Les cahiers - GIP JCI · Relancée au sortir de la décennie 90 – les « années noires », pour...

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Regards sur la coopération judiciaire internationale 2019 Les cahiers de

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Regards sur la coopération judiciaire internationale

2019

Les cahiers de

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Présentation

En lançant ses premiers « Cahiers », fin 2018, JCI avait

affiché l’intention d’enrichir le compte-rendu annuel de

ses actions, exposées dans son rapport d’activité publié

en avril-mai, en proposant chaque fin d’année, dans cette

publication, une présentation plus qualitative du travail

de fond réalisé dans les projets.

L’ambition était de donner, à ses partenaires, et plus

largement à tous ceux que motive la coopération judiciaire

internationale, un second rendez-vous annuel, avec des

Cahiers abordant des sujets d’intérêt, déterminés par

l’évolution des activités de l’agence et de ses membres.

Pour 2019, l’objectif est tenu, et voici aujourd’hui, fidèle

au rendez-vous, la deuxième édition.

Comme l’an dernier, nous avons voulu varier les sujets,

pour traduire la diversité des réalités de la coopération,

et les faire s’exprimer selon plusieurs points de vue.

Ainsi,

Cette deuxième édition s’ouvre par un condensé du

déroulement du projet d’appui au renforcement du

système judiciaire en Algérie - PASJA, cofinancé par

l’Union Européenne et l’Ambassade de France. L’aventure

que constitue ce projet est la parfaite illustration de la

problématique de l’articulation entre un projet de longue

durée financé par un bailleur international et les activités

de coopération bilatérale qui ont pu le précéder : Il s’agit

là d’une entreprise rendue complexe par la différence

d’approche, mais qui permet aussi des interactions,

porteuses de synergies et d’une importante plus-value

potentielle.

Au chapitre « professions », où les huissiers et les avocats

s’étaient exprimés l’an dernier sur des expériences de

coopération qu’ils avaient menées, avec ou sans JCI,

Regards sur la coopération judiciaire internationale

2019

Les cahiers de

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PRÉSENTATIONp 3

ASSISTANCE TECHNIQUE p 6

La mise en œuvre du programme d’appui au secteur de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités.

p 6

PROFESSIONS p 17

L’action internationale du notariat français p 17

REGARDS D’EXPERTS p 25

Maroun JNEID, expert en technologies de l’information et de la communication : Les enjeux d’une transformation du système judiciaire par le numérique

p 25

Jean- Marie HUET, expert Justice : Retour sur l’essai d’analyse globale des problématiques sécurité/justice au Sahel

p 30

PANORAMA p 38

L’action internationale du ministère de la justice dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse : Missions, action, formations. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnés.

p 38

Sommairela parole est donnée cette année aux notaires, dont les

interventions dans le domaine international, riches, sont

présentées selon les trois volets de leur développement :

la promotion de la profession notariale, et, avec elle, celle

de notre droit civil ; le soutien aux citoyens français et

européens à l’étranger, prolongeant le rôle de protection

juridique attachée, à l’intérieur du territoire national, à la

fonction de notaire ; et finalement, les actions d’appui

aux droits humains menées par le notariat, qui joue ici un

rôle sans doute moins connu, mais non moins important,

celui d’un contributeur actif et impliqué de l’aide au

développement.

Les Cahiers vous proposent ensuite deux contributions

dans lesquelles deux experts viennent chacun

rapporter une expérience spécifique résultant de leurs

interventions dans un ou plusieurs projets : pour l’un,

docteur en sciences de l’information et spécialiste des

questions informatiques, il s’agit de livrer ses réflexions

sur la manière dont les techniques de l’information et

de la communication interagissent avec les systèmes

judiciaires. L’autre, magistrat honoraire et éminent

pénaliste, présente un travail réalisé dans le cadre

d’un projet dont JCI est partenaire, avec pour objectif

l’élaboration d’un outil d’analyse fiable permettant

d’évaluer in globo la situation du secteur justice/sécurité

dans les pays fragiles, en crise ou en sortie de crise.

Enfin, après l’état des lieux de la coopération judiciaire

dans le secteur pénitentiaire établi l’an dernier, c’est,

cette année, un tour d’horizon de la coopération dans

le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse qui

clôture cette deuxième livraison de nos Cahiers, avec

un « Panorama » issu d’un travail collaboratif entre les

responsables de l’international de la Direction de la

protection de la Jeunesse, ceux de son École nationale

de formation, et JCI.

Pour cette édition nouvelle, il demeure un regret, celui de

n’avoir pu, faute de temps, y inclure un article qui aurait

présenté un - ou plusieurs - projets JCI selon le point de

vue de ses bénéficiaires. Cette carence sera réparée l’an

prochain, et le numéro 3 des Cahiers, dans une synthèse

de plusieurs projets portés par JCI dans une même zone

géographique, s’attachera à laisser largement la parole

aux représentants des institutions locales impliquées –

ministère de la Justice, professions, instituts de formation,

et tous autres.

Nous espérons que tel qu’il vous est proposé, le cru 2019

de ces Cahiers apportera une contribution positive à

l’objectif que JCI s’est donné de renforcer la coopération

judiciaire française, non seulement en menant à bien

des projets, mais aussi en travaillant à les faire mieux

connaître.

Il est en effet essentiel que le monde juridique et judiciaire,

dans toutes ses composantes, saisisse l’importance de

cette coopération, et de l’intérêt mutuel – pour le système

bénéficiaire, mais aussi pour les experts, sans oublier le

système apporteur – d’y participer de façon significative.

Bonne lecture à tous…

Nicole COCHET

Directrice générale

Jean-Claude MARIN,

Président

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La mise en œuvre du programme d’appui au secteur de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

Assistance technique

Depuis janvier 2017, JCI met en œuvre en Algérie un

projet relevant du Programme d’appui à la réforme

de la justice (PASJA III), co-financé par la Commission

de l’Union Européenne et par l’ambassade de

France.

Prévu pour une durée initiale de trois années,

ce projet vient d’être prorogé pour une année

supplémentaire, jusqu’à octobre 2020.

La mise en œuvre d’un tel projet transversal oblige

à composer avec deux réalités

• D’une part, la situation locale dans le pays

d’accueil, mouvante ou au contraire très stable,

mais en tout cas toujours complexe, aussi bien en

interne que dans sa relation avec l’extérieur : cela

concerne tous les projets multilatéraux, quel que

soit le domaine impacté ;

• D’autre part, le fait que s’agissant de coopération

judiciaire, c’est un domaine régalien qui se trouve

impacté, et bien différemment que dans le schéma

d’une action bilatérale inter-institutionnelle

ponctuelle : la pluralité des thématiques abordées,

leur transversalité, et une présence des experts

inscrite dans la durée, peuvent assez facilement,

dans l’esprit des bénéficiaires, transformer l’appui

offert en une immixtion dans des questions

souveraines dont nul ne devrait se mêler,

provoquant réticences et résistances.

Particulièrement nettes en Algérie, où sans doute

la spécificité de la relation franco- algérienne les

renforce, ces réalités sont-elles un frein à l’ambition

des projets ? Pas nécessairement, si en composant

avec ces réalités, on avance sur ces ambitions de

manière lucide et pragmatique.

La mise en œuvre du PASJA III, comme les résultats

obtenus à ce jour et les perspectives ouvertes

pour l’année restant à courir, en sont un exemple

particulièrement éclairant.

I. LA COOPÉRATION JUDICIAIRE EN ALGÉRIE EN AMONT DU PASJA IIIComme on peut le lire en introduction du chapitre

des relations franco- algériennes sur le site du

Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères,

la relation bilatérale entre la France et l’Algérie

se fonde sur des liens humains et historiques sans

équivalent pour les deux pays.

Relancée au sortir de la décennie 90 – les « années

noires », pour l’Algérie - son renouveau, qui se vit

bien sûr d’abord au niveau politique, se traduit, au

niveau du ministère de la Justice,

• Par une relance de l’entraide judiciaire  : une

convention d’entraide judiciaire ratifiée par les

deux pays est entrée en vigueur en mai 2018,

des visites croisées des ministres de la Justice ont

été organisées – celle du ministre de la Justice

algérien d’alors en France en octobre 2016, celle

de Mme BELLOUBET, garde des Sceaux, le 30

janvier 2019 ;

• Par une coopération tous azimuts, le volet

judiciaire étant un élément très actif de la

coopération culturelle, venant appuyer les efforts

de modernisation du système judiciaire algérien.

En particulier, en décembre 2012, le renouvellement

du document-cadre du partenariat franco-algérien

pour la période 2013- 2017 a retenu trois axes

prioritaires, dont celui du renforcement de la

gouvernance démocratique, de l’état de droit,

et de la modernisation du fonctionnement de

l’administration.

Il en est découlé un nombre important d’actions

financées par une enveloppe budgétaire du

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui

sont venues répondre aux besoins exprimés par les

bénéficiaires algériens. Dans le secteur de la justice,

le focus a été mis sur la formation des cadres et

des personnels des tribunaux et de l’administration

pénitentiaires, assurée par l’ENM, l’ENG et l’Enap,

et sur des échanges entre professionnels sur des

thématiques sécuritaires : lutte contre le terrorisme,

la corruption, la délinquance financière et la

criminalité organisée.

L’ambassade a également appuyé des jumelages

entre institutions françaises et algériennes : Cour de

Cassation et Cour suprême, services d’inspection,

cours d’appel, soutien aux échanges entre les

notariats français et algériens, tout cela sans

préjudice des relations bilatérales entretenues

directement par différentes institutions judiciaires

– Conseil d’État, Conseil constitutionnel – et par les

organes représentatifs des professions judiciaires :

les avocats par le CNB et le Barreau de Paris ainsi

que certains barreaux locaux, les notaires encore,

les huissiers…

Les liens inter-institutionnels ainsi créés et la qualité

de cette relation bilatérale nous placent en bonne

position pour postuler à la mise en œuvre des

fonds multilatéraux, en particulier ceux de l’Union

Européenne, tout en gardant à l ‘esprit la nécessité

de maintenir une coordination aussi efficace

que possible entre les actions traditionnelles de

coopération bilatérale et les interventions de ces

programmes multilatéraux, en expansion en Algérie.

Ainsi, en ce qui concerne en particulier l’Union

Européenne, celle-ci considére l’Algérie comme

un voisin de premier plan, et affirme sa volonté

d’entretenir avec elle un niveau de dialogue et de

coopération élevé.

Unis depuis 2002 par un accord d’association

effectivement entré en vigueur au 1er septembre

2005, les deux espaces y ont fixé les bases d’un

partenariat privilégié, dans une vision à long terme,

avec identification des objectifs à atteindre. Parmi

les priorités identifiées figure, avec la réforme du

marché du travail et le soutien à la gestion et à la

diversification de l’économie, un important volet

dans le secteur de la gouvernance, de l’état de

droit et de la promotion des droits fondamentaux,

qui concerne en particulier la réforme de la justice

et le renforcement de la participation citoyenne à

la vie publique.

Cette implication de l’Union Européenne dans le

secteur de la justice vise à accompagner la réforme

initiée dans ce domaine par les autorités algériennes

depuis 1999. À cette date, une Commission

nationale de la réforme de la Justice a formulé des

propositions qui ont abouti à l’adoption, fin 2000,

d’un plan d’action du gouvernement. L’engagement

gouvernemental à poursuivre la réforme a ensuite

été réitéré à l’occasion d’une « conférence nationale

sur la justice » tenue en 2005.

Dans ce contexte, à côté de plusieurs programmes

TAIEX et de jumelages, auxquels la France a souvent

participé - jumelage sur le centre de recherche

juridique et judiciaire (CRJ) en 2013/2014, jumelage

La mise en œuvre du programme d’appui au secteur

de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

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La mise en œuvre du programme d’appui au secteur

de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

pénitentiaire en 2015/2018 -, l’Union européenne

a financé un premier programme d’assistance

technique de soutien au secteur judiciaire, le PASJA

I, qui a contribué à améliorer les capacités du

service public de la justice en termes de qualité des

services, notamment en renforçant l’informatisation

des juridictions et des parquets, et en appuyant la

formation des personnels de justice.

Le PASJA II (2006-2014) s’est quant à lui

essentiellement orienté vers l’appui au système

pénitentiaire, avec des objectifs d’amélioration des

conditions de vie en détention, de la gestion des

établissements, de modernisation du système de

formation professionnelle et de préparation à la

réinsertion socio-économique des détenus, et de

développement de l’informatisation et des systèmes

de sécurité.

L’Algérie, par ailleurs, participe aux programmes

régionaux EUROMED JUSTICE, qui s’enchaînent

depuis 2004 – 2004/2007 EUROMED, puis

EUROMED II de 2008 à 2011, EUROMED III de 2012 à

2015, et EUROMED IV de 2015 à 2019…en attendant

EUROMED V.

Dans ces programmes régionaux ont été abordés

l’accès à la justice et l’aide juridique, les droits

de garde et de visite dans les conflits familiaux

transfrontaliers, ainsi qu’une réforme de la loi sur

la criminalité et la prison, les travaux sur ces thèmes

s’étant poursuivis d’une phase à l’autre.

II. LE PROGRAMME PASJA III

Il s’inscrit dans la continuité de ce soutien de l’Union

Européenne à la réforme de la justice algérienne.

Négocié pendant de nombreux mois, il poursuit

le renforcement de l’indépendance de la justice,

le développement de l’accès au droit et la

professionnalisation des acteurs de la justice, en

s’adressant très transversalement à l’ensemble

des acteurs et institutions du monde judiciaire,

y compris la société civile. Il comporte d’ailleurs

deux volets, l’un confié à l’opérateur belge IBF -

également en charge de la coordination d’ensemble

du programme -, plus spécialement orienté vers les

aspects « société civile » du programme, l’autre -

cofinancé par l’Union européenne, à hauteur de 3,9

millions d’euros, et la France, pour 450 000 euros)

-, confié à JCI, pour apporter l’assistance technique

souhaitée aux différentes composantes de l’appareil

judiciaire.

1. Ambitions et déceptionsLors du démarrage du programme en janvier 2017,

les ambitions étaient grandes, et aussi bien JCI avait

mis en œuvre les moyens propres à honorer au

mieux les attentes, en installant sur place, pour

toute la durée du projet, une équipe composée

d’un magistrat en détachement et d’un chef de

projet, directeur adjoint des opérations à JCI, lui

aussi détaché à temps plein, avec l’appui d’une

équipe locale soutenue en back-office à Paris par

une chargée de projet, un responsable comptable

et un assistant logistique spécialement dédiés.

Une phase préparatoire d’envergure a été lancée,

avec la venue de professionnels experts dans

des spécialités nombreuses : des représentants

de l’Inspection de la justice, de l’École de la

magistrature, de la Cour de Cassation – pour un

travail jugé prioritaire en vue du désengorgement

de la Cour de cassation – des parquetiers en vue

d’aider à la mise en place d’une chaine pénale plus

efficiente, des juges du siège pour travailler sur la

question de la gestion des procédures civiles et de

la rédaction des jugements, des représentants du

barreau, des huissiers, tous investis de la mission

de dresser un état des lieux dans son domaine de

spécialité, d’y repérer les manques et les points

d’amélioration possibles, et de formuler, sur cette

base, des propositions de travail pertinentes.

De ces premières démarches est résulté un plan de

travail ambitieux, dont la mise en œuvre effective

était certes exigeante en termes d’investissement

des partenaires institutionnels dans tous les secteurs

concernés, mais qui paraissait cependant réaliste

au regard de l’attitude très allante et participative

de ces mêmes partenaires au cours de la phase

« exploratoire ».

Il a cependant nécessairement fallu composer avec

les réalités évoquées en introduction.

Que la phase initiale ait été très prometteuse était

logique : les interlocuteurs algériens rencontrés, tous

de grande qualité, étaient familiers de la démarche

adoptée qui, procédant d’un échange de points de

vue entre pairs, avait une forte parenté avec celle

qui gouverne les rencontres inter-institutionnelles

organisées dans le cadre de la coopération

bilatérale.

Les experts s’attendaient, après cette première

phase d’échanges, à pouvoir dérouler aisément

la suite du programme  : Obtenir des données

statistiques et fonctionnelles précises, être admis

dans les parquets, dans les greffes des juridictions,

dans les bureaux des juges, dans l’administration de

l’institut de formation, pour en saisir au jour le jour la

réalité des fonctionnements, puis les comprendre,

avant d’ analyser, sur cette base, les possibilités

d’amélioration, pour les proposer et les discuter.

Pour celui qui met en œuvre le projet, pénétrer ainsi

au cœur du système n’a d’autre but que sa bonne

compréhension, lui permettant de proposer au stade

suivant des améliorations concrètes et d’aider à leur

mise en œuvre, tout en laissant au bénéficiaire toute

latitude de retenir, ou non, telle ou telle proposition,

soit pour la mettre en œuvre et la généraliser s’il

s’agit d’une pratique compatible avec les règles

existantes, soit, au cas contraire, pour la traduire

en une proposition de réforme .

Mais vue du côté des bénéficiaires, la démarche a

indiscutablement un côté intrusif qui peut facilement

être mal perçu. Nos partenaires algériens étaient

en outre habitués, dans le cadre d’une relation

bilatérale ancienne, à formuler des demandes

ponctuelles, « à la carte », plutôt que de les inscrire

dans le cadre d’un projet transversal dans le plus

long terme.

Il en est résulté une incompréhension mutuelle

grandissante, des blocages de plus en plus fréquents

et finalement un quasi- arrêt des activités, avec pour

résultat à fin 2018-, à deux tiers du parcours - un

bilan d’exécution du plan de travail plus que mitigé,

questionnant sur l’avenir du projet.

2. Relance pragmatique et avancées réellesIl fallait soit renoncer, soit revoir sérieusement le

modèle de fonctionnement, et c’est bien sûr cette

voie qui a été choisie, tant il est vrai qu’au cœur de la

désillusion générale, mais passagère, il existait tout

de même un point de consensus entre les bailleurs

– l’Union Européenne et la France - , le bénéficiaire

– L’ Algérie et toutes ses institutions impliquées – et

l’opérateur JCI et ses experts : Les liens sont trop

forts, et un tel projet trop prometteur malgré les

difficultés, pour qu’on puisse sérieusement envisager

d’ abandonner l’ entreprise.

JCI a donc proposé un changement d’équipe,

en remplaçant celle en place par un nouveau

coordonnateur, assistant sur le plan logistique deux

magistrats de haut rang, l’un parquetier, l’autre

magistrat du siège, pour assurer une présence

perlée sur place au soutien des bénéficiaires, le

tout avec un backstopping renforcé au niveau de JCI.

Laissons la parole aux deux intéressés, Chantal

BUSSIERE, première présidente honoraire, et Jean

Marie HUET, procureur général honoraire :

« Lorsqu’en février 2019, nous avons repris, en tant

qu’experts principaux, l’animation du PASJA sur

place à Alger, avec un nouveau coordonnateur,

en lien constant avec la chargée de projet à JCI,

Armelle Giraud, nous nous sommes tout d’abord

attachés à prendre et à fidéliser tous les contacts

nécessaires : DUE, Ministère (conseillers, DGRH,

DAPG, Inspection…) CSM, École Supérieure de la

Magistrature, École Nationale des Personnels de

Greffe, Centre de Recherche Juridique et Judiciaire,

Barreau, Notaires…et bien évidement le directeur

du programme côté algérien, Mourad Ouagueni.

La régularité et la simplicité des échanges avec

l’ensemble des bénéficiaires, mais aussi lors des

réunions des « responsables opérationnels » de

chaque entité de l’institution judiciaire algérienne,

la vision tout à la fois ambitieuse et pragmatique

du PASJA, nous sont apparues comme le gage de

la réussite du projet initial comme de sa possible

prolongation au-delà de l’échéance d’octobre 2019.

Après plusieurs séquences communes à Alger,

nous avons alterné notre présence sur place,

au moins une semaine chacun par mois, outre

nos contributions personnelles à l’animation de

séminaires ou d’ateliers.

Alors même que le contexte institutionnel et social

en Algérie, connaissait des développements plus

que significatifs, avec un impact important sur les

mutations de responsables du ministère de la justice

et d’autorités judiciaires supérieures, la crédibilité

des actions inscrites au PASJA n’a jamais été remise

en cause. Sous réserve de quelques aménagements

-notamment pour les visites d’études en France de

magistrats algériens-, les actions programmées et

validées lors des réunions avec les Responsables

opérationnels, ont donc presque toutes pu être

menées à bien ».

La mise en œuvre du programme d’appui au secteur

de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

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La mise en œuvre du programme d’appui au secteur

de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

Et en effet, sur la base des jalons difficilement

posés pendant les deux premières années de vie

du projet, et grâce au changement de prisme né

du changement de composition de l’équipe, puis

du fort engagement des deux experts principaux,

des avancées indéniables ont pu finalement être

enregistrées à compter du printemps 2019, et cela

dans un contexte politique loin d’être simplifié.

En voici les points les plus significatifs :

La déontologie des magistrats

Le développement de l’autonomie opérationnelle de

la magistrature, qui doit renforcer l’indépendance de

la Justice en Algérie – le premier objectif du PASJA-

passe prioritairement par un statut protecteur des

magistrats et par des pouvoirs renforcés du CSM en

matière de proposition de nominations aux postes

de responsabilité. Mais l’indépendance, conçue

pour garantir aux justiciables le droit à un procès

équitable devant un juge impartial, a pour corollaire

une déontologie forte.

Selon le consensus dégagé dès septembre 2017

entre le directeur de programme, les responsables

du ministère de la Justice et le Secrétaire général du

Conseil supérieur de la magistrature algérienne, un

groupe de travail composé du Secrétaire général,

de deux membres élus du Conseil et de deux

représentants du Ministère de la Justice, avait été

constitué en mars 2018.

Ce n’est cependant qu’à partir de l’année 2019 que

ce groupe de travail s’est effectivement réuni, et a

validé deux actions principales :

• La première doit contribuer à valoriser la

communication du CSM, par l’édition d’une notice

présentant les textes fondateurs, la composition,

les modalités de travail et l’activité de cet organe

constitutionnel. Devraient également y être

publiées, après anonymisation, les décisions

disciplinaires prononcées chaque année, et ce

afin de guider les magistrats sur l’interprétation à

donner aux principes généraux édictés dans leur

charte de déontologie publiée en 2006.

• La seconde concerne l’actualisation de cette

charte, par l’élaboration d’un recueil orienté à la

fois sur les grandes valeurs déontologiques de la

magistrature (indépendance, impartialité, loyauté,

dignité, devoir de réserve…) et sur une approche

plus pratique de ces principes essentiels.

Parallèlement, et afin de mieux connaître les

interrogations déontologiques des magistrats dans

leur vie quotidienne, ont eu lieu ou vont se dérouler

cinq ateliers regroupant à l’École supérieure de la

magistrature de Kolea une vingtaine de magistrats

des ordres judiciaire et administratif, en provenance

de toutes les régions d’Algérie.

Le travail, mené en lien étroit avec la Cour suprême

et le CSM, se complète ainsi d’échanges très

fructueux avec des magistrats de terrain, fondés

sur la présentation

comparative préalable

des déontologies

f r a n ç a i s e e t

algérienne.

L’amélioration de la gestion des juridictions

E n g a g é e d e p u i s

plusieurs années sur la

voie de la réforme de

l’État, l’Algérie s’inscrit

dans un processus

de modernisation de

l’institution judiciaire

et en particulier des

juridictions.

En effet, l’organisation

et la gestion des

cours et tribunaux

conditionnent une

justice accessible et efficace, tout en préservant

l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Améliorer la gestion de l’institution judiciaire renvoie

à la gouvernance des juridictions, à la dynamique

de leur vie interne, ainsi qu’à l’efficacité et surtout

la qualité de l’activité juridictionnelle, dans un souci

de maîtrise de la dépense publique.

Dans ce contexte, le Ministère de la justice a,

dès la mise en œuvre du Programme d’Appui au

Secteur de la Justice en Algérie (PASJA), montré

un vif intérêt à la mise en place d’ateliers sur

l’amélioration de la gestion des juridictions au profit

de chefs de juridiction (présidents et procureurs de la

République), de secrétaires généraux et de greffiers

en chef issus de toutes les régions d’Algérie.

Ces ateliers sont l’occasion d’échanges à partir

d’outils pratiques permettant, à organisation

judiciaire constante, de développer la transparence

et la concertation au sein des juridictions en vue

d’une meilleure cohésion de la communauté

judiciaire, autour d’objectifs et indicateurs qualitatifs

et partagés.

Ainsi sont présentés aux participants divers outils

statistiques, mais aussi un rapport annuel de

performance, un projet de juridiction, un comité de

gestion, ainsi que toutes les instances de dialogue

social mises en place au sein d’une juridiction

française.

Il est également fait état de la méthode française

d’évaluation des magistrats et fonctionnaires,

élaborée autour d’un entretien contradictoire, ce

qui diffère beaucoup de la notation totalement

verticale toujours en vigueur en Algérie. Dans cette

présentation, l’évaluation apparaît comme un outil

au service des intéressés, mais aussi, et surtout, au

service des autorités de nomination, pour lesquelles

elle est un instrument de meilleure gestion des

ressources humaines.

Au cours des années 2018 et 2019, cinq ateliers

regroupant à l’origine vingt, puis quarante

participants, auront été organisés dans les locaux

de l’École Supérieure de la Magistrature à Kolea

sur cette thématique.

Les participants aux ateliers se sont montrés

vivement intéressés par cette dialectique d’une

gestion par la performance, axée sur la qualité au

service des justiciables, mais aussi sur de nouvelles

méthodes de travail, moins hiérarchisées et plus

participatives.

Une restitution de ces ateliers à l’ensemble des

juridictions est prévue par visioconférence. Enfin,

un colloque, programmé en fin d’année 2019 avec

les chefs de cours, permettra de valoriser les liens

indissociables qui unissent la gestion budgétaire,

administrative et juridictionnelle des juridictions, et

l’indépendance des juges.

La recherche de solutions pour désengorger la Cour suprême algérienne

Le sujet, considéré

comme très prioritaire,

a donné lieu en juin

2017 à un premier

diagnostic qui n’a pas

été suivi d’effet.

Sur l’insistance des

partenaires algériens,

une nouvelle équipe

d’experts, intervenue

en ju in et ju i l let

2 0 1 9, c o m p o s é e

d ’ u n c o n s e i l l e r,

d’une consei l lère

r é f é r e n d a i r e e t

d’une directrice des

services de greffe

d e l a c h a m b r e

criminelle de la Cour

de Cassation, s’est

rendue en Algérie.

Dans une démarche

plus pragmatique,

l e s e x p e r t s o n t

rencontré le président

et les conseillers de la chambre des délits et

contraventions, ainsi que les magistrats du

parquet général affectés à cette chambre, et ont

reçu l’aide de la conseillère chargée du service de

documentation de la Cour suprême.

Le nouveau Premier Président nouvellement

nommé à la tête de la Cour suprême – M. Tabi,

qui connaissait le PASJA pour en avoir été l’un des

responsables opérationnels -, a réitéré le caractère

prioritaire de l’action, et souligné qu’il en attendait

des résultats rapides, notamment sur les pourvois

formés par le ministère public et sur la procédure

de non-admission des pourvois.

La mise en œuvre du programme d’appui au secteur

de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

Les juridictions algériennes sont admin is t rées par des secrétaires généraux issus de l’École Nationale d’Administration et placés sous l’autorité des seuls procureurs généraux.

L’activité juridictionnelle, mesurée par des outils statistiques essentiellement quantitatifs, obéit à des délais brefs et impératifs.

Le 2 septembre 2018 a été promulguée la Loi d’organisation des lois de finances qui entrera en vigueur en 2023, dont l’article 2 fait référence aux « principes d’une gestion axée sur les résultats à partir d’objectifs précis définis en fonction des finalités d’intérêt général et faisant l’objet d’une évaluation ».

Depuis plusieurs années la chambre des délits et contraventions de la Cour suprême algérienne est sinistrée, avec un stock d’environ 175 000 dossiers en cours qui sont traités dans des délais particulièrement longs.

Cette s i tuat ion est en contradict ion avec les standard européen du traitement des procédures dans un délai raisonnable, à la réalisation duquel il entre dans les objectifs du PASJA de contribuer.

Ainsi la possibilité offerte, à l’occasion du PASJA, d’une mission susceptible de conduire à des propositions d e m o d e r n i s a t i o n d e cette chambre, et donc d’amélioration de la réponse apportée aux justiciables, a suscité l’adhésion du Premier Président et du Procureur Général de la Cour suprême.

Atelier-conférence sur la déontologie des magistrats animé par Mme Bussière, Présidente de Cour d’appel honoraire et M. Huet, Procureur Général honoraire.

Juin 2019, École Supérieure de la Magistrature, Koléa10 11

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La mise en œuvre du programme d’appui au secteur

de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

À l’issue d’entretiens et de constats aussi denses

que riches, les experts ont, dans un rapport du 17

juillet 2019, formulé trente-cinq préconisations.

Ces propositions, très concrètes pour certaines,

portent sur l’organisation de la chambre des délits

et contraventions, de son greffe, l’orientation

des dossiers, leur traitement automatisé après

identification de séries par type d’infraction, ou

simplifié, notamment en cas de moyens non sérieux.

À côté de ces mesures pragmatiques, ont été

également proposées des mesures destinées à

éviter la reconstitution du stock, grâce à un travail

de diffusion des arrêts les plus pertinents et à la

réaffirmation du rôle de la Cour suprême comme

juridiction du droit.

La conseillère chargée du service de documentation

de la Cour suprême a réalisé une synthèse de ce

rapport, qu’elle a traduite en langue arabe, avant

de la remettre au Premier Président. Selon elle,

ce rapport correspond aux besoins de la Cour et

doit faire l’objet d’échanges, prévus fin novembre

2019, entre ses auteurs et les membres de la haute

juridiction.

Cette rencontre sera décisive pour finaliser le plan

d’action finalement retenu et programmer sa mise

en œuvre en 2020.

De même, le voyage d’études à la Cour de

Cassation, programmé du 2 au 6 décembre 2019 à

l’intention du président de la chambre pénale, de la

conseillère chargée du service de documentation, et

de la responsable du service informatique, permettra

d’approfondir en particulier le fonctionnement de la

chambre criminelle, la procédure de non-admission

des pourvois, la numérisation des dossiers pénaux

et le traitement des archives.

Si les résultats espérés se concrétisent, le PASJA

aura permis d’améliorer effectivement le service

rendu aux citoyens, en réduisant drastiquement le

délai de traitement des procédures.

L’accompagnement de la mise en place du Tribunal Criminel

En 2017 et 2018, trois sessions de formation ont été

organisées, animées par Régis de Jorna, Premier

Président de chambre à la Cour d’appel de Paris,

coordonnateur du pôle Assises et président de cour

d’assises à Paris. La dernière, qui s’est tenue en

octobre 2018, avait réuni 12 présidents de tribunaux

criminels et 6 procureurs généraux.

À l’issue de celle-ci, l’expert avait exprimé le souhait

- resté lettre morte jusqu’à fin 2018 - de pouvoir

assister à quelques audiences criminelles, ce afin

de mieux cerner les objectifs, les modes de travail,

et spécificités de la procédure criminelle algérienne,

comme l’avaient d’ailleurs fait en France les deux

magistrats de la cour d’Alger accueillis en stage

en juin 2018 auprès de la cour d’assises de Paris.

Les nouveaux experts sont parvenus à convaincre

nos partenaires de l’intérêt primordial d’une telle

visite.

En mai 2019, Franck Zientara, également président

de cour d’assises à Paris, accompagné de l’un des

experts principaux, a ainsi pu assister à plusieurs

audiences du Tribunal Criminel de Blida. En juin

2019, il a animé une nouvelle session de formation

à destination des présidents de tribunaux criminels

et de membres de parquets généraux, ce qui porte

au-delà de 80 le nombre des magistrats algériens

ayant reçu une formation, celle-ci étant désormais

éclairée d’une meilleure connaissance, par les

experts français missionnés, de la mise en œuvre

sur le terrain de la loi algérienne de 2017.

L’optimisation du traitement des procédures pénales par le Parquet

Le thème du traitement direct des procédures

pénales et du choix des modes alternatifs aux

poursuites par le parquet a constitué dès le début

du projet une demande récurrente des bénéficiaires

pour améliorer l’efficacité de la chaîne pénale.

Des missions réalisées par Jean-Michel PRETRE,

procureur à Nice, en février 2017 et mars 2018,

avaient permis d’établir un état des lieux, après des

visites de la cour d’appel d’Alger et des tribunaux de

Rouiba et Dar El Beïda. Des constats, des analyses

et des propositions avaient été formulées, sans que

les séminaires de formation des procureurs algériens

proposés pour faire suite à cet état des lieux aient

pu être organisés.

La dénomination de l’atelier par les termes

« optimisation du traitement des procédures pénales

par le parquet » a été sciemment choisie pour en

afficher clairement l’objectif : non pas « vendre »

une forme de procédure déterminée, quelle qu’elle

soit, mais proposer une

réflexion sur les voies

et moyens d’améliorer

la qualité de la réponse

pénale apportée aux

infractions constatées.

Trois ateliers ont pu

être organisés en 2019,

réunissant à chaque

fois 20 à 25 procureurs

ou procureurs adjoints,

venant de toutes les

régions d’Algérie (Oran,

Alger, Tizi Ouzou, Ghardaïa, Tamanrasset, Adrar…)

Plus que la seule présentation de l’expérience

française du traitement en temps réel des procédures

(TTR), il s’agissait de partager avec les collègues

algériens, outre le droit positif régissant la matière

dans chaque pays, des réflexions sur la définition

d’une politique pénale (nationale, régionale et

locale), la maîtrise effective de la direction de la

police judiciaire, le contrôle du déroulement de

l’enquête, la mise en place de véritables « bureaux

des enquêtes », l’exercice du pouvoir d’opportunité

des poursuites par le procureur, le choix opéré par

le parquet entre modes alternatifs et les poursuites

etc…

Les procureurs ont manifesté un particulier intérêt

pour le concept français de la convocation par

officier de police judiciaire, qui permet d’éviter

les citations par

huissiers souvent

i n e f f i c a c e s e t

coûteuses.

Ils ont exprimé le

souhait de bénéficier

d ’ i n f o r m a t i o n s

actualisées à l’aune

d e s é v o l u t i o n s

l é g i s l a t i v e s e t

jurisprudentielles,

p a r v o i e d e

c i r c u l a i r e s

nat ionales, qui ,

selon eux, manquent

cruellement. De

la même façon,

l e b e s o i n d e

l’élaboration d’une

doctrine d’emploi des parquets dans le traitement

des procédures, leurs relations avec les services

d’enquêtes, s’est aussi exprimé.

La diversification des mesures alternatives aux

poursuites, telles qu’elles ont été considérablement

été étendues en France, a retenu également leur

intérêt.

La coopération entre les services d’inspection

Dans le cadre du PASJA, les bénéficiaires ont

souhaité concrétiser une coopération avec notre

Inspection générale de la Justice, déjà envisagée

précédemment, dans un contexte bilatéral, par

la signature d’une convention entre les services

d’inspection français et algérien.

C’est seulement en juin 2019 que ce souhait a pris

La loi 17-07 du 27 mars 2017 a créé en Algérie le Tribunal criminel de première instance et d’appel. Le code de procédure pénale consacre près de quatre-vingts articles (de l’article 248 à l’article 322 bis 9), à la composition, la compétence, l’organisation, le fonctionnement, la procédure suivie devant cette juridiction.

Composé en première instance d’un conseiller à la cour d’appel, président, de deux assesseurs magistrats et 4 jurés, en appel la formation du tribunal criminel, est identique à la seule différence qu’il est présidé par un Président de chambre de cour d’appel. Il est composé exclusivement de magistrats en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiants et de contrebande.

La formation des magistrats appelés à présider ou composer ces tribunaux criminels de première instance et d’appel (institués au siège de chacune des 48 cours d’appels d’Algérie), ainsi que des membres des parquets généraux qui requièrent devant eux, a été inscrite dans les objectifs du Pasja.

Si sur de nombreux points (tirage au sort des 4 jurés, prestation de serment, lecture de l’acte d’accusation, interrogatoire de l’accusé – assisté de son avocat -, audition de la victime (mineure) également assistée de son père, réquisitions du ministère public, plaidoiries de la défense, délibéré, prononcé du verdict, audience civile sur les dommages et intérêt…), la procédure suivie en Algérie ressemble à la procédure d’assises suivie en France aujourd’hui (ou qui l’était encore récemment), elle diffère sur d’autres, et en premier lieu la durée de l’audience. Là où en France un dossier de viol est rarement examiné en moins de deux jours d’audience, au TC de Blida, une telle affaire peut être traitée en moins de deux heures.

Le principe de l’oralité des débats est plus atténué en Algérie (peu de questions aux parties, qui ne sont pas réinterrogées à l’issue des auditions de témoins ou des victimes…). Il est vrai que lorsque le tribunal et les jurés entrent en délibéré, ils peuvent emporter le dossier de la procédure, et donc le consulter durant leur délibéré, ce qui n’est pas le cas en France. Les éléments de personnalité, évoqués succinctement juste avant que le tribunal n’entre en délibéré, sont réduits au minimum, les accusés refusant par ailleurs souvent, semble-t-il, l’expertise psychiatrique ordonnée. Le délai de comparution par rapport à la date des faits est significativement plus réduit en Algérie, même s’il semble que certaines affaires seraient sans doute jugées, en France, par un tribunal correctionnel.

L a p r o c é d u r e d e comparution immédiate a été introduite en Algérie en juillet 2015, de même que la médiation pénale, directement prise en charge par les procureurs eux-mêmes, modifications textuelles qui ont eu un impact direct sur l’exercice quotidien de leur fonction par les parquets.

En Algérie, des membres de l ’ IGMJ se déplacent normalement deux fois par an dans l’ensemble des 48 cours d’appels et des 210 tribunaux, dans des visites qui ne peuvent évidemment que rester assez succinctes.

En outre, ce sont les inspecteurs qui sont en charge de réaliser l’évaluation professionnelle des magistrats.

Le contexte institutionnel m o u v a n t e n A l g é r i e a notamment affecté l’Inspection : en effet, trois inspecteurs généraux se sont succédés à la tête de l’IGMJ depuis début 2019.

La mise en œuvre du programme d’appui au secteur

de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

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La mise en œuvre du programme d’appui au secteur

de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

une certaine effectivité, lorsque plusieurs membres

de l’Inspection générale de la Justice - deux

inspecteurs généraux et 4 inspecteurs - sont venus

à la rencontre de la quasi-totalité des membres

de l’inspection algérienne (21 participants), pour

une semaine particulièrement dense de formation

de leurs collègues sur des thèmes très variés :

Des éléments bien sûr sur le statut de l’Inspection

générale française et des membres de l’inspection,

et une présentation des différentes missions de l’IGJ,

en insistant sur les contrôles de fonctionnement et

la méthodologie suivie, les outils mis en place, les

questions de performance et de gestion budgétaire

et financière des juridictions…

Les inspecteurs algériens ont manifesté leur totale

satisfaction vis-à-vis de ce séminaire, qui leur a

apporté une vision comparative très intéressante,

sachant les différences significatives existant entre

les services d’inspection français et algérien.

Deux inspecteurs algériens, à l’invitation du chef de

d’IGJ, ont participé en septembre 2019 au séminaire

de prise de fonction des nouveaux inspecteurs,

séminaire auquel ont été conviés plusieurs

inspections étrangères francophones.

Plusieurs autres visites d’études en France sont

prévues d’ici la fin du projet, visant à associer

des inspecteurs algériens à des contrôles de

fonctionnement de juridictions.

Le PASJA ne concerne pas seulement la magistrature

et les tribunaux, il comporte aussi un volet de

renforcement structurel et de consolidation des

capacités des professions judiciaires.

JCI a donc, dès l’origine, cherché à créer des

contacts avec les barreaux et les notaires d’Algérie,

pour s’accorder avec eux sur les activités qu’il

conviendrait de développer ensemble pour remplir

cet objectif.

Ainsi, une première mission composée de trois

membres du Conseil national des Barreaux est

intervenue au début du projet, et a été réitérée

en septembre 2017, mais les contacts ainsi noués

avec les confrères algériens – du barreau d’Alger,

pour l’essentiel d’entre eux - n’ a jusqu’en 2019 pu

déboucher sur aucune action concrète.

De la même façon, les premières démarches

auprès des notaires n’ont dans un premier temps

pu conduire qu’à des échanges non suivies d’effets,

ce alors même que la profession faisait état d’un

défi phénoménal à relever : absorber, pour 2020,

l’arrivée dans la profession de 1 300 nouveaux

notaires.

Une dynamique s’est cependant créée à partir de

la mi-2019.

Du côté des avocats, le projet s’est trouvé relancé

par la désignation par l’Union des avocats du

bâtonnier de Blida, Me Medjouba, pour superviser

la coopération au sein du PASJA. Dynamique et

innovant, celui-ci, soucieux de permettre à ses

confrères d’acquérir une compétence susceptible

de crédibiliser le Barreau, a souhaité la priorisation

des questions de formation, et pour suivre, le CNB a

modifié la composition de l’équipe dédiée au projet,

afin de majorer son expertise sur cette question,

et celle de la création d’écoles d’avocats. C’est

ainsi qu’enrichie de la présence de Madame Karline

Gaborit, membre de la commission formation du

CNB ayant participé aux programmes Euromed, et

de M.Benoît Dumontet, avocat, directeur d’une école

d’avocats en France, la nouvelle mission effectuée

à l’été 2019 a pu, avec le Barreau de Blida, désigné

pilote, déterminer les actions à mettre en œuvre.

C’est le plan ainsi conçu qui, aujourd’hui, a

commencé à se dérouler.

Dans un premier temps, trente-quatre avocats

ont été sélectionnés par leurs barreaux, assurant

la représentation de 19 d’entre eux, selon une

répartition géographique équilibrée, pour participer

à une formation de premier niveau de trois jours ,

leur permettant d’envisager d’encadrer d’autres

formations dans le futur.

Dans un deuxième temps, a eu lieu cette formation,

conduite par un avocat et une psychologue, et

modérée par  un autre avocat. Hébergée dans les

locaux de l’Université de Blida, le plus important

pôle universitaire d’Algérie, ce qui lui a conféré une

charge symbolique forte, elle a été très positivement

appréciée par les bénéficiaires .

Dans le groupe des avocats ayant ainsi bénéficié de

la formation, quinze ont été identifiés qui devraient,

dans un troisième temps, participer en 2020 à des

visites d’écoles de formation d’avocats françaises, le

cursus prévu devant leur permettre d’appréhender

la gestion des structures institutionnelles propres à

la profession : école, caisse, barreau, à travers un

séjour en immersion auprès de barreaux français.

Quinze autres avocats pourraient accéder à une

formation de formateurs en ligne.

Ainsi complétée courant 2020, la formation serait

clôturée en septembre 2020 par une « Université

d’Été » selon un format qui reste à préciser, mais qui

pourrait être ouverte à tous les avocats d’Algérie.

Du côté des notaires, pour relever le défi de l’arrivée

en masse de nouveaux confrères, les experts

français ont élaboré une stratégie à double détente.

Elle vise d’abord à renforcer les capacités

organisationnelles de la Chambre Nationale des

notaires algériens , avec notamment la venue à Paris

des instances dirigeantes, auxquelles il sera proposé

de découvrir in situ les principaux organismes en

charge de la profession en France.

Ce renforcement des capacités passera également

par l’élaboration d’une version algérienne du Guide

de l’installation des jeunes notaires.

Mais l’élément central de cette stratégie, parallèle

à celle déployée par les avocats, c’est l’objectif de

former quinze formateurs, avec l’appui de l’INAFON,

un institut notarial de formation, fortement impliqué

aux côtés du CSN. Les bénéficiaires de cette

formation seront ainsi mis en capacité de dispenser

eux-mêmes les formations nécessaires à l’ensemble

des nouveaux notaires, ce pour quoi ils recevront

l’assistance des tuteurs de ce même INAFON. C’est

bien une première qui va se réaliser à cet égard

dans le cadre du PASJA, car jusqu’à présent, en

Algérie, aucune formation spécifique n’était jamais

venue précéder l’entrée en fonctions d’un notaire.

En soutenant de la sorte la stratégie de formation

des professions, le PASJA entend insuffler en

leur sein des standards nouveaux en termes de

compétences, de savoir-faire et savoir-être, qui

permettront à ces auxiliaires incontournables du

système judiciaire d’ offrir de meilleurs services

à leurs clients, tout en contribuant à renforcer la

confiance dans la justice et à asseoir l’état de droit.

3. Perspectives On peut ainsi parler d’une vraie réussite de plusieurs

actions très concrètes menées depuis mars dernier,

qu’illustre la satisfaction des bénéficiaires, exprimée

dans les fiches d’évaluation et lors des réunions des

responsables opérationnels.

Ces résultats concrets ont d’ailleurs justifié le

prolongement du projet pour un an, ce qui devrait

permettre de les consolider, et de neutraliser les

effets de la quasi-absence d’activités du projet

pendant le second semestre 2018.

Cette consolidation requiert la réussite de la

seconde phase, d’où l’on attend en particulier

Sur la déontologie des magistrats, à l’issue des

ateliers,

• Une restitution, par visio-conférence avec les

48 cours de justice, à l’ensemble des magistrats

algériens, des travaux de ces ateliers,

• La finalisation de l’actualisation de la charte de

déontologie – grâce à la remontée vers le CSM

les nombreuses questions que ne manquent pas

de se poser les magistrats sur l’interprétation à

donner aux principes généraux de leur charte -,

• et surtout, l’initiation d’une réflexion sur les critères

de sélection des chefs de juridiction, sujet très

sensible puisque directement lié à la nomination

aux postes de responsabilité, via la création d’une

commission ad hoc à laquelle le PASJA serait

associé : ainsi, parti d’une action circonscrite

essentiellement à la déontologie des magistrats,

le groupe de travail pourrait , avant la fin du

PASJA, être associé à des questions plus liées

à la gouvernance du pouvoir judiciaire et à son

indépendance.

Sur la gestion des juridictions, l’élaboration, en

totale collaboration avec notre partenaire algérien,

d’un manuel d’une bonne gestion des juridictions,

qui serait mis en œuvre à titre expérimental dans

quelques sites pilotes : les actions mises en œuvre

par le PASJA auront alors contribué à ouvrir les

responsables judiciaires sur des méthodes de

gestion garantes de l’indépendance de la justice

et de la qualité des décisions judiciaires. Parvenir à

un changement d’approche gestionnaire de ce type

est un préalable indispensable avant d’envisager,

à plus long terme, des modifications structurelles

des juridictions et de leur gestion.

La mise en œuvre du programme d’appui au secteur

de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

Atelier de formation à la gestion des juridictions

Mars 2019, École Supérieure de la Magistrature, Koléa14 15

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La mise en œuvre du programme d’appui au secteur

de la justice en Algérie, entre ambitions et réalités

Sur l’optimisation du traitement des procédures

pénales, une fois toutes les séquences d’échanges

réalisées, la rédaction d’un manuel de traitement

des procédures pénales par les parquets algériens,

ce qui exige d’associer à la démarche un petit

groupe de magistrats algériens (procureur général,

procureur, DAPG, ESM…), groupe à constituer

incessamment.

Sur le Tribunal criminel, l’élaboration d’un manuel

sur la présidence d’audience des tribunaux criminels,

avec la même obligation d’obtenir une indispensable

collaboration avec le partenaire algérien, et donc,

à cette fin, de réunir sur ce thème également un

petit groupe de travail, composé de présidents de

tribunaux criminels, de parquetiers, de représentants

de la DAPG, de la Cour suprême et de l’ESM. Deux

réunions au moins devraient se tenir en 2019 puis

2020, avec l’assistance de l’un puis l’autre des

deux experts français engagés. Ce manuel une

fois élaboré et validé, de nouvelles formations

qui permettraient d’en assurer la dissémination

pourraient être organisées. Il constituerait en

outre une référence pérenne, qui permettrait à des

formateurs algériens d’assurer eux-mêmes les

formations dans l’avenir.

Sur les professions, une accélération de leur

engagement qui permette, en dépit d’un démarrage

très tardif, de réaliser l’essentiel des prévisions du

projet, ou du moins de jeter des bases suffisantes

pour que le travail de renforcement puisse se

poursuivre même après la date de fin du PASJA :

• Pour les avocats, les actions de formation de

formateurs, s’il elles sont menées à bien – en ce

compris le cursus en France – permettront à leurs

bénéficiaires d’épauler les formateurs nationaux

en Algérie, et d’ accompagner la structuration de

trois ou quatre centres de formation régionaux,

situés dans des locaux appartenant à trois ou

quatre barreaux choisis selon un maillage territorial

pertinent, à la création desquels le PASJA devrait

poser les jalons préparatoires.

• Pour les notaires, la réussite dépendra, de manière

similaire, de la capacité effective -ou non – des

bénéficiaires de la formation de formateurs à

appliquer efficacement les acquis de leur formation

au profit des nouveaux entrants dans la profession.

Globalement, le succès d’ensemble de cette

seconde phase se mesurera à l’aune de la plus ou

moins grande réussite de la combinaison entre les

actions prévues – formations et visites d’études -

et la rédaction conjointe, avec les interlocuteurs

algériens, des « livrables » attendus dans chacune

des thématiques abordées.

Pour autant, ce ne sont pas les experts intervenant

dans le cadre du PASJA, quelle que soit leur autorité,

qui décideront de la réorganisation du système

de nomination des juges, ni de l’organisation ou

du mode de gestion des juridictions, ni encore de

la mise en place de procédures spécifiques pour

désengorger la Cour Suprême, ou des modes

de traitements plus efficaces et plus rapides des

procédures pénales, ni non plus de confier de

nouvelles missions aux services d’inspection… Les

modifications structurelles nécessaires dépendent

exclusivement des responsables algériens qui

prendront, ou non, la décision de proposer et porter

telle ou telle réforme : le respect de la souveraineté

du pays bénéficiaire l’exige, et c’est bien ainsi que

s’entend la coopération en tous domaines, et de

façon plus prégnante encore lorsqu’elle est mise

en œuvre dans un domaine régalien.

Mais les échanges directs sur ces sujets, rendus

possibles par les activités développées dans le

cadre du PASJA, ne servent pas seulement à ouvrir

la réflexion sur de possibles réformes. Ils permettent

aussi de présenter des outils et méthodes de

travail dont la mise en œuvre peut déjà, même

à organisation judiciaire constante, contribuer à

améliorer l’indépendance de la Justice et de tous

ses acteurs.

Cette politique de petits pas peut sembler en

décalage avec les ambitions affichées par les

projets d’assistance technique d’envergure, mais

elle est, concrètement, la seule manière d’avancer,

en installant progressivement un climat constructif

qui encourage le dialogue, donne du crédit

aux propositions formulées et suscite, chez les

bénéficiaires, le désir de les mettre en œuvre.

À cet égard le projet PASJA III, s’il confirme la

complexité du pilotage de tels projets transversaux,

démontre aussi très clairement l’utilité de pouvoir

travailler avec les mêmes partenaires sur une

période de plusieurs années, et la réalité des fruits

modestes, mais souvent pérennes, qui en résultent,

dans l’intérêt mutuel de toutes les parties engagées.

L’action internationale du notariat français

PROFESSIONS

Le Conseil Supérieur du notariat – ci-après LE CSN

- est membre de Justice Coopération Internationale

depuis la création du groupement.

Depuis cette date, JCI n’a pas encore eu l’occasion

de mettre en œuvre l’expertise des notaires dans

le cadre de ses projets multilatéraux autrement

que de manière sporadique, par exemple dans le

cadre du projet PASJA en Algérie. Cette faiblesse

de leur présence dans le champ de ses activités

opérationnelles tient au fait que les programmes

de la nature et du format de ceux que JCI a pu

jusqu’à présent mettre en œuvre abordent le travail

sur les systèmes judiciaires essentiellement sous

l’angle du renforcement des fonctions et capacités

des juridictions, préférentiellement, en outre, dans

leurs composantes pénales. Les opportunités ont

donc manqué jusqu’ici, pour l’opérateur Justice, de

pouvoir mettre en avant les capacités d’expertise

de notre notariat, qu’il s’agisse de travailler sur la

fonction notariale elle-même ou sur les matières

qui sont au cœur de son expertise.

Il n’en est pas moins opportun que ces Cahiers,

dédiés par JCI à la mise en valeur de la coopération

juridique et judiciaire française sous toutes ses

formes, s’emploient à valoriser l’action internationale

du CSN, dont les formes diverses seront ci-après

présentées selon les trois axes sur lesquels elle

se déploie :

• D’une part, la coopération inter-institutionnelle

bilatérale, menée de longue date par le CSN

pour promouvoir la fonction notariale et le droit

français ;

• D’autre part, la fonction d’appui juridique que sa

forte implication extérieure lui permet de mettre

en œuvre au bénéfice des citoyens européens, et

des citoyens et entreprises français à l’étranger ;

• Enfin, son apport à la coopération internationale

dans le champ de ses domaines d’expertise

majeurs que sont le foncier et l’état -civil, l’un

comme l’autre essentiels pour le renforcement ou

le rétablissement de la sécurité juridique et des

droits humains dans les pays en développement,

émergents ou en sortie de crise.

16 17

Page 10: Les cahiers - GIP JCI · Relancée au sortir de la décennie 90 – les « années noires », pour l’Algérie - son renouveau, qui se vit bien sûr d’abord au niveau politique,

L’action internationale du notariat français

1. UNE ACTION BILATÉRALE DE PROMOTION DU NOTARIAT ET DU DROIT FRANÇAIS

La fonction notariale est en pleine expansion : En

l’espace de soixante ans, l’Union internationale

du notariat a multiplié par quatre le nombre de

ses membres. Elle en compte aujourd’hui 88, dont

22 – de la Chine à la Bosnie-Herzégovine – ont

adhéré depuis l’an 2000, les Etats d’origine de

ces membres représentant ensemble plus de 50

% de la population mondiale, et plus de 60 % du

PIB de la planète.

Les pays qui décident de la création d’un notariat

sont en général des pays en forte croissance

économique, de culture fondée sur l’écrit, ou des

pays qui entendent renouer avec la démocratie et

l’État de droit. Le notariat existe ainsi dans 14 Etats

membres du G20, et dans 22 des 28 pays de l’Union

européenne, ces derniers unis au sein d’un Conseil

des notariats de l’Union Européenne – le CNUE.

Le notariat est donc un produit d’exportation, dont le

notariat français, l’un des plus anciens, solidement

ancré dans le paysage juridique national, s’est de

longue date attaché à assurer la mise en valeur,

en promouvant non seulement la fonction notariale

mais aussi, avec elle, le droit français, ou plus

largement, le notariat latin, et le droit romano-

germanique. Rappelons ici, à cet égard, que le CSN

a été le principal apporteur des fonds qui ont permis

la création en 2007 de la Fondation pour le droit

continental.

Son action interinstitutionnelle bilatérale d’envergure

– le CSN investit près de 2,5 millions d’euros par an

dans son action européenne et internationale – se

traduit notamment

• Par l’existence actuelle de vingt-six accords

de partenariat, unissant le Conseil Supérieur

du notariat aux notariats et ministères de la

justice étrangers, conclus avec des pays du

pourtour méditerranéen (Algérie, Maroc, Tunisie),

d’Asie (Kazakhstan, Chine, Mongolie, Vietnam,

Cambodge), du Proche- et Moyen-Orient (Iran,

Liban, Émirats-Arabes-Unis), d’Amérique (Colombie,

Haïti), d’Europe de l’Est (Russie, Pologne, Roumanie,

Bulgarie, Serbie, Hongrie) ou encore de l’Océan

indien (Madagascar, Île Maurice, Comores) , outre

des accords conclus aussi avec l’Allemagne,

l’Italie, la Belgique et le Québec.

• Par le lancement sous son impulsion, en 1992, sur

le continent africain, de l’Association du notariat

francophone, riche aujourd’hui de 25 membres.

• En Asie, par la création il y a plus de quinze

ans, en coopération avec les ministères de la

justice français et chinois, la Cour de Cassation

et l’Université de Paris II- Assas, du Centre sino-

français de formation et d’échanges notariaux et

juridiques à Shanghai, dans le but de contribuer,

par le droit, à la politique d’influence de la France

en Chine. Dans ce pays, le CSN est également

présent à Pékin, où un partenariat avec l’Université

des sciences politiques et juridiques lui a permis

l’ouverture d’une antenne dans cette université.

L’existence de ces accords bilatéraux se traduit

concrètement par la conduite régulière d’actions

de formation par les notaires français, qui en

moyenne interviennent chaque année auprès de

mille professionnels du notariat.

En Chine, l’antenne permanente que constitue le

Centre permet le déploiement d’activités pérennes

autour de trois axes : la formation d’élites chinoises

francophones, avec la mise en place de plusieurs

mastères juridiques franco-chinois, un travail

d’expertise et d’échanges sur les projets de lois,

essentiellement dans le domaine des droits civil

et commercial, enfin, un travail de sensibilisation

des chercheurs, juristes et fonctionnaires chinois

au système juridique et au droit français. Dans ce

contexte, plus de cinq mille de ces chercheurs,

juristes et fonctionnaires chinois ont à ce jour

bénéficié, dans le cadre du Centre, d’une action

de formation.

2. UN ACCOMPAGNEMENT DES CITOYENS EUROPÉENS ET DES CITOYENS ET ENTREPRISES FRANÇAIS À L’ÉTRANGER

À côté de ce travail de promotion du droit français, le

Conseil supérieur du notariat s’est toujours fortement

engagé pour que la construction de la règle de

droit s’oriente vers la facilitation du quotidien et

des relations juridiques des entreprises et citoyens

français à l’étranger, et pour la mise en place d’outils

qui leur en facilitent la mise en œuvre. Ainsi

• Au niveau de l’Union Européenne,

• Sur le terrain normatif, s’appuyant sur un Bureau des

notaires de France créé à Bruxelles dès 2005, le

Conseil supérieur du notariat a fourni son expertise

à la Commission Européenne pour l’élaboration de

plusieurs textes impliquant la spécialité notariale,

tout particulièrement les règlements relatifs aux

successions internationales, et aux régimes

matrimoniaux et partenariats enregistrés.

• Dans le cadre de l’élaboration de ces textes comme

en général, il œuvre sans relâche à l’extension du

L’action internationale du notariat français

AFRIQUE8%

DIVERS22%UNION

EUROPÉENNE29%

RUSSIE ET ASIE CENTRALE

6%CHINE35%

Montant des dépenses internationales

du CSN par région, en 2018

ÉVOLUTION DU MEMBERSHIP DE L’UNION INTERNATIONALE DU NOTARIAT DEPUIS 1948

1948

2019

1992

18 19

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L’action internationale du notariat français

champ de l’acte notarié et à sa reconnaissance

transfrontalière, en vue de permettre aux

entreprises et expatriés français de bénéficier

d’un environnement reproduisant les garanties

de sécurité juridique que l’acte authentique notarié

français confère aux opérations personnelles et

commerciales qu’il consacre.

• Au sein du CNUE, le CSN s’est aussi beaucoup

impliqué dans l’élaboration d’outils, mis ensuite à

la disposition des citoyens européens, pour leur

faciliter l’accès à la connaissance, puis à l’usage

de leurs droits. Il en va ainsi

> De la mise en ligne, par les notaires d’Europe,

d’informations sur le droit des Etats membres en

matière de ventes d’immeubles, de successions, de

régimes matrimoniaux, de partenariats enregistrés,

de protection des mineurs et des personnes

vulnérables, avec des co-financements européens.

> De l’ouverture d’une plateforme d’échanges

sécurisée et de la création d’un Réseau notarial

européen, qui, en fluidifiant la coopération entre les

notaires de différents pays, facilitent le règlement

des dossiers transfrontaliers au bénéfice des

usagers.

> De la création d’un Réseau européen des registres

testamentaires, fort aujourd’hui de 20 membres,

qui permet, à la suite d’un décès, d’interroger

simultanément plusieurs registres d’Europe pour

rechercher l’existence éventuelle d’un testament,

ce qui, dans les règlements successoraux, facilite

la connaissance et donc la prise en compte des

dernières volontés exprimées.

• Au-delà du territoire des pays de l’Union

Européenne, le CSN s’attache à soutenir les

entreprises de plus en plus nombreuses créées

dans les pays émergents par des citoyens français,

qui s’y trouvent confrontés à des questions de

droit international nombreuses, parfois imprévues,

variables selon leur lieu de résidence, qui peuvent

toucher aussi bien leur personne et leur famille

que leur patrimoine, et qu’il leur est impératif de

pouvoir résoudre.

Pour les aider, depuis 2009, le CSN, en lien avec

le Ministère des affaires étrangères, organise

régulièrement et gratuitement des rencontres

juridiques avec les consulats, les Chambres de

commerce et d’industrie françaises, et des notaires

1 - https://www.notaires.fr/multimedia/document/guide_juridique_expatriation.pdf

ou juristes locaux, qui permettent de présenter les

situations, d’en débattre, et potentiellement de

prévenir des problèmes juridiques ultérieurs. Depuis

2011, soixante-cinq rencontres, ainsi organisées, ont

touché plus de trois mille expatriés. Parallèlement,

un Guide juridique des Français de l’étranger est

mis à disposition librement en ligne1.

De façon plus spécifique, un accord signé en 2016 et

élargi en mars 2019 avec la Chambre des notaires

du Québec, en accord avec les Ministères de la

justice et des affaires étrangères des deux pays,

facilite les démarches pour les Français au Canada

et pour les Québécois en France.

En ce qui concerne les entreprises, un accord

facilitant leur accompagnement à l’étranger a été

signé en mai 2013 entre le CSN et CCI International.

3. UN APPUI AU RENFORCEMENT DE L’ÉTAT DE DROIT ET DES DROITS HUMAINS DANS LES PAYS EN SORTIE DE CRISE OU EN DÉVELOPPEMENT

Deux compétences constituant l’une et l’autre des

domaines d’excellence de l’expertise notariale ont

vocation à être exploitées dans des pays où les

carences en ce domaine portent une atteinte forte

aux droits des individus qui en sont privés. Et de

fait, dans l’une et l’autre de ces compétences – le

droit foncier, et le droit de l’état-civil -, les notaires

français, forts de leur présence dans une centaine

de pays à travers le monde, mettent en œuvre

cette expertise, au soutien de l’amélioration de la

gouvernance démocratique et du renforcement de

l’état de droit.

La sécurisation de la propriété foncièreLa sécurisation du droit individuel de propriété est

une condition du développement, de même que

l’égal accès de tous à ce droit, sans distinction

ethnique ni de genre. En effet, l’existence d’un

système foncier sécure

• Garantit la stabilité de l’exploitation agricole,

notamment celles de petite taille, et sécurise ainsi

la production alimentaire de subsistance,

• Évite les litiges coûteux générés par les

contestations sur les droits de propriété foncière,

• Rassure les investisseurs privés qui souhaiteraient

réaliser des implantations industrielles,

commerciales ou touristiques,

• Facilite l’accès au crédit, grâce à la possibilité de

prendre des garanties sûres sur les biens fonciers

• Vient préciser exactement les droits de chaque

propriétaire, notamment ceux des femmes au sein

d’une famille, appuyant ainsi la lutte pour leur égal

accès à l’héritage,

• Permet enfin une meilleure gestion des ressources

naturelles et une meilleure maîtrise des questions

environnementales, en facilitant la lutte contre les

fléaux tels la déforestation.

La bonne administration foncière a donc un intérêt

à la fois légal, social, économique et fiscal, et elle

repose sur trois piliers :

• L’identification précise de la propriété grâce à

un cadastre, à des cartographies et revues

photographiques, et la possibilité de contrôler

l’identité des propriétaires,

• La mise en place d’un registre des droits

de propriété qui rassemble l’ensemble des

transactions immobilières sur les droits immobiliers

de toute nature détenus par toute personne ;

• L’existence d’actes – de vente, de donation, de

partage - parfaitement sécures.

Qu’il s’agisse de propriété rurale ou urbaine, le

CSN, fort de l’expertise qu’il tire de son monopole

multiséculaire dans l’établissement d’actes

authentiques et l’enregistrement et la transmission

des droits de propriété en France, intervient en des

endroits variés du monde, où

1 - Voir la vidéo de présentation sur https://youtu.be/8B4YuwUS7B0)

• Il participe à de nombreuses conférences

permettant les partages d’expériences sur les

questions foncières  : ainsi par exemple, des

ateliers organisés en 2010-2011 dans le cadre de

l’Assemblée parlementaire de la francophonie, des

conférences annuelles de la Banque Mondiale

sur le thème « Questions de propriété foncière et

pauvreté » dans lesquelles les notaires français

interviennent régulièrement sur le thème de la

gestion foncière depuis 2010, et de nombreux

autres symposia internationaux en Afrique ou en

Amérique latine ;

• Il est associé à divers programmes axés sur

l’amélioration de la gestion des biens fonciers,

par exemple :

> En matière de propriété immobilière rurale, au

sein de l’Organisation des Nations-Unies pour

l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), il s’est impliqué

dans la rédaction des « directives volontaires pour

la gouvernance responsable des régimes fonciers

des terres, pêches et forêts » adoptées le 11 mai 2012.

Sous son impulsion, l’Union internationale du

notariat a signé en janvier 2016 un accord de

coopération avec la FAO, afin de lui apporter son

expertise et de promouvoir l’application de ces

directives dans le monde. Dans ce cadre, trois

séminaires de travail communs ont notamment

été organisés les deux dernières années dans

les Balkans, sur l’égalité hommes-femmes dans

l’accès à la propriété immobilière, et un manuel

est en cours de rédaction à ce sujet.

> En ce qui concerne la propriété urbaine, au

regard du concept de ville durable, les notaires

de France, conjointement avec les géomètres-

experts, l’Université et la FNAIM, promeuvent

la copropriété comme une solution de gestion

durable de l’habitat, par la promotion d’un kit de

la copropriété1 . Leur expertise a été requise sur le

sujet par ONU-Habitat et par la Banque mondiale,

et cette question – la copropriété - a également

fait l’objet de missions de formation effectuées

au Cameroun, de concert avec l’École nationale

de la magistrature, et de missions d’encadrement

juridique à l’Ile Maurice pour le compte du Bureau

mauricien de l’investissement.

L’action internationale du notariat français

20 21

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L’action internationale du notariat français

• Il conduit des missions d’expertise sur site à la

demande d’organisations internationales et de

gouvernements étrangers, ainsi

• Il a établi avec les Nations Unies (UNDP) et à

l’International Development Law Organisation

(IDLO)une coopération institutionnelle au titre de

laquelle il fournit à ces organisations son expertise

dans le domaine foncier.

• Après un audit de la situation du système de

propriété foncière du pays demandeur, il a assisté,

et continue d’assister, de nombreux Etats, ainsi

> Haïti, en prenant part à la restauration de la

situation foncière après le tremblement de terre

(2010),

> Le Vietnam, dont il a modernisé le système

foncier (2010),

> Le Togo (2010) et la Colombie (2013), dont il a

évalué les réformes

> Madagascar, où il a audité les failles du système

existant (2011),

> Le Qatar, dont il a proposé les procédures de

contentieux en matière de propriété foncière (2011),

> Le Burkina Faso, dont il a aidé à codifier le régime

de propriété foncière (2013),

> En dernier lieu Maurice, où il a proposé des kits

législatifs pour la mise en place de régimes de

copropriété et d’association foncière (2018).

L’effectivité et à la sécurisation de l’état civilDans les pays en développement, de nombreux

enfants sont dépourvus d’état -civil, faute d’avoir

été enregistrés dans les délais : cette situation

concerne le chiffre faramineux de 230 millions

d’enfants de moins de cinq ans à travers le monde

qui, étant ignorés des autorités de leur pays, sont

privés de fait d’accès à l’éducation et à la santé,

avant d’être, à l’âge adulte, privés en outre de leur

droits civiques, du droit de circuler librement, et

de l’accès au marché du travail officiel ; ils sont

ainsi la proie de tous les trafics : travail clandestin,

envoi dans des réseaux de prostitution infantile ou

de mendicité, enrôlement dans des milices ou des

armées rebelles, plus tard émigration forcée, avec

ses risques propres et, ensuite, l’impossibilité de

1 - « Les enfants fantômes » (2014, éd. Albin Michel), par, Me Dejoie, Président de l’international du CSN et Président de l’ANF, a rédigé avec Me Harissou, notaire camerounais

régulariser leur situation faute de papiers justifiant

de leur identité et de leur nationalité.

Tenus, dans le cadre de leur mission, de vérifier

l’état-civil des parties, les notaires, du fait de leur

ouverture à l’international, ont pris une conscience

particulière de cette réalité. En lien avec l’Association

du notariat francophone, le CSN conduit un

persévérant travail de sensibilisation des pouvoirs

publics et des institutions et bailleurs internationaux

à cette situation, qui l’a amené notamment

• À contribuer au guide pratique publié par

l’Organisation internationale de la Francophonie

(OIF) pour la mise en place des registres d’état

civil et le recensement ;

• À organiser des colloques sur le sujet, en avril

2015 à l’Assemblée nationale, puis un autre en

septembre 2016 en collaboration avec l’Association

du notariat francophone, la banque et le ministère

des affaires étrangères ;

• À participer à la réalisation d’un documentaire

exposant cette problématique au regard de la

situation des enfants africains :  «Les enfants

fantômes, un défi pour l’Afrique  », qui a fait

l’objet d’une diffusion télévisée en juillet 2018

(LCP et Canal Plus Afrique) avant d’être projeté

au Parlement européen le 28 novembre 2018, et

à l’Assemblée nationale le 11 juin dernier.

• À soutenir la diffusion d’un ouvrage sur le sujet,

corédigé par deux notaires, l’un français et l’autre

camerounais1.

Très récemment encore, le 5 novembre 2019, le

CSN a présenté la question lors d’une séquence

de la Legal week de la Banque Mondiale, devant

des étudiants en droit de la George Washington

University, puis encore le 11 novembre, à l’occasion

de l’anniversaire des trente ans de la Convention

Internationale des droits de l’enfant à l’Organisation

internationale des Nations unies à Genève.

Le notariat mène aussi, conjointement avec l’UNICEF,

des missions de terrain visant à renforcer le rôle du

notariat dans les réformes de l’état-civil :

• En Côte d’Ivoire, du 28 mai au 2 juin 2017, avec

une représentante de l’Organisation internationale

de la Francophonie

• Au Sénégal – à Dakar puis en Casamance -, du 14

au 19 avril 2019, déplacement à l’occasion duquel

ont eu lieu des rencontres avec les autorités

institutionnelles nationales et locales et de

nombreux débats avec les populations, alimentés

par la projection, dans les lieux mêmes de son

tournage, du documentaire ci- dessus évoqué.

La question est d’importance  : outre ses

conséquences individuelles dramatiques - un

enfant, même le plus brillant de sa classe en toutes

matières, dans l’école primaire de son village, ne

pourra faute d’identité passer l’examen final qui

conditionne son accès au collège, puis au lycée et

à l’université -, elle a un impact terrible en termes de

développement : comment proposer une politique

sanitaire infantile, une politique de vaccination, une

politique d’éducation, comment, plus largement,

quantifier les besoins d’une population, avoir

une vision prospective du marché du travail, si

l’État ignore le nombre et de la géographie des

naissances, donc des futurs accédants à ses services

– tout comme il ignore aussi, du coup, l’âge réel de

sa population et le nombre des décès ?

Des solutions techniques existent, dont l’élaboration

est bien sûr complexe, mais la mise en œuvre simple

et efficace : ainsi a été développé au Burkina Faso

un système, présenté dans l’ouvrage de Mes Dejoie

et Harissou, qui permet d’enregistrer les enfants

dès la naissance : un bracelet porteur d’un code

numérique unique est attribué à chaque bébé, qui,

via une application sur téléphone portable, permet

de transmettre directement sur un registre national,

par SMS crypté, des éléments d’identification de

l’enfant auquel ce code a été affecté.

Le notariat œuvre pour que ce système puisse

être étendu à d’autres pays, en Afrique et sur

d’autres continents, mais le travail d’information

et de persuasion est long et difficile : il ne faut pas

ignorer en effet qu’en dépit des bénéfices liés à la

sécurisation de l’enregistrement des naissances, des

forces locales puissantes y résistent, composées

aussi bien des recruteurs de tout poil qui exploitent

ces « enfants fantômes », que de tous les profiteurs

des activités parallèles générées par les carences

actuelles de l’enregistrement des naissances, ni les

uns ni les autres n’ayant intérêt à voir disparaître

la source des revenus qu’ils en tirent. L’appui

international est donc essentiel pour faire triompher

de telles solutions.

L’action internationale du notariat français

22 23

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L’action internationale du notariat français

Conclusion Les activités de coopération internationale que les

notaires français mettent en œuvre sous l’égide

de leur Conseil national donnent un témoignage

saisissant de la vitalité de la profession et de sa

capacité d’adaptation au contexte d’une société

désormais internationalisée.

Leur place historique dans notre ordre juridique

était celle de conseiller l’individu et la famille, sur

les questions familiales et patrimoniales, et de leur

garantir des solutions pour prévenir et résoudre

les conflits, - amiablement si possible – en toute

sécurité juridique.

Après s’être ensuite ouvert au monde économique et

à ses évolutions, le notariat, épousant le mouvement

d’ouverture sur l’Europe et à l’international, s’est fait,

dans cet univers élargi, son propre promoteur, et en

même temps celui des solutions juridiques proposées

par le droit français, dont il fait quotidiennement

l’application. Dans le même temps, il a suivi les

mouvements transfrontaliers des citoyens et des

entreprises françaises et étendu hors des frontières

nationales, à leur bénéfice, son rôle traditionnel

d’appui et de conseil. 

Ce travail de coopération internationale est à

saluer, car même orientés au service du droit, des

citoyens et des entreprises françaises, le rôle joué et

l’expertise fournie ont des résultats qui bénéficient,

au-delà, à la progression de la sécurité juridique

dans son ensemble, très au-delà de nos frontières.

Mais le plus remarquable, bien que sans doute moins

connu, est le travail de coopération internationale

accompli par le notariat français en soutien direct des

droits humains : au-delà de l’appui aux personnes,

il se met ainsi au service des idées, en coïncidence

avec la stratégie française de développement par

les droits, ce qui fait de lui un acteur français notable

du soutien à la bonne gouvernance et à l’état de

droit dans les pays fragiles.

Les enjeux d’une transformation du système judiciaire par le numérique

Regards d’experts

Docteur en science de l’information de Paris-8,

Maroun JNEID est maître de conférences en

systèmes d’information et innovation à l’université

Antonine au Liban, et expert international en

technologies de l’information et de la communication

(TIC) et en transformation par le numérique.

À ce titre, il apporte son expertise à des projets de

développement et de coopération internationale

financés par l’Union Européenne dans le secteur

judiciaire, nombre d’entre eux comportant un volet

dédié à la mise en œuvre des TIC. Notamment, il

est intervenu en Egypte dans le projet piloté par JCI

achevé fin 2018, dans la composante 4 « Soutien

au Centre d’information judiciaire », visant la mise

en place, pour la justice égyptienne, de systèmes

électroniques tant pour l’information du public, que

pour les échanges entre professionnels et pour la

gestion des procédures.

Il nous fait ici partager ses réflexions, développées

au fil de l’expérience acquise dans le cadre des

projets e-justice auxquels il a participé dans

différents pays, sur les effets du numérique sur la

transformation des systèmes judiciaires.

MAROUN JNEID___

24 25

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La transformation du secteur judiciaire par les

technologies de l’information et de la communication

(TIC), c’est-à-dire le e-justice ou encore le justice

numérique, aboutit à une amélioration de son

efficience, de son efficacité, de sa redevabilité,

de son intégrité, de sa fiabilité et encourage la

participation et l’engagement des citoyens.

Cette évidence théorique conduit à promouvoir

les TIC au sein d’un système judiciaire dans la

perspective de telles améliorations, et aussi

bien il est difficilement contestable, au vu des

développements actuels en matière de e-justice

- tels par exemple les motivations générées par

ordinateur et le classement électronique -, aient

amélioré les présentations, et abouti à une gestion

des dossiers plus claire et mieux organisée.

Les nouvelles technologies attendues dans les

cinq années à venir auront des avantages pour le

système judiciaire, mais leur utilisation aura aussi

des enjeux au niveau de la gouvernance, de la

gestion des ressources humaines et des pratiques

de financement.

En effet, la quatrième révolution industrielle et la

convergence de technologies innovantes (Big Data1,

Internet des objets2 (IoT), cloud computing3, données

géospatiales, connexion haut débit, intelligence

artificielle, offrent un grand potentiel pour le

système judiciaire du futur et pour la réforme de son

fonctionnement. Parmi ces technologies, on parle

• De justice prédictive et d’intelligence artificielle ;

• De réalité mixte - virtuelle et augmentée- pour

désigner les dispositifs de visualisation de contenus

en 3D par le biais d’un casque dédié ;

• De « blockchain », ce qui correspond à une

technologie de stockage et de transmission

d’informations, transparente, sécurisée, et

fonctionnant sans organe central de contrôle.

Le débat a été déjà lancé sur d’éventuelles

transformations du fonctionnement du système

judiciaire par ces nouvelles technologies, dites de

rupture, qui créent des opportunités imprévues,

dont la portée ne pourra s’apprécier qu’en lien avec

d’autres facteurs.

En tout cas, disposer d’un niveau d’expertise

suffisant dans ce domaine sera primordial comme

support de la prise de décision.

1 - Le Big Data littéralement, signifie mégadonnées, grosses données ou encore données massives. Ils désignent un ensemble très volumineux de données qu’aucun outil classique de gestion de base de données ou de gestion de l’information ne peut vraiment travailler

2 - L’extension d’internet à des choses et à des lieux du monde physique3 - Consiste à exploiter la puissance de calcul ou de stockage de serveurs informatiques distants par l’intermédiaire d’un réseau ou l’internet.

On s’interrogera d’abord, brièvement, sur le

degré de perméabilité d’un système judiciaire au

développement de l’e-justice, avant d’évoquer les

domaines dans lesquels celle-ci peut être mise

en œuvre, et de proposer un bilan – partiel et

provisoire – des réalisations, à partir duquel on

tentera d’énoncer les conditions nécessaires de

succès en ce domaine.

1. Quel est le degré de perméabilité d’un système judiciaire au développement de l’e-justice ? Trois spécificités majeures, qui caractérisent la

plupart des systèmes judiciaires européens et

atteignent également ceux de nombreux pays

bénéficiaires de programmes de coopération

judiciaire, sont des obstacles, ou en tout cas des

facteurs de complication, pour la mise en œuvre

de l’e-justice :

• Il est souvent expliqué, d’abord, qu’en raison

du caractère bureaucratique des secteurs du

droit et de la justice, qui sont en outre liés par

une multitude de procédures, la résistance au

changement y est forte, et les carrières des juges

et procureurs traditionnellement liées d’abord et

surtout à l’ancienneté ;

• Ensuite, la gouvernance du système de justice

est centralisée, souvent à l’excès. Les ministères

de la justice partagent avec les conseils de justice

–ou « des juges », ou « de la magistrature » - la

responsabilité générale de l’organisation et du

fonctionnement des tribunaux et des parquets.

Aux ministères, le domaine de la gestion et de la

fourniture de services, y compris le développement et

le déploiement des TIC. Aux conseils, le recrutement,

l’affectation, le transfert, l’avancement professionnel

et les mesures disciplinaires visant les juges et les

procureurs. Le manque de coordination et les conflits

de pouvoirs entre administrations et institutions

diverses impliquées dans l’administration de la

justice a souvent été un frein au développement

de l’e-justice ;

• Enfin l’autonomie fonctionnelle donnée à chaque

juge pour s’organiser, liée au principe constitutionnel

d’indépendance du pouvoir judiciaire, aboutit à des

pratiques différentes et rend élevé le coût de

Les enjeux d’une transformation du système judiciaire par le numérique :

conditions de la validité et du succès des expériences de e-justice.

Les enjeux d’une transformation du système judiciaire par le numérique :

conditions de la validité et du succès des expériences de e-justice.

coordination, au contraire de ce qui se passe pour

le travail du personnel administratif des tribunaux,

plus normalisé.

2. En dépit de ces obstacles structurels, le développement de la e-justice est un leitmotiv en Europe, et presque tous les projets de coopération internationale dédiés à la justice comportent un volet consacré à son développement. Quels sont les types d’actions et les actions mises en œuvre ? Le fonctionnement du secteur judiciaire impliquant

une circulation intensive d’informations, l’utilisation

des TIC aura un impact direct sur son fonctionnement.

Cette utilisation, appliquée à la justice, peut se

classer en deux catégories

• Justice à Justice (J2J) : cette catégorie comprend

toutes les applications qui

> Automatisent les activités internes du système

judiciaire,

> Numérisent la communication et l’interaction

entre les différents acteurs du Système Judiciaire

(par ex. les tribunaux, les tribunaux et le ministère

de la Justice, les tribunaux et le Conseil Supérieur

de la Magistrature, les juges et les avocats, etc.),

• Justice-à-Citoyen (J2C), qui concerne toutes

les applications utilisées pour la fourniture

électronique de services aux citoyens (sites Web

/ portails, services en ligne, etc.),

En d’autres termes, la première catégorie comprend

les applications de « backoffice », tandis que la

seconde inclut les applications qui soutiennent les

activités de « front office ».

Lorsqu’on cherche à mesurer le développement de

l’e-justice dans un pays donné, on se réfère à huit

catégories de critères :

• L’importance de l’équipement informatique ;

• L’existence et l’ampleur d’un système d’information

et d’assistance directe aux juges, aux procureurs

et au personnel des tribunaux : rédaction des

décisions, base de données centralisées d’affaires

criminelles, législative et de jurisprudence, outils

de formation en ligne ;

• L’existence et l’ampleur d’un système d’information

d’administration des tribunaux et gestion des

affaires : système d’information de gestion des

affaires, registres numérisés, outils de statistiques,

outils d’aide à la décision ;

• L’existence et l’ampleur d’un système de

communication entre tribunaux, professionnels

ou / et utilisateurs des tribunaux : transmission

de la sommation par voie numérique, possibilité

de suivre les étapes d’une procédure judiciaire

en ligne, communication numérique entre les

tribunaux et les avocats, vidéoconférence entre

tribunaux, professionnels ou / et utilisateurs ;

• Le mode d’organisation et de gouvernance des

systèmes d’information : quelle est la structure

organisationnelle en charge, quels sont le

mode de gestion de projets de transformation

numérique, la sécurité des systèmes d’information

dans les tribunaux, la protection des données

personnelles ?

• Le contenu du cadre législatif régissant les

utilisations différentes de l’informatique ;

• L’existence d’outils de mesure de performance des

juges et d’évaluation des tribunaux.

3. Quel bilan –provisoire –de ces diverses expériences peut-on dresser ?L’analyse des projets d’e-justice dans les pays est

une tâche difficile, du fait de l’insuffisance de la

collecte d’informations pertinentes sur ces projets.

Néanmoins plusieurs études ont été faites, sur la

base d’expériences réalisées, qui ont décrit les

difficultés rencontrées durant la mise en œuvre de

tels projets, ainsi que les faiblesses découlant du

défaut de collaboration entre les différents acteurs

du système judiciaire. Ainsi

• en Espagne : En dépit d’une utilisation diversifiée

des TIC dans l’administration de la justice, qui

couvre le traitement de l’information judiciaire,

la gestion des fichiers judiciaires, les relations

entre l’administration de la justice et autres acteurs

judiciaires -avocats, procureurs, experts, témoins-,

le modèle organisationnel de cette administration

et, par conséquent, son fonctionnement, n’ont pas

beaucoup changé, en raison essentiellement de

la résistance au changement, et du manque de

coordination entre les différents acteurs ayant

des compétences décisionnelles concurrentes

dans ce domaine.

26 27

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• En Italie, où des études ont montré que le système

judiciaire souffrait de problèmes de performance

comparables à ceux d’autres pays développés,

des initiatives d’e-justice ont démarré au sein du

Ministère de la Justice depuis les années quatre-

vingt. Leur mise en œuvre a parfois augmenté

la complexité du travail, et elle a eu des effets

négatifs dans les organisations faiblement

couplées – le réseau de relations des juges et

les procureurs pour leur collaboration, entre eux,

et avec la hiérarchie fonctionnelle de la Cour - mais

un effet positif dans une organisation fortement

couplée, ce qui est le cas par exemple de plusieurs

unités organisationnelles des greffes en charge

de travaux administratifs.

• En Russie : L’expérience de la Russie a montré

un résultat intéressant, qui mérite d’être pris en

considération dans les projets concernant des

pays dont le système judiciaire souffre d’un déficit

d’image vis-à-vis du public : si le site web d’un

tribunal est bien conçu, et qu’il est régulièrement

nourri d’informations pertinentes, il peut être un

facteur d’amélioration de l’image judiciaire dans

les yeux du public. Notamment, l’accessibilité aux

jugements et à leur motivation exerce sur les juges

une pression qui les incite à rédiger et argumenter

leurs décisions de façon à les rendre lisibles et

compréhensibles par le grand public.

Ces quelques exemples ne font qu’illustrer que si le

succès et l’efficacité de l’e-justice sont essentiels pour

mesurer l’impact des investissements européens

consacrés à l’amélioration des performances du

système judiciaire, les résultats, en l’occurrence ne

sont pas toujours à la hauteur de ce que l’importance

de ces investissements permettrait d’attendre.

C’est que les projets de systèmes d’information sont

en fait très complexes, et que pour apporter des

améliorations effectives aux processus opérationnels

existants, ce qui est leur objectif principal, ils doivent

nécessairement être adaptés à chaque cas de

figure, dans un contexte qui est celui de l’extrême

variabilité, d’un pays à l’autre, des fonctionnalités

et de la performance des technologies de support

des administrations judiciaires.

Plusieurs facteurs doivent donc être pris en

considération tout au long du projet, qui déterminent

le succès des transformations et leur influence

positive sur les utilisateurs et sur les institutions.

Ces facteurs relèvent de trois niveaux :

• Le niveau technologique, qui englobe la qualité de

l’information à l’entrée et à la sortie du système,

la présence et la compatibilité de l’infrastructure

logicielle et matérielle correspondante ;

• Les ressources humaines  : la culture

organisationnelle existante, la présence d’une

ressource humaine suffisante, la contribution des

utilisateurs et leur formation ;

• Le niveau organisationnel, qui est celui de la

structure organisationnelle existante, de sa

flexibilité, du niveau d’’engagement du top

management sur le projet, de la clarté des objectifs,

des ressources financières et temporelles, de la

qualité du contrôle et du suivi.

Pour évaluer le succès d’un projet e-justice, on

dispose d’un modèle de mesure qui comporte

plusieurs dimensions, classées et reliées en six

catégories, notamment dans le contexte de Justice

à Justice J2J :

• La qualité du système, et les mesures du système

lui-même ;

• La qualité de l’information, les mesures de la sortie

du système d’information ;

• L’utilisation de l’information, c’est-à dire

l’exploitation que fait son utilisateur de l’information

délivrée par le système ;

• La satisfaction de l’utilisateur, et la réponse du

destinataire à l’utilisation de la sortie du système

d’information ;

• L’impact individuel, soit l’effet de l’information sur

le comportement du destinataire ;

• L’impact organisationnel, c’est- à dire l’effet de

l’information sur la performance organisationnelle.

À ces facteurs s’ajoutent des composantes qui

permettent de mesurer si et comment le système

numérique mis en place répond aux valeurs de la

justice

• Indépendance, faisant référence à l’indépendance

des tribunaux et donc au fonctionnement

indépendant du système de justice numérique,

qui doit être libre de toute influence externe ;

• Responsabilité, par référence à la fois à l’influence

de l’e-justice sur la responsabilité judiciaire, et aux

mécanismes et canaux mis en place pour contrôler

la conformité de la justice numérique aux normes

et aux procédures ;

Les enjeux d’une transformation du système judiciaire par le numérique :

conditions de la validité et du succès des expériences de e-justice.

• Impartialité, par contrôle de l’absence de préjugés,

d’idées préconçues ou de pressions extérieures sur

les juges, susceptibles d’influencer leur processus

décisionnel, induit par la justice numérique ;

• Égalité d’accès, se référant à l’existence d’un accès

externe des citoyens – pour le J2C - et des avocats

-pour le J2J - à la justice, sans discrimination

d’aucune sorte qui pourrait être liée au niveau

de culture technologique ;

• Protection des données personnelles, par référence

à la protection des informations personnelles

déposées ou stockées dans un système de justice

numérique, qui doit être satisfaisante ;

• Validité légale, exigeant que la mise en œuvre de

la procédure numérique par les acteurs du système

- citoyens, avocats et juges – soit respectueuse

des normes de procédure.

Il faut enfin tenir également compte d’un autre

facteur de risque, celui de dessiner un modèle

imparfait, doté d’une architecture technique faible :

s’il se réalise, c’est soit du fait d’une faiblesse dans

l’interprétation et l’analyse des besoins fonctionnels,

soit en raison d’un écart entre l’équipe de conception

et les utilisateurs en termes de connaissances

fonctionnelles. Dans les deux cas, il en résulte une

inadéquation nuisible à l’ensemble du système.

Conclusion Cette brève présentation met en lumière les défis

uniques qui se présentent aux projets TIC et de

transformation par le numérique portant sur le

système judiciaire. Ces difficultés influencent le

processus décisionnel gouvernemental et la réussite

de ces projets.

Même dans des pays dotés d’institutions clientélistes

et fondées sur le clientélisme, le numérique peut

renforcer les institutions ; la technologie peut,

notamment, remplacer des institutions initiales

fragiles pour certains services et, ce faisant,

contribuer également à améliorer ces institutions.

En outre, l’hétérogénéité des institutions au sein

des pays, variable selon les secteurs et les régions,

mais en tout état de cause considérable, ouvre de

nombreuses perspectives pour des innovations

spécifiques, propres à un contexte donné.

L’influence de l’utilisation des TIC dans le service

public varie selon le degré de surveillance du service

par les citoyens, selon le degré de normalisation de

ses activités et processus, et selon la mesurabilité

du service rendu. Si certes le degré d’utilisation

et de satisfaction de la justice numérique par les

usagers – justiciables- est, au départ, influencé par

l’étendue de leur compétence technique, sur le long

terme de nombreux citoyens vont finir par utiliser

l’e-justice, même s’ils sont peu compétents, et même

s’il s’agit de services complexes.

Il est donc particulièrement important que

les gouvernements concernés s’impliquent

fortement, aux côtés de l’assistance technique aux

administrations du secteur de la justice, -notamment

dans le cadre des projets multilatéraux - pour

soutenir les projets ou composantes des projets

touchant la e-justice : Réaliser les objectifs de

modernisation qu’ils visent est, en termes d’accès

à la justice et de renforcement de l’état de droit,

un enjeu majeur.

Les enjeux d’une transformation du système judiciaire par le numérique :

conditions de la validité et du succès des expériences de e-justice.

28 29

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Retour sur l’essai d’une analyse globaledes problématiques sécurité-justice au Sahel

Jean-Marie HUET, magistrat, a longtemps exercé

les fonctions de procureur dans divers parquets

de France, avant sa nomination au Ministère de la

Justice en tant que Directeur des affaires criminelles

et des grâces. Nommé ensuite procureur général

près la Cour d’Aix-en-Provence, il a également, dans

cette période, participé aux activités du Conseil

Supérieur de la Magistrature en tant que membre élu

du collège Parquet. Aujourd’hui magistrat honoraire,

il exporte ses compétences multifacettes, et en

particulier celle d’éminent spécialiste du pénal

de terrain, dans divers projets multilatéraux de

coopération judiciaire, dans le cadre de missions

d’expertise à court ou moyen terme.

Il revient ici, pour «  les Cahiers de JCI  », sur

l’expérience très spécifique qu’il a vécue en

participant, en tant qu’expert Justice, à un projet

global d’analyse des secteurs de la justice et de

la sécurité au Sahel, initié – et financé - par l’Union

Européenne en 2017, et mettant en œuvre une

méthodologie originale.

1 - Le Centre pour le Contrôle Démocratique des Forces Armées est une fondation internationale (62 pays membres, 170 collaborateurs), dont le principal domaine d activité est la réforme du secteur de la sécurité (RSS) et la gouvernance. Son siège est à Genève. L ISSAT (International Security Sector Advisory Team, qui dispose de 24 collaborateurs) est une division de DCAF, créée en 2008 pour renforcer la coordination et la cohérence de l aide apportée par la communauté internationale aux différents pays dans l élaboration de leurs procédures de RSS.

2 - Outre les études de terrain par pays, le projet comportait également des études de perception, au Niger et au Tchad, confiées au SIPRI, et une analyse au niveau régional confiée à Clingendael

L’objectif général de ce projet était de « fournir

au Fonds fiduciaire d’urgence - fenêtre Sahel et

Lac Tchad - ainsi qu’à la Commission européenne,

aux autres institutions pertinentes de l’UE et aux

partenaires de mise en œuvre, un outil qui puisse

contribuer à une meilleure efficacité et à un meilleur

ciblage des actions financées au titre du Fonds - et

éventuellement d’autres instruments financiers -

dans le domaine de la sécurité et de la justice ».

Le Fonds fiduciaire d’urgence -ci après FFU -

a confié ce travail au Centre pour le contrôle

démocratique des Forces armées DCAF-ISSAT1,

leader du consortium, en partenariat avec divers

opérateurs dont CIVIPOL, Enabel et JCI, pour mener

les analyses au niveau national, les pays cibles

étant le Niger, le Burkina Faso et le Tchad2.

JEAN-MARIE HUET___

Retour sur l’essai d’une analyse globale des problématiques sécurité-justice au Sahel

La méthodologie utilisée pour ce projet était basée

sur le développement de deux outils particulièrement

innovants :

• Un socle de référence regroupant l’ensemble

des éléments fondamentaux, incontournables,

nécessaires pour un bon fonctionnement des

services de sécurité intérieure, de défense, de

justice et les acteurs de la gouvernance dans le

cadre d’un Etat organisé et fonctionnant de façon

démocratique, respectant l’état de droit et les

1 - Rendez-vous sur https://issat.dcaf.ch/login pour accéder à la version en ligne du socle de référence et de la grille d analyse.

valeurs fondamentales des droits humains et des

libertés individuelles. Les étapes suivies pour la

constitution de ce socle de référence ainsi que

son contenu peuvent être consultés dans le

premier rapport desk du projet ; ils sont également

accessibles dans une version en ligne sur le site web

du DCAF-ISSAT1, qui a ainsi décidé de leur donner

une certaine publicité. La structure du socle de

référence est présentée dans le tableau ci-dessous :

DIRECTION / DIRIGEANT

CADRE LÉGAL

Conventions internationales /

régionalesConstitution Lois Règlements Procédures

POLITIQUES PUBLIQUES ET STRATÉGIES

Internationales / régionales

Poltiques étrangèresStratégies nationales de développement

Politique de sécurité et justice

Stratégies RSS et / ou sectorielles

MISSIONS ET FONCTIONS

Organisation / structures

Fonctionnement / systèmes

Ressources humaines

Moyens / équipements / infrastructures

Valeurs partagées

Principes et modalités

REPRÉSENTATION / PARTICIPATION / LÉGITIMITÉ

• Une grille d’analyse développée sur la base de

ce socle et questionnant ainsi l’ensemble de

ces fondamentaux au travers d’un ensemble

de questions principales et sous-questions pour

chacun des secteurs objets de cette étude et pour

le domaine de la gouvernance. Cette grille liste

également les principales sources d’informations

(documents à consulter et institutions/interlocuteurs

à rencontrer) nécessaires pour le recueil de

l’information en vue d’établir la photographie

de l’état du fonctionnement des secteurs de la

sécurité et de la justice dans un pays donné (Niger,

Burkina Faso et Tchad dans le cas de ce projet).

Le projet s’est articulé en trois étapes majeures :

• Une phase de « desk » qui consistait principalement

au développement de la méthodologie (socle de

référence et grille d’analyse) ;

• Une phase de terrain avec des missions

exploratoires et des missions principales dans

chacun des trois pays sélectionnés (Niger,

Burkina Faso et Tchad), la conduite des enquêtes

de perception, ainsi que des visites aux sièges

de certaines organisations régionales et

internationales ;

• Une phase de clôture destinée à synthétiser

l’information récoltée durant le projet et de

développer les recommandations et des outils

opérationnels pour le FFU et les autres instruments

de l’UE.

30 31

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PHASES ET ACTIVITÉS DU PROJET

Phase DESK Phase TERRAIN Phase CLÔTURE

Activités • Développement du socle de référence et de la grille d’analyse

• Entretiens au siège de l’UE

• Analyse documentaire sur les fondamentaux des secteurs de la sécurité et de la justice

Analyse des politiques, programmes, projets de l’UE au niveau régional, sous régional et national

• Préparation des missions de terrain

• Lancement des enquêtes de perception

• Niger (nov-déc 2017), Burkina-Faso (avr-mai 2018) et Tchad ( juin-juil 2018)

> Une mission exploratoire dans chaque pays (1 semaine)

> Une missions principale dans chaque pays

• Missions auprès organismes régionaux et internationaux (G5 Sahel, CEDEAO, Liptako Gourma, UNOWAS, UNODUC, OIM, FRONTEX, etc) (avr-mai 2018)

• Enquêtes de perception Niger (nov-déc 2017), Tchad ( juin-juil 2018

• Synthèse des résultats des phases DESK et TERRAIN

• Coonclusions

• Recommandations

• Outils pratiques

• Présentation des résultats à Bruxelles

Rapports soumis

1 Rapport Desk (inclus le socle de référence et la grille d’analyse)

3 Rapports Pays (inclus les enquêtes de perception)

1 Rapport Synthèse (inclus l’analyse régionale et les outils pratiques)

Retour sur l’essai d’une analyse globale des problématiques sécurité-justice au Sahel

Le schéma ci-dessous illustre les différentes étapes

dans l’analyse de l’état des lieux. La particularité

de cette méthodologie permet en effet d’aller au-

delà du constat, en le mettant en perspective par

rapport aux principes fondamentaux définis dans le

socle. Le travail identifie tout d’abord les forces et

faiblesses des différents éléments étudiés au sein

de ces secteurs de la sécurité et la justice, avant de

formuler ensuite des recommandations en rapport

avec ces éléments fondamentaux, pour permettre

à terme d’aboutir à un fonctionnement normal tel

qu’identifié dans le socle.

Août 2017

Novembre 2017

Juillet 2018

Décembre 2018

Socle de référence des fondamentaux

(comme cadre de référence)

Grille d’analyse (comme outil de collecte

des données)

État des lieux exhaustif des secteurs sécurité, défense,

justice, gouvernance

Identification des forces, des faiblesses et des

besoins fondamentaux

Recommandations pour améliorer les fondamentaux

1 2

4

5

6

3

Méthodologie de travail

Toutes les activités au sein de chaque phase ainsi

que les rapports soumis à la Direction générale du

développement et de la coopération internationale

de la Commission Européenne (DG DEVCO) sont

détaillées dans le tableau ci-dessous.

Retour sur l’essai d’une analyse globale des problématiques sécurité-justice au Sahel

L’ÉQUIPE DU PROJETLe général Bernard Belondrade, retraité de la

gendarmerie qui était le chef de l’équipe sur ce

projet, est conseiller principal en RSS pour DCAF-

ISSAT. Antoine Hanin, membre d’ISSAT, positionné

à Bruxelles pour faciliter les contacts avec les

différentes structures de l’UE, était en charge de

la méthodologie.

L’experte gouvernance était Natacha Meden, franco-

américaine, vivant à Kuala Lumpur.

L’expert sécurité était le commissaire principal Jean

Max Delluc (à la retraite) ancien ASI à Niamey

jusqu’en août 2017, et ancien ASI au Tchad.

L’expert défense, a été tout d’abord un chef d’état-

major canadien, puis un lieutenant de vaisseau

français, et enfin un colonel Belge, Patrick Vanhees

qui a dû prendre le train en marche.

En ce qui me concerne, sollicité par JCI au printemps

2017 pour être associé comme expert justice à ce

projet d’ampleur, j’ai aussitôt donné mon accord

eu égard au caractère particulièrement innovant

de la démarche.

Commentaires sur la phase préparatoireLa finalisation administrative du projet s’est

poursuivie jusqu’en août 2017, comme pour les

termes de référence, et la première réunion de

lancement s’est tenue les 4 et 5 septembre à

Genève. La semaine suivante, une autre réunion

a associé 4 experts africains, constituant des

« binômes » par thème (mon binôme était un ancien

ministre malien de la justice), pour confronter nos

premières ébauches de l’élaboration du socle de

référence au regard critique, mais constructif, de

« sachants » africains.

L’équipe du projet s’est déplacée toute une semaine

à Bruxelles fin septembre 2017, afin de rencontrer

successivement les différentes composantes des

services de l’UE, pour leur présenter le projet de

socle de référence et de grille d’analyse, et recevoir

leurs premiers commentaires.

Cette phase essentielle du projet, qui en représentait

sans doute le caractère le plus innovant, aura

été extrêmement dense, donnant lieu à de très

nombreux échanges par mails à chacune des étapes

de la construction de ces outils tout à fait inédits.

1 En définitive, CTB n est pas intervenu au Burkina, les ultimes arbitrages ayant écarté la partie « justice » de la mission dans ce pays.

Les réunions de présentation du projet à Genève,

l’élaboration de la trame du fameux « socle de

référence », --pièce maîtresse du dispositif - puis de

la grille d’analyse, les rencontres avec les experts

africains, les réunions auprès des instances de l’UE

ont été marquées par le professionnalisme, et une

méthodologie laborieuse et minutieuse.

Comme il s’agissait du premier projet « transversal »

porté par DACF, il est compréhensible qu’il y ait

eu quelques tâtonnements, spécialement dans

l’architecture du plan du socle, comme de la grille,

plusieurs fois remaniés à la demande de notre

« méthodologue », ce qui a conduit les experts à

reprendre à plusieurs reprises leurs contributions,

notamment en fonction du degré de « granularité »

souhaité, notion particulièrement évolutive…

La dimension « genre » avait semble-t-il été sous-

estimée par les experts, et il nous aura fallu –

comme du reste dans la phase de rédaction des

rapports pays- plus insister sur la représentation

des femmes dans les métiers concernés par le

secteur, les dispositifs en place pour la défense

des droits des femmes, des minorités, des personnes

vulnérables etc…

L’intervention pour la Belgique de CTB qui avait

vocation à substituer l’expert justice de JCI dans la

mission au Burkina Faso, avait été très ponctuelle

(un après-midi d’échange avec un expert Belge

lors de notre semaine bruxelloise), et pour tout

dire assez superficielle, alors que le socle et la

grille étaient déjà presque totalement construits.

Les contraintes de l’UE quant au savant dosage

entre les pays représentés dans le projet, pouvaient

être entendues, mais j’ai toujours considéré que

cela nuirait nécessairement à la cohérence de la

démarche globale.1

Les échanges entre experts ont toujours été

fructueux, sincères et directs, et ont permis aux

uns de prendre en considération les attentes et

les interrogations des autres.

Le fait de confronter des visions complémentaires,

sous des angles différents, avec des cultures

différentes, notamment avec des experts africains,

aura constitué incontestablement une valeur ajoutée

significative pour réaliser un diagnostic et des

préconisations pertinentes sur les secteurs sécurité

défense et justice dans un pays.

La dimension justice semblait peu familière chez

DCAF-ISSAT, et j’ai dû rester vigilant sur plusieurs

32 33

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de mes argumentaires, qui avaient été modifiés par

le chef de projet ou le méthodologue, mais dont

j’ai obtenu qu’ils soient repris dans la formulation

initiale… après discussions.

L’architecture du socle, comme de la grille, pourrait

laisser entrevoir le risque de redondances, mais

l’objectif est d’en faciliter l’exploitation thème par

thème, selon les besoins.

Sur le plan matériel, l’ISSAT avait mis à notre

disposition une intéressante documentation par

thème, actualisée y compris pendant la mission,

dans une Dropbox à laquelle nous avions accès.

MISSIONS SUR LE TERRAIN

Alors qu’avaient été envisagées initialement des

missions au Mali, au Niger, au Tchad et au Burkina

Faso, le déplacement au Mali avait été rapidement

retiré du programme consolidé, et s’agissant du

Burkina Faso, la contribution « justice » qui devait

être assurée par un bureau d’études belge (CTB),

sera elle aussi supprimée, comme du reste le volet

« police » du secteur de la sécurité. Seuls, les volets

gouvernance, défense et gendarmerie auront donc

été expertisés au Burkina Faso. C’est peu de dire

qu’il est dommage que cette étude transversale

innovante n’ait pu porter en définitive, s’agissant

du secteur Justice, que sur deux pays.

J’ai donc participé aux missions d’experts organisées

du 2 au 15 décembre 2017 au Niger et du 21 juin

au 6 juillet 2018 au Tchad. Une réunion de briefing

était organisée à Genève quelques jours avant le

début de la mission.

À noter qu’un expert pénitentiaire, Jacques Montès

a rejoint pendant une huitaine de jours l’équipe

d’experts au Niger, pour approfondir ce domaine

particulier dans ce seul pays (pour le Tchad la DUE

de N’Djamena n’avait pas souhaité que le domaine

pénitentiaire soit expertisé).

Les missions « terrains » étaient précédées d’une

mission exploratoire d’une semaine, menée

quelques semaines avant la mission terrain

elle-même, par le chef de l’équipe (Le général

Belondrade) et un membre de DACF ISAT

(Antoine Hanin pour le Niger et Isabelle Dutour

pour le Tchad). Ce déplacement avait vocation à

rencontrer la délégation de l’UE sur place, identifier

les personnes ressources dans les différents

ministères, pour faciliter les prises de rendez-vous

des experts auprès de leurs interlocuteurs lors de

la mission, et régler les problèmes logistiques.

En réalité, au Niger comme au Tchad, et même si

pour N’Djamena la délégation de l’UE aura été

beaucoup plus réactive qu’à Niamey, la valeur

ajoutée de cette mission exploratoire se révélera

difficilement perceptible, les experts (surtout celui

en charge de la défense) devant, dans les premiers

jours de la mission, compter sur eux-mêmes, pour

identifier les interlocuteurs pertinents et obtenir les

rendez-vous utiles.

En ce qui me concerne, j’ai pu toutefois bénéficier au

Niger, d’un premier contact au ministère de la justice

(le Directeur des études et de la programmation) qui

m’a en partie facilité la prise des 28 rendez-vous

obtenus, même si j’ai dû souvent avoir recours à

des concours extérieurs, par exemple pour obtenir

un rendez-vous avec le ministre de la justice, et, au

Tchad, de la contribution efficace du coordonnateur

national du programme Prajust 2, Issa Tom.

Tous les soirs, une réunion de travail se tenait à

l’hôtel avec tous les experts, pour échanger sur le

compte rendu des rendez-vous obtenus, croiser les

informations, les attentes etc... En ce qui me concerne

j’étais le plus souvent seul à mes rendez-vous, sauf

ceux intéressant également la gouvernance (CNDH),

ou la police judiciaire (expert sécurité).

La logistique (vols, hôtel, ...) avait été assurée par

Dcaf-Issat de manière tout à fait satisfaisante,

sauf pour les trajets entre les rendez-vous, car les

voitures louées ne l’étaient qu’en nombre insuffisant

et nous devions jongler en permanence avec la

disponibilité des chauffeurs, sans parler, comme

souvent en Afrique, des problèmes de connexion

internet qui ont ralenti nos échanges, la consultation

de documentation etc…

Lors des deux missions, je serai parvenu à rencontrer

pratiquement tous les interlocuteurs avec lesquels

je souhaitais échanger  : Ministre de la justice

(sauf au Tchad), directeurs du ministère, chefs de

cours suprêmes, de cours d’appel, de tribunaux,

magistrats, greffiers et fonctionnaires, bâtonniers

et ordre des avocats, notaires, huissiers, médiateur,

organisations de défense des droits de l’homme, de

défense des droits des femmes et de lutte contre les

violences familiales, ONG (avocats sans frontières…)

et associations participant à l’accueil et l’assistance

des justiciables….

J’ai bien sûr eu l’occasion d’échanger sur place avec

les équipes en charge des projets justice ou sécurité

Retour sur l’essai d’une analyse globale des problématiques sécurité-justice au Sahel Retour sur l’essai d’une analyse globale des problématiques sécurité-justice au Sahel

(Prajsut 2 pour le Tchad, Ajusen pour le Niger) afin

de croiser nos constats, affiner les recommandations

ultérieures…

Un déplacement était prévu hors de la capitale lors

de chaque mission, mais ce n’est qu’au Niger, après

avoir beaucoup insisté, que je suis parvenu à me

rendre en province (Tribunal de Dosso en l’espèce).

Au Tchad, pour des raisons d’agenda (manque

d’anticipation lors de la mission exploratoire), de

sécurité (une escorte légère aurait été suffisante)

et de coût financier (compte tenu du budget global

de ce projet, je pense vraiment que cela aurait

été négligeable), un tel déplacement n’a pu être

organisé. Je le regrette vivement car s’il m’a été

donné de rencontrer à N’Djamena des acteurs

judiciaires de province, une visite sur site, permettant

de mesurer effectivement la réalité des conditions

dans lesquelles, dans les territoires, sont informés

et accueillis les justiciables, travaillent au quotidien

les magistrats, fonctionnaires etc… aurait constitué

une plus-value significative.

Au terme de la mission terrain, une rencontre était

organisée avec la délégation de l’UE sur place, pour

débriefer nos premières constatations à chaud, avec

une présentation (Ppt) de chaque expert. Si au Niger

cet exercice s’est révélé assez formel, au Tchad la

rencontre, en présence de l’ambassadrice cheffe de

la délégation, s’est avérée très riche. Cette réunion

avait du reste été suivie d’une autre en présence de

tous les bailleurs intervenants dans des domaines

proches dans le pays.

Quelques semaines après notre retour de mission,

une réunion de débriefing avait été organisée (en

visio-conférence par Skype pour le Niger, lors d’une

rencontre à Genève pour le Tchad), pour faire un

bilan du déroulement de ces missions (organisation,

logistique, personnes rencontrées, satisfaction par

rapport aux attentes et aux objectifs…) et prévoir la

phase de rédaction du rapport pays.

ÉLABORATION DES RAPPORTS PAYS

Au retour des missions, chaque expert devait

contribuer à la rédaction des rapports « pays ».

Le premier travail consistait à remplir la « grille

d’analyse » en synthétisant tous les comptes

rendus d’entretien, la documentation obtenue, pour

compléter chaque item, chaque rubrique (pilotage

et direction, cadre légal, politiques publiques,

organisation et structures, fonctionnement, RH,

moyens et équipements, valeurs partagées et

déontologie, légitimité et transparence).

Le caractère innovant de la démarche s’est

aussi confirmé dans l’élaboration du rapport, la

méthodologie évoluant au fur et à mesure, des

contributions complémentaires, des synthèses,

des réécritures, étant sollicitées par l’ISSAT. Outre

la grille d’analyse, ont été sollicitées la rédaction

de réponses à chacune des 9 questions générales

de la grille, puis la rédaction de « chapeaux » à

ces réponses, nécessairement volumineuses, la

comparaison avec les exigences figurant au socle

de référence au travers de « constatations forces

faiblesses », et bien sûr des recommandations

argumentées.

Si la contribution pour le seul secteur justice au socle

de référence avait représenté 26 pages, et 14 pages

pour la grille d’analyse (liste de questions et sous

questions), la partie justice de la synthèse du rapport

pays pour le Niger a représenté 10 pages, et la partie

justice du rapport lui-même et des annexes (état

des lieux, grille d’analyse complétée, conclusions,

recommandations) 51 pages. Il en a été à peu près

de même pour le Tchad.

Pour le Niger, l’absence de coordination avec Sipri,

l’agence suédoise chargée d’effectuer l’enquête de

perception dans ce pays, qui avait pris un grand

retard et qui n’avait pas encore livré sa contribution

au moment de la rédaction du rapport, ne nous

a pas permis d’intégrer leurs observations dans

nos conclusions. Nous n’avions pas du reste,

contrairement à ce que j’avais souhaité, été

associés à l’élaboration du questionnaire soumis

aux populations. Pour le Tchad, le correspondant

de Sipri (Bufocore) a été beaucoup plus réactif, et

nous avons d’ailleurs pu partager nos constats lors

34 35

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de la réunion de débriefing à la DUE en fin de séjour

à N’Djamena. Nous avons donc pu être en mesure

de prendre en compte leurs analyses lors de la

rédaction de notre rapport.

ÉLABORATION DU RAPPORT FINAL DE SYNTHÈSE

Le dernier exercice de vaste projet consistait à

élaborer un rapport global de synthèse avec pour

objectif de :

• Présenter la synthèse de l’analyse de l’état

des lieux du fonctionnement des secteurs de la

sécurité intérieure, de la justice, de la défense et

du domaine de la gouvernance dans les trois pays

sélectionnés pour ce projet : le Niger, le Burkina

Faso et le Tchad ;

• Faire la synthèse de l’analyse de l’état des lieux

de la coopération en matière de sécurité et de

justice au niveau régional ;

• Extraire les principales conclusions sur les forces

et faiblesses des secteurs de la sécurité et de

la justice au Sahel au regard des minimums

standards, des principes fondamentaux tels que

détaillés dans le socle de référence ;

• Proposer des recommandations opérationnelles,

fenêtres d’opportunités pour le FFU et les autres

instruments de l’UE, afin d’améliorer l’efficacité

et la cohérence de leurs futures actions dans le

domaine de la sécurité et de la justice au Sahel.

Ce rapport contient également diverses annexes,

dont une spécifique, sur le volet régional de ce projet.

Cette partie de l’analyse, confiée à Clingendael, a

conduit à l’établissement d’un rapport spécifique

qui examine notamment la nature et l’intensité des

tensions entre l’approche à court terme, de « gestion

de crise », et la nécessité de procéder en parallèle

à un travail plus en profondeur, sur le long terme.

Il a aussi été procédé dans ce travail à l’analyse

des différentes menaces sécuritaires majeures

dans la région du Sahel, à l’étude des réponses

institutionnelles africaines qui y ont été apportées.

Une réflexion sur la pertinence et les formes de

soutien de la communauté internationale au pays

du Sahel ont clôturé cette étude régionale.

Le chef de file du consortium, DACF-ISSAT, a tout

d’abord demandé à chaque expert de revisiter le

socle de référence et la grille d’analyse à l’aune

de nos missions terrains. J’ai ainsi actualisé ces

deux outils, et en ai reconfiguré l’architecture sur

certains items. J’ai notamment renforcé la question

de la confrontation de deux justices dans les pays

du Sahel ( justice traditionnelle et religieuse d’une

part, et justice formelle ou moderne d’autre part).

Il nous a ensuite été demandé de rechercher dans

les constatations effectuées lors des missions

terrains (seulement le Tchad et le Niger en ce qui

me concerne), les éventuelles convergences et

divergences, les forces et faiblesses communes etc…

Une réunion de travail s’est tenue au siège de DCAF

à Genève les 18 et 19 octobre 2018, et nous avons

échangé ensuite par mails nos projets de rédactions

des conclusions et recommandations. Il nous a

en outre été demandé d illustrer par pays dans

des tableaux « colorés » (cf exemple ci-dessous),

du rouge au vert, notre sentiment sur le degré de

« correspondance » de nos constats thème par

thème, par rapport aux exigences figurant dans le

socle de référence.

Après de nombreux échanges, le rapport final

« provisoire » (nous aurons encore à formuler le cas

échéant nos commentaires au vu des observations

ou remarques de Bruxelles) a été adressé à l UE

le 22 novembre 2018. Il est envisagé qu en janvier

2019 une présentation de l ensemble du travail ait

lieu à Bruxelles par ISSAT-DCAF et les experts, en

présence des membres du consortium devant les

diverses composantes des institutions de l UE, les

pays membres intéressés et les pays partenaires.

Au terme de ce long processus, je ne puis d’abord

qu’exprimer ma reconnaissance à JCI de m’avoir

ainsi sollicité et offert l’opportunité d’être associé

à une démarche aussi novatrice. J’en retire une

expérience humaine et professionnelle extrêmement

riche, de diversité d approches, de confrontation

d’idées, et le sentiment d avoir contribué, même

très modestement, à éclairer à l’avenir les choix

européens en termes de financement d’actions

de soutien aux institutions judiciaires au Sahel.

Cette transversalité qui a irrigué tous nos travaux,

même si la méthodologie inhabituelle, exigeante et

quelquefois laborieuse, a pu déconcerter, constitue

à l’évidence un réelle valeur ajoutée pour un

expert ainsi conduit à intégrer ses connaissances,

ses constats et découvertes, ses analyses, dans

une vision beaucoup plus globale de la finalité de

l’action des acteurs de la justice dans toute leur

diversité.

Retour sur l’essai d’une analyse globale des problématiques sécurité-justice au Sahel

DIRECTION / DIRIGEANT

Chef de l’État Parlement Ministre

de la justiceChefs

des juridictions

CADRE LÉGAL

Textes fondateurs

Textes sur les structures

Textes sur les statuts du personnels

POLITIQUES PUBLIQUES ET STRATÉGIES

MISSIONS ET FONCTIONS

Organisation / structures

Fonctionnement / systèmes

Ressources humaines

Moyens / équipements / infrastructures

Valeurs partagées

REPRÉSENTATION / PARTICIPATION / LÉGITIMITÉ

Retour sur l’essai d’une analyse globale des problématiques sécurité-justice au Sahel

36 37

Page 20: Les cahiers - GIP JCI · Relancée au sortir de la décennie 90 – les « années noires », pour l’Algérie - son renouveau, qui se vit bien sûr d’abord au niveau politique,

L’action internationale du ministère de la justice dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse : missions, actions, formations. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnés (MNA)

PANORAMA

L’importance de développer la sensibilité à

l’international et de concrétiser les échanges avec

un maximum de pays partenaires est, dans le

domaine de la protection judiciaire de la jeunesse,

un fait désormais acquis : Construire des dialogues

transfrontaliers, initier et développer des analyses

communes, participer à des échanges d’expériences

pour partager les solutions possibles et porter

l’exemple des meilleures d’entre elles, tout cela est

désormais indispensable si l’on veut atténuer des

difficultés qui s’exportent d’une région à l’autre, et

ne peuvent être résolues durablement sans l’appui

des coopérations internationales.

Cette réalité est prise en compte dans l’organisation

de la sous-direction de la protection judiciaire de

la jeunesse, dans les programmes et activités de

l’École, et dans les activités internationales que

l’une et l’autre conduisent.

Les cahiers de JCI consacrent ici un article au

panorama de ces activités, et proposent également

un focus bien documenté sur une question qui,

sollicitant fortement nos institutions en charge

de la protection de l’enfance, est emblématique

de la nécessité d’entretenir cette coopération

internationale : celle, multiforme et totalement

insoluble au seul échelon national, des mineurs

non accompagnés.

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

PRÉAMBULE SUR L’ORGANISATION DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE EN FRANCE

La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est

l’institution qui prend en charge les mineurs sous

main de justice par le biais de l’exécution de

mesures, sanctions et peines prononcées par les

juges.

En France, la justice juvénile recouvre à la fois

les sujets de protection de l’enfance, et ceux de

prévention de la délinquance. La protection judiciaire

de la jeunesse relève du Ministère de la justice,

celui-ci comportant en son sein une direction en

charge des orientations générales en matière de

justice des mineurs.

L’organisation de la PJJ est déconcentrée, avec 9

directions interrégionales, 55 directions territoriales,

223 structures du secteur public, et 980 structures

du secteur associatif habilité, l’ensemble recouvrant

une pluralité de dispositifs :

• En premier lieu, les entités rattachées au tribunal

(permanences, unités ou services éducatifs auprès

des tribunaux) ;

• Puis, l’intervention des milieux ouverts, qui

constituent le fils rouge du parcours judiciaire du

mineur ou jeune majeur pris en charge ;

• Les services d’insertion ensuite, qui permettent la

remobilisation des jeunes accompagnés.

• Puis encore les établissements de placement

judiciaire  : unités éducatives d’hébergement

collectif, unités éducatives d’hébergement

diversifié, les centres éducatifs renforcés, où

les mineurs bénéficient d’un accompagnement

complet (santé, scolarité, famille, scolarité…).

Cette typologie de dispositifs est complétée par

les centres éducatifs fermés, qui constituent une

alternative à l’incarcération, ainsi que par les

établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM)

et les quartiers mineurs (QM).

Un peu moins de 145 000 jeunes sont ainsi suivis.

La protection judiciaire de la jeunesse repose

sur des principes de spécialisation, de primat de

l’éducatif sur le répressif et de discernement. Les

décisions sont mises en œuvre dans un contexte où

les situations sont examinées, évaluées et traitées

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de manière individualisée, et toujours sous mandat

judiciaire. Des équipes pluridisciplinaires concourent,

de manière complémentaire, à ces prises en charge,

éducative et judiciaire.

Parce que les sujets de la protection de l’enfance et

de la prévention de la délinquance sont nombreux,

protéiformes et complexes (traite des êtres humains,

justice restaurative, prévention de la radicalisation,

mineurs non accompagnés (MNA)…), la sous-

direction de la protection judiciaire de la jeunesse

dispose de bureaux et services spécialisés comme

les affaires juridiques, les missions éducatives, les

partenariats et politiques publiques, le pôle santé,

l’évaluation et la recherche, la mission MNA, ou

encore la mission nationale de veille et d’information

(MNVI) notamment. La sous-direction est également

dotée d’un pôle international qui a vocation à utiliser

les leviers de coopération pour permettre un partage

d’expérience avec d’autres pays en matière de

justice des mineurs.

Service à compétence nationale de la Direction

de la Protection judiciaire de la Jeunesse (DPJJ),

l’École nationale de protection judiciaire de la

jeunesse (ENPJJ)a pour mission principale la

formation professionnelle tout au long de la vie

des personnels de la Protection judiciaire de la

jeunesse (PJJ) et des tous les professionnels qui

concourent à cette mission de prise en charge des

mineurs : éducateurs, directeurs, responsables

d’unité éducative, responsables des politiques

institutionnelles, directeurs territoriaux… Elle

développe également des activités de recherche,

de documentation et d’édition.

Forte de 150 personnels et de 9 pôles territoriaux

et deux antennes ultramarines, l’École nationale de

la protection de la jeunesse prépare à ces métiers

du champ social et judiciaire en dispensant des

formations dans des domaines variés, tels que le droit

et la procédure pénale, la sociologie, la philosophie,

la pédagogie, la psychologie de l’enfance et de

l’adolescence, ou encore le management public,

ce dans le cadre de la formation initiale – ce qui

représente 500 stagiaires par an - et de la formation

continue, celle-ci étant proposée tant par l’École

elle-même que par ses 9 pôles interrégionaux. Elle

touche ainsi non seulement les 5000 personnes

constituant le personnel PJJ, mais également

3000 acteurs de la justice des mineurs extérieurs

à ce personnel, son offre de formation s’ouvrant à

l’ensemble des acteurs de la justice des mineurs, de

la protection de l’enfance et du secteur associatif

habilité.

I. L’ACTION INTERNATIONALE DE LA SOUS-DIRECTION DE LA PJJ

1. Au cours de l’année écoulée, plusieurs actions de coopération bilatérale ont été conduites :• Des missions d’expertise à l’étranger : plusieurs

ont eu lieu au Brésil, en Côte d’Ivoire, au Maroc, en

Autriche ou en Moldavie par exemple. S’agissant

spécifiquement du Maroc, un travail s’y fait

actuellement sur la question des mineurs non

accompagnés, fortement assis sur la présence sur

place de l’UNICEF qui, promouvant des standards

internationaux auxquels la DPJJ adhère bien sûr

pleinement, ne fait appel qu’encore trop rarement

à l’expertise d’institutions publiques nationales.

Une mission y a cependant été conduite en octobre

2018, avec le soutien logistique de JCI, auprès des

centres de mineurs non accompagnés, aux fins

de vérifier si leur situation et leur fonctionnement

étaient de nature à permettre le retour volontaire

dans leur famille de mineurs marocains non

accompagnés en France, en se basant sur l’intérêt

supérieur de l’enfant.

L’administration de la PJJ, par ailleurs, accueille

régulièrement des délégations étrangères en

provenance d’autres pays comme la Corée du Sud,

la Géorgie, la Chine, le Mozambique ou l’Ukraine.

• Elle participe, via son pôle international, au groupe

d’experts informel de la Commission européenne

sur les droits des enfants.

• Elle travaille à développer les

échanges de bonnes pratiques

a v e c s e s h o m o l o g u e s

d’autres pays avec lesquels

elle entretient des relations

bilatérales : C’est ainsi, concrètement,

• que deux professionnelles de terrain, l’une

directrice des services de la PJJ actuellement

chargée de mission en administration centrale

et l’autre directrice de service territorial éducatif

d’insertion (STEI), se sont déplacées en Moldavie

pour témoigner de l’expérience française d’insertion

sociale et professionnelle, en présentant les

dispositifs, outils et méthodes d’accompagnement

utilisés en France aux conseillers d’insertion et de

probations de Moldavie.

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

• Qu’en sens inverse, deux éducateurs

spécialisés sénégalais sont venus

réaliser un stage de découverte de deux

semaines en France pour appréhender

le fonctionnement de notre système de

prise en charge des mineurs délinquants

(présentation de l’organisation et des

principes généraux, visites du PTF IDF

OM, de l’ENPJJ, d’une UEHC, d’un CEF,

d’une UEMO, d’une UEAJ, du DRECS…)

Même si leur mise en œuvre, non linéaire, n’a pas

connu de développement très récent, d’autres

partenariats prometteurs peuvent être évoqués,

notamment en Europe de l’Est. Ainsi, par exemple,

en 2015, la DPJJ a été sollicitée par l’attachée

de coopération régionale « Droit de l’enfant »

de l’Ambassade de France en Roumanie, pour

construire une coopération régionale sur la prise

en charge socio-éducative des mineurs sous mandat

judiciaire. Dans ce contexte, elle a accueilli en juin

2015, une délégation de représentants des trois

pays concernés, qui a pu, en une semaine de visites,

découvrir les missions et observer le fonctionnement

des établissements et services de la PJJ. Puis, en

octobre 2015, elle s’est à son tour déplacée dans

ces trois pays pour y dresser un état des lieux en

vue d’alimenter la mise en œuvre de futurs projets

de coopération, complété ensuite par la rédaction

d’un rapport national concernant chacun d’eux,

qui pointait les actions de coopération à mettre en

œuvre en priorité. Cette mise en œuvre a débuté en

2016, avec trois formations dans chacun des trois

pays, dont la suite attendue devrait se mettre en

place dans un proche avenir.

2. Dans le cadre multilatéral, la DPJJ participe régulièrement à des projets intra-européens de coopération techniqueFinancés par la Commission Européenne, ces

projets, qui visent à développer la cohésion de

l’espace judiciaire européen, donnent aux pays

participants l’opportunité de renforcer leurs relations

et leur connaissance mutuelle de leurs systèmes

et organisations judiciaires, dans divers domaines

d’intérêt.

La justice des mineurs est un domaine auquel ont

été dédiés, récemment nombre de ces projets.

Dans le cours des trois dernières années, la

DPJJ, avec l’appui logistique de JCI, a pris part

à trois d’entre eux, tous gérés par l’Observatoire

International de la justice juvénile, une Fondation

belge d’utilité publique dont le travail est centré sur

les problématiques des mineurs et jeunes en conflit

avec la loi, telles :

• la justice restaurative pour les enfants victimes :

le sujet a donné lieu, de janvier 2017 à janvier 2019,

à la mise en œuvre d’un projet DAPHNE, visant

à mener des recherches sur son implantation

en Europe, et plus spécialement dans les Etats

partenaires - la Belgique, la Finlande, le Royaume-

Uni , la France, la Lettonie et la Bulgarie - avec

pour objectif d’en démontrer l’efficacité.

UN PROJET INTRA EUROPÉEN, QU’EST CE QUE C’EST ? Se déroulant sur une période d’une à deux années, ces projets réunissent des professionnels spécialistes du domaine concerné, issus de plusieurs Etats membres de L’Union, dans des conférences et des visites d’études, leur donnant accès à des échanges d’expériences approfondies sur leurs législations et pratiques. Quels que soient les sujets abordés, les échanges sur les problématiques qui en découlent permettent d’approfondir les relations entre les participants des pays concernés, de confronter leurs analyses, de faire connaître les points forts de chacun, les difficultés rencontrées, les expérimentations et solutions tentées par les uns et les autres. Dans ce contexte, chacun des participants se voit finalement offrir l’opportunité de s’inspirer des apports des autres et, se constitue, à l’occasion de ces échanges, un réseau plurinational de relations qui, ultérieurement, permet d’améliorer la coopération opérationnelle transfrontalière.

QU’EST CE QUE LA JUSTICE RESTAURATIVE ?C’est un processus fondé sur la participation volontaire et active de la victime, de l’auteur et, le cas échéant, de tous les individus ou membres d’une communauté touchés par une infraction, à l’élaboration de la solution propre à régler les questions qui en découlent, en général avec l’aide d’un facilitateur.

L’idée directrice du projet est d’en démontrer l’intérêt, pour en encourager l’application la plus large dans le domaine de la justice des mineurs, sur la base du constat de ce qu’elle est plus respectueuse que la justice classique des droits de l’enfant et moins traumatisante aussi bien pour le mineur auteur que pour le mineur victime.

Les méthodes mises en œuvre sont la médiation et la conférence restaurative, et les cercles de réconciliation notamment.

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Après des études documentaires visant à dresser

l’état des lieux de la justice restaurative pour

les mineurs dans l’Union Européenne, et plus

particulièrement dans les pays partenaires du

projet, les participants ont ensuite échangé sur leurs

pratiques nationales respectives à la faveur d’un

travail conçu sur un format mentor/mentoré, entre

deux pays, l’un doté d’une expérience significative

de justice restaurative - le pays mentor -, à faire

partager à l’autre, moins avancé dans ce domaine –

le pays mentoré, selon le schéma suivant : une visite

d’étude dans le pays mentor dans un premier temps,

puis une formation interne prodiguée dans chaque

pays mentoré, suivie chez lui, dans un troisième

temps, de la mise en œuvre concrète d’un projet

pilote. Des outils et notamment un guide européen

ont été produits à cette occasion et diffusés auprès

des professionnels.

La France a ainsi bénéficié de l’expérience belge,

où, dans le cadre de l’avènement de la justice

restaurative avec la loi de 2014 et à sa suite la

circulaire de 2017, il y a eu une intégration de

cette pratique progressive dans la justice pénale

des mineurs, la volonté étant de mettre en œuvre

une justice des mineurs plus axée sur les droits

de l’enfant , adossée à la communauté, avec des

tribunaux plus transparents menant leurs procédures

de façon plus compréhensible et complémentaire à

la justice classique. Dans ce contexte a été préconisé

le développement d’une approche de justice fondée

sur un modèle de conférence réunissant l’auteur, la

victime et d’autres professionnels et membres de

la famille, pour déboucher sur l’ établissement de

plans de concertation exigeant de l’enfant auteur

l’accomplissement d’actions spécifiques destinées

à réparer l’infraction de manière éducative et

restaurative .

Plusieurs agences et instituts de justice justice

restaurative concourent à la formation des agents

dans ce domaine. En janvier 2019, une dizaine

d’expérimentations ont été lancées dans les

différentes interrégions de la PJJ, elles feront l’objet

d’une évaluation globale en janvier 2020 et la mise

en œuvre sera de la justice restaurative continuera

d’être suivie au ministère de la justice par un comité

de pilotage.

Les évaluations pratiquées en 2005 et en 2007, puis

en 2015, ont montré chez les adultes un taux élevé

de respect de plans conclus, et une satisfaction des

victimes bien supérieure à celle qui résulte de leur

participation à une procédure pénale classique,

avec notamment une disparition du syndrome

de revictimisation fréquemment provoqué par la

comparution. Ces effets positifs pourraient ainsi

également être profitable aux mineurs auteurs et

victimes.

Il reste difficile d’évaluer l’impact du processus sur

la réduction de la récidive , dont le taux semble

cependant minoré pour les auteurs jugés dans le

cadre de ce processus restauratif .

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

• La prévention de la radicalisation des mineurs,

dans le projet PRALT qui s’est déroulé de juillet

2016 à juin 2018 : les diverses sessions ont réuni

décideurs, juges et praticiens, sur les pratiques

relatives à la prévention de la radicalisation dans

les prisons, sur les alternatives à l’emprisonnement,

et sur le développement de programmes de

déradicalisation des mineurs efficaces au sein de

l’Union Européenne. Ce projet associant la France,

l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne

et la Roumanie, a permis de dresser un état des

lieux de la radicalisation des mineurs et de

l’utilisation des peines alternatives, et ‘organiser

plusieurs sessions de formations et d’échanges

d’expériences.

• Le renforcement de la justice des mineurs dans

le contexte de la lutte contre le terrorisme, projet

mis en œuvre de janvier 2016 à décembre 2018,

avec pour partenaires l’Allemagne, l’Autriche, la

Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne, la France, la

Roumanie, la Hongrie, la Lituanie et la Croatie .

Après une analyse des cadres législatifs et des

réponses policières existants face aux mineurs

suspects de violences radicales et extrémistes

ont été envisagées de nouvelles pratiques,

fondées sur le respect des droits des mineurs et

la recherche d’efficacité.

Le bénéfice de ces programmes d’échanges doit

dépasser le cadre de ses seuls participants, et aussi

bien, l’accent y est systématiquement mis, pour

cette raison, sur la formalisation et la diffusion de

leurs résultats, toujours présentés à l’occasion d’une

conférence finale qui clôture les projets, et lance,

en même temps, la dissémination des « livrables »,

élaborés par les participants.

Dans les trois projets évoqués, ces livrables –

manuels, rapports, e-formations - sont mis en ligne

sur le site Internet de l’Observatoire – cofinancé par

l’Union Européenne –, à disposition non seulement

des professionnels concernés, mais également des

chercheurs et, plus largement, du public en quête

d’informations sur les problématiques en cause.

Le programme DAPHNE a ainsi produit l’ébauche

d’un guide pratique sur la mise en œuvre de la

justice restaurative, complété par une formation en

ligne dont les deux sessions s’inspirent de ce guide.

Le projet PRALT a permis d’élaborer un manuel

de formation sur les questions de radicalisation

des mineurs, également assorti d’une formation

en ligne disponible sur le site de l’Observatoire,

leader du projet ; il a également donné lieu à un livre

blanc « protéger les droits des enfants et assurer la

sécurité de l’État » qui examine les lois, politiques et

pratiques liées aux poursuites contre des mineurs

dans le cadre d’actes de terrorisme, et comporte

des recommandations pour les Etats membres de

l’Union Européenne, les institutions européennes et

les professionnels concernés, quant à l’application

rigoureuse, en la matière, des principes de la justice

des mineurs.

Le troisième des programmes ci-dessus cités,

également sur cette thématique, a enfin donné lieu

à la production de neuf rapports nationaux, tous

traduits en anglais, ainsi qu’un rapport régional, et

a permis la création d’une communauté de pratique,

site internet également logé à l’Observatoire, qui

rassemble les sources d’information par pays et les

éléments de base de leurs droit pénal et de leur

procédure pénale, en particulier ceux relatifs à la

justice des mineurs et de lutte contre le terrorisme,

et qui alimente le débat entre professionnels en leur

faisant partager les nouveaux développements et

l’évolution des meilleures pratiques.

LA CONFÉRENCE RESTAURATIVE EN IRLANDE DU NORD Fondée sur la participation volontaire tant de l’auteur que de victimes, cette a conférence est une rencontre sécurisée et accompagnée s’inscrivant dans un processus participatif qui, ouvrant au jeune auteur la prise de conscience du mal causé, lui donne une opportunité de réflexion, de remords, et d’humanisation de la victime, et lui permet de faire amende honorable, tandis que la victime, dont le point de vue est essentiel pour l’élaboration du plan, obtient réparation.

Un préconférence permet de déterminer l’éligibilité du processus et la pertinence d’y recourir en considération de la nature de l’infraction et de l’état d’esprit des parties prenantes – auteur et victime. Elle incombe à des coordonnateurs professionnels formés, qui , le cas échéant, organisent ensuite la conférence elle-même.

Celle-ci peut être soit proposée comme une alternative à la comparution devant le tribunal – c’est la conférence dite de diversion, sur orientation du ministère public, vis-à-vis d’un mineur déféré ayant reconnu sa culpabilité -, soit ordonnée par le tribunal lui-même, pour un mineur ayant reconnu sa culpabilité ou ayant été jugé coupable devant lui.

La conférence dure en moyenne un peu plus d’une heure - même si elle peut dans certains cas se prolonger jusqu’à trois heures. Elle donne à la victime l’occasion de décrire les préjudices subis, de demander à l’auteur les raisons de son acte et de s’exprimer sur les moyens de le réparer, tandis que l’auteur a l’opportunité d’exprimer son remords et de se racheter.

Les options ouvertes permettent que le plan puisse mettre à la charge de l’auteur des excuses à la victime, la réparation de l’infraction, ou l’indemnisation de la victime du coût de remplacement ou de réparation du bien détruit. Il peut également prévoir de le remettre à la surveillance d’un adulte, ou lui imposer d’effectuer un service ou un travail non rémunéré pour le compte de la communauté, de participer à certaines activités, de restreindre sa conduite ou ses déplacements, ou encore de suivre tel ou tel traitement.

UN EXEMPLE DE DIFFUSION DES RÉSULTATS D’UN PROJET : LE MANUEL DE FORMATION ISSU DU PROGRAMME PRALT Ce document, élaboré par les parties prenantes au projet, présente d’abord les concepts et les instruments, juridiques et politiques, nécessaires à la compréhension du contexte dans lequel la radicalisation affecte particulièrement les jeunes.

Dressant d’abord un panorama général des mesures mises en œuvre pour la criminalité et la radicalisation, il présente ensuite les alternatives à la détention et les mesures appliquées dans la communauté dans le contexte de la radicalisation juvénile, avant d’aborder la prévention de la radicalisation dans le contexte de la détention. Il définit enfin des méthodes pour travailler avec des mineurs condamnés pour des infractions d’extrémisme violent, en détention et après leur libération.

Sur chacun de ces sujets – prévention et traitement de la radicalisation avant l’acte violent, en détention, et après la libération -, le manuel met en avant des exemples de programmes mis en œuvre en Europe, avec un focus particulier sur la situation actuelle de la radicalisation des jeunes en détention,celle-ci faisant l’objet d’une évaluation dans les rapports nationaux présentés par les pays partenaires.

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Fin 2019, la DPJJ a remporté un projet qu’elle a eu

l’ambition de proposer elle- même à la Commission

Européenne, avec l’appui de l’opérateur Justice

-JCI - pour en assurer administrativement et

financièrement le montage, puis la gestion, sur le

thème des mineurs non accompagnés.

Ce projet a été formulé dans le cadre du projet

«EURPROM » de l’Union Européenne, né sur la

base du constat que les Etats membres de l’Union

Européenne peinent actuellement à assurer une

protection et une prise en charge suffisante des

mineurs non accompagnés, qui sont pourtant des

sujets de droits à part entière. Ce projet entend

donc subventionner des actions qui mobilisent

les acteurs professionnels de la prise en charge

éducative, pour améliorer le traitement des

mineurs non accompagnés au regard des normes

européennes et internationales en la matière. C’est

dans ce cadre que la DPJJ a présenté un projet

que l’Union Européenne a accepté de financer, en

saluant au passage, dans son évaluation, la qualité

de la proposition.

Le projet, d’une durée de 24 mois, administré par

JCI et conduit par la DPJJ, doit réunir derrière elle

les institutions homologues d’Allemagne, d’Espagne,

d’Italie et de Suède. Tel qu’il a été formulé, il

prévoit, dans un premier temps, de dresser un

état des lieux « théorique » des spécificités de

chaque Etat membre du consortium dans la prise

en charge des MNA, puis d’identifier les difficultés

communes et les bonnes pratiques, avant d’offrir,

sous forme de visites d’études et de sessions de

formation, un entraînement théorique et pratique

aux professionnels de la protection de l’enfance.

Des supports pédagogiques doivent également

être réalisés et diffusés à l’ensemble des acteurs

clés de la prise en charge des MNA afin de voir

ses effets se prolonger au-delà du temps de sa

mise en œuvre, il est aussi prévu de promouvoir

les activités réalisées et les résultats obtenus, par

différents types de canaux, à plusieurs étapes du

projet, enfin une synthèse finale de l’ensemble des

éléments sera réalisée lors d’une conférence finale

et un guide européen centralisera les éléments

recueillis et fera l’objet ensuite d’une traduction

pour être finalement largement diffusé.

1 Créé en 1951, le centre national de formation et d’études, l’ancêtre de l’ENPJJ, a été un lieu internationalement reconnu de réflexion sur la justice des mineurs

II. L’INVESTISSEMENT INTERNATIONAL DE L’ÉCOLE NATIONALE DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

Au sein de la direction générale de l’École, une

cellule d’appui à l’innovation pédagogique

s’occupe de deux enjeux stratégiques : celui des

transformations numériques de la formation – hors

du champ d’investigation qui nous occupe – et celui

de la coopération internationale.

A travers la réception de délégations étrangères

ou la réalisation de missions en Europe et dans

le monde, l’ENPJJ participe au rayonnement

international du ministère de la Justice et de la

direction de la Protection judiciaire de la jeunesse.

Forte de 60 ans d’histoire, l’École nationale de

protection judiciaire de la jeunesse a accumulé

une expertise en formation sur les questions de

protection de l’enfance et d’éducation dans un

cadre contraint, reconnue depuis longtemps, via

le CNFE1 par de nombreux acteurs internationaux.

Après quelques années de jachère, l’école de la

PJJ a repris depuis 2015, une importante activité

internationale et européenne, autour des axes

constitués par l’accueil de délégations et d’élèves

étrangers, la mise à disposition de son expertise en

formation de différentes écoles à travers le monde ,

et l’intégration, dans la formation des directeurs des

établissements et services de la PJJ, d’un stage de

découverte en Europe.

1. L’accueil de délégations et d’élèves étrangers :La première opportunité de travail de l’ENPJJ

avec le monde entier s’exprime dans sa volonté,

en complémentarité de la DPJJ, d’accueillir des

délégations mais aussi des stagiaires internationaux.

Si l’accueil de délégations étrangères est en principe

plutôt du ressort de l’administration centrale, il reste

que le sujet « formation » est souvent à l’agenda

des visites d’études. Ces dernières années, des

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

délégations japonaises, albanaises, sénégalaises,

ivoiriennes, polonaises ont découvert l’architecture

et l’organisation pédagogique de l’ENPJJ, en

complément de la découverte des services de

protection judiciaire de la jeunesse en France.

Le second type d’accueil est celui des stagiaires :

ponctuellement, il est demandé à l’ENPJJ d’accueillir

au sein de ces formations initiales, des élèves

éducateurs étrangers. Ces accompagnements

sont complexes, et n’aboutissent pas toujours.

Mais l’école de la PJJ a participé très activement,

ces huit dernières années, à la construction de la

professionnalité des éducateurs haïtiens, certes en

accomplissant à Port-au-Prince plusieurs missions de

formation, mais aussi en accueillant dans ses salles

de classe, durant plusieurs mois, une promotion

de dix stagiaires haïtiens issus des ministères de

l’Intérieur ou des Affaires sociales. L’école forme

aussi, très régulièrement, des éducateurs et des

directeurs du gouvernement néocalédonien.

2. La mise à disposition de l’expertise en formation de l’École au profit de différents établissements de formation à travers le monde :Elle constitue l’essentiel des interventions à l’étranger

de l’École. Ces missions relèvent généralement de

trois types : formations des éducateurs et des cadres

sociaux, formation de formateurs et ingénierie des

dispositifs de formations. Elles se réalisent soit

dans le cadre d’une demande d’appui bilatéral,

en général assez ponctuelle, soit dans le cadre

d’un programme multilatéral, davantage inscrit dans

la durée et plus transversal, l’expertise de l’École

étant en ce cas mise en œuvre sous l’égide de JCI,

titulaire du contrat dont il assure la logistique et le

suivi administratif et financier .

• Lorsqu’elle est sollicitée dans le contexte d’une

demande d’appui bilatéral, l’ENPJJ anime des

sessions de formations auprès de publics étrangers,

essentiellement en Afrique de l’Ouest, mais aussi

en Haïti, en Nouvelle- Calédonie, en Pologne, ou

au bénéfice d’ONG, comme Terre des Hommes

ou l’Unicef. Encadrement et fondamentaux de

l’action éducative, technique d’entretien, médiation

pédagogique, droit applicable aux mineurs, travail

avec les familles, travail social dans un cadre

pénal, sont les sujets pour lesquels elle est le

plus souvent sollicitée.

Ces trois dernières années, ce sont près de 460

magistrats, éducateurs, acteurs associatifs et

cadres éducatifs qui ont ainsi reçu, de par le

monde, une formation dispensée par les experts

de l’ENPJJ. Au cours de la même période, ce sont

une dizaine d’agents de l’École qui ont participé à

ces missions, pour un total de 112 jours de missions,

l’ENPJJ ayant pris le parti de mobiliser ses propres

professionnels pour en conduire l’essentiel. C’est

en effet une double expertise qui est attendue de

ses interlocuteurs, tout autant et à la fois sur le

fond des questions d’actions éducatives que sur

la didactique et la pédagogie du travail social.

L’école met donc en œuvre une politique de vivier,

sélectionnant parmi ses cadres pédagogiques et

ses formateurs ceux qui, volontaires, maitrisent

les éléments de pédagogie ad hoc et manifestent

un intérêt et une expérience pour l’interculturel.

Cette vingtaine de formateurs est animée par l’unité

d’appui à l’innovation pédagogique, et bénéficie de

formations régulières sur les pratiques de travail

social à l’étranger.

• Dans un contexte multilatéral, c’est à la demande

de JCI que l’ENPJJ intervient, pour apporter son

expertise en matière de formation dans des projets

financés par des bailleurs internationaux – l’Union

Européenne le plus souvent – qui abordent

transversalement les questions de formation,

suscitant une demande qui met en jeu son domaine

de compétence.

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

Simulation d’audience pénale (TPE), formation des éducateurs recrutés en Polynésie française, Tahiti, février 2019

Entrée du centre de sauvegarde de Pikine au Sénégal. Mission JCI d’appui au développement de la formation des éducateurs spécialisés, juillet 2017

Réunion des enseignants intervenants au Centre de

formation judiciaire, Sénégal. juillet 2017

44 45

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• C’est ainsi que l’expertise de l’ENPJJ a été mise en

œuvre pour conduire la rédaction des référentiels

de formation et le plan de formation continue de

l’École de l’éducation surveillée en Côte d’Ivoire,

au bénéfice de l’Institut national de formation

judiciaire (INFJ) et de la direction de la protection

judiciaire de l’enfance et de la jeunesse (DPJEJ).

• Il en a été de même lorsqu’elle a analysé le

fonctionnement du centre de formation judiciaire

(CFJ) du Sénégal et y a proposé quelques

ajustements alors que lui avait été dévolue,

en 2017, le segment dédié, dans ce projet, à la

formation des éducateurs judiciaires.

• C’est ainsi enfin que l’ENPJJ est également

partie, depuis 2016, à un projet qui concerne la

formation de formateurs d’un autre projet ivoirien

actuellement mis en œuvre en Côte d’Ivoire par

JCI, qui y met en œuvre l’expertise des quatre

écoles de formation du ministère de la Justice . Il

s’agit en effet de soutenir l’INFJ ivoirien, académie

formant non seulement les juges, mais l’ensemble

des personnels de justice, incluant à la fois les

magistrats, les greffiers, le personnel pénitentiaire

et le personnel de la PJJ.

Pour ce qui relève de celui-ci, les experts de

l’École apportent leur soutien aux intervenants-

experts ivoiriens, en attente d’un fort étayage

pédagogique, en même temps que se déroulent

des missions d’initiation à l’ingénierie de formation

et l’ingénierie pédagogique à destination des

intervenants occasionnels œuvrant à la formation

des personnels éducateurs : Ainsi dans ce projet,

depuis 2016, trois missions, ont permis de constituer

et consolider un vivier d’une quinzaine de personnes,

sur des sujets comme la création des plannings

ou des évaluations, le choix des enseignants, la

construction d’activités innovantes et d’études de

cas, et la mise en œuvre de la formation à distance.

3. L’intégration, dans la formation des directeurs des établissements et services de la PJJ, d’un stage de découverte dans un pays d’Europe. Attentive à prendre place dans l’espace de réflexion

européen, l’ENPJJ y manifeste son action, via la

formation initiale des directeurs, par la découverte

par des élèves de l’ENPJJ d’autres systèmes de

prise en charge. Il est en effet obligatoire dans

la formation statutaire des directeurs, depuis une

quinzaine d’années, d’effectuer un stage de 15 jours

dans un établissement d’un pays membre du Conseil

de l’Europe prenant en charge des mineurs. Le but

de ce stage, qui appelle une longue préparation

en anthropologie juridique, est de découvrir les

politiques publiques et les acteurs à l’œuvre en

protection de l’enfance et en protection judiciaire de

la jeunesse dans ces différents pays, mais aussi de

s’approprier de bonnes pratiques mobilisables dans

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

le futur métier de directeur des stagiaires. Ces stages

sont aussi l’occasion, par le regard décalé qu’ils

permettent sur les dispositifs français, de mieux saisir

les articulations complexes existant entre le secteur

de la protection judiciaire et celui de la protection

de l’enfance. Au-delà des enjeux de formation, il

s’agit par ce stage, pour la PJJ comme pour son

École, de disposer d’une expertise, mobilisable

auprès de nos futurs cadres, sur des problématiques

diverses, dans les approches comparées qui nous

sont institutionnellement nécessaires.

Le bilan pédagogique de cette expérience est très

positif, et la qualité des présentations préparées

par les stagiaires pour la journée de restitution et la

teneur même de leurs témoignages confirment leur

appréciation selon laquelle il s’agit d’ un élément

majeur de leur formation, aussi bien du fait de la

méthode elle-même, unanimement saluée, que

des apports de l’expérience, toujours originale

et positive, même si elle peut être parfois aussi

violente, voire quasi traumatique, selon la nature

des situations auxquelles les stagiaires se sont

trouvés confrontés -voir à cet égard ci-dessous le

témoignage choc des stagiaires de Ceuta .

TÉMOIGNAGESRobin STOZICKY et Mylène RENAUD, stagiaires en Russie

« Aspect incontournable de la formation statutaire dispensée à l’École Nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, le stage européen vise à enrichir les apports de la formation par une approche comparée d’un autre système de gouvernance dans les domaines ayant trait à la protection de l’enfance, à la prévention de la délinquance, à la justice des mineurs et à l’exécution des mesures et peines.

En choisissant la Russie, tant par intérêt pour une thématique encore peu traitée que par curiosité intellectuelle, nous avions fait le choix d’explorer un pays où les questions relatives à la justice et à la jeunesse sont encore méconnues. Le travail mené avec les autorités diplomatiques françaises à Moscou et en particulier le magistrat de liaison en poste nous a permis de rencontrer un certain nombre d’acteurs institutionnels, associatifs et privés et de visiter des lieux d’éducation, de soins et de détention des mineurs russes, à Moscou et sa région mais également dans la région de Lipetsk.

Cette construction concertée de notre stage de découverte avec le magistrat de liaison nous a permis de mieux comprendre la gouvernance russe sur les questions d’éducation et de prévention de la délinquance, de rencontrer les autorités locales mais également des membres de la société civile qui, chacun de leur place et à leur niveau, nous ont livré leur lecture des questions d’éducation et de justice des mineurs. En miroir, nous avons eu la chance de partager nos connaissances et notre expertise sur le système de gouvernance en France

au travers d’un forum des associations et des acteurs de la société civile organisé dans les locaux de l’ambassade de France à Moscou. 

Ces initiatives menées dans le cadre d’un parcours de formation contribuent ainsi à une meilleure connaissance des approches européennes en matière de protection de l’enfance, de prévention de la délinquance et de justice des mineurs. »

Lou SECCHI et Justine ALLARD, stagiaires à CEUTA

« En novembre 2018, nous sommes parties à Ceuta, enclave Espagnole, afin de mieux saisir les enjeux liés à la migration des enfants, mineurs non accompagnés. Ceuta est une ville autonome espagnole sur la côte nord de l’Afrique ayant une frontière directe avec le Maroc. À peine arrivées, nous sommes déboussolées et choquées. En effet, la ville est complètement militarisée. Une immense barrière de 8km de long et haute de 6m (appelée la Valla), construite en 2001 par l’Espagne et payée en partie par l’Union Européenne, a pour objectif d’empêcher le franchissement de la frontière marocaine. La police est partout, des camps militaires sont présents non loin de la barrière, sur les terres marocaines et des caméras thermiques, en Espagne, détectent les mouvements de groupes se dirigeants vers la barrière. Nous avons pu le voir de nos propres yeux grâce à un militant d’une association œuvrant pour la dignité des femmes et des enfants, qui nous a emmenées jusqu’à la frontière.

Nous sommes allées à la rencontre de jeunes ayant franchi la frontière, errant près du port, vivant dans des habitations de fortune construites sous des rochers, dans l’attente de l’opportunité de monter de manière clandestine sur un bateau, sous un camion, pour rejoindre le continent.

Leur mise en danger est réelle : quelques jours avant notre arrivée, un jeune venait de décéder, écrasé sous un camion. Nous avons pu vivre un instant ce qu’ils vivent eux, depuis plusieurs semaines, mois, années. Ces rencontres bouleversantes, de jeunes se disant « sans avenir » dans leur pays d’origine nous ont particulièrement fait réfléchir à notre posture de directrices de la protection judiciaire de la jeunesse. En effet, il nous paraît essentiel d’adapter l’accompagnement, par nos structures, de ces jeunes « MNA », dont on ne connaît généralement pas le quart de ce qu’ils ont pu vivre.»

Dans le cadre de la réforme des formations des

directeurs, qui prendra effet au 1er mars 2020, ce

stage est maintenu, avec des objectifs pédagogiques

encore plus ambitieux, mariant la perspective de

plus-value sur le fond à une exigence d’appropriation

des politiques européennes  : en effet, il sera

désormais demandé aux futurs directeurs de la

PJJ de construire leur stage et d’en organiser le

financement par eux-mêmes, en mettant en œuvre

les règles du programme Erasmus.

Après cette présentation des pratiques de coopération

de la PJJ et de son École, un focus approfondi sur

la situation des mineurs non accompagnés paraît

essentiel, pour la compléter : Il serait en effet difficile

d’illustrer le besoin de coopération internationale

active qui anime aujourd’hui la PJJ , sans se pencher

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

LE DÉROULEMENT DU STAGE Sur le plan pédagogique, ce stage qui se déroule durant la deuxième année s’organise en trois temps.

Un premier temps théorique, visant à former les stagiaires aux méthodologies de construction de ce stage, et aux méthodes d’observation et d’analyse des phénomènes juridiques. Il s’agit tout à la fois de choisir une destination et des sujets -les stagiaires, en duo, doivent construire et donc justifier ce qu’ils souhaitent observer et dans quel pays- dont certains sont proposés par la DPJJ, mais aussi de construire les relations, professionnelles et diplomatiques, qui vont permettent la mise en œuvre de ce stage.

Un deuxième temps qui est celui du stage lui-même, d’une durée de deux semaines, au sein d’un ministère ( justice ou affaires sociales), d’une collectivité locale ou d’une association. Mais il s’agit bien d’un stage d’observation des fonctions d’encadrement, à l’issue duquel les stagiaires devront avoir perçu les politiques publiques à l’œuvre, les fondements juridiques et philosophiques de la protection de l’enfant, les méthodes et dispositifs employés, le financement et le pilotage de l’action sociale.

Un troisième temps dédié à la restitution, qui ne donne pas lieu à une synthèse écrite mais s’exprime dans le cadre d’une journée d’étude et de restitution : les stagiaires y sont invités à synthétiser leur découverte et à exposer des monographies sur les dispositifs autres de protection judiciaires de la jeunesse. Partie intégrante du processus, l’expertise qu’ils ont construite et de mesurer l’apport de l’approche interculturelle à laquelle ils ont pris part.

Journée d’étude et de restitution des stages européens des directeurs stagiaires, ENPJJ, mars 2019 (déjà positionnée)

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sur ce  phénomène multiforme, au regard duquel

aucune analyse ni aucune recherche de réponses

pertinentes ne peuvent s’envisager, en limitant

l’observation et l’action au territoire national.

III. LA PROBLÉMATIQUE «  MINEURS NON ACCOMPAGNÉS », UN CHALLENGE POUR LA PJJ

La question des mineurs non accompagnés n’est

pas nouvelle dans sa manifestation, mais l’est dans

sa recrudescence, montant en puissance en même

temps que les problématiques d’asile : en 2018,

les statistiques européennes faisaient état de ce

que près de 20 000 demandeurs d’asile sollicitant

une protection internationale, soit quelque 10 % de

l’ensemble, étaient âgés de moins de 18 ans.

Le sujet concerne transversalement les institutions

et pose la problématique de l’amélioration de la

compréhension des enjeux afférents. Il est bien

sûr urgent de trouver des solutions et en même

temps de travailler à cette meilleure compréhension,

pour parvenir à mieux protéger ces populations

particulièrement vulnérables.

Alors qu’une mission dédiée, créée au sein de la

DPJJ, est en charge de traiter la question et d’en

suivre l’évolution, d’autres regards spécialisés

l’observent et l’étudient, dont nous retiendrons d’une

part, celui de l’ ENPJJ, porté à partir des retours

d’expérience des stagiaires qu’elle envoie dans les

pays points de départ de mineurs non accompagnés,

et d’autre part, celui d’un éminent sociologue, Olivier

PEYROUX, spécialiste des questions de migration

et de traite des êtres humains.

1. la Mission Mineurs non accompagnés de la DPJJ (MMNA)Au sein de la DPJJ, la Mission Mineurs Non

Accompagnés (MMNA) est chargée de mettre en

œuvre la politique du ministère de la justice relative

aux mineurs non accompagnés (MNA).

Le contexte relatif aux MNA a considérablement

évolué en quelques années, au point que la situation

des MNA est devenue aujourd’hui une question

majeure cristallisant des attentes fortes de tous les

acteurs et vis-à-vis du gouvernement.

Le nombre de personnes déclarées mineures non

accompagnées portées à la connaissance de la

cellule est en constante augmentation : de 8 054 en

2016 ; il est passé en 2017 à 14 908 en 2017 –soit une

hausse de 85% par rapport à l’année précédente -,

puis en 2018 à 17 022 en 2018 - 14% d’augmentation

– et pour 2019, selon la statistique connue au 30

septembre 2019, à 13 222.

Dans ce contexte, la loi du 14 mars 2016 relative

à la protection de l’enfant a donné une base

législative au dispositif de répartition des mineurs

non accompagnés entre les départements ; en

l’inscrivant dans le code de l’action sociale et des

familles et dans le code civil.

Elle vise également à garantir à ces mineurs les

mêmes droits qu’à tout autre enfant présent sur

le territoire, rappelant ainsi que les mineurs non

accompagnés relèvent de la protection de l’enfance.

Les textes réglementaires accompagnant cette loi

-(décret du 24 juin 2016, arrêté du 23 septembre

2016 et arrêté du 17 novembre 2016) tendent à

harmoniser les pratiques des départements afin que

toute personne se présentant comme mineure non

accompagnée, et/ou déclarée telle, puisse bénéficier

des mêmes conditions d’accueil, d’évaluation et de

prise en charge.

Le président du conseil départemental du lieu où

se trouve une personne se déclarant mineure non

accompagnée met en place un accueil provisoire

d’urgence, et procède à l’évaluation de la minorité

et de l’isolement de la personne.

Cette évaluation s’appuie essentiellement sur des

entretiens réalisés par les services du département

ou toute structure habilitée par le président

du conseil départemental dans le cadre d’une

approche pluridisciplinaire et se déroulant dans

une langue comprise de l’intéressé. Si nécessaire,

le préfet apporte son concours pour la vérification

de l’authenticité des documents d’identification

et l’autorité judiciaire pour l’examen radiologique

osseux.

Une fois la minorité et l’isolement établis par le

département, et confirmés par le parquet ou le juge

des enfants, la cellule nationale d’orientation et

d’appui à la décision judiciaire de la MMNA est

sollicitée par l’autorité judiciaire compétente afin

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

d’émettre une proposition d’orientation, qui peut

être soit le maintien du mineur non accompagné

sur le département d’arrivée, soit sa réorientation

vers un autre département.

Cette proposition d’orientation s’effectue en

application d’une clé de répartition, fixée

annuellement en fonction des données

démographiques propres de chaque département, et

du nombre de MNA pris en charge au 31 décembre

de l’année précédente.

Les départements étant cependant de plus en

plus nombreux à alerter sur la saturation de leur

dispositif de protection de l’enfance et les tensions

se multipliant entre les conseils départementaux,

des réflexions sur de nouvelles modalités de calcul

de la clé de répartition sont actuellement engagées

avec les ministères concernés.

Outre cette mission opérationnelle de mise en

œuvre de la répartition inter-départementale des

mineurs non accompagnés, la MMNA a d’autres

activités.

En contact permanent avec les départements,

elle est quotidiennement sollicitée pour fournir

son expertise sur certaines thématiques telles la

traite des êtres humains (TEH), l’asile, la situation

de mineurs non accompagnés impliqués dans des

affaires pénales, les conditions d’autorisation de

travail…

Elle est également le point de collecte de toutes les

difficultés rencontrées sur le terrain : saturations des

dispositifs d’évaluation et d’hébergement, frictions

entre certains départements, associations ou

autorités judiciaires, interrogations sur les modalités

de prise en charge…

En parallèle, elle est en contact régulier avec tous

les ministères concernés par la prise en charge des

MNA, en premier lieu les ministères de l’Intérieur

(direction générale des étrangers en France et

direction générale des collectivités locales) et des

Solidarités et de la Santé (direction générale de la

cohésion sociale).

De façon plus générale, la MMNA contribue à :

• L’animation du réseau des acteurs en contact

avec ces mineurs en participant à des instances

locales, des groupes de travail (sur la santé, la

TEH, l’asile…) ;

• L’élaboration, dans un cadre interministériel, d’un

guide de bonnes pratiques relatives à l’évaluation

de la minorité et de l’isolement, destiné à améliorer

l’harmonisation des pratiques sur le territoire

national ;

• La formation des personnels évaluateurs en

partenariat avec l’École nationale de PJJ et le

Centre national de la fonction publique territoriale ;

• La réflexion sur la prise en charge des MNA dans

un cadre pénal. La DPJJ a élaboré en lien avec la

DACG et la DACS une note relative à la situation

des MNA faisant l’objet de poursuites pénales,

publiée le 5 septembre 2018 ;

• La réflexion, avec les professionnels de la PJJ sur

une prise en charge adaptée aux spécificités de

ces jeunes ;

• La mise en place d’un projet FAMI Action spécifique,

visant à apporter un accompagnement aux jeunes

en cas de retour volontaire dans leur pays d’origine

par l’insertion professionnelle.

• L’organisation du comité de suivi du dispositif

national de mise à l’abri, d’évaluation et

d’orientation des MNA, qui réunit les représentants

de l’ensemble des ministères concernés, des

départements et des associations œuvrant dans

ce domaine.

2. Le regard de l’ ENPJJDepuis plusieurs années, au fur et à mesure de la

thématisation progressive des stages de formation

des élèves directeurs, l’accompagnement des

mineurs non accompagnés en est devenu un sujet

récurrent.

Ces deux dernières années, plusieurs stagiaires

ont eu l’occasion de se rendre dans les enclaves

espagnoles au Maroc de Ceuta et Melila.

Accompagnés par des associations, ils ont pu

constater et donc témoigner de la dimension

traumatique évidente du parcours migratoire : des

centaines de jeunes attendant derrière les hauts

murs, ceux qui ont réussi à passer qui mendient

dans la ville et dorment dans des grottes sur la

plage, avec comme seuls soutiens les ONG, l’absolu

volonté de ces enfants de rejoindre l’Europe, car

pour eux l’avenir est là-bas,  et ce qui a été engagé

pour qu’ils quittent leur pays- (en espèce l’Afrique

subsaharienne - leur interdit un retour en arrière,

l’exaspération de la population locale, les effets de

cette immigration première sur les jeunes marocains

pauvres, qui se sentent attirés par ce flux vers

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

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l’Europe et se croient chassés, par ces migrants

africains, des dispositifs d’aide sociale locaux,

recherchant alors ceux de l’Europe,  l’ambiguïté

des autorités locales enfin, très dures pour ce qui

concerne l’accès au territoire et l’accompagnement

social des mineurs qui ont réussi à rentrer, mais

qui, pour des raisons de paix sociale, ouvrent

régulièrement l’accès au port pour laisser les

migrants s’engouffrer vers les bateaux et l’Europe.

Cette expérience directe est un premier regard,

éminemment utile pour mieux comprendre ce

que traversent géographiquement, mais surtout

mentalement, ces enfants.

 Pousser ensuite l’analyse de la question est un

exercice difficile, car en Europe continentale, elle

est considérée davantage sous l’angle politique

que sous celui de la protection de l’enfance,

celle-ci, censément prise en compte au niveau

européen, ne se traduisant cependant pas par une

homogénéisation des politiques sociales.

Les observations des stagiaires de l’École montrent,

de la part des Etats concernés  trois attitudes

possibles :

1. La disparition du statut de mineur non

accompagné dès le début de la prise en charge, au profit de la mise en œuvre d’un protocole d’accompagnement qui relève :

- soit de la protection de l’enfance - dès leur

entrée sous-main de justice, les mineurs concernés

deviennent «  à protéger  », avec désignation

d’une tutelle, et une volonté d’insertion sociale

et professionnelle- : la Suède en est le meilleur

exemple, mais aussi l’Italie pré-Salvini ou le Portugal,

- soit du statut même de réfugié. Le mineurs non

accompagnés bénéficient alors en fonction des

pays, soit d’une forte protection - c’est le cas en

Allemagne par exemple - soit d’un refus de prise

en charge -bien sûr annoncé sous une autre forme.

2- Le silence sur le sujet, de la part de certains

pays, qui « peinent » à répondre : les stagiaires ont

constaté cette situation à Chypre, elle parait se

présenter de la même manière pour la Turquie. Dans

ces pays, la présence de mineurs non accompagnés

n’est pas déniée, et des dispositifs existent, auxquels

il n’a pas été possible jusqu’à présent d’avoir accès.

3- Troisième situation constatée enfin, le déni, qui

touche certains pays, en particulier en Europe de l’Est

et dans une partie de la Méditerranée : le Kosovo, la

Croatie, la Roumanie, par exemple, déclarent ne pas

accueillir de mineurs non accompagnés, quand les

diverses expertises réalisées démontrent l’inverse.

En fonction des divers éléments rassemblés par les

stagiaires, les différents modèles d’accompagnement

connus peuvent être présentés selon quatre axes

différents :

1. En fonction du statut réel du mineur non

accompagné La catégorie « MNA » structure la

réflexion, mais bien que l’Union Européenne le

regrette, elle n’a pas de traduction concrète, en ce

sens qu’aucun traitement spécifiquement dédié aux

MNA n’en découle.

On vient de l’évoquer, certains pays voient les

MNA comme des enfants en danger et mettent en

œuvre à leur égard des protocoles classiques de

protection : c’est dire qu’il n’existe pas de dispositif

dédié, en particulier en terme d’accueil physique -,

seulement des procédures particulières, au niveau

linguistique ou dans la nomination de tutelles.

Pour d’autres, il s’agit seulement de migrants, la

minorité n’ayant d’autre effet qu’au mieux, une

attention plus bienveillante portée à leur situation.

Pour des raisons de protection, ils peuvent alors

bénéficier rapidement d’un statut de réfugiés (cas de

l’Angleterre)… Sinon, ce sont des règles d’expulsion

qui sont mises en œuvre avec un plus ou moins

grand respect des droits de l’enfant.

2. En fonction des stratégies migratoires :

Il faut distinguer entre :

- les pays qui sont les destinations finales des MNA et

qui se savent tels, comme par exemple l’Allemagne,

l’Angleterre ou la Suède : Ils ont plutôt tendance, une

fois le besoin de protection avéré, à jouer la carte de

l’inclusion dans la société. L’Allemagne et la Suède,

selon les observations des stagiaires, mettent ainsi

en œuvre un accompagnement éducatif renforcé

dans un objectif d’inclusion, avec une préparation

à l’intégration dans la société, en particulier par

l’apprentissage de la langue.

D’autres pays, qui sont perçus ou se perçoivent

comme des pays de transit, tels ceux du sud de

l’Europe en particulier : Il semble alors que chez

eux, la question du flux migratoire en lui-même - y

compris dans son tarissement - prenne le pas sur la

celle de l’intégration des individus. Les dimensions

protectionnelles ne sont pas nécessairement

absentes, mais aucun accompagnement dans le

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

projet du mineur, surtout à sa majorité, n’est travaillé.

La différence entre ces deux approches s’illustre,

par exemple, dans la différence de traitement de la

question de la fugue des mineurs : dans le premier

cas, les autorités locales s’en inquiètent, car un

enfant est seul, surement en danger, dans le pays.

Dans le second cas, il s’agit d’un enfant clandestin

qui a fui l’institution, peut être pour quitter le pays

ou peut être pour y vivre illégalement - c’est un

problème également de délinquance en perspective.

3. En fonction du niveau de pilotage de la politique

publique MNA, selon qu’elle est traitée au niveau

local ou au niveau national.

• Dans un certain nombre de pays, la commune est

le porteur essentiel des prises en charge, comme

elle l’est de l’ensemble des politiques sociales.

Dans d’autres nous avons à faire à une politique

pilotée mais surtout mise en œuvre nationalement

• Il est assez aisé d’émettre l’hypothèse que c’est

la vision sociale du statut des MNA qui va jouer

sur le niveau d’exécution des politiques publiques.

4. Enfin, les stagiaires de l’École ont repéré un

axe d’étude innovant par rapport aux politiques

françaises, celui de la place donnée aux

communautés dans l’accompagnement de ces

enfants MNA.

En effet, surtout en termes d’intégration, certains

pays - Angleterre, Portugal - font le choix de

s’appuyer-outre le tissu associatif - sur les

communautés locales dont sont originaires les MNA,

cet appui faisant partie intégrante du protocole

d’accompagnement éducatif.

À contrario, d’autre pays, en faisant le choix de

mettre en œuvre des processus de rétention, coupent

les enfants de tous contacts avec la population, y

compris les éléments de celle-ci avec lesquels ils

sont en communauté culturelle.

Cet aspect de la question est en train de prendre

forme dans les accords bilatéraux qui sont conclus

entre certains pays d’accueil et les pays d’origine

des courants de migration importants.

3. Le regard de l’ expert Co-fondateur de l’association « Trajectoires » - elle-

même spécialisée dans la compréhension des

populations migrantes, Olivier PEYROUX intervient

en tant qu’expert sur les questions de phénomènes

migratoires et de traite des êtres humains auprès de

l’ ONUDC, du Conseil de l’Europe et du Ministère

des affaires étrangères français, ainsi qu’ auprès

des tribunaux.

Il nous précise que les recherches qu’il conduit

actuellement ne portent pas sur l’ensemble de la

population, protéiforme, des mineurs en errance :

En fonction des problématiques particulières qu’il

étudie, il se penche actuellement, avec ses collègues

de l’association Trajectoires, sur la situation des

mineurs en errance d’Afrique du Nord -Algérie et

Maroc- et dans un autre cadre, sur celle des mineurs

albanais, vietnamiens et roumains.

C’est donc en référence à ces catégories spécifiques

qu’il répond à nos questions :

« Quelles sont les caractéristiques qui définissent les MNA que vous étudiez ?

Ces recherches sont menées afin de comprendre

pourquoi ces jeunes n’adhèrent pas à

l’accompagnement social qui leur est proposé par

l’ASE ou la PJJ. En nombre, ces jeunes qui mettent

en échec l’accompagnement, représentent un

pourcentage relativement faible des MNA accueillis

(moins de 10%). En revanche, ils sont surreprésentés

en détention et de manière plus large dans les suivis

confiés à la PJJ.

Pour les professionnels, la commission de délits

répétés est souvent interprétée comme des vols

de survie.

De mon point de vue, cette interprétation masque

d’autres réalités : Les mineurs marocains et algériens

en errance, sans véritables réseaux familiaux en

France, font régulièrement l’objet d’exploitation

localement par des compatriotes installés depuis

plusieurs années en France.

Ils sont recrutés de manière express à travers

la publication de photos d’autres jeunes sur les

réseaux sociaux tenant des liasses de billets et

habillés avec des vêtements de marques.

Cette exploitation où le recrutement et le transport

ne sont pas organisés par les auteurs est un fait

nouveau qui tend à perturber les enquêtes et

l’identification de ce phénomène.

On peut comparer ce nouveau fonctionnement à

une forme « d’uberisation » de la traite. L’utilisation

d’internet est omniprésente dans le recrutement,

le déplacement et le contrôle. Les jeunes passent

d’une petite organisation à l’autre en se déplaçant

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

Missions, actions, formations, expertises. Focus sur la problématique des mineurs non accompagnes (MNA)

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de villes en villes (France et étranger) en fonction

des opportunités vantées sur les réseaux sociaux.

Concernant l’emprise, elle se fonde sur des menaces

physiques, parfois des sévices sexuels et fonctionne

aussi à travers une dépendance à des stupéfiants

ou des médicaments détournés comme le Lyrica

ou le Rivotril.

Pour les jeunes vietnamiens et albanais,

l’asservissement est davantage lié à des

organisations puissantes dans le trafic de drogues

qui les utilisent comme « petites mains ».

Les garçons vietnamiens, sont «  employés  »

comme jardiniers dans la culture de Cannabis

indoor, principalement au Royaume uni mais aussi en

France. Quant aux MNA albanais, leur recrutement

correspond à la stratégie des groupes criminels

albanais de développer voire de réintroduire en

Europe la consommation d’héroïne. Une ville comme

Annecy illustre bien ce phénomène avec des MNA

et des jeunes majeurs qui sont utilisés comme

vendeurs.

À côté de ces organisations, d’autres risques

d’exploitation existent : exploitation sexuelle pour

les filles, l’utilisation de mineurs pour commettre

des cambriolages, etc.

Ces modèles de recrutement et de contrôle fondée

sur les réseaux sociaux sont les mêmes que ceux qui

touchent des jeunes français, utilisés dans la vente

et le transport de cannabis : Le phénomène des

jeunes filles françaises qui se retrouvent exploitées

sexuellement après avoir été encouragées par une

« copine » ou un « copain » à se prostituer s’appuient

lui aussi sur les possibilités qu’offrent les réseaux

sociaux en terme de recrutement et de contrôle.

Quels sont les circuits qui les conduisent à franchir les frontières ?

S’agissant des mineurs d’Afrique du Nord, le passage

des frontières n’engendre pas nécessairement un

endettement. Certains se cachent dans des camions,

des bateaux de marchandises ou des ferrys.

Pour les mineurs vietnamiens, ils arrivent en avion

jusqu’à Moscou, puis entrent par les pays de l’Est

(République tchèque, Pologne).

De nouvelles routes sont aussi apparues par

l’Espagne. Ces mineurs contractent pour cette route

des dettes aux alentours de 30 000 / 40 000 euros.

Parmi les mineurs albanais, des dettes de voyage

sont contractées malgré la suppression des visas

dans l’espace Schengen pour les séjours inférieurs

à 3 mois.

Enfin, s’agissant des mineurs d’Afrique de l’Ouest,

la majorité passe désormais par le Mali, l’Algérie,

le Maroc et l’Espagne. Sur cette route les risques

sont nombreux. L’absence d’argent pour payer les

nombreuses milices et passeurs est synonyme

d’exploitation, de torture ou d’endettement sur une

longue période auprès de leur famille.

Le parcours migratoire des MNA est-il construit ou aléatoire ?

Une étude de l’UNICEF en 2017 a montré que pour

les MNA arrivés en Grèce et en Italie, 70 % d’entre

eux avaient pris seuls la décision de partir.

Les réseaux sociaux ont modifié l’influence de la

famille ou des communautés sur les migrations.

La question du mandatement familial a diminué.

Même si les jeunes expliquent qu’ils souhaitent partir

pour envoyer de l’argent à leur famille, leur désir de

participer à la mondialisation, relayé par les images

disponibles partout dans le monde, demeure en

moteur puissant.

Au fil du parcours, l’échange d’informations entre

jeunes sur les difficultés, les avantages d’emprunter

telle ou telle route, va remodeler les trajectoires et

le pays de destination.

Quelles sont les principales difficultés qu’ils rencontrent durant leur périple ?

Là encore, en fonction des nationalités et des routes

les difficultés sont très variables.

Lors d’une étude menée pour l’UNICEF à Calais

avec Trajectoires, le premier risque cité par les

jeunes afghans était la peur du viol par leur passeur.

Chez les Kurdes irakiens ayant emprunté une

route similaire, ce risque n’a jamais été évoqué.

Un des indicateurs généraux concerne la durée du

parcours : Plus le voyage pour rejoindre l’Europe est

long, plus les risques de violence et d’exploitation

durant le parcours sont importants.

Y a-t-il des solutions pour faciliter leur protection ?

D’un point de vue global, l’augmentation du nombre

des MNA dans les migrations est dû à la difficulté

pour les ressortissants majeurs de certains pays

d’obtenir des visas pour l’Europe. En l’absence de

possibilité de migrer légalement, les jeunes, comme

leur famille, ont compris qu’il est plus simple d’arriver

mineur pour espérer obtenir une régularisation.

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Afin de sécuriser les parcours des ONG, surtout des

Balkans (Grèce, Macédoine du Nord, Serbie) ont

développé des applications pour smartphone afin

que les MNA puissent s’adresser aux bons services

et qu’ils soient moins dépendants de leurs passeurs.

En Europe de l’Ouest, la prise en charge

systématique de tous mineurs en errance, comme

c’est le cas en Allemagne ou en Suède, est un

préalable qui permet d’évaluer au mieux leur

situation.

La tendance, qui touche de plus en plus de

pays européens, est de considérer ces mineurs

uniquement comme une charge financière dont il

faut limiter le coût.

Il n’y a pas d’investissement à moyen terme pour

leur permettre de s’insérer pleinement dans la

société.

Si cette tendance est à nuancer d’une région à l’autre,

d’un point de vue économique elle est paradoxale.

En effet, la majorité des pays d’Europe de l’Ouest

comme de l’Est, en raison d’une démographie

vieillissante, connait des pénuries de main d’œuvre

dans de nombreux secteurs d’activité. De ce point de

vue, l’arrivée de MNA devrait représenter un atout.

Quels sont les points communs et les différences s’agissant de leur prise en charge en Europe ?

Dans la majorité des pays européens, les MNA

doivent déposer une demande d’asile.

La France, l’Italie, la Belgique ou l’Espagne

représentent, sur cet aspect, une exception.

Déconnecter l’asile de la protection de l’enfance

favorise la projection des mineurs dans leur nouveau

pays de destination.

À l’inverse, des pays comme la Suède, dont la prise

en charge jusqu’à 18 ans est de qualité, n’offrent que

très peu de possibilité de régularisation après 18 ans

pour les mineurs déboutés du statut de demandeur

d’asile.

Les autres différences portent sur l’effort financier

consacré et l’autorité de tutelle : Au Royaume-Uni,

par exemple, c’est le Home office (ministère de

l’intérieur) qui supporte financièrement la prise en

charge des MNA. En France, en Italie ou en Espagne

ce sont les collectivités décentralisées, dont les

budgets sont davantage contraints.

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Les Cahiers de JCIJustice Coopération Internationale

édition 2019

Lors de vos rencontres avec certains d’entre eux avez-vous pu identifier leurs motivations ?

Pour la grande majorité, la migration mélange,

comme cela est le cas depuis le XIXème siècle dans

les différentes vagues migratoires européennes

puis extra-européennes, des motivations politiques,

économiques, et une volonté d’émancipation. Les

motivations sont donc plus ou moins toujours les

mêmes que pour les migrations antérieures.

La rupture avec le passé est liée à l’impact des

réseaux sociaux sur la construction identitaire de

certains MNA.

Pour eux, les modes de reconnaissances ne passent

plus nécessairement par l’inscription dans une

diaspora locale, mais par une reconnaissance par

d’autres jeunes présents sur les réseaux sociaux.

Les conséquences en sont une déterritorialisation

identitaire et une absence d’inscription dans un

territoire donné.

Ainsi, ces jeunes ne cherchent pas nécessairement

à intégrer les codes des diasporas installées dans

un quartier donné, ni même les codes de la société

d’accueil. Leur besoin de reconnaissance passe

uniquement par l’échange avec leurs pairs sur les

réseaux sociaux.

Les conséquences de ce fonctionnement en sont

l’absence d’insertion locale à moyen terme, et

donc une forte mobilité européenne. Les modes

de régulations de la diaspora ou du quartier n’ont

plus de véritable impact sur ces jeunes.

Cette tendance est actuellement présente parmi les

jeunes marocains, algériens ou roumains en errance.

Elle commence à s’étendre d’autre nationalités

(Afghans, Erythréens).

Ce phénomène oblige alors à revoir le suivi social de

ces jeunes en créant des outils de suivi à l’échelle

nationale et européenne. Elle nécessite la création

de nouvelles coopérations entre Etats au niveau

de la protection de l’enfance, du suivi sanitaire et

social, de la justice et de la police.

Quels enjeux se posent avec le passage à la majorité ?

Les possibilités d’insertion à la majorité dans le

pays d’accueil conditionnent l’adhésion des MNA

à un projet éducatif.

L’enjeu est de taille, car en l’absence de perspectives

ces jeunes demeurent des proies faciles pour

diverses petites organisations criminelles qui utilisent

l’absence de perspectives pour les enrôler dans

des activités dangereuses (deal, vol à la personne

cambriolage, prostitution, etc.).

Le travail coordonné de la DPJJ, de l’ENPJJ, de JCI

et de l’ensemble des acteurs gravitant autour de

la prise en charge ou du contact avec les mineurs

non accompagnés en France et dans les autres

pays, doit permettre, à travers ces actions de

coopération bilatérales ou multilatérales, d’affiner la

compréhension de tous ces enjeux et de travailler à

l’apport de réponses concrètes, d’outils pratiques et

d’approches pragmatiques. Une meilleure protection

de ces publics doit passer par un travail soutenu et

suivi de ces questions complexes par des regards

croisés qui sont la clé de voûte d’un avenir plus

constructif. »

Panorama : la coopération internationale a la protection judiciaire de la jeunesse :

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