Les Chasseurs Noirs
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Université Paris IV – Sorbonne
UFR d’Histoire
Histoire de la Shoah
Nouvelles perspectives pour l’histoire du génocide juif
Fiche de lecture
Christian Ingrao
LES CHASSEURS NOIRS La brigade Dirlewanger
Paris, Perrin, 2006
Stanko JOSIMOV
Janvier 2009
Christian Ingrao a soutenu sa thèse intitulée « Les intellectuels SS du SD 1900-1945 », à
l’université d’Amiens. Il est Directeur de l’IHTP , chargé de recherche au CNRS. Il est
Boursier Post-doctoral du Hamburger Institut für Sozialforschung projet : « Vers une histoire
culturelle de la violence nazie. Le cas de la politique de lutte contre les partisans. Fronts de
l’Est (Pologne, URSS, Balkans) 1939-1945 ». Il est auteur et co-auteur de nombreux articles
et recensions. Il est également co-directeur des ouvrages dirigés et des publications de
colloques.
I. Introduction
A l’instar de la célèbre monographie de Cristopher Brolwning sur le 101e bataillon de
police en Pologne, Christian Ingrao reprend dans son livre ce genre particulier : la
monographie d’unité. Son ouvrage propose de soumettre ce genre prometteur à une
interrogation nouvelle en étudiant le Sondereinheit Dirlewanger, une unité spéciale de la SS,
formée en 1940 par Oskar Dirlewanger à partir de certaines catégories de détenus :
braconniers, criminels de toutes sortes, prisonniers politiques.
L’unité a déjà fait l’objet de plusieurs recherches. French Mac Lean, militaire et
historien, a le mérite d’avoir effectué des recherches archivistiques, mais son ouvrage The
Cruel Hunters, ne nous renseigne point sur la vie quotidienne et des relations au sein de
l’unité, rien sur l’expérience individuelle et collective de la violence.1
Or, les historiens s’interrogent de plus en plus justement sur ce que représentait, pour
les acteurs des conflits, l’expérience de guerre. On assiste à l’émergence d’une analyse en
termes de « culture de guerre » : ce concept saisi à la fois l’expérience, son vécu et le discours
sur elle. Cette histoire fait surgir les peurs, les haines et les traumas, mais aussi les
phénomènes d’accoutumance, de banalisation et la jouissance. Ce mode de construction
profite des outils développés par l’anthropologie sociale française des années 1980-1990, en
ce qui concerne la description et l’analyse de gestuelles de violence qui constituent le noyau
dur du phénomène du guerrier. Les historiens ont ainsi découvert que la guerre avait
intimement partie liée à la chasse et que la figure de l’ennemi se construisait sur les
phénomènes de l’animalisation.
Christian Ingrao oriente ses recherches sur ces concepts. Dans cette perspective, la
Sondereinheit Dirlewanger constitue pour Ingrao un observatoire idéal de ce qui devait, dans
la lutte contre les partisans sur les fronts de l’Est, à l’imaginaire de la chasse et à
l’animalisation de l’ennemi. Le noyau initial de l’unité était constitué des braconniers, des
chasseurs. L’unité a été fondée pour des missions spéciales : d’abord, entre 1940 et 1942, les
hommes de l’unité prenaient en charge la garde des camps destinés aux Juifs, enfermés,
marqués par les étoiles jaunes, et contraints au travail forcé, ravalés au rang des bêtes de
1 French L. MacLean: The Cruel Hunters. SS-Sonder-Kommando Dirlewanger, Hitler's Most Notorious Anti-Partisan Unit. Schiffer, Atglen 1998
somme. Ensuite, dans les forêts de Biélorussie, ils participaient dans les grandes opérations de
ratissage et de lutte contre les partisans.
Ainsi, les Dirlewanger étaient confrontés avec deux situations dans lesquelles
opéraient deux modes de symbolisation et d’interprétation de l’image de l’ennemi et de
l’activité guerrière. Pasteurs en Galicie et chasseurs en Biélorussie, l’unité représente un
observatoire idéal pour comparer les comportements et les pratiques de la violence de ces
hommes dans deux rôles différents.
Ainsi, sur l’exemple de l’unité spéciale Dirlewanger, Christian Ingrao propose de
tester la cohérence d’un modèle interprétatif qui, pour être validé, doit relever chez les
hommes de l’unité deux types de comportements différents dans les deux situations décrites,
et en rend compte de manière convaincante.
Ingrao essaye également de découvrir dans son analyse le motif principal qui pousse
les hommes de l’unité à de nombreuses atrocités qu’ils ont commises, d’expliquer les raisons
de leur participation dans la guerre. Est-ce qu’il s’agit du consentement ou de la contrainte ?
Intériorisation d’une culture donnant le sens au conflit, ou un dispositif de contrainte
obligeant les hommes à se battre contre leur gré ? Encore, le modèle de l’unité est idéal : tous
ses membres étaient, avant leur incorporation, des détenues de camps de concentration ou en
prison, ce qui ne leur laissait guère le choix. La présence plus tardive des détenus politiques,
ces « antifascistes en uniformes SS », renforce encore l’intérêt de l’interrogation, mettant en
question la hypothèse de la contrainte.
II. L’histoire d’une brigade
Dans ce premier de sept chapitres, Ingrao retrace l’histoire de l’unité Dirlewanger, dès
sa constitution en 1940, jusqu’à la dissolution de l’unité lors des derniers jours de l’agonie de
l’empire nazi en juin 1945. Trois grandes périodes se distinguent : d’abord les taches de
surveillance dans le district de Lublin de septembre 1940 à la fin de janvier 1942, puis la lutte
contre les partisans dans les forêts de Biélorussie et les opérations de ratissage de février 1942
à juillet 1944, et enfin les interventions de l’unité dans la suppression des soulèvements divers
dans la dernière année de guerre en Pologne, à Varsovie, en Slovaquie, en Hongrie et en
Lusace en mai 1945, dans la bataille décisive pour la défense du sanctuaire national.
La brigade Dirlewanger est née début septembre 1940, lorsque Oskar Dirlewnager
sélectionne, après une formation sélective des rudiments militaires effectuée pendant deux
mois, cinquante-cinq de quatre-vingt ex-prisonniers allemands, condamnés pour les délits
cynégétique, transférés de toute l’Allemagne et rassemblés pour leur sélection à Oranienburg.
Ils sont envoyés, accompagnés de leur chef, dans le district de Lublin et placés sous le
commandement du SS und Polizeiführer Odilo Globocnik. Ils y sont rejoints par une
vingtaine de nouvelles recrues quatre sous-officiers Waffen SS, choisis pour leur expérience
mais surtout pour une passé disciplinaire nécessitant une « mise à l’épreuve ». Cette pratique
deviendra désormais récurrente.
Le district de Lublin avait un statut particulier : une fonction défensive capitale à cause
de son position frontalière avec la zone d’influence soviétique, le rôle d’une grande réserve
destinée à accueillir tous les Juifs d’Allemagne et d’Europe occupée mais aussi des objectifs
très ambitieux étaient fixés à lui par son administrateur Globocnik en termes de mobilisation
économique et politique de germanisation.
Les premières missions de l’unité, dont on ne sait pas grande chose, sont consacrées à
la sécurisation du territoire. Parmi elles, la protection des gardes forestiers polonais le long de
la frontière. Si on ne peut pas dire avec certitude que l’unité était engagée à cette époque dans
les luttes contre les résistants polonais, le fait que l’unité n’a subi aucune perte ne nous
indique que ce n’était en tout ca son activité principale. En revanche, les hommes évoquent
les taches de surveillance plus banales : contrôle des populations civiles, lutte contre le
marché noir, les rapports montre la régularité du butin saisi (argent, biens de consommation,
objets de valeur). Une autre tache constituait la surveillance des travaux de construction
entrepris par les bureaux de Globocnik.
Le séjour de l’unité dans la région a été aussi marqué par des problèmes avec les
organes de la police : multiples infractions, désordres de toutes sortes, accusations de
l’extorsion et d’escroquerie. Sa réputation lui a valu l’éloignement de la région. A la fin de
janvier 1942 l’ordre arrive de partir pour la Biélorussie où l’unité va être placée sous le
commandement de l’état-major opérationnel de Himmler et provisoirement attachée aux
brigades de cavalerie de SS. Elle allait enfin être employée à ce quoi elle était destinée : « la
lutte contre les partisans ».
A partir du début de 1942, les Soviétiques commence une campagne d’organisation et
de coordination des troupes russes, réfugiées dans les forets devant l’avance allemande de
l’été 1941. Les forces conjuguées du commandement militaire, de la SS et de la police
changent leur stratégie devant l’augmentation de l’activité des partisans : de « lutte passive »
(contrôle des routes et la poursuite des groupes errants) elles passent aux grandes opérations
de ratissage. Durant les trente mois qu’elle passe en Biélorussie, l’unité participera à vingt-
sept grandes opérations de ratissage et à « petites opérations » dans les environs de son
cantonnement, d’abord dans les environs de Moguilev puis, à partir de 1943, sur la même
route, dans le village de Lahoisk, à quelque dizaine de kilomètres au nord de Minsk.
Les résultats convaincants des premiers engagements de l’unité en mars 1942 résultent
par les démarches de Dirlewnager visant à renforcer ses effectives. Des services de von dem
Bach-Zelewsky de l’état-major du HSSPF pour la Russie centrale réclament auprès de
Himmler que les effectives soit portés à deux-cent-cinquante hommes. Il demande aussi les
renforcements au niveau de l’armement et du matériel. La demande restera sans réponse. Elle
marque cependant le point de départ des démarches de Dirlewanger qu’il menait
parallèlement à une intense activité de ratissage.
L’unité essuie ses premières pertes en mai 1942 : trois hommes sont tués sur la route
de Moguilev alors qu’ils partaient en permission. Pendant les premiers mois de leur activité,
les hommes de l’unité opéraient principalement dans le triangle Moguilev – Bobrouïsk –
Berezino, mais aussi dans les environs d’Orcha et le long de la voie ferrée Moguilev – Minsk.
Dirlewanger a été blessé le 9 juillet par une balle qui lui a traversé l’épaule. En juillet et en
août, l’unité participe au sein de formations de combat importantes, dans le secteur situé au
nord de la ligne de chemin de fer. L’opération, nommée « Adler », a été un succès : 1381 tués
du côté des partisans pour 27 morts et disparus et 64 blessées du côté des forces allemandes.
Dans une semaine, c’est le nouvel engagement, l’opération « Grief » dans la région entre
Orcha et Vitebsk. La participation de l’unité s’insère désormais dans une politique à grande
échelle, systématique et centralisée.
Ses premiers succès sont exploités par Dirlewanger : il multiplie ses demandes
d’augmentation des effectives. Elles sont suivies et appuyés de rapports élogieux des officiers
environnant l’unité, comme celui de Hauptsturmführer Meyer-Mahrndorff qui la commande
en août, suite à la blessure de Dirlewanger. De l’autre côté, ces rapports ont aussi pour la
fonction d’influence les enquêtes menées contre l’unité depuis Lublin. Ses démarches
resteront cependant sans suite.
Enfin, en septembre 1942, l’unité est renforcée par un contingent de cent-quinze
braconniers. Déjà, dès le début de l’été 1942, l’unité a connu des profonds changements par la
mise sur pied de trois compagnies auxiliaires russes. Les cent-quinze hommes seront
incorporés dans la compagnie allemande, pendant que les Russes seront toujours rassemblés
et trois compagnies de 150 hommes chacune. Ainsi, en quelques mois, l’unité passe de quatre-
vingt à sept-cent-cinquante hommes, répandis en quatre compagnies, soutenues par une
quarantaine de motocyclistes et par une unité d’artillerie de quarante hommes. Le bataillon
Dirlewanger conserva ces effectives jusqu’à l’été 1943.
Les opérations de ratissage se succèdent : « Regatta », « Karlsbad », « Franz »,
« Erntefest 1 et 2 », « Hornung », « Zauberflötte », « Draufgänger 1 et 2 », « Cottbus », et
« Günter ». Onze opérations en une année d’une durée de trois semaines en moyenne. C’est le
point culminant de la campagne menée par les autorités nazies contre les communautés
paysannes de Biélorussie mais aussi contre les communautés juives. De nombreuses
opérations s’achèvent en effet par la liquidation des ghettos : Slutsk, Boranowitsche, Lida.2 Le
24 octobre 1943, von dem Bach se voit libéré à sa demande de ses fonctions de chef suprême
de HSSPF, confiées désormais à Gerret Korsemann.
Biélorussie reste le théâtre principal de la lutte contre les partisans. Ils mènent parfois
des véritables combats organisés. Pourtant, seulement quinze pourcents des victimes du côté
des Russes sont véritablement les membres des formations armées de résistances. Cela
explique la disproportion des tués dans les rapports : du côté allemand, entre six et dix tués
2 Participation dans la liquidation du ghetto de Lida n’est pas attestée dans les sources pour cette période.
pour une seule armée récupérée et confisquée. Il s’agit en vérité, au premier lieu d’une guerre
menée contre les paysans russes et les Juifs. En hiver 1942-1943 par exemple, d’après le butin
en denrées alimentaires amassé par les unités dans les comptes rendus des opérations, la lutte
contre les partisans se transforme en actes meurtrières de prédation contre la paysannerie
locale. Les bilans des opérations masquent sous le terme des « évacués » les déportés pour le
travail dans le Reich, et sous l’expression « suspects exécutés » les femmes, enfants et
vieillards inaptes au travail et les fuyards fusillés en forêt. C’est une campagne génocidaire
sous couvert de lutte contre les partisans.
A partir du début 1943 une nouvelle stratégie voit le jour : il s’agit de créer les « zones
mortes », territoires vidés de leur population, déportés dans les usines du Reich ou au camp de
travail d’Auschwitz. Les biens agricoles et le bétail recensés, la population inapte au travail
elle aussi expulsée de la région visée ou massacrée. Ainsi, on privait les partisans d’un
environnement propice au ravitaillement, à l’appui logistique et au renseignement. Le
bataillon Dirlewanger participe au sein du groupe Gottberg, portant le nom du Gruppenführer
von Gottberg, SSPF pour Minsk, coordinateur des opérations de ratissage et de confiscation
des produits agricoles. Dans sa proposition de médaille pour Dirlewanger, Gottberg établit le
bilan : 15 000 personnes tuées en quinze mois d’opération pour 92 tués ou disparus. Dans son
rapport, Gottberg ne fait aucune distinction entre les vrais combattants tués et les paysans
russes et Juifs massacrés lors des actions de représailles.
Ces opérations, et notamment l’opération « Cottbus », qui constitue le sommet de la
violence extrême contre les civils et les Juifs, entrainera les protestations des autorités civiles
de la région contre cette politique de la terre brûlée menée par Gottberg et von dem Bach. Les
rapports envoyées par les administrateurs locaux au plus haut niveau de la hiérarchie nazie
souline aussi un rôle de Dirlewanger « lourd de conséquence ».3 Selon le rapport, Dirlewanger
mène une guerre « sans pitié contre une population désarmée » en refusant « consciemment de
prendre en considération toutes les nécessités politiques ». Mais le bataille entre deux piliers
du pouvoir nazi, forces de sécurité SS et l’administration civile, entre Rosenberg, largement
discrédité, et Himmler, au faîte de sa puissance, finit par la victoire complète de la stratégie de
la terre brûlée de Himmler et von dem Bach.
A partir de juillet 1943, sous les ordres de Himmler, commence l’arrivée des nouvelles
recrues dans l’unité. Il s’agit cette fois des criminels d’autres origines, d’âge très divers, nés
entre 1893 et 1921, internés comme « criminels professionnels » (cambriolages, voles à tire,
3 Rapport du 15/10/1943 à Rosenberg, le ministre des Territoires occupés, signé Gentz.
extorsions de fonds, meurtres) ou comme « asociaux » : petits délinquants et personnes
considérées marginales (chômeurs, mendiants) ou ceux décrits comme « intellectuellement
inférieurs ». Sur 321 personnes arrivées au alentour du 7 juillet 1943, 294 venaient de
Dachau, Buchenwald, Mauthausen, Sachsenhausen. Les nouveaux arrivés étaient intégrés
dans deux nouvelles compagnies allemandes, le bataillon spécial Sonderbataillon devenant le
régiment spécial, Sonderregiment.
La situation dans l’unité change au début d’août 1943. Lors d’opération « Hermann »
dans la première semaine du mois, l’unité rapporte les pertes plus importantes que dans les
mois précédents. D’un côté la raison est l’arrivée des hommes sans aucune expérience de
combat, de l’autre, le fait que les partisans étaient désormais mieux organisés et mieux
équipés. En novembre 1943, l’unité participe aux combats lors de l’action « Heinrich » au
moment où l’Armée rouge pratique une perce dans le secteur, obligeant le régiment à
combattre comme les troupes de ligne. Jusqu’en janvier 1944, les rapports journaliers donnent
le même état de choses. D’autres activité de l’unité témoignent de cette guerre de position : la
pose quotidienne de mines, les travaux de terrassement et de fortification, creuse des tranches,
etc. En décembre 1942, l’unité a changé d’affectation, elle s’installe à Usda, à une
cinquantaine kilomètres au sud de Minsk. Le régiment a participé à l’opération
« Frühlingsfest », où elle ne représentait qu’une de nombreuses unités engagées. Il s’agissait
d’une opération marquée par ampleur des moyens engagés dans un secteur relativement
restreint, signe évident du changement des conditions tactiques. L’unité était engagée en
taches qui constituaient son quotidien : mission de reconnaissance, convois de ravitaillement
et actions de ratissages.
La dernière action de ratissage à laquelle a participé l’unité a été l’opération
« Cormoran » du 25 mai au 17 juin 1944. Dans la nuit du 19 juin, les partisans font paralyser
les lignes de communications, le 20 juin les Russes ont bombardé les lignes allemandes et le
22 juin a commencé la grande offensive russe. L’unité Dirlewanger a quitté la Biélorussie en
se battant en retraite. Pendant cinquante-trois mois passés en région, l’unité a tué près de
30 000 personnes et incendié plusieurs dizaines de villages.
Avant la retraite de l’unité de Biélorussie, elle comptait en tout quelque 2150
hommes : 250 braconniers du noyau original, 1200 détenues criminels incorporés depuis l’été
1943, 200 SS mutés pour des raisons disciplinaires et les 500 auxiliaires russes incorporés
depuis l’été 1942.
Réorganisée et transformée en brigade, le Sturmbrigade Dirlewanger est arrivé au
début du mois de juillet 1944 en Pologne. Elle a pris ses quartiers à Lomza, une centaine
kilomètres à l’ouest de Bialystok et à cent-cinquante kilomètres au nord de Varsovie.
L’irrésistible offensive soviétique encercle ce qui restait du groupe d’armées Centre et avance
vers la capitale polonaise. Le 1er août au matin, l’Arma Krayowa a donné le signal de révolte,
pensant précéder les Russes, et éviter que la ville soit libérée par leurs forces. Les insurgés ont
réussi à prendre par surprise de nombreux quartiers centraux. La brigade Dirlewanger a été
envoyée à Varsovie le 4 août pour écraser le soulèvement. Elle y restera plus de trois mois.
Dans les premiers jours de l’engagement l’unité participera dans les combats intenses. La
brigade s’est distinguée à la fois par sa violence extrême et par des pertes élevées. De ses 881
hommes en état de combattre, à la fin de son intervention l’unité disposait que de 648. Elle a
portant reçu des renforts, 1650 hommes venus de divers centres de détention de l’armée et
200 criminels issus des camps de concentration. L’unité a don perdu au moins 2083 hommes
lors de l’intervention. Les pertes dans la population étaient bien plus importantes : 200 000
morts. Du 5 août à la fin du septembre, l’unité a mis à mort quelque 30 000 civils, partisans de
l’Arma Krayowa, mais aussi hommes, femmes et enfants. Le 18 octobre, la brigade est
acheminée en Slovaquie pour combattre une nouvelle insurrection.
Les Chasseurs noirs à Varsovie en août 1944
Le 29 août, l’armée slovaque et les maquis fondés par des communistes ont déclenché
la résurrection tournée contre le gouvernement pro allemand de Mgr Tiso et aussi dans le but
d’anticiper l’arrivée des Russes. Les forces allemandes, l’Einsatzgruppe H et des formations
armées de la 14e division de grenadiers SS, sont parties du sud du pays, de Bratislava, vers la
région de Banska Bystrica où était le cœur de la résurrection. La brigade Dirlewanger, elle
attaque par le Nord. C’est dans la phase terminale qu’elle est intervenue. Neuf jours après leur
arrivée les forces venues du Sud ont repris la ville. La brigade a subi les pertes peu
nombreuses et n’avait pas là un rôle important : son secteur n’a pas été mentionné comme
important dans les rapports de l’Einsatzgruppe H. En revanche elle y est mentionnée pour sa
brutalité envers la population civile.
Les combattans de l’Arma Krayowa à Varsovie, 1944
Après les pertes importantes dans le soulèvement de Varsovie, Dirlewanger a réussi à
obtenir de nouvelles recrues, les militaires et les SS détenus pour raisons disciplinaires. A la
mi-octobre, l’unité comptait ainsi entre 4 000 et 4 500 hommes, dont 800 maximum issus du
noyau originel et les détenus des camps de concentration. Mais une nouvelle vague de
recrutement va changer les relations au sein de la brigade. Les nouveaux recrutes, qui
viendront rejoindre progressivement la brigade à partir du 15 novembre, étaient des anciens
détenus politiques du régime nazi, incarcérés dans les camps de concentration. Ses hommes
étaient des communistes et des socialistes pour la plupart, qui sont jugés maintenant changé
intérieurement, volontaires à se prouver en participant au combat du Reich. Les nouveaux
arrivés formeront plusieurs compagnies dans le deuxième et le 3e bataillon du 2e régiment. La
brigade comptait 6 500 hommes.
En décembre, l’unité participera aux combats sur le front hongrois comme soutien des
troupes du groupe Sud en train de défendre Budapest et étaient menacées de l’encerclement.
Ce secteur du front est d’une importance capitale. Pourtant les Russes ont pris la ville suite à
une erreur tactique capitale de la part de Dirlewanger. Une compagnie entière du 2e régiment
de la brigade, composé des détenus politiques, a été passée à l’ennemi.
La brigade est rapatriée d’urgence par Himmler au moment où le territoire même du
Reich est menacé par l’invasion soviétique. Elle s’installe dans les environs de Gruben dans la
deuxième semaine de février 1945. Le 16 février, la brigade a reçu un nouveau commandant,
le Brigadeführer Schmedes, Dirlewanger étant tombé malade. L’une de ses blessures s’est
infectée. Il est partie se soigner en Souabe et ne reviendra jamais en Lusace, le lieu du
cantonnement de l’unité. La brigade est séparée en deux : l’un des ses régiments est confié au
groupe « Vistule » et le 9e armée et l’autre est passé sous le commandement du groupe
« Mitte » et a été affecté à la 4e armée blindée.
L’insigne de la 36e division de grenadiers de la SS
Le 19 février, par l’ordre de Himmler, l’unité est devenue la 36e division de grenadiers
SS. Elle est tout de suite démantelée et ses éléments confiés à divers corps de troupe. Dans
cette guerre inégalée entre deux millions d’Allemand face à 6 millions de Russes, les
pratiques de combat de la division ne diffèrent pas des autres corps de troupe. Le 16 avril
1945 c’est la grande attaque. Les unités allemandes sont submergées et la 9e armée et la 4e
armée blindée encerclées dans la région de Halbe. Le 25 avril, de 6 000 hommes de la
division, seuls 36 hommes du 2e régiment étaient en état de combattre, il ne restait rien du 1er
régiment et les unités de l’artillerie et du génie étaient portées disparues dans leur ensemble…
Après la guerre, 634 retours depuis les camps de prisonniers soviétiques ont été recensés.
C’était la fin de l’existence de la 36e division de grenadiers de la SS, responsable de plus de
60 000 personnes pour la plupart des civils.
II. Le cas Dirlewanger
Qui était Oskar Dirlewanger ? Ingrao nous livre un portrait saisissant de ce meneur
d’hommes charismatique : tout à la fois un homme de guerre, un militant et un marginal,
Dirlewanger était le produit d’une société et d’une époque, révélateur de mécanismes sociaux
et culturels qui pesaient lourd dans le destin de l’Allemagne.
Oskar Dirlewanger en 1944
Oskar Dirlewanger est né le 26 septembre 1895 et mort le 7 juin 1945. La moitié de sa
vie d’adulte Dirlewanger passera au combat, dans les deux grands conflits mondiaux. Il
combattra dans la Grande guerre après son service militaire en 1913. Il a servi au sein d’une
compagnie de mitrailleurs. Après avoir été blessé deux fois, au pied et au bras, en 1914 et en
1915, Dirlewanger sera détaché en septembre 1916 à l’état-major de la 7e division de défense
de Würtenberg où il était affecté comme instructeur dans le cadre des cours de mitrailleuse. Il
a été promu au rang de sous-officier. Il se porte volontaire pour les premières lignes : promus
au grade de lieutenant, il a reçu la 2e compagnie du 121e bataillon d’infanterie sous son
commandement, uniquement composée d’équipes de mitrailleurs. Avec son unité, il servira
jusqu’en novembre 1918 au sud du front de l’Est. Cette expérience de guerre de mouvement
était fondatrice : première confrontation avec des populations inconnues et un espace figuré
comme infini. Après que la révolution éclate, Dirlewanger a conduit 600 hommes dans leur
patrie leur évitant ainsi l’internement que tant de formations ont connu. Le combat a exercé
sur lui une fascination capitale, au point de ne pouvoir accepter d’en être tenu éloigné par une
blessure invalidante.
Son parcours après la démobilisation décrit parfaitement les difficultés de l’Allemagne
à revenir à la stabilité. Dirlwanger appartiendra aux corps francs, d’abord en combattant les
grèves générales insurrectionnelles communistes dans le Württemberg, ensuite en participant
aux actions conte les formations communistes dans la Ruhr en 1920, puis en Saxe et en
Thuringe en 1921. Il sera blessé, pour la quatrième fois, à la tête en mars 1921 lors des
combats dans la petite ville de Sangerhausen contre les formations armées dirigées par Max
Hoelz. Certaines des actions accomplies par Dirlewanger étaient considérées par le régime
comme illégales, et, par deux fois, en 1920 et 1921 il a été condamné à de courtes peines de
prison. Il a été condamné aussi quelques semaines après l’épisode de Sangerhausen : après
deux semaines passées en prison il s’est engagé à nouveau dans un corps franc et est partie
combattre en Haute-Silésie. La dernière action de ce type à laquelle il a participé, a été une
infructueuse tentative de soutenir le putsch du NSDAP à Munich en 1923, en y envoyant les
blindés des formations de police de Stuttgart. Pendant une période de douze années qui
suivait, la guerre allait s’éloigner de son horizon. En 1936, elle l’a envahi à nouveau, et
Dirlewanger s’est engagé dans la légion Condor en Espagne. Ensuite, son destin sera
étroitement lié à l’unité qu’il a fondée et qui portait son nom, dont le commandant il restera
pratiquement jusqu’à la fin.
Dès sa mobilisation, toute en continuant à se battre, Dirlewanger s’est inscrit à
l’Université de Mannheim. Les associations étudiantes ont connu de profonds
bouleversements. Elles sont toutes désormais mises en prises avec les problèmes qui agitaient
l’Allemagne du temps des troubles et qui dépassaient le cadre de l’Université. Les principales
organisations étudiantes se sont orientées vers un ethno-nationalisme révolutionnaire élitiste
sous l’action d’organisations étudiantes radicales. Les völkische radicaux posaient les
questions de choix des membres : « ascendance allemande » a été demandée comme le
principal critère et la question du devenir des membres juifs se posaient aussi. La ligne
völkische était soutenue par la grande majorité des participants des congrès étudiants.
En 1919 donc, Oskar Dirlewanger commence ses études interrompues par ses périodes
de service au sein des formations armées du Wüttemberg. Il s’est distingué très tôt pour ses
convictions völkische. L’univers dont il fait partie est marqué par le sentiment que le monde
d’ennemis qui avait combattu l’Allemagne pendant quatre ans continuait à agir sous les
masques d’activistes communistes ou dans la figure de Juifs, qui on croyait principaux
responsables dans les troubles révolutionnaires qui avaient forcé l’Allemagne à signer une
paix infamante. Dirlewanger a quitté l’Université de Mannheim pour Francfort, a étudié en
tout six semestres l’économie et le droit, et a terminé son cursus par un doctorat en « sciences
politiques ». Pendant ses études il a exercé le métier de comptable et il a occupé un certain
nombre de postes à responsabilité dans diverses entreprises.
Oskar Dirlewanger est devenue membre du NSDAP en 1923 mais son engagement a
connu un ralentissement après l’échec du putsch d’Hitler. Il y adhéra à nouveau en 1926
lorsque l’existence du parti redevenait légale. Après 1926, Dirlewanger participera à la marge
de l’activisme à visée électorale qui a succédé à la période avant 1923. De 1928 à 1931 a
renoncé à son appartenance au parti nazi pour des raisons curieuses : il était directeur exécutif
d’une fabrique de textile détenue par une famille juive d’Erfurt. Il détournait les fonds de cette
entreprise au profit de la SA. Il est entrée de nouveau dans la SA et le NSDAP en 1932 : le
partie est entretemps devenu un des trois grands partis d’Allemagne. Sa militance au sein de
la SA était une appartenance combattante, en droite ligne issue de l’imaginaire guerrier. Son
parcours a été rapide : une année de service en tant que simple homme de troupe, puis il a été
très rapidement promu au grade de Truppführer. Il lui a été confié le commandement d’une
Sturmbann. Dans quelques mois il a été promu Obertruppenführer, puis Sturmführer, son
commandement de Sturmbann étant confirmé. Il participera notamment à l’assaut de la
Maison des syndicats d’Esslingen avec sa Sturmbann. Il a été de nouveau blessé et condamné
pour trouble de la paix civile, sa dernière condamnation pour les raisons politiques par la
justice de Weimar.
Toute sa vie, Dirlewanger se retrouvait en délicatesse ponctuelle avec les autorités. Sa
marginalité tenait à un comportement conflictuel, à une violence verbale comme physique, à
une sorte d’incapacité à s’adapter à la vie civile. Ses ennuis ont commencé dès le retour de la
guerre. En 1921, il a été menacé d’un conseil de discipline de l’Université de Mannheim pour
« agitation antisémite avérée ». C’était plutôt la forme que le fond, l’antisémitisme, qui
inquiétait les instances universitaires. Puis deux condamnations pour des raisons politiques. Il
a été ensuite condamné pour trouble de la paix publique, en raison de son activisme SA. Mais
jusqu’à 1933-1934, les dignitaires nazis ne voyaient en lui un marginal. Sa position était entre
délinquance politique et attente aux personnes et aux biens. A partir de 1933 la situation a
changé. Il était à l’époque directeur de l’Agence pour l’emploie de Heilbronn, poste
stratégique pour les responsables locaux du NDSAP et de la SA. A partir de sa nomination,
les plaintes se multipliaient : d’abord l’entreprise juive pour laquelle il a travaillé a porté
plainte pour le détournement des fonds. Ensuite venaient deux plaintes pour des accidents de
voiture. Et enfin, en 1934, il a été inculpé et puis condamné pour avoir eu les relations
sexuelles avec un mineur, une bénévole de Croix-Rouge âgée de moins de 14 ans. Cette fois il
a été exclu des cadres de sociabilité que lui étaient familiers et il a été déchu de son titre de
docteur de l’Université. Ensuite, il s’est trouvé condamné aussi pour les malversations
commises dans l’usine de textile. Il était exclu de la vie partisane et sociale, principalement
pour l’affaire des mœurs. En Pologne, Dirlewanger était continuellement inquiété pour les
malversations nombreuses commises par ses hommes avec son assentiment, ce qui lui a valu
une enquête par la justice SS et les services du HSSPF Globocnik.
Dirlewanger bénéficiait pourtant d’une certaine impunité qui venait de Himmler, et
des certains dignitaires nazis comme Victor Brack ou Gottlob Berger. Décliquant, prisonnier,
accusé de malversations et de crime racial, Dirlewanger profitait toujours de réseaux qui lui
ont permis de s’en sortir de tous ennuis et de faire même une carrière.
C’était la ténacité qui a marqué tout son parcours. En sortant de prison, il a fait
tellement de bruit en demandant la reprise de son jugement qu’il a été mis en détention et il
n’était pas libéré qu’après une interdiction de poursuivre ses démarches. En 1936 il s’est
engage en Espagne, d’abord dans la Légion étrangère espagnole puis dans la légion Condor. Il
en est renvoyé en Allemagne après que son passé judiciaire s’est propagé dans la formation.
Grâce à une intervention de Brack, il a été renvoyé en Espagne où il restera jusqu’à 1939. Une
fois rentrée, il a repris ses démarches et, grâce à sa ténacité, il a obtenue les annulations de ses
condamnations précédentes : le 30 avril 1940 dans l’affaire des mœurs et le 9 septembre pour
l’affaire des fonds. Il a obtenue également à être réintégré dans les rangs des titulaires du
doctorat. Cette ténacité, qui exaspérait certains dignitaires, il en a apporté la preuve à travers
les incessantes demandes pour équiper son unité en Biélorussie mais aussi dans des
nombreuses démêles avec les autorités d’occupation et la police. C’était en partie grâce à elle
que Dirlewanger a réussi à transformer le petit commando de braconniers en une division SS
avec lui en tant que général SS à sa tête.
III. Consentement et contrainte
Oskar Dirlewanger, était-il le chef omnipotent qui avait le droit de vie et de mort sur
les hommes de son unité ? Le troisième partie propose une vision plus nuancée des relations
sociales au sein de l’unité et l’influence de son chef sur le comportement des ses hommes.
Contrainte ou un contrat consentant : qu’est-ce que unissait les braconniers noirs et les
poussait à un combat sans pitié et à de nombreuses atrocités ? Comment les relations entre les
hommes de l’unité ont-elles évolués au fil des convoies de recrutes qu’elle recevait ?
Après la guerre, les anciens membres de l’unité ont décrit Dirlewanger comme
l’homme de droit, un chef toujours à la pointe d’attaques, courageux, blessé à plusieurs
reprises. Fascinés, ils ne lui reprochaient rien. Plusieurs d’entre eux ne croyaient pas à la
version officielle de la morte de Dirlewanger, ils lui préféraient inventer un mythe, en
l’imaginant en Syrie ou en Egypte, conseiller occulte des puissants.
Dès la Grande Guerre, la dimension charismatique de Dirlewanger, grâce à ses
exploits et son comportement au combat, était déjà en place. Pourtant, les condamnations pour
affaires des mœurs et malversations ont porté un coup dur à son aura. Mais quelques
dignitaires nazis, et notamment Gottlob Berger, n’ont jamais cessé de croire en lui et son
charisme guerrier.
Les témoignages d’après la guerre évoquaient trois traits majeurs de personnalité.
D’abord, le grand dévouement d’ordre emphatique pour ses hommes. Il serait aussi doté d’un
très grand courage du meneur d’hommes. Ensuite, c’était son comportement quotidien : son
penchant pour l’alcool, mais ses beuveries festives associaient hommes et officiers dans une
certaine fraternité. Troisièmement, ses hommes le voyaient en guerrier mythique, une sorte de
lansquenet de la guerre de Trente Ans. C’étaient seuls les détenues politiques, intégrés à
l’unité à la fin du conflit qui n’ont pas intériorisé cette dimension charismatique. Pour eux, qui
arrivent dans une époque où la présence de Dirlewanger au sein de l’unité se faisait plus
épisodique. Aux leurs yeux, c’était l’incarnation de l’oppresseur, soldat politique.
Dirlewanger avait un pouvoir de vie et de mort sur ses hommes. Comment s’agençait
l’arbitraire disciplinaire su sein de l’unité ? La mortalité par sanction disciplinaire était faible
par rapport à une expérience de mort en masse. L’impact était pourtant important en termes de
représentation.
Aux débuts de l’unité, les rapports nous montrent que la hiérarchie était loin d’être le
maître de la situation : l’arbitraire hiérarchique voisinait avec une discipline relâchée à
l’extrême, deux éléments à priori incompatibles. Présence constante des femmes au sein de
l’installation militaire, beuveries, violences collectives à caractère sexuel. Rappelons pourtant
que Dirlewanger se comportait de la même manière que ses hommes. Au fond, il ne cherchait
pas à interdire à ses hommes ni de voir les femmes ni de festoyer et de boire, mais bien de le
faire au vu et au su de tout le monde. Il se conduisait en complice objectif. Ce mélange de
brutalité et de cordialité, à la fois combiné avec la fascination de ses hommes envers lui,
donne un schéma de la domination charismatique de Dirlewanger. Mais cette domination va
changer.
Au début, à Lublin, Dirlewanger exerce ses pouvoirs pour protéger ses hommes des
autorités locales plus que pour les sanctionner. Le début de la campagne en Biélorussie reste
pourtant sans sources disponibles. Mais à l’été 1943, avec l’arrivé de 31 criminels
professionnels, ont commencé les exécutions disciplinaire et les renvoies en camp de
concentration. A chaque fois, cet épisode de répression cessait avec l’intégration de nouveaux
arrivés quelques mois plus tard. Avec l’accroissement des effectives, les relations
personnelles avec chacun de ses hommes n’étaient plus possible. Au fur et à mesure de
l’avance russe, un climat de répression accrue s’installait. Après la retraite de Russie, les
fusillades devenaient plus nombreuses. Dans le seul mois de décembre 1944, une vingtaine de
soldats ont été fusillés pour des raisons différentes allant du vol à la rébellion. Avec l’arrivé
des détenues politiques au sein de l’unité, personne ne pouvait plus s’estimer hors de la portée
de violence.
Les raisons pour la résistance ou la désertions étaient peu nombreuses lors des
premières années de la vi de l’unité. Opérations relativement peu dangereuses, le
ravitaillement assez correct, repas variées, alcool en quantité, cigarettes, présence des
femmes. A cela se rajoutait les fruits du pillage et de la rapine. Et enfin, une expérience de
domination sociale et une pratique de commandement appréciée. C’était en quelque sorte une
relation contractuelle. De Lublin à la Biélorussie il y avait sept tentatives de désertion, toutes
en Biélorussie. Le dernier des sept déserteurs a été exécuté au moment de retraite des forces
allemandes. Il s’agissait dons, d’un comportement ultra-minoritaire.
Une césure s’est opère pourtant en Slovaquie, plus encore en Hongrie et en Lusace.
L’arrivée des politiques a signé l’invasion définitive par la violence des relations sociales au
sein de l’unité. La relation contractuelle existante a été rompue, principalement en raison des
lourdes pertes. Le cas le plus remarquable était la désertion massive devant Ypolysag, durant
le siège de Budapest. Les conditions se sont réunies, et 400 détenus ses ont acheminés vers les
lignes de l’Armée rouge. Cela représentait 45% de la population de détenues politiques de
l’unité. Peut-on parler de désertion en masse ? Mais malgré les conditions extrêmement
favorables, la motivation politique et l’impuissance d’un système de commandement à
contraindre les soldats à combattre par la terreur, à peine moitié passe à « l’ennemi ».
Unité Dirlewanger en action à Varsovie en août 1944
Tout au long de la vie de l’unité, il semble que c’était les pratiques sociales internes
aux différents groupes, combinées aux représentations et à la culture politique de chacun
d’eux qui déterminaient leurs comportements au combat. Et il faut les comprendre comme
solidarité et comme refus ou consentement de combattre, et non comme contrainte des
facteurs extérieurs, discipline, exécutions, afin de les saisir au cœur.
IV. Les braconniers dans la Cité
Quelle est cette imaginaire qui nourrit l’idée de fonder une unité composée des
braconniers, ces doubles noirs des chasseurs ? Christian Ingrao voit l’existence de l’unité
entre fonction et symbolique : d’un côté elle répond à l’idée de mettre au service de la lutte
contre l’ennemi le savoir-faire acquis par ces hommes en temps de paix, et de l’autre, au plan
symbolique, c’est précisément parce que l’ennemi est d’amblé ravalé au rang d’animaux
sauvages que les dignitaires nazis envisagent la création d’une telle unité.
Dans ce quatrième chapitre, Ingrao détermine aussi la place spécifique de l’unité ainsi créée
dans le monde des hommes en guerre, dans des espaces bien particuliers qui leur sont confiés.
La décision de créer le Sondereinheit Dirlewanger, a été prise aux plus hauts échelons
de la hiérarchie nazie. Il est bien difficile de déterminer si Hitler a donné réellement l’ordre,
mais on sait que Himmler s’est investi directement dans la procédure. La décision a été
envoyée directement au ministre de la Justice sans informer les fonctionnaires du ministre ce
qui a engendré d’ailleurs quelques difficultés au tout début du projet. Finalement, les choses
étaient précisées : procédure de sélection aux mains de Himmler, les condamnations des
hommes concernés pouvaient inclure aussi les crimes du sang, saules les « criminels
professionnels » étaient exclus des listes.
Erich von dem Bach-Zelewsky, Heinrich Himmler, Hermann Goering, Berger Gottlob et Odilo
Globocnik : des chasseurs passionnés
Si Hitler nous a laissé quelques réflexions intéressantes sur la chasse, qui souligne le
côté « romantique » et « honorable » de la chasse, tout en exprimant son incompréhension
comment peut-on tirer par plaisir, Himmler et Goering, ce dernier envisageait lui aussi la
création d’une unité pareil, étaient des chasseurs passionnés. Ayant pris la tête des
institutions réglementant les droits de chasse, Goering intervenait régulièrement dans la
législation. Himmler, quant à lui, possédait des grands domaines pour s’adonner à cette
activité. Il organisait aussi des parties festives, auxquelles il invitait des hôtes soigneusement
choisis. Parmi ses invités se trouvaient aussi Odilo Globocnik, Erich von dem Bach-
Zelewsky, Gottlob Berger, Ercih Koch, Eberhard von Eberstein, c’est-à-dire la quasi-totalité
des protagonistes de création de la Sondereinheit Dirlewager. Une affaire des chasseurs.
La cruauté, passion de la traque et le plaisir de tuer : deux choses inséparable de
l’image du chasseur. Chasseur trop possédé par cette passion transgresse les lois de la chasse
et il devient braconnier. Si la passion est trop forte, le chasseur devient lui-même homme des
bois, homme sauvage, plus proche du gibier qu’il traque que du monde domestique. Un
guerrier possédé.
C’est ainsi qui a été introduit le sauvage dans la cité militaire. Mais pas sous n’importe
quelle condition et n’importe quel lieu. Ces « bandes », « dont la mission prioritaire serait
l’anéantissement des directions des groupes de partisans ennemis », étaient autorisées, « dans
les territoires qui leur seraient confiés », de « tuer, brûler, violer, profaner ». Elles seraient
pourtant « sous le stricte surveillance [une fois revenues] au pays ». Cela n’était permis dans
la Cité nazie. En revanche, c’était permis à l’extrémité orientale de l’empire, dans un théâtre
de guerre qui ne répondait pas aux règles de l’affrontement classique, contre un ennemi sans
uniforme, noyé au milieu d’une population civile. C’était permis dans des espaces sauvages,
là où la « mission civilisatrice allemande » n’avait pas encore pu accomplir sn « œuvre ».
En pratique pourtant, ce comportement se heurtait sur place à des autorités locales, qui
voulaient éloigner ses chasseurs noirs de leur ressort. Mais si à Lublin, dans la région d’une
grande importance pour le futur empire nazi, ce comportement « irrégulier » gênait, en
Biélorussie, aux marges de l’empire, il était bienvenu lors des grandes opérations de ratissage.
Les institutions civiles, toujours soucieuses d’assurer la suprématie sur les organes de la
sécurité, stigmatisaient là aussi l’unité Dirlewanger. Dans une telle administration, tout aussi
prédatrice mais pacifiée, il n’y avait pas de place pour les pratiques cynégétiques.
Les hommes de l’unité, partout ou ils passaient, étaient considérés comme des
sauvages, par ceux qu’il les avait créée et par ceux qu’ils avaient côtoyée. Si on profitait de
leur violence, on faisait en même temps tout pour les éloigner.
L’efficacité de l’unité était reconnue dans les forêts de Biélorussie et les marais de
Pripjet. Elle était « plus adaptée qu’aucune autre troupe à la lutte contre les partisans en milieu
hostile ». Cette appréciation au combat des hommes de l’unité était univoque. Une partie de
cette « efficacité » était due aussi aux inventions atroces, comme c’tait l’utilisation des civils
pour faire sauter les mines posées par les partisans. Des milliers d’hommes ont perdu ainsi
leur vie. D’autres unités allemandes ont adapté cette « méthode » impressionnées par ce
« détecteur de mines mis au point par le bataillon Dirlewanger » qui « a passé le test avec
succès ». En même temps, leur brutalité ne faisait aucun doute aux yeux des Allemandes ou
des Russes. En Biélorussie, à Varsovie, l’unité a commis de nombreuses atrocités. Aux yeux
des autres soldats allemands, selon les dires des témoins après la guerre, c’étaient des
guerriers possédés. Mais dans ces témoignages après la guerre, accusant l’unité et ses hommes
de pires crimes de guerre, il faut voir aussi un moyen des soldats de Wehrmacht, employé
consciemment ou non, de se disculper leur-même. Ces accusations se situent d’ailleurs en
parfaite continuité avec cette imaginaire de la chasse et du Sauvage qui avait conditionné sa
création et l’avait accompagné.
En même temps, on assistait à une analyse pareille à l’égard de l’unité Dirlewanger
dans l’Allemagne d’après la guerre : la violence y était vue en termes comparables à ceux des
nazis, recourant à l’imaginaire de la chasse. Les braconniers étaient mêlés ainsi avec d’autres
recrues qui n’avaient rien à avoir avec eux. Ils géraient ensemble des représentations allant de
la criminalisation à la fascination. Mais même si l’unité avait une place spécifique dans le
monde des hommes en guerre par sa sauvagerie mobilisée contre l’ennemi, réduite en nombre,
elle ne pouvait être la seule responsable de la violence inouïe des fronts de l’Est, et elle lui
n’était pas précurseur. Ce sont aussi les « Allemandes ordinaires » qui la diffusaient. Ce
discours, s’il était accepté dans l’Allemagne d’après la guerre, permettait de rejeter les
éléments factuels de culpabilité, de rejeter les violences nazies vers le Sauvage et la
marginalité, en remobilisant des schémas archaïques.
V. Une guerre cynégétique ?
Dans le cinquième chapitre, Ingrao va essayer de retrouver, en utilisant les réflexions
des anthropologues et préhistoriens, dans l’imaginaire et les pratiques des nazis, les points de
contacte entre activité cynégétique et activité guerrière. Il va analyser les comportements des
hommes de l’unité dans deux situations différentes : d’abord dans leur rôle de pasteur en
Galicie, lors des taches de surveillance, ensuite dans leur rôle de chasseurs, lors de la lutte
contre les partisans dans les forêts Biélorusses. Ingrao analyse la place des braconniers dans
l’imaginaire du Sauvage, Domestique et Familier et les pratiques de la violence qui s’y
inscrivent.
L’unité Dirlewanger exécutait deux types d’opérations : les missions de
reconnaissance d’un côté, donc des affûts en petits groupe à la recherche de l’identification et
d’évaluation d’ennemi, et de l’autre les grandes opérations de ratissage, où l’unité était fondue
dans des effectives plus importants pour entourer et prendre en piège tous ce qui vivait à
l’intérieur d’un secteur et de forcer au combat les partisans. Le premier type est à comparer à
Pirsch, la chasse individuelle, qui consiste à pister et tracer le cerf, à l’identifier, et à lire dans
le sol et la végétation sa stature, son âge et son genre avant de la tirer d’un seul coup de fusil,
face en face, au pus près. Le deuxième, en revanche, peut être comparé à la chasse à la battue.
En bouleversant le milieu de vie des proies par du bruit, des coups et des incendies, on les
oblige à fuir vers le cordon des tireurs. La première chasse est élitiste et individuelle, la
deuxième collective et égalitaire, et bien plus meurtrière.
Dans le décor glacial de ce milieu forestier, l’ennemi était associé au gibier, le plus
noir sur l’échelle de la sauvagerie. La thématique des dangers de la chasse avait aussi son
importance : les chasseurs noirs insistaient sur le fait que la lutte n’était pas inégale qu’il y
paraissait. Le chasseur n’est jamais protégé de l’agression par le gibier. C’est justement ce
danger qui donne sa noblesse à l’activité cynégétique aux yeux de celui qui la pratique.
Cette analogie entre guerre et chasse pour rendre compte de la violence de leur lutte
n’était pourtant pas réservée qu’aux bourreaux. Les témoignages de survivants russes ou juifs
évoquent les thermes de la chasse pour décrire les actions de l’unité, comme le verbe
« jagen », « chasser » en allemand. L’imaginaire de la chasse fonctionnait pour tous les
acteurs de cette guerre dans les forêts biélorusses.
La dimension sexuée de l’activité cynégétique était centrale dans l’imaginaire du
Sauvage. Pirsch est une activité exclusivement masculine qui prend pour cible le cerf à
maturité sexuelle. Le gibier femelle n’est jamais tué en un face-à-face. Elles sont tuées à un
nombre défini tous les ans à la battue, pour respecter le plan de chasse. Les femmes étaient
alors tuées lors des grandes opérations, de la façon différente selon les contextes. Prises dans
les camps de partisans, elles étaient fusillées tout comme les hommes. Elles étalaient
cependant rares, les femmes capturées dans les camps partisans retranchés. La plus grande
partie des femmes étaient mises à mort lors de la dernière phase des opérations de ratissage,
lorsque l’unité retournait au point de départ après avoir atteint l’objectif topographique fixé. Il
y avait pourtant les cas où ces femmes restaient en vie, afin de servir à des orgies durant
lesquelles elles étaient violées de façon collective. Elles étaient systématiquement mises à
mort après ces sévices. Elles étaient issues de population ayant subi opérations de
concentration et de déplacement. Ce traitement sorte du modèle cynégétique, puisque le
chasseur ne rassemble jamais son proie, ne le déplace pas. Il le met à mort, mais il ne le
torture pas. Ce traitement défini une sorte de frontière cynégétique.
Dirlewanger avec ses hommes
Le traitement des jeunes individus est lui aussi un cas hors du modèle. Ceux-ci sont
normalement exclus de la mise en mort dans la chasse. Il ne faut pas compromettre la bonne
reproduction du gibier. Pourtant les enfants étaient exécutés avec une cruauté extraordinaire.
Le programme de rapt des enfants indiquait que, en 1944 au moins, les enfants pris dans le
cadre de lutte contre les partisans étaient massacrés sur une moins grande échelle que lors des
années précédentes. A partir de la fin de 1943, la chance de survie des adolescents
augmentaient. Le déplacement de la population aux fins de mise au travail comptait davantage
dans les choix des responsables de la politique de sécurité en Biélorussie. Cette pratique n’est
donc pas analogue à la pratique de chasse à la battue et elle ne correspond pas à la logique
cynégétique.
Troisième aspect, le butin, sort lui aussi de cette analogie, puisque le chasseur ne le
prélève jamais. Les armes prises à l’ennemi lors des combats avec les partisans, les produits
agricoles confisqués lors des opérations de ratissage, les contingents humains, considérés
comme « biens vifs » : c’étaient des résultats de la chasse-trophée ou de la chasse-récolte. Ils
avaient un autre statut dans l’imaginaire des chasseurs noirs.
Les populations capturées, parquées, mises au travail, étaient soumises à un processus
de domestication symbolique qui les ravalait au rang de bétail humain. C’était déjà le cas des
Juifs du gouvernement général, en Galicie, marqués par l’étoile jaune, enfermés dans les
camps de travail et effectuant un travail forcé pénible. Les hommes de l’unité, assignés au
travail d’administration de pas moins de trois camps de travail entre octobre 1940 et février
1942, se transformaient de chasseurs d’hommes en pasteurs d’hommes. On voit le même
traitement des victimes, devenues un bétail humain, dans la diffusion du « dispositif anti-
mines » en Biélorussie. Cette « innovation », propagée parmi d’autres unités allemandes,
engendrait des variations comme l’emploie des paysans russes dans le déminage à la place des
soldats allemands. Système de représentations des bourreaux et pratique de violence est un
lien dynamique. Il rend la pratique de violence imaginable et possible, et l’expérience de cette
dernière confirme le statut de la victime. La violence au fond, constitue un langage qui révèle
le système de représentations.
La cruauté faisait partie du discours qui entourait la création et l’évolution de l’unité.
Pourtant, le discours cynégétique ne célèbre la cruauté nulle part. L’unité Dirlewanger
n’administrait la violence de la même façon quant il s’agissait des partisans et des paysans
russes. La violence employée était plus grande dans le cas de ces derniers. Elle était marquée
par un recours à une cruauté avérée, qui combinait la rationalité ceptologique de l’abattoir :
rassembler et assassiner les victimes en grand nombre, et la cruauté extrême dans l’exécution
des victimes. Les villages « contaminés par les bandes », expression d’un imaginaire
microbien, étaient purifiés par le feu, en brulant les victimes dans leurs maisons sans les
exécuter par une belle au préalable.
Ainsi, aux forêts, avec les partisans comme gibier, ils opposaient un espace
domestiqué, le camp de travail pour Juifs, le village occupé des paysans russes. Pratique de la
violence s’inscrivait dans un imaginaire de la Nature, classant êtres et espaces selon leur degré
de proximité avec la Sauvagerie ou le Domestique. Il existe pourtant un dernier espace, celui
du Familier. Un espace peuple d’animaux où l’homme a construit un ensemble de relations
d’une manière différente encore. Aux yeux de chasseur noir, c’étaient les bataillons de
Shutzmannschaft, et d’ailleurs les compagnies russes de l’unité, qui sont équivalent humain
des animaux familiers. Leurs missions ressemblaient à celles des chiens de chasse :
encerclement et la conduite des populations déportées, les patrouilles de pisteurs et
d’éclaireurs.
Dans la grande guerre raciale menée à l’Est, les Allemands ont puisé dans l’imaginaire
cynégétique pour mettre au point les procédures de lutte contre les partisans. C’est la
perception de l’évolution de la situation qui les a orienté vers la mise en place d’un dispositif
analogue à la chasse en battue pour éliminés les « bandes » de partisans nouvellement formés
au début de 1942. De l’autre côté, la politique d’occupation et de prédation économique a
amené les Allemands à voir leurs victimes en termes de leur productivité. Les membres de
l’unité Dirlewanger ont opéré en chasseurs d’hommes contre les partisans devenus gibier.
C’est là un modèle d’une représentation nazie de l’Autre, calqué sur le rapport des sociétés
européennes à la nature et à l’animalité.
VI. Une nouvelle guerre ?
En juin 1944 le groupe d’armées Centre s’effondre après le lancement de l’invasion
par l’Armée rouge. La Sondereinheit Dirlewanger, perdue dans le flot d’une armée,
commence en juin 1944 l’odyssée qui la mènera de Pologne en Slovaquie, puis de Hongrie en
Saxe. Christian Ingrao nous montre, dans ce sixième chapitre, comment les pratiques de la
guerre cynégétique évoluent au fur et à mesurer de nouvelles conditions du combat imposées
à l’unité Dirlewanger Continuera-t-elle la guerre cynégétique qu’elle menait depuis quatre
ans déjà ? Le premier cas concerne le maintien de l’imaginaire et des pratiques cynégétiques
durant la répression de Varsovie.
Jusqu’à présent, les hommes de l’unité combattaient dans un espace forestier. A partir
de 4 août 1944 ils vont combattre dans la ville. Avant, les distances jouaient un rôle
important, désormais il s’agissait de conquérir le territoire mètre par mètre. C’était une guerre
dans un milieu urbain et plus technologique que la lutte contre partisans, avec leur usage de
blindés, lance-roquettes et artillerie. Et elle était aussi plus couteuse en hommes que les
campagnes de ratissage. Mais les dernières opérations de l’unité en Biélorussie ont été elles
aussi accompagnées de l’engagement des blindés et d’artillerie. En outre, la présence des
civils était massive ce qui était le cas aussi dans pour les opérations en Biélorussie.
L’unité a pourtant transféré les anciennes techniques en milieu urbain : l’ivresse
destructrice à l’issu d’un combat, la rage des officiers et la fureur des hommes, l’imaginaire
cynégétique a transformé Varsovie en forêt urbaine, en terrain de chasse pour la
Sonderbrigade. Varsovie était le théâtre des exécutions dans des proportions inouïes.
Varsovie, août 1944
La répression du soulèvement de Varsovie avait aussi une autre dimension. D’abord la
fréquence des viols, commis ici durant l’opération. A la différence des viols commis en
Biélorussie, ici il s’agit de la concrétisation de la prise de contrôle, immédiatement après
l’assaut, prise de possession de l’ennemi au travers du corps de ses femmes. Pour les
dirigeants nazis, c’était à Varsovie le dernier acte de la lutte millénaire qui opposait les
Allemands et les Polonais, les « ennemis éternels à l’est ». D’où le désir de s’attaquer à la
matrice de l’ennemi comme élément de transmission de l’identité. La femme polonaise était
aussi vue comme à la fois catin, de mœurs légères et de mentalité douteuse, et comme héroïne
patriotique, férocement nationaliste, constituant ainsi une cible particulière. On s’attaquait
aussi aux symboles religieux, en tuant les prêtres et profanant le temple. Il s’agissait aussi de
s’attaquer et profaner tout ce qui était vu comme sacré par l’ennemi polonais, tout ce qui
faisait partie de la « polonité », ses principales caractéristiques. Pour régler cette question une
fois pour toutes, Himmler a donné l’ordre de raser la ville et d’exécuter tous ses habitants.
Affiche de la Résistance polonaise en 1943
Après six semaines à Varsovie, la brigade a passé six autres semaines en Slovaquie,
jusqu’au début de décembre 1944. Elle a affronté des unités de l’armée Slovaque et des
partisans communistes venus de la Galicie agonisante. La situation était différente : l’armée
slovaque disposait aussi de blindés et de quelques avions. L’unité arrive dans le nord du
secteur au moment où tombait la ville de Banska Bystrica. L’unité menait des combats
classiques durant les premiers jours de leur intervention. Elle confrontait les insurgés, armés
et fortifiés, qui avaient l’avantage du terrain sur les hommes de l’unité d’assaut. Ensuite, après
deux semaines, la brigade a été envoyée plus à l’est, où elle s’est consacrée à des missions de
ratissage sur les arrières des troupes du front de Hongrie, missions plus proches de celles de
effectuées Biélorussie. Viols, pillages et meurtres ont pris une ampleur inconnue jusqu’alors.
Un changement paradoxal, ceux qui devaient assurer la sécurité contre la « terreur des
bandes », ils vivaient désormais sur le pays, tout comme les « bandes » qu’ils avaient
combattues. Tous volaient, tous pillaient. Au fond pourtant, il s’agissait en Slovaquie comme
ailleurs, du même imaginaire : exploiter une population pour sa seule force de travail et le
produit de ce dernier, au hasard des opportunités.
SI elle était en pointe de la lutte contre les partisans en Biélorussie, la Sondereinheit
Dirlewanger ne constituait qu’une unité parmi d’autres lors du soulèvement de Varsovie. En
Slovaquie, elle était noyée dans l’anonymat des armées engagées par le Troisième Reich lors
des derniers mois de son existence. En Hongrie, elle était fondue dans le groupe d’armées
Sud. L’unité n’apparaissait jamais dans les rapports de combat, à l’exception de l’épisode
d’Ypolysag. Les contre-attaques et leurs échecs sont évoqués. En Lusace, à part une contre-
attaque au niveau de Guben, aucune évocation de l’unité dans les rapports non plus. L’unité a
été démantelée en Lusace, une partie affectée au Heeresgruppe Vistule, l’autre au
Heeresgruppe Mitte. Les combats menés en face-à-face, en plaine, contre une armée régulière
d’invasion étaient désespérés et acharnés. Le manque d’armes et de blindés forçait les troupes
à employer des tactiques nouvelles. Les hommes de la 36e division de grenadiers SS ont été
affectés à des commandos antichars armés de Panzerfaust, lance-roquettes utilisaient à percer
le blindage des chars d’assaut. Ils utilisaient de nouveau les techniques de Pirsh pour
approcher les blindés. Ils pratiquent le Panzerjagd, la chasse aux blindés. Mais ils manquaient
terriblement de puissance de feu. Les hommes employaient à leur tour les techniques de
partisans : chasseurs, ils étaient devenus des proies.
Qu’en est-il des survivants de l’unité ? Les fichiers de la Croix Rouge nous
renseignent sur les soldats revenus de captivité en URSS. Sur 634 revenants, 418 sont tombés
dans les mains de Russes en avril et mai 1945, pour la plupart des soldats de la Wehrmacht et
de la SS, leur présence dans l’unité était devenue écrasante. Les premières captures se sont
passées en juillet 1944 en Biélorussie, mais les premiers effectifs significatifs de prisonniers
sont apparus en Hongrie, en décembre 1944. 164 individus ont été faits prisonniers en avril
1945. Les restes ont été capturés entre janvier et mars 1945 et en mai après la fin des
hostilités. Il y des cas de captures en août 1945, en août 1947, même en juillet 1947. Ils ont
parcouru de centaines de kilomètres avant d’être arrêtés, afin d’éviter de tomber dans les
mains de Russes.
Les braconniers de l’unité, une cinquantaine, font partie des contingents les plus
tardivement emprisonnés. Leur histoire prouve leur grande aptitude de survie en milieu
hostile. La majorité d’entre eux a été capturée entre la Lusace et le Brandebourg en mai 1945.
Ils fuiraient les Russes, poussés par les témoignages des atrocités commises par l’Armée
Rouge. L’atmosphère de violence extrême, d’anomie et de désespoir entourait la fin de
l’unité. Près de 5 300 de ses membres sont morts au combat ou derrière les barbelés
soviétiques.
VII. Après-guerre
Qu’est-ce qu’ils sont devenus, les survivants de l’unité, rentrés entre 1947 et 1955
dans ce monde de paix qu’était devenue l’Allemagne occupée, et après 1949, la République
fédérale allemande ? Comment et par quels mécanismes sont-ils réussi à résister à l’offensive
juridique des tribunaux allemands ? Qu’elle était désormais leur place et celle de leur chef
dans la mémoire collective du nazisme ?
La présence au front d’Oskar Dirlewanger est devenue de plus en plus épisodique. Le
manque de sérieux dans la conduite des opérations, son incapacité physique, du à la l’alcool,
de conduire l’assaut de ses troupes en Slovaquie, nombreuses sont critiques des hiérarchies
combattantes classiques à son encontre. En outre, il n’était pas préparé à diriger une unité de
la taille d’une brigade. En février 1945, un nouveau commandant de division a été nommé, le
Brigadeführer Schmedes, qui a déjà servi comme colonel d’un de ses régiments. Au moment
où l’unité a été annihilée par les Soviétiques, Dirlewanger n’était de facto plus son chef.
Dirlewanger a rencontré Gottlob Berger à Berlin entre 15 et 21 mars, puis il est partie
en Souabe. Le 22 avril 1945, il est arrivé dans une résidence de chasse de Berger située dans
l’Allgaü, au sud de l’Allemagne. Il a échangé son uniforme de SS contre des vêtements civils.
Pour Dirlewanger, la guerre était finie.
On retrouve sa trace en juin 1945 en Souabe, où il a été par les Français à Altshausen.
Ces derniers ont délégué leurs prisonniers à d’anciens détenus de camps de concentration.
Dirlewanger, et son compagnon de cellule Minch étaient battus trois nuits durant par les
gardiens avec des matraques en bois, pour leur passé SS et Gestapo. C’était une violence sans
aucune fonction inquisitoire. Violence de vengeance, affirmant la supériorité des vaincus
d’hier. Les membres des institutions emblématiques de la tyrannie nazie étaient traités d’une
manière plus brutale. La troisième nuit de sa détention, Dirlewanger a été brutalement battu à
trois reprises. Incapable de bouger, de parler ou de se lever, il a été battu à coup de crosse
dans le visage et piqué avec baïonnette dans la partie inférieure du corps. Il est possible que
Dirlewanger soit mort suite aux blessures contractées lors du passage à tabac.
L’irrégularité de la procédure d’incarcération et la grande brutalité des gardiens, ont
empêché que les procédures d’identification et d’inhumation soient menées dans les règles.
Par conséquent, on n’en savait plus sur la mort et l’inhumation de Dirlewanger. Cela a
contribué à nourrir le mythe Dirlewanger après la guerre, à l’origine de l’enquête judiciaire
sur sa mort. Manque d’information sur le destin de Dirlewanger aimantait aussi les rumeurs
de fuite.
Oskar Dirlewanger en captivité
La croyance en la survie de Dirlewanger a continué à circuler, y compris après
l’exhumation de son corps et son identification formelle. La légende permettait aux vétérans
de ne pas départir de la fascination qu’avait exercée sur eux ce meneur d’hommes aux usages
si brutaux.
La longue traque judiciaire, menée avec une énergie considérable et une minutie
impressionnante a commencé en 1948. Déjà dès 1945, Dirlewanger et son unité ont été perçus
comme l’un des moyens privilégiés de prouver l’implication de Berger Gottlob dans les
crimes de guerre commis par les unités SS dans le procès de la Wilhelmstrasse. Entre 1948 et
1985, la justice ouest-allemande a mené près d’une quarantaine d’enquêtes préliminaires,
aidée par l’Office Centrale, créée en 1958. Une masse impressionnante des documents et
d’informations a été accumulée. Rares étaient pourtant les enquêtes qui ont abouties à des
procédures complètes, acte des accusations et renvoi devant les tribunaux. Cela est
principalement du aux difficultés pratiques de la mise en accusation dans le droit allemand,
mais aussi aux stratégies mises en place per les anciens membres de l’unité.
La première enquête significative étai celle sur le rôle de l’unité dans la répression de
l’insurrection à Varsovie, menée en 1963 par le procureur de Flensburg. A l’époque des faits,
en été 1944, l’unité n’a été pas encore transformée en brigade, avec les chaines de
commandement bien définies, ce qui représentait une difficulté. Les enquêteurs essayaient
alors d’identifier la responsabilité des membres de l’état-major des deux groupes de combat.
Dans l’impossibilité d’établir clairement la responsabilité de Dirlewanger pour les crimes
commis à Varsovie, ils se sont tournés vers ordres de Himmler. Cependant, c’était impossible
de prouver indubitablement la diffusion d’un ordre de destruction systématique de la
population émis par Himmler, même si aux yeux des enquêteurs, l’existence de cet ordre
n’était pas douteuse. L’enquête s’est achevée par un constat d’impuissance.
En 1971, une seconde affaire, à Hambourg, dirigée contre le Kampfgrouppe von
Gottberg, s’est penchée sur l’activité de l’unité en URSS. La présence des témoignages qui
provenaient des archives russes indiquait une collaboration entre les organes de justice par-
delà le rideau de fer. L’affaire était un grand progrès pour la connaissance de la chaîne de
commandement, même s’il son rôle dans les crimes restait toujours obscur. Il maquait aussi
des noms, des dates, des lieux, des effectifs de victimes pour qualifier juridiquement les faits.
Sur 180 témoignages des différentes enquêtes sur la lutte contre les partisans en
Biélorussie ou visant directement l’unité, 176 niaient toute implication dans les crimes. Sur
les quatre reconnaissant l’implication de leur auteur, aucune n’acceptait plus d’une seule
action. Aucune ne désignait d’acteurs directs, aucune n’abordait la chaîne de commandement,
aucune ne mentionnait à la fois la date et le lieu d’une exaction. Les témoignages étaient
incomplets, leurs auteurs se retranchant derrière le temps écoulé depuis les faits. Ils se
disculpaient en évoquant l’impossibilité de participer aux massacres à cause des combats
acharnés et énormes pertes subies. Rares étaient donc les témoignages des anciens qui allaient
au-delà d’une évocation des circonstances de leur entrée dans l’unité et du parcours en son
sein. Plus rares encore ceux qui inculpaient les anciens camarades et ainsi rompaient la
solidarité de groupe. Les anciens braconniers avaient d’ailleurs une spécificité due aux
arrestations et condamnations avant ou après la guerre: ils étaient déjà confrontés à des
méthodes d’interrogatoire. Ils ne faisaient face alors à une expérience inédite ou
déstabilisante. Cela pourrait être la raison de l’incapacité des enquêteurs à pénétrer dans la
pratique criminelle de l’unité.
Il faut prendre en compte aussi d’autres facteurs : absence ou décès des principaux
donneurs d’ordre, destruction des matériaux archivistiques, carence des preuves et des
témoignages, résistance face à la pression inquisitoriale. Bilan : seule une affaire s’est
achevée par un acte d’accusation et le renvoi devant une cour d’assises. Les autres affaires ont
été conclues par des non-lieux, faisant le constat de la difficulté de toute incrimination. Les
hommes de Dirlewanger avaient résisté avec succès à l’offensive judiciaire mené par
l’Allemagne des années 1960-1980. Les crimes commis par l’unité, en Pologne, puis en
Biélorussie, à Varsovie, en Slovaquie, sont restés ainsi largement impunies.
Après la guerre, les vétérans de l’unité sont restés dans la marginalité sociale. Peu
d’entre eux partageaient l’expérience centrale de l’Allemagne d’après guerre : le « miracle »
de la renaissance des deux Allemagnes. Les seules exceptions concernaient quelques détenus
politiques, intégrés dans l’unité à la fin de 1944, qui sont entrés dans la politique après la
guerre.
Les chasseurs noirs sont restés des marginaux jusque la gestion du passé nazi. Mais
leur place dans la mémoire du nazisme était ambiguë. Ils n’étaient pas des inconnus, et
nombre de publications des années 1960-1970 l’attestent. French Mac Lean représente
Sondereinheit Dirlewanger comme « la plus célèbre unité de lutte contre les partisans du
Troisième Reich ». Le roman de Willi Berthold, Brigade Dirlewanger, constitue un résumé
des représentations allemandes sur l’unité. Au-delà d’une démarche historique consciente, le
roman était tentative d’interprétation de la violence nazie. L’unité est montrée non comme un
bataillon disciplinaire, avec comme grand réservoir des recrutements de l’unité les prisons de
la Wehrmacht et de la SS, c’est-à-dire des militaires sanctionnés pour les délits de droit
commun et pour des manquements au combat, mais bien comme un ramassis de marginaux,
une bande de criminels asociaux atteins de troubles neurologiques ou mentaux. Ce premier
niveau de discours sur la violence nazie : elle était le fait de criminels issus des bas-fonds de
la société allemande d’avant guerre auxquels un régime lui-même criminel avait laissé libre
cours dans des espaces bien particuliers. Il s’agissait de tracer une limite entre une société
allemande qui n’a pas perdu sa normalité malgré les douze années de régime nazi, et des
marginaux, des criminels, qui ont commis les crimes atroces dont le régime s’était rendu
coupable.
Le roman a aussi son héros positif : Paul Vonwegh, républicain vétéran de la guerre
civile espagnole, un authentique antinazi. Sa section était constituée des criminels endurcis.
Mais il réussi à gagner leur respect et leur fidélité. Il a sauvé ses hommes en organisant leur
désertion en masse avant de mourir en héros sous leurs yeux, alors qu’ils rejoignaient les
lignes russes. Ni communiste ni social-démocrate, cet homme calme, courageux, viril, est un
model idéal d’identification pour l’Allemagne conservatrice d’après guerre. Le roman de
Berthold était représentatif de la mémoire social du nazisme. Il divisait hommes de
Dirlewanger en deux groupes : des brutes sadiques pour la plupart, pratiquant le meurtre et le
viol par plaisir. D’autres hommes, perdus dans cet environnement inquiétant, aussi peu
honorables mais ne demandant que de se réhabiliter pour peu qu’on les mette en présence
d’un meneur comme Paul Vonwegh. Cette interprétation de l’unité rendait son histoire
acceptable pour la mémoire sociale de l’Allemagne d’après la guerre pourtant au prix d’une
triple torsion de la réalité historique. D’abord, Dirlewanger y est décrit incapable de toute
action militaire, marqué par sadisme de tous les instants. Cette image occulte le charisme
certain du chef de l’unité. Ensuite, ses hommes sont dépeints comme les victimes d’une
répression omniprésente, résultant d’une très grande mortalité des hommes en Biélorussie
alors qu’il n’en était rien. Enfin, ce discours-là rejetait une catégorie particulière de recrues :
les chasseurs noirs. Leur statut ne leur permettait pas de trouver place dans le système de
Berthold. Ni sadiques-nés ni victimes pures, ils se trouvaient rejetés aux marges du travail
d’élaboration mémorielle.
Pourtant, grâce aux travaux de Hellmuth Auerbach et Hans Peter Klausch, la
Sondereinheit sortait de la légende au moment où l’on classait la dernière affaire concernant
un crime commis par l’unité Dirlewanger. Le temps de l’histoire était venu.
Conclusion
Fondés sur un imaginaire spécifique adaptée à la guerre qui était, aux yeux des
responsables nazis, en parfaite conformité avec l’image qu’ils se faisaient de leurs ennemis.
C’est précisément parce qu’à leurs yeux les partisans polonais et russes étaient ravalés au rang
des animaux sauvages, qu’ils étaient a priori perçus sur le mode de la sauvagerie et de la
cruauté, que les dignitaires SS ont eu l’idée de former une unité de braconniers noirs.
Les pratiques de violence de l’unité ressemblaient pourtant en tous points à celles des
autres formations de lutte contre les partisans. La stratégie de la mise ne écart des hommes de
l’unité, hier et aujourd’hui, était un moyen de bâtir une barrière de protection entre les
chasseurs noirs et les « hommes ordinaires », de séparer le Domestique et le Familier du
Sauvage. Restreindre ces pratiques aux braconniers et aux guerriers possédés, aux espaces
hors frontières. Pourtant, les opérations de terrain constituaient un instrument de remodelage
d’une future Europe germanisée. Les chasseurs noirs, sur le terrain, étaient ainsi doublés en
haut de l’ingénieur social, statisticien, démographe, sociologue, raciologie.