont inalinables. 7 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Ass. H. Capitant, P.U.F., 6me d. mise jour Quadrige , 2004. 8 Idem. 9 Il y a [] deux faits trs prcis qui permettent de reconnatre la grande socit : le premier est la souscription publique dactions ou dobligations, le second est la cotation des titres la Bourse : RIPERT (G.), Aspects juridiques du capitalisme moderne, L.G.D.J., 2me d., 1951, n 48, p. 114. 10 Synonyme dalinabilit ; surtout employ lorsquil sagit dun bien incorporel. Ex. cessibilit dun bail, dun fonds de commerce : CORNU (G.), idem. 11 Qualit attache certains titres reprsentatifs dun droit ou dune crance, qui en permet une transmission plus rapide et plus efficace que les procds du droit civil []. Ex. lendossement de titres ordre, le transfert

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    que ce soit dans le but de poursuivre une finalit politique ou financire, seront beaucoup plus

    simples et pour cette raison beaucoup plus frquents que les transferts temporaires de parts

    sociales.

    8- En second lieu, le rgime des actions mises par les socits en commandite par actions12

    suit celui des actions mises par les socits anonymes : le rgime des secondes simposant

    aux premires, il ny a pas lieu de prvoir une tude spcifique pour les actions issues des

    socits en commandite par actions. La solution sera identique sagissant de la socit par

    actions simplifie dont le rgime des actions sinspire galement de celui des socits

    anonymes13. Mme si les SAS tendent devenir plus nombreuses que les SA, ces dernires

    demeurent le modle de rfrence.

    9- En troisime lieu, bien que ltude voque les actions ordinaires qui doivent dsormais

    tre distingues des actions de prfrence14 institues par lordonnance du 24 juin 200415 le

    transfert temporaire ou dfinitif des actions de prfrence obit sensiblement aux mmes

    principes. Notons que ces dernires ont vocation se substituer aux anciennes actions

    assorties de droit de priorit que sont les actions dividende prioritaire sans droit de vote,

    les actions de priorit et les certificats dinvestissement. Le choix en sortira simplifi,

    prsent ds lors en une seule alternative pour les socits par actions : mettre des actions

    ordinaires et/ou des actions de prfrence 16. La cration des actions de prfrence a

    permis de libraliser le financement des entreprises prives, de donner plus dimportance aux

    statuts et de permettre la rintroduction dune certaine forme dintuitu personae dans les

    socits anonymes qui souhaitent sduire certains types dactionnariat en leur accordant des

    droits adapts par catgorie dactions.

    des titres nominatifs, la tradition des titres au porteur (ou leur virement sils sont dposs en compte courant) : CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Ass. H. Capitant, P.U.F., 6me d. mise jour Quadrige , 2004. 12 Cf. alina second de larticle L. 226-1 du Code de commerce. 13 Cf. alina troisime de larticle L. 227-1 du Code de commerce. 14 MAGNIER (V.), Les actions de prfrence : qui profite la prfrence ?, D., 2004, p. 2559 ; VIANDIER (A), Les actions de prfrence, J.C.P. d. E., 2004, 1440, p. 1528 ; Rapport ME.D.E.F., Les actions de prfrence : propositions du MEDEF pour une modernisation du droit des valeurs mobilires, mai 2001. 15 Ordonnance n 2004-604 du 24 juin 2004 : Rforme du rgime des valeurs mobilires mises par les socits commerciales et extensions loutre-mer de dispositions ayant modifi la lgislation commerciale. J.O.R.F. du 26 juin 2004, p. 11612. 16 MAGNIER (V.), idem.

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    Il convient cependant de relativiser lide selon laquelle cette rforme aurait permis de

    simplifier le droit en permettant plus de dissociation entre le capital et le pouvoir17 :

    - Si les possibilits offertes aux socits par actions pour composer des actions de

    prfrence sont quasiment infinies, les entreprises sinspirent souvent des anciennes

    actions de priorit, des actions dividende prioritaire sans droit de vote et des

    certificats dinvestissement, en pratiquant des hybridations18.

    - De plus, cette dissociation entre le capital et le pouvoir est limite par le lgislateur de

    faon ce que les titulaires des droits politiques ne soient pas totalement trangers aux

    titulaires des droits financiers : cette libert majeure est toutefois encadre pour

    viter une trop grande dissociation entre le pouvoir et le capital et donc pour assurer

    la reprsentativit en termes de capital des actionnaires dots du droit de vote. Ainsi,

    selon lalina 3 de larticle L. 228-11, Les actions de prfrence sans droit de vote ne

    peuvent reprsenter plus de la moiti du capital social, et dans les socits dont les

    actions sont admises aux ngociations sur un march rglement, plus du quart du

    capital social 19.

    En outre, la toute nouvelle libert des socits dans le domaine de la cration dactions de

    prfrence trouve sa limite dans lattractivit que doivent exercer ces nouveaux titres vis--vis

    des futurs investisseurs : Lincitation mettre des actions droit particulier sort

    renforce de cette rforme quand lincitation souscrire des actions de prfrence reste,

    quant elle, mesure 20. Il nen demeure pas moins que ltude suivante aura pour thme

    laction comme objet de contrats et non la contractualisation des actions21. Cest pourquoi,

    de rares exceptions prs, seules les actions ordinaires seront analyses dans les quelques pages

    qui vont suivre, mme sil faut rpter que les rgles du transfert temporaire ou dfinitif des

    actions ordinaires peuvent tre tendues aux actions de prfrence.

    10- Une fois prciss et dlimits les concepts de contrats civils et dactions ordinaires

    mises par des socits anonymes, il convient de prsenter les principales finalits de ces

    17 VIANDIER (A), Les actions de prfrence, J.C.P. d. E., 2004, 1440, p. 1528. 18 Idem. 19 VIANDIER (A), op. cit., p. 1531. 20 MAGNIER (V.), Les actions de prfrence : qui profite la prfrence ?, D., 2004, p. 2559. 21 Ce sujet mriterait lui seul de faire lobjet dune thse depuis que lordonnance du 24 juin 2004 libralise lmission de titres des socits par actions.

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    diffrents contrats. Celles-ci prennent source dans les diffrents droits politiques et financiers

    inhrents aux actions, ce que lon appelle les droits propres de lactionnaire22.

    En consquence, les contrats civils appliqus aux actions auront pour but de transfrer, le plus

    souvent provisoirement23, un ou plusieurs de ces droits celle des parties qui en a besoin. Il

    convient par ailleurs de distinguer les finalits politiques des finalits financires :

    11- Sagissant des finalits politiques, deux prrogatives attaches aux actions font

    frquemment lobjet de contrats :

    - Dune part, lobligation dtre propritaire dun nombre dactions dtermin par les

    statuts afin de devenir administrateur24 ou membre du conseil de surveillance25 selon

    la forme prise par la socit anonyme. ce titre, il convient de remarquer que larticle

    57 de la loi du 4 aot 200826 rend facultative cette obligation qui dsormais est

    exclusivement statutaire et non plus lgale. En outre, le texte porte galement le dlai

    de rgularisation de trois six mois ;

    - Dautre part, le droit de vote au sein des assembles gnrales.

    Lexistence de ces deux droits politiques attachs aux actions sera lorigine de multiples

    conventions27. En effet, se contenter dacheter des actions pour devenir un des dirigeants de la

    socit ou, dans lhypothse du droit de vote, pour accrotre son contrle sur celle-ci, ne sera

    pas toujours chose aise : lintress peut ne pas disposer des fonds ncessaires ; les actions

    peuvent ne pas tre disponibles en raison dune absence de cotation sur un march rglement

    ou dune volont des actionnaires de conserver un caractre ferm la socit, etc.

    Cest pour cette raison que les praticiens du droit des affaires utilisent un certain nombre de

    contrats dans le but de transfrer provisoirement la proprit dactions au profit dun futur

    dirigeant. Ils mettent galement en uvre des contrats ayant pour objet de transfrer

    22 DU GARREAU DE LA MECHENIE (J.), Les droits propres de lactionnaire, Thse Poitiers, 1937. 23 Ce caractre provisoire ne se retrouvera pas dans lhypothse de la transmission dentreprise. 24 Cf. article L. 225-25 du Code de commerce. 25 Cf. article L. 225-72 du Code de commerce. 26 Loi n 2008-776 du 4 aot 2008 : Modernisation de lconomie. J.O.R.F. du 5 aot 2008, p. 12471. 27 MONSALLIER (M.-C.), Lamnagement contractuel du fonctionnement de la socit anonyme, Thse, Bibl. dr. priv, Tome 303, prface de VIANDIER (A.), L.G.D.J., 1998 ; PRAT (S.), Les pactes dactionnaires relatifs au transfert de valeurs mobilires, Thse, prface de VIANDIER (A.), Litec, 1992.

  • 15

    directement ou indirectement le droit de vote28. Les problmes surgiront lorsque la validit

    juridique de lune ou lautre de ces oprations sera quivoque.

    12- Sagissant des finalits financires, celles-ci sont essentiellement lies la valeur

    pcuniaire des actions. Le but poursuivi par les parties sera soit de transmettre une entreprise

    en transfrant les actions au repreneur, soit dobtenir du crdit en se servant des actions

    comme garantie.

    - Dans le premier cas, le chef dentreprise aura pour principales difficults de limiter la

    charge fiscale de lopration29, de continuer exercer un contrle sur la socit

    jusqu son dpart en retraite ou son dcs et de dsintresser ceux de ses hritiers qui

    ne seront pas repreneurs de lentreprise.

    - Dans le second cas, les difficults tiendront aux obstacles rigs par le droit des

    srets contre le transfert de proprit dun bien titre de garantie30. Et de nouveau, le

    cot fiscal est contraignant pour les parties, en particulier lorsque celles-ci sont des

    oprateurs sur les marchs financiers qui ralisent des transferts temporaires de titres

    court terme.

    13- Sans entrer immdiatement dans la technique juridique, il convient de prsenter les

    principales conditions que les parties souhaitent runir, quelles que soient les finalits

    poursuivies :

    - La premire sera la scurit juridique de ces contrats, cest--dire en premier lieu

    dassurer leur validit ;

    - La seconde sera la libert contractuelle, ce qui passera principalement par des

    conditions dapplication souples ;

    - Une troisime condition sera de limiter le cot fiscal du transfert dactions qui, sil est

    provisoire, fera lobjet dune double imposition lors de la cession puis de la

    rtrocession.

    28 GERMAIN (M.), Le transfert du droit de vote, Rev. Jurisp. Com., 1990, p. 135. 29 La cession des actions donne lieu des droits de mutation. Cf. article 787 B du Code Gnral des Impts. 30 Linterdiction des pactes commissoires et des contrats pignoratifs na que partiellement t leve par lordonnance n 2006-346 du 23 mars 2006 : Rforme du droit des srets. J.O.R.F. du 24 mars 2006, p. 4475. Une rforme incomplte insusceptible dassurer la scurit juridique des transferts de proprit dactions titre de garantie.

  • 16

    14- La rigidit du droit des contrats et du droit des socits ainsi que la distorsion entre le

    rgime des contrats civils et la nature singulire des actions sont les principales sources des

    difficults rencontres lorsque les actions constituent lobjet dun transfert temporaire.

    Le droit des contrats et le droit des socits sont parfois inadapts ces biens relativement

    nouveaux que sont les actions : au demeurant, les juristes savent que le rgime juridique

    sous lequel nous vivons a bientt un sicle et demi dexistence et que, sil y a dans notre droit

    actuel beaucoup de choses nouvelles, lessentiel demeure de ce qui fut cr ce moment-

    l 31. Or, le droit des contrats et le droit des socits ont t conus une poque o les biens

    corporels, meubles ou immeubles, constituaient lessentiel des capitaux. Certes, il existait des

    droits de crance et des parts et actions de socits mais leur dveloppement tant quantitatif

    que qualitatif tait embryonnaire.

    Il en rsulte une certaine distorsion entre des contrats dont le rgime fut lorigine labor

    pour des biens corporels et qui sont aujourdhui couramment appliqus des actions, biens

    incorporels. Dans le mme sens, certains de ces contrats, tels que la vente rmr ou

    lusufruit, taient principalement ddis des biens immeubles et plus particulirement des

    fonds agricoles32. Des difficults surgissent lorsque les contrats en question portent sur ces

    biens de toute autre nature que sont les actions.

    En outre, le droit des socits a volu, suite la loi de 196633, vers plus de dirigisme. Ce

    dirigisme a engendr un droit qualifi juste titre dimpratif, qui se justifiait lorigine par

    une intervention rgulire des pouvoirs publics dans lconomie. Il y a peu, la banque,

    lassurance, lautomobile, les communications, lnergie, la sidrurgie, la mtallurgie,

    larmement et laronautique taient des secteurs stratgiques troitement contrls par ltat.

    Ceci est encore vrai notamment pour lnergie et larmement. La banque, lassurance,

    lautomobile, les communications, la sidrurgie, la mtallurgie et laronautique ont presque

    entirement t privatises et leurs rglementations ont t libralises, ne serait-ce que pour

    se mettre en conformit avec le droit europen.

    31 RIPERT (G.), Aspects juridiques du capitalisme moderne, L.G.D.J., 2me d., 1951, n 1, p. 11. 32 MEDUS (J.-L.), Rmr sur droits sociaux et restructurations dentreprises, Bull. Joly, 1996, 162, p. 459. 33 Loi n66-537 du 24 juillet 1966 : Socits commerciales. J.O.R.F. du 26 juillet 1966, p. 6402.

  • 17

    Suite une plus grande intgration de la France dans une conomie europenne et

    mondialise, lintervention des pouvoirs publics est perue comme une distorsion de

    concurrence. Il en rsulte que les tats ou les groupements dtats (Union Europenne)

    recourent de moins en moins aux interventions directes telles que les subventions, quotas ou

    droits de douanes34. En revanche, ils recourent abondamment aux interventions indirectes

    telles que le financement dinfrastructures35 ou la mise en uvre dune politique fiscale et

    juridique attractive. Cest ce dernier point qui intressera cette tude car il semble que le droit

    franais noffre pas une souplesse et une scurit suffisante dans le domaine des contrats

    appliqus aux actions. Cette rigidit du droit franais est dommageable car les entreprises

    pratiquent le law shopping36, cest--dire quelles prennent en compte, parmi de nombreux

    autres paramtres, la rigidit ou la souplesse du droit avant dinvestir ou de raliser une

    opration financire dans un pays donn. En dautres termes, le droit est devenu un enjeu de

    comptition conomique entre les tats.

    15- Cette comptition est lorigine de la cration de nouveaux contrats que lon qualifiera,

    pour des raisons de commodit, de contrats dinspiration civiliste. Ceux-ci se dfinissent par

    la runion des trois caractristiques suivantes :

    - Ils recourent des montages connus du droit des contrats et notamment des contrats

    nomms du Code civil ;

    - Ils empruntent, en consquence, une partie de leur rgime juridique ces contrats ;

    - Ils permettent de poursuivre les mmes finalits.

    Les contrats dinspiration civiliste, puisque ncessit fait loi, sont principalement apparus sur

    les marchs financiers o lon excute frquemment des transferts temporaires dactions

    titre de gestion ou de garantie37. Ce sont dabord les banquiers et les oprateurs sur les

    34 Cest principalement vrai de lUnion Europenne, hormis dans le domaine agricole. Les autres grands acteurs de lconomie mondiale tels que les Etats-Unis, la Chine, lInde ou le Japon recourent encore ces interventions directes afin de dvelopper certaines activits ou en protger dautres. Nanmoins, lUnion Europenne nest pas dmunie contre ces distorsions de concurrence. Elle pourrait, si elle le souhaitait, utiliser les procdures prvues par lOrganisation Mondiale du Commerce afin dobtenir des sanctions contre les tats fautifs ou des compensations financires. 35 Lattractivit dun territoire sur les entreprises peut tre accrue par des investissements portant sur les voies de communication, la mise disposition dnergie ou de matires premires un tarif avantageux, la prsence dautres entreprises ayant des activits complmentaires, etc. 36 DUFOUR (O.), Gare au law shopping , Les Petites Affiches, 19 novembre 2003, n 231, p. 3 ; RODRIGUEZ (K.), Lattractivit, nouvelle perspective du droit national des socits, Bull. Joly, 2004, 63, p. 330. 37 De nombreux instruments financiers sont concerns par ces transferts titre de garantie. Nanmoins, les actions ainsi que les obligations sont de loin les titres les plus utiliss.

  • 18

    marchs financiers qui commencrent crer ces nouveaux contrats, comme en tmoignent la

    pension38 et le portage39. Ces contrats illustrent parfaitement la ralit de la lex mercatoria40.

    Cette cration normative par un milieu professionnel se rencontre frquemment dans le

    domaine bancaire et financier : mme dans les pays de codification il existe un monde de

    solutions qui naissent spontanment en dehors de laction lgislative mme si la positivit

    des rgles ainsi formes ne pourra tre affirme quaprs lintervention, sous quelque forme

    quelle se produise, dune autorit qui ce jour nest dtenue que par ltat 41. En outre, les

    normes professionnelles vises, en raison de leur caractre extra-tatique , doivent

    rpondre des exigences : la condition dtre suffisamment prcises, effectives et

    communment admises dans leur milieu dapplication, il nest pas exclu dans le principe et

    sous rserve de vrification de leurs caractres que certaines normes issues spontanment

    dun milieu professionnel pour les besoins du commerce international soient considres

    comme de vritables rgles de droit 42.

    Les praticiens furent bientt relays par le lgislateur qui labora dautres contrats en mme

    temps quil rglementait la pension, prcdemment voque. On peut citer, titre dexemple :

    le prt de titres financiers43, le nantissement de comptes-titres44 ou encore la garantie des

    obligations financires45.

    16- Cette multiplication des contrats dinspiration civiliste, selon la dfinition retenue dans

    cette tude, trouve sa source dans la carence de scurit juridique quoffrent les contrats civils

    prcdemment appliqus aux actions de socits anonymes, savoir principalement le prt de

    droit commun, la vente rmr ou encore le nantissement de meubles corporels ou

    incorporels.

    38 Infra, n 680 et s. Cf. NORMAND (J.), Les oprations bancaires de pension, R.T.D. Com., 1966, n 2, p. 794. La pension fut ensuite rglemente par le lgislateur. 39 Infra, n 721 et s. Cf. ARMAND (F.), Le portage de titres in Financement des entreprises et droit des obligations, P.U.A.M., 1993, p. 55. 40 Expression reprise de lhistoire du droit du Moyen ge pour dsigner le droit labor par les milieux professionnels du commerce international ou spontanment suivi par ces milieux indpendamment de tout Droit tatique [] : CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Ass. H. Capitant, P.U.F., 6me d. mise jour Quadrige , 2004. 41 BATTIFOL (M.), Problmes de base de philosophie du droit, L.G.D.J., 1979, p. 74 et 81. 42 OPPETIT (B.), La notion de source du droit et le droit du commerce international, Archives de philosophie du droit, Tome XXVII, Sources du droit, Sirey, 1982, p. 50. 43 Infra, n 603 et s. 44 Infra, n 818 et s. 45 Infra, n 649 et s.

  • 19

    Ces derniers se heurtaient principalement linterdiction des pactes commissoires et des

    contrats pignoratifs. La rcente rforme visant lever la prohibition des pactes

    commissoires46 nest pas de nature les rendre plus attractifs. En effet, si lordonnance du 23

    mars 2006, par le biais des articles 2348 du Code civil et L. 521-3 du Code de commerce,

    autorise la conclusion de pactes commissoires, le mme texte interdit la conclusion et la

    ralisation de ces pactes en cas douverture dune procdure collective47 ou de crdit la

    consommation48. Il en rsulte que lautorisation des pactes commissoires a une porte limite,

    insuffisante en tout cas pour que les cranciers aient de nouveau confiance dans les contrats

    translatifs de proprit tels quils sont rglements par le Code civil.

    Quant au contrat de gage prvu par le Code civil, rebaptis nantissement de meubles corporels

    ou incorporels par lordonnance du 23 mars 2006, il est totalement inadapt aux actions :

    - Obligation, dfaut de dpossession du dbiteur49, de faire publier le nantissement sur

    un registre spcial afin de le rendre opposable aux tiers50 ;

    - Impossibilit pour le dbiteur dpossd de continuer grer le portefeuille

    dactions ;

    - Mode de ralisation dissuasif pour le crancier puisque la toute nouvelle lgalisation

    du pacte commissoire51 ne vaut pas en cas de faillite du dbiteur ou de crdit la

    consommation ;

    - Caractre indivisible du nantissement52.

    Au contraire, les contrats dinspiration civiliste, quils transfrent la proprit des actions

    titre de garantie53 ou quils sinspirent du gage54, offrent aux cranciers une plus grande

    scurit juridique, sauf rserver le cas du portage qui, parce quil est innomm fait lobjet de

    doutes quant sa validit.

    46 Ordonnance n 2006-346 du 23 mars 2006 : Rforme du droit des srets. J.O.R.F. du 24 mars 2006, p. 4475. Cette rforme sinspire du rapport du groupe de travail prsid par le professeur Grimaldi, remis au garde des Sceaux le 31 mars 2005. 47 Cf. article L. 622-7 du Code de commerce. 48 Cf. article L. 311-32 du Code de la consommation. 49 Celle-ci nest plus obligatoire. Cf. article 2340 du Code civil. 50 Cf. alinas premiers de larticle 2337 et 2338 du Code civil. 51 Cf. article 2348 du Code civil. 52 Cf. article 2349 du Code civil. 53 Cas du prt de titres financiers, de la pension, du portage ou de la garantie des obligations financires. 54 Cas du nantissement de comptes-titres.

  • 20

    17- Mais ces nouveaux contrats , sils renforcent considrablement la scurit juridique des

    montages portant sur des actions, prsentent galement des faiblesses relatives leurs

    conditions dapplication et leurs rglementations. Cest ainsi que le prt de titres

    financiers55, la garantie des obligations financires56 ainsi que la pension57 sont soumis des

    conditions strictes relatives aux parties et aux titres prts. Il en est de mme pour le

    nantissement de comptes-titres58 sagissant des titres ligibles mais aussi de la rglementation

    minutieuse des effets du nantissement, que ce soit lors de sa constitution, de son excution ou

    de sa ralisation. Quant au portage, il a les dfauts de ses qualits : ntant pas un contrat

    nomm, il nest soumis aucune condition dapplication mais sa validit sen trouve

    fragilise59.

    Hormis le cas particulier du portage, les nouveaux contrats, dinspiration civiliste, seront

    nanmoins plus scurisants pour les parties. Mais on ne saurait se satisfaire de contrats dont

    les conditions dapplication sont si troitement dlimites par le lgislateur. Un mauvais

    compromis a t pass : on a chang la libert contre la scurit alors que les parties un

    contrat portant sur des actions ont besoin de lune et de lautre, en particulier lorsque ces

    parties sont des oprateurs sur les marchs financiers.

    18- En outre, lensemble de ces contrats, except le nantissement de comptes-titres, repose sur

    une mme technique : transfrer provisoirement la proprit, droit de jouir et de disposer des

    choses de la manire la plus absolue60, principalement titre de garantie mais aussi des fins

    de gestion ou de libralit. Or, cette technique correspond au contrat de fiducie, dj connu du

    droit romain et de nombreux droits trangers61, sous la dnomination de fiducie dans les

    systmes romano-germaniques ou de trust dans les systmes de common law.

    La fiducie est un acte juridique (contrat ou dans certains cas legs) par lequel une personne,

    nomme fiduciant, transfre la proprit dun bien corporel ou incorporel une autre

    55 Infra, n 609 et s. 56 Infra, n 653 et s. 57 Infra, n 689 et s. 58 Infra, n 826 et s. 59 Infra, n 789 et s. 60 Cf. article 544 du Code civil. V. ZENATI (F.), Pour une rnovation de la thorie de la proprit, R.T.D. Civ., 1993, p. 305. 61 Infra, n 885 et s. V. galement LUCAS (F.-X.), Les transferts temporaires de valeurs mobilires. Pour une fiducie de valeurs mobilires, Thse, Bibl. dr. priv, Tome 283, prface de LORVELLEC (L.), L.G.D.J., 1997, n 540 et s., p. 274 et s.

  • 21

    personne, nomme fiduciaire, soit titre de garantie dune crance (fiducie fins de sret)

    sous lobligation de rtrocder le bien au constituant de la sret lorsque celle-ci na plus

    lieu de jouer [], soit en vue de raliser une libralit (fiducie fins de libralit) sous

    lobligation de retransfrer le bien un tiers bnficiaire aprs lavoir gr dans lintrt de

    celui-ci ou dune autre personne pendant un certain temps, soit afin de grer le bien dans

    lintrt du fiduciant sous lobligation de le rtrocder ce dernier, une certaine date

    (fiducie fins de gestion) 62.

    Cette fiducie tardant tre reconnue en droit franais, les contrats oprant un transfert

    temporaire de proprit, qualifis juste titre de fiducies innommes 63, se sont multiplis :

    le lgislateur ne donne aux activits nouvelles que des formes juridiques anciennes 64.

    Cest ainsi que de nombreux contrats, ayant chacun son propre rgime juridique, sont utiliss

    dans le mme but, savoir transfrer provisoirement la proprit.

    Applique aux actions et aux autres instruments financiers, la drive lgislative peut tre

    rsume de la faon suivante :

    - Ds lors que des sujets de droit ont besoin de transfrer temporairement des actions

    pour poursuivre une finalit politique ou financire65, ils ont dabord utilis un contrat

    civil, gnralement le prt de consommation ou la vente rmr, ce qui a rapidement

    soulev des problmes de scurit juridique66.

    - Le lgislateur est alors intervenu en crant un nouveau contrat, dinspiration civiliste,

    spcialement conu pour poursuivre une finalit particulire et dont les conditions

    dapplication sont suffisamment restrictives pour quil ne puisse tre utilis dautres

    fins, par crainte de la fraude fiscale.

    - Par la suite, ce mme contrat sera rgulirement retouch pour que son rgime

    juridique soit constamment adapt aux besoins des praticiens, savoir principalement

    les oprateurs sur les marchs financiers.

    62 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Ass. H. Capitant, P.U.F., 6me d. mise jour Quadrige , 2004. 63 AYNS (L.) et CROCQ (P.), Les srets - la publicit foncire, Defrnois, 2me d., 2006, p. 334 ; GRIMALDI (M.), La fiducie : rflexions sur linstitution et sur lavant-projet de loi qui la consacre, Defrnois, art. 35085, 15 septembre 1991, p. 900 ; WITZ (C.), La fiducie en droit priv franais, Thse, prface de SCHMIDT (D.), Economica, 1981. 64 RIPERT (G.), Aspects juridiques du capitalisme moderne, L.G.D.J., 2me d., 1951, n 4, p. 16. 65 Supra, n 10 et s. 66 Ces problmes de scurit juridique donnent lieu une abondante doctrine.

  • 22

    Le mcanisme ainsi dcrit, il convient de constater quil aboutit une inflation lgislative,

    source dinstabilit et de complexit croissante de notre droit des affaires : Certaines de ces

    techniques remontent lorigine mme du Code civil (rmr), dautres de la fin du 19me

    sicle (report), mais la plupart sont apparues la fin du 20me sicle, dabord en matire

    bancaire (cession Dailly), puis en matire boursire (prt de titres, pension livre, remise en

    pleine proprit titre de garantie) 67.

    En ralit, le lgislateur entend rglementer minutieusement des matires dont il na plus

    aucune comprhension. Cest pourquoi les propos du doyen Ripert sur les rformes

    lgislatives sont toujours cruellement dactualit : nous devons rappeler svrement que les

    moyens de rglementer lactivit des hommes sont limits, que les obligations et les sanctions

    ne sont pas faciles imposer, quil y a des lois inapplicables et beaucoup dinappliques, que

    les institutions cres par la volont du pouvoir souverain peuvent tre dformes ou

    supprimes par la pratique 68.

    19- Pour les raisons qui viennent dtre voques, il est apparu ncessaire de mettre fin la

    multiplication des fiducies innommes en introduisant le contrat de fiducie dans le Code

    civil69.

    La proposition de loi du snateur Marini70 allait dans ce sens et permit daboutir au vote de la

    loi du 19 fvrier 200771 introduisant la fiducie en droit franais, retouche par larticle 18 de

    la loi du 4 aot 200872, par lordonnance du 30 janvier 200973 et par loi n 2009-526 du 12

    mai 200974. Comme le remarque un auteur, Force est de reconnatre que le texte en

    67 VAUPLANE (H. de), La fiducie avant la fiducie : le cas du droit bancaire et financier, J.C.P. d. E., 6 septembre 2007, n 36, 2051, p. 8. 68 RIPERT (G.), Aspects juridiques du capitalisme moderne, L.G.D.J., 2me d., 1951, p. 2. 69 Contra : OPPETIT (B.), Droit et modernit, P.U.F., 1998, p. 113 et s. Pour cet auteur, la fiducie participe dune tendance rgressive du droit . Il est vrai que le transfert temporaire de la proprit, titre de sret ou de gestion, prive le fiduciant de lusage du bien, ce que le lgislateur svertuait combattre jusqualors. 70 MARINI (Ph), Proposition de loi Instituant la fiducie, fvrier 2005, Snat, proposition de loi n 178, p. 1 et s. 71 Loi n 2007-211 du 19 fvrier 2007 : Loi instituant la fiducie. J.O.R.F. du 21 fvrier 2007, p. 3052. 72 Loi n 2008-776 du 4 aot 2008 : Modernisation de lconomie. J.O.R.F. du 5 aot 2008, p. 12471. 73 Ordonnance n 2009-112 du 30 janvier 2009 : Ordonnance portant diverses mesures relatives la fiducie. J.O.R.F. du 31 janvier 2009, p. 1854. 74 Loi n 2009-526 du 12 mai 2009 : Loi de simplification et de clarification du droit et dallgement des procdures. J.O.R.F. du 13 mai 2009, p. 7920. En plus de ratifier lordonnance du 30 janvier 2009, cette loi apporte quelques menues modifications au rgime de la fiducie. V. RAYNOUARD (A.), Ultimes modifications de la fiducie par la loi n 2009-526 du 12 mai 2009, J.C.P. d. N., 12 juin 2009, p. 3.

  • 23

    dfinitive adopt est loin de la proposition originelle 75. Mais la proposition du snateur

    Marini fixait dj les principaux contours du rgime juridique de la fiducie en droit franais :

    celle-ci repose sur un transfert provisoire de proprit et sapplique tous les types de droits

    (rels ou accessoires).

    20- Est-ce dire que la fiducie telle quelle a t introduite en droit franais va se substituer

    la constellation des fiducies innommes ?

    La question est dautant plus importante que la prolifration de ces fiducies innommes76

    touche lensemble des droits susceptibles dtre transfrs temporairement ou dfinitivement

    et pas seulement les titres financiers tels que les actions. Parmi les fiducies innommes,

    recenses par la doctrine77, on se contentera pour le moment de citer les plus connues dans des

    domaines varis (sret, gestion, libralit) : le crdit-bail78, la cession de crances

    professionnelles de la loi Dailly79, la clause dinalinabilit80, la donation graduelle81, la

    donation rsiduelle82, la fondation83, lassociation84, le Fonds Commun de Placement

    (F.C.P.)85, le Fonds Commun de Titrisation (F.C.T.)86, le quasi-usufruit87, le contrat

    dassurance-vie ou encore le portage, prcdemment voqu.

    Dans le mme sens, il convient de rappeler que les contrats appliqus aux actions, quils

    soient civils ou dinspiration civiliste, reposent galement sur la technique fiduciaire. La seule

    exception tant le nantissement de comptes-titres.

    75 BARRIRE (F.), La loi instituant la fiducie : entre quilibre et incohrence, J.C.P. d. E., 6 septembre 2007, n 36, 2053, p. 13. Dans le mme sens, LARROUMET C., La loi du 19 fvrier 2007 sur la fiducie. Propos critiques, D., 2007, p. 1353. 76 Infra, n 1066 et s. 77 CNAC (P.) et CASTRAN (B.), La fiducie avant la fiducie. Le cas du droit patrimonial de la famille, J.C.P. d. N., 26 juin 2009, p. 11 ; GOBIN (A.), Fiducies sans la fiducie, J.C.P. d. N., 1994, p. 315 ; GRIMALDI (M.), La fiducie : rflexions sur linstitution et sur lavant-projet de loi qui la consacre, Defrnois, art. 35085, 15 septembre 1991, p. 900 et s ; VAUPLANE (H. de), La fiducie avant la fiducie : le cas du droit bancaire et financier, J.C.P. d. E., 6 septembre 2007, n 36, 2051, p. 8 ; WITZ (C.), La fiducie en droit priv franais, Thse, prface de SCHMIDT (D.), Economica, 1981. 78 Cf. articles L. 313-7 et s. du Code montaire et financier. 79 Cf. articles L. 313-23 et s. du Code montaire et financier. 80 Cf. article 900-1 du Code civil. 81 Cf. articles 1048 et s. du Code civil. 82 Cf. articles 1057 et s. du Code civil. 83 Cf. article 910 du Code civil. V. galement la loi n 97-571 du 23 juillet 1987 : Loi sur le dveloppement du mcnat. J.O.R.F. du 24 juillet 1987, p. 8255. 84 Idem. 85 Cf. articles L. 214-20 et s. du Code montaire et financier. 86 Cf. articles L. 214-49-4 et s. du Code montaire et financier. 87 Cf. article 587 du Code civil.

  • 24

    La reconnaissance du contrat de fiducie devait permettre une simplification de lensemble du

    droit des contrats spciaux, en ce compris le droit montaire et financier qui nous intresse

    plus particulirement. Mais le lgislateur, une fois de plus, avait immdiatement enserr ce

    contrat dans des conditions dapplication restrictives, en limitant notamment laccs la

    qualit de constituant.

    ce titre, un auteur remarquait que Ces dispositions, apparemment de droit commun, ne

    peuvent pas profiter aux destinataires naturels du Code civil, mais sont rserves une

    catgorie de personnes morales, dfinies de surcrot par un critre fiscal 88. Depuis lors,

    larticle 18 de la loi du 4 aot 2008 permet aux personnes physiques de devenir constituants

    mais les restrictions pesant sur les fiduciaires nont pas t leves, sauf rappeler que les

    avocats peuvent dsormais accder cette qualit. Il nen demeure pas moins que la fiducie,

    telle quelle est rglemente en droit positif, trouverait plus naturellement sa place dans le

    Code montaire et financier que dans le Code civil.

    Cette impression est encore renforce par linterdiction dutiliser ce contrat pour procder

    une libralit89, interdiction qui ne saurait nanmoins surprendre alors que la mfiance du

    lgislateur franais vis--vis de la gratuit est rgulirement confirme : Le Code civil, sans

    riger ouvertement largent en valeur centrale et absolue, en fait cependant implicitement la

    valeur de rfrence par la mfiance quil manifeste lgard de la gratuit, suspecte de

    nourrir des mobiles inavouables ou dangereux dans une socit marchande : les libralits

    sont entraves par un lacis de rgles strictes, la prodigalit est sanctionne, la recherche du

    franc symbolique de rparation peu encourage, les groupements but non lucratif inquitent

    et sont surveills 90.

    Cependant, les diffrentes restrictions qui enserrent la fiducie ne seront pas ternelles : Pour

    autant, la loi du 19 fvrier 2007 constitue une avance considrable. La loi nest pas parfaite

    mais elle est perfectible. Noublions pas que la cession Dailly na connu un vritable succs

    88 WITZ (C.), La fiducie franaise face aux expriences trangres et la convention de la Haye relative au trust, D., 2007, p. 1369. 89 Cf. article 2013 du Code civil. 90 OPPETIT (B.), Lambivalence de largent, Archives de philosophie du droit, Tome XLII, Largent et le droit, Sirey, 1998, p. 23 et 24.

  • 25

    quaprs la modification apporte par la loi n 84-46 du 24 janvier 1984 la loi n 81-1 du 2

    janvier 1981 91.

    En dautres termes, lviction des fiducies innommes par le contrat de fiducie nest pas

    encore dactualit mais cela deviendra possible aprs une profonde rforme de la loi du 19

    fvrier 200792. Si la loi du 4 aot 2008, lordonnance du 30 janvier 2009 et la loi du 12 mai

    2009 corrigent partiellement la fiducie, de nombreux ajustements sont encore ncessaires.

    21- En attendant ces ajustements, le cas des contrats appliqus aux actions est emblmatique

    dun problme plus tendu. Trouver une solution aux difficults des transferts temporaires

    dactions permettra de simplifier et damliorer la scurit juridique de lensemble de notre

    droit des contrats spciaux. Une fois la fiducie retouche, celle-ci aura vocation se substituer

    lensemble des fiducies innommes, quels que soient les droits rels ou accessoires

    concerns par ces diffrentes conventions.

    22- Cette ultime rforme de la fiducie que nous appelons de nos vux prsentera deux

    avantages majeurs : la simplification du droit des contrats spciaux et lamlioration de la

    scurit juridique des cessions temporaires de titres.

    23- Sagissant de la simplification du droit des contrats spciaux, celle-ci prendra deux

    formes :

    - Dune part, une simplification quantitative, lie la disparition progressive des

    fiducies innommes qui devraient rapidement tre considres comme des conventions

    surnumraires et obsoltes ;

    - Dautre part, une simplification qualitative, le rgime juridique de la fiducie, une fois

    retouch de manire en faire un vritable contrat de droit commun, se substituera

    aisment aux multiples rglementations propres chaque fiducie innomme,

    rglementations qui souvent rivalisent de rigidit et de complexit.

    91 CERLES (A.), La fiducie, nouvelle reine des srets ?, J.C.P. d. E., 6 septembre 2007, n 36, 2054, p. 23. 92 Quoi de plus naturel, une poque o les interventions du lgislateur sinscrivent de moins en moins dans la dure : WITZ (C.), La fiducie franaise face aux expriences trangres et la convention de la Haye relative au trust, D., 2007, p. 1369. Dans le mme sens, BLANLUET (G.) et LE GALL (J-P.), La fiducie, une uvre inacheve. Un appel une rforme aprs la loi du 19 fvrier 2007, J.C.P. d. N., 2007, I, n 36, p. 17.

  • 26

    24- Sagissant de lamlioration de la scurit juridique, elle rsultera de la possibilit

    dappliquer la fiducie lensemble des droits susceptibles de transfert. De plus, ce contrat,

    rform comme il se doit, permettra de poursuivre toutes les finalits imaginables : gestion,

    sret, libralit. En dautres termes, la fiducie aura une porte gnrale car elle pourra

    sappliquer, au sens de larticle 1108 du Code civil, tout objet certain qui forme la matire

    de lengagement et toute cause licite dans lobligation. En cela, elle sopposera la fiducie

    telle que dfinie par la loi de 2007 et aux fiducies innommes qui sont souvent limites par la

    loi ou la jurisprudence dans leur objet ou dans leur cause, souvent dans les deux.

    25- Ces avantages seront particulirement considrables dans les cas o la fiducie

    sappliquera des actions de socit anonyme.

    En ce qui concerne lobjectif de simplification du droit des contrats spciaux, la fiducie

    dactions, si elle est retouche aux fins den faire un vrai contrat de droit commun, au champ

    dapplication tendu, sera plus quutile : elle permettra une simplification quantitative en se

    substituant aux nombreuses fiducies innommes appliques aux actions en droit positif : le

    prt de consommation, la vente rmr, le prt de titres financiers, la garantie des

    obligations financires, la pension et le portage sont autant de conventions qui seront

    rapidement abandonnes dans le domaine du transfert temporaire dactions. Mieux encore, si

    le prt de consommation et la vente rmr continueront dtre utiliss pour dautres biens et

    dautres finalits, il nen sera pas de mme pour le prt de titres financiers, la garantie des

    obligations financires, la pension et le portage qui devraient compltement disparatre

    puisquils ne peuvent sappliquer qu des titres et dans des buts prcis. Quant la

    simplification qualitative, elle rsultera de lapplication du seul rgime de la fiducie en lieu et

    place des rgimes complexes et propres chacun des contrats qui viennent dtre voqus.

    En ce qui concerne lobjectif damlioration de la scurit juridique, il suffira de rappeler que

    la fiducie dactions, si elle est rforme dans ce sens, deviendra un contrat de droit commun,

    ce qui nest pas rellement le cas aujourdhui en raison des conditions dapplication

    restrictives exiges par la loi, lesquelles relvent souvent du droit montaire et financier et

    non du droit civil. Une fois cette rforme acquise, la fiducie bnficiera dun rgime souple

    dans son champ dapplication comme dans ses effets. En outre, ce contrat sera par nature

    temporaire comme le sont souvent elles-mmes les cessions dactions qui nous intressent. Ce

    caractre temporaire permettra au fiduciant, cest--dire au cdant, de garder un certain

  • 27

    contrle sur les titres bien que leur proprit soit transfre au fiduciaire, cessionnaire des

    actions. Cela permettra galement dassurer une meilleure scurit juridique lopration : les

    contestations seront dautant moins nombreuses que les parties pourront librement amnager

    contractuellement les droits politiques et financiers des actions entre le cdant et le

    cessionnaire.

    26- Pour dissiper les derniers doutes qui pourraient persister, il suffira de constater que de

    nombreux droits trangers utilisent depuis longtemps la fiducie ou son quivalent Anglo-

    Saxon, le trust, sans rencontrer de problmes srieux93. Il tait urgent que la France rattrape

    son retard en introduisant la fiducie dans notre droit civil, mme sil sagit pour linstant

    dune fiducie a minima. Cela est dautant plus vrai que les oprations fiduciaires que les

    entreprises franaises ne pouvaient pas raliser sur le territoire national taient effectues

    ltranger, au dtriment de nos intrts. Lvnement le plus emblmatique fut celui de

    lopration de dfaisance94 ralise par Peugeot en 1990 : cette entreprise souhaitant sparer

    de son patrimoine global des fonds dtenus aux Etats-Unis et ne pouvant pas le faire en

    France, en raison de labsence de fiducie dans notre droit, a eu recours un trustee amricain

    (la banque Morgan)95. Cet exemple illustre le phnomne de law shopping96, prcdemment

    dcrit97, qui consiste pour les entreprises prendre en compte, parmi dautres paramtres, le

    niveau de contrainte juridique quexerce un tat sur les agents conomiques avant dy investir.

    27- Les diffrents paramtres du sujet tant dsormais poss, il convient de dgager une

    mthode qui permettra de mettre en relief lenchanement suivant :

    - Les diffrentes finalits des contrats civils appliqus aux actions ;

    93 Infra, n 885 et s. 94 Espce de fiducie fins de gestion par laquelle une socit faisant publiquement appel lpargne extrait de son bilan la dette de remboursement dun emprunt, pour en confier la gestion un tablissement financier : CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Ass. H. Capitant, P.U.F., 6me d. mise jour Quadrige , 2004. Le Conseil National de la Comptabilit donne une dfinition similaire : C.N.C., Comptabilisation de lopration din-substance defeasance, 15 dcembre 1988, n 76. Concrtement, lemprunteur cde simultanment de la dette et un portefeuille dactifs une socit ad hoc indpendante de lemprunteur. Les actifs sans risque transfrs cette entit peuvent tre des obligations dtat ou des bons du Trsor, voire un portefeuille de crances, dactifs immobiliers ou de participations. La cession des actifs et des dettes est irrvocable. Lopration se traduit par une sortie du bilan des titres et des dettes. Cette technique permet de faire apparatre dans le bilan un endettement global correspondant au niveau dendettement rel de lentreprise. 95 HOHL (B.), Une seule fiducie, a suffit !, Gaz. Pal., 4 juin 2005, n 155, p. 2. 96 DUFOUR (O.), Gare au law shopping , Les Petites Affiches, 19 novembre 2003, n 231, p. 3 ; RODRIGUEZ (K.), Lattractivit, nouvelle perspective du droit national des socits, Bull. Joly, 2004, 63, p. 330. 97 Supra, n 14.

  • 28

    - Les difficults rencontres dans la mise en oeuvre de ces contrats, notamment

    sagissant de leur validit, de leur efficacit et de leur cot fiscal ;

    - Les nouveaux contrats, dinspiration civiliste, introduit en droit positif pour pallier ces

    difficults ;

    - Les rsultats obtenus par ces nouveaux contrats, savoir moins dincertitudes quant

    leur validit, leur efficacit et leur cot fiscal mais au prix dune extrme rigidit de

    leurs rgimes juridiques ;

    - La solution la plus avantageuse sur le plan de la scurit juridique comme sur le plan

    conomique, savoir une ultime rforme de la fiducie, dans le sens de plus de

    souplesse.

    En dautres termes, il sagira de prsenter les contrats les plus utiliss , de dterminer par la

    mme occasion ceux dentre eux qui sont, en ltat, les plus utilisables , le tout afin

    d'esquisser les contours dune nouvelle fiducie conue pour se substituer eux, cest--dire

    les rendre inutiles dans un futur que lon espre le plus proche.

    28- Pour ce faire, il est indispensable de prsenter, DANS UNE PREMIRE PARTIE,

    lutilit des contrats civils appliqus aux actions. Cela permettra, dans un premier temps,

    dexaminer le recours aux contrats civils aux fins dexercer un pouvoir politique sur la

    socit anonyme (Titre I), cest--dire accder un poste dirigeant ou exercer un plus large

    contrle sur une socit par le biais dun transfert du droit de vote. Puis, dans un second

    temps, il conviendra dexaminer le recours aux contrats civils aux fins de tirer profit des

    droits financiers inhrents aux actions (Titre II), cest--dire transmettre lentreprise un

    membre de sa famille ou obtenir du crdit en remettant ses actions en garantie.

    UNE SECONDE PARTIE prsentera les nouveaux contrats, dinspiration civiliste,

    appliqus aux actions. Parmi ces nouveaux contrats, ceux ayant pour origine les marchs

    financiers (Titre I), certains oprant un transfert temporaire de proprit sur les actions,

    dautres reposant sur la technique du nantissement. Enfin, la solution propose par ltude

    sera celle de la rforme de la fiducie (Titre II), ce qui supposera successivement de prsenter

    la fiducie puis dexposer ces applications possibles, sur le plan politique comme sur le plan

    financier.

  • 29

    PARTIE I

    LUTILIT DES CONTRATS CIVILS

    APPLIQUS AUX ACTIONS

  • 30

    De chaque objet possd il y a un double usage [] :

    lun est propre et lautre nest pas propre lobjet.

    Ainsi une chaussure sert chausser et tre change .

    Aristote, Politique, I 9, Ladrange, 1874, p. 30.

    29- Les contrats civils appliqus aux actions prsentent de nombreuses finalits. Toutefois, il serait erron de penser qu chaque contrat correspond une utilit prcise. En ralit, pour

    chaque finalit poursuivie, ce sont plusieurs contrats civils qui peuvent tre mis

    contribution, certains dentre eux pouvant mme tre utiliss pour raliser diffrents objectifs.

    30- Cest pourquoi il convient disoler chacune des finalits poursuivies avant danalyser les

    contrats correspondants. Isoler ces diffrentes finalits ncessite de sintresser lobjet

    auquel sapplique ces diffrentes conventions, savoir laction mise par une socit

    anonyme.

    31- Laction, selon larticle 529 du Code civil, est un bien meuble par dtermination de la loi.

    la diffrence des biens meubles par nature, qui sont dfinis par larticle 528 du mme Code

    comme les corps qui peuvent se transporter dun lieu un autre, soit quils se meuvent par

    eux-mmes, soit quils ne puissent changer de place que par leffet dune force trangre ,

    les biens meubles par dtermination de la loi sont incorporels98.

    Ce caractre incorporel confre une double nature laction :

    - Dune part, cest un titre qui reprsente le droit de lassoci dans la socit ;

    - Dautre part, ce titre doit tre distingu des diffrents droits que laction confre

    lactionnaire dans ses rapports avec la socit99.

    32- La nature incorporelle de laction signifie en pratique que laction est ncessairement

    immatrielle.

    98 ZENATI (F.) et REVET (Th.), Les biens, P.U.F., coll. Droit fondamental, 2me d., 1997, n 66, p. 87. 99 RIPERT (G.) et ROBLOT (R.), Trait de droit commercial, Tome I, Volume II, Les socits commerciales, par GERMAIN (M.), L.G.D.J., 18me d., 2002, n 1507, p. 307.

  • 31

    Avant la loi du 30 dcembre 1981100, laction tait reprsente par un document matriel, un

    titre au sens juridique101, qui pouvait tre au porteur ou nominatif. Lorsque laction tait

    au porteur, elle tait soumise au mme rgime que les meubles corporels, ce qui ds lors ne

    posait pas de problme. Lorsque laction tait nominative, linscription du titulaire tait

    ralise par la socit sur son registre des actionnaires. Quoi quil en soit, le caractre matriel

    du titre ou du registre des actionnaires, selon les cas, permettait de dterminer qui tait

    propritaire de laction, cest--dire actionnaire.

    La loi du 30 dcembre 1981 et son dcret dapplication du 2 mai 1983102 ont opr la

    dmatrialisation des actions103, travers larticle 94 II de la loi, devenu larticle L. 211-4 du

    Code montaire et financier. Depuis, les actions sont des biens immatriels, reprsents par

    des inscriptions en compte tenus par des intermdiaires habilits (tels que les banques ou les

    socits de bourse) ou par les socits mettrices. Du fait de cette dmatrialisation, les

    actions ne sont plus ni individualises ni individualisables mais leur inscription en compte

    permet toutefois den dterminer les propritaires. De ce fait, les actionnaires ont conserv un

    droit rel sur leurs titres, puisquils peuvent en faire usage directement et immdiatement et

    opposer leur proprit aux tiers. Simplement, cette proprit ne sexerce plus sur un bien

    matriel mais sur un bien immatriel qui sapparente dsormais une valeur104.

    33- En outre, laction confre lactionnaire diffrents droits dans ses rapports avec la

    socit : ce sont les droits propres de lactionnaire105. Ces droits sont de double nature :

    politiques et financiers. Cest dans lamnagement de ces prrogatives politiques et

    financires que se trouvent les sources106 des nombreuses finalits poursuivies par les parties

    un contrat civil portant sur des actions.

    100 Loi n 81-1160 du 30 dcembre 1981 : Loi de financement pour 1982. J.O.R.F. du 31 dcembre 1981, p. 3539. 101 Ecrit en vue de constater un acte juridique ou un acte matriel pouvant produire des effets juridiques : CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Ass. H. Capitant, P.U.F., 8me d., 2000. 102 Dcret n 83-359 du 2 mai 1983 : Application de la loi n 83-1 du 3 janvier 1983. 103 GERMAIN ( M.), Sociologie de la dmatrialisation, Archives de philosophie du droit, Tome XLII, Largent et le droit, Sirey, 1998, p. 105. 104 RIPERT (G.) et ROBLOT (R.), Trait de droit commercial, Tome I, Volume II, Les socits commerciales, par GERMAIN (M.), L.G.D.J., 18me d., 2002, n 1510, p. 308. 105 DU GARREAU DE LA MECHENIE (J.), Les droits propres de lactionnaire, Thse Poitiers, 1937. 106 Chacune des prrogatives politiques ou financires pourra faire lenjeu dune volont dappropriation qui, si elle est temporaire, se concrtisera par lutilisation dun contrat civil dont lobjet sera de transfrer tel ou tel droit politique ou financier, dune personne une autre, jusquau dnouement de lopration.

  • 32

    34- En ce qui concerne les droits politiques, ceux-ci correspondent au droit de participer au

    fonctionnement de la socit voire de la contrler, par le biais notamment du droit de vote,

    prrogative politique de loin la plus importante et qui fera frquemment lenjeu dune volont

    dappropriation.

    35- En ce qui concerne les droits financiers, il est ncessaire de les circonscrire correctement

    en rappelant que laction reprsente le droit de lactionnaire dans le capital social de la socit

    et non pas le droit de lactionnaire sur les biens dtenus par la socit.

    Le patrimoine de la socit ne se confond pas avec celui des actionnaires. Ces derniers ne sont

    pas copropritaires des biens sociaux, qui appartiennent exclusivement la socit, personne

    morale autonome. Cest pourquoi larticle 529 du Code civil qualifie les actions de biens

    meubles. Par le biais de ces actions, les actionnaires sont devenus cranciers de la socit en

    vertu des apports quils ont faits et que reprsentent les actions. Cette crance tire son

    originalit de son objet, savoir une socit, dont les gains seront alatoires et irrguliers, et

    dont la rpartition sera toute aussi alatoire et irrgulire. Aussi peut-on dire que ce droit de

    crance est la fois ventuel et subordonn107 :

    - ventuel en ce quil porte sur des dividendes, des droits prfrentiels de souscription,

    des droits de remboursement des apports et de partage du boni de liquidation qui ont

    tous la particularit dtre des droits futurs dont lexistence sera incertaine ;

    - Subordonn, en ce que les associs seront prims par les cranciers sociaux tels que

    les obligataires, les fournisseurs, les salaris ou encore les banques, si la socit est

    endette.

    Une fois dtermin le patrimoine de la socit, savoir ses lments dactifs et de passifs, et

    le patrimoine des actionnaires, cest--dire les actions, il convient disoler les diffrents droits

    financiers que ces titres confrent leurs propritaires. Ces droits sont de deux ordres :

    - Dune part, les actionnaires disposent dun droit sur la valeur de laction108 ;

    - Dautre part, ils disposent dune vocation aux bnfices gnrs par la socit109.

    107 RIPERT (G.) et ROBLOT (R.), Trait de droit commercial, Tome I, Volume II, Les socits commerciales, par GERMAIN (M.), L.G.D.J., 18me d., 2002, n 1510, p. 309. 108 COZIAN (M.) et VIANDIER (A.), Droit des socits, Litec, 5me d., 1992, n 880 et s., p. 286 et s. 109 Cette vocation au partage des bnfices est clairement exprime par larticle 1832 du Code civil selon lequel La socit est institue par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat daffecter une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bnfice ou de profiter de lconomie qui pourra en rsulter .

  • 33

    Dans les deux cas, ces droits financiers, linstar des droits politiques, feront frquemment

    lenjeu dune volont dappropriation.

    36- la suite de ces quelques dveloppements, il apparat que les contrats civils appliqus

    aux actions ne sont quun moyen dexcution, un montage, au service dun transfert, le plus

    souvent temporaire110, de tel ou tel droit politique ou financier, voire de plusieurs. Ainsi en

    sera-t-il dune donation dactions avec rserve dusufruit : ce contrat permettra la fois la

    transmission de lentreprise et lamnagement du droit de vote, cest--dire du contrle de

    cette entreprise.

    Le plan de cette premire partie se pliera au caractre fonctionnel des contrats civils. Seront

    distingus, en consquence, le recours aux contrats civils aux fins dexercer un pouvoir

    politique sur la socit (Titre I) et le recours aux contrats civils aux fins de tirer profit des

    droits financiers inhrents aux actions (Titre II).

    110 dfaut de caractre temporaire, un seul contrat civil suffirait transfrer toutes les prrogatives politiques et financires sans aucune difficult : le contrat de vente. Il convient galement de rserver lhypothse dune transmission de lentreprise o le transfert des actions est dfinitif et non temporaire.

  • 34

    TITRE PREMIER

    LE RECOURS AUX CONTRATS CIVILS AUX FINS DEXERCER UN POUVOIR

    POLITIQUE SUR LA SOCIT

    On gouverne mal quand on gouverne trop.

    Un homme qui traite avec un autre homme doit tre attentif et sage ;

    il doit veiller son intrt, prendre les informations convenables,

    et ne pas ngliger ce qui est utile.

    Loffice de la loi est de nous protger contre la fraude dautrui,

    mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison.

    Sil en tait autrement, la vie des hommes, sous la surveillance des lois,

    ne serait quune longue et honteuse minorit ;

    et cette surveillance dgnrerait elle-mme en inquisition .

    Portalis, Discours prliminaire au projet de Code civil,

    Confluences, Collection Voix de la Cit, p. 61.

    37- Lexercice du pouvoir politique dans la socit appartient aux actionnaires. Ce sont eux

    qui disposent des droits de surveiller la socit, travers le droit dinformation et le droit

    dagir en justice, et du droit de contrler la socit, travers le droit de voter aux assembles

    gnrales.

    38- Lutilisation des contrats civils aux fins dexercer un pouvoir politique doit tre

    apprhende sous le prisme des diffrentes prrogatives politiques confres par les actions.

    La premire difficult sera, en consquence, dadapter les contrats civils ce type spcifique

    de bien que sont les actions. En effet, ces conventions sont ordinairement appliques des

  • 35

    biens corporels, meubles ou immeubles111, le plus souvent dans le but de concder, titre

    provisoire ou dfinitif, un droit rel112 sur ce bien. Appliqus aux actions, ces contrats civils

    permettent damnager ou de transfrer provisoirement des droits politiques, ce qui signifie

    que lon transmet titre temporaire ces prrogatives un autre actionnaire ou un tiers.

    39- Quels sont les cas o un tel usage des techniques civilistes se rvlera utile ou ncessaire ?

    Deux types dapplications seront tudis :

    - La premire, cite traditionnellement en doctrine, est le transfert dactions un futur

    administrateur ou membre du conseil de surveillance afin quil puisse exercer ses

    fonctions dirigeantes (Chapitre premier) ;

    - La seconde, plus polymorphe, concerne le transfert du droit de vote attach aux

    actions afin de contrler la socit (Chapitre second).

    111 titre dexemple, la vente rmr a pour terrain dlection traditionnel les oprations immobilires , ce que rvle la mention de la valeur du fonds dans larticle 1673 du Code civil : MEDUS (J.-L.), Rmr sur droits sociaux et restructurations dentreprises, Bull. Joly, 1996, 162, p. 459. 112 En loccurrence, la proprit, lusufruit, voire un droit dusage ou dhabitation, selon la nature du bien corporel.

  • 36

    CHAPITRE PREMIER

    LACCS AU POSTE DADMINISTRATEUR OU

    DE MEMBRE DU CONSEIL DE SURVEILLANCE

    Ce qui nest pas utile lessaim nest pas utile labeille non plus .

    Marc-Aurle, Penses pour moi-mme,

    Livre VI, Article LIV, Flammarion, 1992, p. 98.

    40- Selon les anciens alinas premiers des articles L. 225-25113 et L. 225-72114 du Code de

    commerce, chaque administrateur ou membre du conseil de surveillance devait tre

    propritaire dun nombre dactions dtermin par les statuts.

    Les mmes textes, en leur alina second, prcisaient que si un administrateur ou un membre

    du conseil de surveillance ntait pas propritaire du nombre dactions requis ou si, en cours

    de mandat, il cessait den tre propritaire, il tait alors rput dmissionnaire doffice sil

    navait pas rgularis sa situation dans le dlai de trois mois.

    Toutefois, larticle 57 de la loi du 4 aot 2008115 a rform les textes prcits en supprimant le

    caractre lgal de lobligation dtre propritaire dactions et en allongeant le dlai de

    rgularisation de trois six mois.

    Cette obligation peut subsister mais avec un caractre exclusivement statutaire, comme

    lindiquent les nouveaux alinas premiers et seconds des articles L. 225-25 et L. 225-72,

    rdigs de la manire suivante :

    Les statuts peuvent imposer que chaque [administrateur/membre du conseil de surveillance]

    soit propritaire dun nombre dactions de la socit, quils dterminent.

    113 Larticle L. 225-25 concerne les administrateurs. 114 Larticle L. 225-72 concerne les membres du conseil de surveillance. 115 Loi n 2008-776 du 4 aot 2008 : Modernisation de lconomie. J.O.R.F. du 5 aot 2008, p. 12471.

  • 37

    Si, au jour de sa nomination, un [administrateur/membre du conseil de surveillance] nest pas

    propritaire du nombre dactions requis ou si, en cours de mandat, il cesse den tre

    propritaire, il est rput dmissionnaire doffice, sil na pas rgularis sa situation dans le

    dlai de six mois .

    41- En consquence, laccs et le maintien au poste dadministrateur ou de membre du conseil

    de surveillance peuvent tre conditionns par la proprit dun nombre dtermin dactions,

    tant entendu que toute perte de cette qualit ne peut excder le dlai de six mois au del

    duquel la dmission doffice est rpute.

    42- La nomination de ladministrateur ou du membre du conseil de surveillance peut

    nanmoins rencontrer un certain nombre de difficults, parmi lesquelles :

    - Cet administrateur ou ce membre du conseil de surveillance peut ne pas disposer des

    fonds ncessaires pour acqurir les actions indispensables ;

    - Les actionnaires voulant le nommer peuvent galement ne pas souhaiter que celui-ci

    puisse garder les actions lissue de son mandat : Dans les socits fermes, le prt

    de titres est souvent prfr la vente car mieux que cette dernire il garantit, qu

    lexpiration de leurs fonctions, les intresss ne conserveront pas les actions 116 ;

    - Ils peuvent galement craindre de perdre leur contrle sur la socit en transfrant une

    partie de leurs actions ;

    - Enfin, il est galement possible que le futur dirigeant ne russisse pas se procurer

    suffisamment dactions si celles-ci ne sont pas assez nombreuses tre ngocies :

    dans ces [] socits anonymes, il y a de tout, depuis la modeste socit caractre

    familial dont les titres ne circulent pas et restent parfois attachs la souche,

    jusquau trust gigantesque dont les actions alimentent tous les marchs du monde 117.

    43- Ces problmes ne sont pas insolubles : lutilisation de contrats civils peut permettre de

    procurer provisoirement la proprit du nombre dactions requis ladministrateur ou au

    membre du conseil de surveillance118.

    116 GUYON (Y.), Prts de titres, J-Cl. Socits, 1991, fascicule n 2125, p. 3. 117 RIPERT (G.), Aspects juridiques du capitalisme moderne, L.G.D.J., 2me d., 1951, n 27, p. 67. 118 Les articles L. 225-25 et L. 225-72 du Code de commerce exigent que ladministrateur ou le membre du conseil de surveillance soit propritaire des actions, ce qui exclut, a priori, dautres techniques telles que lusufruit dactions, la location dactions ou le dpt car lusufruitier, le locataire et le dpositaire ne peuvent tre assimils un propritaire.

  • 38

    Parmi ces contrats strictement issus du droit civil119, deux sont frquemment employs : le

    prt dactions de droit commun (Section I) et la vente rmr120 (Section II).

    SECTION I

    LE PRT DACTIONS DE DROIT COMMUN121

    44- Dans les groupes de socits, il tait frquent, avant la loi du 4 aot 2008122, que des

    actionnaires ou des socits filiales souhaitent transfrer la proprit, titre provisoire, du

    nombre dactions ncessaire un futur administrateur ou membre du conseil de surveillance,

    conformment aux exigences des anciens articles L. 225-25 et L. 225-72 du Code de

    commerce.

    Cette pratique devrait perdurer dans la mesure o larticle 57 de la loi du 4 aot 2008, sil

    supprime le caractre lgal de lobligation pour les dirigeants dtre propritaires dactions,

    permet aux actionnaires de maintenir cette obligation dans les statuts de la socit. Lesdits

    actionnaires auront dautant plus intrt le faire sils souhaitent conserver ou confrer un

    caractre ferm la socit.

    119 En loccurrence, ces contrats sont rglements par le Code civil. 120 Le terme rmr est supprim par la loi n 2009-526 du 12 mai 2009 : Loi de simplification et de clarification du droit et dallgement des procdures. J.O.R.F. du 13 mai 2009, p. 7920. Seule lexpression facult de rachat est utilise par les articles 1659 et suivants du Code civil. Nanmoins, lusage pris par les praticiens et la doctrine de nommer ce contrat vente rmr sest maintenu. 121 Sur ce sujet : AGASSE (J.) et PICHAT (J.), Lutilit pratique du prt usage, Droit & Patrimoine, juin 1995, p. 31 ; AUCKENTHALER (F.), Prts de titres, J-Cl. BanqueCrditBourse, 2001, fascicule n 2125 ; BAFFOY (G.), Le prt de consommation de titres de socits, J.C.P. d. N., 1996, I, n 16, p. 572 ; BALENSI (I.), Les conventions entre les socits commerciales et leurs dirigeants, Economica, 1974 ; COURET (A.), Le prt de titres consenti par une socit un futur administrateur dune filiale, Bull. Joly, 2000, p. 477 ; GUYON (Y.), Prts de titres, J-Cl. Socits, 1991, fascicule n 2125 ; HUGUET (H.), Mise disposition dactions au profit de personnes physiques afin de permettre dexercer des fonctions dadministrateur ou de membre du conseil de surveillance dans des filiales non cotes dun groupe, Droit des Socits, mars 1999, p. 4 ; JAUBERT (P.), Deux notions du droit des biens : la consomptibilit et la fongibilit, R.T.D. Civ., 1995, p. 79 ; JEANTIN (M.), Les prts de titres, Rev. Soc., 1992, p. 465 ; LUCAS (F.-X.) et NEAU-LEDUC (P.), Mise disposition dactions des administrateurs ou des membres du conseil de surveillance, Droit des socits, novembre-dcembre 1999, p. 7 ; MAURO (C.), Permanence et volution du commodat, Defrnois, 2004, p. 1024 ; MELIN (F.), Le prt de consommation de valeurs mobilires : remarques sur la validit dun instrument contest, Les Petites Affiches, 26 sept. 2000, n 192, p. 4 ; REICHARDT (A.), Le prt dactions, Thse Strasbourg, 1981 ; REIGNIE (Ph.), La licit du prt daction des administrateurs, Bull. Joly, 2000, 292, p. 1187 ; URBAN (Q.), Les prts dactions des administrateurs dans la stratgie des groupes de socits, une pratique juridique prilleuse, J.C.P. d. G., 2000, I, 232. 122 Loi n 2008-776 du 4 aot 2008 : Modernisation de lconomie. J.O.R.F. du 5 aot 2008, p. 12471.

  • 39

    Dans ce but, le prt, rglement aux articles 1874 et suivants du Code civil, est

    traditionnellement utilis pour raliser un transfert temporaire de la proprit sur des actions

    puisquune fois arriv son terme, ces actions seront restitues au prteur, ce qui permet

    celui-ci de ne pas avoir supporter une alination, mme de porte restreinte123.

    45- Toutefois, cette technique nest pas sans poser des problmes, notamment quant sa

    nature ( 1) et sa validit ( 2).

    1 - La nature du prt dactions

    46- Larticle 1874 du Code civil prvoit deux types de prt :

    - Celui des choses dont on peut user sans les dtruire ;

    - Et celui des choses qui se consomment par lusage quon en fait.

    La premire espce sappelle prt usage .

    La deuxime sappelle prt de consommation , ou simplement prt .

    Toutefois, appliqu aux actions, le prt usage se rvle inopportun (A) tandis que le prt de

    consommation doit tre considr comme le prt dactions de droit commun (B).

    A - Exclusion du prt usage

    47- Larticle 1875 du Code civil dispose que Le prt usage ou commodat est un contrat

    par lequel lune des parties livre une chose lautre pour sen servir, la charge par le

    preneur de la rendre aprs sen tre servi . En vertu de ce texte, le prt dactions pourrait

    parfaitement tre ralis selon la formule du prt usage, dautant plus que larticle 1878 du

    mme code prcise que Tout ce qui est dans le commerce, et qui ne se consomme pas par

    lusage, peut tre lobjet de cette convention . Or, les actions sont dans le commerce et ne se

    consomment pas par lusage124.

    123 COURET (A.), Le prt de titres consenti par une socit un futur administrateur dune filiale, Bull. Joly, 2000, p. 477. 124 Cass. 1re civ., 4 avril 1991. Cf. DIDIER (P.), Rev. Soc., 1991, p. 737 ; ZENATI (F.), R.T.D. Civ., 1994, p. 381. Cass. 1re civ., 12 novembre 1998. Cf. AYNES (L.), D., 1999, p. 167 ; HOVASSE (H.), J.C.P. d. N., 1999, p. 351 ; PIEDELIEVRE (S.), J.C.P. d. G., 1999, I, 10027 ; ZENATI (F.), R.T.D. Civ., 1999, p. 422.

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    48- Toutefois, le prt usage, lorsquil a pour finalit de permettre un futur dirigeant

    daccder ses fonctions, doit tre exclu pour trois raisons :

    - En premier lieu, le caractre incorporel des actions soppose lindividualisation des

    actions initialement prtes (1) ;

    - En second lieu, le prt usage est essentiellement gratuit (2) ;

    - En troisime lieu, il ne transfert pas la proprit (3).

    1 - Le caractre incorporel des actions fait obstacle lindividualisation des actions

    prtes

    49- Puisque les actions sont dans le commerce et quelles ne sont pas consomptibles125, le prt

    usage pourrait apparatre comme convenant au prt dactions. Une ancienne jurisprudence

    ladmettait propos de titres numrots avec mention du numro sur le reu et restitution des

    mmes titres dans le dlai imparti126. Mais en droit positif, les actions tant dmatrialises127,

    il ne peut plus y avoir de numrotation sur un reu : le seul mode dindividualisation des titres

    serait de les transfrer sur un compte qui leur est rserv mais si dautres actions identiques

    venaient se fondre dans la mme inscription en compte, on ne pourrait plus distinguer

    quelles sont les actions initialement prtes de celles surajoutes.

    50- On pourrait parfaitement imaginer un procd informatique qui permettrait

    ltablissement teneur de compte didentifier les actions prtes par le biais dun marquage

    informatique mais cela occasionnerait une charge de gestion que le teneur de compte

    imputerait au dpositaire.

    51- En outre, ladministrateur ou le membre du conseil de surveillance, devenant propritaire

    des titres, peut les vendre quand il le souhaite, quitte en racheter dautres, identiques, afin de

    ne pas dpasser le dlai de six mois au del duquel il est rput dmissionnaire. Dans ce cas,

    rendre les actions initialement prtes savre l encore impossible.

    52- En consquence, si le prt usage semble de prime abord sadapter aux actions, en vertu

    de leur caractre de choses non consomptibles et dans le commerce, cet emploi est en ralit 125 Infra, n 79 et s. 126 Cass. crim., 11 mai 1901. Cf. D.P. 1902, 1, p. 415. 127 GERMAIN ( M.), Sociologie de la dmatrialisation, Archives de philosophie du droit, Tome XLII, Largent et le droit, Sirey, 1998, p. 105.

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    impossible du fait de leur caractre incorporel qui rend leur individualisation difficile sinon

    impossible. Le prt usage doit, en consquence, tre rserv des biens corporels, comme

    cela tait dailleurs prvu lorigine128.

    53- Enfin, il convient de remarquer que le prt usage est essentiellement gratuit et ne

    transfert pas la proprit, ce qui achve de rendre inapplicable ce type de prt la finalit que

    lon veut lui assigner puisque devenir administrateur ou membre du conseil de surveillance

    ncessite, selon les articles L. 225-25 et L. 225-72 du Code de commerce, dtre propritaire

    dun nombre dactions dtermin par les statuts129.

    2 - Le caractre gratuit du prt usage

    54- Larticle 1876 du Code civil dispose que le prt usage est essentiellement gratuit , ce

    qui interdit en consquence toute stipulation dintrt mais galement tout autre mode de

    rmunration du prteur130. Or, si des actionnaires ou une socit prtent des actions un

    administrateur ou un membre du conseil de surveillance, ils nentendent pas gnralement

    abandonner tous les droits financiers cet emprunteur mais comptent au contraire se les

    rserver131, en stipulant un intrt ou une indemnit au prorata de la dure du contrat. Le prt

    usage tant ncessairement gratuit, il se rvle donc embarrassant lorsque les actions ne sont

    prtes que dans le but de permettre la nomination dun dirigeant, sauf lorsque les droits

    financiers attachs aux actions prtes sont considrs par les prteurs et lemprunteur comme

    un mode de rmunration de ce dernier pour ses fonctions au sein de la socit.

    3 - Labsence de translation de proprit du prt usage

    55- Enfin, larticle 1877 du Code civil dispose que Le prteur demeure propritaire de la

    chose prte , ce qui ne rend pas seulement embarrassant mais impossible le prt usage

    128 AUCKENTHALER (F.), Prts de titres, J-Cl. BanqueCrditBourse, 2001, fascicule n 2125, p. 5, n 14. 129 La nouvelle rdaction des textes, suite la loi du 4 aot 2008, ne modifie pas lobligation dtre propritaire des actions. Cf. article 57 de la loi n 2008-776 du 4 aot 2008 : Modernisation de lconomie. J.O.R.F. du 5 aot 2008, p. 12471. 130 le commodat est considr par larticle 1876 comme un contrat essentiellement gratuit, caractristique qui se rencontre rarement dans les relations daffaires : GUYON (Y.), Prts de titres, J-Cl. Socits, 1991, fascicule n 2125, p. 3. 131 HUGUET (H.), Mise disposition dactions au profit de personnes physiques afin de permettre dexercer des fonctions dadministrateur ou de membre du conseil de surveillance dans des filiales non cotes dun groupe, Droit des Socits, mars 1999, p. 6.

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    dactions un futur dirigeant social. En effet, les articles L. 225-25 et L. 225-72 du Code de

    commerce, mme aprs leurs modifications par larticle 57 de la loi du 4 aot 2008132, exigent

    que ladministrateur ou le membre du conseil de surveillance soit propritaire des actions, ce

    quinterdit le prt usage puisque, dans tous les cas, cest le prteur qui demeure propritaire

    des actions133.

    56- En raison de toutes ces inadq