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Les ChoéphoresLes Euménides

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ESCHYLE

Les ChoéphoresLes Euménides

•TRADUCTION

NOTES

CHRONOLOGIE

par Daniel Loayza

PRÉSENTATION

DOSSIER

RÉPERTOIRE DES NOMS PROPRES

BIBLIOGRAPHIE

par Marie-Joséphine Werlings

GF Flammarion

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© Flammarion, 2012, pour cette édition.ISBN : 978-2-0812-6925-5

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P r é s e n t a t i o n

« Il y aura du sang : on dit que lesang veut du sang. »

Shakespeare, Macbeth, III, 4

ESCHYLE EN SON TEMPS

« Deux dates de batailles, sept titres de tragédies, voilà[…] tout ce qui, pour nous, subsiste de connu dans la vied’Eschyle 1 » : l’auteur de l’Orestie partage le sort de biendes auteurs grecs de la fin de l’époque archaïque et dudébut du Ve siècle av. J.-C. Les indications conservées parun ouvrage encyclopédique du IXe siècle de notre ère, laSouda, ainsi que dans une Vie anonyme, ne suffisent pasà combler notre curiosité à l’égard du premier des grandstragiques athéniens. Le peu qui a survécu nous laissepourtant entrevoir une vie en prise directe avec les grandsenjeux de son époque.

Eschyle est né vers 525 av. J.-C., dans le dème athéniend’Éleusis. Dans sa jeunesse, il a assisté à la mise en placedu régime démocratique à Athènes, grâce aux réformes deClisthène en 508-507 2. Moins de vingt ans plus tard, en490, il a combattu à Marathon pour repousser l’invasiondes Perses, dont le roi, Darius, avait mené l’armée

1. Jacqueline de Romilly, La Tragédie grecque, PUF, 1970, p. 52.2. Voir en fin de volume la Chronologie proposée par Daniel

Loayza.

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II L e s C h o é p h o r e s . L e s E u m é n i d e s

jusqu’aux portes de l’Attique. Enfin, il était encore en âgede servir au moment de la deuxième guerre médique,lorsque les Athéniens libérèrent leur cité envahie par lesPerses, au cours de la bataille de Salamine, àl’automne 480. Cette bataille, qui mit un terme à l’avancéedes Perses et préluda à leur débâcle, représenta pour lesAthéniens, mais aussi pour l’ensemble de la Grèce, la vic-toire héroïque de la liberté sur la barbarie. Comme nombrede ses concitoyens, Eschyle fut profondément marqué parcette épreuve. Un de ses frères trouva la mort à Marathonet, si l’on en croit les Anciens, l’épitaphe du poète célébraitprécisément le « poète des guerres médiques » : « Eschyled’Athènes, fils d’Euphorion, est ici couché sans vie sous cemonument, dans la terre féconde de Géla. S’il combattitvaillamment, le bois sacré de Marathon pourrait le dire, etaussi le Mède chevelu 1, qui en a fait l’épreuve. » Notonsque la défaite des Perses à Salamine fournit le thème de saseule tragédie à sujet historique et non pas mythologique,les Perses, composée huit années seulement après les faitset qui constitue un véritable hymne à la liberté contre latyrannie. Dans cette pièce, qui rassemble bien des thèmeschers au poète, le roi Xerxès, personnage parfaitementeschyléen, est puni pour son orgueil et sa démesure,l’hybris, au nom d’une justice divine inéluctable.

L’apogée de la carrière d’Eschyle se situe après lesguerres médiques, entre la composition des Perses (472)et la représentation de l’Orestie, trilogie composéed’Agamemnon, des Choéphores et des Euménides, en458. Athènes connaît alors une période faste. Le régimedémocratique, légitimé par l’épreuve des guerres médiquesdont il est sorti victorieux et auréolé de gloire, s’approfon-dit et rayonne dans toute la mer Égée. À la tête d’unealliance maritime puissante et soigneusement organisée, laLigue de Délos, Athènes apparaît alors comme la première

1. Cette périphrase désigne les Perses. Les Mèdes sont le peuplecontre lequel les Perses se sont révoltés, au milieu du VIe siècle av. J.-C.,sous la direction du roi Cyrus ; les Perses sont parfois désignés du nomde l’ancien peuple dominant, les Mèdes.

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P r é s e n t a t i o n III

puissance en Grèce et comme la championne de la luttepour la liberté. Sur le plan de la politique intérieure, onconstate l’influence grandissante du parti démocratiqueet, en son sein, d’un jeune orateur ambitieux, Périclès, quicommença sa carrière publique en étant le chorège desPerses 1. Durant cette période, Eschyle fut un auteur proli-fique et très souvent vainqueur lors des concours drama-tiques 2 au cours desquels ses pièces étaient représentées.Quand on sait qu’il écrivit près de cent tragédies dontseules sept nous sont parvenues 3, on mesure l’ampleur dudésastre qui a frappé la transmission de ses textes. Après letriomphe de l’Orestie, en 458 av. J.-C., Eschyle quittaAthènes, pour des raisons inconnues, et s’installa en Sicileà la cour de Hiéron de Syracuse. C’est en Sicile qu’il meurt,à Géla, probablement en 456.

Comme toutes les pièces d’Eschyle qui ont été conser-vées, l’Orestie reflète l’expérience du dramaturge et lesgrands problèmes politiques et humains auxquels sesconcitoyens et lui-même se trouvèrent confrontés. Même sil’ancrage dans l’actualité est peut-être moins spectaculaireque dans les Perses, la trilogie contient au moins trois allu-sions à la politique athénienne du début du Ve siècle.

À plusieurs reprises dans les Euménides, Eschyle men-tionne des liens privilégiés entre Athènes et la cité du Pélo-ponnèse Argos 4. Dans la deuxième partie de cette pièce,Oreste, qui a tué sa propre mère pour venger son père Aga-memnon, se rend à Athènes pour implorer la déesseAthéna de le libérer des déesses de la vengeance qui le pour-suivent. À son arrivée, il rappelle l’ancienne amitié qui unitsa cité, Argos, à Athènes, depuis leur expédition commune

1. Le chorège est le riche citoyen chargé de recruter et d’entraîner, àses frais, le chœur pour la représentation d’une tragédie. C’était unecharge obligatoire pour les riches citoyens, mais qui apportait aussi,surtout en cas de victoire au concours, un grand prestige à celui à quielle incombait. Sur le contexte de la représentation d’une tragédie dansl’Antiquité et sur le rôle du chœur, voir infra, p. VII sq.

2. Voir infra, p. IX.3. On a parfois contesté l’authenticité de l’une d’entre elles, Promé-

thée enchaîné.4. Euménides, v. 288-291, 455-457, 669-673 et 762-774.

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IV L e s C h o é p h o r e s . L e s E u m é n i d e s

contre Troie. Après le verdict favorable du tribunal instaurépar Athéna pour juger de ce cas de matricide, Oreste, enremerciement, fait le serment d’une alliance durable entreles deux cités. Cela ne pouvait pas ne pas évoquer chez lesspectateurs le souvenir d’une alliance, bien réelle celle-ci,conclue entre Athènes et Argos quelques années plus tôt.Or cette alliance représentait un tournant fondamentaldans la politique extérieure d’Athènes et ouvrait unelongue période de rivalité et d’hostilité avec la grande citédu Péloponnèse, Sparte. En évoquant la préfiguration decette alliance dans le mythe, Eschyle lui donnait inévitable-ment une légitimité et une autorité incomparables.

La deuxième référence à l’actualité athénienne dansl’Orestie est plus problématique. Dans la deuxième partiedes Euménides, en effet, Athéna, pour juger Oreste,instaure solennellement un tribunal, l’Aréopage, auquelelle donne le nom de la colline sur laquelle il se réunit,la colline d’Arès, et à qui elle attribue le rôle de juger descrimes de sang et de veiller à ce que la cité, faisant respec-ter la justice, connaisse la paix :

Écoutez à présent ma loi, citoyens de l’Attique,qui jugez pour la première fois du sang versé.À l’avenir, le peuple d’Égée verra toujoursmaintenu ce conseil de juges.Sur cette colline d’Arès, demeure et campementdes Amazones lorsque leur haine jalouse contre Théséeconduisit jusqu’ici leurs forces, bâtissantface à la cité les hautes tours d’une cité nouvellesur les lieux de leurs sacrifices à Arès, d’où ce rochertire son nom d’Aréopage – c’est là que le respectet la crainte sa sœur garantiront de l’injusticeles citoyens, de jour comme de nuit,du moins s’ils n’introduisent pas des lois nouvelles :quand de flots impurs et de fange tu corrompsune eau claire, jamais plus tu n’y trouveras à boire.

(v. 681-695)

L’Aréopage était un très ancien tribunal athénien. Onignore la date de sa création, ainsi que les pouvoirs précisqui étaient les siens à l’origine, mais les sources indiquent

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P r é s e n t a t i o n V

qu’il existait déjà au début du VIe siècle av. J.-C. et qu’ilavait des pouvoirs judiciaires et, vraisemblablement, poli-tiques et constitutionnels. Il devait représenter l’organeprincipal de gouvernement de la cité. Au VIe siècle aumoins, il était composé des anciens archontes sortis decharge, c’est-à-dire des Athéniens les plus riches issus desgrandes familles de la cité. Ses pouvoirs et son fonction-nement furent sans doute un peu modifiés par lesréformes de Clisthène qui instaurèrent la démocratie en508-507, mais son influence resta prépondérante et ilreprésentait une survivance du pouvoir aristocratique ausein du régime démocratique.

Or, quatre ans seulement avant la représentation del’Orestie, les Athéniens avaient voté une réforme qui ôtaitau tribunal de l’Aréopage ses prérogatives les plus impor-tantes. Sous l’influence du chef du parti démocratique,Éphialte, ils décidèrent en effet, en 462, de ne conserverà l’Aréopage que le pouvoir de juger des crimes de sang.Cette réforme ne se fit pas sans difficulté, et l’assassinatd’Éphialte, peu après, en fut sans doute une des consé-quences directes les plus dramatiques. La mise en scènedu tribunal de l’Aréopage dans les Euménides doit secomprendre à la lumière de ces réformes politiques,même s’il est difficile de dire si Eschyle a voulu prendreparti pour ou contre elles. On pourrait penser, en effet,que le poète, en plaçant cet éloge de l’Aréopage dans labouche de la déesse Athéna et en mettant en garde lesAthéniens contre l’introduction de « lois nouvelles »(v. 693), a pris la défense de l’auguste tribunal contreles réformateurs démocrates. Mais, inversement, s’il faitincontestablement un éloge appuyé de l’antique tribunalen faisant remonter son origine à la déesse Athéna elle-même, il n’évoque à son propos aucun autre pouvoir quecelui de juger des crimes de sang – c’est-à-dire précisé-ment celui-là même que lui ont conservé les réformesd’Éphialte. Plutôt que défendre un des vestiges presti-gieux du passé, Eschyle a donc pu chercher à apaiser lesrancœurs et les colères des Athéniens les plus conserva-teurs en leur montrant l’importance que gardait, aux

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VI L e s C h o é p h o r e s . L e s E u m é n i d e s

yeux de tous les citoyens et même après les réformesd’Éphialte, un tribunal aussi vénérable.

Plus largement, l’Orestie est sous-tendue par uneréflexion politique qui trouve son aboutissement dans latragédie des Euménides. Eschyle y affirme avec force lanécessité d’un ordre et d’un équilibre dans la cité. Or cetéquilibre ne peut être atteint que par le respect de la justice.À deux reprises en effet est affirmé le principe : « ni anar-chie, ni despotisme » (Euménides, v. 526-527 et 696). Endonnant ce mot d’ordre aux Athéniens au moment où elleinstaure un nouveau tribunal, la déesse Athéna sembledélimiter le cadre idéal de la vie politique. Elle en dénonceles extrêmes, la bonne attitude consistant à trouver unjuste milieu, mais elle se garde d’en fixer d’autorité lesrègles précises. « L’existence de la collectivité civique, entrele double écueil que constitue l’absence informe de toutpouvoir et son uniforme omniprésence, dépend sans doutede quelque chose qui peut se nommer Justice et manifesteun aspect de la volonté de Zeus – mais cela semble pour-tant ne pouvoir être donné ni énoncé d’avance, quand bienmême cette volonté suprême s’exprimerait par le plus clairde ses truchements prophétiques », ainsi que l’écrit DanielLoayza dans son introduction à l’Orestie 1. Athénaindique donc les écueils à éviter en laissant aux citoyens lepouvoir de décider de la politique à mener.

Sous les traits de la déesse qui garde son calme et sabienveillance face à la rage des Érinyes assoiffées de ven-geance, Eschyle trace un portrait du bon gouvernantdont les qualités sont la droiture et la justice, la mesureet la bienveillance, en même temps que le sens aigu del’intérêt de son peuple : c’est elle, en effet, qui avecpatience convainc les Érinyes de ne pas lancer contreAthènes leurs malédictions, mais de s’installer dans lacité comme déesses bienveillantes. Athéna constitue ence sens un exemple pour les Athéniens contemporainsd’Eschyle, en ces années où les dangers de la guerre civile

1. D. Loyaza, introduction à l’Orestie d’Eschyle, GF-Flammarion,2001, p. 35.

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et de la tyrannie ne sont pas définitivement écartés. Telest le sens de la prière du chœur qui clôt la trilogie, prièredestinée à éloigner d’Athènes le péril de la guerre civile :

Et qu’insatiable de malheursjamais en la citéne vienne gronder la discorde,que la poussière abreuvée du sang noir des citoyensn’exige pas dans sa colèrele prix, meurtre pour meurtre,d’une ruine qui renverserait la cité.

(v. 976-983)

Le théâtre d’Eschyle, qui ne pouvait être que politique– il en allait ainsi dans le contexte des représentationstragiques 1 –, reflète des convictions profondes : la foidans la justice et dans la capacité des citoyens d’éviterl’écueil de la guerre civile. C’est ce message qu’il luiimportait d’exprimer, bien plus sans doute que deprendre parti dans la querelle opposant les partisansd’Éphialte aux défenseurs de l’Aréopage. Cette querelledevait prendre fin un jour, cependant que la question dela justice et de la paix dans la cité demeurerait, elle, éter-nelle. Et le théâtre était sans doute le meilleur moyend’en convaincre les Athéniens.

LES TRAGÉDIES GRECQUES :CONTEXTE, FONCTION, STRUCTURE

LES CONDITIONS MATÉRIELLES DE REPRÉSENTATION

Qui décide d’aller au théâtre aujourd’hui choisitd’abord une pièce inscrite au répertoire d’une salle, ainsiqu’un jour de représentation. Le lieu où l’on se rend, lethéâtre, est le plus souvent un lieu clos. On prend placesur des sièges à distance de la scène, traditionnellementsurélevée et soustraite au regard des spectateurs, avant le

1. Voir infra, p. IX-XI.

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VIII L e s C h o é p h o r e s . L e s E u m é n i d e s

début de la représentation, par un rideau rouge. Au leverdu rideau, la lumière s’éteint et seule la scène reste éclai-rée, éclipsant ainsi les spectateurs fondus dans l’obscu-rité. Généralement, un (ou deux, plus rarement, pour lespièces très longues) entracte est l’occasion, dans lepublic, d’échanger ses impressions et, dans les coulisses,d’opérer les changements nécessaires dans le décor.

Or rien de tout cela n’est transposable à l’expériencethéâtrale des Grecs de l’Antiquité : pour lire une tragédieantique et en comprendre les ressorts, il est indispensablede se défaire de ces repères contemporains. Première diffé-rence importante, les Athéniens qui ont vu représenterl’Orestie d’Eschyle étaient rassemblés dans un théâtreouvert, en plein air : le théâtre de Dionysos, construit surles flancs de l’Acropole à Athènes (voir schéma, p. X). Cethéâtre, dont il ne reste presque plus rien aujourd’hui, avraisemblablement été aménagé au début du Ve siècleav. J.-C. – les représentations théâtrales avaient lieu aupa-ravant sur l’agora, la place publique de la cité. La pentenaturelle de l’Acropole permit d’aménager des gradins,taillés dans le roc, où pouvaient prendre place plus dequinze mille spectateurs : on appelle cette partie du théâtrele théatron. Au centre de cet hémicycle, un espace plan etcirculaire était aménagé, l’orchestra, où évoluait le chœurde la tragédie. Assez tôt sans doute, au-delà de l’orchestra,fut érigé un bâtiment allongé – temporaire, d’abord, puispermanent –, qui permettait aux acteurs de changer decostume et qui bientôt servit de mur de fond, de décorrudimentaire, devant lequel évoluaient les acteurs : c’est laskènè. Les trois pièces de la trilogie de l’Orestie attestentbien l’existence de cet élément de décor et, plus encore, leprofit que les dramaturges pouvaient en tirer. À tel pointque le décor, dans l’Agamemnon, par exemple, devientpresque un personnage de la pièce : c’est dans le bâtimentde la skènè qu’Agamemnon, égorgé, pousse ses dernierscris ; c’est en entrant dans le bâtiment de la skènè qu’Égis-the trouve la mort à son tour ; enfin, c’est dans la skènèqu’Oreste entraîne sa mère pour la tuer, dérobant ainsi aux

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P r é s e n t a t i o n IX

yeux des spectateurs ce que la bienséance interdisait demontrer.

Dans ce théâtre en plein air, la représentation avait lieude jour dans des conditions d’acoustique qui exigeaientdes acteurs et du chœur une véritable performance. Lesacteurs, tous des hommes, même pour les rôles féminins,portaient par ailleurs un masque, qui devait modifier leurvoix et dissimulait leurs traits physiques, leur donnant unaspect figé. Le caractère un peu statique, parfois, desscènes de tragédies antiques tient aussi sans doute au faitque tous les rôles étaient tenus par trois acteurs seule-ment 1 : chaque épisode ne pouvait faire intervenir quetrois personnages tout au plus ; si l’intrigue rendaitnécessaire la présence d’un quatrième personnage au seindu même épisode, il fallait donc que l’un de ces troisacteurs quittât la scène pour changer de costume et reve-nir sur scène en jouant un autre personnage.

UN THÉÂTRE RELIGIEUX ET CIVIQUE

Autre différence de taille avec le théâtre que nousconnaissons : chaque représentation était en principeunique et avait lieu à une date bien précise, lors de l’unedes deux fêtes en l’honneur du dieu Dionysos : lesDionysies, au printemps, ou les Lénéennes, en hiver. Undes moments les plus importants de ces fêtes consistait enun concours dramatique : les auteurs qui voulaientconcourir devaient inscrire au concours, plusieurs mois àl’avance, une tétralogie composée de trois tragédies et d’undrame satyrique. La cité, par l’intermédiaire des chorèges– riches citoyens qui prenaient en charge les dépenses 2 –,organisait l’entraînement du chœur et les répétitions àl’issue desquelles les pièces étaient représentées devant les

1. D’après Aristote, il n’y avait qu’un seul acteur à l’origine : Eschylefut le premier à utiliser un deuxième acteur, et c’est Sophocle qui innovaen utilisant le premier trois acteurs. Dans l’Orestie, Eschyle utilise luiaussi trois acteurs.

2. Voir supra, p. III, note 1.

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X L e s C h o é p h o r e s . L e s E u m é n i d e s

Plan du théâtre de Dionysos à Athènes au Ve siècle

citoyens réunis dans le théâtre. Un vainqueur était alorsdésigné. On sait d’ailleurs qu’avec l’Orestie – la seule tri-logie complète qui nous est parvenue – Eschyle remportale premier prix. La nature du théâtre grec antique ne peutêtre comprise si l’on ne tient pas compte de cette doubleessence qui est la sienne : à la fois religieuse – il y avaitun autel dans l’orchestra, et les prêtres de Dionysos assis-taient aux représentations au premier rang – et civique :les Dionysies et les Lénéennes étaient des fêtes officielles,et assister à une représentation du concours dramatiquerelevait du devoir civique 1.

1. Ce moment d’unité et de communion de la communauté politiqueétait tellement important aux yeux des Athéniens qu’au IVe siècle la citépayait aux citoyens les plus pauvres leur droit d’entrée au théâtre, pouréviter que certains citoyens soient exclus de cette célébration civique enraison de leur pauvreté.

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P r é s e n t a t i o n XI

L’Orestie s’inscrit parfaitement dans ce cadre. C’estsans doute, tout d’abord, l’une des œuvres les plus reli-gieuses d’Eschyle. Outre la crainte envers les dieux, expri-mée par les personnages comme par le chœur, outre ledécor (le tombeau d’Agamemnon et une statue du dieuHermès dans les Choéphores, le temple d’Apollon àDelphes et la statue d’Athéna sur l’Acropole d’Athènesdans les Euménides), des dieux en personne apparaissentsur scène et prennent une part essentielle à l’action. Toutel’intrigue des Choéphores est initialement déclenchée parl’ordre donné par Apollon à Oreste de venger son père entuant sa mère. De la même façon, c’est encore Apollon quienvoie Oreste à Delphes, puis à Athènes, où sa course trou-vera enfin son terme dans les Euménides.

Quant à la dimension civique de l’Orestie, elle trouveson expression la plus aboutie dans la dernière pièce dela trilogie. On l’a vu : non seulement Eschyle offre à sesconcitoyens une justification mythique à l’alliance qu’ilsont conclue, quelques années auparavant, avec Argos ;non seulement il donne ses lettres de noblesse à unevieille institution athénienne, l’Aréopage, dont le prestigeavait pu se trouver affaibli par des réformes récentes quien limitaient les pouvoirs ; mais, comme on l’a vuplus haut, on trouve aussi dans la deuxième partie desEuménides un éloge insistant du bon gouvernant et de lacité en paix 1. Eschyle ne défend probablement pasouvertement une politique, ni un homme politique. Maisil veut transmettre un message à ses concitoyens : tantqu’ils respecteront la justice des dieux, leur cité connaîtrala prospérité et le bonheur.

STRUCTURE DE LA TRAGÉDIE GRECQUE

Aristote a théorisé, dans la Poétique, les différentesparties de la tragédie antique, aussi bien celles qui serencontrent dans toutes les tragédies que celles qui

1. Voir supra, p. VI-VII.

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XII L e s C h o é p h o r e s . L e s E u m é n i d e s

n’apparaissent que selon l’inspiration du dramaturge.Cette structure était très codifiée et chaque auteur quiprésentait un ensemble de pièces au concours dramatiquedevait s’y conformer :

Pour ce qui est de la qualité des formes que doiventemployer les parties de la tragédie, nous en avons parlé précé-demment. Maintenant, en ce qui concerne leur quantité etleurs divisions spéciales, on distingue les suivantes : le pro-logue (prologos), l’épisode (epeisodion), le dénouement (exo-dos), la partie chorique et, dans cette partie, l’entrée (parodos)et le chant statique (stasimon). Ces éléments sont communs àtoutes les tragédies. Les éléments particuliers sont ceux quidépendent de la scène et les lamentations (kommos).

Le prologue est une partie complète en elle-même de la tra-gédie, qui se place avant l’entrée du chœur. L’épisode est unepartie complète en elle-même de la tragédie, placée entre leschants complets du chœur. Le dénouement est une partie com-plète en elle-même après laquelle il n’y a plus de chant duchœur. Dans la partie chorique, l’entrée (parodos) est ce qui estdit en premier par le chœur entier, et le stasimon, le chant duchœur, exécuté sans anapeste et sans trochée 1. Le kommos estune lamentation commune au chœur et aux acteurs en scène 2.

Une tragédie antique repose ainsi sur deux éléments : lechœur et les acteurs, répartis en deux espaces bien distinctset permettant une alternance entre parties chantées et dan-sées d’une part, et parties parlées d’autre part. Le chœurest composé, en règle générale, d’une quinzaine de chan-teurs et danseurs, les choreutes, et son évolution chorégra-phique dans l’orchestra au cours de la pièce en déterminele rythme. Après un prologue, récité par un acteur, et quibrosse le tableau de la situation au moment où la piècecommence, le chœur fait son apparition dans l’orchestra,en entrant de part et d’autre de la scène : c’est ce qu’onappelle la parodos, qui est un moment essentiel dans unetragédie. Les danses et les chants du chœur donnent eneffet l’atmosphère de la pièce et orientent l’attente des

1. Anapeste et trochée, dans la poésie grecque, sont des types depieds formant les vers ; ils ne sont pas utilisés dans le stasimon.

2. Aristote, Poétique, 1452b14-25 ; traduction Émile Ruelle modifiée.

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P r é s e n t a t i o n XIII

spectateurs. Ainsi, dans les Choéphores, le chœur, composéde captives du palais d’Agamemnon, contribue à créer, parl’expression de sa compassion pour Électre, cette atmo-sphère faite de deuil et d’espoir en la venue d’un vengeur.Quant au chœur des Érinyes dans les Euménides, onreviendra plus loin sur l’effet qu’il devait produire sur lespectateur, essentiel pour créer l’effroi qui sous-tendl’ensemble de la pièce. Après l’entrée du chœur se suc-cèdent parties parlées et dialoguées, d’une part, et partieschantées et dansées, d’autre part : ces dernières se nom-ment les stasima 1. Parfois, un des personnages peut dialo-guer avec le chœur, ou avec le coryphée – c’est-à-dire l’undes choreutes qui prend la parole au nom du chœur. Cechant dialogué est appelé kommos, et intervient toujoursà un moment de grande tension. Dans les Choéphores, unkommos succède ainsi à la scène de reconnaissance entre lefrère et la sœur, qui entonnent avec le chœur un chantmêlant joie des retrouvailles, deuil des meurtres passés etappel à la vengeance (v. 306-475) 2.

TRAGIQUE ET FATALITÉ

Aristote définit la tragédie comme « l’imitation d’uneaction grave et complète, ayant une certaine étendue, pré-sentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte

1. On reprend, pour désigner ces passages, le terme grec stasimon,en gardant la forme de pluriel que ce mot a en grec : stasima.

2. On trouvera ainsi, dans les deux pièces qui suivent, au début dechaque partie, une indication facilitant le repérage : « prologue », « épi-sode », « stasimon », etc. Outre ces termes dont le sens est éclairé ici,d’autres indications apparaissent en marge des parties chorales. Lesparties chantées obéissent en effet à des règles de composition métriquetrès précises, et assez complexes, correspondant aux différents mouve-ments du chœur dans l’orchestra. La « strophe » et l’« antistrophe »désignent des passages chantés par le chœur se déplaçant vers la droite,puis vers la gauche ; l’« épode » et la « mésode », intermèdes entre lastrophe et l’antistrophe, étaient chantées par le chœur se tenant deboutet immobile ; l’« éphymnion » est une sorte de refrain chanté à la find’une strophe ou d’une antistrophe ; enfin, l’« épirrhème » fait alternerparties chantées par le chœur et tirades dites par un acteur.

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XIV L e s C h o é p h o r e s . L e s E u m é n i d e s

que chacune des parties qui la composent subsiste sépa-rément, se développant avec des personnages quiagissent, et non au moyen d’une narration, et opérantpar la pitié et la terreur la purgation des passions de lamême nature 1 ». Ainsi, l’essence de la tragédie grecquerepose sur le choix d’un sujet et d’un registre de langueappropriés, et sur le développement d’une action suscep-tible de frapper le spectateur, de lui faire éprouver dessentiments qui puissent le « purger » de ses passions :c’est ce qu’on nomme la catharsis.

Cette définition célèbre s’applique parfaitement à la tri-logie de l’Orestie. Eschyle a en effet choisi, au sein d’unmythe complexe aux ramifications nombreuses 2, un fait àla fois simple et « grave » : le meurtre d’Agamemnon parson épouse Clytemnestre. Il a concentré son intrigue surcet événement fondateur et en a déroulé les conséquences,de scène en scène, pour l’ensemble des personnages.

Cette maîtrise de l’art dramatique est sans doute cequi fait des tragédies d’Eschyle des tragédies exemplaires,où le destin s’accomplit, inexorablement, jusqu’à la der-nière scène. Non que les hommes n’aient plus qu’à sesoumettre sans réagir au destin – Jacqueline de Romillya bien montré, dans son étude consacrée à la tragédiegrecque, que les héros de ces tragédies, acteurs conscientsou non de l’accomplissement du destin, avaient des moti-vations propres et exerçaient leur liberté d’hommes : « Lafatalité grecque n’efface pas la responsabilité humaine »,écrit-elle en prenant précisément pour exemple le meurtred’Agamemnon par Clytemnestre 3. Bien sûr, cette der-nière accomplit la fatalité de la famille des Atrides : ilfallait qu’Agamemnon fût puni pour les crimes de sonpère 4 ; mais elle a aussi ses propres motifs de vengeance,qui n’ont plus rien à voir avec la malédiction des Atrides.En somme, dans la tragédie, chaque acte, tout en étant

1. Aristote, Poétique 1449b24-28 ; traduction Émile Ruelle.2. L’ensemble du mythe des Pélopides et des Atrides est présenté

dans le Dossier, infra, p. 109 sq.3. Jacqueline de Romilly, La Tragédie grecque, op. cit., p. 172.4. Voir Dossier, infra, p. 111 sq.

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N° d’édition : .01EHPN000 6.N001Dépôt légal : mai 2011

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