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28 Annales de lUniversité Marien NGOUABI, 2010 ; 11 (3) : 28-51 Sciences Juridiques et Politiques ISSN : 1815 4433 www.annales-umng.org L’EMERGENCE DU PRINCIPE DE LA CONDITIONNALITE POLITIQUE EN DROIT INTERNATIONAL PUBLIC D. E. EMMANUEL Université Marien Ngouabi Faculté de Droit, B.P 69, Brazzaville, Congo RESUME La conditionnalité politique est un néologisme inventé par les institutions financières internationales, aujourd’hui consacré et sanctionné par le droit international public. Ce principe est notamment consacré par le Conseil de l’Europe, l’Union européenne, l’Union africaine et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest. Il soumet les Etats candidats à l’adhésion, les Etats membres et les Etats tiers au respect de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme. La conditionnalité politique est un principe sanctionné car les changements anticonstitutionnels de gouvernement et les violations massives des droits de l’homme conduisent à la mise en oeuvre de sanctions ciblées. Mots clés : Conditionnalité politique ; Souveraineté ; Etat ; Organisations internationales ; Démocratie ; Etat de droit ; Dro its de l’ h o mme ; S an ctio n s cib lées. ABSTRACT The political conditionality is a neologism that has been invented by international financial institutions, today recognized and sanctioned by the public international right. This principle is recognized notably by European Council, European Union, African Union and the Economic Community of West African States. It submits the candidate states, the member states and the other states to the respect of democracy, the legitimate state and the human rights. The political conditionality is a principle sanctioned because the anti-constitutional changes of government and the numerous of infringements of the human rights lead to the implementation of the targeted sanctions. Key words : Political Conditionality ; Sovereignty ; State ; International Institutions ; Democracy ; Legitimate State ; Human Rights ; Targeted Sanctions.

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D.E. EMMANUEL Ann. Univ. M. NGOUABI, 2010 ; 11 (3)

Annales de l’Université Marien NGOUABI, 2010 ; 11 (3) : 28-51Sciences Juridiques et Politiques

ISSN : 1815 – 4433www.annales-umng.org

L’EMERGENCE DU PRINCIPE DE LA CONDITIONNALITEPOLITIQUE EN DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

D. E. EMMANUELUniversité Marien Ngouabi

Faculté de Droit, B.P 69, Brazzaville, Congo

RESUME

La conditionnalité politique est unnéologisme inventé par les institutions financièresinternationales, aujourd’hui consacré et sanctionnépar le droit international public. Ce principe estnotamment consacré par le Conseil de l’Europe,l’Union européenne, l’Union africaine et laCommunauté économique des Etats d’Afrique del’Ouest. Il soumet les Etats candidats à l’adhésion,les Etats membres et les Etats tiers au respect de ladémocratie, de l’Etat de droit et des droits del’homme. La conditionnalité politique est unprincipe sanctionné car les changementsanticonstitutionnels de gouvernement et lesviolations massives des droits de l’hommeconduisent à la mise en oeuvre de sanctionsciblées.

Mots clés : Conditionnalité politique ;Souveraineté ; Etat ; Organisationsinternationales ; Démocratie ; Etat de droit ;Dro its d e l’ h o mme ; S an ctio n s cib lées.

ABSTRACT

The political conditionality is a neologismthat has been invented by international financialinstitutions, today recognized and sanctioned by thepublic international right. This principle isrecognized notably by European Council, EuropeanUnion, African Union and the EconomicCommunity of West African States. It submits thecandidate states, the member states and the otherstates to the respect of democracy, the legitimatestate and the human rights. The politicalconditionality is a principle sanctioned because theanti-constitutional changes of government and thenumerous of infringements of the human rights leadto the implementation of the targeted sanctions.

Key words : Political Conditionality ; Sovereignty; State ; International Institutions ; Democracy ;Legitimate State ; Human Rights ; TargetedSanctions.

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INTRODUCTION"Haussements de sourcils et

interrogations lorsqu’il est employé face à desjuristes"1, telles sont les réactions que suscite laconditionnalité politique. En effet, qu’est-ceque la conditionnalité politique ? Telle est laquestion que peut, légitimement, se poser toutinternationaliste en réaction à ce"néologisme"2, qui "fait flores dans le langageinternational"3. La montée en puissance de ceprincipe, jusque-là méconnu en droitinternational général, se manifeste notammentpar l’extension de son champ d’application del’Europe à l’Afrique et sa juridicisationprogressive. A l’origine, la conditionnalité estd’abord économique. Elle constitue"l’ensemble des mesures économiquescorrectives qu’un Etat s’engage explicitementà prendre en contrepartie au soutien financierqui lui est apporté"4 par les institutionsfinancières internationales5. Et, cette modaliténe se préoccupe pas du régime politiqueinstitué. Toutefois, les conséquences socialesdes programmes d’ajustement structurelobligent, les institutions de Bretton Woods àadopter, à la fin des années 90, laconditionnalité démocratique de l’aide6 quiinstitue un lien entre l’octroi de l’aide et ladémocratisation de l’Etat. Puis, laconditionnalité s’affranchit du cadre restreintdes relations financières internationales etinvestit le champ général du droit international.

1 A. Vandervorst, "Contenu et portée du concept deconditionnalité environnementale : Vers un nouvelinstrument au service du droit et de la protection del’environnement en Afrique ?", in Laconditionnalité juridique en Afrique, Afrilex, n° 2,septembre 2001.2 M. Kamto, "Problématique de la conditionnalitéen droit international et dans les relationsinternationales", in La conditionnalité dans lacoopération internationale, Colloque de Yaoundé,20-22 juillet 2004, p. 10.3 Ibidem, p. 10.4 J. Salmon, Dictionnaire de Droit internationalpublic, Bruylant/AUF, 2001, p. 228.5 A. Piquemal, « la notion de conditionnalité et lesorganisations internationales économiques etfinancières », Mélanges en l’honneur du DoyenPaul ISOART, Paris, Pedone, 1996, pp. 306-318.6 J.L. Atangana Amougou, "Conditionnalité del’aide et respect des droits fondamentaux", in Laconditionnalité juridique en Afrique, op. cit, p. 59.

C’est à la faveur de cette évolution que seforme le principe de la conditionnalitépolitique, encore qualifié de "conditionnalitédémocratique", "légitimité démocratique" ou"clause droits de l’homme"7. Dans le cadre duprésent article, la notion de conditionnalitépolitique retient notre préférence car il s’agitd’une expression plus large qui englobe lesnotions communément utilisées par la doctrine.

L’apparition de ce nouveau principetraduit les mutations du droit internationalpublic dont il exprime l’évolution quantitativeet qualitative. La conditionnalité politiquetraduit l’évolution quantitative du droitinternational public dont l’extension croissantedu champ d’application s’opère au détrimentdes compétences nationales ainsi que lerappelle la Cour permanente de Justiceinternationale : "La question de savoir si unecertaine matière rentre ou ne rentre pas dans ledomaine exclusif d’un Etat est une questionessentiellement relative : elle dépend dudéveloppement des rapports internationaux"8.L’émergence du principe de conditionnalitépolitique signifie aussi l’évolution qualitativedu droit international public car, elle se justifiepar la volonté de protéger l’individu contretoutes les formes d’intolérance, de le restaurerpleinement dans ses droits et de répondre auxnouveaux défis de la société internationale.

Ce nouveau principe de droitinternational public, suscite, cependant, denombreuses interrogations liées notamment à

7 Voir, V. Huet, "Vers l’émergence d’un principe delégitimité démocratique en droit international",RTDH, 2006, n° 67, p. 547-573, D. Kokoroko,"Souveraineté étatique et principe de légitimitédémocratique", Revue québécoise de droitinternational, 2003, p. 39, J. Salmon, "Versl’adoption d’un principe de légitimitédémocratique ?", in O. Corten et al, A la recherched’un nouvel ordre mondial, I. Le droit internationalà l’épreuve, éd. Complexe, 1993, p. 59, F.Nougaret, La conditionnalité démocratique. Etudede l’action des organisations internationales,Thèse, Bordeaux IV, 2004, p.8 CPJI, Avis consultatif, 7 février 1923, Affaire desdécrets de nationalité en Tunisie et au Maroc, SérieB, n° 4, p. 24.

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sa signification, à sa nature et à sa portée. Eneffet, qu’est-ce que la conditionnalitépolitique ? Quelle en est la nature juridique, auregard de l’article 38 du Statut de la Courinternationale de Justice qui détermine lessources formelles du Droit international public? Et, quels en sont l’objet et le champd’application ?

Pour certains auteurs, le caractèrerécent de ce principe fait douter de sa juridicitéau point de ne lui conférer que le caractèred’"un principe hautement politique"9. Tandisque pour d’autres, la conditionnalité politiqueconstitue bel et bien un principe juridique quisoumet les Etats à des obligations juridiques10.Une réflexion approfondie met, cependant, enévidence l’ambivalence de la conditionnalitépolitique qui constitue, selon les circonstances,un principe politique ou un principe juridique.La conditionnalité politique constitue, auniveau universel, un principe politique car ellen’est pas formulée au moyen d’une sourceformelle du droit international public. Et, lamultiplication des recommandations, souventcontradictoires, de déclarations ou des rapportsqui traduisent "la mutation conceptuelle"11 encours aux Nations Unies ne peut suffire à luiconférer un caractère contraignant. Par ailleurs,les divergences observées au sein des Etats nepermettent pas de conclure en l’existenced’une opinio juris et d’une norme coutumièreen voie de cristallisation. Enfin, l’obligationinternationale d’être démocratique, en cours deformation, relève "du droit mou"12 et donnelieu à une pratique contrastée. En même temps,la conditionnalité politique apparaît, au niveaurégional, comme un principe de nature

9 J.L. Atangana Amougou, "Conditionnalité etdroits de l’homme", La conditionnalité dans lacoopération nternationale, op. cit, p. 59.10 M. Kamto, "Problématique de la conditionnalitéen droit international et dans les relationsinternationales", op. cit. p. 217.11 L.A. Sicilianos, « Le respect de l’état de droitcomme obligation internationale », Colloque deBruxelles, l’Etat de Droit en Droit International,Paris Pedone, 2008. p. 142.12 D. Mauss, "Elections et constitutionnalisme :Vers un droit international des élections ?", inDémocratie et élections dans l’espace francophone,OIF, AUF, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 55.

conventionnelle13. Elle signifie dans ce cadregéographique, "la subordination del’engagement ou de la poursuite d’unecoopération avec un Etat tiers, ou encorel’acceptation de sa participation à uneorganisation (adhésion, suspension, exclusion),au respect par ce dernier d’un certain nombrede conditions politiques"14.

La conditionnalité établit, parconséquent, un rapport juridique entre lebénéficiaire de l’aide ou de l’avantage, "leconditionné"15, qui est un Etat et le prestataire,"le conditionneur"16, qui peut être un Etat ouune organisation internationale. L’Etat"conditionné" accepte de respecter le "bloc deconditionnalité", défini de manière restrictivecomme le respect de la démocratie, de l’Etat dedroit et des droits de l’homme et de manièreextensive, comme l’observation de la bonnegouvernance, du développement durable, durespect des minorités ou des droits de lafemme, la limitation des armements ou lasécurité intérieure17. Et, la méconnaissance desprescriptions l’expose à la mise en œuvre d’unmécanisme original de sanctions destiné, d’unepart, à assurer, selon l’approche kelsenienne,l’application et l’efficacité de la règle de droit,au moyen de la rétribution ou de la répressionde ses violations18. D’autre part la singularitéde ces sanctions, prononcées contre desindividus, résulte de la complémentarité des

13 M. Kamto, "Problématique de la conditionnalitéen droit international et dans les relationsinternationales", op. cit, p. 17.14 C. Schneider, E. Tucny, « Réflexions sur laconditionnalité politique appliquée àl’élargissement de l’Union européenne aux pays del’Europe centrale et orientale », Revue d’étudescontemporaines Est-Ouest, 2002, vol. 33, n° 3, pp.11-44.15 Fau-Nougaret, La conditionnalité démocratique.Etude de l’action des organisations internationales,thèse Bordeaux IV, 2004, p. 8.16 Ibidem, p. 9.17 Voir, C. Schneider, « Au cœur de la coopérationinternationale de l’Union européenne : Quellestratégie à venir pour la conditionnalitépolitique ? », Hommage à Jean André Touscoz.Droit international et coopération internationale,France-Europe édition, 2007, p. 751.18 Voir, L. Cavaré, "L’idée de sanction et sa mise enœuvre en droit international public", RGDIP 1937,p. 388.

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mesures arrêtées aux niveaux universel etrégional.

L’engagement d’établir ou d’observerla démocratie apparaît comme l’une desinnovations majeures du droit internationalpublic, dans la mesure où, jusqu’à la fin duXXème siècle, "l’organisation interne de l’Etatest un fait pour le droit international"19. Ettoute velléité d’influencer le régime politique,économique et social suscite le rappel del’obligation de respecter la compétencenationale de l’Etat20 et de ne pas s’ingérer dansses affaires intérieures. Par conséquent,"l’instauration d’un ordre démocratiquedépend en principe de la compétence internede l’Etat"21 dont elle constitue l’expression dela souveraineté. Aussi le droit internationalclassique consacre-t-il, notamment dans larésolution n° 2131 du 21 décembre 1965 del’Assemblée générale portant "Déclaration surl’inadmissibilité de l’intervention dans lesaffaires intérieures des Etats" et dans larésolution n° 2625 (XXV) de l’Assembléegénérale de l’ONU du 24 octobre 1970 portant

démocratie implique pour l’Etat "conditionné"l’obligation d’organiser le pouvoir selon lemodèle de la démocratie libérale et de créer lesconditions favorables à l’expression de lavolonté du peuple, au moyen d’électionspériodiques, libres et honnêtes, source del’autorité et fondement de la légitimité desgouvernants. Cette nouvelle approche est axéesur l’autodétermination interne, à l’expressionde laquelle M. Boutros Boutros-Ghali,Secrétaire général de l’ONU apporte unecontribution décisive24 dans l’Agenda pour lapaix25, l’Agenda pour le développement26 etl’Agenda pour la démocratisation27 quiétablissent un lien entre la paix, ledéveloppement et la démocratie. Elle se fondenotamment sur la Déclaration universelle desdroits de l’homme du 10 décembre 194828, lePacte international relatif aux droits civils etpolitiques du 16 décembre 196629 et la charteAfricaine des Droits de l’homme et despeuples du 21 juin 198130.

L’Etat "conditionné" s’engage aussi àrespecter l’Etat de droit et, à assurer la

"Déclaration relative aux principes de droitinternational touchant les relations amicales etla coopération entre les Etats conformément àla Charte des Nations Unies", le principe del’autonomie constitutionnelle de l’Etat, quisignifie qu’"aucune règle de droit internationaln’exige que l’Etat ait une structure déterminéecomme le prouve la diversité des structuresétatiques qui existent actuellement dans lemonde"22, et que "l’adhésion d’un Etat à unedoctrine particulière ne constitue pas uneviolation du droit international coutumier"23.Dans ces conditions, l’exigence de la

19 V. Huet, "L’autonomie constitutionnelle : déclinou renouveau ?", RFDC, n° 73, 2008, n° 1, p. 68.20 Voir, G. Guillaume, "Article 2 paragraphe 7", inJ.P. Cot, M. Forteau, A. Pellet, (dir), La Charte del’Organisation des Nations Unies, Commentairearticle par article, LGDJ, Paris, 2005, 3ème édition,p. 497.21 D. Kokoroko, "Souveraineté étatique et principede légitimité démocratique", Revue de la recherchejuridique, Droit prospectif, 2004, p. 2550.22 CIJ, Avis consultatif, 16 octobre 1975, Saharaoccidental, Rec. 1975, p. 12, paragraphe 94.23 CIJ, Arrêt, 27 juin 1986 (fond), Activitésmilitaires et paramilitaires des USA au Nicaragua etcontre celui-ci, Rec. 1986, p. 14, paragraphe 263.

24 R. Ben Achour, "La contribution de BoutrosBoutros-Ghali à l’émergence d’un droitinternational positif de la démocratie", in BoutrosBoutros-Ghali, Amicorum Discipulorumque Liber,Paix, Développement, Démocratie, Bruxelles,Bruylant, pp. 909-923.25 L’Agenda pour la paix est élaboré à la demandedu Conseil de Sécurité qui tient le 31 janvier 1992pour la première fois une réunion au niveau deschefs d’Etat et de gouvernement. Voir le Rapportdu Secrétaire général, Agenda pour la paix :diplomatie préventive, rétablissement de la paix,maintien de la paix, doc A/47/277-s/24111 du 17juin 1992.26 L’Agenda pour le développement est préparé à lademande de l’Assemblée générale de l’ONU le 6mai 1994. Voir, Rapport du Secrétaire général,Agenda pour le développement, doc A/48/935 du 6mai 1994.27 L’Agenda pour la démocratisation est unsupplément aux deux précédents rapports. Voir,Rapport du Secrétaire général sur ladémocratisation, doc A/51/761 du 20 décembre1996.28 Article 21 paragraphe 3 de la Déclarationuniverselle des droits de l’homme.29 Article 25 du Pacte international relatif aux droitscivils et politiques.30 Article 13 paragraphe 1 de la Charte africaine desdroits de l’homme et des peuples

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protection des droits de l’homme. Cetengagement signifie l’acceptation de laprééminence du droit, c’est-à-dire que lepouvoir se fonde sur le droit et est limité par ledroit et que "nul n’est au-dessus de la loi ettous les citoyens sont égaux devant elle"31.L’Etat de droit induit, naturellement, ainsi quele démontre le Professeur Hans Kelsen, lahiérarchie des normes dont le respect estgaranti par le juge. Toutefois, les Etats ne secontentent pas de simples proclamations dansleurs textes constitutionnels, car ils établissentun Etat de droit substantiel qui exprimel’adhésion à un ensemble de principes et devaleurs32.

La conditionnalité politique marquedonc une rupture avec le droit internationalcontemporain caractérisé par les principes del’équivalence des régimes politiques et de laneutralité politique ; ce qui justifie pleinementla présente étude qui porte sur les conditionsd’émergence de ce principe, qui mêmeconventionnellement accepté, est souventperçu par certains Etats comme l’expressiond’un néo impérialisme imposant un certainmodèle d’organisation politique. Au point oùdes auteurs ne manquent pas de soutenir :"Conditionnalité et souveraineté, voilà deuxnotions qui se disputent le nouveau chantierdes relations internationales post-guerrefroide"33. Toutefois, il y a lieu de relever que sila conditionnalité politique impliquel’autolimitation des compétences étatiques, ellene signifie pas la négation de la souverainetédes Etats. Bien au contraire, elle exprime uneévolution de celle-ci34, ainsi que le rappelle laCour permanente de Justice internationale dans

31 Déclaration universelle sur la démocratie du 16septembre 1997, Ière partie, paragraphe 7, complétéepar la Déclaration sur les critères pour des électionslibres et régulières du 26 mars 1994.32 Sur l’origine allemande de l’Etat de droit,"Reichstaat" et sa diffusion en Grande Bretagne aumoyen de la "Rule of law" et au reste du monde,voir J. Chevallier, L’Etat de droit, 5ème édition,Paris, Montchrestien, Clefs, p. 95.33 M. Ng. Abada, "Conditionnalité et souveraineté",La conditionnalité dans la coopérationinternationale, op. cit, p. 36.34 D. Maillard Desgree du Lou, F. Lemaire,J.Hautebert, F. Rouvillois, Les Evolutions de lasouveraineté, Paris, Montchrestien, 2006, 229 p.

un dictum célèbre : "La Cour se refuse à voirdans la conclusion d’un traité quelconque, parlequel un Etat s’engage à faire ou à ne pas fairequelque chose, un abandon de sa souveraineté.Sans doute, toute convention engendrant uneobligation de ce genre, apporte une restrictionà l’exercice des droits souverains de l’Etat, ence sens qu’elle imprime à cet exercice unedirection déterminée. Mais la faculté decontracter des engagements internationaux estprécisément un attribut de la souveraineté del’Etat"35.

Les divergences relatives à ladéfinition et à la nature juridique de laconditionnalité politique n’épuisent pasl’ensemble des controverses. Celles-ci sontaussi relatives à l’effectivité dudit principe enEurope, en Afrique, en Amérique latine et auniveau universel.

Le Conseil de l’Europe est la premièreinstitution européenne qui organise laconditionnalité politique. Cette conditionnalité,de nature maximale, exprime, à l’origine, lavolonté des Etats européens de se protéger dela dictature et de réduire les risques d’unenouvelle guerre, après le traumatisme causépar les régimes totalitaires et les nombreuxcrimes commis durant la seconde guerremondiale. C’est ainsi que le Statut du 5 mai1949 énonce dans son préambule que les Etatseuropéens sont "inébranlablement attachés auxvaleurs spirituelles et morales qui sont lepatrimoine commun de leurs peuples et quisont à l’origine des principes de libertéindividuelle, de liberté politique et deprééminence du droit, sur lesquels se fondetoute démocratie véritable". La conditionnalitépolitique contribue, par la suite, à l’intégrationau sein du Conseil de l’Europe des anciennesdémocraties populaires. Puis, suite àl’application de la règle non écrite selonlaquelle "le chemin de Bruxelles passe parStrasbourg", l’Union européenne institueprogressivement la conditionnalité politique.Absente des premiers traités européens, qui ontprincipalement un objet économique, laconditionnalité politique émerge et sedéveloppe de manière expansive au sein des

35 CPJI, 17 août 1923, Affaire du vapeurWimbledon, Rec. A, p. 25.

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Communautés européennes et de l’Unioneuropéenne, à la fin des années 80, dans uncontexte international marqué par la fin de laguerre froide et de la division du monde endeux blocs. Et, avec l’adoption du Traité deMaastricht du 7 février 1992, elle reposedésormais sur un fondement constitutionnel.

Exception européenne, à l’origine, laconditionnalité politique se diffuseprogressivement en Afrique. Elle apparaît dansle cadre de l’Organisation de l’Unité Africaine(OUA) et elle s’épanouit avec l’Unionafricaine (UA), qui lui succède. L’OUAs’attelle durant plus de trente années à releverle triple défi de la décolonisation, dudéveloppement économique et du maintien dela paix et de la sécurité internationales36. Mais,au début des années 90 et malgré de nombreuxacquis, elle se trouve marginalisée dans lerèglement des conflits37 et confrontée au défide la transformation démocratique des Etatsafricains. Afin de les relever, elle décided’instituer le Mécanisme pour la prévention, lagestion et le règlement des conflits du 30 juin199338, après l’échec de la Commission demédiation, de conciliation et d’arbitrage39. Lamultiplication des conflits intra étatiques, dontl’origine est souvent liée aux changementsanticonstitutionnels de régime, conduit l’OUA,après la condamnation à Harare du coup d’Etatsurvenu en Sierra Leone en 1997, à adoptersuccessivement les décisions AHG/Dec. 141(XXXV) et AHG/Dec. 142 (XXXV) lors de la35ème Conférence des chefs d’Etat et degouvernement du 12-14 juillet 1999. Si dans lapremière décision, la Conférence se contentede reconnaître que "les principes de la bonne

36 S. Sady, La résolution des conflits en Afrique,Thèse doctorat droit, Université Cheikh Anta Diopde Dakar, 2003, 281 p.37 B. Gueye, "La marginalisation de l’OUA dans lerèglement des conflits", Revue éditions juridiquesafricaines, n° 27, octobre - novembre 1995, pp. 9-31.38 Déclaration du Caire sur la création d’unmécanisme pour la prévention, la gestion et lerèglement des conflits, (XXVIII) du 30 juin 1993.39 La Commission de médiation, de conciliation etd’arbitrage est une institution de l’OUA prévue parl’article 7 de la Charte de l’OUA du 25 mai 1963dont la composition et les conditions defonctionnement sont fixées par le Protocole du 24mai 1964.

gouvernance, de la transparence et des droitsde l’homme sont essentiels pour garantir desgouvernements représentatifs et stables et pourcontribuer à la prévention des conflits"40, laseconde décision marque une nette rupture. Eneffet, elle décide que "les Etats membres dontles gouvernements ont accédé au pouvoir pardes moyens anticonstitutionnels après leSommet de Harare, devraient restaurer lalégalité constitutionnelle (…) faute de quoil’OUA prendra des sanctions à l’encontre deces gouvernements jusqu’à ce que ladémocratie soit rétablie"41. Ces textesmarquent la naissance de la conditionnalitépolitique en Afrique et préfigurent laDéclaration de Lomé sur le cadre pour uneréaction de l’OUA face aux changementsanticonstitutionnels du gouvernement adoptéepar la 36ème session de la Conférence des chefsd’Etat et de gouvernement de l’OUA du 10juillet 2000. Ils sont repris par les articles 4 et30 de l’Acte constitutif de l’Union africaine du11 juillet 2000. Désormais, les changementsanticonstitutionnels42, les infractions à ladémocratie43 et les violations massives desdroits de l’homme44 sont interdits sous peinede sanctions prévues par l’Acte constitutif etpar la Charte africaine de la démocratie, desélections et de la gouvernance du 30 janvier200745 et mises en œuvre par le Conseil dePaix et de Sécurité de l’Union africaine. Ladiffusion de la conditionnalité politique dans lecontinent africain s’observe aussi au niveausous régional et, plus précisément dans le cadrede la Communauté économique des Etats del’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui adopte

40 Décision AHG/Dec. 141 (XXXV) de laConférence des chefs d’Etat de l’OUA, 12-14 juillet1999, paragraphe 5.41 Décision AHG/Dec. 142 (XXXV) de la 35ème

Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement du12-14 juillet 1999, paragraphe 1.42 Article 4 p) de l’Acte constitutif de l’Unionafricaine.43 Article 4 m) de l’Acte constitutif de l’Unionafricaine.44 Article 4 h) de l’Acte constitutif de l’Unionafricaine.45 Cette convention n’est pas encore entrée envigueur faute de ratifications suffisantes.Voir, B.Tchicaya, "La Charte africaine de la démocratie,des élections et de la gouvernance ", AFDI 2008,pp.515-528.

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plusieurs instruments juridiques46. Si l’Europeet l’Afrique établissent une conditionnalitépolitique de nature effective, il faut déplorer laconditionnalité virtuelle instituée en Amériquelatine. La Charte de Bogota du 30 avril 1948énonce, dans son article 2 alinéa b, que l’undes objectifs essentiels de l’Organisation desEtats américains (OEA) est d’ « encourager etconsolider la démocratie représentative dans lerespect du principe de non-intervention ».Toutefois, ce but ne peut être atteint, que sur lefondement de la souveraineté des Etatsmembres qui implique notamment le respect deleur personnalité et de leur indépendance, lanon-intervention dans les questions relevant dela juridiction interne des Etats membres et, leprincipe de l’autonomie constitutionnelle. Lalégitimité démocratique apparaît donc commeun idéal. Et si l’Assemblée générale del’Organisation des Etats américains détient lepouvoir de suspendre tout Etat membre dont legouvernement démocratiquement élu aura étérenversé par la force, cette sanction demeurefacultative47. Elle ne constitue qu’uneéventualité à laquelle l’Assemblée peutrecourir, en cas d’échec des tentatives menéesen vue de la restauration de la démocratiereprésentative. Aussi les développements quisuivent porteront-ils essentiellement surl’émergence de la conditionnalité politique enEurope et en Afrique.

La conditionnalité politique apparaît,dans ces deux continents, comme un principeconsacré (I), de nature conventionnelle. Ceprincipe est sanctionné (II) car soninobservation soumet les Etats à des sanctionsintelligentes.

46 La Communauté économique des Etats del’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) institue laconditionnalité politique au moyen du protocolerelatif au mécanisme de prévention, de gestion, derèglement des conflits, de maintien de la paix et dela sécurité du 10 décembre 1999, du ProtocoleA/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonnegouvernance additionnel au protocole relatif aumécanisme de prévention, de gestion, de règlementdes conflits, de maintien de la paix et de la sécuritédu 21 décembre 2001 et du règlementMSC/REG.1/01/08, portant cadre de prévention desconflits de la CEDEAO (CPCC) du 16 janvier2008.47 Article 9 de la Charte de Bogota.

I.- UN PRINCIPE CONSACRE

La conditionnalité politique exprimel’adhésion de la Communauté internationale àun ensemble de principes et de valeursnécessaires à une vie harmonieuse au sein desEtats et qui participent au maintien de la paixet de la sécurité internationale. L’exigence decette convergence normative modifie les règlesde la coopération institutionnelle. Désormais,les Etats membres de certaines organisationsinternationales48 sont soumis à uneconditionnalité interne (A) tandis que les Etatstiers relèvent d’une conditionnalité externe (B),organisée dans le cadre des accords decoopération.

A) La conditionnalité interne

La conditionnalité interne s’imposeaux Etats candidats à l’adhésion (1) et auxEtats membres de l’organisation internationale(2).

1. La conditionnalité de l’adhésion

La conditionnalité de l’adhésionconstitue une exception européenne car aussibien la Charte de l’ONU que l’Acte constitutifde l’Union africaine n’édictent aucuneobligation relative à la conditionnalité enmatière d’admission. En effet, l’article 4 de laCharte de l’ONU exige que l’Etat soitpacifique, qu’il accepte les obligations de laCharte et qu’il soit jugé apte à les remplir. Et,l’article 29 de l’Acte constitutif de l’Unionafricaine ne prévoit, de manière laconique, quel’admission de tout Etat africain.

Le Conseil de l’Europe inaugure laconditionnalité de l’adhésion qui permet

48 La conditionnalité politique peut être exigée demanière unilatérale. L’on peut mentionner lediscours de la Baule du Président FrançoisMitterand du 20 juin 1990 ainsi que les exigencesallemandes en matière de conditionnalité politiquedans la coopération avec les Etats africains. Voir, S.Bolle, "La conditionnalité démocratique dans lapolitique africaine de la France", in Afrilex, op. cit,pp. 1-23 et I. Bragiotti, "Discours allemands etconditionnalité démocratique", Politique africainen° 60, L’Allemagne et l’Afrique, 1995, pp. 19-33.

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l’admission de "tout Etat européen considérécapable de se conformer aux dispositions del’article 3"49 c’est-à-dire qui reconnaît laprééminence du droit et assure à toutepersonne placée sous sa juridiction lajouissance des droits de l’homme et deslibertés fondamentales. Cette exigences’explique par la volonté de lutter contrel’autoritarisme sous toutes ses formes et deprotéger les droits fondamentaux de lapersonne humaine qui ont été gravementméconnus durant la seconde guerre mondiale.L’effondrement des régimes socialistes dansles pays d’Europe centrale et orientale (PECO)et leur volonté d’intégrer le Conseil del’Europe, puis l’Union européenne, contribuentà l’évolution de la conditionnalité initiale duConseil de l’Europe et à la naissance de laconditionnalité de l’adhésion de l’Unioneuropéenne.

En effet, confronté au défi del’élargissement de l’Europe, le Conseil del’Europe organise, à Vienne, le PremierSommet des chefs d’Etat des Etats membres duConseil de l’Europe qui s’achève parl’adoption de la Déclaration de Vienne du 3octobre 1993 qui complète les dispositionsinitiales du statut en matière de conditionnalitéde l’adhésion. Cette déclaration50 définit lebloc de conditionnalité qui s’impose aux Etatscandidats à l’adhésion qui se singularisent parleur hétérogénéité. Durant cette phase detransition, ils bénéficient du statut d’invitéspécial auprès de l’Assemblée parlementaire51

et ils s’engagent à mettre leurs institutions etleur ordre juridique en conformité avec lesexigences d’un Etat démocratique. A cet effet,ils doivent se doter de parlements élus dans lecadre d’élections libres et honnêtes etorganisées au suffrage universel, garantissantla liberté d’expression, notamment celle desmédias, de même que la protection desminorités nationales. Enfin, les Etats candidatsà l’adhésion conviennent d’adhérer à laConvention de sauvegarde des droits de

49 Article 4 du Statut du Conseil de l’Europe.50 Elle est complétée par la Déclaration finale deStrasbourg du 11 octobre 1997 et la Déclaration deVarsovie du 17 mai 2005 qui formulent le conceptde sécurité démocratique.51 Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe,résolution 917 (1989) du 11 mai 1989.

l’homme et des libertés fondamentales. Cetteobligation, qui ne figure pas dans le Statut duConseil de l’Europe, apparaît sur une baseprétorienne à partir de 1970 et s’impose en199452. Cette exigence s’explique par le lienétabli entre les deux institutions par les articles58 et 59 de la Convention européenne desdroits de l’homme. En effet, la participation àla Convention européenne des droits del’homme résulte de l’admission préalable auConseil de l’Europe53 et, parallélisme desformes oblige, la perte de qualité de membredu Conseil de l’Europe conduit à la cessationde la participation à la Convention européennedes droits de l’homme54. "L’unité de ces deuxinstruments de protection de la démocratie"55

apparaît nettemment lors du retrait de la Grècedu Conseil de l’Europe qui s’opère, en mêmetemps que la dénonciation de la Conventioneuropéenne des droits de l’homme, le 22décembre 1969. Et avec l’instauration de ladémocratie, la Grèce adhère de nouveau,simultanément le 28 novembre 1974, aux deuxconventions. L’Espagne observe la mêmeattitude, le 24 novembre 1977, en adhérant demanière concomitante à l’Acte constitutifConseil de l’Europe et à la Conventioneuropéenne des droits de l’homme.

Confortée par cette pratique qui n’asuscité aucune objection de la part des Etats, cequi peut laisser supposer l’émergence d’une

52 Cette obligation date de l’avis n° 182 (1994) del’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europerelatif à la demande d’adhésion de la Principautéd’Andorre. Jusque-là, l’Assemblée se contentait de"la ferme intention de l’Etat" (avis n° 153 (1990) du2 octobre 1999 relatif à la demande d’adhésion dela Hongrie) ou de ″la volonté déclarée″ (avis n° 154(1990) relatif à la demande d’adhésion de laPologne).53 L’article 59 de la Convention européenne desdroits de l’homme, il est précisé : "La présenteConvention est ouverte à la signature des Etatsmembres du Conseil de l’Europe".54 Aux termes de l’article 58 paragraphe 3 de laConvention européenne des droits de l’homme : "3-Sous la même réserve cesserait d’être partie à laprésente Convention toute partie contractante quicesserait d’être membre du Conseil de l’Europe".55 C. Teitgen-Colly, "Propos introductifs", inCinquantième anniversaire de la Conventioneuropéenne des droits de l’homme, Bruxelles, 2002,p. 76.

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coutume au sein du Conseil de l’Europe,l’Assemblée parlementaire, depuis 1994,subordonne l’admission des Etats candidats àla ratification d’autres conventions dont laConvention européenne pour la prévention dela torture et les peines et traitements inhumainset dégradants du 26 novembre 1987, la Chartesociale européenne du 18 octobre 1961 et leProtocole additionnel n° 6 concernantl’abolition de la peine de mort, tel qu’amendépar le Protocole n° 11 du 28 avril 1983. Bienque justifiée par la volonté d’instaurer ″unordre public européen, pour la protection desêtres humains″56, fondé sur des règlesfondamentales et des valeurs communes quidoivent s’imposer à tous, cette démarchesuscite, néanmoins, quelques interrogations auregard du droit international classique qui necomporte aucune obligation en matière deratification des traités57. C’est bien pour celaque la France, Etat fondateur du Conseil del’Europe, n’a ratifié la Convention européennedes droits de l’homme que le 3 mai 1974 et laSuisse, membre du Conseil de l’Europe depuisle 6 mai 1963, ne l’a signée que le 21décembre 1972 et, ne l’a ratifiée que le 28novembre 1974. Toutefois, renforçant saconditionnalité initiale, l’Assembléeparlementaire rappelle aux Etats, dans leparagraphe 9 de la résolution n° 1031 (1994)du 4 avril 1994 relative au respect desengagements pris par les Etats membres aumoment de leur adhésion au Conseil del’Europe, que la ratification de la Conventioneuropéenne des droits de l’homme ″devraitnormalement être achevée dans un délai d’unan après l’adhésion au statut et la signature dela Convention″.

Si la positivité de la conditionnalité del’adhésion au Conseil de l’Europe est avérée,l’on note, néanmoins qu’elle est à géométrievariable. L’on observe en effet que la "hardconditionnalité" s’est imposée notamment pourla Hongrie et pour la Pologne alors que, l’on

demande d’adhésion de la Hongrie au Conseilde l’Europe du 2 octobre 1990, l’Assembléeparlementaire du Conseil de l’Europe″reconnaît la transformation qui a eu lieu enHongrie, et en particulier le développement dela démocratie parlementaire, illustrénotamment par des dispositionsconstitutionnelles touchant la séparation despouvoirs, l’élection démocratique du parlementau scrutin universel, libre et secret, suivie parune commission ad hoc de notre Assemblée,ainsi que par l’organisation d’élections localesqui auront lieu le 30 septembre″58. En outre,l’Assemblée note que cet Etat a ratifiéplusieurs conventions élaborées par le Conseilde l’Europe. Dans l’avis n° 154 (1990), relatifà la demande d’adhésion de la Pologne auConseil de l’Europe, adopté le 2 octobre 1990,l’Assemblée parlementaire, plus laconique,reconnaît que la Pologne a joué un rôlepionnier dans le processus de démocratisationen Europe centrale et de l’Est et qu’elle amontré à tous les pays d’Europe centrale etorientale en organisant, le 4 juin 1989, desélections parlementaires qui, bienqu’entièrement libres seulement pour le Sénat,ont rapidement conduit à la formation d’ungouvernement doté d’une légitimitédémocratique dans toute cette région59.

Par contre, lors de son adhésion, laRoumanie est engagée dans des réformesdémocratiques qui n’ont pas abouti.Cependant, le Conseil de l’Europe lui accorde"un crédit de confiance"60 ou une "avance deconfiance" basé sur un système d’évaluationqui permet d’apprécier les efforts entrepris parcet Etat durant cette phase difficile detransition. Le Conseil de l’Europe fait donc lepari que l’admission de la Roumanie vacontribuer à accélérer le processusdémocratique. En même temps, les adhésionsde la Fédération de Russie, de l’Albanie, de laMoldavie et de la Croatie vont être retardées,au départ, au motif que l’état de la législation

note un certain allègement pour la Roumanie etla Russie. Dans l’avis n° 153 (1990) relatif à la

56 CEDH, A, 23 mars 1995, Exceptionspréliminaires, Loizidou contre Turquie, Série A, n°310, paragraphe 95.57 Voir sur ce point, CPJI, Arrêt du 10 septembre1929, Compétence de la Commission internationalede l’Oder, Rec. A n° 16, 1929, pp. 20-23.

58 Avis n° 153 (1990) relatif à la demanded’adhésion de la Hongrie au Conseil de l’Europe.59 Paragraphe 2 de l’avis n° 154 (1990) relatif à lademande d’adhésion de la Pologne au Conseil del’Europe.60 J. Petaux, L’Europe de la démocratie et desdroits de l’homme, Bruxelles, éditions du Conseilde l’Europe, 2009, p. 151.

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"n’encourage pas une perception favorable duprincipe de la prééminence du droit"61 et quenotamment ″l’ordre juridique de la Fédérationde Russie ne satisfait pas, pour l’instant, auxnormes du Conseil de l’Europe″62. Dans cesconditions, l’Assemblée parlementaire décide,dans la résolution n° 1055 du 2 février 1995relative à l’adhésion de la Russie à la lumièrede la situation en Tchétchénie, que la violationdu droit humanitaire et des principes des droitsde l’homme les plus élémentaires du Conseilde l’Europe, que la Russie s’est attachée àdéfendre, justifie la suspension de la procédured’adhésion. Mais, contre toute attente,l’Assemblée parlementaire décide, suite auvote de la résolution n° 1065 du 27 septembre1995, de reprendre la procédure d’adhésion "aumotif que la Russie était désormais engagéedans la recherche d’une solution politique etque des atteintes alléguées et attestées auxdroits de l’homme faisaient l’objetd’enquêtes"63 même si de nombreusesinsuffisances demeurent. Cette décisions’explique par le fait que « l’Assemblée estimeque la Russie, au sens de l’article 4 du Statut, aclairement la volonté et sera capable dans unavenir proche de se conformer aux dispositionsde l’article 3 de ce statut précisant lesconditions requises pour pouvoir adhérer auConseil de l’Europe »64. Dans ces conditions,la Russie est admise, le 28 février 1996, auConseil de l’Europe mais elle ne ratifie laConvention européenne des droits de l’hommeque le 5 mai 1998.

Si la conditionnalité de l’adhésion estun ancien principe du Conseil de l’Europe, elle

61 Rapport du groupe d’experts juridique del’Assemblée parlementaire, 7 octobre 1994, cité parE. Decaux, ″Les pays d’Europe centrale et orientaleet l’idéologie des droits de l’homme. De laConférence sur la sécurité et la coopération enEurope (CSCE) à l’adhésion au Conseil del’Europe″, in P. Tavernier, Quelle Europe pour lesdroits de l’homme ? La Cour de Strasbourg et laréalisation d’une union plus étroite Bruxelles,Bruylant, 1996, p. 353.62 Ibidem.63 Avis n° 193 (1996) du 25 janvier 1996 relatif à lademande d’adhésion de la Russie au Conseil del’Europe, paragraphe 3.64 Ibidem, paragraphe 7.

apparaît comme un principe récent dans lecadre de l’Union européenne.

Les premières adhésions auxCommunautés européennes ne concernent quedes Etats politiquement et économiquementhomogènes, ce qui explique, jusqu’àl’élargissement de l’Europe au Sud et à l’Est65,l’absence de conditionnalité politique dans lestraités européens. Les adhésions de la Grèce,du Portugal et de l’Espagne inaugurent laconditionnalité politique de l’adhésion du faitde l’exigence préalable du retour de ladémocratie dans ces Etats. Mais, cetteobligation ne repose, au départ, sur aucunfondement juridique. Elle résulte de l’attractionexercée par le modèle de conditionnalitépolitique observé au sein du Conseil del’Europe et qui contribue à la lente maturationde la conditionnalité politique au sein del’Union européenne.

L’Acte unique des 17 et 28 février1986 se réfère à des exigences politiques sansen tirer de conséquences juridiques. En effet,dans l’alinéa 3 de son Préambule, les Etatseuropéens expriment leur volonté depromouvoir ensemble la démocratie, en sefondant sur les droits fondamentaux reconnuspar la Constitution, la législation nationale, laConvention européenne des droits de l’hommeet la Charte sociale européenne. Et, ilsprennent l’engagement "de faire toutparticulièrement prévaloir les principes de ladémocratie et le respect du droit et des droitsde l’homme auxquels ils sont attachés"66. Mais,cette déclaration d’intention ne soumet lesEtats à aucune conditionnalité politique. C’estle Traité de Maastricht du 7 février 1992 quiconfère un fondement juridique à laconditionnalité politique en édictant "L’Unionrespecte l’identité nationale de ses Etats

65 Les Communautés européennes et l’Unioneuropéennes ont connu à ce jour sixélargissements : en 1973, avec la Grande Bretagne,le Danemark et l’Irlande, en 1981, avec la Grèce, en1986, avec l’Espagne et le Portugal, en 1995, avecl’Autriche, la Finlande et la Suède, en 2004, avecl’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, laRépublique tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, laSlovénie, Chypre et Malte, et en 2007, avec laBulgarie et la Roumanie.66 Alinéa du Préambule de l’Acte unique.

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Etats membres d’une organisationinternationale. De manière traditionnelle,

transformer les structures politiques,économiques et sociales. Un pas

membres, dont les systèmes de gouvernementsont fondés sur les principes démocratiques.(…) 2. L’Union respecte les droitsfondamentaux, tels qu’ils sont garantis par laConvention européenne de sauvegarde desdroits de l’homme et des libertésfondamentales signée à Rome le 4 novembre1950, et tels qu’ils résultent des traditionsconstitutionnelles communes aux Etatsmembres, en tant que principes généraux dudroit communautaire"67. Cependant, leslacunes des textes européens en matière deconditionnalité politique sont comblées pardiverses déclarations du Conseil européen dontla Déclaration de Copenhague des 21 et 22 juin199368 qui fixe les critères de la conditionnalitéde l’adhésion des pays d’Europe centrale etorientale. Ces Etats, avant leur adhésion àl’Union européenne, bénéficient, à l’instar duConseil de l’Europe, du statut d’Etat associé.Ils s’engagent à accepter l’acquiscommunautaire notamment, l’obligationd’avoir des institutions stables garantissant ladémocratie, la primauté du droit, les droits del’homme et le respect des droits des minorités.En outre, leur économie doit être uneéconomie de marché viable capable de faireface à la concurrence et aux forces du marché àl’intérieur de l’Union. L’Union européenneélabore, sur la base des recommandations de laCommission formulées dans "l’Agenda 2000",avec chaque pays de l’Europe centrale etorientale (PECO), le partenariat pourl’adhésion qui constitue le cadre institutionneldans lequel sont définies les priorités enmatière de conditionnalité politique et deconditionnalité économique. Chaque Etatcandidat élabore un plan national pourl’adoption de l’acquis (PNAA) qui planifie lesactions prioritaires à entreprendre auxquelscorrespondent des moyens financiers destinés à

supplémentaire est franchi avec le Traitéd’Amsterdam du 2 octobre 1997 qui impose,au paragraphe 1 de l’article 6, des obligationsprécises aux Etats candidats à l’adhésion :

"l’Union est fondée sur les principes de liberté,de la démocratie, du respect des droits del’homme et des libertés fondamentales, ainsique de l’Etat de droit". Par conséquent, "ToutEtat européen qui respecte les principesénoncés à l’article 6 paragraphe 1 peut devenirmembre de l’Union"69. Depuis l’adoption duTraité de Lisbonne sur l’Union européenne du13 décembre 2007, c’est l’article 49 quidétermine les conditions d’adhésion à l’Unioneuropéenne, de tout Etat européen qui respectela conditionnalité politique.

La conditionnalité de l’adhésion apermis au Conseil de l’Europe et à l’Unioneuropéenne d’organiser avec succès latransition politique et économique des paysd’Europe centrale et orientale. Une fois l’Etatdevenu membre, la conditionnalité de laparticipation se substitue à la conditionnalitéde l’adhésion.

2. La conditionnalité de la participation

La conditionnalité de la participationmodifie la nature de l’engagement pris par les

l’organisation internationale est un outil auservice de la coopération interétatique quipermet aux Etats de régler ensemble lesquestions d’intérêt commun, dans le respect deleur souveraineté. Avec la conditionnalitépolitique, un lien se trouve directement établientre le maintien de la paix et de la sécuritéinternationales et les conflits intra étatiques. LeProtocole de la Communauté économique desEtats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)relatif au mécanisme de prévention, de gestion,de règlement des conflits, de maintien de lapaix et de la sécurité du 10 décembre 1999 :"Conscients du fait que la bonne gestion desaffaires publiques, le respect de l’Etat de droitet le développement durable, sontindispensables pour la paix et la prévention desconflits"70. Par conséquent, les Etats

67 Article F du Traité de Maastricht.68 Les critères de Copenhague sont confirmés parles Conseils européens d’Essen, des 9 et 10décembre 1994, de Madrid, des 15 et 16 décembre1995 et du Luxembourg, des 12 et 13 décembre1997.

69 Article 49 du Traité d’Amsterdam du 2 octobre1997.70 Préambule du Protocole de la Communautééconomique des Etats de l’Afrique de l’Ouest(CEDEAO) alinéa 10 relatif au mécanisme deprévention, de gestion, de règlement des conflits, de

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s’engagent à modifier leur ordre juridiqueinterne en l’organisant conformément autriptyque c’est-à-dire dans le respect de ladémocratie, de l’Etat de droit et des droits del’homme. A cet effet, les organisationsétablissent des mécanismes et des procéduresde suivi de la conditionnalité politique.

Au sein du Conseil de l’Europe, lesuivi de la conditionnalité de la participationrelève de la compétence principale del’Assemblée parlementaire du Conseil del’Europe et, de la compétence subsidiaire duComité des Ministres. Elle s’exerce sur lefondement de la directive n° 488 du 29 juin1993 encore appelée ″directive Halonen″71 etde la résolution n° 1031 (1994) du 14 avril1994. Elle rappelle ″les engagements précisformulés par les autorités des Etats candidatssur des questions liées aux principesfondamentaux de l’organisation″72. Et que parconséquent : ″le respect de ces engagementsest la condition d’une participation pleine etentière des délégations parlementaires desnouveaux Etats membres à ses travaux ″73. Larésolution n° 1031 (1994) du 14 avril 199474

relative au respect des engagements pris pardes Etats membres au moment de leuradhésion au Conseil de l’Europe élargit lechamp d’application du principe de laconditionnalité politique à l’ensemble des Etatsmembres. C’est ainsi qu’elle dispose : ″Tousles Etats membres du Conseil de l’Europe sonttenus de respecter les obligations qu’ils ontsouscrites aux termes du Statut, de laConvention européenne des droits de l’hommeet de toutes les autres conventions auxquels ils

maintien de la paix et de la sécurité du 10 décembre1999.71 Du nom de son auteur, Madame Taya Halonen,députée finlandaise élue Présidente de la Finlandepar la suite. Voir, J. Petaux, L’Europe de ladémocratie et des droits de l’homme. L’action duConseil de l’Europe, éditions du Conseil del’Europe, 2009, pp. 151-152.72 Paragraphe 1 de la directive n° 488 (1993)relative au respect des engagements pris par lesnouveaux Etats membres.73 Paragraphe 2 de la directive n° 488 relative aurespect des engagements pris par les nouveauxEtats, op. cit,74 La résolution n° 1031 (1993) du 14 avril 1994.

sont parties″75. En même temps, elle rappelleaux Etats, qui ont adhéré après avoir étésoumis au statut d’invité spécial, lesobligations qu’ils ont contractées en ″touteliberté, au cours de l’examen par l’Assembléede leur demande d’adhésion″76 et quiconcernent des ″principes fondamentaux duConseil de l’Europe″77.

A la différence de l’Assembléeparlementaire, le Comité des Ministres assureprincipalement un suivi thématique portantnotamment sur la liberté d’expression etd’information, le fonctionnement et laprotection des institutions démocratiques, lefonctionnement du système juridique, ladémocratie locale, l’abolition de la peine demort, la police et les forces de sécurité.

En Afrique, la conditionnalité de laparticipation est assurée, au niveau régional,par le Conseil de Paix et de Sécurité del’Union africaine et, au niveau sous régional,par le Conseil de Médiation et de Sécurité de laCEDEAO. Le Conseil de Paix et de Sécuritéde l’Union africaine comprend quinzemembres dont, dix membres élus par leConseil exécutif, pour un mandat de deux anset, cinq membres, pour un mandat de trois ans.Il est ″l’organe de décision permanent pour laprévention, la gestion et le règlement desconflits″78 institué par le Protocole relatif à lacréation du Conseil de Paix et de Sécurité del’Union africaine du 9 juillet 2002, entré envigueur le 25 mai 2004. Parmi ses nombreuxobjectifs, il est chargé notamment ″depromouvoir et d’encourager les pratiquesdémocratiques, la bonne gouvernance et l’Etatde droit, la protection des droits de l’homme etdes libertés fondamentales, le respect de

75 Résolution n° 1031 (1994) du 14 avril 1994relative au respect des engagements pris par desEtats membres au moment de leur adhésion auConseil de l’Europe, paragraphe 1, op. cit,76 Résolution n° 1031 (1994) du 14 avril 1994,paragraphe 2, op. cit,77 Ibidem.78 Article 2 paragraphe 1 du Protocole relatif à lacréation du Conseil de Paix et de Sécurité del’Union africaine du 9 juillet 2002.

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caractère sacré de la vie humaine″79. Cetorgane de suivi est doté de pouvoirsimportants. En effet, il peut recommander à laConférence des chefs d’Etat et degouvernement l’intervention de l’Unionafricaine dans un Etat membre dans lequel descrimes internationaux sont commis80 et surtoutimposer, conformément à la Déclaration deLomé sur le cadre pour une réaction del’Organisation de l’Unité Africaine face auxchangements anticonstitutionnels degouvernement, de juillet 2000, des sanctionsaux Etats81. L’institutionnalisation du Conseilde Paix et de Sécurité illustre la réalité duprincipe juridique de la conditionnalitépolitique. Elle présente d’autant plus d’intérêtque les Etats membres de l’Union Africaineacceptent que cet organe restreint82, etl’analogie avec le Conseil de Sécurité peut êtrefaite, agisse en leur nom83 et surtout, ″ilsconviennent d’accepter et d’appliquer lesdécisions du Conseil de Paix et de Sécurité,conformément à l’Acte constitutif″84.

Le Conseil de Médiation et de Sécuritéde la CEDEAO est un organe restreint de neufmembres85 qui agit sur délégation de laConférence des chefs d’Etat et de

79 Article 3 alinéa f du Protocole relatif à la créationdu Conseil de Paix et de Sécurité de l’Unionafricaine du 9 juillet 2002.80 Article 7 paragraphe 1-f du Protocole relatif à lacréation du Conseil de Paix et de Sécurité del’Union africaine du 9 juillet 2002.81 Article 7 paragraphe 1-g du Protocole relatif à lacréation du Conseil de Paix et de Sécurité del’Union africaine du 9 juillet 2002.82 En janvier 2010, sont élus pour trois ans : laGuinée équatoriale, le Kenya, la Libye, leZimbabwe et le Nigeria. Sont élus pour deux ans :le Burundi, le Tchad, Djibouti, le Rwanda, laMauritanie, la Namibie, l’Afrique du Sud, le Bénin,la Côte d’ivoire et le Mali.83 Article 7 paragraphe 2 du Protocole relatif à lacréation du Conseil de Paix et de Sécurité del’Union africaine du 9 juillet 2002.84 Article 7 paragraphe 3 du Protocole relatif à lacréation du Conseil de Paix et de Sécurité del’Union africaine du 9 juillet 2002.85 Sept membres du Conseil de Médiation et deSécurité sont élus par la Conférence et deuxproviennent de la Présidente sortante et laPrésidence en cour de la Conférence.

gouvernement86 de la CEDEAO et qui adopteles décisions imposées par les circonstances.Entre autres, il ″autorise toutes les formesd’intervention et décide notamment dudéploiement des missions politiques etmilitaires87. Il est assisté de la Commission deDéfense et de Sécurité, du Conseil des Sages etdu Groupe de contrôle du cessez-le-feu de laCEDEAO (ECOMOG).

La portée de la conditionnalitépolitique ne se limite pas aux Etats parties auConseil de l’Europe, à l’Union africaine ou à laCommunauté économique des Etats del’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Elle s’étendaussi aux Etats tiers.

B) La conditionnalité externe

La politique extérieure de l’Unioneuropéenne s’organise sur le fondement de laconditionnalité politique. En effet, ″l’action del’Union sur la scène internationale repose surles principes qui ont présidé à sa création, àson développement et à son élargissement etqu’elle vise à promouvoir dans le reste dumonde : la démocratie, l’Etat de droit,l’universalité et l’indivisibilité des droits del’homme et des libertés fondamentales, lerespect de la dignité humaine, les principesd’égalité et de solidarité et le respect desprincipes de la Charte des Nations Unies et dudroit international"88.

Cette conditionnalité externe contribueà la lente diffusion de la conditionnalitépolitique au sein des Etats d’Afrique, desCaraïbes et du Pacifique89 qui représentent prèsde 84% de l’aide communautaire90. Sesmultiples possibilités en font un "laboratoire

86 Article 7 du Protocole de la CEDEAO relatif aumécanisme de prévention, de gestion et derèglement des conflits du 10 décembre 1999.87Article 10 paragraphe 2.c du Protocole de laCEDEAO du 10 décembre 1999.88 Article 10 A du Traité de Lisbonne du 13décembre 2007.89 A ce jour, on dénombre soixante dix-neuf EtatsACP.90 B. Sinna, J.O. Aschen-Brenner, C. Schulte,"Observations relatives aux droits de l’homme", inL’Union européenne et les droits de l’homme, Ph.Alston (dir), Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 593.

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expérimental"91 dans lequel sontsuccessivement testées l’absence deconditionnalité politique (1), la soft-conditionnalité et la conditionnalité maximale(2).

1. L’absence de conditionnalité politique

La conditionnalité politique est absentedes premières conventions de Lomé car "lesujet était doublement tabou"92 pour les EtatsACP et pour la Communauté européenne. Eneffet, les Etats ACP ne souhaitent pas que lesviolations des droits humains commises surleurs territoires soient dénoncées au niveauinternational. Tandis que certains Etatsmembres de la Communauté européennesoucieux de préserver leurs relationsprivilégiées avec leurs anciennes colonies nesont pas désireux que certaines questions, dontcelle de l’Apartheid, y soient discutées93.L’absence de conditionnalité favorise denombreuses violations des droits de l’hommedont les Etats refusent de rendre compte aunom d’une conception absolutiste de leursouveraineté et avec la bénédiction de leurspartenaires. Cependant, la volonté de luttercontre ces violations massives et de mettre unterme à l’impunité généralisée conduit lesparlementaires néerlandais et européens àproclamer, dans la Convention de Lomé III du5 décembre 1984, la finalité humaine dudéveloppement. La coopération ACP-CEE neconcerne, jusque-là, que les domainescommerciaux, industriels, financiers ettechniques. Et elle assure au moyen depréférences tarifaires l’accès des produits deces pays au marché européen et garantit lastabilité des prix à l’achat pour les produitsagricoles et miniers. Elle doit, dorénavantpromouvoir "le bien-être de leur population,

91 C. Schneider, E. Tucny, "Réflexions sur laconditionnalité politique appliquée àl’élargissement de l’Union européenne aux paysd’Europe centrale et orientale", op. cit, p. 6.92 D. Vignes, "L’homme ACP, Acteur etbénéficiaire principal du développement dans LoméIII et IV. Fins humaines de la coopération audéveloppement et promotion des droits de l’hommedans un système particulier", in Mélanges offertes àRené-Jean Dupuy, Humanité et droit international,Paris, Pedone, 1991, p. 367.93 Ibidem, p. 364.

par la satisfaction de leurs besoinsfondamentaux, la reconnaissance du rôle de lafemme et l’épanouissement des capacitéshumaines dans le respect de leur dignité"94.Ces dispositions marquent l’irruption de laconditionnalité politique dans les relationsentre la Communauté européenne et les EtatsACP. Mais cette conditionnalité est de natureincantatoire. Dans la Convention de Lomé IVdu 15 décembre 1989, les Etats adoptent unenouvelle orientation. Ils décident d’établir unlien direct entre la coopération audéveloppement et le respect des droits del’homme et des libertés fondamentales.L’article 5 de ladite Convention affirme : "Lacoopération vise un développement centré surl’homme, son acteur et bénéficiaire principal,et qui postule donc le respect et la promotionde l’ensemble des droits de celui-ci. (…) Lerespect des droits de l’homme est reconnucomme un facteur fondamental d’unvéritablement développement et où lacoopération elle-même est conçue comme unecontribution à la promotion de ces droits".Mais la conditionnalité politique consacrée parLomé IV ne prévoie pas de mécanisme desanction. Cette option n’est guère surprenantecar, la coopération au développement, auxtermes des articles 2 et 3 de la Convention deLomé IV, demeure fondée sur les principes del’égalité et de la souveraineté des Etats quiimpliquent le droit des Etats ACP dedéterminer souverainement leur organisationpolitique, économique et sociale. Toute autreest l’orientation prise par la Convention réviséede Lomé IV du 4 novembre 1995 qui marquela véritable naissance de la conditionnalitépolitique dans la coopération entre l’Europe etles Etats ACP.

2. La naissance de la conditionnalitépolitique

La Convention révisée de Lomé IV du4 novembre 1995 consacre les principestraditionnels du droit international en déclarantque la coopération ACP s’exerce sur la base del’égalité souveraine des Etats et sur le principede l’autonomie constitutionnelle. Toutefois,elle marque une nette évolution qui apparaît à

94 Article 4 de la Convention de Lomé III du 5décembre 1984.

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la lumière de l’alinéa 1-2) du nouvel article5 qui énonce : "La politique de développementet la coopération sont étroitement liées aurespect et à la jouissance des droits et libertésfondamentales de l’homme ainsi qu’à lareconnaissance et à l’application des principesdémocratiques, à la consolidation de l’Etat dedroit et à la bonne gestion des affairespubliques". Le respect de ces principes« constitue un élément essentiel de la présenteConvention »95, dont la méconnaissance peutconduire à la suspension partielle ou totale dela coopération conformément à l’article 366 bisalinéa 3 de la Convention de Lomé IV révisée.Cette conditionnalité politique minimaleprépare la conditionnalité maximale del’Accord de Cotonou. L’Accord de partenariatentre les membres du groupe des Etats ACP etla Communauté européenne et ses membres,dit "Accord de Cotonou"96 conclu le 23 juin2000, d’une part, substitue aux relationsdéséquilibrées qui caractérisaient les accordsde Lomé, une approche novatrice fondée surles avantages mutuels. D’autre part, cetteconvention innove en adoptant une approcheglobale du développement, qui allie desconsidérations politiques, économiques etsociales, et auxquelles participent lesinstitutions politiques et privées et l’ensembledes acteurs sociaux dont la société civile. Cetteconception multidimensionnelle dudéveloppement se traduit notamment parl’institutionnalisation de la conditionnalitépolitique dans les rapports entre l’Unioneuropéenne et les Etats ACP. C’est ainsi que lenouveau partenariat s’érige sur le socle desdroits de l’homme, des principesdémocratiques et de l’Etat de droit, élémentsessentiels de l’article 9 alinéa 2 auxquelss’ajoute, la bonne gestion des affairespubliques, élément fondamental, que lepartenariat promeut activement. Le dialoguepolitique constitue un cadre de concertationdans lequel les Etats parties abordent lesdifférents aspects de la coopération notamment

95 Alinéa 1.3) de l’article 5 de la Convention deLomé IV révisée du novembre 1995.96 Il est révisé une première fois le 21 juin 2005 etune seconde fois le 22 juin 2010. Ce dernier accordn’est pas encore entré en vigueur. G. Feuer, « Unnouveau paradigme pour les relations entre l’Unioneuropéenne et les Etats ACP. L’Accord de Cotonoudu 23 juin 2000 », RGDIP 2002, pp.268-293.

ceux liés à la conditionnalité politique. Dans cecadre, ils procèdent à l’évaluation régulière desquestions relatives au respect des droits del’homme, des principes démocratiques, del’Etat de droit et à la bonne gestion des affairespubliques97.

La conditionnalité politique est unprincipe juridique consacré par le droitinternational dont la violation justifie la miseen œuvre d’un mécanisme de sanctions.

II.- UN PRINCIPE SANCTIONNE

La conditionnalité politique participeau renouvellement du droit international publiccar, elle se caractérise par des actes illicitessinguliers (A) qui conduisent à la mise enœuvre de sanctions originales (B).

A) Des actes illicites singuliers

La pratique du Conseil de l’Europe, del’Union africaine et de la Communautééconomique des Etats de l’Afrique de l’Ouest(CEDEAO) démontre, jusqu’à une périoderécente, que la conditionnalité politique serésume au respect de la démocratie et àl’interdiction des changementsanticonstitutionnels de gouvernement (1),même si, de façon subsidiaire, les violationsdes droits de l’homme sont prises en compte etdénoncées. Mais récemment, les violationsmassives des droits de l’homme observéesnotamment en Guinée et en Côte d’Ivoirerenforcent l’obligation de respecter les droitsfondamentaux de la personne humaine (2).

1. Les changements anticonstitutionnelsde gouvernement

La démocratie est un idéal quiimplique un mode spécifique de gouvernementfondé sur la volonté librement exprimée dupeuple98. Du fait de son universalité, elle99

97 Article 8 de l’Accord de partenariat entre lesmembres du groupe des Etats ACP et laCommunauté et ses membres du 23 juin 2000.98 Déclaration sur les critères pour des électionslibres et régulières, Paris, 26 mars 1994, paragraphe1.

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constitue l’un des piliers sur lesquels s’érigentles sociétés politiques contemporaines. Avecl’apparition du principe de la conditionnalitépolitique, la démocratie ne relève plusexclusivement du droit interne. L’exigence dela dévolution du pouvoir, au moyen d’électionspluralistes, s’est imposée progressivement.C’est ainsi que l’Union européenne mentionne"des héritages culturels, religieux ethumanistes"100 à partir desquels se sontdéveloppées des "valeurs universelles"101,l’Union africaine déclare l’existence "devaleurs et principes communs pour ladémocratisation des Etats africains"102 et laCommunauté économique des Etats del’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), proclame"des principes de convergenceconstitutionnelle"103. Ces principes et valeurscontribuent à l’instauration de "la gouvernancedémocratique", et ils participent à lacondamnation des changementsanticonstitutionnels de gouvernement, définisde manière particulière.

Jusque-là, le précédent constitué parl’Affaire grecque devant le Conseil del’Europe104 n’est pas d’un grand secours car, leComité des Ministres dans la résolution DH(69) 51 du 12 décembre 1969 condamne demanière laconique la Grèce pour avoir″enfreint gravement les dispositions de l’article

99 Déclaration universelle sur la démocratie, LeCaire, 16 septembre 1997, paragraphes 1 et 2.100 Préambule du Traité de Lisbonne du 13décembre 2007 alinéa 2, Journal officiel de l’Unioneuropéenne, du 30 mars 2010.101 Ibidem.102 Déclaration de Lomé sur le cadre pour uneréaction de l’OUA face aux changementsanticonstitutionnels de gouvernement, AHG/Decl.5(XXXVI) 2 juillet 2000.103 Chapitre premier, Section L du ProtocoleA/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonnegouvernance additionnel au Protocole relatif aumécanisme de prévention, de gestion, de règlementdes conflits, de maintien de la paix et de la sécuritéde la CEDEAO du 21 décembre 2001.104 A. Ch. Kiss, Ph. Vegléris, ″L’affaire grecquedevant le Conseil de l’Europe et la Commissioneuropéenne des droits de l’homme″, AFDI 1971,pp. 889-931, Conseil de l’Europe. Assembléeparlementaire, Rapport sur la réadmission de laGrèce au Conseil de l’Europe, doc. 3512 du 27novembre 1974.

3 du Statut du Conseil de l’Europe″. Dans cesconditions, le coup d’Etat militaire du 21 avril1967 est assimilé à la méconnaissance duprincipe de la prééminence du droit. C’estl’Union africaine qui par la suite contribue à ladéfinition du changement anticonstitutionnelde gouvernement au moyen de l’énumérationnon exhaustive de situations constitutivesd’une telle violation. La Déclaration de Lomédu 2 juillet 2000 sur le cadre pour une réactionde l’OUA face aux changementsanticonstitutionnels de Gouvernement recensequelques situations considérées comme unchangement anticonstitutionnel degouvernement. Il s’agit du coup d’Etatmilitaire, de l’intervention de mercenaires, degroupes dissidents armés ou rebelles pourrenverser un gouvernement démocratiquementélu, et du refus par un gouvernement en placede remettre le pouvoir au parti vainqueur àl’issue d’élections. La Charte africaine de ladémocratie, de l’élection et de la gouvernancedu 30 janvier 2007, ajoute une cinquièmesituation à savoir "tout amendement ou touterévision des Constitutions ou des instrumentsjuridiques qui porte atteinte aux principes del’alternance démocratique"105.

Les changements anticonstitutionnels,sources des troubles internes, constituent unemenace grave à la stabilité, à la paix, à lasécurité et au développement. Si en Europe, ladévolution du pouvoir se déroule selon desrègles prédéterminées qui ne suscitent aucunecontroverse et qui assurent l’alternance dansdes conditions pacifiques, toute autre est laréalité en Afrique. Dans ce continent, après lestransitions démocratiques, l’on observe lamultiplication des coups de force quipréoccupent les Etats africains, qui n’hésitentpas, soutenus par le Conseil de Sécurité del’ONU106 à condamner notamment le coupd’Etat en Mauritanie107 et en Guinée,108 la

105 Article 23 de la Charte africaine de ladémocratie, de l’élection et de la gouvernance.106 Résolution 1962 (2010) du Conseil de Sécuritéde l’ONU, du 20 décembre 2010, doc. S/Res/1962(2010).107 Communiqué de la 151ème session du Conseil dePaix et de Sécurité de l’Union africaine du 22septembre 2008, paragraphe 5.108 Communiqué du Conseil de paix et de sécuritéde l’union africaine à l’issue de la 164ème réunion

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démission forcée du Président de laRépublique à Madagascar109 et le refus duPrésident sortant de transférer le pouvoir auPrésident élu en Côte d’Ivoire110. Dans l’affaireivoirienne, l’inexécution des décisions prisespar le Sommet des chefs d’Etat de la CEDEAOjustifie l’ultimatum adressé au Présidentsortant et la menace de prendre toutes lesmesures nécessaires, y compris l’usage de laforce111.

La méconnaissance de laconditionnalité politique résulte aussi desviolations massives des droits de l’homme.

2. Les violations massives des droits del’homme

La conditionnalité politique établit unéquilibre entre d’une part, le respect de lasouveraineté de l’Etat et, la protection par laCommunauté internationale des droitsfondamentaux de la personne humaine, d’autrepart. Expression du "nouveau code decitoyenneté mondiale des pays et des peuplesau XXIème siècle"112, l’interdiction sanctionnéedes violations massives des droits de l’hommesignifie, en effet, que les Etats ne peuvent plustraiter ou maltraiter "leurs propres populationsà leur guise, derrière le paravent de lasouveraineté"113. Aussi, l’Acte constitutif de

tenue de 24 décembre 2008 et communiqué duConseil de paix et de sécurité à l’issue de la 165ème réunion tenue le 29 décembre 2008.109 Communiqué du Conseil de Paix et de Sécurité à

l’Union africaine affirme-t-il le caractèresacro-saint de la vie humaine114, lacondamnation et le rejet de l’impunité quiconfèrent à l’Union le droit d’intervenir dansun Etat membre, sur décision de la Conférence,en cas de crimes de guerre, de génocide et decrimes contre l’humanité115. Les violencesperpétrées par les forces de sécurité en Guinée,durant la manifestation pacifique organisée parl’opposition et la société civile, le 28septembre 2009, fournissent, à l’Unionafricaine et à la CEDEAO, l’occasiond’appliquer de manière particulière le triptyquedans son exigence relative au respect des droitsde l’homme. La CEDEAO dénonce etcondamne116, dès le 29 septembre 2009, lesactes de barbarie, les massacres, les viols et lesatrocités commis le 28 septembre 2009. Elleexprime le vœu qu’une Commission d’enquêteinternationale soit formée afin d’établir lesfaits, en déterminer les auteurs et lesconséquences juridiques. La Commissiond’enquête composée de Monsieur MohamedBedjaoui, de l’Algérie, de Madame FrançoiseNgendahayo Kayiramiriva, du Burundi etMadame Pramila Patten, de Maurice, a puétabli, après de multiples investigations etl’audition du Président Daddis Camara, quecent cinquante-six personnes ont été tuées oudisparues et au moins cent neuf femmes ont étévictimes de viols et de violences sexuelles. Acela s’ajoutent de nombreux cas de torture, detraitements cruels, inhumains ou dégradants,des arrestations et des détentions arbitraires.Elle conclut, dans ses recommandations, à lamise en cause de la responsabilité de l’Etat et

117l’issue de la 180ème réunion tenue le 17 mars 2009, de certains dirigeants . C’est le 29 septembre

paragraphe 3, Communiqué du Conseil de Paix etde Sécurité à l’issue de la 181ème réunion tenue le17 mars 2009, paragraphe 3.110 Communiqué final de la Session extraordinairede la Conférence des chefs d’Etat et degouvernement sur la Côte d’Ivoire, Abuja, 7décembre 2010, paragraphes 6 et 8, doc. n°188/2010.111 Communiqué final de la session extraordinairede la Conférence des chefs d’Etat et degouvernement sur la Côte d’Ivoire, paragraphe 10,du 24 décembre 2010, doc. n° 193/2010.112 La Responsabilité de protéger, Rapport de laCommission internationale de l’intervention et de lasouveraineté des Etats co-présidée par GarethEvans et Mohamed Sahnoun, décembre 2001,paragraphe 8.33.113 Ibidem, paragraphe 8.32.

2009 que le Conseil de Paix et de Sécurité danssa formation la plus prestigieuse, c’est-à-dire

114 Article 3 - alinéa o de l’Acte constitutif del’Union africaine.115 Article 4 - alinéa h de l’Acte constitutif del’Union africaine et article 4 alinéa j du Protocoleportant création du Conseil de Paix et de Sécuritéde l’Union africaine.116 Voir le Communiqué de presse n° 096/2009 dela CEDEAO du 29 septembre 2009 et leCommuniqué final du Sommet extraordinaire deschefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO,tenu à Abuja le 17 octobre 2009.117 Nations Unies, Rapport de la Commissiond’enquête internationale chargée d’établir les faitset les circonstances des événements du 28septembre 2009 en Guinée, 60 p.

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au niveau des chefs d’Etat, "condamne de lamanière la plus ferme, les tueries, ainsi que lesactes délibérés de violence contre des civilsnon armés et les viols commis sur des femmespar des unités armées placées dans l’autoritédu Conseil national pour la démocratie et ledéveloppement (CNDD)"118. Et, il fait siennesles décisions prises lors du Sommet de laCEDEAO.

La commission de ces actes illicitesexpose les auteurs à des sanctions singulières.

B) Des sanctions originales

Le principe de ’’l’interdiction deschangements anticonstitutionnels degouvernement et des violations massives desdroits de l’homme est garanti par un

"clause élément essentiel"120. Celle-ci luipermet, conformément au droit des traités, deles suspendre ou de les dénoncer, en cas deviolation substantielle par l’Etat de sesobligations conventionnelles, et après examenapprofondi de la situation121. Dans les "accordsde troisième génération", "la clause balte",encore qualifiée "clause de suspension",présente dans les conventions conclues avecl’Estonie122, la Lettonie123 et la Lituanie124 le11 mai 1992, justifie la suspensionautomatique, totale ou partielle de l’applicationde l’accord, en cas d’atteintes graves auxdispositions essentielles. Elle est complétée parla "clause bulgare"125 ou "clause de non-exécution", insérée dans les accords conclus,dans un premier temps, avec la Roumanie, le 8février 1993126, la Bulgarie, le 8 mars 1993 etensuite avec la République tchèque, la

mécanisme de sanctions positives et négatives(1) de nature "ciblées" ou "intelligentes" (2).

1. Des sanctions positives et négatives

La conditionnalité politique porte surdes questions qui relevaient de manièreexclusive de la souveraineté des Etats et quiprogressivement intègrent le champd’application du droit international. Il enrésulte notamment la volonté de ménager lesEtats au moyen de sanctions positives qui"remplissent une fonction d’encouragement"119

des efforts consentis, en matière d’instaurationde la démocratie, de l’Etat de droit et derespect des droits de l’homme. Dans cesconditions, la « politique de la carotte » estprivilégiée et la sanction constitue l’ultimaratio.

L’Union européenne, après les"accords de première génération", conclus avecles pays d’Europe centrale et orientale, quicomportent une "clause fondement", mais neprévoient aucune sanction, adopte "les accordsde deuxième génération" qui comprennent une

118 Communiqué de la 207ème réunion du Conseil dePaix et de Sécurité de l’Union africaine du 29octobre 2009, paragraphe 2.119 A. Laquieze, "Sanction", in Dictionnaire de laculture juridique, Paris, PUF, 2003, p. 1384.

120 Voir l’article 2 de l’Accord européen établissantune association entre les Communautéseuropéennes et les Etats membres, agissant dans lecadre de l’Union européenne, d’une part et laRépublique de Slovénie, d’autre part. ".121 Voir Commission, Rapport régulier 1999 de laCommission sur les progrès réalisés par la Slovéniesur la voie de l’adhésion, 1999, 13 octobre 1999, p.12.122 Accord entre la Communauté économiqueeuropéenne (CEE) et la République d’Estonieconcernant le commerce et la coopérationcommerciale et économique, JO L 403 du 31décembre 1992, p. 13.123 Accord entre la Communauté économiqueeuropéenne (CEE) et la Lettonie concernant lecommerce et la coopération commerciale etéconomique, JO L 403 du 31 décembre 1992, pp.11-18.124 Accord entre la Communauté économique del’acier et du charbon(CECA) d’une part et laRépublique de Lituanie, d’autre part concernant lecommerce et la coopération commerciale etéconomique du 11 mai 1992, JO L 403 du 31décembre 1992, pp 20-28.125 Cette clause, présente dans l’accordd’association conclu avec la Bulgarie, le 8 mars1993, est ensuite appliquée à la Roumanie, laRépublique tchèque, la Slovaquie, la Russie, laMoldavie et l’Ukraine.126 Accord intérimaire pour le commerce et lesmesures d’accompagnement entre la Communautééconomique européenne et la Communautééconomique de l’acier et du charbon (CECA),d’une part, et la Roumanie, d’autre part du 8 mars1993, JO L 81 du 2 avril 1993, pp. 2-152.

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Slovaquie, la Russie, la Moldavie et l’Ukraine.Cette clause institue une sanction positive,préalable à toute mesure de suspension127.

La combinaison des sanctions positiveset négatives caractérise aussi la coopération audéveloppement établi avec les Etats d’Afrique,des Caraïbes et du Pacifique. L’article 8 del’Accord de Cotonou privilégie le dialoguepolitique entrepris par l’Union européenneavec l’Etat qui n’observe pas la conditionnalitépolitique. Ce n’est qu’en cas d’échec dudialogue politique que les parties, en

promotion de l’égalité des sexes et, unprogramme général d’appui à l’Etat de droit ouà la bonne gouvernance. L’effectivité de laconditionnalité politique de l’Unioneuropéenne s’apprécie notamment à l’aune desdiverses consultations ouvertes au lendemainde coups de force, en Côte d’Ivoire132 et, auxîles Fidji133, à la suite d’irrégularités en matièreélectorale au Togo134, à Haïti135 et auZimbabwe136, et de "fraude à la Constitution"au Niger137.

l’occurrence l’Union européenne, recourent àla procédure de consultation128 de l’article 96,destinée à prévenir ou à éviter l’application des

132 Le 24 janvier 2004, sur le fondement de l’article

sanctions négatives. Le recours au dialoguepolitique ou aux consultations129 est doncfonction de la collaboration ou du manque decoopération de l’Etat défaillant. Il s’expliquepar le réalisme dont fait preuve l’Unioneuropéenne qui considère que "ce n’est pas enrompant toute relation avec ce pays quienfreint gravement les droits de l’homme quecette situation va disparaître. Souvent, lemaintien d’une relation avec ce pays permet àl’Union d’établir une certaine pression pourque des changements en faveur des droits del’homme et de la démocratie soientintroduits"130. Le dialogue politique soumet,par conséquent, "l’Etat conditionné" à uneconditionnalité sur mesure131 et dans ce cadre,diverses mesures d’accompagnement peuventêtre arrêtées notamment, la fourniture del’assistance démocratique, le soutien àl’amélioration des droits de l’homme,l’assistance ou l’observation électorale, la

127 Article 46 alinéa 2 de l’accord conclu avec laRoumanie le 8 février 1993, op. cit.128 Article 8 alinéa 2 de l’Accord de Cotonou réviséle 21 juin 2005.129 Les consultations commencent au plus tardtrente jours après l’invitation faite par la partie laplus diligente et elles n’excèdent pas les cent vingtjours.130 M. Candela Soriano, "L’Union européenne et laprotection des droits de l’homme dans lacoopération au développement : le rôle de laconditionnalité politique", Revue trimestrielle desdroits de l’homme, 2002, p. 890.131 Article 2 alinéa 2 de l’Annexe VII Dialoguepolitique sur les droits de l’homme, les principesdémocratiques et l’Etat de droit de l’Accord deCotonou révisé le 21 juin 2005.

366 bis de la Convention de Lomé IV, l’Unioneuropéenne invite les nouvelles autoritésivoiriennes issues du coup d’état du 24 décembre1999 à participer à des consultations. Celles-ci sedéroulent à Bruxelles le 7 février 2000. Suite auxassurances données, l’Union européenne décided’organiser une coopération minimale sans pourautant suspendre l’exécution de l’Accord decoopération. Voir, doc. n° 6038/00 du Conseil du 8février 2000.133 Les consultations avec les îles Fidji s’ouvrent le19 octobre 2000 après le coup d’état du 19 mai2000.134 Les conditions d’organisation des électionsprésidentielles au Togo en juin 1998 amènent leConseil de l’Union européenne à décider en juin1998 de l’ouverture de consultations. Le 21 juin1998, les autorités togolaises suspendent ledépouillement du scrutin. Le 24 juin 1998, ellesdéclarent la victoire du Président sortant. LePrésident de l’Union européenne manifeste sapréoccupation et en juillet 1998, le Conseil invite leTogo à des consultations dont l’échec justifie le 14septembre 1998 la non reprise de la coopérationsuspendue depuis 1992. Voir, M. Mankou, "Droitsde l’homme, démocratie et Etat de droit dans laConvention de Lomé IV", Revue juridiqueinternationale indépendance et coopération, 2000,n° 3, septembre - décembre, p. 328.135 Le mauvais comptage des voix et les mesures etintimidation contre les candidats de l’oppositionjustifient l’ouverture de consultations le 26septembre 2000.136 Au lendemain des élections présidentiellesmarquées par de nombreuses irrégularités, l’Unioneuropéenne invite le 11 janvier 2002 les autoritésdu Zimbabwe à des consultations.137 Au lendemain de la décision prise par lePrésident Tandja de dissoudre l’Assembléenationale et la Cour constitutionnelle, et d’organiserun referendum constitutionnel afin de proroger sonmandat présidentiel de trois ans, l’Union

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La « politique de la carotte » neproduit pas toujours les résultats escomptés, cequi justifie le recours à "la politique du bâton"c’est-à-dire aux sanctions négatives quipeuvent être politiques, militaires,économiques, culturelles ou juridictionnelles.Les sanctions politiques sont prononcéescontre l’Etat qui ne respecte pas ses obligationsen matière de conditionnalité politique. Ellesconsistent, selon les hypothèses, enl’invalidation des pouvoirs des délégations desEtats et, en la suspension de l’Etat.L’invalidation des pouvoirs des délégationsparlementaires est une sanction plusieurs foisprononcée par l’Assemblée parlementaire duConseil de l’Europe contre la Turquie138, et laRussie139, suite à des violations massives desdroits de l’homme, Malte140, pour atteinte à laliberté d’expression et Chypre141, pour défautde représentation de la Communauté grecque.

La suspension est une sanctionpolitique où économique dont les modalités demise en œuvre sont multiples. Dans le cadre del’Union européenne, l’Etat membre qui violede manière grave et persistante les valeursvisées à l’article premier encourt la suspensionde certains droits notamment le droit de vote142

tandis que l’Etat tiers d’Afrique, des Caraïbeset du Pacifique s’expose à la suspension de

l’exécution de l’accord de coopération.L’Union africaine organise une sanctionautomatique143 alors que la Communautééconomique des Etats de l’Afrique de l’Ouest(CEDEAO), institue une sanctionfacultative144. Mais dans la pratique, l’on notel’interprétation dynamique de la Conférencedes chefs d’Etat et de gouvernement de laCEDEAO qui n’a pas manqué de prendrel’initiative sur l’Union africaine et desanctionner les violations de la conditionnalitépolitique en Mauritanie, Etat tiers, en Guinéeou en Côte d’Ivoire. Au sein de l’Unionafricaine, c’est le Conseil de Paix et deSécurité qui détient le pouvoir de suspendre lesdroits de participation d’un Etat aux activitésde l’organisation145.

En Mauritanie, après l’ultimatum posélors de sa 163ème réunion, tenue le 22 décembre2008, dans lequel il demande aux putschistesde rétablir l’ordre constitutionnel avant le 5février 2009, le Conseil de Paix et de Sécuritédécide de suspendre la Mauritanie, premierEtat à avoir ratifié la Charte sur les élections, ladémocratie et la gouvernance146, des activitésde l’Union africaine. La Guinée147, la Côted’Ivoire148 et Madagascar149 subissent la mêmesanction.

européenne met en demeure le Niger sur lefondement de l’article 96 de l’Accord de Cotonou.138 J.P. Pancracio, ″La Turquie et les organespolitiques du Conseil de l’Europe″, AFDI 1984, p.163.139 Des violations des droits de l’homme enTchétchénie retardent l’admission de la Fédérationde Russie au Conseil de l’Europe entre 1995 et le25 janvier 1996. La persistance de ces violationsjustifie de nouveau, la suspension de la délégationrusse entre avril 2000 et le 25 janvier 2001.140 La majorité socialiste au pouvoir à Malte faitadopter par le Parlement, le 31 août 1982, une loicontre l’ingérence étrangère qui interdit àl’opposition d’utiliser les stations radios et detélévisions situées en Italie.141 En 1974, l’Assemblée parlementaire refuse devalider les pouvoirs de la délégation chypriote quine comprend pas de représentant de la communautéturque. Mais la délégation composée dereprésentants grecs continue, cependant, de siégerau Comité des Ministres.142 Article 7 paragraphe 2 du Traité de Lisbonne surl’Union européenne.

143 Article 30 de l’Acte constitutif de l’Unionafricaine : "Les gouvernements qui accèdent aupouvoir par des moyens anticonstitutionnels ne sontpas admis à participer aux activités de l’Union"144 Article 45 du Protocole additionnel de laCEDEAO sur la démocratie et la gouvernance : "Encas de rupture de la démocratie par quelque procédéque ce soit et en cas de violation massive des droitsde la personne dans un Etat membre, la CEDEAOpeut prononcer à l’encontre de l’Etat concerné dessanctions".145 Article 7-9) du Protocole relatif à la création duConseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine.146 Communiqué de la 168ème réunion du Conseil dePaix et de Sécurité du 5 février 2009, paragraphe 2.147 Communiqué de la 165ème réunion du Conseil dePaix et de Sécurité de l’Union africaine du 29décembre 2008, paragraphe 3.148 Communiqué de la 252ème réunion du Conseil dePaix et de Sécurité de l’Union africaine du 9décembre 2010.149 Communiqué de la 181ème réunion du Conseil dePaix et de Sécurité de l’Union africaine du 20 mars2009.

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La suspension a un effet immédiat etelle constitue une mesure temporaire quis’applique en attendant, ainsi que le rappelleconstamment le Conseil de Paix et de Sécurité,le rétablissement de l’ordre constitutionnel.Cependant, l’Etat suspendu demeure membrede l’organisation et il est tenu d’en respecterles diverses obligations.

L’intervention militaire est unesanction prévue par l’Acte constitutif del’Union africaine et par le Protocole relatif aumécanisme de prévention, de gestion, derèglement des conflits, de maintien de la paixet de la sécurité de la Communautééconomique des Etats de l’Afrique de l’Ouestdu 10 décembre 1999. La Conférence del’Union africaine peut, en application del’article 4-h), qui jusqu’à présent demeurelettre morte, décider d’intervenir dans un Etatmembre dans certaines circonstances graves àsavoir les crimes de guerre, le génocide et lescrimes contre l’humanité. Et, un Etat, à l’instardes Comores le 25 mars 2008, peut solliciterl’intervention de l’Union africaine, afin derestaurer la paix et la sécurité. Tandis que dansle cadre de la CEDEAO, le Groupe de contrôledu cessez-le-feu de la Communautééconomique des Etats de l’Afrique de l’Ouest(ECOMOG)150 est intervenu au Liberia, de1997 à 1999 et en Sierra Leone, de 1970 à2000. Lors de la dernière crise post électoraleen Côte d’Ivoire, la CEDEAO a de nouveaumenacé d’intervenir militairement151.

Les sanctions juridictionnelles de laconditionnalité politique sont mises en œuvrepar la Cour européenne des droits de l’hommequi assure la défense de l’ordre publiceuropéen, veille au respect des principespropres à une société démocratique et assure lasauvegarde et le développement des droits del’homme. La Cour européenne des droits del’homme soutient, en particulier, l’existencedes valeurs communes considérées comme

150 Voir les articles 17, 21 et 22 du Protocole relatifaux mécanismes de prévention, de gestion, derèglement des conflits, de maintien de la paix et dela sécurité du 10 décembre 1999.151 Communiqué final de la session extraordinairede la Conférence des chefs d’Etat et degouvernement sur la Côte d’Ivoire, paragraphe 10,du 24 décembre 2010, doc. n° 193/2010.

irréductibles et qui doivent être observées parles Etats. Cet ordre public européen se fondenotamment, sur la démocratie pluraliste qui enest l’élément fondamental et qui s’exerce parles partis politiques au moyen de la libertéd’opinion qui assure le progrès etl’épanouissement de tous152. Elle précise, enoutre, que si les Etats ont l’obligation d’établirla démocratie, ils ont aussi le devoir de ladéfendre en usant de moyens appropriés153.

La conditionnalité politique renouvellela problématique de la sanction au moyen dessanctions ciblées ou intelligentes.

2. Des sanctions "intelligentes"

Jusqu’à une période récente, lessanctions internationales produisent des effetsautomatiques qui s’appliquent sans aucunedistinction sur l’ensemble des espaces relevantde la juridiction d’un Etat. Ce principe de nondistinction présente, néanmoins, en particulierau Burundi, à Cuba et en Iraq desconséquences fâcheuses pour les populations154

les plus vulnérables victimes involontaires desmesures de restrictions155. Les observateurssoutiennent qu’en Irak, il y aurait eu 500.000 à1.500.000 victimes dont de nombreux enfants.A Cuba et au Burundi, l’on déplore ladésorganisation de l’ensemble de l’économie.Les conséquences graves de ces sanctionssuscitent les critiques des fonctionnaires del’ONU, des Etats et de la société civile. Denis

152 Cour européenne des droits de l’homme, Particommuniste unifié de Turquie et autres contreTurquie, Arrêt du 30 janvier 1998, Recueil desarrêts et décisions, 1998-I, pp. 21-22, paragraphe45. Voir sur ce point, B. Duarte, "Les partispolitiques, la démocratie et la Cour européenne desdroits de l’homme", 10 RTDH (1999), pp. 314-350,Th. Christakis, Le droit à l’autodétermination endehors des situations de décolonisation, Paris, Ladocumentation française, 1999, p. 350 et s.153 CEDH, 6 septembre 1978, Klass et autres contreAllemagne, paragraphe 49.154 D. L. Tehindrazanarevelo, Les sanctions desnations unies et leurs effets secondaires. Assistanceaux victimes et voies juridiques de prévention,Paris, PUF, 2005, 523 p.155 Commission des droits de l’homme,Conséquences néfastes des sanctions économiquespour la jouissance des droits de l’homme, doc.E/CN.4/Subd 2/2003/33, 21 juin 2000, p. 4

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Halliday, ancien sous Secrétaire Général etcoordonnateur des opérations en Iraqdémissionne de son poste et déclare : « noussommes en train de détruire une société touteentière. C’est aussi simple et aussi terrifiantque cela. C’est illégal et immoral »156. Ellesconduisent au processus d’Interlaken axé surl’adoption de sanctions intelligentes et, le caséchéant, de dérogations humanitaires a l’instardu programme « pétrole contre nourriture enIrak ». Celles-ci visent l’Etat mais, ellesdoivent en même temps épargner lespopulations, d’où leur caractère limité et ciblé.Le caractère limité découle de la nature et de ladurée des mesures adoptées. Ces sanctions157

sont généralement prononcées, comme cela aété observé en Mauritanie, après une menacede sanction158 puis, un ultimatum159 adressésaux Etats auteurs d’actes illicites afin qu’ilsrétablissent la légalité constitutionnelle. Cesmesures consistent notamment pour laMauritanie, la Guinée, Madagascar et la Côted’Ivoire, en la suspension de la participation del’Etat aux activités de l’Union africaine, en desrefus de visas, dans le gel des avoirs decertaines personnalités, et en des restrictions enmatière de voyage. Dans le cadre de la crisecomorienne, le Conseil de Paix et de Sécuritéde l’Union africaine a pour la première foisdécidé l’interdiction de l’entrée ou du passageen transit sur le territoire des Etats des autoritésillégales d’Anjouan, de la surveillance desliaisons aériennes et maritimes en provenanceou à destination d’Anjouan et enfin, del’intervention à Anjouan afin de rétablir lalégalité constitutionnelle160. Ces sanctionslimitées ont, cependant, une large portée carl’Union africaine et la CEDEAO ne manquentpas de solliciter l’adhésion de l’ONU et de

156 Commission des droits de l’homme,Conséquences néfastes des sanctions économiques,op.cit, p.18, paragraphe 68.157 Communiqué de la 168ème session du Conseil dePaix et de Sécurité du 5 février 2009, paragraphe 2.158 Communiqué de la 151ème session du Conseil dePaix et de Sécurité du 22 septembre 2008,paragraphe 6.159 Communiqué de la 163ème session du Conseil dePaix et de Sécurité du 22 décembre 2008,paragraphe 9.160 Communiqué de la 95ème session du Conseil dePaix et de Sécurité du 10 octobre 2007, paragraphe5.

l’ensemble de la Communauté internationale.Ces sanctions sont ciblées car, elles ont pourobjectif de punir toutes les personnalités civilesou militaires, identifiées par des listes, dont lesactivités ont pour objet de maintenir le statuquo anticonstitutionnel à Madagascar, enMauritanie, en Guinée ou en Côte d’Ivoire. Enplus des diverses restrictions, ces personnalités"ne doivent ni participer aux électionsorganisées pour la restitution de l’ordredémocratique, ni occuper des postes deresponsabilité dans les institutions politiquesde leur Etat"161. Ce principe s’est avéré d’uneapplication difficile, car très souvent, lesautorités de fait qui accèdent au pouvoir enusant de moyens anticonstitutionnels,procèdent activement à l’organisationd’élections qu’ils remportent et qui leurconfèrent ensuite la légitimité démocratique. Ilen résulte une certaine relativisation duprincipe de conditionnalité politique.

CONCLUSION

L’étonnement, la curiosité,progressivement l’intérêt, tels sont lessentiments que suscite, après examen, laconditionnalité politique. La formulation de cenouveau principe de droit international au seindu Conseil de l’Europe, de l’Unioneuropéenne, de l’Union africaine puis de laCEDEAO, traduit l’existence de principes etde valeurs communément partagés. Le terreaueuropéen s’est avéré favorable à l’éclosion dela conditionnalité politique qui s’est diffuséeensuite lentement dans le reste du monde. Ade cette étude, il y a lieu de s’interroger surl’avenir de ce principe juridique. En d’autrestermes, la conditionnalité politique doit-elledemeurer une exception régionale ? Ne doit-elle pas s’étendre aux autres continents etdevenir une norme universelle ? La réponse àces interrogations, démontre que la diffusionet la consolidation de la conditionnalitépolitique passe notamment par l’évolution desa nature juridique.

La conditionnalité politique exprimel’idée d’un développement durable centré surl’individu dont la satisfaction des besoins

161 Article 25 paragraphe 4 de la Charte africaine dela démocratie, des élections et de la gouvernance.

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essentiels justifie la vie en société."L’irréductible humain"162 apparaît comme lapierre angulaire des sociétés contemporaines.En effet, au-delà de la diversité politique,économique, culturelle, raciale ou religieuse, lanature humaine est une et les droits inhérents àla personne humaine sont identiques. Aussi, laproblématique de la conditionnalité politiqueconstitue-t-elle une exigence pour tous lessystèmes politiques. Ceux-ci ne sauraient s’ysoustraire. Par conséquent, les Etats doiventrelever le défi de la restauration de la dignitéde la personne humaine, dans le cadre d’unesociété démocratique établie dans le respect del’Etat de droit. Cette option implique, d’unepart, des changements de comportements auniveau interne, en particulier, l’effectivité del’Etat de droit. Il est intéressant de noter que leConseil Constitutionnel ivoirien, dans sadécision n° CI- 2011. EC 036 du 4 mai 2011,fait siennes les décisions du Conseil de paix etde sécurité de l’Union Africaine sur lerèglement de la crise en Côte d’Ivoire pourdéclarer M. Dramane Alassane OuattaraPrésident de la République. D’autre part, ellesuppose l’entrée en vigueur des conventionsinternationales pertinentes, en particulier, enAfrique, la Charte de l’Union africaine de ladémocratie, des élections et de la gouvernancedu 30 janvier 2007.

Au niveau universel, la conditionnalitépolitique "attrape tout" de l’ONU, établie pardes instruments non contraignants marquésd’une certaine ambiguïté, ne doit pas demeurerune évolution sémantique. Elle doit devenir unprincipe juridique soumettant les Etats parties àdes obligations sanctionnées. L’irruption de laconditionnalité aux Nations Unies sur lefondement de la théorie des compétencesimplicites implique nécessairement desamendements de la Charte à inscrire dans lecadre de la réforme de l’ONU. Ce quipermettait d’insérer dans le préambule et dansle dispositif la conditionnalité de l’adhésion etde la participation dont le suivi relèverait de ladouble compétence de l’Assemblée généralede l’ONU et du Conseil de Sécurité ; leConseil de Sécurité pouvant, le cas échéant

162 B. Boutros-Ghali, Secrétaire général des NationsUnies, Discours d’ouverture de la Conférencemondiale sur les droits de l’homme, Vienne, 14juin 1993, doc. A/CONF./57/22.

adopter des mesures coercitives. Par ailleurs,l’existence de voies de recours ouverts auxindividus faisant l’objet de sanction apparaîtcomme l’achèvement indispensable du nouvelédifice car elle éviterait certainesinterprétations divergentes163.

La diffusion et l’extensiongéographique de la conditionnalité politiquepeut, certes, s’opérer de manièreconventionnelle avec la multiplication deconventions régionales et universelles.Toutefois, cette modalité présente des limitescar en vertu de la règle pacta sunt servend a,ces traités ne s’appliquent qu’à l’égard desEtats parties et à l’égard des tiers, ils sont régispar le principe de l’effet relatif. Parconséquent, la consolidation du principe de laconditionnalité politique impose l’évolution desa nature juridique. Pour son efficacité, laconditionnalité politique ne peut demeurer unprincipe conventionnel. Elle doit se muer en unprincipe général de droit et, à terme, devenirune norme coutumière opposable à l’ensembledes Etats. C’est alors que peut-être serontréunies les conditions pour que laconditionnalité politique s’impose de manière"erga omnes"164 dès lors qu’elle se sera libéréedu carcan du volontarisme165. Il en résulterait,alors, une actio popularis166 détenue par tout

163 La Cour de justice des Communautéseuropéennes en annulant les arrêts du tribunal depremière instance déclare que les juridictionscommunautaires sont compétentes pour contrôlerles mesures adoptées par la Communautéeuropéenne et qui mettent en œuvre les résolutionsdu Conseil de sécurité des Nations Unies. Elleconsidère que le règlement communautaire viole lesdroits fondamentaux des requérants. Voir CJCE,arrêt 3 septembre 2008, Yassin abdoullah Kadi etAl Barakaat International Foundation/Conseil etCommission.164 CIJ, A, 5 février 1970, Barcelona Traction, Rec.1970.165 CPJI, Arrêt du 7 septembre 1927, Lotus, Rec.1927, p. 18. " Le droit international régit lesrapports entre les Etats indépendants. Les règles dedroit liant les Etats procèdent de la volonté deceux-ci".166 CIJ, A, 18 juillet 1966, Sud Ouest Africain,deuxième phase, Rec. 1966, paragraphe 88. Danscet arrêt, la Cour constate l’absence d’actiopopularis en droit international au profit notammentdu Liberia et de l’Ethiopie.

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Etat ou toute institution et susceptible d’êtremise en œuvre dès lors qu’il existerait uneviolation de la démocratie, de l’Etat de droit etdes droits de l’homme. Certes, une telleproposition formulée dans une sociétéinternationale érigée sur le dogme de lasouveraineté de l’Etat paraît utopique. Elleparticipe, néanmoins, à la construction de cetEtat idéal tant souhaité par Emmanuel Kant et

caractérisé par "la paix perpétuelle". Loind’être une chimère et une extravagance, ellesignifie simplement que "la solidarité (plus ou

moins étroite) qui prévaut à peu près partoutentre les peuples de la terre est parvenue à unpoint tel qu’une violation du Droit en un seullieu est ressentie partout ailleurs"167.

167 E. Kant, Pour la paix perpétuelle, Projetphilosophique, Paris, Presses universitaires deLyon, 1985, p. 64.