Léonard de Vinci

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Leonardo's Workshop, the Invention, Art and Science of Leonardo

Transcript of Léonard de Vinci

Page 1: Léonard de Vinci

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Octobre 1974(XXVII« Année)

2,40 francs français

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Page 2: Léonard de Vinci

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Photo © Giraudon, Paris

Trésors

de l'art

mondial

® ITALIE

Toute la grâce florentine

La Vierge aux rochers (1483), chef-d'cuvre du Quattrocento italien,aujourd'hui au Musée du Louvre, Paris (à gauche), montre à quel pointLéonard de Vinci, lorsqu'il le peignit à l'âge de trente et un ans, avaitdéjà maitrisé toutes les ressources de l'art de la Renaissance. Le centredu tableau est animé par un extraordinaire jeu de mains dont l'art offrepeu d'exemples (ci-dessus, détail). L'exquise grâce florentine des per¬sonnages (voir aussi page 26) s'accorde ici parfaitement avec le natu¬ralisme du décor et la précision botanique de la végétation. Quelquevingt-trois ans plus tard (vers 1506), Léonard peignit une réplique dece tableau, pour des raisons qui restent énlgmatiques, et y apportanombre de modifications de détails. Ainsi, dans cette version (aujour¬d'hui à la National Gallery, Londres) disparaît par exemple le gestede l'ange au doigt pointé vers le petit Jean-Baptiste, modification surlaquelle Léonard n'a laissé aucune explication.

Page 3: Léonard de Vinci

Le CourrierOCTOBRE 1974 27e ANNÉE

PUBLIÉ EN 15 LANGUES

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Mensuel publié par l'UNESCOOrganisation des Nations Uniespour l'Éducation,la Science et la Culture

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Rédacteurs :

Édition française : Philippe OuannèsEdition anglaise : Roy MalkinÉdition espagnole : Jorge Enrique Adoum

Illustration : Anne-Marie Maillard

Documentation : Christiane Boucher

Maquettes : Rolf Ibach. Robert Jacquemin

Toute la correspondance concernant la Rédaction doit itraadressée au Rédacteur en Chet

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DEUX MANUSCRITS RETROUVÉS

DE LÉONARD DE VINCI

5 LES FABULEUSES TRIBULATIONSDES MANUSCRITS DE LÉONARD DE VINCI

par Paolo Galluzzi

8 LES CODEX DE MADRID

par Anna Maria Brizio

11 ÉLÉMENTS DE MACHINES

15 LE THÉÂTRE EN ROND

16 LÉONARD MUSICIEN

par Emanuel Winternitz

19 SUPPLÉMENT DE 16 PAGES

LÉONARD DE VINCIRACONTÉ AUX ENFANTS

par Bruno Nardini

37 L'HISTOIRE DU CHEVAL GÉANT

40 DANS UN MONDE DÉCHIRÉLA QUÊTE DE L'HARMONIE

par Eugenio Garin

45 LA GLOIRE DE PEINDRE

par Carlo Pedretti

2 TRÉSORS DE L'ART MONDIALToute la grâce florentine (Italie)

NOTRE COUVERTURE

Un des plus étonnants dessins parmiles -centaines d'esquisses que contien¬nent les deux manuscrits de Léonard.

Longtemps perdus, récemment redécou¬verts à la Bibliothèque Nationale deMadrid, Ils sont édités pour la premièrefois en fac-similé. Ce dessin représentela tête et le cou du moule extérieur

d'une énorme statue équestre en bronzedont Léonard entreprit l'exécution (voirpage 37 l'histoire complète). Pareil àune lumière éclairant les ténèbres, l'es¬

prit pénétrant de Léonard passait inces¬samment d'un sujet à l'autre. Bourrésde notes brèves et de dessins d'une

incroyable précision, les manuscrits deMadrid nous permettent d'avoir unevision bien plus profonde et complèteque par le passé des de Léo¬nard dans les domaines de la mécani¬

que, de l'optique, de la fonte, et de biend'autres sujets encore.

Document © 1974, McGraw-Hill Book Co.(U K.) Limited., Maidenhead, Angleterre, et Tau-rus Ediciones, SA., Madrid, Espagne.

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Page 4: Léonard de Vinci

Spécimen de la signature de Léonardsurimposée à son autoportrait,Collection Windsor, Angleterre.Il écrivait, dessinait et peignait dela main gauche et, dans ses carnets,la plupart de ses notes vont de droiteà gauche, selon cette curieuse écriture- en miroir » ; c'est le cas de sa

signature, lo Lionardo », qui courtici sur deux pages. Au-dessus d'elle,la même, mais tracée de façonconventionnelle, de gauche à droite.

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Page 5: Léonard de Vinci

Ce numéro est consacré à l'ouvre deLéonard de Vinci telle qu'elle nous estrévélée par deux épais carnets de noteslongtemps perdus et redécouverts àMadrid en 1965. Connus aujourd'huisous le nom de Codex Madrid I et II,ils constituent l'une des grandesdécouvertes de manuscrits de ce siècle.Une édition en fac-similé sera publiéecet automne par les EditionsTaurus d'Espagne et McGraw-Hill BookCompany des Etats-Unis (1).La conception générale de l'ouvrage etsa préparation ont été assurées par uneminent spécialiste des étudesvinciennes, Ladislao Reti, qui termina latranscription, les traductions (en italienmoderne et en anglais) et lescommentaires juste avant sa mort, enoctobre de l'année dernière. Descoéditions seront publiées en italien,allemand, japonais et néerlandais.Dans la préface aux Codex de Madrid,Luis Sanchez Belda, directeur généraldes Archives et Bibliothèques Nationalesd'Espagne, à Madrid, souligne « l'espritde vaste collaboration internationale quia présidé à la publication des manuscrits :elle est financée et dirigée par unesociété américaine, les reproductions etillustrations ont été faites en Suisse, lacomposition en Angleterre, la révision destextes en Italie et en Amérique,

l'impression en Espagne et la reliure enRépublique fédérale d'Allemagne ».En même temps, un ouvrage de 320 pagesabondamment illustrées, égalementpréparé par Ladislao Reti et intituléLéonard de Vinci (2) sera publié parMcGraw-Hill et des coéditeurs en France,

Espagne, Italie, République fédéraled'Allemagne, Pays-Bas et Japon.En page 16 de ce numéro, nous publionsune partie d'un chapitre de cet ouvrage.Un autre manuscrit unique de Léonard,récemment restauré, le Codex Atlantlcus,est aussi publié en 12 volumes fac-similé,de mêmes dimensions que l'original,par les éditeurs florentins Giunti-Barberaet la Johnson Reprint Corporation (3).La Rédaction du « Courrier de l'Unesco »

tient à remercier McGraw-Hill,

Taurus Ediciones,Giunti-Barbera et Robert Laffont dont

l'aide généreuse a rendu possible cenuméro spécial.

LES FABULEUSES

TRIBULATIONS

DES MANUSCRITS

DE LEONARD

^- TENDANT près de trois siècles,^ I les innombrables témoignages

f que Léonard de Vinci laissa de' ses travaux scientifiques et tech¬

nologiques nous demeurèrent celés.Ils étaient enfouis dans un impéné¬trable amas de paperasses et de no¬tes de lecture d'assemblage chaoti¬que et d'interprétation ardue, si bienque jusqu'à la fin du 18e siècle, lagloire de l'artiste et du peintre afortement estompé la considérationqu'eussent mérité le philosophe et lesavant. Car le sort pitoyable que con¬nut, après la mort de Léonard, en1519, l'ensemble de ses manuscritsa Interdit à la culture européenne debénéficier des idées et des solutions

audacieuses exposées par Léonard.Léonard, nous le savons, avait par

testament légué tous ses manuscritsà Francesco Melzi, son fidèle disciple,

v qui avait partagé ses perpétuelles pé¬régrinations, jusqu'à son lit de mort.Par quelles traverses les au¬tographes de Léonard, jadis réunies,en vinrent-elles à connaître la disper¬sion qui est aujourd'hui la leur?

Francesco Melzi avait abrité son

précieux héritage dans sa maison deVaprio d'Adda près de Milan. Quandil mourut en 1570, son fils et héritier,

fl%*M***(1) 5 vol. en coffret, 1974, McGraw-Hill Book

Co. (U K.) Limited, Maidenhead, Angleterre etTaurus Ediciones. S.A., Madrid, Espagne, 500 dol¬lars. Edition de luxe reliée en cuir rouge, 750dollars.

(2) Léonard de Vinci, par Ladislao Reti, 1974,Robert Laffont, Paris, 250 F.

(3) Le Codex Atlanticus. 12 vol., 1974, Giunti-Barbera, Florence et Johnson Reprint Corporation,New York, éditeurs. 8 700 dollars.

PAOLO GALLUZZI est directeur du Musée etde la Bibliothèque Léonard, à Vinci (Italie). Ilprépare pour le Conseil national de la recher¬che, en Italie, un lexique de la terminologiephilosophique et scientifique de Galilée. Ilest l'auteur de nombreuses études sur l'his¬toire de la pensée scientifique des Í6» et17' siècles en Italie.

par Paolo Galluzzi

Orazio Melzi, relégua au grenier cesreliques léonardiennes, pour lui dé¬nuées d'intérêt. Si bien que Lelio Ga-vardi, qui, précepteur dans la familleMelzi, était aussi le collaborateur etl'ami d'Aide Manuce, le célèbre im¬

primeur vénitien, n'eut aucun mal às'approprier 13 cahiers de Léonard. Illes emporta à Florence pour les offrirà François de Médicis, dans l'espoird'en tirer un substantiel bénéfice. Maisle duc avait un conseiller qui choseincroyable lui déclara : « Rien dececi ne saurait intéresser Votre Sei-

gneurerle. » L'affaire ne fut pasconclue. Et Gavardi, son rêve de for¬tune évanoui, pria l'un de ses amis,Ambrogio Mazzenta, qui partait pourMilan, de restituer les cahiers à OrazioMelzi. Or, celui-ci n'en voulut pas, etMazzenta rapporte dans ses mémoiresqu'il « s'étonna que je me fusse donnétel tracas, et me fit don des cahiers. »

C'est alors qu'entra en scène Pom¬peo Léonl, d'Arezzo, qui allait jouerun rôle décisif. Sculpteur à la cour dePhilippe II, roi d'Espagne, PompéoLéonl s'intéressa aux manuscrits de

Léonard que conservaient les héritiersde Francesco Melzi. Promettant pro¬

tection et faveurs, ¡I parvint à s'en^faire céder une grande partie. Il réussit r

Page 6: Léonard de Vinci

k également à obtenir dix des trente ca-hiers dont Orazio Melzi avait fait ca¬

deau à Mazzenta. Entre 1582 et 1590

huit ans l'héritage de Léonardpassa ainsi presque entièrement auxmains d'un nouveau possesseur.

En dépit de son incompétence, Léonlvoulut présenter ces documents sousune forme plus attrayante, et déman¬tela plusieurs cahiers pour les regrou¬per en forme de grands recueils. Cettesingulière « restauration » modifia ra¬dicalement l'ordonnancement origineldes papiers de Léonard, effaçant ducoup de précieuses indications surl'ordre de composition, la chronologie,le nombre primitif des cahiers, enfin,préluda à de nouvelles dispersions etde nouvelles disparitions.

S'il déclara à Orazio Melzi qu'il fe¬rait présent des manuscrits de Léo¬nard au roi d'Espagne, rien ne donneà croire que Pompeo Léoni en eûtvraiment l'intention. Il semble qu'il n'enoffrit quelques-uns que pour garder

par devers lui tous les autres. Car unbon nombre tomba aux mains de son

gendre et héritier Polldoro Caichi.Celui-ci entreprit ouvertement de lesmonnayer. Vers 1622, il vendit aucomte Galeazzo Arconatl, de Milan, legrand -recueil des « Arts Secrets »,dans la compilation de Léoni, recueilaujourd'hui connu comme Codex Atlan-ticus. En 1636, Galeazzo Arconati enfit don à la Bibliothèque Ambrosiennede Milan, avec d'autres manuscrits deLéonard.

Une autre partie des documentsde Léonard que détenait Léoni échouaen Angleterre. Thomas Howard,comte d'Arundel, réussit à acquérirle deuxième grand recueil compilé parLéoni, lequel comprenait toutes lesplanches artistiques proprement dites,recueil dit aujourd'hui CollectionWindsor, du fait qu'il fut conservéà la Royal Windsor Library. ThomasHoward acheta aussi un autre manus¬

crit, désigné aujourd'hui comme Codex

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Ci-dessus, l'un des nombreux dessins

du Codex Madrid I, où Léonardanalyse les éléments de base d'unemachine. Il s'agit là d'une machinedestinée à la transmission de la force

et du mouvement grâce à des vissans fin et des roues dentées ; ce sujetfut constamment au centre des

préoccupations de Léonard.

Ci-dessus, lettres majuscules de l'alphabetde Léonard, écrites de sa main, àl'envers, comme « dans un miroir ».E|les proviennent, agrandies, dedifférentes pages du Codex Madrid I.L'écriture de Léonard n'est pas toujoursaussi élégante. Il griffonnait souventses pensées au hasard des margesde ses carnets.

Dessin du Codex Atlanticus représentantà droite une grande excavatrice muepar un treuil et Imaginée par Léonardpour soulever et transporter les déblaisprovenant du creusement d'un canal.Du temps de Léonard, les méandreset les brusques changements de niveaude l'Arno, interdisaient la navigationsur ce fleuve entre Florence et la mer.

Léonard tenta sans répit de transformerle cours de ce fleuve en canal, de façonà en faire une grande voie fluvialereliant Florence à la mer.

Documents O 1974, Giunti-Barbera, l-lorence, etJohnson Reprint Corporation. New York

Page 7: Léonard de Vinci

Arundel 263, que l'un de ses héritiersdonna plus tard à la Royal Society.Les acquisitions d'Arundel se situentdans les années 1630-1640.

Le 18« siècle connaît d'autres

« mouvements » de manuscrits. Vers

1715, lord Leicester achète et emporteen Angleterre le codex qui porteaujourd'hui son nom. Vers 1750, leCodex Trivulcien, particularisé par leslongues enumerations de vocablesnotés par Léonard, retourne à laBibliothèque Ambroslenne à laquelle ilavait été offert par le comte Arconati,qui l'en avait ensuite retiré. A la findu 18e siècle, des recueils qui parais¬saient avoir trouvé un asile définitif

sont remis en circulation. Le 15 mai

1796, Napoléon Bonaparte entre victo¬rieusement à Milan ; exécutant les

ordres du Directoire, il organise unerafle systématique d'iuvres artisti¬ques et culturelles. Le Codex Atlan-ticus et les manuscrits de l'Ambro-

sienne figurent parmi les ouvragesmajeurs qui sont expédiés sur Paris,où le Codex Atlanticus sera déposé àla Bibliothèque Nationale, les autresmanuscrits étant confiés à l'Institut

de France. Quand prendra fin l'aven¬ture napoléonienne, les gouvernementsintéressés obtiendront restitution des

trésors nationaux spoliés. Le CodexAtlanticus fera alors retour à Milan,mais l'Institut de France conserverales autres manuscrits...

Avec le 198 siècle, les bibliothèquesanglaises s'enrichissent de nouveauxdocuments. En 1876, John Forsterdonne au South Kensington Museum(aujourd'hui Victoria et Albert Museum)trois cahiers de Léonard connus sous

l'appellation de Cahiers Forster. Noblegénérosité, mais voici un déplaisantintermède.

Guglielmo Libri, bibliophile et érudit,l'un des pionniers de l'historiographiescientifique, passionné de Léonard, va

SUITE PAGE 50

Documents O 1974, Giunti-Barbera, Florence,Johnson Reprint Corporation. New York

Les deux dessins de cette pageproviennent' du Codex Atlanticus,manuscrit récemment et remarquablementrestauré par les moines de Grottaferrata,couvent près de Rome. Ce Codex estmaintenant publié en douze volumeset en fac-similé. Le dessin ci-dessus

montre une machine à faire des cordes

avec ses quinze fuseaux. En bas,machine pour creuser un canal. Ellesoulève la terre et la dépose surles rives du canal.

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Page 8: Léonard de Vinci

LES CODEX DE

Dessiner était, pour Léonard, une sorte l'impossibilité du mouvement perpétuel,de langage imagé plus immédiatement Fustigeant ceux qui poursuivaientcompréhensible que les mots. Ci-dessous, ce mythe, Léonard les assimilaitdessin du Codex Madrid I exécuté aux alchimistes qui voulaient transmuerpar Léonard pour démontrer de vils métaux en or.

Document © 1974, McGraw-Hill Book Co.(U.K ) Limited, Maidenhead, Angleterre, et Tau-rus Ediciones, S.A., Madrid, Espagne

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Page 9: Léonard de Vinci

MADRIDpar Anna Maria Brizio

LA récente découverte de deux

grands manuscrits de Léonardde Vinci, dessins et textes, quel'on avait crus longtemps perdus

à jamais, a ouvert un chapitre nouveau,et particulièrement étonnant, de la pen¬sée et de l'ruvre de Léonard, génieuniversel s'il en fut.

On est en présence d'un ensembled'une ampleur sans précédent, danslequel Léonard a consigné des noteset des pensées, comme les résultatsde ses recherches et de ses expé¬riences dans le domaine artistique,et aussi dans le domaine de la

mécanique, de la géométrie, de l'hy¬drologie, de l'anatomie, de la météo¬rologie, du vol des oiseaux. C'estune vision dynamique de l'univers,où les forces et les éléments naturels

interfèrent dans un mouvement per¬pétuel et se transforment sans cesse.

Les deux Codex de Madrid sont

venus soudain ajouter non moins de700 pages aux manuscrits de Léonardqui étaient parvenus jusqu'à nous.Un héritage de quelque 6 000 pages.Et ¡I s'agit de textes d'une extrêmeimportance, d'apports riches et nou¬veaux, très précieux pour éclairer desquestions discutées depuis long¬temps, ou demeurées sans réponseen raison du caractère fragmentaire

ANNA MARIA BRIZIO est Président duCentre des Recueils des de Léonard

de Vinci, à Vinci, en Italie (Ente RaccoltaVinciana), membre du comité des Etudesvinciennes et membre du Conseil supérieurdes Beaux-Arts à la Nazionale del Lincei.

Professeur d'histoire de l'art à l'Université

de Milan, elle a consacré un grand nombred'études à Léonard de Vinci.

Treuil destiné à soulever de lourds

chargements (à droite). Le dessin estsi précis qu'il parait sortir de la plumed'un dessinateur industriel moderne.

A gauche, esquisse de la machineassemblée et, à droite, vue en éclatéde ses roues, disques et engrenages.Léonard a parfaitement résolu le problèmede la transformation du mouvement

rotatif en mouvement alternatif.

Document © 1974. Giunti-Barbera, Florence etJohnson Reprint Corporation, New York

A travers les

700 pages redécouvertesles milles visages du génie

ou incomplet des éléments dont ondisposait.

Dans leur ensemble, les deuxCodex couvrent une période d'unequinzaine d'années, de 1491 à 1505,alors que l'activité de Léonard étaitla plus intense.

Ils offrent l'un et l'autre des carac¬

téristiques bien différentes. Madrid Iest un Codex exceptionnellementhomogène par son sujet, car il porteessentiellement sur la mécanique.Madrid II, au contraire, représente unéventail de sujets très divers, maisqui pour la plupart se rattachent auxproblèmes artistiques.

Des notations très subtiles sur les

effets chromatiques, liés à l'espaceet au plein air relèvent de la pein¬ture (voir page 45) et, en fait, cespassages en avaient été extraitspour être insérés dans un Traité de lapeinture (compilé après la mort deLéonard) dont lui-même avait conçu leprojet vers 1490. Tout un cahier estconsacré à la fonte du « grand chevalde Milan », le monument équestreconçu pour Francesco Sforza et qu'iln'a jamais réalisé (voir page 37). Denombreux dessins d'architecture trai¬

tent surtout de fortifications.

Toutefois, quand il s'agit de Léonard,il serait vain de chercher à établir des

catégories dans ses dessins, d'y voir¡ci d'art et là travail technique.Cette distinction n'avait aucun sens

pour Léonard et elle était parfaitementétrangère à son mode de pensée. Chezlui, l'activité artistique et l'activitéscientifique naissent d'une inspirationunique, jaillissent sans cesse l'une del'autre et, par réciprocité, les acquisde l'une interviennent dans les déve¬

loppements de l'autre.Chez lui, le dessin est toujours lan¬

gage, doté d'une force créatrice et

d'une clairvoyance hors pair. Quel quesoit le domaine où il s'exerce, il esttout de beauté et de significationprofonde.

Il peut être intéressant de noter queles dessins « aériens » de montagnes,en vue cavalière, à la sanguine, dontla manière lumineuse de représenterle paysage est si neuve et si moderne,ont été exécutés au cours de relevés

cartographiques dans la vallée del'Arno ; et que les dessins de machinesde Madrid I sont d'une telle clarté et

vigueur qu'ils communiquent, en mêmetemps que l'image la plus précise del'objet, le sens dynamique de sa fonc¬tion. Il en va de même pour ses dessinsd'anatomie.

De tous les recueils de Léonard par¬venus jusqu'à nous, Madrid I est doncl'un des plus systématiques si cemot peut être employé à propos deLéonard parce qu'il est consacrépresque entièrement à la mécanique.Matériellement aussi, il est l'un desplus ordonnés, et nombre de ses pagessont présentées comme une copiedéfinitive : sur plusieurs feuillets,les dessins sont si fermement et si

soigneusement exécutés, ombrés àgrands traits, le texte qui les accom¬pagne d'une mise en page si parfaite,que l'on en vient à se demander siLéonard ne les avait pas ainsi pré¬parés en vue de l'impression.

On trouve deux dates dans ce

Codex : 1493 et 1497. J'incline pour mapart à choisir la première date : 1493,plutôt que la seconde, en raison desnombreuses références que l'on trouvedans d'autres manuscrits de Léonard

qui vont de 1490 à 1492.Ces années appartiennent à une

décennie décisive : celle où Léonard

travaille dans le duché de Milan. Ik

se voue alors avec une opiniâtreté r

Page 10: Léonard de Vinci

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Certains des dessins les plus accomplisdu Codex Madrid I ont trait à la

transmission du mouvement et de la

force au moyen de roues dentées,de vis sans fin et de leviers. Le

mécanisme ci-dessus est un exempledes efforts incessants déployés parLéonard pour améliorer ses appareils.Son diagramme (en haut à droite)illustre sa conception des mouvementsnaturel et accidentel. Pour démontrer

cette théorie, il prit comme exemplel'effet de pendule que produit un poidssuspendu à une corde en tombantet en se balançant librement.

et une ouverture d'esprit toujoursgrandissantes à la recherche et à l'ex¬périmentation. Il parvient à des résul¬tats de plus en plus importants dansl'étude de la mécanique, théorique etpratique à la fois, aussi bien au niveaude la définition des lois et principes des« puissances » (Léonard utilise le mot« potenzla ») qui régissent le monde(poids, force, mouvement, choc), quedans le domaine d'application de ceslois à la construction de dispositifsmécaniques.

« Le livre de la science des machi¬

nes vient avant le livre de leurs

applications », et : « La mécanique estle paradis des sciences mathémati¬ques, car, par elle, on en arrive aufruit mathématique », ce sont là maxi¬mes célèbres de Léonard, qui expri¬ment clairement la relation entre deux

phases, l'analyse et la création.Pour la beauté des dessins, devenue

aussitôt célèbre, la partie la plus spec¬taculaire du Codex est celle qui estconsacrée à l'étude et à la représen¬tation des machines, plus exactementdes différents éléments qui constituentle mécanisme complexe d'une machi¬ne : une sorte d'anatomie mécanique.

Ladislao Reti, le premier des spé¬cialistes de Léonard à compulser lesmanuscrits de Madrid, et à les étudieravec autant de passion que d'intelli¬gence, a justement mis en relief lasomme d'intuitions et de solutions

mécaniques géniales contenues dansMadrid I. Elles anticipent souvent, etde manière stupéfiante, sur des dispo¬sitifs qui ne trouveront leur formula¬tion que des années, sinon des siècles,plus tard.

Ladislao Reti, dans la multitude d'étu

des traitées dans Madrid I, soulignedeux thèmes : le mouvement des

projectiles et le mouvement du pen¬dule. Ils s'imposent en effet, tant parleur nouveauté que par l'importance deleurs développements.

A propos du mouvement, Léonarddistingue le « mouvement naturel » etle « mouvement accidentel » et analyseleurs caractéristiques et lois respecti¬ves. Le mouvement naturel », dans

l'acception de la terminologie léonar-dienne, est celui qui découle de l'actionde la gravité. « Tout poids souhaitetomber vers le centre du monde parle plus court chemin », écrit-il dansson langage typique, qui tend à per¬sonnaliser les choses et opérationsde la Nature.

Le « mouvement accidentel » est

causé par une force (potenzla) quicombat « le souhait qu'a l'objet dereposer au centre du monde, etc'est un mouvement violent ». Au

folio 147 (recto) de Madrid I, les lois etles conduites du « mouvement naturel »

et du « mouvement accidentel » sont v

analysées. « Prenons comme exem- r

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A droite, volants munis d'une bielle

pour le réglage de la vitessed'une machine. Nombre d'appareilsinventés par Léonard contiennent deserreurs ; c'est ce qu'affirmeLord Ritchie-Calder dans son ouvrage« Leonardo and the Age of the Eye »(Léonard ou l'âge de l' Ritchie-Calderrappelle cet article de journal où ilétait dit qu'un tank dessiné par Léonardn'aurait jamais pu fonctionner, l'artisteayant disposé le vilebrequin de tellesorte que les roues avant auraient tournédans un sens et les roues arrière en

sens inverse. « Ce n'est pas une faute,écrit Ritchie-Calder, mais une erreurvolontaire, typique de l'habitude .narquoise de Léonard qui consistaità créer des problèmes à autrui.S'agit-il d'une espièglerie ou bienest-ce la façon de Léonard de« breveter » ses idées de sorte quelui seul pouvait les réaliser? »Professeur à l'école polytechniquede Milan, Luigl Boldetti poursuitdes recherches sur l'oeuvre techniquede Léonard. Travaillant sur les

diagrammes de Léonard il a découvertqu'il y avait presque toujours

quelque chose » qui empêchaitla machine de tourner : roue dentée

de trop, vilebrequin mal placé, cliquetInutile, etc. Le « piège » découvert,la machine fonctionnait.

Documents © 1974. McGraw-Hill Book Co. (U K.) Limited, Maidenhead, Angleterre,et Taurus Ediciones. S A , Madrid, Espagne

Page 11: Léonard de Vinci

Tableau tiré de Léonard de. Vine 1974. McGraw-Hill Book Co. (U K) Limited, Maidenhead. Angleterre, et Robert Laffont, Paris

1. Vis

2. Clavettes

3. Rivets

4. Roulements et paliers

5. Tourillons, axes, arbres

6. Accouplements

7. Cordes, courroies, chaînes

8. Roues de friction

9. Boues dentées et à chaînes

10. Roues volantes

11. Leviers, manivelles, bielles

12. Roues à rochets

et encllquetages

13. Pistons et presse-étoupes

14. Freins et disques à freins

15. Embrayage et débrayage

16. Tuyaux

17. Cylindres à vapeur, pistons

18. Robinets et soupapes

19. Ressorts

20. Traverses en croix,glissières

21. Cames

22. Poulies

Éléments

de machines

Dans les Codex de Madrid, Léonardpour la première fois dans l'histoire de latechnologie fait une analysesystématique du fonctionnement et deséléments des machines. Dans un chapitrede l'ouvrage à paraitre prochainement,Léonard de Vinci, intitulé « Eléments demachines », Ladislao Reti affirme - quele Codex Madrid I prouve à l'évidenceque Léonard a essayé de composer unvéritable traité de la composition et du

fonctionnement des machines en général ».La compréhension dont Léonard fait preuvedes éléments mécaniques en ce qu'ilssont distincts de l'ensemble de la machine

lui accorde une place à part parmi lesautres techniciens de son temps et biend'autres qui lui sont postérieurs.On pensait que Franz Reuleaux, dans sonouvrage classique « La Cinématique desMachines », fonda en 1870 la théoriemoderne des mécanismes. Le Codex

Madrid I établit maintenant, ainsi qu'unenote découverte dans le Codex Atlanticus

sur tes cylindres de pompes et les pistons,que les vingt-deux éléments dont Reuleauxdresse la liste, avaient été analysés etétudiés par Léonard, à l'exception du rivet(qu'il exclut volontairement). Le tableauci-dessus, extrait du livre Léonard de Vinci,reproduit pour chaque pièce lesdessins de Léonard. 11

Page 12: Léonard de Vinci

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pie un poids rond suspendu à unecorde et nous l'appellerons A. Il serasoulevé aussi haut que le point de sus¬pension de la corde, lequel sera appeléF. J'affirme donc que si l'on laisse tom¬ber ce poids, tout le mouvement effec¬tué de A en N (voir dessin page 10)sera appelé mouvement naturel, parcequ'il cherche à s'approcher du centredu monde. Après cette arrivée au pointvoulu, c'est-à-dire N, un autre mouve¬ment a lieu que nous nommerons acci¬dentel parce qu'il va contre son gré. »

Et de ces deux mouvements, Léo¬nard formule clairement les lois : « Le

mouvement accidentel sera toujoursplus faible que le naturel » et, de plus,« plus le mouvement naturel approchede sa fin (de « a » à « n », voirdessin), plus il s'accélère : le mouve¬ment accidentel (de « n » à « m ») faitl'opposé. »

Et dans le même passage, avec uneétonnante pénétration, Léonard analysele mouvement d'un projectile lancé enl'air : « Si ces mouvements sont effec¬

tués vers le ciel, comme dans l'arc quedécrit une pierre, le mouvement acci¬dentel sera alors plus grand que celuique nous appelons naturel : aprèsavoir atteint, dans l'air, le sommet dumouvement ascendant, cette pierrecesse de suivre dans l'air la forme

d'arc commencée et dans son granddésir de redescendre, elle fait uneligne bien plus incurvée et plus courteque celle faite en montant. »

Or, environ un siècle plus tard,Galilée considérait toujours la lignetracée par la trajectoire des projec¬tiles lancés en l'air comme une para¬bole parfaite. L'ail extrêmement aigude Léonard avait « vu » au sens litté¬

ral et au sens symbolique, la trajec¬toire exacte des objets projetés et endonnait graphiquement la démonstra¬tion précise.

Pour le mouvement du pendule, Léo¬nard a justement remarqué que, dansses oscillations, l'arc décrit par lemouvement ascendant est plus court

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Toutes les parties des mécanismes Wd'horlogerie sont décrites par Léonard 'dans le Codex Madrid I. Mais il ne dessine

ni ne décrit des mécanismes complets,à l'exception toutefois d'un seul dessin(à droite) représentant la dispositiongénérale d'une horloge à contrepoidséquipée d'un système de sonnerie. Mais ily manque aussi quelques pièces.

I On attribue généralement à Galilée, en 1582,' et à Huygens, plus tard, l'invention del'horloge à pendule. Mais le Codex Madrid Icontient des notes et des dessins quimontrent que Léonard avait eu l'idée,parfaitement originale à son époque,d'utiliser le pendule pour les horloges, prèsd'un siècle donc avant Galilée. Les dessins

de Léonard comprennent nombred'échappement à pendule (l'échappementest le mécanisme régulateur du mouvementd'horlogerie) et sur un feuillet (folio 157verso) il traça le mécanisme completd'une horloge (à gauche) avec contrepoidsretenu par une corde enroulée sur untambour, une série de roues dentées, unecame et un échappement en éventail,réunissant ainsi tous les éléments d'unmécanisme idéal. D'autres dessins dans

cette double page illustrent bien lesrecherches que Léonard poursuivit sa viedurant sur les appareils à mesurerle temps et l'ingéniosité qu'il déployapour en inventer des mécanismesencore plus efficaces.

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Les ressorts n'étaient employés dans leshorloges que depuis une dizaine d'annéesquand Léonard conçut cette machine pourles fabriquer. Il consacre nombre de pagesdu Codex Madrid I à la production et àl'utilisation des ressorts, destinés surtoutaux horloges. Les dessins ci-dessusillustrent différents types de ressorts etaussi le remontage d'un ressort à l'aided'une clef (rangée du bas). A gauche, autreexemple des recherches de Léonard surles mécanismes d'horlogerie : esquissepour un échappement à roues. Léonardn'indique pas l'usage qu'il attribue à sonappareil, mais Galilée utilisa le mêmeéchappement pour son horloge à pendule,et vingt-quatre ans après sa mort oninstalla à Florence une horloge dotée dece même échappement.

Page 13: Léonard de Vinci

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Page 14: Léonard de Vinci

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Léonard dessina ces esquisses dans leCodex Madrid I pour illustrer les fonctionsdes roues à dents et des pignons.Ses notes, à partir du haut, disent :

Ici, la roue ne peut pas mettre le pignonen mouvement, mais le pignon peut mouvoirla roue. » « Même chose que ci-dessus. »« De nouveau, même chose que ci-dessus,mais en partie seulement » « Ici, lepignon mettra la roue en mouvement. »« Ici, chacun met l'autre en mouvement. »

Document © 1974, McGraw-Hill Book Co.(U.K.) Limited, Maidenhead, Angleterre, etTaurus Ediciones, S A., Madrid, Espagne

k que lors du mouvement descendant, et* en se raccourcissant toujours davan¬

tage, il ralentit les oscillations. Il noteégalement que plus petit est l'arc, plusuniformes tendront à devenir les oscil¬

lations.

On connaît bien les études de Léo¬

nard sur l'application des mouvementsdu pendule au mouvement des scies,des pompes, et surtout des moulins.A-t-il également songé à les appliquerà l'horlogerie ? La question a été long¬temps débattue sans que l'on puisseen décider.

Or, Ladislao Reti a fait remarquerque dans le manuscrit Madrid I, nom¬bre de pages avec textes et dessinsreprésentaient des études de base,faites par Léonard pour adapter lependule au régulateur d'horloge. Lestravaux de Ladislao Reti ont été à

cet égard assez décisifs pour convain¬cre Silvio Bedini, l'un des grandsspécialistes de l'horlogerie.

Léonard s'est toute sa vie intéressé

aux mécanismes d'horlogerie. A bonnepreuve sa parfaite connaissance desgrandes horloges et des planétairesqui existaient à son époque en Lom-bardie. Il a particulièrement étudiél'horloge du clocher de l'abbaye deChiaravalle, près de Milan, et l'hor¬loge astronomique (ou astrarium) deGiovanni de Dondi, à la bibliothèque duchâteau Visconti, à Pavie. Il a fait

maints croquis.Pour ce qui est de l'idée absolument

originale de Léonard, idée préfigurantles recherches de Galilée, c'est-à-dire

appliquer un régulateur pendulaire auxmécanismes d'horlogerie, Bedini etReti jugent que Madrid I apporte bienla preuve que Léonard ouvrait la voieà la solution du problème.

A cet égard les folios 9 recto, 61 ver¬so et surtout 157 verso sont d'un in¬

térêt capital. Au 61 verso, deux figu¬res présentent des échappements àroue de rencontre et à verge, l'un tra¬vaillant sur un plan horizontal, l'autre

monté verticalement ; tous deux ac¬

tionnant un régulateur pendulaire dontle lourd pendule est relié à la verge.

Au verso du feuillet 157 le dessin

donne une variante de l'échappementà came tambour commandant par l'en¬tremise d'un secteur denté un volant

à quatre ailettes. Léonard note qu'ils'agit d'un régulateur d'horloge ; endessous, autre dessin dans lequel letype d'échappement est le même, maisil fait osciller une tige semblable àcelle d'un pendule.

Cependant, dans le Codex Madrid I,Léonard n'a nulle part dessiné unehorloge à pendule complète. Tout sepasse comme s'il avait étudié diversesparties d'un mécanisme idéal, maisnon assemblé. Mais selon Bedini et

Reti, nous sommes désormais fondésavec le folio 157 verso à voir le pre¬mier projet d'une horloge à pendule

presque un siècle avant Galilée (*).Toutes sortes d'autres mécanismes

sont analysées dans Madrid I : res¬sorts d'horlogerie, mécanismes utili¬sant le principe du ressort pour engen¬drer une force constante, roues den¬tées pour la transmission du mouve¬ment, bien d'autres encore. Léonarda cherché à réduire la friction et trouvé

aussi à ce problème certaines solu¬tions particulièrement heureuses.

Ici, je tiens à développer plusieursremarques de Carlo Zammattio qui aattiré l'attention sur l'étude toute parti¬culière que Léonard a faite des coursd'eau, en Lombardie. Léonard s'inté¬ressait à l'eau et à ses « emplois »,pour fournir de l'énergie aux machines,faire tourner les moulins, etc SUITE PAGE 36

(*) N.D.L R. Le professeur Joseph Needhamconsacre plus de 100 pages de son ouvrageScience and Civilisation m China aux mou¬

vements mécaniques d'horlogerie en Chine,six siècles avant les horloges de l'Europedu 14e siècle. Il souligne, en particulier, quel'échappement, pièce maîtresse d'une horloge,fut conçu dès 1088, pour une horloge astro¬nomique construite par un savant chinoisSu Sung.

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Page 15: Léonard de Vinci

paupière. Dessin extrait d'un manuscritconservé à la Bibliothèque royale de Turin.

Photo © Bibliothèque royale de Turin

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Le théâtre en rond

de Léonard

Léonard, dont l'une des passions étaitl'organisation de fêtes grandioses qui lerendirent célèbre à la cour de Ludovic

le More, à Milan (voir page 25), àAmboise, où il imagina pour le roi de Franceun spectacle féerique, ne pouvait qu'êtreséduit par l'idée d'un théâtre dont laconception architecturale et la machinerieseraient tout à fait originales. Il mitau point le mécanisme de fonctionnementd'un théâtre construit en deux partiespivotantes qui se rejoignent pour formerun cercle parfait. L'idée lui en vint à lalecture de Pline qui, dans son HistoriaNaturalis, mentionne l'existence d'un tel

théâtre sans en décrire le processusmécanique. Léonard trouva une solutionde sa façon et imagina l'emploi d'unsystème de chaînes de blocs de bois.Nous reproduisons en bas, à droite, lesschémas de ce système fort ingénieuxdécrit par Léonard dans le Codex Madrid I.Le théâtre ouvert se présente sous laforme de deux demi-cercles représentantun « X » arrondi (N 1) où prennent placeles spectateurs. Une fois le théâtre rempli,pour procéder à sa fermeture, les chaînesse mettent en marche et glissent l'une surl'autre (N 3) pour arriver à la position duchiffre trois couché (N" 2 sur la photo) ;les deux demi-cercles sont alors côte

à côte. Le mouvement pivotant continuejusqu'à ce que les bords extérieurs serejoignent pour former un cercleparfait (N° 4).Cette invention ne relève pas du domainedu rêve, mais elle est si précise queJames E. McCabe a pu réaliser unemaquette de ce théâtre sur les bases desindications fournies par Léonard, prouvantainsi que le principe mécanique étaitcorrect. Ci-dessus, à droite, modèles des

différentes positions du théâtre.On retrouve ce principe à chaînes dansle jouet que tient l'enfant (en haut à droite)figurant sur la peinture de BernardinoLuini (1475-1532).Peut-être pourrait-on démontrer que, demême que pour l'invention de l'hélicoptère(voir page 30), l'idée de la chaîne depoutre est née d'un simple jouet.

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Photos © 1974 tirées de Leonardo da Vinci », ouvrage collectif édité par Giunti-Barbera, Florence © 1974

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Document © 1974, McGraw-Hill Book Co. (U.K.) Limited, Maidenhead, Angleterre, etMadrid, Espagne.

Page 16: Léonard de Vinci

LEONARDMUSICIENTexte © copyrightReproduction interdite

par Emanuel Winternitz

LIEN qu'on ait toujours exaltéson « génie universel », les ré¬flexions et les activités de Léo¬

nard, sur le plan musical, n'ontjamais retenu sérieusement l'attentionet n'ont jamais été systématiquementétudiées.

Il est significatif que les ouvragesqui lui ont été consacrés, même au

concept de temps musical ; il inventaune quantité considérable d'instru¬ments de musique ingénieux et apportades améliorations à ceux existants. Il

avait aussi, sur la philosophie de lamusique, des idées extrêmement origi¬nales et intimement liées à sa philo¬sophie de la peinture.

Vasari rapporte qu' « après que

EMANUEL WINTERNITZ est Conservateur du

département des instruments de musique auMetropolitan Museum of Art, et professeurde musique à la City University of New York(Etats-Unis). L'article ci-dessus est extrait del'importante étude qu'il a consacrée à Léonardde Vinci musicien dans l'ouvrage « TheUnknown Leonardo qui sera publié inces¬samment par les Editions McGraw-Hill (1974)sur les manuscrits de Madrid, et qui paraîtracet automne en français sous le titre « Léo¬nard de Vinci, l'humaniste, l'artiste, l'inven¬teur » aux Editions Robert Lañont, Paris, 1974.

cours de notre siècle, ne font aucunemention de la musique, ou se conten¬tent de citer les réflexions de Vasari,auteur des célèbres Vies des excel¬

lents peintres, sculpteurs et archi¬tectes...

Léonard consacrait, en fait, beau¬coup de temps à la musique. Il enjouait et il l'enseignait ; il s'intéressaitprofondément à l'acoustique et se livra,dans ce domaine, à de nombreusesexpériences qui ont un rapport directavec la musique ; il s'acharna sur le

Ludovic Sforza fut devenu duc de

Milan, Léonard, qui était déjà célèbre,fut amené, pour jouer de la lyre, devantle duc qui aimait beaucoup le son decet instrument ; Léonard avait apportéune lyre qu'il avait fabriquée, presqueentièrement d'argent, mais en formede crâne de cheval, forme nouvelle etbizarre, calculée pour donner plus deforce au son (l'armonia) ; avec cetinstrument, il surpassa tous les musi¬ciens qui étaient venus jouer. Il étaiten outre le meilleur poète improvisa-

16

Page 17: Léonard de Vinci

teur de son temps. » Plusieurs histo¬riens ultérieurs vantèrent ses mérites

musicaux, en . particulier GiovanniPaolo Lomazzo qui dans son Trattatodell'arte délia pittura, de 1584, et dansIdea del templo délia pittura, de 1590,cite « Leonardo Vinci Peintre », comme

un des grands maîtres de la lira.La lira dont il est question dans ces

ouvrages est la lira da braccio, l'instru¬ment polyphonique à archet le plusnoble et le plus ingénieux de l'époque

un violon à sept cordes, dont cinqcordes mélodiques pouvaient êtrepressées contre la touche, tandis queÍes deux autres, placées en dehors dela touche, fournissaient un effet debourdon quand elles étaient pincéesou touchées par l'archet.

Léonard a fait des recherches sur

l'origine du son (« Qu'est-ce que leson produit par percussion ? ») et aexaminé l'impact sonore de certainscorps sur d'autres, développant lesidées séculaires de Pythagore. Il s'est

penché sur les phénomènes de vibra¬tion et de résonance, la façon dont lapercussion d'un corps le fait oscilleret communiquer son oscillation à l'airambiant, à un liquide ou un corpssolide.

Il a étudié la propagation des ondessonores dans la mesure où elles diffè¬

rent des ondes lumineuses, la réflexionet la réfraction des ondes sonores, lephénomène de l'écho, la vitesse duson et les facteurs qui déterminentl'amplitude sonore, s'intéressant auxlois qui régissent la chute d'intensitédu son, en fonction de la distance

entre son origine et l'oreille.Il aborda ce sujet d'une façon très

originale, en établissante qu'on peutappeler une perspective du son, paral¬lèle aux lois de la perspective optiqueauxquelles, en sa qualité de peintre,il attachait tant d'importance. En tantque musicien, il s'intéressait aussi,naturellement, aux facteurs qui déter¬minent la hauteur du son et il se livra

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à des expériences avec des vases dedifférentes formes et d'ouvertures

variables. Léonard portait aussi un vifintérêt à la facture d'instruments de

musique. Il en perfectionna certains eten inventa d'autres.

Les notes et les esquisses de Léo¬nard qui ont trait à des instrumentsde musique sont disséminées dansses manuscrits. Si ces notes et ces

dessins, étudiés séparément, peuventsembler hermétiques, une comparai¬son méthodique révèle que ce ne sontpas de simples divertissements gra¬tuits, mais qu'ils font partie desrecherches systématiques de Léonardpour atteindre des buts fondamentauxdont les plus importants sont : auto¬matiser certains instruments et inven¬

ter des claviers facilitant l'exécution ;

augmenter la vitesse de jeu ; accroîtrele registre sonore pour permettre, parexemple, de jouer des mélodies autambour; maîtriser l'extinction rapide,du son des cordes pincées en dotant I

Léonard était un excellent musicien.

Il inventa quelques nouveaux instrumentsde musique et en améliora d'autres.Profondément intéressé par la constructiondes tambours, il en dessina divers typesdans ses carnets. Il cherchait à enrichir

les possibilités musicales de cetinstrument et à en rendre le jeu plusfacile par différents mécanismesautomatiques. Ci-dessus, le dessin d'untambour militaire mécanisé, dans leCodex Atlanticus, ressemble à l'un de

ceux que portent ces « hommes-orchestres » que l'on rencontre dans

la rue. L'axe de la roue du chariot

entraîne une roue dentée centrale qui,à son tour, entraine d'autres roues dentéesactionnant cinq baguettes de part etd'autre du tambour cylindrique.Dans son sur l'art et la science,

Léonard prêta une grande attentionà l'étude de l'anatomie, témoin ce dessin,en haut à droite, du larynx et dela trachée (maintenant dans la CollectionWindsor). Cela lui donna probablementl'idée de ces deux flûtes (à gauche)dans un dessin du Codex Atlanticus.

Léonard écrit que les flûtes changent de

ton « à la manière de la voix humaine »,et, en effet, il y a une granderessemblance entre l'ouverture supérieuredu larynx montrée ¡ci et les deuxflûtes qui ressemblent à desflageolets modernes.

17

Page 18: Léonard de Vinci

k les instruments d'un archet sans fin ;

perfectionner des instruments relative¬ment simples pour les rendre capa¬bles de polyphonie ou d'une vastegamme de tons successifs, et mêmeplacer les cordes à archet sous lacommande d'un clavier.

Léonard s'intéressait beaucoup à lafacture des tambours. Non seulement

il essaya d'en faciliter, le maniement,mais il développa aussi leurs possibi¬lités sonores, telles que leur registremusical, en l'amplifiant bien au-delàdes limites des instruments de son

temps.Léonard cherche à enrichir la fonc¬

tion traditionnelle des tambours en les

rendant capables de produire desaccords et des gammes. Il tente d'yparvenir par deux méthodes diffé¬rentes. Dans l'une il combine, en un

seul Instrument, plusieurs tambours oupeaux de différents tons ; dans l'autre,

il s'agit de dispositifs destinés à faireproduire, par une seule peau, une suiterapide de tons différents.

Ce but est atteint de diverses

façons : soit par l'introduction detrous latéraux ou par l'utilisation deleviers articulés ou de dispositifs àvis pour changer la tension de la peautandis qu'elle est frappée, soit par desglissières qui ouvrent et ferment unlarge trou dans la caisse de réso¬nance, soit enfin par des mécanismesqui éloignent la peau de la caisse d'untambour en forme de pot.

Cependant, parmi les nombreuxinstruments imaginés par Léonard, laviola organista est de loin le pluscompliqué. Tous ses dessins concer¬nent l'idée d'un instrument à cordeset à clavier, dans lequel on fait vibrerdes cordes au moyen d'un dispositifmécanique une roue, un archetdécrivant un mouvement de va-et-vient,

Cet ingénieux dessin de tambourreproduit (ci-dessous) un détail d'unepage du Codex Arundel. Il est depremière importance puisqu'il permetde changer de ton en cours d'exécution.L'exécutant peut tendre ou détendrela peau en agissant sur les leviersen forme de ciseaux situés de chaquecôté du tambour carré. Un tambour

dont le ton peut être modifié pendantl'exécution n'apparait en Occidentqu'à la fin du 19e siècle.

Codex Arundel © British Museum, Londres

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Le plus compliqué des nouveauxinstruments de musique inventés parLéonard était la viola organista, instrumentà corde et à clavier. Nous ne savons pas

si Léonard en entreprit la construction.Les cordes devaient vibrer au moyend'un dispositif mécanique et Léonarddessina dans différents carnets divers

instruments destinés à frotter plusieurscordes en même temps. La solutionla plus avancée et la plus réalisable estcelle du dessin ci-dessus ; elle provientd'un manuscrit de l'Institut de France.

C'est un Instrument à clavier avec un« archet sans fin », courroie de crinpassant sur les cordes.

Photo © Institut de France, Paris

Léonard essaye Ici à sa manièred'obtenir d'une seule cloche des sons

qui, normalement, auraient dû être produitspar quatre cloches différentes. La cloche,dessinée dans le Codex Madrid II

est fixe, avec quatre marteaux qui laheurtent. Léonard écrit : « Une seule

et même cloche fera l'effet de quatrecloches. Des touches d'orgues, la clocherestant immobile. Frappée par desmarteaux elle aura des changementsde tons comparables à ceux d'un orgue. »

Document © 1974. McGraw-Hill Book Co. (U.K.)Limited, Maidenhead, Angleterre et Taurus Edicio¬nes, S.A., Madrid

ou une courroie de crin qui se déplacesur les cordes comme une sorte

d'archet sans fin.

Un tel instrument comblerait une

grande lacune dans la vaste gammed'instruments, non seulement de l'épo¬que de Léonard, mais de la nôtre. Ilcombinerait les possibilités polyphoni¬ques du clavier à la tonalité des Instru¬ments à archet et serait ainsi un peu

comme un orgue dont le timbre seraitcelui des cordes au lieu d'être celuides instruments à vent ; de plus, un telinstrument donnerait la possibilité deproduire crescendos et decrescendossuivant la pression des doigts.

Bien qu'on ne sache pas dans quelordre Léonard a fait ses croquis, il estpossible de disposer les dessins dans

18

une progression logique en partant duprincipe qu'il est allé des solutions lesmoins réalisables à celles qui l'étaientle plus. En fait, il passe d'un instru¬ment où un archet va et vient sur les

cordes, à un instrument doté d'uneroue à friction, pour terminer avecplusieurs versions d'une courroie decrin qui tourne en faisant vibrer lesnombreuses cordes.

La solution la plus réalisable, qui estapparemment la dernière, figure dansle Manuscrit H où l'on voit un croquisd'un instrument à clavier parfaitementcohérent et réalisable, avec un archetsans fin (archetto), une courroie decrin mue par un moteur fixé sur lecôté de la caisse de résonance et

passant perpendiculairement aux cor¬des au moyen de deux petits galets.Léonard inventa aussi un mécanisme

permettant au joueur de sélectionnerles cordes voulues et de les projetercontre l'archetto en poussant despetits boutons saillants.

Cependant, nous ne savons pas siLéonard en arriva ou non à la facture

de la viola organista, ou s'il en fit desmodèles pouvant fonctionner. Aujour¬d'hui, avec un moteur électrique à laplace d'un moteur utilisant des poidsou des ressorts, l'instrument seraitbeaucoup plus facile à construire.

Il nous faut enfin considérer deux

instruments qui présentent un intérêtparticulier, car leur invention sembledirectement inspirée par les étudesd'anatomie de Léonard ; ils sont en

fait des applications de mécanismesqu'il avait découverts dans le corpshumain.

Le premier figure dans le CodexAtlanticus où nous voyons, parmi denombreux croquis de divers appareils,le dessin de deux tuyaux.

L'amateur d'instruments de musiquereconnaîtra immédiatement deux flûtesà bec à leur tête et à leur embouchurecaractéristiques. Leur structure fonda¬mentale n'a pas beaucoup changédepuis le temps de Léonard. Sousl'extrémité supérieure que l'exécutanttient entre ses lèvres, il y a un trouavec une arête vive que frappe lesouffle produit par l'exécutant. D'habi-

SUITE PAGE 35

Page 19: Léonard de Vinci

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Page 20: Léonard de Vinci

Couché dans Hierbe derrière la

maison de l'aïeul, le petit Léo¬nard suivait le vol d'un milan

qui tournoyait autour du donjon duchâteau de Vinci. Près de lui, son

oncle Francesco lui expliquait le mé¬canisme de ces circonvolutions aérien¬

nes, qui tiraient parti de la briselégère. Mais l'enfant, fatigué, avaitfermé les yeux et s'était endormi.

C'était un après-midi de mai, l'airsentait le foin séché, des tribus de

grillons cachés dans l'herbe chan¬taient à l'unisson. Il lui semblait être

encore dans son berceau, mais ce

n'était point à la maison : grand-mère Lucia avait transporté le ber¬ceau sur le pré et s'était éloignée.

Décrivant des cercles de plus enplus étroits, le milan tomba du ciel etpiqua sur l'enfant. Mais il ne le saisitpas dans ses griffes, ne l'atteignit pasde son bec recourbé : agitant ses ailes,l'oiseau lui ouvrit la bouche de sa

queue fourchue ; quand il y eut réussi,de sa queue, il frappa durement leslèvres et la langue de l'enfant.

Effrayé, Léonard se réveilla encriant et se retrouva assis dans l'herbe

auprès de son oncle Francesco.Qu'as-tu? dit l'oncle.Le milan... balbutia l'enfant

j'ai rêvé du milan!Bien des années plus tard, dans le

duché de Lombardie, Léonard a noté

que c'était là son premier souvenird'enfance, un souvenir qui le poursui¬vait. Et, pour lui qui étudiait en cetemps-là les lois du vol, le milan étaitcomme un messager du destin.

Combien mystérieux, combien splen¬dide le destin de Léonard! Né dans une

pauvre bourgade de la Toscane, prèsdu fleuve Arno, il n'avait pas eu demère comme les autres enfants, mais

une belle-mère ; pas un père affectueux,mais un grand-père sévère; seul sononcle Francesco, de dix-sept ans sonaîné, avait été son véritable compa¬gnon et son maître.

Léonard est né le 15 avril 1452 : le

Moyen Age, le temps des maisons-tours et des communes libres était

fini. Le temps des seigneuries com-

BRUNO NARDINI. éditeur, fondateur du Centre

International du Livre à Florence, est l'auteur d'une

<r Vita di Leonardo » (Vie de Léonard) écrite pour lesJeunes et illustrée des images d'un film télévisé queRenato Castellani a consacré à Léonard de Vinci

(Éditions Nardini et Giunti-Bemporad Marzocco,Florence 1974). Il a aussi adapté les fables et légendesdont Léonard de Vinci avait esquissé les motifs dansses carnets, en deux livres pour les ¡eunes : « Ani-mali Fantastici » (Éditions Nardini et Giunti-BemporadMarzocco, Florence 1974) et « Favole e Leggende »(paru en traduction française aux Éditions Hachette.Paris 1972, sous le titre « Fables et Légendes »).Il a également publié un livre sur la vie de Michel-Ange pour les ¡eunes.

Dans cette maison près de Vinci,

sur les collines toscanes,

naissait le 15 avril 1452 Léonard.

menee, temps du gouvernement desriches et des puissants, cependant queles tours inconfortables sont rempla¬cées par de somptueux palais.

Léonard arriva à Florence en char¬

rette avec son père, Messire Pietro,qui avait décidé de s'installer défini¬tivement dans la ville afin d'y exercerson métier de notaire, celui de tous ses

ancêtres. Avec eux voyageait Albiera,la jeune épouse de Messire Pietro, quitenait lieu de mère à l'enfant.

De ce premier séjour à Florence,nous n'avons aucun souvenir, pas lemoindre témoignage. Nous savonsseulement que le père de Léonard luifit étudier la musique et la gram¬maire : la musique consistait à ap¬prendre à jouer de la flûte, la gram¬maire à apprendre à écrire. « Ma¬man » Albiera mourut en 1465 et Mes¬

sire Pietro épousa une autre femme,Francesca : Léonard avait 13 ans et

savait ce qu'il ferait une fois adulte.Non pas notaire comme son père oule grand-père Antonio, mais peintre.

C'est par hasard que Messire Pietroavait découvert chez son fils cette voca¬

tion secrète. Un jour qu'il était entrédans la chambre de l'enfant, il avaitvu une série de feuilles enroulées :

c'étaient des dessins. « Et pas du toutmauvais, se dit-il. Ils sont même plu¬tôt beaux. »

Sans atermoyer, il mit le rouleau de

papiers sous son bras, .dans l'intentiond'aller les montrer à Andrea de Cione,dit Verrocchio.

Dites donc, Maître, demanda

Messire Pietro, j'ai trouvé ces dessinsde mon fils. Qu'en pensez-vous ?

Verrocchio les regarda l'un aprèsl'autre, avec une attention toujourscroissante, puis questionna :

Quel âge a-t-il, ce gamin?Dix-sept ans.Amenez-le-moi donc. Il viendra

vivre chez moi et j'en ferai un grandpeintre.

Le lendemain, le jeune Léonard,accompagné de son père brusque etbourru, entrait dans la boutique deVerrocchio comme apprenti. Il étaitsans inquiétude et ne se sentait pasperdu. Face à un maître sévère, iln'était pas seul : toute une bande dejeunes élèves l'accueillit avec une sym¬pathie bruyante. C'étaient des enfantsde son âge, tous semblablement desti¬nés à devenir plus ou moins fameux :les aînés se nommaient Sandro Filipe-pi, dit Botticelli, et Pietro Vannucci,dit le Pérugin; parmi les plus jeunes,on distinguait Lorenzo di Credi, Fran¬cesco Botticini et Francesco di Si¬

mone.

Au milieu de ses camarades, dans

les énormes pièces pleines de plâtreset de marbres, de tables encombrées

de pinceaux et de couleurs, dans le cli-

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Page 21: Léonard de Vinci

Étude pour la « Madone au chat »réalisée pendant la première périodeflorentine de Léonard.

Florence, la cité des tours,

telle qu'elle était du temps de Léonard.

Il y séjourna jusqu'en 1482,

date de son départ pour Milan.

Il était alors âgé de 30 ans.

mat actif et fébrile d'une création

continuelle, Léonard était heureux. Il

faisait les travaux les plus humbles,balayait le plancher, lavait les as¬siettes, pétrissait au mortier les terresde couleur, apprêtait ces couleurs, net¬toyait les pinceaux, posait pour leMaître qui modelait son David, et,surtout, regardait, observait, imitait,afin d'apprendre vite et bien.

Un peu plus tard, on l'employa à.préparer l'enduit pour les fresques,puis à reproduire sur les murs lesdessins des cartons, jusqu'au momentoù il fut autorisé à prendre lui-mêmeles pinceaux pour achever les puvresde Verrocchio.

Un jour où ce dernier avait chargéLéonard de peindre une tête d'angedans un grand tableau représentant le« Baptême du Christ », il s'avisa qu'unautre ange, qu'il avait peint lui-même,faisait piètre figure auprès de celui deson jeune élève. Si nous en croyonsquelques biographes, Verrocchio pritses tableaux et les brisa, comme pourmarquer qu'à partir de ce jour il netoucherait plus aux couleurs.Maintes études de chevaux de Léo

nard remontent à cette période : eneffet, Verrocchio était en train de mo¬

deler pour le compte de la Républiquede Venise le monument équestre ducondottiere Bartolomeo Colleoni. A

la stupeur de ses camarades d'atelier,le jeune Léonard dessinait souvent dela main gauche et écrivait toujours àl'envers, de droite à gauche, ainsi quefont les magiciens.

Un jour, au seuil de ses 22 ans, ildécida de s'inscrire à la Compagniede Saint-Luc, une association d'ar¬

tistes, et quitta l'atelier de Verrocchio,pour se mettre, comme nous dirionsaujourd'hui, à son compte. De Laurentle Magnifique, duc de Florence, ilobtint la commande du dessin d'une

Madone, et, d'autres clients, d'une

Annonciation, d'un Saint Jérôme, puisd'une Adoration des Mages ; son pèrealla jusqu'à le charger de peindre laroue d'une charrette pour un villa¬geois de Vinci.

Léonard ne refusait aucun travail,

à tous se mettait sérieusement, fût-ce

à la roue, dont il fit une espèce demonstre fantastique. Et, à chaque fois,il cherchait à atteindre une perfection

21

Page 22: Léonard de Vinci

Ce fut dans l'atelier de Verrocchio,

où il arriva à l'âge de 17 ans,

que Léonard exécuta sa première peinture :

l'ange agenouillé (ci-dessous détail),qui fait partie du grand tableau

le Baptême du Christ (1473-1478)(à droite), peint par Verrocchio.

Sculpture en bronze du David adolescent

de Verrocchio, vers 1473. Selon

certaines autorités, le visage du David

serait celui du jeune Léonard,

alors âgé de 20 ans.

22Photo tirée de « Vita di Leonardo »

par Bruno Nardini, Giunti-Nardini, F

toujours plus accomplie : jusqu'au mo¬ment où il lui fallait bien s'arrêter et

laisser son travail inachevé. Ce sera

là le drame secret de toute sa vie.

Léonard n'était pas seulement pein¬tre : il était aussi sculpteur et avaitmodelé quelques têtes, un chemin deCroix : il modèlera plus tard un chevalde proportions gigantesques. De plus,il était musicien : il jouait de la flûteet de la lyre, et, ainsi que le rapportentses contemporains, « chantait commeun dieu ».

De son oncle Francesco,' à Vinci, il

avait appris à reconnaître les vertusdes herbes : il était donc herboriste et

botaniste. Ayant connu à Florencequelques médecins fameux, il s'étaitmis à étudier l'anatomie : il se rendait,

la nuit, dans les chambres mor¬

tuaires de l'hôpital afin d'y découperdes cadavres et d'étudier les différents

organes du corps humain.Il étudiait le cours des rivières et

faisait des plans de canaux navigables.

Il lisait des livres d'histoire et d'art

militaire, inventant de nouvelles ma¬

chines de guerre.Il observait les édifices tel le

Dôme de Florence, où Verrocchioavait installé une énorme boule de

cuivre sur la lanterne de Brunelleschi

et inventait des mécaniques extraor¬dinaires propres à soulever et à dépla¬cer des poids immenses. Il regardaitles oiseaux voler et rêvait d'une

machine qui permettrait à l'homme des'élever dans les airs.

Il scrutait le fond de la mer et

imaginait déjà le masque et l'équipe¬ment des plongeurs sous-marins. Ilregardait les hommes à leur travailet, anticipant sur notre cybernétique,songeait à des machines qui épargne¬raient aux hommes tant de peine.

Il lisait les philosophes anciens etil lui en venait une sagesse profondeet naturelle, qui enthousiasmait sesauditeurs. Il était pauvre mais, grâceà la munificence de ses admirateurs,

Page 23: Léonard de Vinci

L'Adoration des Mages, tableau réalisé

vers 1481 et qui ne fut jamais achevé.(Musée des Offices, Florence.)

parvenait à vivre comme un prince :beau, grand, fort il tordait dans sesmains un fer à cheval il était en

même temps élégant, délicat et raffiné ;mais il était surtout bon, dépourvu detoute superbe, toujours prêt à aiderles autres.

Il aimait et admirait la vie, sachantdécouvrir dans toutes choses le côté

le plus beau, l'aspect le plus noble.Amoureux de la nature, nous le dirions

aujourd'hui écologiste, il projetait unecité idéale, pleine de verdure et par¬courue de canaux, avec des rues pas¬sant au-dessus ou au-dessous des mai¬

sons. Il aimait les bêtes : s'il voyaitdes oiseaux en cage, il les achetaitpour les libérer.

En tout, chez tous, il reconnaissaitles « merveilles de l'univers » et la

présence de son Créateur, qu'il défi¬nissait comme le « Premier Moteur ».

Léonard était vraiment un homme

de l'avenir : le premier citoyen dumonde et le plus convaincu.

A trente ans, il se rend à Milan,

auprès du duc Ludovic le More, quiavait demandé à Laurent de Médicis

un sculpteur capable d'élever unmonument à François Sforza.

De son arrivée dans la capitale dela Lombardie et de son premiercontact avec le duc, il nous reste une

lettre extraordinaire qu'il envoie, peuaprès, à Ludovic le More. Dans cettelettre, il énumère toutes les choses

qu'il saurait faire, et d'abord desmachines de guerre : après quoi, ildéclare qu'il peut, mieux que toutelutre personne, faire de la sculpture, r

L'Annonciation, première peinturequi soit entièrement de la main de Léonard.

(Musée des Offices, Florence.)

Photos © Anderson-Giraudon, Pans

23

Page 24: Léonard de Vinci

de l'architecture et de la peinture, enengageant le duc à le mettre àl'épreuve.

C'était prendre un gros risque, etLudovic aurait fort bien pu le faireemprisonner comme un visionnaireinsolent. En fait, Ludovic le manda,

le chargea d'élever le monument àson père et le nomma « ingénieurducal ».

C'est à Milan que Léonard révélaune autre de ses passions secrètes :celle d'entrepreneur de spectacles et,comme nous le dirions par une expres¬sion actuelle, de « metteur en scène ».

La « Fête du Paradis », pour lesnoces de Jean-Galéas Sforza avec

Isabelle d'Aragon, et le « Carrousel »pour le mariage de Ludovic le Moreavec Béatrice d'Esté furent et demeu¬

rent mémorables.

Dans la première, sept planètestournaient dans un ciel étoile, au

milieu des musiques et des danses,cependant que le char du Soleil traînépar des chevaux fumants exempled'automatisme prodigieux traver¬sait la scène. Dans le second, un che¬

val vivant revêtu d'écaillés d'or por¬tait une tête de bélier et une queuede serpent.

Datent de la période milanaise lesfameux tableaux de la « Vierge aux

Le Saint Jérôme inachevé de Léonard

illustre l'une de ses théories :

l'homme et la bête partageant

la même émotion (vers 1481).

rochers » que l'on conserve à Paris età Londres, l'un peint entièrement parLéonard, l'autre par lui-même et sondisciple Giovanni De Prédis. Léonardexécute également une Madone pourMathias Corvin, roi de Hongrie, unportrait d'enfant tenant une hermineentre ses bras, un autre portrait deprofil, peut-être de Béatrice d'Esté.Enfin, puvre merveilleuse, aujourd'huitragiquement mutilée, la « Cène ».

Ludovic le More avait chargé Léo¬nard de peindre la Dernière Cène (ledernier souper de Jésus et des Apô¬tres avant la Passion) sur un murdu réfectoire des Dominicains de

Sainte-Marie-des-Grâces.

Léonard s'était aussitôt mis à l'ou¬

vrage. Il en arrivait à arrêter lesgens dans la rue pour bien graverdans son esprit le détail d'un visageou d'un geste. Jour et nuit, il dessi¬nait et étudiait ses personnages, jus¬qu'au moment où le projet fut prêtdans tous ses détails.

A la différence de tous les artistes

qui avaient peint avant lui la Cènecomme un triste rendez-vous avant la

Passion, Léonard s'était proposé depeindre le moment où Jésus dit :« L'un de vous me trahira! »

Stupeur, étonnement, indignation,incrédulité, horreur, voilà ce qu'au¬raient à exprimer les visages et lesgestes des Apôtres, tandis que Jésus,au centre, immobile, isolé, semblerait

Très tôt Léonard fut passionné

par l'anatomie du corps humain.

Ici, dessin de la dissection des principaux

organes féminins (vers 1508).

24Photo © Bibliothèque royale de Windsor, Royaume-Uni

Page 25: Léonard de Vinci

Portrait au fusain, au crayon et au pastel

d'Isabelle d'Esté, fait à Mantoue, en 1 500.

(Musée du Louvre.)

Léonard avait une passion secrète :

organiser des fêtes à grand spectacle.

Une occasion lui fut donnée pour le mariage

de Jean-Galéas Sforza avec Isabelle d'Aragon.Léonard créa la Fête du Paradis,

La Dame à l'hermine, portrait de

Cecilia Galleranî, peint par Léonardà la Cour de Ludovic le More, vers 1483.

(Musée Czartoryski, Cracovie.)

dont nous voyons ici une scène, le char dusoleil traîné par un cheval fumant. Cette scène

est extraite d'un film télévisé italien de

Renato Castellani, « Léonard de Vinci ». D'une

durée de 7 heures, il doit passer dans 1 20 pays.

Photo tirée du film < Léonard de Vinci .

25

Page 26: Léonard de Vinci

Léonard face à la Cène qu'il exécutaà Milan sur un mur du réfectoire

des Dominicains de Sainte-Marie-des-Grâces.

Il s'agit ci-dessous d'une scène du filmitalien sur Léonard. On voit Léonard

entouré des nombreuses esquisses

qui servirent à. la préparation de son

monumentale. A gauche, en bas,une des études de Léonard pour la Cène.

Hr

tout à fait détaché des passions desdisciples.

Mais Léonard, le « savant » Léo¬

nard, avait voulu expérimenter unnouvel enduit constitué par trois cou¬ches de stucs différents. A la fin, la

peinture achevée, alors que tout Milanse pressait dans le réfectoire pouradmirer le chef-d'auvre, il s'aperçutque les couches de stuc ne suppor¬taient pas également partout la tem¬pérature extérieure et comprit que son

ne durerait point longtemps.De fait, cinquante ans plus tard, elleétait déjà endommagée.

Aussitôt ce travail achevé, Léonards'était enfui à Venise. Les armées

françaises de Louis XII, commandées

par Trivulce, étaient entrées dansMilan, après la fuite de Ludovic leMore. Quelques arbalétriers gascons

26

découvrirent dans une cour un im¬

mense cheval d'argile : ils ignoraientque c'était là le modèle du monumentde François Sforza, prêt à être fondu;ils ignoraient aussi bien qui étaitLéonard. Et ils s'amusèrent à le

détruire, en se défiant avec leursarmes, comme à un concours de tir.

De Venise à Florence, le chemin

n'est pas long. Après presque vingtans d'absence, Léonard retournait

dans sa ville précédé de la renom¬mée qui s'attachait à ses Buvres. Iltrouva à se loger au monastère de laTrès Sainte Annonc^ade, auprès desServiteurs de Marie, auxquels il avaitpromis pour leur maître-autel untableau représentant sainte Anne etla Madone.

Mais tout le monde lui demandait

quelque ouvrage, chaque institution

Léonard a consacré deux au thème W

de Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant.

La première version (ci-contre) est connue

sous le nom de « Carton de Burlington

House », généralement datéedes années 1498-1499.

Étude à la pointe d'argent pour la têtede l'ange de la Vierge aux Rochersdu Musée du Louvre (voir page 2).

D'une simplicité trompeuse, elle est faîte

d'une pluie de hachures qui donnent naissance

à une impression de profondeur

et de plasticité (vers 1483).

Page 27: Léonard de Vinci

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Page 28: Léonard de Vinci

le recherchait comme correspondant.Le secrétaire de la République deFlorence, Nicolas Machiavel, alla jus¬qu'à lui confier la mission de dévierle cours de l'Arno, qui se jette dansla mer à Pise, afin d'affamer les

Pisans en guerre contre Florence.Léonard ne refusait rien à personne :

il avait choisi comme devise : « Jamais

las de servir. » Mais les religieux dela Très Sainte Annonciade étaient

impatients : Léonard s'enferma dansune pièce du monastère et, en moinsd'un mois, l'esquisse du tableau étaitprête.

Pendant trois jours, les citoyens deFlorence défilèrent comme en proces¬sion devant ce carton : il y avait par¬mi eux le gonfalonier à vie de laRépublique, Pier Soderini, ainsi qu'unjeune sculpteur rentré récemment deRome, où il avait modelé une magni¬fique « Pietà » : il se nommait Michel-Ange Buonarroti.

D'après les biographes, la rivalitéaurait été grande entre Léonard etMichel-Ange. Elle avait débuté lorsqueSoderini avait attribué au jeuneMichel-Ange un bloc de marbre gisantdepuis plus de soixante ans derrière

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Léonard a dessiné cette drague.tout à fait semblable à un catamaran.

Il en explique lui-même le fonctionnement

« Ces pelles serviront à remonter la boue

du fond et à la décharger sur

la barge qui se trouve dessous. »

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Maquette d'une voiture mue par desressorts, réalisée d'après un dessin deLéonard de Vinci.

28* © Mario Carrien, hiorence

Page 29: Léonard de Vinci

Photo © Bibliothèque royale de Windsor,

Royaume-Uni

Léonard a fait de nombreuses cartes

géographiques et relevés topographjques.Ici, plan de la ville d'Imola

dans la région de Bologne.

I Dessin d'une bombarde à projectiles

' explosifs, imaginée par Léonard.

le Dôme et dont Léonard aussi avait

quelque envie.Alors que Michel-Ange sculptait ce

bloc, dont il allait tirer son fameux

« David », Léonard était parti pour laRomagne, à la suite de César^Borgia,duc de Valentinois, avec l'emploi de« architecte et ingénieur général ».Par la suite, retourné à Florence et

nommé membre de la commission quidevait juger le « David », Michel-Angen'apprécia guère cette nomination etil y eut quelques méchants propos.

Lorsque Soderini offrit à Léonardune paroi de la Salle du Conseil au

Tête de cheval. Léonard a consacré

de nombreuses études à ce noble animal

(voir aussi pages 36 à 39).Photo tirée de « Vita di Leonardo »

par Bruno Nardini. Giunti-Nardini, Florence

La découverte récente à Madrid

de deux manuscrits perdus de Léonard

a révélé de nombreux aspects de l'cuvredu grand génie italien. Ici, un métierà filer dessiné avec une méticuleuse

exactitude dans le Codex Madrid I.

f Grande arbalète. L'arc est fait de sections

' laminées qui lui assurent élasticité etpuissance maximales. Le principe de

l'inclinaison des roues a été repris bien plus

tard pour la construction des roues de canon.

Dessin © 1 974 McGraw-Hill Book Co.

(Royaume-Uni) Limited, Maidenhead

et Taurus Ediciones, S.A. Madrid, Espagne.

Bien avant l'invention de l'hélicoptère,

Léonard avait dessiné un engin semblable

dont nous montrons ici une maquette réalisée

d'après ses plans.

Photo © Science Museum. Londres.

Page 30: Léonard de Vinci

Photo © Musée du Mans, Le Mans, France Photo © Institut de France, Pans

^ <rP-,*4'°^w,J'*%A *"/|*<Aifra:A o'Mode d'emploi du jeu à pirouettes

dont le premier date de 1320 : tirez la ficelleet l'hélice s'envolera en tourbillonnant;

la peinture ci-dessus qui le montre datede 1460. Ci-dessus à droite : projet

d'hélicoptère de Léonard qui écrivit à côtéde son dessin : « Si cet instrument est

bien construit... et si l'on fait tourner

l'hélice rapidement, l'appareil se lèveratrès haut dans les airs. »

Maquette de l'articulation d'une aile

d'après un dessin de Léonard. Ses études

sur les ailes sont surprenantes,

particulièrement en ce qui concernela courbure, l'extension et la rotation.

Photos tirées de « Vita di Leonardo » par Bruno Nardini,

Giunti-Nardmi, Florence

Palazzo Vecchio pour qu'il y peigneune bataille, Michel-Ange demanda etobtint le mur d'en face, pour y pein¬dre une autre bataille : il en résulta

une compétition toute pacifique. Laville entière suivait le travail des deux

grands artistes, au cours duquel, plu¬tôt que de dépasser l'autre, chacuncherchait à se dépasser soi-même.

Les cartons de Léonard représen¬tant la bataille d'Anghiari et ceuxde Michel-Ange représentant un épi¬sode de la bataille de Cascina furent

exposés en des lieux et à des occasionsdifférentes. Ce fut, écrira Benvenuto

Cellini, « l'école du monde ».

Entre-temps, Léonard faisait le por¬trait d'une femme belle et triste : dame

Lisa del Giocondo, la célèbre Joconde.

Une fois ce tableau achevé, il com-

30 Dessin d'une aile conçue par Léonard,actionnée par une manivelle.

Page 31: Léonard de Vinci

/

\LÉONARD ET L'AVIATION

Léonard de Vinci est un des grands

précurseurs de l'aviation moderne,

comme cette double page le montre.

Un des grands rêves de Léonardétait de faire voler les hommes

par différents moyens. Après des années

d'études, il fabriqua une « machine à voler »

qu'un de ses assistants, tel Icare,

essaya, mais sans succès. Un grand

et long rêve était brisé.Ici, scène tirée du film italien sur Léonard.

Photo tirée du film « Léonard de Vinci »

mença à peindre à fresque la paroi duPalazzo. Mais cette fois encore le

démon de la technique le tenta, enlui faisant découvrir, dans un livre de

Pline, la formule d'un stuc spécialemployé par les Romains et appelé« encaustique ». Il s'agissait d'unmélange à base d'essences huileuseset de poix grecque, qu'il fallait fairedessécher au feu afin de donner aux

couleurs le brillant de l'émail.

Léonard fit beaucoup d'essais, tousavec d'heureux résultats, et décida

d'employer cet encaustique pour sabataille d'Anghiari. Or, au momentoù sa grande peinture était déjà bienavancée et où l'artiste était en train

de peindre la partie haute de la fres¬que, le bas étant déjà achevé, laflamme, trop distante, ne parvint plusà fixer les couleurs.

Ce fut une nuit tragique : s'avisantque les couleurs commençaient déjàà couler, Léonard fit ajouter du boisdans l'immense brasier suspendu àune poulie. Mais c'était trop tard : laflamme ne réussit pas à fixer les cou¬leurs et, comme elle se trouvait tropprès du mur, elle fit fondre même lapeinture déjà séchée.

En l'espace d'une heure, son chef-d'nuvre était détruit.

Tout à fait accablé, Léonard se réfu¬

gia à Fiesole, chez un ami. Mais unedeuxième déconvenue l'y attendait.Après des années d'étude, il avaitfabriqué une mystérieuse machinepour voler et tout était prêt pour cettegrande expérience.

Les essais eurent lieu sur le mont

Ceceri (ou « Cygne »)^ mais l'homme-

cygne, un assistant de Léonard, neparvint pas à prendre son vol. Aprèsavoir parcouru quelques 'mètres sus¬pendu dans le vide, il dégringola dansle bois situé au-dessous. Un grandet long rêve était brisé.

Léonard quitta avec joie Florencepour retourner à Milan.

Louis XII, roi de France, le voulait

à son service : le gouverneur de Milan,Charles d'Amboise, honora Léonard

de ses faveurs. Et Léonard reprit cou¬rage, retrouva ses amis, reprit sesrecherches scientifiques, peignit pourle roi quelques Madones, aujourd'huidisparues.

Mais les événements politiquesl'obligèrent à repartir : le fils deLudovic le More rentrait à Milan avec

l'aide des chevau-légers suisses et les

Français retournaient de l'autre côté

des Alpes. Léonard se réfugia à Vapriod'Adda, chez son jeune élève FrancescoMelzi.

Entre-temps, le pape Jules II étantmort à Rome, on avait élu son succes¬

seur, le cardinal Jean de Médicis, fils

de Laurent le Magnifique, qui prit lenom de Léon X.

L'un après l'autre, tous les artistesd'Italie accouraient à Rome. Léonard

fit de même. Julien de Médicis, le fils

cadet de Laurent, l'hébergea dans sonpalais et lui confia plusieurs travaux :un portrait de femme, des recherchessur les miroirs, l'assainissement desMarais Pontins.

Mais, après la mort de Louis XII, les .Français s'apprêtèrent à reconquérir r

L'un des premiers dessins d'avion

de Léonard (1486-1490). L'aviateur

est allongé sur le fuselage, la tête

passant à travers un cerceau placé

à l'avant. Les ailes pivotant au-dessus

de la tête au point « m » sont soulevées

à l'aide du pied gauche et rabaissées

à l'aide du pied droit. 31

Page 32: Léonard de Vinci

la Lombardie, alliée au pape. Fran¬çois Ier, le très jeune roi, franchit lesAlpes et défit ses adversaires à Mari-gnan. Léonard avait quitté Rome,accompagnant Julien de Médicis quicommandait l'armée pontificale :Julien, malade, s'arrêta à Florence,où il mourut.

Léonard suivit l'armée jusqu'à Plai¬sance. Afin de neutraliser sa défaite,

le pape se rendit à Bologne pour yrencontrer le roi de France, et comme

il savait que François Ier était grandamateur d'art, il s'y fit accompagnerpar ses artistes les plus renommés,Léonard entre autres.

Quand on lui présenta Léonard, le

roi de France alla à sa rencontre pourle serrer dans ses bras et, au milieu

de la stupéfaction générale, il l'appela :« Mon père ! »

Deux jours plus tard, sur l'insistancedu roi, Léonard acceptait de l'accom¬pagner à Amboise, en France : Fran¬çois Ier y mettait à sa disposition lechâteau du Clos-Lucé.

Ainsi commence le long crépusculede la vie de Léonard. Avec l'aide de

son élève fidèle Francesco Melzi, l'ar¬

tiste va mettre en ordre tous ses écrits,ses recherches, ses dessins, afin de

constituer un « corpus », c'est-à-dire ungrand ouvrage encyclopédique oùseront résumées toutes ses connais

sances sur l'Antiquité, le Moyen Ageet son temps.

François Ier ne lui demande pointde travaux de peinture : il se contentede le voir et de l'écouter. « J'ouïs le

Roi dire écrira plus tard Celliniqu'il ne croyait point qu'il y eût aumonde un autre homme qui savaitautant que Léonard... et que celui-ciétait philosophe sublime. »

Pour se rendre agréable au roi,Léonard fait le projet d'une merveil¬leuse canalisation de la Loire, dessine

un château qui serait résidence royale,organise une grande fête où, à unmoment donné, un lion mécaniqueapparaît en rugissant sur la scène,

Photos© Giraudon, Paris

Deuxième version de Sainte Anne, la Viergeet l'Enfant datant des années 1 500 à 1510,

dont nous avons publié en page 27

la première version. Il s'agit, en effet,

de deux chefs-d'auvre complètement

différents dans leur composition et facture.

Pouvez-vous trouver l'aigle que Léonarda dessiné, consciemment ou non,

dans la draperie du personnage penché

de la Vierge Marie?

Voici le tableau sans doute le plus célèbre Wdu monde : la Joconde ou Mona Lisa *

avec son sourire énigmatique. Léonard

la peignit dans les premières années

du 16* siècle. Elle se trouve au Louvre.'«

à Paris. Elle a fait récemment

le tour du monde où des gens attendaient

souvent de longues heures pour l'admirer

pendant quelques secondes.

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Page 33: Léonard de Vinci

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Page 34: Léonard de Vinci

Le 2 mai 1519, Léonard agonisant croit,dans son délire, voir entrer dans sa chambre

le roi de France, François I".

Cette légende est immortalisée par un célèbre

dessin du peintre français, Ingres.

^ puis, quand le nom du roi est pro¬noncé, s'ouvre la poitrine avec sesgriffes et en fait jaillir toute une cas¬cade de lys de France.

Dans la paix d'Amboise, Léonard

revit, dans la solitude, son existencelaborieuse et note dans ses cahiers :

« Longue est toute vie bien dépensée. »Un milan volait au-dessus du châ¬

teau : c'était le printemps, le 2 mai

Photo © Anderson-Giraudon, Paris

34

CANON DES PROPORTIONS :

les proportions idéales du corps humain

telles que les voyait Léonard.

1519, et, dans la pénombre de sachambre, Léonard agonisait. Il croyaitvoir le roi accourir auprès de lui, le roiarrivait déjà dans la cour mais per¬sonne n'allait à sa rencontre : Léonard

voulait appeler et n'y parvenait pas.Ses lèvres parvinrent enfin à émet¬

tre un son rauque et indistinct. Melzise précipita, releva Léonard sur sesoreillers, lui passa un beau vêtement,celui-là même qu'il endossait quandFrançois Ier allait le voir. Et, dans

son délire, il semblait à Léonard quele roi entrait dans sa chambre, s'appro¬chait, l'embrassait en pleurant.

Ému, Léonard ferma les yeux.La légende (car il s'agit bien d'une

légende) est immortalisée par un célè¬bre dessin d'Ingres.

Mais si Léonard n'est pas mortentre les bras du roi, ce ne fut queparce que le roi se trouvait loind'Amboise : autrement, il serait accou¬ru au chevet de son Léonard et la

légende fût devenue vérité.Bruno Nardini

Page 35: Léonard de Vinci

Suite de la pege 18.

tude, les flûtes à bec ont, sur lescôtés, six trous que l'exécutant ouvreet ferme avec le bout des doigts pourproduire les différents sons de lagamme. Cependant, les flûtes à bec deLéonard sont curieuses.

Sur l'une ¡I y a deux larges fentessur le côté du tuyau ; sur l'autre, il ya une longue fente mince. Heureuse¬ment, nous avons un texte explicatif,dans la plus belle calligraphie de Léo¬nard, allant de droite à gauche : « Cesdeux flûtes ne changent pas leurhauteur de son par bonds, comme lefont la plupart des instruments à vent,mais à la façon de la voix humaine ;ceci est obtenu en déplaçant la mainde haut en bas comme on le fait avecle trombone, surtout dans le cas dutuyau, et l'on peut obtenir un huitièmeou un seizième de ton à volonté. »

Obtenir un huitième ou un seizième

de ton veut évidemment dire, en lan¬gage acoustique, atteindre les octavessupérieurs, et « déplacer la main dehaut en bas » ne signifie manifeste¬ment pas boucher les trous disposésd'avance, mais faire progresser lamain le long des fentes pour changergraduellement de ton, ou, comme ondit de nos jours, produire des glis-sandos.

Où a-t-il pu puiser l'idée ou l'imagede ses tuyaux à glissandos ? Il fautrépondre : dans la « voix humaine >,mais j'avoue que j'ai trouvé la solutionpar hasard et qu'elle m'a ensuite étéconfirmée par les propres écrits deLéonard. Le larynx constitue un mo¬dèle de nos tuyaux à glissandos et ilest à noter que Léonard appelle lelarynx « voix humaine », appliquantcette expression au mécanisme quiproduit également la voix.

Léonard dessina des larynx et destrachées (Collection Windsor) où nousvoyons immédiatement que l'ouverturesupérieure ressemble à celle d'uneflûte à bec.

Il y a cependant un défaut dansnotre comparaison : Léonard a attri¬bué, à tort, les changements de ton dela voix humaine au rétrécissement ou

à l'élargissement des anneaux cartila¬gineux de la trachée et n'a pas remar¬qué la fonction des cordes vocales du

-larynx. Cette erreur s'explique sansdoute par la difficulté technique dedisséquer le larynx qui est petit etfragile. (A ce propos, on pense queles dessins de Léonard avalent pourmodèle l'anatomie du b

Il n'en reste pas moins que la flûteà bec à glissandos de Léonard ouvrait,ou aurait pu ouvrir, de nouvelles pers¬pectives musicales ; c'est un Instru¬ment qui fonctionne bien (les modèlesque j'ai construits fonctionnent par¬faitement) et qui était calqué sur uneanalogie anatomique, celle du larynx,même si Léonard se trompait sur savéritable fonction. Nous avons ainsi

l'exemple d'un résultat positif reposantsur de fausses données.

Les Codex Madrid ne renferment

que quelques pages consacrées à lamusique, mais elles enrichissent consi¬dérablement notre connaissance de

l'intérêt que Léonard portait à cet artet à ses instruments, ainsi que notre

Une autre solution ingénieuse trouvée kpar Léonard pour résoudre le problème *des différents tons obtenus grâceà un seul tambour, telle qu'elle apparaîtdans un dessin (à droite) du CodexArundel. Tout comme une flûte, ce

tambour possède des trous sur ses côtés.L'auteur de cet article a reconstruit

l'instrument et découvert qu'en obstruantles différents trous tout en battant

du tambour, il pouvait effectivementobtenir des différences de ton.

1 2o ,

compréhension de cet esprit infatiga¬ble, si surchargé d'idées neuves, decomparaisons originales et d'inven¬tions techniques qu'il ne pouvait quenoter des idées fugitives, parfois sibrièvement que les détails importants,qu'il considérait évidemment commeallant de soi, ne sont ni soulignés niexpliqués dans ses commentaires.

Un des dessins du Codex Madrid II

représente une cloche évasée. Au lieud'un battant à l'intérieur, ce sont deuxmarteaux qui frappent le bord de partet d'autre. A gauche de la cloche setrouve un mécanisme comportant cequi semble être un jeu de quatre tou¬ches agissant sur une commande àregistres qui, à son tour, actionnequatre leviers se terminant par destêtes ovales.

A mon avis, ces têtes doivent êtredes étouffoirs. Le commentaire expli¬que : « Une seule et même clochefera l'effet de quatre cloches. Destouches d'orgue, la cloche étant immo¬bile et frappée par deux marteaux,elle aura des changements de tonscomparables à ceux d'un orgue. »

Ce qui, dans cette explication, estimportant sur le plan acoustique, c'estl'indication que la cloche est fixe,qu'elle ne branle pas, qu'elle estdépourvue d'un battant, contrairementaux cloches d'église, et l'affirmationque sont créés « des changements deson », ce qui signifie probablementdes changements de hauteur de sonet non de timbre. Ainsi, Léonard dutpenser que la partie supérieure de lacloche pourvue de zones annulairesproduirait des tons de différentes hau¬teurs s'ils étalent légèrement assour¬dis quand le bord serait mis en vibra¬tion par les marteaux.

Il est intéressant de noter qu'ici,Léonard, comme dans beaucoupd'autres de ses inventions musicales,

essayait d'obtenir d'un seul instrumentce qui, normalement, ne pouvait êtreproduit que par plusieurs ou par toutun jeu d'instruments.

Emanuel Wlntern/tz

A gauche, dessin du Codex Arundeldans lequel Léonard a combiné troistambours en un seul instrument. Il s'agitde trois caisses frappées par unmécanisme fixé à la gauche du tambour ;celui-ci devait produire un accord detrois tons. On a construit des modèles

sur la plupart des tamboursdessinés par Léonard ; ils ont tousparfaitement fonctionné.

Documents 'du Codex ArundelLondres

British Museum,

Le tambour ci-dessous appartientà la série dessinée par Léonard dansle Codex Arundel. Il s'agit là d'un nouvelessai destiné à combiner plusieurstambours en un seul instrument pouren tirer vraisemblablement un accord.

Malheureusement, le dessin de Léonard nenous permet pas de comprendrele rapport qui existe entre le corpsmême du tambour et les sortes

de cônes qui y sont insérés.

35

Page 36: Léonard de Vinci

CODEX DE MADRID

(suite de la page 14.)

Un exemple frappant de la manièredont Léonard passe de l'observationd'un phénomène particulier à une loiuniverselle nous y est donné. Ainsi, ilveut établir la « potenzia » (c'est-à-direla force motrice) d'une série de jetsd'eau giclant par des orifices de mêmesdimensions, mais à des hauteurs diffé¬rentes, d'un récipient plein d'eau res¬tant au même niveau. Léonard cons¬

tate que la force de chaque jet resteidentique.

Voici comment il explique le phé¬nomène : chaque particule d'eau,quand elle tombe, n'obéit qu'à sonpropre poids, et acquiert une impul¬sion qui devient force de percussionsi elle rencontre un obstacle sur sa

trajectoire.

Mais, au fond du récipient, une parti¬cule d'eau ne subit pas seulement sonpropre poids, mais encore le poids detoutes les particules situées entre elleet la surface. Si bien que, quand lesjets d'eau giclent par leur orificesrespectifs à des hauteurs différenteset tombent sur une même surface ho¬

rizontale, leur force de percussion de¬meure constante, parce que leur « po¬tenzia » est une somme du poids dela colonne d'eau qui était au-dessusd'eux et que la vitesse acquise pen¬dant la chute en dépend.

Aussi, plus l'une grandit, plus l'autrediminue, et vice versa. Zammattio sou¬ligne que la méthode et les conclu¬sions de Léonard correspondent authéorème énoncé en 1738 par DanielBernouilli, en d'autres termes, à l'équa¬tion fondamentale de l'hydrodyna¬mique. Telles sont les conclusions queLéonard était capable de tirer de laseule observation.

A propos de Madrid II on pourraitfaire bien d'autres commentaires. On

y trouve une note d'ores et déjà célè¬bre puisqu'elle a trait à la « Batailled'Anghiari », fresque que Léonard de¬vait exécuter pour la grande salle duPalais Vieux de Florence, quine survécut pas, et dont le cartonmême est aujourd'hui perdu. Léonardécrit : « Le vendredi 6 juin 1505, sur lecoup de la treizième heure, j'ai com¬mencé la peinture au Palais Vieux. Aumoment où je donnais le premier coupde pinceau, le temps se gâta ; le toc¬sin sonna pour appeler les gens è serassembler. Le carton se déchira, l'eause renversa et le vase d'eau qu'on ap¬portait se brisa. Brusquement, letemps étant ainsi gâté ce fut la pluieen grande abondance jusqu'au soiravec un jour sombre comme la nuit. »Certains considèrent cette proclama¬tion comme la marque du début de laBataille d'Anghiari. Cette Interprétationne me semble pas avoir de bases soli¬des. C'est une notation caractéristiqued'un événement météorologique excep¬tionnel.

Suit une longue liste d'ouvragesqu'il possède : 116 titres. C'est la pluslongue de celle qu'il ait relevée dansses manuscrits. Elle est pour nousune précieuse source de renseigne¬ments sur les auteurs qu'il choisissait.Il existe une autre liste, plus brève, de50 livres (les titres manquent). Elle

groupe les ouvrages d'après leursformes et leurs dimensions. Il s'agittrès probablement là d'une référenceaux manuscrits autographes de Léo¬nard lui-même.

Puis on trouve de magnifiques cartesen couleurs du Val d'Arno et de la

plaine de Pise, qui font partie des re¬cherches de Léonard pour détournerde Pise le cours de l'Arno, lors de laguerre avec Florence.

On peut les dater de l'été 1503. Ony voit aussi, à la sanguine, des cro¬quis de montagnes dont nous avonsparlé plus haut.

Un aspect de l'activité de Léonard,complètement ignoré jusqu'à la décou¬verte de ce Codex, est révélé par lesréférences répétées, autour de novem¬bre et décembre 1504, à son travailpour le port et la citadelle de Piombino.Il y a là tous les dessins qui se rap¬portent directement aux problèmesd'architecture et de fortification.

Une fois de plus, l'infatigable obser¬vateur de la nature a noté des remar¬

ques sur les courants, les vents et lesroutes de navigation ; il a dessiné desvoiliers, et leurs manduvres selon ladirection du vent. Souvent ce ne sont

là que rapides croquis, mais toujoursparfaitement évocateurs.

Suivent des dessins et des notes

sur le vol des oiseaux ; des descrip¬tions qui relèvent de problèmes de lapeinture, des commentaires sur la géo¬métrie, les proportions naturelles, millechoses encore : une masse prodi¬gieuse de notes. Cependant, le CodexMadrid II est plus qu'un manuscrit ;en fait, il en contient deux.

Les folios numérotés de 141 à 157

verso, constituent un fascicule totale¬ment indépendant, tout entier dévolu au« Grand Cheval de Milan » pour lemonument de Francesco Sforza (voirpage 37). Ce monument ne fut jamaisréalisé. Léonard poussa si longtempsses recherches qu'il se peut que leDuc ait fait couler des canons dans

le bronze qu'il lui réservait. Néan¬moins les études de Léonard, consi¬gnées dans ces pages, regorgent desolutions hardies et neuves.

Ensemble donc, les deux recueils deMadrid couvrent une longue période,de 1491, date que l'on trouve dans lefascicule consacré à la fonte du monu¬

ment équestre, à 1505, date du projetprimitif de la Bataille d'Anghiari. Pé¬riode même de la haute activité créa¬

trice de Léonard, qui recouvre sonexpérience milanaise et florentine sonrôle « d'ingénieur général », auprèsde César Borgia, et ses travaux d'in¬génieur attaché à des souverains lo¬caux, comme le Duc de Piombino.

Et surtout, la découverte des manus¬crits de Madrid intervient en un mo¬

ment où les études sur Léonard con¬

cernent plus les manuscrits que l'eu¬vre picturale.

Et de surcroit, des multiples aspectsdes manuscrits, ce sont surtout les

aspects scientifiques, techniques etmécaniques qui requièrent l'attention,en liaison avec l'intérêt toujours crois¬sant voué à ces domaines à l'époquemoderne, et avec le développement

sans cesse plus poussé de la scienceet de la technique. SI bien que lesétudes léonardiennes portent aujour¬d'hui au premier chef sur les manus¬crits et les divers travaux scientifiquesqu'ils recèlent.

La publication par les EditionsMcGraw-Hill des manuscrits de Ma¬

drid, en fac-similé, restitue l'éléganceet la beauté des originaux. Elle auraune place sans seconde dans le ma¬tériel dont disposeront et les spécia¬listes, et le grand public.

Anna Maria Brlzio

Documents © 1974, McGraw-Hill Book Co. (U.K )Limited, Maidenhead, Angleterre, etTaurus Ediciones, S A , Madrid, Espagne

Ces trois dessins montrent le soin avec

lequel Léonard étudia les problèmesposés par la fonte de sa gigantesque

statue de bronze. Jamais un tel monument

n'avait été coulé en une seule opération.Dans le manuscrit Codex Madrid II

(page suivante en haut) Léonarda esquissé le cheval ; il note la date,

20 décembre 1493, et écrit : « J'ai décidé

de mouler le cheval sans la queue en lecouchant sur le côté. » (En fait il

changera d'avis et décidera de le moulerla tête en bas. Voir page 38.)

Ci-dessus, esquisse du Codex Madrid II :elle indique comment

Léonard envisageait le transportde l'énorme moule jusqu'à la fosse

de coulée. Ci-contre, dessinde Madrid II indiquant

comment le moule devait être ouvert.

36

Page 37: Léonard de Vinci

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L'histoire du cheval géant

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N 1482, Léonard, brillant, sûr de lui, jeune ila trente ans envoie au duc de Milan, Ludovicle More, une lettre remarquable à plus d'untitre. Il y offre ses services d'Ingénieur et

d'architecte et, à la fin de la missive, pour éveiller l'intérêtde Ludovic, lui suggère d'entreprendre « l'érection du chevalde bronze en hommage éternel à la bienheureuse mémoiredu Seigneur votre père... ».

Il fait allusion à la statue équestre que Ludovic voulaitédifier à l'effigie de son père, Francesco Sforza.

Engagé comme ingénieur par Ludovic, Léonard consacraquelque dix années à préparer et établir les plans de cemonument, trouvant encore le temps de peindre La Cèneet de divertir la cour par des spectacles et des fêtes.

A l'origine, la statue de bronze devait être grandeurnature, mais la taille du monument augmenta à proportiondes ambitions et de la puissance de Ludovic. Finalementle cheval seul devait mesurer sept mètres de haut. Il auraitfallu cent tonnes de bronze pour le couler. Jamais aupara¬vant, pareil monument n'avait été envisagé.

Pour éviter les lignes de soudure qui défigurent les sta¬tues coulées en plusieurs pièces, Léonard voulait coulercette gigantesque sculpture en une seule opération. Maisles techniques utilisées à l'époque ne pouvaient convenirpour une coulée unique d'une telle dimension.

En mai 1491, un modèle du cheval, en argile et grandeurréelle, est achevé. Dévoilé en novembre 1493, dans lavieille cour de la résidence de Ludovic à l'occasion d'une

cérémonie de fiançailles, il devint l'une des merveilles deMilan. Mais le cheval ne fut jamais coulé. En 1494, le bronzedestiné au monument fut envoyé au beau-frère de Ludovicpour en faire des canons.

Des siècles durant, on ne put savoir si Léonard avait ounon résolu l'incroyable problème posé par la fonte d'unemasse aussi énorme. La réponse est aujourd'hui fournie parquelque vingt pages du Codex Madrid II, d'une lecture pas¬sionnante et où l'on peut voir Léonard s'interroger et réflé¬chir sur ce problème. En fait, ces notes prises par l'artistesont une sorte de traité sur les problèmes de la fonte. k

Léonard dessina la pose du cheval. Il en esquissa le r

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Page 38: Léonard de Vinci

Documents tirés de « Léonard de Vinci »©' McGraw-Hill Book Co. Maidenhead,Royaume-Uni, et Robert Laffont, Paris

Dessin du moule extérieur

du grand cheval,présenté en couvertureet provenant du Codex Madrid II

Les photos ci-dessuset à droite soulignent les similitudes

qui existent entre les procédésde fonte inventés par Léonard

et ceux utilisés deux siècles plus tardpour une statue de Louis XIV (en haut)

avec son réseau de tuyauxdans lesquels le bronze était coulé.A droite, page du Codex Madrid II ;

Léonard y représente la fossede coulée destinée à son cheval ;

ci-dessus,schéma du 1&> siècle

(vu d'en haut) représentant la fossede coulée utilisée pour la statue

de Louis XIV. La ressemblance entre

les deux fosses est évidente.

Léonard fit cette esquisseen bas de la page

de son manuscrit (à droite)après qu'il eut décidé de couler

son cheval la tête en bas.

(Voir illustrations page précédente).

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k moule. « Et ce moule peut être fait en un jour, écrit-il, lamoitié du chargement de plâtre d'un navire te suffira. Bien. »Il envisagea d'abord de réaliser la fonte en couchant lecheval sur le côté. Puis il changea d'avis et pensa qu'ilvalait mieux le couler la tête en bas. Il dessina les chevilles

qui devaient assembler le moule extérieur. Le manuscritest plein des idées qui jaillissaient de ce cerveau inventif.

Léonard rejeta le procédé de fonte traditionnelle dit« à cire perdue » : un modèle en cire est édifié autour d'unnoyau d'argile ; on applique alors un moule extérieur ; onchauffe la cire qui commence à fondre et à s'écouler, rem¬placée par le bronze en fusion. Inconvénient majeur de ceprocédé : le modèle original est irrémédiablement perdu.

La méthode de Léonard est beaucoup plus complexe.Bien qu'il n'en donne pas une description complète dans lemanuscrit de Madrid, on peut la reconstituer approximative¬ment. Elle consiste à modeler une maquette originale enargile et à en prendre un moule extérieur. Il faut ensuitetapisser cette empreinte femelle de cire ou d'argile et en

Page 39: Léonard de Vinci

faire un moule mâle en terre refractaire que l'on fait cuire.On enlève alors la cire ou l'argile et, dans l'espace laissévide entre les deux moules, on coule de la cire pour obtenir

une empreinte de l'original. On élimine toutes les imperfec¬tions de ce modèle de cire et on en fait un nouveau moule

femelle en terre réfractaire.. Chauffée, la cire s'écoule ; onenlève le moule extérieur, le renforce et le rajuste sur

l'empreinte mâle. Le bronze peut alors y être coulé.Tel était le nouveau système inventé par Léonard. Les

circonstances historiques ne lui permirent pas de le mettreentièrement en pratique. Le grand cheval d'argile connut,lui aussi, une triste fin. En 1499, lors de la conquête de

Milan par les Français, les archers se servirent du chevalcomme d'une cible. Celui-ci se fendit, pour finalement

tomber en morceaux. Le moule aussi fut perduIl est intéressant de noter qu'en 1699, lors de l'érection

d'une grande statue équestre de Louis XIV à Paris, onutilisa à peu près les mêmes procédés de moulage et defonte que ceux inventés par Léonard deux siècles plus tôt

Pleins d'innombrables dessins

de chevaux, les manuscrits

de Leonard attestent l'inlassable étude

qu'il poursuivait de leurs différentespostures et attitudes.

Il réussit à les esquissersans en altérer les qualités.Plusieurs dessins, comme cette étude

de la patte antérieure(Collection Windsor, Angleterre),indiquent la précision qu'il y apportait,allant jusqu'à diviser leurs membrespour mieux en noter les mensurations.

Page 40: Léonard de Vinci

^Lo^e

Document © 1974 Giunti-Barbera, Florence et Johnson Reprint Corporation, New York

par Eugenio Garin

LA vie de Léonard de Vinci a été

longtemps celle d'un infatigablevoyageur. Très tôt, dans le cli¬mat artistique stimulant de Flo¬

rence, son extraordinaire curiosité

pour les gens et les choses le poussetoujours « ailleurs ».

En 1482, à l'âge de trente ans, ilquitte Florence pour entrer commeingénieur au service de Ludovic leMore, car à l'époque les artistesétaient considérés comme des artisanset des techniciens et il était courant

qu'on leur demandât de participer et detravailler à des questions d'ordre scien¬tifique ou technique.

Autour de 1490, une période de bou¬leversements et d'instabilité commence

en Italie. Laurent le Magnifique meurtà Florence, Savonarole y lance sonexpérience républicaine. La France(imitée par l'Espagne et l'Autriche)envahit l'Italie. Il y a crise au duchéde Milan.

Au milieu de ces troubles, Léonardcommence par travailler pour les Fran¬çais ; il erre ensuite d'une ville ita¬

lienne à l'autre : à Mantoue, où Isa¬belle d'Esté réunit une cour splendide ;à Urbino, où il est reçu par CésarBorgia ; à Rome aussi.

Finalement, en 1516, il arrive enFrance, sur l'invitation du roi Fran¬çois Ier. Quand il meurt, trois ans plustard, c'est un homme qui a approchéet servi les personnages les plus

EUGENIO GARIN est titulaire de la chaire

d'histoire de la philosophie à l'Université deFlorence. Internationalement connu pour sesétudes sur la civilisation de la Renaissanceet la pensée médiévale, il a consacré d'im¬portants travaux à la culture Italienne du10a siècle.

exceptionnels de son temps et qui avécu une période de renaissance artis¬tique et culturelle unique en Europe.

Et pourtant, on peut s'aventurer àdire que la figure de Léonard est unefigure tragique. C'était un homme seul.Enfant naturel, il n'avait pas de famille,pas de statut social. Il voyait s'acheverun monde dont les valeurs spirituelless'écroulaient sous la poussée d'événe¬ments aveugles. Au milieu des guerreset des tourmentes, il poursuit inlassa¬blement sa quête. Sur tout cela,l'ombre de la mort. « Je croyais appren¬dre à vivre, écrit-il amèrement, j'appre¬nais à mourir. »

Le lien qui unissait naguère l'hommeà la cité était rompu. Le sens civiqueétait en pleine décadence. Le pouvoirpolitique était passé en Italie auxmains d'oligarchies puissantes et detyrans, parfois géniaux et parfois bor¬nés. L'intellectuel n'est plus le clercd'autrefois. A l'époque de Léonard,c'est un laïc qui se considère d'abordet surtout comme un technicien prêt àoffrir ses services à qui voudra bienles employer. Léonard, par exemple,était prêt à bâtir pour le Sultan otto¬man un pont au-dessus de la Corned'Or, d'Istanbul à Galata. Se désignantcomme « l'infidèle nommé Léonard »,il lui écrit : « Moi, ton serviteur, j'aiouï dire que tu entendais construire

ce pont, mais que tu ne pouvais lefaire faute d'homme capable de l'entre¬prendre. Or moi, ton serviteur, je saisfaire ce pont et le construirai. »

Léonard travailla également pourd'autres souverains. Il entreprit debâtir une forteresse pour César Borgiaet une cité modèle pour le ducplus ou moins légitime de Milan,Ludovic le More. Il sait encoreconstruire des machines de toute

espèce, pour descendre en vol du hautdu mont Ceceri, ou circuler sousl'eau ; des machines créant de mer¬

veilleux spectacles pour des fêtes, desmachines pour détruire l'ennemi, etpeu importe qui sera cet ennemi. Encette époque d'ailleurs, le politicienn'est guère différent de l'ingénieur :il est, lui aussi savant un expert.Ainsi Machiavel.

Dans ce douloureux contexte, Léo¬nard va, toute sa vie, chercher sansrelâche une harmonie suprême qui sedérobe toujours. Aussi, sa légendenaquit-elle très tôt.

Dans la première édition de sesVies (1550), Giorgio Vasari lui donnedéjà toute sa portée et tout son lustre.Trente ans après la mort de cet hommeexceptionnel, une auréole nimbait déjàson image : ce sont des astres favora¬bles qui ont présidé à sa naissance etil meurt dans les bras de François Ier,roi de France : « Et comme si son mer¬

veilleux esprit avait compris qu'il nepouvait recevoir plus grand honneur, ilexpira entre les bras du roi. » C'estdélibérément que l'historien inventeune scène propre à frapper les imagi¬nations : le pouvoir absolu rendanthommage à la pensée souveraine.

Vasari campe un Léonard fas¬ciné par les sciences, scrutant pas¬sionnément les mystères de la nature,une espèce de mage ou de sorcier :« Ses recherches capricieuses leconduisirent à la philosophie naturelle,à l'étude des propriétés des plantes,à l'observation assidue des mouve¬

ments célestes, des orbites de la lune,de l'évolution du soleil. » Vasari

ajoute : « Et il se forma dans sonesprit une doctrine si hérétique, qu'ilne dépendait plus d'aucune religion,tenant peut-être davantage à être phi¬losophe que chrétien. »

Ce portrait est, d'ailleurs, parfaite¬ment fidèle à ce que Léonard écrivaitde lui-même. Plus tard, en 1568, quandVasari réédita ses Vies, dans le climattroublé qui suivit le Concile de Trente,il atténua nettement l'accent mis sur la

divinité » de l'homme, significativede la rhétorique du 15e siècle.

Pour lui, Léonard avait incarné un

modèle idéal, le type d'homme conçupar les philosophes de l'entourage deLaurent le Magnifique. « On voit lesinfluences célestes faire pleuvoir lesplus grands dons sur les êtres humainspar une opération qui semble parfoismoins naturelle que surnaturelle ; alorss'accumulent, sans mesure, sur unseul homme, la beauté, la grâce, letalent, de telle sorte que, où qu'il setourne, chacun de ses gestes est sidivin qu'il fait oublier tous les autreshommes et révèle clairement son

origine véritable, qui est divine et nedoit rien à l'effort humain. C'est ceque l'on a vu en Léonard de Vinci. »

Ainsi, Vasari ne faisait-il que tra¬duire à sa manière, dans la perspec¬tive de son temps, l'homme que Léo¬nard lui-même avait voulu être : non

40

Page 41: Léonard de Vinci

Photo Courrier de l'Unesco

Près de cinq cents ansavant le roulement à

billes moderne, Léonard

imagina et mit au pointson propre roulementà billes (ci-contre, duCodex Madrid I) quiressemble à s'yméprendre auxroulements à billes

d'aujourd'hui (en hautà gauche). Pour éviterque ces roulements« ne se touchent au

cours de leurs

mouvements, rendantce mouvement plusdifficile », il les isoladans une cage annulaireoù ils peuvent tournerlibrement. Document

en haut de la pageprécédente :représentationgraphique du CodexAtlanticus chiffrant

l'effort de traction

exercé par un b

Document © 1974. McGraw-Hill Book Co.(UK) Limited Maidenhead, Angleterre,et Taurus Ediciones, S.A., Madrid, Espagne

pas le portrait que Léonard avaitdonné de lui, mais le personnage qu'ils'était construit avec soin.

Puisque l'artiste, et particulièrementle peintre (Léonard se voulait peintreavant tout) doit reproduire les élémentsdu réel, il doit aussi connaître tout cequ'il entend représenter s'il veut êtredigne de son art. C'est-à-dire, connaî¬tre tout ce qui existe en ce monde.Tout. Les racines les plus profondes,

les lois, la genèse de ce tout. Si l'onnéglige ce principe fondamental de lapensée de Léonard, sa quête perpé¬tuelle demeure incompréhensible.

Léonard est, à cet égard, parfaite¬ment clair : le peintre doit être lemaître universel », capable d'imiter »par l'art « toutes les qualités desformes que produit la nature ». Et c'estpourquoi il importe qu'il ait « avant ^tout dans son esprit- », toutes les r

41

Page 42: Léonard de Vinci

k formes ; qu'il connaisse les causes de- tout ; que son intelligence maîtrise les

forces et les éléments ; qu'il sachefabriquer techniquement toutes ma¬chines et tous Instruments qui per¬mettent de reproduire et de dominerle réel. « Le peintre rivalise avec laNature, proclame Léonard, il en est leMaître et le Dieu. »

On a' remarqué que la masse d'élé¬ments rassemblés et consignés parLéonard dans ses singuliers manus¬crits donne à croire qu'il visait àconstituer une véritable encyclopédiedu savoir. Tel était probablement sonpropos.

L'idée n'était pas neuve. Léonardpossédait les encyclopédies du MoyenAge, et \'Histoire Naturelle de Pline,fort célèbre pendant la Renaissance.Il connaissait parfaitement ces ouvra¬ges et il était plus qu'il ne l'avoue,au fait de l'état des « sciences » de

son époque.Mais son point de vue est parfaite¬

ment original : il n'entend point colla-tionner des thèses ou des idées, desnouvelles, des faits, voire des casétranges ou curieux, à seule fin deconnaître et de méditer. Son but, c'estde « faire », il veut créer, être « Maîtreet Dieu » de la nature. Aussi vise-t-il

au-delà des apparences : il cherche àappréhender les forces profondes quiagissent sur les sens.

Il veut reproduire, pour le specta¬teur, les effets que provoque le réel.Il veut restituer ce réel transfiguré,renouvelé. C'est pourquoi il doit s'en¬foncer jusqu'aux racines du visible etsaisir les effets sensibles que produi¬sent les ¡mages.

Pour obtenir tous les effets pos¬sibles de la lumière, il faut étudier cequ'est la lumière elle-même, lesrayons lumineux et leur qualité, leslois de la propagation de la lumière,le fonctionnement de l'Bil et les carac¬

téristiques de la vue. De même quepour peindre ou sculpter le corps

Document © 1974 Giunti-Barbera, Florence etJohnson Reprint Corporation, New York

La célèbre machine à aiguiser les aiguilles,dessinée par Léonard sur une page duCodex Atlanticus. Il espérait que cettemachine lui rapporterait « 60000 ducats paran », mais il semble qu'elle ne futjamais construite.

humain, il faut avoir minutieusementpratiqué la dissection des cadavres,être passé maître en anatomie, et deplus avoir étudié les mouvements desmuscles et tout l'ensemble des mouve¬

ments de l'être vivant.

De même, pour peindre le macro-cosme l'univers il faut apprendrel'anatomie de l'univers en son tout,scruter ses textures les plus subtileset, de plus, tous ses mouvements,toutes ses apparences.

Les manuscrits de Léonard sont de

merveilleux fragments de cette grandeencyclopédie toute nouvelle fondée,non pas sur des textes ou des discus¬sions d'écoles, pas davantage sur uneexpérience superficielle, mais à traversune exploration en profondeur descauses secrètes, des nombres, desmesures, des lois, des forces élémen¬taires, exploration qui permet deremonter ensuite à la surface des cho¬

ses, à une expérience dont on connaîtdésormais les causes et qu'il est doncpossible de maîtriser, transformer,modeler.

Une telle encyclopédie est sembla¬ble à une grande étude anatomlque etphysiologique de l'univers. Si l'hommeest un univers en réduction (micro¬cosme), qui rassemble en lui-mêmetout ce qui se trouve dilaté dans leréel, l'univers lui-même est pareil àun grand être vivant (macrocosme).Comme le sang, l'eau qui circule par¬tout lui donne la vie, et les « causes »

c'est-à-dire les lois mathématiquesen sont l'âme.

Dans cette encyclopédie, tous les'chapitres trouvent tout naturellementleur place : optique, mécanique,hydraulique, anatomie, biologie, phy¬siologie, cosmologie. Viennent ensuiteles machines grâce auxquelles l'hommerivalise avec la nature.

Enfin, sommet et couronnement detout l'édifice, la science du peintre, quiest pour ainsi dire une métaphysiqueet une morale. Par l'art, en effet, unnouvel univers naît dans l'univers : le

monde de l'homme « créateur », celuidu poète ; un monde qui triomphe dumonde réel.

Il est clair qu'une telle conception,si elle trouve en Léonard une expres¬sion singulière, ne commence pas aveclui. Dans les milieux où s'écoulent les

trente premières années de sa vie, pré¬cisément, d'éminents artistes avaientreçu une formation très complexe,riche d'éléments scientifiques aussibien que littéraires.

L'Italie avait connu des esprits ency¬clopédiques, comme Pic de la Mirán¬dole et Léon Battista Alberti ; maisces hommes demeurèrent leur viedurant fidèlement attachés à leur cité.

Léonard, lui, ignore complètement cet

attachement ; son savoir dépasse lesfrontières civiles et sa science trans¬

cende les allégeances idéologiques ounationales.

Léonard n'a plus aucun traitcommun avec les « dignitaires »humanistes, les doctes enracinés

dans leurs cités, les artistes prochesd'une cour ou, du moins, d'un mi¬lieu particulier. Comme son savoiret les mathématiques lui sont unepatrie, c'est l'univers qu'il a pour patrie.Les constructions' qu'il envisage inté¬ressent le duc de Milan comme César

Borgia, le roi de France aussi bien quele sultan : elles sont inscrites en carac¬

tères géométriques dans le grandlivre de l'univers. Science et techniquen'ont pas de patrie ni d'église.

Pour comprendre le détachement deLéonard, sa façon de passer de villeen ville, d'offrir ses * secrets » auxsouverains les plus divers, il faut levoir sous cet angle. Et ses « secrets »n'étaient pas, ou pas seulement, despeintures sublimes : c'étaient des ins¬truments de guerre, des armes, donc.Mais les armes ne sont que machinesoù se manifeste la science de l'homme,sa vocation de se vouloir l'interprèteet le seigneur de la nature : « desinstruments » ni bons ni mauvais, maisefficaces, c'est-à-dire répondant à cequ'on attend d'eux.

Et c'est bien là, dans cette « abstrac¬tion » de savant et de technicien, queLéonard rejoint Machiavel, conver¬gence bien plus importante que leséjour, d'ailleurs significatif, qu'ilsfirent l'un et l'autre à la cour de César

Borgia, à Urbino.La synthèse qu'opère Léonard trouve

son couronnement, on l'a dit, danscette « peinture » qui, chez lui, secharge de significations tout à fait par¬ticulières. L' du peintre dominele processus du savoir : point d'arrivéede la connaissance scientifique enmême temps que point de départ del'activité créatrice. En fait, il ne s'agitnullement de deux points dissociables,mais d'un moment unique dont l'artisteest le lieu, et où savoir et faire serencontrent. Mieux encore, où le savoirse transforme en faire.

Si Léonard exalte le peintre, cen'est pas par hasard, car il est tou¬jours porté à privilégier, sur le plan dela connaissance, l' et la vue, ainsique tout ce qui a rapport à l'image. :et c'est en termes visuels qu'il exprimeses conceptions. « Le talent du peintrese doit d'être pareil à un miroir », etil lui faut accueillir « toutes choses

qui vont » des formes extérieures auxqualités et essences profondes et auxstructures géométriques élémentaires,lesquelles se situent aux racines del'expérimentation et permettent de lacomprendre. D'où la valeur des ma¬thématiques face aux sens (« aucuneinvestigation humaine ne saurait êtredite science véritable, sauf si ellepasse par l'investigation mathémati¬que »). D'où la valeur « philoso¬phique de la peinture. « 0ui méprisela peinture n'aime point la philoso¬phie... La peinture est elle-même philo¬sophie. La meilleure preuve c'estqu'elle saisit le mouvement des corps

42

Page 43: Léonard de Vinci

Léonard a rempli sescarnets d'un très grandnombre de dessins,

depures et de plansd'architecture pour sa

Cité idéale ». Dans un

manuscrit de l'Institut de

France, Paris, (manuscrit B).Léonard écrit

qu'un . edifice devraittoujours se detacher detous côtés pour qu'on voitbien sa vraie forme . Ce

souci s'accompagne d'unevolonté d'en faciliter

l'accès par des escaliers

privés et bien disposés :en haut à droite, quadrupleescalier desservant un

immeuble et, ci-dessus,

escalier en colimaçon eta double révolution destiné

à la Cité ideale ».

Dans le Codex Madrid II.

où abondent etudes et

esquisses architecturales.

Leonard a applique ce

principe des dégagementset de l'escalier privés àla construction d'un

château fort, pourpermettre au maitre deslieux de contrôler toute

la forteresse

dans la spontanéité de leurs actions ;et la philosophie de même... »

Ces deux aspects de l'activitéhumaine, savoir et faire, « voir » et« créer » ne peuvent donc être sépa¬rés : le cercle science-technique-art,voir-faire, est essentiellement unitaire.

Créer et fabriquer des machines,pour Léonard, c'est poser plusieursproblèmes : 1) l'impossibilité de dis¬socier le moment technique et lemoment scientifique, lié à la struc¬ture mathématique de toutes choses;2) l'idée générale que le squelette deschoses peut être réduit à un modèlemécanique ; 3) la liaison profondeentre vie et mécanique ; 4) la recher¬che de modèles sur le plan de l'opti¬que (« l' dans ses activités, setrompe moins que tout autre sens »).

On le voit, si l'intérêt de Léonard

pour la « machine » est très fort, on setromperait lourdement si on n'intégraitcet intérêt dans la conception que Léo¬nard a du mondé : la machine n'est

qu'un moyen entre la vie vivante tellequ'on l'expérimente telle qu'on lavoit et les « causes » mathémati¬

ques qui régissent tout, les lois quis'expriment par dès nombres, des figu¬res et des corps géométriques.

Il s'ensuit que, sur la base des loisainsi découvertes, on pourra non seu¬lement construire (« d'abord mentale-

Photos O Institut de France, Pari!

£VSLéonard a conçu et dessiné une étableavec mangeoires automatiques qui neparaîtrait pas démodée dans uneexploitation agricole du 20e siècle(ci-dessous, dessin d'un manuscrit del'Institut de France). Le foin entassé dansle grenier est conduit vers les mangeoiresgrâce à des « entonnoirs étroits en hautet larges au-dessus de la mangeoire ».Il envisagea la construction d'une écuriede près de 70 mètres de long et capabled'abriter cent vingt-huit chevaux.

Page 44: Léonard de Vinci

Ci-dessous, détail du plan de la « Citéidéale dessiné par Léonard (manuscrit« L », Institut de France, Paris) avec sesdeux niveaux inférieur et supérieur ;en bas, maquette moderne de cette citéréalisée d'après les plans de Léonard etconservée à Milan. Commentant son plan,Léonard écrit : « Dans les rues hautes

ne doivent circuler ni charrettes, ni autresvéhicules, mais seulement des gens dequalité ; dans les rues basses doiventcirculer les charrettes et chargementsutilitaires de la population. » Pourconstruire sa ville, Léonard obéità des buts sociaux et

hygiéniques et non plus, comme la plupartde ses contemporains, à des impératifsmilitaires.

iniMQaûQ

Un des projets grandioses de Léonardétait la construction d'un pont quienjamberait le Bosphore entre Istanbul etGalata. Il en proposa la construction ausultan Bajazet II. Ci-contre : schémade ce pont dans un manuscrit de l'Institutde France, vu de dessus et en élévation ;la note de Léonard précise sa longueur :350 mètres. La maquette (en bas à droite)exécutée par un savant suissecontemporain, D. F. Stiissi, a prouvé que lesplans étaient techniquement réalisables.Photo T) Musée des Sciences et des Techniques.Milan

¡. "*V* v^TOflf

44

ment, puis avec les mains ») des ma¬chines merveilleuses, mais aussi fairedes expériences visibles grâce à desouvres d'art créatrices d'harmonies

bien proportionnées »).On retrouve ainsi l'unité profonde de

l'encyclopédie de Léonard, chez qui ilserait absurde de séparer science,technique et art. L'erreur de Vasariétait justement de rompre, ou plutôtde mal comprendre, ce nbud. Il per¬dait du même coup la significationd'une muvre qui, à la fin, lui paraissaitosciller entre folie et incohérence. « Il

se préoccupait fort des choses philo¬sophiques et en particulier de l'alchi¬mie... Il se livra à toutes sortes de

folies de ce genre, s'occupa de miroirs,et expérimenta des méthodes trèscurieuses pour trouver des huiles àpeindre... A n'en pas douter, son intel¬ligence de l'art lui fit commencer beau¬coup de choses et n'en finir aucune,comme si la main ne pouvait pasatteindre à la perfection dont il rêvait :il concevait des difficultés si subtiles

et si étonnantes, que ses mains, sihabiles qu'elles fussent, n'auraient pules révéler. »

Vasari nommait tout cela des

« caprices ». Or c'était la rechercheIncessante d'un centre unificateur de

l'expérience humaine, d'un sens deschoses, d'une place de l'homme dansle monde ; c'était le départ inquietd'une ère nouvelle ; c'était une manièretoute neuve d'entendre l'art et lascience.

Dans ces milliers de feuillets, dansl'enchevêtrement vertigineux de frag¬ments d'une prose très étudiée, dansces dessins d'étranges machines etd'anatomies subtiles, tous marquésd'une grâce recherchée, chacune despages manuscrites de Léonard est véri¬tablement témoignage et symbole,non seulement de tout ce quel'humanité rêve et poursuit depuistoujours, mais aussi, d'une façon toutà fait nouvelle, de concevoir la tâchedes hommes : une quête sans fin pourmaîtriser une réalité fuyante.

Et c'est à dessein que l'on a insistéici sur le raffinement extrême (qu'ils'agisse de son écriture ou deson indignation contre les gens delettres), d'un homme qui était lui-mêmele plus fin des lettrés si l'on en jugepar la richesse de la bibliothèque per¬sonnelle dont l'inventaire figure parmiles manuscrits conservés à Madrid.

Chaque « caprice » est justifié par lacertitude.de la fragilité de l'homme etde son Et c'est peut-être làqu'est la marque, et le secret, del'actualité de Léonard : avoir compriset exprimé, avec une efficacité singu¬lière, l'insécurité énigmatique del'homme, le mystère de sa condition etde son destin, au moment même oùparaissent s'affirmer les possibilitésimprévues et imprévisibles de lascience et de l'art.

Eugenio Garin

Page 45: Léonard de Vinci

LA GLOIREpar Carlo Pedretti

Réflexions

sur la peinturerévélées parle Codex Madrid II

DE PEINDRE

Photo Anderson-Giraudon, Pans

Les conceptions de Léonard sur l'artse trouvent exposées dans les idées qu'il notaentre 1491 et 1505 dans le Codex Madrid II.

Il y accorde une place particulière à ses théoriessur la lumière et surtout sur la forme

du corps humain.Il critique les « figures sèches et ligneuses »,et applique la formule - sac de noix » et

botte de radis » à des nus - ligneux et sansgrâce ». Léonard s'en prend à plusieursartistes qui se seraient rendus coupables de cet abuset, dans le « Manuscrit E », à l'Institut de France,Paris (1513-1514), ces attaques apparaissent commedes critiques de nus peints par Michel-Angepour la chapelle Sixtine à Rome. Ci-dessus,nu à la sanguine exécuté par Léonardvers 1503-1504. Ci-dessus à droite,Adam et Eve chassés du Paradis, détail d'une

fresque de Michel-Ange pour le plafondde la chapelle Sixtine (1508-1510).

LES membres qui ne sont pas en mouvementdoivent. être dessinés sans faire saillir les muscles.Si l'on agit autrement, on aura imité un sac de noixplutôt qu'une forme humaine. »

Voilà l'une des notes de Léonard sur la peinture que l'onpeut lire dans le second des manuscrits de Madrid récem¬ment découverts et qui date des premières années du16e siècle.

Cette note est d'un intérêt considérable. Elle éclaire le

différend qui opposa Léonard au Michel-Ange de la Sixtine

CARLO PEDRETTI a consacré à Léonard nombre d'ouvrages, dont ledernier « Leonardo : A study m Chronology and Style « (Léonardétude chronologique et stylistique) a paru en 1973 aux Editions Thamesand Hudson, à Londres. Il est professeur d'histoire de l'art à l'Univer¬sité de Californie, Los Angeles (Etats-Unis). L'article ci-dessus estinspiré d'un chapitre de son livre « Notes on Painting in the MadridManuscripts » (Notes sur la peinture des Manuscrits de Madrid), quia paru en italien dans son ouvrage sur Léonard de Vinci publié en1968 par les Editions Giunti-Barbera, à Florence.

45

Page 46: Léonard de Vinci

Regard de l'ange de la Vierge aux rochers,oeuvre que Léonard peignit à Milan(Musée du Louvre).

k (dont Michel-Ange exécuta la décoration de 1508 à 1510) :pour Léonard, le corps humain n'est pas prétexte à exer¬cice de virtuosité anatomique, à exposition de muscles. Ildoit être ce qu'il est.

C'est en un moment décisif de sa carrière que Léonardécrivit cette réflexion parmi d'autres. Toutes nous renvoientl'écho des trouvailles inhérentes aux théories artistiquesdu « Cinquecento » (notre 16e siècle).

Ce n'est plus désormais à l'apparence des choses ques'attache Léonard mais à leur structure ; il en est doncvenu à un dessin qui fait fi des modèles aériens pourétreindre la forme : une forme que définissent les contoursprécis et les hachures qui la cernent avec une souplessecalculée. Ce n'est plus la grâce florentine de la fin duQuattrocento, mais un sens des proportions, d'accent plushéroïque, plus herculéen, que reflètent les études anato-miques de Léonard, celles des guerriers de sa Batailled'Anghiari, qui semblent s'accorder hommage silencieuxà Masaccio à l'exemple qu'avait donné le jeune Michel-Ange avec son David de 1501.

La forme s'exprime par le style, et par style, j'entendsnon seulement l'art de Vinci, mais sa pensée, telle qu'elles'exprime par des mots, car il y a une étroite affinité entreses écrits et ses dessins. Un texte déjà connu en faitfoi. Dans ce texte, Léonard dit au peintre comment fixerl'image des formes humaines en mouvement en ne mettanten 0uvre que des lignes essentielles : en somme, unemanière de sténographie.

« Pour faire une tête », dit Vinci, « tracez un O, pourun bras, une ligne droite ou courbe, et faites de mêmepour les jambes et le buste, et de retour à la maison,mettez ces notes pour mémoire en forme parfaite. »

Pour nous, nul besoin de la transcription de ces « notespour mémoire en forme parfaite », bien au contraire, notreuil est capable de saisir l'élan qui a guidé la main del'artiste et sans conteste il est séduit par le « signe »,

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Regard de la Joconde, ou Mona Lisa,peinture commencée vers 1501, à laquelleLéonard travailla plus de quatre ans(Musée du Louvre).

cette touche libre, abrégée, qui laisse le champ libre àl'imagination.

Les notes sur la peinture du second manuscrit deMadrid ne traitent pas seulement de la forme humainemais aussi des problèmes de la lumière, de l'ombre et dela couleur. Sur l'une des pages, Léonard réunit deux pro¬blèmes majeurs de la vision picturale : la représentationde la couleur « en perspective », c'est-à-dire de la couleurdes objets modifiée par l'atmosphère environnante et quivarie donc en intensité selon la distance des objets etle mouvement des personnages.

Dans le même manuscrit, ces problèmes sont étudiésplus longuement mais, alors que la perspective de lacouleur est traitée de façon si abstraite qu'on ne peutl'expliquer que dans le langage du diagramme, pour lemouvement des personnages des exemples sont donnéspar de rapides notations du corps humain.

Certaines d'entre elles rappellent les croquis pour laBataille d'Anghiari dessins d'une énergie proche dela frénésie, jetés d'un seul trait violent ainsi du croquisde la collection Windsor, où Léonard juxtapose le hurle¬ment expressif des hommes et des bêtes : lions et chevaux.Il s'agit là d'une pensée jetée sur le papier plus que ducheminement d'une idée de composition : ce qu'il cherche,c'est rendre la bestialité humaine dans la guerre.

Dans le second manuscrit de Madrid, on peut voir àquel point l'optique est étroitement liée à la peinture. Unexemple : « La surface de tout corps obscur participe dela couleur de l'objet qui lui est opposé. Mais les motifsverts prairies par exemple, et autres choses du mêmegenre doivent être disposés, pour l'accommodementartistique, en face des ombres de corps verts, de sorteque les ombres qui participent de la couleur de ce motifne perdent pas leur qualité et paraissent être l'ombred'un corps autre que vert ; car si tu poses un rouge

46 Sourire de l'ange de la Vierge aux rochers. Sourire de la Joconde.

Page 47: Léonard de Vinci

Regard de Saint Jean-Baptiste, peinturede Léonard exécutée vers 1509 (Musée du Louvre).

LA GRACE

Le visage et le corps humain sont définispar la lumière dans laquelle ils baignent :c'est là ce que précisent les notes duCodex Madrid II, dans lesquelles Léonards'attache à tous les jeux de réflexion et de réfractionde la lumière ambiante, et à ceux des ombrescolorées, comme essentielle « vérité des couleurs ».

D'où l'étonnante parenté des divers visagesqu'il peignit, et dont la macrophotographierévèle, notamment dans le regard et le sourire,l'unité de conception. A la vigueur du modelés'allient la profondeur du regard( la macrophotographie montre que les yeuxsont exécutés par passages de plansde plus en plus sombres) et le singulier,le mystérieux sourire (celui de la Joconde ainspiré des pages de commentaires).Dans le Codex Madrid II, Léonard conseilleau peintre un subtil fondu des ombres,« la grâce des ombres graduellement privéesde contours trops nets », livrant par là le secretde l'expression si délicatement nuancéequ'il sut donner à ses modèles.

Regard de la Belle Ferronnière, portrait de femmedont la célébrité est aujourd'hui éclipséepar celle de la Joconde.

lumineux face à l'ombre verte, cette ombre deviendrade l'ombre véritable du vert. »

Plus frappant encore, le conseil donné au peintre dejuxtaposer les couleurs « pour l'accommodement artis¬tique » afin d'atteindre à une harmonie, suscitée seu¬lement si la couleur de l'objet est conservée dans sonombre, « la vraie ombre » dit Léonard ; et si le peintreévite ce que Léonard nomme « des ombres très mau¬vaises », c'est-à-dire celles qui subissent le reflet d'unautre objet de couleur différente : ainsi d'un objet vertqui vient à produire une ombre rougeâtre.

Tous les éléments de la peinture de Vinci se trouventdans les théories exposées dans le manuscrit de Madrid.Outre les notes sur la forme et la couleur, il faut étudiercelles qui traitent de la lumière et de l'ombre et de la doucetransition de la lumière à l'ombre. C'est l'essence même

du fameux sfumato de Vinci. Les notes sur ce sujet sontnombreuses dans le manuscrit récemment découvert, maisil est intéressant de constater que chacune tient comptede l'élément couleur.

Lorsque, dans les premiers temps de son activité pictu¬rale, Vinci traitait du problème de la lumière et de l'ombre,il considérait les objets en tant qu'entités géométriques etse préoccupait surtout de la gradation des ombres et deleur degré d'intensité.

Après l'an 1500, il se soucie avant tout du jeu de lalumière et de l'ombre sur les objets en plein air, aussitient-il compte de la couleur et des reflets. La lumièredevient le véhicule qui fond les éléments du paysage enun passage harmonieux d'une couleur à l'autre. C'est ceque Vinci appelle la « grâce ».

Le corps humain devient, lui aussi, partie du paysage.(On ne peut s'empêcher de penser à la Joconde, à laVierge et Sainte-Anne, à Léda.) Il est donc soumis aux ,phénomènes de réflexion, de réfraction, et au jeu réci- ¿proque des ombres colorées, comme c'est le cas de r

Le sourire de Saint Jean-Baptiste. Le sourire de la Belle Ferronnière. 47

Page 48: Léonard de Vinci

n'importe quel objet placé sous la lumière du ciel. Cequi se produit sous la projection d'un toit se vérifie aussisous la projection du menton dans un visage humain.

L'une des plus belles observations de Vinci est cellequ'il a faite sur la façon dont le visage doit être représenté.Il conseille au peintre de composer le décor de façon àcréer les effets de sfumato les plus délicats dans lesombres, ce qu'il nomme « la grâce des ombres graduelle¬ment privées de tout contour trop net ».

Le décor est donné par les murs des maisons quibordent la rue, par où pénètre la lumière ; une lumière faited'air sans éclat, diffuse et dorée comme celle de Giorgione.

« La lumière », dit Léonard, « aboutit sur le pavé dela rue et rebondit par réverbération sur les parties ombreu¬ses des visages, les éclairant considérablement. Lefaisceau de cette lumière du ciel délimite les toits, quisurplombent la rue, et le rayon lumineux éclaire jusqu'auvoisinage ou presque de la naissance des ombresqui se trouvent sous les éléments du visage, et ainsi peuà peu va se changeant en clarté, jusqu'à finir sur lementon avec les ombres insensibles de chaque côté. »

On admet volontiers que Léonard était insensible à lacouleur et que, pour lui, la « gloire de la peinture » résidedans le fait qu'elle est capable de reproduire le modelé.Or la chronologie de ses notes sur la peinture montre que.cela peut, à la rigueur, s'appliquer à la première périodedes développements théoriques, quand son art était encorelié à l'enseignement de l'école florentine du Quattrocento.

Mais, après 1500, ses observations sur la couleur sefont de plus en plus aiguës, si bien que ses théoriesne sauraient s'appliquer à aucune des muvres qui sontparvenues jusqu'à nous. Qu'il suffise de mentionner cer¬tains effets de lumière violette, au coucher du soleil ;une lumière qu'il dit être « de la couleur du lis » etqui rend « la campagne plus charmante et plus gaie ».

« La beauté de la couleur », conclut Léonard, « tientaux lumières essentielles. » La lumière est prise commesymbole de la vérité, et la « vérité des couleurs », c'estleur beauté révélée par la lumière.

Ici, comme maintes fois ailleurs, ce qui nous fascinec'est ce que les Anglais évoquent lorsqu'ils parlent de« l'imprévisible Léonard ». Ce Léonard qu'on ne sauraitdeviner parce que ses notes ne sont rien d'autre quel'enregistrement d'une pensée mobile, si bien que ses

leçons de peintre n'ont pas la raideur de l'enseignementacadémique mais la fraîcheur d'une révélation.

Assez de commentaires, d'explications, d'interprétations.La parole de Vinci nous atteint avec une précision mathé¬matique, et pourtant elle nous révèle un espace qui s'ouvreau-delà de ses tableaux mêmes.

« Ce que je veux te rappeler, en ce qui concerne lesvisages, c'est que tu dois considérer comment, à diversesdistances, diverses qualités des ombres se perdent et queseules demeurent quelques taches principales, telles lacavité de l'eil et autres choses semblables ; et finalement

le visage reste obscur, parce que les lumières qui sont

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Tourbillons, ellipse, lunules : toute la girationvégétale dans ce bouquet d'herbes et de corolles.Détail d'une étude

pour Léda et le Cygne de Léonard.

Page 49: Léonard de Vinci

faibles comparées aux ombres qui sont moyennes, sontabsorbées par l'obscurité. Si bien qu'à une certaine dis¬tance, les qualités et l'intensité des lumières et desombres principales sont absorbées, et tout se confonden une ombre moyenne. Et voilà pourquoi les arbres ettous les objets paraissent, à une certaine distance, plussombres que s'ils se trouvaient proches de l'lil. A partirde cette obscurité, l'air qui s'interpose entre l'éil et l'objetrend cet objet plus clair, d'une teinte se rapprochant dubleu. Mais il bleuit plutôt dans les sombres que dans lesclairs, où la « vérité des couleurs » est plus visible. »

Carlo Pedrettl

Photo © tirée de l'ouvraqe de Ritchie Calder, Leonardo.Heinemann. Londres, 1970

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Tous les mouvements tourbillonnants ont

passionné Léonard. Il les saisissait partoutdans la nature. Il rapprochait les tourbillons d'eau,« respiration cosmique de l'océan », du lacde sang se ramifiant dans le corps humain.Il a rapproché l'eau et la chevelure. « Observe lemouvement de la surface de l'eau, comme

il ressemble à la chevelure, qui a deuxmouvements, dont l'un vient du poids des cheveux,l'autre des courbes des boucles.

Ainsi l'eau a ses boucles tourbillonnantes,

dont une partie suit l'élan du courant principal,et l'autre obéit à un mouvement d'incidenceet de réflexion. » Ci-dessus : Tourbillons etcourants d'eau.

Dessin de cheval hennissant, par Léonard,pour la Bataille d'Anghiari (1504), euvre disparue,et dont le carton même s'est perdu. Mais quantitéde dessins d'études que Léonard fit pourcette fresque sont parvenus jusqu'à nous.

Etude de coiffure pour Léda et le Cygne,sujet de mythologie grecque qui inspira à Léonardune peinture aujourd'hui disparueet dont nous ne connaissons le motif d'ensemble

que par une copie.

Page 50: Léonard de Vinci

MANUSCRITS DE LEONARD DE VINCI

(Suite de la page 7)

jusqu'à envisager une publicationcomplète des inédits. Mais Libri lecomte Libri, il est titré a de singu¬lières faiblesses. Il ne peut résisterà la tentation, et alors qu'il consulteles manuscrits de Léonard à l'Institut

de France, il en subtilise certainespages. Soins jaloux d'un savant qui seveut seul dépositaire des originaux ?Que non pas I Libri excelle à en fairecommerce. C'est ainsi que certainespages des manuscrits parviendront enAngleterre ; c'est ainsi qu'un peu plustard le petit Codex, ou recueil sur le« Vol des oiseaux », est acquis pour4 000 lires par le comte Manzoni, quile cédera ultérieurement à l'éminent

léonardiste Théodore Sabatchnikof. A

l'Institut de France, on s'inquiète : seulLibri a eu librement accès aux manus¬

crits « parisiens ». Libri se défendcomme un beau diable, mais les preu¬ves sont écrasantes. Il est condamné,par contumace, à dix ans de réclusion.Les pages passées en Angleterre sontrendues à l'Institut de France, alorsque Sabatchnikof, pour- sa part, consi¬gne le Vol des oiseaux » à la Biblio¬thèque de Turin, où il est encore.

La relation de tant d'aléas pourraits'arrêter là si, tout récemment, unenouvelle inouïe n'était venue boule-_verser le monde de la culture. On

annonçait officiellement en 1967 quedeux Codex de Léonard, que l'oncroyait perdus, venaient d'être retrou¬vés à la Bibliothèque Nationale deMadrid. Le premier moment de stupeurpassé, on se demanda comment cesdeux Codex avalent pu demeurer àMadrid.

Une fois encore, on put retrouver lafilière. On savait qu'après la mort dePompéo Léonl, une partie de l'ensem¬ble des manuscrits de Léonard qu'ildétenait avait été vendue en Espagne.L'un des acquéreurs était probable¬ment Juan de Espina, collectionneurmadrilène. Entre 1620 et 1630, le roiCharles Ier d'Angleterre, alors princede Galles, puis le Florentin VincenzoCarducci, étaient venus chez Espinapour voir ses collections. L'un etl'autre, entre maintes merveilles,avaient signalé deux livres « écrits etdessinés par le grand Léonard deVinci ».

Espina était mort en 1642, léguantau roi d'Espagne tous ses trésors, dontles deux recueils de Léonard qui entrè¬rent ainsi à la Bibliothèque du Palais,laquelle devait constituer, autour de1830, le fonds de la Bibliothèque Natio¬nale nouvellement créée. Il est plusque probable que les deux Codexretrouvés en 1967 ne sont autres queles deux manuscrits de Léonard quiappartenaient à Juan de Espina.

Dans un catalogue de la Bibliothè¬que Nationale de Madrid, imprimé au19e siècle, on trouve une référence à

deux « autographes » de Léonard deVinci. Mais aucun des spécialistes quien demandèrent communication ne putles obtenir, car aux cotes indiquées,on ne trouvait pas les autographes deLéonard, mais un recueil de Pétrarqueet une glose de Giustinlano.

A la fin du 19e siècle, un bibliophileflorentin, Tammazo de Marins, avait

£

Ce dessin du Codex Atlanticus laisse

penser que Léonard Imaginait une formede ski nautique. Quoiqu'il en soit, ceschaussures flottantes et les bâtons ne

furent jamais construits et nous ne savonspas quel matériau il comptait utiliserpour leur permettre de flotter.

Document © 1974 Giunti-Barbera, Florence etJohnson Reprint Corporation, New York

cherché à retrouver les manuscrits,mais en vain. A la Bibliothèque Natio¬nale de Madrid, on avait cru les ma¬

nuscrits perdus sans remède. Au20e siècle, des érudits tentèrent à leurtour des recherches. Rien. Ce fut en

1964 qu'un eminent spécialiste fran¬çais de Léonard, André Corbeau,signala qu'il était certain que lesmanuscrits étaient bien à la Bibliothè¬

que de Madrid et qu'en fait ils étaientmal répertoriés au catalogue. Là-des¬sus, les bibliothécaires se remirent àl'ouvrage. Au début de 1965, RamónPaz y Remolar, chef de la section desmanuscrits, eut une heureuse surprise.Les manuscrits étaient bien là. Non

aux cotes données (Aa 19 et 20), maisaux cotes Aa 119 et 120.

La découverte était d'importance. Onla communiqua, dans le monde savant,de bouche à oreille. En 1967, elle étaitconfirmée. Immense contribution à

l'étude de Léonard, ces manuscritssont enfin accessibles grâce à l'éditionen fac-similé des Codex Madrid I et //,préparée par les éditions McGraw-Hill,et qui paraîtra à l'automne.

Il importe enfin de signaler ce qu'ilest à peine exagéré de tenir pour une'autre « découverte », bien qu'elle aittrait à l'un des recueils de Léonard

fort connu : le Codex Atlanticus de la

Bibliothèque Ambrosienne de Milan.En 1962, à l'instigation du cardinal

Montini, alors archevêque de Milan, etaujourd'hui le pape Paul VI, était entre¬prise la restauration Intégrale du CodexAtlanticus. Les responsables de laBibliothèque Ambrosienne confièrentdonc le précieux recueil aux spécialis¬tes du monastère de Grottaferrata,près de Rome. Il s'agissait d'un travailconservatoire, mais bien plus encore

de parer dans la mesure du possi¬ble aux mutilations provoquées j>arla regrettable intervention de PompéoLéoni : dans la masse de papiers etde cahiers de Léonard, il avait ras¬semblé de manière passablement -arbitraire ce qui, selon lui, était relatif 'à la mécanique.

En guise de support aux feuilletsoriginaux, Pompéo Léoni avait utiliséde larges feuilles d'un papier blancassez épais (exactement du formatAtlas, 0,65 m sur 0,94 m, d'où la déno¬mination : Codex Atlanticus). Les feuil¬lets originaux de Léonard étaient deplus petites dimensions ; dessins ettextes étaient souvent tracés en pleinepage. Certains de ces feuilletsn'avaient été utilisés par Léonardqu'au recto, et parfois ne portaient auverso que quelques notes ou croquis...que Pompéo Léoni jugeait négligea¬bles I Si bien qu'il collait le feuilletoriginal au support. Quand Léonardavait dessiné et écrit sur le verso et

le recto, Léoni pratiquait, dans le sup¬port, une fenêtre qui permettait de voiret le recto et le verso. Quand Léonardavait utilisé des feuilles de grand for¬mat, Léoni les pliait en deux et collaitle verso d'une des moitiés, tout enpratiquant une fenêtre dans le support.

Tel était le traitement barbare queLéoni infligea aux manuscrits. Il eutde tristes conséquences : disparitiond'un grand nombre de versos portantdes textes autographes de Léonard ;disparition des marges encollées dansle support, marges dans lesquellesexistaient textes ou détails des des¬

sins ; arrachage de demi-feuillets, quifurent souvent perdus sans remède.

Il fallut dix ans de minutieux travail

aux spécialistes de Grottaferrata, maisle Codex Atlanticus connut une sorte

de renaissance. Les techniques lesplus modernes furent employées àGrottaferrata. Les originaux de Léo-

, nard furent lavés dans des prépara¬tions qui leur assurent désormais unemeilleure résistance aux atteintes du

temps. Aujourd'hui le Codex Atlanticuscomporte 1 068 pages réparties endouze volumes reliés.

Du Codex Atlanticus ainsi radicale¬

ment restauré, une édition en fac-similé de qualité parfaite a été aussitôtentreprise en Italie (en effet, il est horsde question de livrer l'original pourconsultation). Les premiers volumesen ont déjà paru, et la CommissionNationale Vincienne poursuit l'impres¬sion fac-similé, issue d'une techniqueraffinée et confiée aux éditions Giunti-

Barbera de Florence. Le document

intégral sera bientôt à la dispositiondes spécialistes.

Ainsi notre 20e siècle aura su parerau démantèlement dramatique del'héritage autographe de Léonard, etrestituer à l'humanité des trésors.

Paolo Galluzzl

50

Page 51: Léonard de Vinci

Vient de paraître

Trois siècles

d'hydrologiescientifique

123 pages 25 F. Quadrilingue :français, anglais, espagnol, russe.

Léonard de Vinci pensait que leseaux des mers étaient issues de

l'intérieur de la terre et s'élevaient

à hauteur de montagnes, pareilles ausang qui monte du corps vers la tête ;

Aristote croyait que les rivièresnaissaient dans des grottesoù l'air se transformait en eau ;

Les Chinois ont enregistrédes données météorologiques(pluies, neige, vents) qui remontentaussi loin que le 2e millénaire avantnotre ère ; en l'an 1000 av. J.-C. ils

utilisaient déjà des pluviomètres ;

Les Egyptiens, bien avant3000 av. J.-C, observaient les cruesdu Nil et savaient les prévoir.

I674

Three centuries of scienlilic hydrologyTrois siècles d'hydrologie scientifique

Tres siglos de hidrología científicaTpn BCKa nayMHOM rtupojiorHH

Ces quelques exemples témoignentde la place que l'eau a tenue dans lapréoccupation des hommes à traversl'histoire et dans le développementdes civilisations. Toutefois, en tantque science, l'hydrologie a pris

naissance en 1674 seulement avec les

études de Pierre Perrault qui ouvrirentla voie à nos connaissances actuelles

du cycle naturel de l'eau.

Cet ouvrage retrace l'évolutionde l'hydrologie et marque la fin de larécente Décennie hydrologiqueinternationale lancée parl'Unesco en 1965.

Nouveau manuel

de l'Unesco

pour

l'enseignementdes sciences

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l'Unesco, entièrement révisée etrefondue.

304 pages - 32 F.

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ALBANIE. N. Sh. Bocimeve Nairn Frasheri, Tirana.ALGÉRIE. Institue pédagogique national, 11, rue

Ali-Haddad, Alger. Société nationale d'édition et dediffusion (SNED), 3. bd Zirout Youcef, Alger. RÉP.FÉD. D'ALLEMAGNE. Unesco Kurier (Edition alleman¬de seulement) : Bahrenfelder Chaussee 160, Hamburg-Bahrenfeld; CCP 276650. Pour les cartes scientifiquesseulement: Geo Center, D7 Stuttgart 80, Postfach800830. Autres publications : Verlag Dokumentation,Postfach 1 48, Jaiserstrasse 13, 8023 Munchen-Pullach.RÉP. DÉM. ALLEMANDE. Deutscher Buch-Export undImport Gmbh, Lcninstr. 1 6, 701 Leipzig. AUTRICHE.Verlag Georg Fromme et C\ Arbeitergasse 1-7, 1051Vienne. BELGIQUE. Agent pour les publicationsde l'Unesco et pour l'édition française du « Courrier » :Jean De Lannoy, 112, rue du Trône, Bruxelles 5. CCP708-23. Edition néerlandaise seulement : N.V. Handel-

maacschappij Keesing, Keesinglaan 2-18, 2 100 Deurne-Antwerpen. BRÉSIL. Fundaçâo Getúlio Vargas,Serviço de Publicaçôes, Caixa postal 21120, Praia deBotafogo, 188, Rio de Janeiro, GB. BULGARIE.Hemus, Kantora Literatura, Bd. Rousky 6, Sofia.CAMEROUN. Le Secrétaire général de la Commissionnationale de la République fédérale du Cameroun pourl'Unesco B.P. N' 1 061, Yaounde. CANADA. Infor¬mation Canada, Ottawa (Ont.). CHILI. EditorialUniversitaria S.A., casilla 10220, Santiago. RÉP. POP.DU CONGO. Librairie populaire, B.P. 577, Brazzaville.

COTE- D'IVOIRE. Centre d'édition et de diffusion

africaines. Boîte Postale 4541, Abidjan-Plateau.DAHOMEY. Librairie nationale. B P. 294, Porto Novo.

DANEMARK. Ejnar Munksgaard Ltd, 6, Nôrregade,1165 Copenhague K. EGYPTE (RÉP. ARABE D').National Centre for Unesco Publications, N* 1 Talaat

Harb Street, Tahrir Square, Le Caire; Librairie KasrEl Nil, 38, rue Kasr El Nil, Le Caire. ESPAGNE.Toutes les publications y compris le Courrier : EdicionesIberoamericanas, S.A., calle de Oñate, 15, Madrid 20;Distribución de Publicaciones del Consejo Superior

de Investigaciones Científicas, Vitrubio 16, Madrid 6;Librería del Consejo Superior de Investigaciones Cien¬tíficas, Egipciacas. 1 5, Barcelona. Pour « le Courrier »

seulement : Ediciones Liber, Apartado 1 7, Ondárroa(Vizcava). ÉTATS-UNIS. Únese* Publications Center,P.O. Box 433, New York N.Y. 10016. FINLANDE.Akateeminen Kirjakauppa, 2, Keskuskatu Helsinki.

FRANCE. Librairie Unesco. 7-9, place de Fontenoy,75700 Paris. C.C.P. 12.598-48. GRÈCE. Anglo-Hellenic Agency 5 Koumpan Street Athènes 138.HAITI. Librairie « A la Caravelle », 36, rue Roux,B. P. 111, Port-au-Prince. HAUTE-VOLTA. UbrairieAttie, B P. 64. Librairie Catholique «Jeunesse d'Afrique »,Ouagadougou. HONGRIE. Akadémiai Konyvesbolt,Váci U. 22, Budapest V.A.K.V. Konyvtárosok Boltja,Népkoztarsagag utja 16. Budapest VI. INDE. OrientLongman Ltd..: Nicol Road, Ballard Estate. Bombay 1;17 Chittaranjan Avenue, Calcutta 13. 36a Anna SalaiMount Road, Madras 2. B-3/7 Asaf Ali Road, P.O.Box 386, Nouvelle-Delhi. Publications Section, Ministryof Education and Social Welfare, 72 Theatre Communi¬cation Building, Connaught Place, Nouvelle-Delhi 1.Oxford Book and Stationery Co., 1 7 Park Street, Calcutta1 6. Scindia House, Nouvelle-Delhi. IRAN. Commission

nationale iranienne pour l'Unesco, av. Iranchahr ChômaitN* 300, B P. 1 533, Téhéran. Kharazmie Publishing andDistribution Co. 229 Daneshgahe Str., Shah Avenue P.O. Box 1 4/1 486. Téhéran. IRLANDE. The EducationalC°of lr. Ltd., Ballymont Road Walkinstown, Dublin I2ISRAEL. Emanuel Brown, formerly Blumstein's Book¬stores : 35, Allenby Road and 48, Nachlat BenjaminStreet, Tel-Aviv. Emanuel Brown 9 Shlomzion HamalkaStreet, Jérusalem. ITALIE. Licosa, (Librería Commis-sionana Sansoni, S.p.A ) via Lamarmora, 45, CasellaPostale 552, 50121 Florence. JAPON. MaruzenCo Ltd., P.O. Box 5050, Tokyo International. 100.31.RÉPUBLIQUE KHMÈRE. Librairie Albert Portail,1 4, avenue Boufloche, Phnom-Penh. LIBAN. LibrairiesAntoine. A. Naufal et Frères, B P. 656, Beyrouth.LUXEMBOURG. Librairie Paul Brück, 22, Grand-

Rue, Luxembourg. MADAGASCAR. Toutes lespublications : Commission nationale de la Républiquemalgache, Ministère de l'éducation nationale, Tananarive.MALI. Librairie populaire du Mali, B.P. 28,Bamako. MAROC. Librairie « Aux belles images »,281, avenue Mohammed V, Rabat. CCP 68-74. « Cour¬rier de l'Unesco » : pour les membres du corps ensei¬gnant : Commission nationale marocaine pour l'Unesco20, Zenkat Mourabitine, Rabat (C.C.P. 324-45).MARTINIQUE. Librairie « Au Boul Mich ». 1, ruePernnon, 66, av. du Parquet, 972 - Fort-de-France.

MAURICE. Nalanda Co. Ltd., 30, Bourbon StreetPort-Louis. MEXIQUE. CILA (Centro inter americanode Libros Académicos), Sullivan 31-Bis, Mexico 4 D. F.,

MONACO. British Library, 30, boulevard

des Moulins, Monte-Carlo. MOZAMBIQUE. Salema &Carvalho Ltda caixa Postal, 1 92, Beira. NIGER. LibrairieMauclert, B.P. 868, Niamey. NORVÈGE. Toutes lespublications : Johan Grundt Tanum (Booksellers), KarlJohansgate 41/43, Oslo 1. Pour« le Courrier »seulement:A.S. Narvesens, Litteraturtjeneste Box 61 25 Oslo 6.

NOUVELLE-CALÉDONIE. Reprex S.A.R.L., B.P.1572, Nouméa. PAYS-BAS. « Unesco Kcerier »(Edition néerlandaise seulement) Systemen Keesing,Ruysdaelstraat 71-75, Amsterdam- 1 007. Agent pourles autres éditions et toutes les publications de l'Unesco :N.V. Martinus Nijhoff Lange Voorhout 9. La Haye.

POLOGNE. Toutes les publications : ORWN PAN.Palac Kultury i Nauki, Varsovie. Pour les périodiquesseulement : « RUCH » ul. Wronia 23, Varsovie 10.

PORTUGAL. Dias & Andrade Ltda, Livraria Portugal,rua do Carmo, 70, Lisbonne. ROUMANIE. I.C.E.Libri P.O.B. 134-135, 126 calea Victoriei, Bucarest.Abonnements aux périodique* Rompresfilatelia, caleaVictoriei nr. 29, Bucarest. ROYAUME-UNI. H. M.Stationery Office, P.O. Box 569, Londres S.E.1.SÉNÉGAL. La Maison du Livre, 13 av. Roume, B.P.20-60, Dakar. Librairie Clairafnque, B.P. 2005, Dakar;Librairie « Le Sénégal » B.P. 1594, Dakar. SUÈDE.Toutes les publications : A/B CE. Fntzes Kungl. Hovbok-handel, Fredsgatan, 2, Box 16356, 103 27 Stockholm,1 6. Pour « le Courrier » seulement : Svenska FN-Forbun-

det, Skolgrand 2, Box 150-50, S-10465 Stockholm -Postgiro 184692. SUISSE. Toutes les publications :Europa Verlag, 5, Ramistrasse, Zurich. C.C.P. Zurich VIII2383. Payot, 6, rue Grenus 1211, Genève 11, C.C.P.-12.236. SYRIE. Librairie Sayegh Immeuble Diab, ruedu Parlement. B.P. 704. Damas. TCHÉCOSLOVA¬

QUIE. S.N.T.L., Spalena 51, Prague 1 -(Exposition perma¬nente); Zahranicni Literatura, 1 1 Soukenicka, Prague 1.Pour la Slovaquie seulement : Alfa Verlag °ubhshers,Hurbanovo nam. 6, 893 31 Bratislava. TOGO. Librairie

Evangéhque, BP 378, Lomé; Librairie du Bon Pasteur,BP 1164, Lomé; Librairie Moderne, BP 777, Lomé.TUNISIE. Société tunisienne de diffusion, 5, avenue deCarthage, Tunis. TURQUIE. Librairie Hachette, 469Istiklal Caddesi; Beyoglu, Istanbul. U.R.S.S. Mezhdu-narodnaja Kniga, Moscou, G-200. URUGUAY.Editorial Losada Uruguaya, S.A. Librería Losada, Maldo-nado, 1 092, Colonia 1340, Montevideo. VIÊT-NAM.Librairie Papeterie Xuân-Thu, 1 85, 1 93, rue Tu-Do,B.P. 283. Saigon. YOUGOSLAVIE. JugoslovenskaKnjiga, Terazije 27, Belgrade. Drzavna Zalozba SlovenijeMestm Trg. 26, Ljubhana. RÉP. DU ZAIRE. LaLibrairie Institut national d'études politiques B.P. 2307,Kinshasa. Commission nationale de la Rép. du Zaïre pourl'Unesco, Ministère de l'éducation nationale, Kinshasa.

Page 52: Léonard de Vinci

,Xxxv "Regacde les petits sapins\\\\ de là Porta délia Giustizia"

'

* 0 ||'J

«J^lj

5*

Cette page du CodexMadrid II, manuäc',

retrouvé de Léon i

de Vinci, montre les

nouveaux projets demoulins à vent exécutés

par Léonard. Certains

(rangée du bas) ont des

voiles conçues pourtourner horizontalement.

En marge. Léonard agriffonné cette note pourlui-même : « Regardedemain matin si les petitssapins de la Porta délia

Giustizia [à Florence]peuvent servir à faire

ce moulin. >

Document © 1974, McGráw-H,,¡ ]Book Co. (U.K.) Limi' H, Maiden- jhead, Angleterre, et . aurus Edi-1ciones. S.A., Madrid, iispagne

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