Le Tourisme Littoral en Méditerranée

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Le mécanisme du tourisme en méditerranée, ses points faibles et ses failles

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    de leurs ressortissants est largement contrainte par des capacits conomiques individuelles et familiales limites. On sait en effet que celles-ci tendent imposer au dsir de voyager des contraintes de distance et dcarts de pouvoir dachat, favorables aux dplacements domesti-ques. Pour certaines rgions comme la frange mdi-terranenne des Balkans, un autre facteur explicatif du poids important du tourisme domestique est relatif la modeste attractivit dont souffrent encore ces destinations auprs des touristes internationaux, donc la faiblesse des arrives internationales. Des pays comme la Bosnie-Herzgovine, lAlbanie et la Serbie-Montngro affichaient en 2000 des taux de domesticit de leurs flux touristiques slevant respectivement 64 %, 80 % et 82 %. De fran-ches volutions sont cependant attendre de la monte en puissance de la Russie comme mettrice de touristes.

    Les diffrences aux chelles nationalesLexplication des diffrences entre les pays rcepteurs reste dlicate car celles-ci naff-rent pas uniquement aux conditions de vie des populations, mais galement leurs avantages comparatifs sur la scne rgionale et interna-

    tionale. Or, ces avantages relvent tout autant dlments conomiques (destination qui ne revient pas chre) quenvironnementaux ou culturels (rle du patrimoine naturel et/ou humain, volution des attentes des touristes). Il y a donc un rel danger vouloir comparer en nembrassant pas toutes les dimensions du choix touristique. Cela savre cependant trs complexe, peut-tre mme trop pour comparer des situations nationales aux caractristiques somme toute trs varies. Lexercice de la com-paraison prsente cependant comme princi-pal intrt de montrer qu lchelle du bassin mditerranen comme celle de chacun de ses pays, certaines dynamiques gnrales sont luvre dont il faut tenir compte pour envi-sager lavenir. Sur ce point, le rle stabilisant que pourrait potentiellement jouer le tourisme domestique face aux volutions climatiques pour contrebalancer la probable rorganisa-tion des flux internationaux ne doit pas tre nglig. Plus gnralement, lintrt de distin-guer flux internationaux et nationaux est de permettre de ne pas aborder la problmatique du changement climatique, et travers elle cel-les des volutions venir et donc de la durabi-lit du phnomne touristique et de lamliora-tion sur le temps long des conditions de vie des

    Figure 3. Les entres de touristes internationaux en Mditerrane en 2000 et leur volution depuis 1970

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    Mditerranens, de la mme manire pour tous les pays du bassin. Cest probablement l lune des manires de faire contrepoids aux incerti-tudes climatiques rgionales et locales inhren-tes limmaturit, pour lheure, des travaux de modlisation climatique. En ce sens, dautres lments de diffrenciation des destinations doivent tre intgrs aux analyses, comme les modes darrive de lensemble des visiteurs (avion, croisire, route, train) et lorigine des touristes internationaux. En effet, si les flux en provenance dEurope sont encore prpon-drants (plus des trois quarts), la monte en charge du tourisme mis par le Moyen-Orient, et plus gnralement le tourisme intra-arabe (PNUE-PAM-PB 2005), tend favoriser les des-tinations de la rive Sud10. Ces mouvements sont notamment trs prgnants en Syrie, au Liban, en gypte et en Libye.

    Le poids spcifique du tourisme domestiqueEn matire de tourisme domestique et en se concentrant seulement sur les rgions cti-res, lesquelles captent environ 43 % des flux domestiques densemble, le constat est celui, comme pour le captage des flux internationaux, dun poids dominant des pays les plus dvelop-ps (cf. tab. 2). LItalie, lEspagne et la France concentrent en effet respectivement 35 %, 13 % et 12 % des flux domestiques gnraux de Mditerrane, soit un cumul de 60 % (86 % si lon ne tient compte que des flux caractrisant les pays de la rive Nord, de lEspagne lAlba-nie). lchelle mme de ces trois pays, les flux domestiques comptent pour respectivement 45 %, 20 % et 34 % de lensemble des visiteurs, soit un poids considrable. Les autres pays du bassin ne comptent en revanche que pour une part minoritaire du flux gnral, soit environ 40 %, alors mme que les rives Est et Sud dis-posent des trois quarts du linaire ctier mdi-terranen. Lapprciation du rle du tourisme domestique dans ces pays ne doit cependant pas sarrter ce chiffre, car il est trompeur. En effet, lorsquon le rapporte lchelle de cha-cun de ces pays, il apparat clairement que les touristes nationaux, en reprsentant plus de la moiti du flux touristique, sont moteurs du dveloppement de cette activit pour 11 pays

    10. Cela sexpliquerait galement par les difficults dobten-tion de visas que rencontrent les ressortissants du Moyen-orient pour venir dans les destinations europennes.

    (Algrie, Serbie-Montngro, gypte, Alba-nie, Syrie, Libye, Maroc, Bosnie-Herzgovine, Liban, Isral, Turquie), et quils y contribuent grandement pour sept autres (entre 10 % et prs de 40 % en Slovnie, Tunisie, Territoires palestiniens, Grce, Croatie, Malte, Chypre).Au total, les pays riverains de la Mditerrane fournissent plus de 43,5 millions de touristes internationaux lensemble mditerranen, soit une contribution de prs de 20 % aux flux internationaux qui touchent le bassin (sorte de phnomne dauto-alimentation). Si lon ajoute cela les estimations cumules des flux domestiques (145,6 millions en 2000, 63,5 si on ne tient compte que des rgions ctires), cela porte la contribution de la Mditerrane son propre tourisme hauteur de 40 % (36 % pour les seuls flux ctiers). Cela nest bien entendu absolument pas ngligeable dans la mesure o lon peut a priori penser que sil y aura proba-blement des redistributions de flux au sein du bassin mditerranen au fil des changements climatiques, rien ne dit que le flux densemble sera amoindri. Autrement dit, si les touristes mditerranens voyageant en Mditerrane ne choisiront pas forcment les mmes desti-nations quaujourdhui, ils ne seront pas fata-lement moins nombreux. Cela constitue, au moins lchelle de la Mditerrane, un facteur stabilisant.

    Les grands facteurs dvolution du tourisme en MditerraneLhistoire du tourisme en Mditerrane mon-tre que le dveloppement de cette activit sest appuy sur un certain nombre de caractristi-ques naturelles et anthropiques propres au bas-sin dans son ensemble ou parfois quelques-uns de ses pays seulement (Miossec, 1998 ; PNU-PAM-PB, 2005). Parmi ces facteurs, rap-pelons la prgnance davantages climatiques comparatifs (lensoleillement notamment), une certaine stabilit politique dans la plupart des pays, une incontestable proximit des marchs metteurs de touristes qui comptent parmi les plus lourds au monde, ou encore une relative diversification des sources mettrices de touristes. Ce dernier lment permet par exemple de palier les risques de chute brutale des effectifs lchelle de lensemble du bassin suite un vnement finalement localis dans un seul pays ou groupe de pays. Nanmoins, diversit ne rime pas fatalement avec stabilit

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    car la multiplication des sources mettrices implique dans le mme temps une plus forte exposition, au moins potentielle, aux diffrents vnements qui peuvent survenir sur le pour-tour mditerranen ou en dehors. Ce raisonne-ment vaut aussi par exemple pour la diversi-fication des types de tourisme (balnaire, de montagne, sportif.). Chacun des facteurs sta-bilisants peut savrer, selon les contextes spa-tio-temporels, contreproductif. Lenjeu reste donc, pour la Mditerrane comme pour cha-cune des destinations qui la compose, de rus-sir trouver un quilibre entre spcialisation et diversification de lactivit touristique.Face ces facteurs structurants, dautres ten-dent agir diverses chelles en dfaveur de la dynamique touristique. Ils peuvent tre la fois endognes et exognes. On peut globa-lement citer les crises conomiques dans les pays metteurs de touristes internationaux, crises qui peuvent plus ou moins durablement branler les conditions de vie. Dans les pays rcepteurs, il peut sagir dvnements terro-ristes et de tensions politiques. Il convient bien entendu dajouter ce panel les risques naturels (tsunamis, tremblements de terre)

    et les crises environnementales (pollutions, par exemple), qui nont que peu voir avec le changement climatique. On est ainsi invit considrer les changements dits globaux plus que les seules volutions climatiques.Il est ds lors clair quun vaste panorama de ris-ques et dopportunits guide le dveloppement du tourisme mditerranen, et que de multiples facteurs ne relevant pas du changement clima-tique agissent sur lvolution des flux touristi-ques. Ce dernier a en effet trop tendance, car la problmatique est nouvelle et encore pleine dincertitudes, a tre prn comme le facteur dterminant pour lavenir. Or, cela nous parat tre une erreur de jugement importante, car les dynamiques dmographiques au sein du bassin mditerranen, de mme que lvolution des carts socioconomiques ou encore limpact sur le long terme des dgradations environne-mentales, pseront certainement tout autant aux chelles locales que les volutions clima-tiques, peut-tre mme davantage ou parfois en amont. Cela ne signifie pas que les change-ments climatiques doivent tre mis de ct lors-que lon tente didentifier les avenirs potentiels du tourisme mditerranen, mais plutt quils

    Tableau 2. Le tourisme domestique dans les rgions ctires de Mditerrane (chiffres de 2000)

    Nb total touristes (intern. + domest.) (milliers)

    Nb touristes domestiques(milliers)

    Part tourisme dom./total par pays (%)

    Part tourisme dom./total Med.(%)

    Espagne 41 810 8 282 19,8 13,0

    France 22 819 7 700 33,7 12,0

    Italie 48 888 22 121 45,2 34,9

    Grce 16 151 4 276 26,4 6,8

    Monaco 300 - 0,0 0,0

    Malte 1 372 156 11,4 0,2

    Chypre 3 000 314 10,5 0,5

    Slovnie 469 197 42,0 0,3

    Croatie 6 228 805 12,9 1,2

    Bosnie-Herzgovine 31 20 64,0 0,1

    Serbie-Montngro 187 163 87,2 0,2

    Albanie 78 62 79,5 0,1

    Turquie 12 794 6 563 51,3 10,4

    Syrie 620 478 77,1 0,7

    Liban 1 252 769 61,4 1,2

    Isral 4 126 2 434 59,0 3,8

    Territ. palestiniens 46 13 28,2 0,1

    Egypte 2 822 2 310 81,8 3,6

    Libye 679 513 75,5 0,8

    Tunisie 6 708 1 904 28,4 3,1

    Algrie 3 293 3 033 92,1 4,8

    Maroc 1 985 1 368 68,9 2,2

    Total Mditerrane 175 656 63 480 36,1 100,0

    Source : Plan Bleu, 2003 et calculs personnels.

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    doivent tre contextualiss. Les changements climatiques font en effet rfrence des ris-ques graduels, tals dans le temps (croissance des tempratures, rduction des prcipitations, lvation du niveau de la mer), ce qui para-doxalement offre une certaine opportunit aux socits littorales mditerranennes de mettre en place des systmes de prvention et dantici-pation qui permettront, terme, de rduire les consquences de ces risques. Cette possibilit danticiper est souvent moins prgnante dans le cas de grands tremblements de terre ou de tsunamis, de mme que les efforts entrepris aujourdhui pour rduire les conflits gopoli-tiques noffrent pour lheure aucune garantie, simplement des espoirs de paix. Or, le maintien ou le renforcement dune situation de guerre peut constituer un frein au tourisme sur le long terme, car limage du chaos peut perdurer bien longtemps aprs que le conflit a officiellement cess. Au total, si les changements climatiques risquent donc de trs fortement influencer les flux touristiques mditerranens des dcennies venir, leur influence doit tre nuance, du moins doit-elle tre replace dans un contexte.

    Les scnarios de flux pour lavenir procheLe principal problme pos aujourdhui par le changement climatique rside dans les incerti-tudes scientifiques dont il fait lobjet, notam-ment en matire de prvisions des volutions aux chelles nationales locales. Si bien quil est complexe pour lheure dintgrer le chan-gement climatique dans dventuels scnarios dvolution des flux touristiques. En revanche, on peut sappuyer sur dautres facteurs dvo-lution pour imaginer des grandes tendances, ce qui a notamment fait lobjet des travaux du Plan Bleu (Benoit et Comeau, 2005). Ainsi, et en saffranchissant pour le moment de la question des changements climatiques, six sources prin-cipales dinfluence peuvent tre distingues qui agiront lchelle de chacune des destina-tions mditerranennes en fonction des choix qui seront oprs dans la ou les dcennie(s) venir (PNUE-PAM-PB, 2005). Lune des plus importantes est relative (1) lvolution des conditions sociales, et travers elle celle de laccs aux loisirs, dans les pays dEurope cen-trale et orientale, mais galement en dehors de la Mditerrane, dans les pays dAsie. Ces flux potentiels seront en partie dtermins par (2) lvolution des cots des transports, point par

    nature li aux choix politiques qui simposent en termes de lutte contre les missions de gaz effet de serre. Plus subtilement, (3) lvolution des motivations des clientles aura de multiples effets, notamment en ce qui concerne lven-tuelle remise en question du modle balnaire et, par voie de fait, de lattractivit des espaces littoraux. Les destinations auront cependant elles aussi leur rle jouer dans ce remanie-ment des dsirs touristiques en ce sens quen-treront en ligne de compte (4) leurs capacits diversifier et/ou rinventer leur produit et leur image touristiques. Lavenir des tensions go-politiques au Proche-Orient (5) influencera ga-lement les flux : si la paix venait sy installer, on pourrait la fois imaginer que ces littoraux souvrent au tourisme et que la demande en elle-mme ne soit pas ngligeable ( nouveaux produits ). Indirectement, les flux des autres destinations pourront tre dstabiliss par louverture des niches orientales. Enfin, dans le mme esprit, (6) le renforcement des desti-nations dont le potentiel daccueil nest encore que peu exploit11 modifiera probablement lorganisation spatiale des flux. LAlgrie et la Libye, par exemple, sont des destinations trs proches de lEurope occidentale. Dautres des-tinations mditerranennes pourraient ainsi perdre une partie de leur potentiel dattraction. Quelles en seront les consquences ? Quelles stratgies chacun des pays mettra-t-il en uvre face ces nouvelles formes de concurrence ? Une rponse coordonne lchelle du bassin mditerranen pourrait-elle limiter les effets potentiellement importants dune rorganisa-tion des flux simplement guide par des logi-ques de march (offre/demande) ?Malgr ces perspectives, et compte tenu des dynamiques aujourdhui luvre et des pas de temps ncessaires leur maturation, trois grandes tendances apparaissent comme trs probables au Plan Bleu lhorizon 2025 (cf. tab. 3). La premire (A) est que la croissance gnrale bnficiera, en termes quantitatifs, des pays dj trs touristiques comme Chypre, Malte, lgypte et la Turquie. Dans chacune de ces destinations, la croissance des flux est res-pectivement estime + 64 %, + 65 %, + 188 % et + 291 %. eux seuls, ces quatre pays pour-raient alors compter pour prs du tiers de la

    11. La Libye accueille par exemple moins de 800 000 touristes par an alors que son littoral stend sur presque 1 800 km.

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    croissance globale du flux touristique de Mdi-terrane (86 millions sur 273). Suivant une deuxime grande tendance (B), dautres desti-nations connatront certainement des taux de croissance individuels plus forts, comme len-semble des Balkans (doublement en Croatie, quintuplement en Bosnie-Herzgovine, mul-tiplication par plus de six en en Albanie), la Libye (sextuplement) ou encore certains pays du Proche-Orient (plus dun triplement en Syrie et au Liban). Cependant, le poids cumul de ces pays a priori plus dynamiques risque de ne pas dpasser les 18 % du volume sup-plmentaire de touristes attendu entre 2000 et 2025. Autrement dit, ils ne concurrenceront gure la monte en puissance de Chypre, de Malte, et surtout de lgypte et de la Turquie. Et ce dautant que des destinations comme la France, lItalie, lEspagne ou la Grce, troisime grande tendance (C), afficheront des taux de croissance infrieurs la moyenne mditer-ranenne (+ 75 %), les taux dailleurs les plus bas parmi les 22 destinations. Les trois leaders actuels ne seront toutefois pas destitus de leur position dominante en termes de volume gn-ral (62 % des touristes en 2025). Compte tenu de ces lments, une rponse rgionale aux changements est-elle possible ?Lensemble de ces projections, qui portent le volume total de touristes dans le bassin mdi-terranen plus de 637 millions en 2025, devront bien entendu pour se raliser tenir compte de logiques extra-mditerranennes, comme les grandes tendances venir dans la demande touristique europenne12, par exem-ple. Et mme si elles restent relativement

    12. Les travaux de la Commission europenne (European Tra-vel Commission) avancent notamment que dans les pays europens, le tourisme balnaire aura tendance dans les annes venir tre moins dynamique que le tourisme urbain, et que les flux lheure actuelle dominants (du Nord vers le Sud) perdront en intensit par rapport aux flux inver-ses (Sud-Nord, Est-ouest et ouest-Est). Dun autre ct, la multiplication des sjours frquents et moindre distance aura pour effet daccrotre les cots inhrents au transport dans les dpenses touristiques, ce qui devrait par ailleurs permettre au trafic arien de se dvelopper davantage que les autres modes de transport. Cela concernera cependant davantage les clients dont le budget est globalement plus lev que la moyenne, car les cots des trajets auront par ailleurs tendance ne plus tre autant attractifs que par le pass. Cela devrait notamment favoriser la croissance de la demande touristique des personnes ges.

    hypothtiques, elles nen offrent pas moins un panorama des possibles fort intressant pour entamer un dialogue entre dcideurs et acteurs du tourisme diffrentes chelles dintervention (du rgional au national et au local, dans divers secteurs dactivit), dialogue dont lenjeu est dintgrer le temps long. Cest dailleurs plus largement lenjeu central de la lutte contre le changement climatique, plus prcisment en ce qui concerne la faisabilit de mettre en uvre aujourdhui des stratgies efficaces de mitigation et dadaptation. Nan-moins, les projections rendues disponibles par le Plan Bleu ne concernent que lchance 2025, elle-mme dsormais relativement pro-che. Dautres travaux de prospective doivent donc tre mis en place, malgr le poids contrai-gnant des incertitudes climatiques que nous voquions prcdemment. Il convient maintenant, travers lanalyse de la relation entre tourisme et changement cli-matique, de poser les bases de la rflexion aborde en troisime partie de ce document sur les effets potentiels du changement clima-tique (question de la vulnrabilit) et les pistes dadaptation envisageables pour les destina-tions touristiques mditerranennes.

    Les relations entre tourisme littoral et changement climatique en MditerraneTraiter de la relation complexe qui existe entre le tourisme littoral et le changement climati-que (tendances attendre et risques associs) ncessite au pralable de revenir sur la relati-vit du poids des facteurs climatiques dans le fait touristique en lui-mme.

    De lintrt de nuancer le regard sur la relation entre tourisme et climatSi la relation qui existe entre tourisme et cli-mat est tudie depuis plusieurs dcennies (Besanenot, 1990), elle reste relativement obs-cure en raison de sa nature extrmement com-plexe. La tendance gnrale est croire que ce sont les conditions climatiques, en particulier un fort ensoleillement et des tempratures clmentes, qui dictent lorganisation des flux touristiques. Une telle affirmation se lit dans nombre de publications scientifiques ainsi que dans lensemble des brochures touristiques. La Mditerrane a ainsi fait office depuis laube des temps touristiques de priphrie de loi-

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    sirs 13 pour les Europens du Nord : pour sa douceur hivernale entre la fin du XVIIIe si-cle et le milieu du XXe, puis jusqu nos jours pour ses charmes estivaux. Cette volution montre bien que ce qui fait lattractivit des lieux peut changer avec le temps et donc que la priode perue comme tant la plus propice au voyage nest elle-mme pas fixe. Cela a struc-tur la dynamique touristique en Mditerrane comme cela a permis lmergence sur la scne internationale des destinations tropicales. Au-del, un tel renversement de situation (de len-soleillement rpulsif attractif) interroge sur la relation entre climat et tourisme, dune part, et, dautre part, sur lvolution de cette relation, en loccurrence ici dans le contexte du chan-gement climatique. Nous reviendrons sur les consquences attendre du changement cli-matique dans le bassin mditerranen, mais concentrons-nous en premier lieu sur le poids

    13. La formule est emprunte J. Turner et L. Ash (The golden hordes: international tourism and the pleasure periphery, 1976, St. Martins Press).

    des facteurs climatiques dans le fait touristi-que contemporain, et voyons sil y a lieu de le pondrer.Par dfinition, le tourisme exploite un espace gographique (Gmez Martn, 2004), lequel est caractris par divers attributs tels sa topo-graphie, ses paysages, ses ressources. Or, ces lments sont plus ou moins directement les fruits des conditions climatiques passes et prsentes. Celles-ci expliquent par exemple la plus ou moins forte exubrance vgtale, ou encore la plus ou moins grande disponibilit en vastes surfaces planes littorales et en pla-ges. Un potentiel touristique se dessine donc laune des conditions intrinsques de lespace qui caractrisent en partie lattractivit du lieu, en loccurrence pour nous auprs de personnes ny rsidant pas. Les premiers succs des lit-toraux mditerranens ont prcisment rsid en ce contraste avec les attributs des contres dEurope septentrionale (Lozato-Giotart, 1989 ; Miossec, 1998), et par voie de fait avec les conditions climatiques auxquelles leurs popu-lations taient soumises. Schmatiquement, les variables climatiques reconnues pour avoir une influence certaine sur le fait touristique sont au nombre de cinq (Lise et Tol, 2002 ; Gmez Martn, 2004 ; Ame-lung et Scott, 2007) : tempratures, ensoleille-ment, prcipitations, vent et humidit. On regarde gnralement ces variables sur le lieu de destination, car ce sont elles qui sont sup-poses dicter son attractivit touristique. Mais on nglige souvent de regarder galement du ct du lieu metteur de touristes. Car le vritable facteur dterminant, dun point de vue strictement climatique, cest le contraste entre les conditions de vie quotidiennes du touriste et celles du lieu sur lequel il se rend pour un temps donn. Ce constat savre par-ticulirement pertinent lorsquon sintresse aux consquences probables des volutions climatiques sur les flux touristiques, point sur lequel nous reviendrons ultrieurement. Pour lheure, constatons que les attributs climati-ques des lieux, de dpart et darrive, consti-tuent un cadre de lecture intressant du fait touristique. La question est alors de savoir dans quelle mesure les conditions climati-ques, ou plutt le contraste des conditions cli-matiques entre pays metteur de touristes et destination, sont dterminantes. Existe-t-il en matire de tourisme un dterminisme gogra-

    Tableau 3. La croissance attendue des flux touristiques en Mditerrane lhorizon 2025

    Nb total touristes (intern. + domest.)(milliers)

    Taux de croissancedu volume touristique

    (i2025 avec i2000= 100)

    2000 2025

    Espagne 68 602 109 297 159,3

    France 118 372 164 466 138,9

    Italie 72 782 95 631 131,4

    Grce 17 251 25 463 147,6

    Monaco 300 594 198,0

    Malte 1 372 2 271 165,5

    Chypre 3 000 4 945 164,8

    Slovnie 1 876 5 393 287,5

    Croatie 6 949 14 153 203,4

    Bosnie-Herzgovine 309 1 978 640,0

    Serbie et Montngro 1 325 7 576 571,2

    Albanie 157 1 093 696,2

    Turquie 25 993 75 023 288,6

    Syrie 3 010 11 311 375,8

    Liban 1 704 7 515 441,0

    Isral 5 460 9 533 174,6

    Territ. palestiniens 393 1 336 340,0

    Egypte 11 717 45 809 391,0

    Libye 778 5 271 677,5

    Tunisie 7 172 15 630 218,0

    Algrie 6 932 12 488 180,1

    Maroc 8 674 20 505 236,4

    Total Mditerrane 364 125 637 263 175,0w

    Source : Plan Bleu, 2003 et calculs personnels.

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    phique, lui-mme plus ou moins hrit dun dterminisme climatique ?Le phnomne touristique est complexe et ses logiques ne peuvent tre rduites de sim-ples influences climatiques. Dautres facteurs interviennent dans le choix dune destination par un touriste, et parfois avec davantage de force que les conditions climatiques du lieu daccueil. En fait, il savre que celles-ci, bien quimportantes, tendent ne constituer quune toile de fond en matire dattractivit des desti-nations. Dautres lments entrent en ligne de compte qui renvoient notamment des aspects conomiques. Le prix des billets davion ou des modes dhbergement ont un poids considra-ble. Les logiques de marketing interviennent alors tout autant, sinon plus, que les logiques dattractivit climatique. De mme, les aspects scuritaires contribuent au choix dune destina-tion plutt que dune autre, ce qui renvoie cette fois-ci des questions de stabilit politique ou sanitaire, par exemple. Les crises gopolitiques et pidmiques sont en effet connues pour avoir des consquences souvent dramatiques et parfois durables sur les flux touristiques. Plus secondairement, les questions daccessi-bilit peuvent entrer en jeu et, en ce sens, la Mditerrane offre auprs des populations europennes des avantages comparatifs ind-niables par rapport la Carabe, locan Indien ou le Pacifique insulaire. On met par exemple seulement deux trois heures pour rejoindre le Maghreb depuis Paris, contre respectivement huit, onze et plus de vingt pour aller en Guade-loupe, La Runion ou en Nouvelle-Caldonie. La distance-temps joue un rle dautant plus positif quelle est rduite, ce qui tend dailleurs se rpercuter, mme si cette relation est loin dtre linaire, sur le cot brut des transports. Enfin, les attributs physiques du lieu sont des lments importants du choix touristique. Si la prsence du soleil et de tempratures clmen-tes de lair comme de la mer sont recherches, le seraient-elles tout autant si la plage ntait pas vendue avec la fameuse logique des 3 S (Sea, Sand, Sun) ? Or, la prsence de sable na quindirectement voir avec les conditions climatiques, en tout cas avec les cinq variables juges pertinentes en termes touristiques. Elle-mme na par ailleurs et paradoxalement rien de dterminant. Les cas sont extrmement nom-breux dhtels au devant desquels la plage est rode, mais qui nen dsemplissent pas pour

    autant. Lle tunisienne de Djerba offre quel-ques exemples quasi-emblmatiques de cette situation en Mditerrane, de mme quen est rvlateur le pullulement des pools bars14 dans les stations balnaires de Corfou (Grce).Ainsi, si les facteurs climatiques peuvent tre considrs une chelle spatiale large (la Mditerrane) comme dterminants, ils deviennent trs relatifs une chelle plus locale, car dautres lments interviennent dans la mise en tourisme des lieux (la prsence dun aroport et/ou dune route, la proximit dun ple conomique). Une cte peu expo-se au vent peut par exemple tre privilgie pour limplantation dhtels, tant parce que ce choix permet de mettre les touristes labri du mitraillage par le sable, faisant alors de la plage un espace rellement attractif, que pour limiter la dgradation des btiments par les embruns marins. Dans dautres contextes en revanche, le vent peut constituer un formida-ble alli pour attnuer la sensation touffante de tempratures et/ou dune humidit ambian-tes trs leves. Deux portions de ctes trs proches peuvent donc, en fonction de leur topographie, se rvler plus ou moins attracti-ves dun point de vue touristique. De la mme manire qu une chelle plus large et en consi-drant le jeu dautres facteurs que seulement climatiques, les ctes de lAlgrie et de la Libye naffichent pas le mme degr de touristicit que celles de la Tunisie. Cela prouve que le fait touristique ne rpond pas un quelconque dterminisme naturel et climatique, ni dailleurs un simple dtermi-nisme conomique, social ou culturel. Ce nest pas uniquement parce que le billet davion nest pas cher que la destination attire. En ra-lit, le choix touristique rsulte dune subtile combinaison de facteurs dordres trs varis dont les poids respectifs varient dun individu un autre, dun moment de lanne un autre (Lise et Tol, 2003 ; Cron et Dubois, 2004). Cela ne signifie pas que les facteurs climatiques doivent tre ngligs, mais encore une fois, ils doivent tre entendus comme une toile de fond, ne serait-ce que parce quils jouissent

    14. Etablissements comprenant une piscine et un bar autour desquels lensemble de lactivit touristique sorganise et les journes se passent. Quelques chambres peuvent ou non tre loues et la prsence du littoral apparat finale-ment trs secondaire, quasi superficielle.

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    dun potentiel psychologique remarquable. Le capital attractif du mot soleil est incontes-table aujourdhui et il peut certainement tre considr comme un facteur du choix du lieu des vacances, du moins en priode estivale sur les littoraux mditerranens et tropicaux. Il est ensuite relay par la question des cots. Mais au-del de cet aspect psychologique, dautres tendances, tout aussi lourdes, influencent le choix des destinations. On pense notamment aux volutions sociales dans les pays met-teurs de touristes, qui expliquent par exem-ple lmergence du tourisme populaire ou de masse au lendemain de lapparition des congs pays en Europe (Miossec, 1998). De manire plus ou moins lie, on pense galement aux volutions de la mode au sein des socits de loisir : des attraits de la douceur hivernale ceux de la chaleur estivale, en peine deux sicles dvolution des conditions de vie ; ou encore, une chelle temporelle plus proche de la ntre, lengouement pour quelques des-tinations sur-publicises et ayant acquis une certaine rputation. Cest le cas de Mykonos en Grce ou dIbiza en Espagne qui saffichent aujourdhui comme dincontournables lieux de fte. Djerba revt davantage limage dun lieu de vacances familiales bon march, alors que la Cte dAzur franaise simpose comme une destination chic. Ailleurs, les Seychelles comme les Galapagos restent des mythes de la nature. Enfin, et de manire parfois plus secondaire, les caractristiques culturelles, historiques ou naturelles dun lieu peuvent en expliquer lat-tractivit : lle de Santorin dans larchipel grec des Cyclades rpond ce type de logique, de mme quAlexandrie en gypte ou que lle de Malte. Les constructions sociales, mythifies ou non, jouent donc un rle puissant dans la promotion des destinations. Ce constat amne nuancer le poids des fac-teurs climatiques dans lattractivit dune destination, sans pour autant les carter. Aujourdhui, un pays ne peut uniquement compter sur ses propres atouts climatiques et il doit regarder ce quil se passe du ct des pays metteurs de touristes et des modes de vie de ces mmes touristes. La perspective du changement climatique ne fait que renforcer cet impratif car ses incidences se feront sen-tir bien entendu sur les ressources climatiques, mais au-del sur les styles de consommation, sur les moyens de transport.

    Changement climatique et tourisme littoral en Mditerrane

    propos du changement climatique en MditerraneIl sagit ici de prsenter de manire trs sch-matique quelques grands lments de cadrage concernant les perspectives dvolution clima-tique en Mditerrane, puis den montrer lin-trt et les limites actuels au regard du phno-mne touristique.Mme si les projections climatiques restent pour lheure trs gnralistes, elles laissent tout de mme penser que cette partie de la plante sera soumise de larges changements (Halle-gatte et al., 2007 ; Van Grunderbeeck et Tourre, 2008 ; Magnan et al., 2009). Cela est videm-ment en lien avec les volutions climatiques attendues lchelle mondiale (IPCC, 2007), mais galement avec le fait que la Mditerra-ne fait preuve dun fonctionnement systmi-que trs actif. Dabord parce que ses dynami-ques propres (circulation des masses deau, source de sel en surface) agissent sur le cli-mat mditerranen, voire atlantique. Ensuite parce que la mer Mditerrane subit diver-ses influences climatiques exognes (Somot, 2005). Ainsi, certaines tendances peuvent tre constates depuis les dernires dcennies, notamment une diminution de la moyenne des prcipitations (essentiellement en Grce, Turquie, Chypre, Isral, Espagne et Italie), avec cependant une augmentation des pisodes de fortes pluies. Les scnarios du GIEC saccor-dent par ailleurs penser que la Mditerrane subira par rapport aux moyennes mondiales un rchauffement marqu (avec une intensi-fication des canicules en ampleur et dans le temps) et que la tendance la dcroissance des pluies annuelles moyennes saccentuera. Si cela est estim trs probable pour le sud du bassin mditerranen, les prvisions sont plus varia-bles pour les rives septentrionales. De mme quen ce qui concerne les vents, leur activit subira certainement peu de modifications tant en termes de rgimes de circulation que din-tensit moyenne des flux. Une telle conclusion doit cependant tre entendue avec grande pr-caution car linfluence des modifications dans la circulation atmosphrique gnrale reste difficile apprhender. Si bien que ces tendan-ces ne signifieront pas pour autant une rduc-tion de lintensit des fortes temptes. Quant

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    la masse deau en elle-mme, les travaux sur les tendances venir mergent peine avec les projets15 GICC-MEDWATER, PRUDENCE et CIRCE (Somot, 2005).Bien quelles ncessitent dtre affines, ces projections permettent de comprendre pour-quoi la communaut scientifique internatio-nale qui travaille sur le phnomne touristi-que saccorde dire que la Mditerrane est et restera dans les dcennies venir lun des hot spots mondiaux de la relation tourisme/chan-gement climatique (cf. fig. 4) (UNWTO, 2008). Cela est bien entendu mettre en relation avec le poids touristique considrable du bassin mditerranen lchelle du monde. Or, laug-mentation des tempratures estivales associe la rarfaction de la ressource en eau et lac-croissement de risques pidmiques divers ne pourra quengendrer des rorganisations spatiales et temporelles, diffrentes chelles, des flux actuels. La question de fond est de savoir si lattractivit des rives mditerranen-nes perdurera dans les dcennies venir, et si finalement les touristes ne seront pas amens choisir pour leurs vacances dautres rgions du monde, devenues par exemple plus clmen-tes grce au changement climatique. Pointe ici lide que les volutions climatiques pourront galement gnrer des opportunits, mme si celles-ci restent aujourdhui tout aussi impalpa-bles que les tendances inverses. Il convient donc ce stade de rappeler encore que les tendances climatiques telles quon peut les formuler aujourdhui restent globales et indicatives. Et lavenir du phnomne touris-tique ne peut pas tre envisag seulement sur ces bases physiques, dune part parce quelles sont incertaines, dautre part parce quelles sont valables pour lensemble du bassin mditerra-nen et quelles ne tiennent pas encore compte des facteurs locaux (topographie sous-marine et merge, microclimats, modes danthropi-sation). Or, une chelle fine, ces derniers pseront de tout leur poids pour expliquer les variations des volutions climatiques dun lieu un autre, parfois sur de trs courtes distances. Enfin, un troisime lment (cf. supra) amne rfuter cette relation mcanique entre volu-tions touristique et climatique, savoir que les facteurs climatiques sont loin dtre les seuls

    15. http://web.lmd.jussieu.fr/~li/gicc_medwater/index.html ; http://prudence.dmi.dk/ ; www.circeproject.eu.

    dterminer la nature du dveloppement touris-tique (diffrents types de pratiques), ses spa-tialits (des lieux plus frquents que dautres) et ses temporalits (phnomne de la saison-nalit).

    Une relation double sensDu point de vue de la stricte relation entre cli-mat et demande touristique, les influences du premier sur la seconde sont donc la fois direc-tes et indirectes. En effet, les conditions clima-tiques jouent sur la disponibilit, actuelle et venir, en ressources de qualit ainsi que sur les paysages. Les systmes de transports moder-nes, et donc dimportation de marchandises, tendent cependant rduire ce jeu de dpen-dance, ce qui est particulirement vident en matire de produits alimentaires dans les htels (nourriture internationale plutt que locale). De la mme manire, les htels font figure des-paces relativement haute densit vgtale et contrastent ainsi souvent avec les zones limi-trophes, moins verdoyantes car moins entre-tenues ou davantage sous le joug de rgimes hydrologiques dfavorables. Lacquisition par les oprateurs touristiques de technologies modernes et couteuses leur offre la possibilit de remanier la nature en fonction de leurs besoins spcifiques : des paysages luxuriants, du sable sur les plages, de leau dans les pisci-nes. On pourrait alors tre tents de dire que les volutions technologiques seront mme de compenser les volutions climatiques. Mais ce schma nest que trop simpliste. Dune part, les oprateurs touristiques ne disposent pas tous des capacits financires ncessaires lac-quisition dusines de traitement des eaux uses et de dessalement de leau de mer, ou encore la mise en uvre dun processus de rechar-gement artificiel des plages en sable. Dautre part, il est illusoire de croire que les solutions techniques permettront de rgler tous les pro-blmes : si laugmentation des tempratures dans les destinations touristiques peut en effet tre compense par le dveloppement de pis-cines temprature contrle et de systmes de climatisation, assurant ainsi le maintien du niveau dattractivit du lieu, de telles solutions constituent autant de sources dmission de gaz effet de serre, ceux-ci renforant sur le long terme les consquences du changement climatique. Une perspective court terme peut donc savrer nfaste plus long terme. Toute

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    la complexit et la richesse de la relation entre tourisme et changement climatique rside en cette ambigut et en ces distorsions dchelles (Besancenot, 1990 ; Smith, 1990 ; Lise et Tol, 2002, 2003 ; Perry, 2003 ; Bill, 2008).Cette relation est pourtant tudie depuis la fin des annes 1980, avec un net accent depuis le dbut des annes 200016. Mais elle reste mal comprise tant du fait des incertitudes scientifi-ques qui psent sur les prdictions climatiques aux chelles locales que du rle potentiel de ce secteur dans les stratgies de mitigation (Bill et al., 2008 ; UNWTO, 2008). Cette relation entre activit touristique et changement climatique est donc double sens. En premier lieu, le tou-risme contribue exacerber ces changements au travers de la consommation dnergie et de lmission de gaz effet de serre (GES). Le sec-teur des transports est particulirement cibl (Becken, 2002). Une tude a rcemment montr quen France, par exemple, les dplacements dagrment et daffaires contribuent 24 % des missions du secteur des transports et 8 % des missions de lensemble des secteurs, sachant que le transport arien produit 62 % des mis-sions (D4E, 2008). Nous renvoyons sur ce thme des missions de GES par le secteur touristique

    16. Lvnement fondateur de la rflexion sur tourisme et changement climatique fut la confrence de Djerba orga-nise par lorganisation mondiale du tourisme (oMT) en 2003.

    aux rcents rapports de lOrganisation mondiale du tourisme (UNWTO, 2008), du Programme des Nations Unies pour lenvironnement (PNUE Simpson et al., 2008) et aux travaux du rseau e-CLAT17. Sur un autre plan, un oprateur tou-ristique bas en Tunisie nous rappelait com-bien lentretien des linges (draps et serviettes, blanchisserie) est couteux en nergie. Ces deux exemples montrent donc que le tourisme est une source dmission de GES. En second lieu, le tourisme sera affect par les consquences des volutions climatiques du fait des relations qui existent entre la pratique du tourisme balnaire et les caractristiques naturelles et climatiques des destinations. Il est alors certain que les modifications attendues des conditions climati-ques au cours du demi-sicle venir se tradui-ront en termes de modification des pratiques, des spatialits (de nouveaux lieux au dtriment danciens ?) et des temporalits18 (nouvelles sai-

    17. Expert in Climate Change and Tourism (www.icis.unimaas.nl/eclat/index.html) : sintresse particulirement la responsabilit des flux touristiques dans laccentuation par le secteur arien de leffet de serre (production de gaz effet de serre et mobilisation de particules extrmement fines dans la haute atmosphre).

    18. une reprsentante du ministre du Tourisme de Grce rappelait lors du 1st CIRCEs stakeholder meeting (Paris, 18-19 octobre 2007) que certaines destinations, telle la Grce, espraient un effet finalement positif de laugmen-tation attendue des tempratures annuelles moyennes, soit un allongement de la saison touristique, aux dpens de la priode estivale et au profit des intersaisons.

    HTE = Hausse tempratures estivales HTH = Hausse tempratures hivernalesAPE = Augmentation vnements extrmes ENM = Elvation niveau de la merPBT = Perte biodiversit terrestre PBM = Perte biodiversit marineRE = Rarfaction de leau DP = Dstabilisation politiqueAE = Augmentation pidmies ACV = Augmentation cots voyages

    Figure 4. Les hot spots mondiaux de la relation tourisme/changement climatique

    Source : MoT-PNuE-oMM, 2007

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    sonnalits ?) du fait touristique. La Mditerrane sera dautant moins pargne que llvation du niveau de la mer tendra sacclrer et avec elle les phnomnes associs (rosion ctire, sub-mersion des plaines littorales, salinisation des nappes phratiques) (Nicholls et Hoozemans, 1996 ; Paskoff et al., 2000). Cest pour cela quil est pertinent de mener ds aujourdhui des tra-vaux scientifiques sur cette relation changement climatique/tourisme, quitte ce quils ne puis-sent tre pour lheure que trop gnralistes au sens quils traitent dune chelle spatiale large, ou hypothtiques car la rsolution des modles climatiques ne permet pas encore dimaginer avec prcision, dans lensemble des espaces bor-diers mditerranens, lavenir des conditions cli-matiques aux chelles trs localises.Dans cette perspective, la problmatique trai-ter est ncessairement duale : elle comprend la question de limpact du tourisme sur le chan-gement climatique, qui renvoie aux enjeux de rduction des missions de GES, et la question de limpact du changement climatique sur le tourisme, qui renvoie, elle, aux enjeux dadap-tation. Si ces deux aspects de la problmatique sont en partie lis et interdpendants (Bill et al., 2008), nous nous focaliserons dans ce docu-ment sur le second volet de la relation tou-risme et changement climatique. Or, aborder le thme de ladaptation ncessite de se question-ner au pralable sur celui de la vulnrabilit, en loccurrence ici des territoires touristiques littoraux aux risques naturels et plus particu-lirement ceux lis au changement climati-que. Mais avant de traiter cela (cf. point 3.), il est ncessaire de dresser un bref panorama de ces risques.

    Les grands types de risques qui menacent le tourisme littoralLa masse considrable de travaux scientifi-ques qui sont mens et publis sur le thme du changement climatique montre ltendue des consquences attendre de ce phnomne. Globalement, et pour ne parler ici que des impacts qui affecteront les socits humaines, les volutions climatiques auront pour effet direct une modification de la disponibilit en ressources fondamentales comme leau, les matires ncessaires la production dnergie, ou encore lespace en tant que tel ( la suite dune lvation du niveau de la mer, par exem-ple). Cette redistribution des cartes impli-

    quera ncessairement un redploiement des activits humaines, soit quelles seront transf-res dans des zones leur tant devenues plus propices ou ltant restes, soit quelles seront abandonnes au profit dautres, nouvelles ou pas. Si ce schma dvolution parat assez chaotique et caricatural, le thme du tourisme littoral offre un cadre de rflexion trs concret et particulirement intressant. Une modifi-cation des conditions de tempratures de lair comme de la mer, des temptes plus frquentes et plus fortes, une rosion littorale plus active et une rduction drastique des ressources en eau pourraient conduire la perte dattractivit de nombreuses stations balnaires aujourdhui rputes. En Mditerrane par exemple, lavenir mme de la mythique ville de Venise, hot spot du tourisme mondial, est interrog. Quen sera-t-il des lieux phares du vliplanchisme comme Tarifa en Espagne ou Alacati en Turquie si dans un avenir proche, les vents abandonnaient ces ctes ? Et si les eaux de la Mer rouge gyptienne devenaient de plus en plus turbides, les cons-quences ne seraient-elles pas nfastes tant pour le milieu sous-marin que pour la touristicit de zones comme Hourgada ? linverse, des opportunits de dveloppement touristique seront probablement saisir par des espaces dont les caractristiques balnaires paraissent aujourdhui relativement peu attractives. Cest dailleurs sans compter lventualit que le tou-risme balnaire estival disparaisse progressive-ment, comme a peu peu dclin le tourisme hivernal de bord de mer.Considrant cela, de multiples scnarios peu-vent tre imagins, en partie parce que lvo-lution des comportements touristiques impose finalement tout autant dincertitudes que les volutions climatiques en elles-mmes. Pour palier cela, il peut tre utile de ramener les consquences attendre des volutions clima-tiques aux risques quelles auront tendance renforcer/faire apparatre sur les littoraux aujourdhui touristiques. Mais au pralable, il est ncessaire de rappeler que dans le contexte mditerranen spcifiquement, dautres fac-teurs naturels peuvent agir et influer fortement sur lvolution des territoires littoraux.

    Tous les risques littoraux en Mditerrane ne sont pas climatiquesLa problmatique des risques lis au change-ment climatique tend prendre aujourdhui de

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    plus en plus dimportance, voire mme dans nombre de situations vincer de la scne des facteurs possibles dvolution des territoires dautres lments qui, pourtant, pourront avoir des effets tout aussi dterminants. La Mditer-rane est en effet le thtre de multiples ris-ques naturels (Villevieille et al., 1997) qui nen-tretiennent pas tous des liens directs avec les processus climatiques.En dehors des scheresses et des inondations chroniques qui sexpliquent essentiellement par les caractristiques bioclimatiques propres la zone mditerranenne (ts chauds et secs, hivers doux marqus par des pluies peu abon-dantes mais sous forme daverses violentes), dautres phnomnes sont notables. Le bassin se localisant la rencontre des plaques afri-caine et europenne, il fait lobjet dune intense activit tectonique. En rsultent de nombreux tremblements de terre (cf. fig. 5) dont les magni-tudes peuvent souvent tre trs fortes et causer des dgts considrables (pertes en vies humai-nes et destruction de btiments et dinfrastruc-tures). Les sismes constituent ainsi lune des grandes menaces naturelles pour les rivages de Mditerrane (cf. fig. 6). De la mme manire, la rgion est soumise une forte activit volca-nique avec des volcans actifs comme le Vsuve et lEtna en Italie. Enfin, beaucoup des ctes mditerranennes sont galement soumises au risque de tsunami (Villevieille, 2005). Lobjet nest pas ici de dresser un tat exhaustif des risques potentiels qui psent sur le devenir

    des socits littorales mditerranennes, mais simplement de rappeler le besoin de contex-tualiser le changement climatique et, le cas chant, den relativiser la menace.

    Les principales consquences attendre du change-ment climatiqueEn Mditerrane, et en se concentrant main-tenant spcifiquement sur les consquences attendre du changement climatique19, on peut retenir six types principaux de risques natu-rels qui affecteront directement lactivit tou-ristique : trois consquences relatives ll-vation attendue du niveau de la mer (lrosion ctire, la submersion des plaines littorales et la salinisation des nappes phratiques) ; une relative lvolution des tempratures de sur-face (vagues de chaleur) ; puis deux dernires relatives lvolution des rgimes de prcipita-tions (scheresses, inondations). Tous ces ris-ques ne seront pas forcment nouveaux , de nombreux territoires littoraux pouvant dores et dj y tre soumis champ de la variabi-

    19. Nous avons choisi dans ce document dutiliser le moins de chiffres possibles, dune part parce que les moyennes gnralement avances (un chiffre unique) ont largement moins de sens que les fourchettes de prvisions (panel de chiffres) extraites des modles, dautre part parce que les avances scientifiques rvisent rgulirement ces chiffres et rappellent chaque fois le poids des incertitudes sur les projections. Il nous paraissait donc plus intressant ici dinsister sur les mcanismes dimpacts en eux-mmes.

    Figure 5. Volcanisme et tremblement de terre en Mditerrane

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    lit climatique , mais leffet du changement climatique verra probablement leur renforce-ment (Nicholls et Hoozemans, 1996). On peut par exemple imaginer un tel scnario sur la cte est de lle de Djerba en Tunisie, dj en proie lrosion ctire. Dans dautres espaces en revanche, qui sont aujourdhui relativement pargns par les risques naturels littoraux, de nouvelles contraintes pourraient apparatre. Cest ainsi que lle de Corfou, sur la cte nord-occidentale de la Grce, pourrait connatre de profonds bouleversements. Cela nest pas non plus sr.Llvation du niveau de la mer est sans doute lune des consquences du changement clima-tique les plus redoutes, en tout cas lune des plus mdiatises. Sans entrer dans le dtail, rappelons schmatiquement que llvation du niveau de la mer rsulte la fois de lap-port deau au volume densemble du fait de la fonte des glaces du globe et de la dilatation thermique de locan global20, ces deux phno-mnes tant eux-mmes en grande partie lis laugmentation gnralise des tempratures

    20. En 2070-2099, la mer Mditerrane sera probablement plus chaude de presque 3C par rapport 1961-1990 (Somot et al., 2007).

    plantaires (Paskoff, 2001 ; Meehl et al., 2007). Dautres facteurs agiront, tels que les change-ments de pression atmosphrique ou encore de salinit de leau. Si la Terre a toujours connu des variations du niveau marin, celles atten-dues dans les dcennies venir posent pro-blme en ce sens quelles seront, compares aux prcdentes, dune vitesse fulgurante. Des milliers dannes ont t ncessaires la der-nire phase de monte du niveau de la mer, au cours de la dernire transgression postglaciaire il y a entre 15 000 et 6 000 ans, pour passer de - 120 m par rapport au niveau actuel au niveau zro que nous connaissons aujourdhui. Or, tous scnarios dmissions confondus21, les modles climatiques font tat dune remonte moyenne lchelle du monde dune vingtaine une soixantaine de centimtres dici la fin

    21. Le GIEC utilise 6 grands scnarios dmissions de gaz effet de serre (connus sous le nom de SRES), des plus optimistes pour lesquels les trajectoires dmissions dici le prochain demi-sicle seront plutt stabilises ou dcrois-santes (sc. B1 et A1T), aux plus pessimistes dans le cas du maintien ou de laccentuation des trajectoires actuelles (sc. A2 et A1FI). Le scnario A1B est gnralement consi-dr comme un scnario mdian, ce qui ne signifie pas pour autant quil est plus probable que les autres.

    Figure 6. Lintensit probable des sismes en Mditerrane

  • Le tourisme littoral en Mditerrane : tendances et perspectives face au changement climatique

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    du sicle (IPCC, 2007). Au niveau de la Mdi-terrane, la perspective moyenne serait une hausse dau mieux 35 cm sur le sicle venir (Tsimplis et al., 2007, sur la base du scnario A2), S. Hallegatte, S. Somot et H. Nassopou-los rappelant toutefois quen raison du faible nombre dtudes menes, aucune estimation robuste ne peut tre donne (2007, p. 17). Sur les ctes, llvation du niveau de la mer se traduira par une perte relative despace. Cette perte sera bien entendu variable selon la confi-guration des ctes (plus ou moins basses, avant-ctes jouant un rle tampon plus ou moins actif) et en fonction de laction dautres dynamiques comme la subsidence, par exemple. Cest par-ticulirement ce qui menace le delta du Nil et qui en fait lun des points chauds de llvation du niveau de la mer (El-Raey et al., 1997 ; Frihy, 2003). Au-del de la perte despace, les inqui-tudes des scientifiques se fondent galement sur la probabilit dexacerbation dvnements extrmes dont les manifestations sont plus ou moins brutales. Trois de ces phnomnes secondaires peuvent tre cits. Le premier est lrosion ctire qui rsulte certes dune pnu-rie gnralise de sdiments sous-marins, mais aussi de laction des courants et des houles. Or, de nombreuses ctes sont aujourdhui soumi-ses une rosion ctire relativement intense et plus ou moins renforce par les amnage-ments touristiques (perturbation du transit sdimentaire, constructions trop prs du rivage ou sur les dunes bordires). noter toutefois que ce phnomne ne gagne pas non plus tous les rivages, comme on a trop souvent tendance le proclamer. Pour reprendre deux exemples prcdents, aucun signe drosion ctire naf-fecte aujourdhui les plages de Corfou et, sur la cte orientale de Djerba, il reste encore un certain nombre de plages dont le stock sdi-mentaire nest pas ngligeable. Cette remarque incite dores et dj rappeler que malgr les incertitudes et le catastrophisme ambiant qui rgnent autour du changement climatique, les consquences les pires ne seront pas forcment le lot de toutes les ctes mditerranennes. Cela invite nuancer les choses et considrer dans les recherches scientifiques les cas dtu-des qui prsentent des situations plus sereines du point de vue des risques naturels. Un autre phnomne qui risque de bnficier de la hausse du niveau de la mer est la sub-mersion des plaines littorales. Celle-ci rsultera

    de la combinaison de llvation du niveau de la mer, des surcotes et de lexacerbation des temptes, lesquelles se traduiront galement par des pisodes de plus fortes houles. Cepen-dant, les modles climatiques ne convergent pas encore autour dune relation directe entre changement climatique et renforcement des rgimes de vents. Au contraire, concernant les vagues et les inondations dues aux tem-ptes, [et mme si] l encore les rsultats sont prliminaires, () la diminution du nombre de dpressions et du vent devrait diminuer ces ris-ques. Une tude traitant de la mer Adriatique conclut une diminution des vagues hautes et pas de changement concernant les surcotes lies aux dpressions et au vent. (Hallegatte et al., 2007, p. 17). Le troisime effet secondaire de la hausse du niveau de la mer est la salinisation des nappes phratiques du fait de lintrusion progressive des eaux marines dans les sols (en partie sous linfluence de la submersion). Limpact concer-nera bien entendu la disponibilit en eau utili-sable de ces nappes, mais galement la modi-fication progressive de la salinit des sols et donc de leur fertilit. Au-del de lactivit tou-ristique, les systmes agricoles pourront tre durablement affects, affaiblissant certaines rgions littorales dont le dynamisme socio-conomique repose aujourdhui sur le double pilier tourisme-agriculture. Aux cts de la variation du niveau de la mer, lvolution des rgimes des tempratures de surface aura une importance. Sur terre, lune des principales problmatiques envisa-ger sera probablement lintensification des vagues de chaleur qui se traduiront concrte-ment par des pics de chaleur, des successions de jours plus chauds, mais aussi des priodes de froid moins intenses et moins longues. Cela influera sur lattractivit des stations tou-ristiques de moyenne montagne (rduction du manteau neigeux) comme sur celles de bord de mer (extension possible de la saison touristique). Jusqu quel point le confort touristique sera-t-il affect, voire fortement mis mal ? En termes de saisonnalit, de tels phnomnes conduiront-ils une dsertion en t par les touristes des destinations pha-res des juilletistes et aotiens daujourdhui ? Pour des pays comme la Grce, lventuelle rduction des flux estivaux ne pourrait-elle pas tre compense par un allongement des

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    Le tourisme littoral en Mditerrane : tendances et perspectives face au changement climatique

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    saisons intermdiaires ? L encore les incer-titudes psent lourd, car la temprature seule ne joue pas sur lattractivit dun bord de mer. Celle-ci dpend en effet aussi du degr dombrage disponible (prsence darbres sur la cte), de la temprature de la mer, des tech-nologies disponibles dans les structures dac-cueil (la climatisation essentiellement). Et ce dautant que les tempratures dans les pays metteurs vont elles aussi voluer. Quoi quil en soit, lvolution gnrale des tempratures est lun des lments-cls prendre en compte car ses incidences sont multiples et parfois impalpables. On peut imaginer quelles zones seront potentiellement victimes de submer-sion ( partir de laltimtrie, et bien que cela soit extrmement rducteur), mais comment savoir quelle influence auront les microcli-mats et lvolution des rgimes de vents, par exemple ? Pour les littoraux touristiques, on peut galement imaginer que linfluence de lvolution des tempratures jouera essentiel-lement en termes de stratgies mettre en uvre pour abaisser ces tempratures (vg-talisation des espaces, usage raisonn de la climatisation)Enfin, lvolution des rgimes de prcipitations, associe llvation des tempratures, pourra particulirement amener la recrudescence/apparition de deux risques importants : les scheresses et les inondations. Ces deux pro-blmes rsulteront en grande partie de lquili-bre qui sinstaurera, aux chelles locales, entre laugmentation probable du nombre de jours secs et celle dpisodes de fortes pluies, sachant que ces phnomnes ne se manifesteront pas fatalement dans les mmes espaces. Les pr-visions moyennes sont une rduction sur lensemble du bassin mditerranen, surtout en t, pic actuel de la saison touristique. Ce problme est dautant plus crucial quon la vu, lafflux massif de touristes durant la priode la plus sche de lanne pose dj des problmes considrables. Les volutions venir soulvent donc la question des seuils partir desquels la rsolution de ces problmes par le dessalement de leau de mer, par exemple, mettra en pril la prennit conomique de lactivit touristique. Pointe ici la notion de capacit de charge tou-ristique, quil conviendrait alors dexplorer la lumire des enjeux poss par le changement climatique.Pourquoi cibler certains types de risques ?

    Les risques du changement climatique mena-cent galement les cosystmes, ce qui indi-rectement psera sur lattractivit touristique des destinations. On le voit donc, les impacts attendre sur lensemble de lactivit touristi-que, tant du point de vue des flux de visiteurs que de leur rpartition spatio-temporelle, sont considrables bien quils soient aujourdhui relativement difficiles apprhender, pour ne pas dire impalpables. Dautant quils agiront diffrentes chelles spatiales et diffrents pas de temps, et pas de la mme manire partout. Face ce flou relatif, lintrt de ces six types principaux de risques est doffrir un panorama intressant des consquences du changement climatique qui pourraient profondment affec-ter les choix touristiques, les modes de vie et avec eux lorganisation des territoires. En effet, ces risques vont affecter diverses res-sources sur lesquelles, schmatiquement, se fondent les stratgies de dveloppement dun territoire. En consquence de quoi il est impor-tant de comprendre quau-del des incertitudes climatiques22, deux grandes logiques guideront lidentification de stratgies dadaptation des littoraux touristiques au changement climati-que. La premire est la probable modification de la richesse en biodiversit et en ressources exploitables (eau, poissons) et la seconde lventuelle perte despace. Tout cela en tenant compte du fait qu lheure actuelle dj, les ressources littorales subissent de nombreuses pressions environnementales et socioconomi-ques inhrentes la concentration dactivits et de population. Le changement climatique simpose alors comme un facteur aggravant de problmes existants.Enfin, un autre atout de ces six types de ris-ques est quils permettent de considrer la fois des perturbations ponctuelles, cest--dire cibles dans le temps, et des perturbations gra-duelles, cette distinction ayant des consquen-ces en termes de vulnrabilit des territoires littoraux, et donc de gestion des crises, de pla-nification territoriale et de scnarios dadapta-tion envisageables.

    Vulnrabilit et adaptation

    22. Ces incertitudes ne se rgleront pas forcment avec le temps, car plus lon affine les modles, plus le poids des interactions entre les processus locaux pose de questions.

  • Le tourisme littoral en Mditerrane : tendances et perspectives face au changement climatique

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    des territoires touristiques littoraux au changement climatique : approche rgionale et cadre prospectif danalyseLanalyse de la vulnrabilit et de la capacit dadaptation des territoires littoraux au chan-gement climatique doit donc se fonder sur cette approche multirisques intgrant la fois des perturbations ponctuelles et graduel-les. Cela suppose de revisiter les approches classiques dvaluation de la vulnrabilit tel-les quelles se pratiquent aujourdhui car elles tendent ne se focaliser que sur un seul type de risque la fois. Or, tout lenjeu du change-ment climatique est, au-del davoir jongler avec les incertitudes, de considrer le fait que cest avant tout la combinaison de diffrentes perturbations qui amnera une modification du schma de dveloppement et dorganisation territoriale. Contrairement aux deux parties prcden-tes, celle-ci ne vise pas faire une synthse de connaissances existantes, mais poser des hypothses de recherche dans la perspective de travaux ultrieurs23. Ces hypothses sont construites sur la base de constats, de rflexions et de questionnements touchant au position-nement des pays mditerranens face au changement climatique. Quelques pistes sont ainsi proposes. Les premires renvoient la vision actuelle quont les pays du bassin de la vulnrabilit de leurs littoraux au changement climatique (3.1.). Dautres traitent de lintrt dadopter une rflexion largie sur les facteurs qui influencent cette vulnrabilit (3.2.1.), et ce dans le but dbaucher une grille danalyse commune (3.2.2.) divers cas de figure et le cas chant diffrentes chelles territoriales. Un dernier point (3.3.) discute de pistes pour btir des stratgies dadaptation robustes.

    Pistes pour un bilan rgional : les pays mditerranens face leur propre vulnrabilitIl nexiste pas lheure actuelle de bilan rgio-nal sur la vulnrabilit des littoraux touristi-ques de Mditerrane face au changement cli-matique. Pourtant, la participation de presque

    23. Dans le cadre du projet europen CIRCE (Climate Change and Impact Research: the Mediterranean Environment), lIddri a notamment en charge la coordination dune ligne de recherche intitule Induced responses and policies , au sein de laquelle lIddri dveloppe le projet de recherche Integrated management of the vulnerability to climate change in touristic coastal zones of the Mediterranean .

    tous les pays riverains la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climati-ques (CCNUCC)24 invite identifier les grands traits de la vulnrabilit de chacune des des-tinations tels quelles-mmes les ont dfinis, pour comprendre quels indicateurs sont vcus comme pertinents et en quoi cela oriente les stratgies dadaptation. Un autre objectif est de tenter de proposer un schma rgional au travers de deux grandes questions : les pays du bassin adoptent-ils les mmes indicateurs ? Et en quoi les stratgies induites dadaptation se ressemblent-elles ?

    La Mditerrane et la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC)La CCNUCC est entre en vigueur au dbut de lanne 1994. Elle repose sur cinq grands prin-cipes qui sont : (1) la reconnaissance dun pro-blme commun toutes les nations du monde ; (2) la stabilisation de la concentration en gaz effet de serre (GES) dans latmosphre, ambi-tion de laquelle est n le Protocole de Kyoto en 1997 ; (3) une certaine transparence des pays les uns envers les autres quant leurs efforts en matire de lutte contre les changements cli-matiques (do des Communications nationa-les) ; (4) lincitation ladoption par les diff-rentes Parties (cest--dire les pays ayant ratifi la CCNUCC) de programmes nationaux pour freiner les changements climatiques ; et enfin (5) la possibilit de faire voluer les termes de la Convention pour que celle-ci se construise dans le temps au regard des progrs accom-plis. Elle regroupe aujourdhui 192 pays dans le monde, dont tous ont pris pour engagement de fournir un bilan rgulier des problmes que le changement climatique leurs pose ou leurs posera, ainsi que des actions quils mettent ou comptent mettre en uvre. Chacune des Com-munications nationales, au-del dun rapide panorama des caractristiques environnemen-tales et socioconomiques du pays, aborde deux grands thmes : celui de la rduction des missions de GES (mitigation) et celui des stra-tgies dadaptation envisageables. lchelle du bassin mditerranen, seuls les Territoires palestiniens nont pas t signatai-res de la CCNUCC (tab. 4).

    24. En anglais, uNFCCC (united Nations Framework Conven-tion for Climate Change), http://unfccc.int/2860.php.

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    Le tourisme littoral en Mditerrane : tendances et perspectives face au changement climatique

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    Apprhender la vulnrabilit des littoraux touristiques : quelles bases retenues par les pays mditerranens ?Comment les pays mditerranens abordent-ils la question de leur vulnrabilit, en loccurrence de celle de leurs littoraux, face au changement climatique ? Les diffrentes Communications nationales de ces pays la CCNUCC peuvent constituer de prcieuses bases de donnes, en vrit les seules accessibles aisment pour lensemble des pays engags dans la dmar-che CCNUCC. Loption mthodologique que nous avons retenue consiste proposer bilan structur de ces Communications nationales, notamment dans le but didentifier les prin-cipaux choix dindicateurs qui ont t oprs par ces pays. Lintrt de cette dmarche sera double. Dune part, elle permettra de faire merger une image densemble de lexposition des littoraux de Mditerrane (chelle rgio-nale) face aux risques qui natront ou seront renforcs par le changement climatique (quels risques encourus ? quelles zones les plus vul-nrables ?). Dautre part, elle permettra de dres-ser un bilan du positionnement de ces pays en termes dindicateurs retenus, de dmarche de suivi de la vulnrabilit (chelle de chaque pays) et de stratgies envisages et/ou mises en uvre. Lide de fond ici est de poser les bases dun discours partag sur la vulnrabilit au changement climatique lchelle du bassin mditerranen entendu ici comme une entit gographique (enjeux communs).Quelques premiers lments sont dores et dj mis en discussion au travers notamment de deux grandes questions.

    Quels indicateurs dvaluation/suivi de la vulnrabilit des littoraux sont retenus ?Poser la question des indicateurs a pour but dapprhender la manire dont sont perus les risques inhrents au changement climatique. Ne prend-on par exemple en compte que ceux que lon connat ou une dmarche plus large est-elle conduite (intgration de nouveaux ris-ques qui pourraient potentiellement affecter une portion de cte lavenir) ? Une telle dis-tinction relve de la diffrence qui existe entre la vulnrabilit la variabilit climatique (voir encadr page 32) tudie partir dvnements et de crises passs et actuels, et la vulnrabilit au changement climatique, qui doit agrger ltude du pass et du prsent des lments de

    prospective sur le long terme. Cela introduit la double question, dune part des chelles de projection des autorits nationales en matire dexposition de leur mode de dveloppement aux risques naturels, dautre part des capacits humaines et financires de ces pays en matire de planification dun dveloppement durable. Il nest aucunement question ici de chercher classer les pays en fonction de leur capacit mettre en uvre un dveloppement durable, mais simplement, travers la problmatique tourisme et changement climatique , diden-tifier quelques freins et leviers communs lensemble des rives mditerranennes. Un autre lment intressant qui pourra res-sortir de ltude des indicateurs est de voir sur quelles bases mthodologiques est abor-de cette problmatique de la vulnrabilit au changement climatique. Et au-del, de voir dans quelle mesure les bases de donnes natio-nales peuvent tre comparables. Lenjeu est bien ici dessayer dapprhender si, partir de regards communs ou au moins compatibles, une vision rgionale partage de la vulnrabi-lit des littoraux peut merger, vision qui est elle-mme une condition sine qua non une stratgie commune rgionale en faveur de la rduction de la vulnrabilit du bassin et de

    Tableau 4. Les pays mditerranens et la CCNuCCDate de signature

    de la CCNUCCDate de ratification

    de la CCNUCCCommunication

    nationale en cours

    Espagne 1992 1993 4e

    France 1992 1994 4e

    Italie 1992 1994 4e

    Grce 1992 1994 4e

    Monaco 1992 1992 4e

    Malte 1992 1994 1re

    Chypre 1992 1997 -

    Slovnie 1992 1995 4e

    Croatie 1992 1996 4e

    Bosnie-Herzgovine - 2000 -

    Serbie/Montngro - 2001/2006 -

    Albanie - 1994 1re

    Turquie - 2004 1re

    Syrie - 1996 -

    Liban 1992 1994 1re

    Isral 1992 1996 1re

    Territ. palestiniens Non signe - -

    Egypte 1992 1994 1re

    Libye 1992 1999 -

    Tunisie 1992 1993 1re

    Algrie 1992 1996 1re

    Maroc 1992 1995 1re

    Source : CCNuCC

  • Le tourisme littoral en Mditerrane : tendances et perspectives face au changement climatique

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    lensemble de ses pays aux perturbations atten-dues du changement climatique.Ces lments aideront proposer un cadre rgional danalyse et de suivi de la vulnrabi-lit des littoraux touristiques au changement climatique qui pourra par la suite servir de base de travail des organismes comme le Plan Bleu, par exemple.

    Quelles stratgies de rduction de la vulnrabilit des littoraux sont envisages ?Trois points pourraient tre abords partir de lanalyse des stratgies imagines et/ou mises en uvre par les pays riverains de la Mditer-rane pour rduire la vulnrabilit de leurs lit-toraux.Le premier point sattacherait bien entendu dresser une typologie des stratgies penses et/ou en cours de ralisation. L encore, quelles pistes communes ressortent entre les diffren-tes stratgies tablies aux chelles nationales ? Lesquelles sont complmentaires ? Lesquelles peuvent tre transposables dautres pays du pourtour mditerranen ? Existe-t-il lchelle du bassin mditerranen une unit ou une mosaque de manires de se projeter dans le temps ?Un deuxime lment de rflexion pourrait se focaliser sur la question des chelles terri-

    toriales de lecture de la problmatique de la vulnrabilit au changement climatique. Au regard des diffrentes situations nationales, en reste-t-on gnralement une vision nationale de la situation ou des distinctions sont-elles faites entre les diverses portions de cte dun mme pays, sachant que celles-ci nauront pas forcment faire face ni aux mmes risques, ni aux mmes consquences, et donc pas aux mmes problmes ? Quels pays intgrent ces jeux dchelle et quelles en sont les raisons ? Comment leur exprience pourrait-elle bnfi-cier aux autres pays mditerranens ?Enfin, une troisime piste pourrait concer-ner le problme des incertitudes climatiques. On le sait, les modles climatiques ne sont pas encore assez performants pour nous dire quels seront les impacts du changement cli-matique aux chelles locales. Des travaux sont en cours, et cest notamment lun des enjeux forts de projets europens comme CIRCE, pour affiner les chelles de lecture et proposer une modlisation de lavenir climatique du bassin mditerranen dans son ensemble. Le fait est que les socits littorales, dont le dveloppe-ment doit ncessairement passer par le filtre de lanticipation au travers des questions de planification territoriale, ne peuvent se per-mettre dattendre que les scientifiques leurs apportent des rponses (Hallegatte, 2008). Des actions doivent tre entreprises ds mainte-nant, notamment aux chelles locales qui sont celles de choix de terrain eux-mmes au cur des processus de dveloppement et donc de mal-dveloppement. Do la question qui sim-pose aux acteurs locaux : comment agir sans savoir quoi prvenir ? La question est lgitime, mais dun autre ct, lhistoire contemporaine a montr que lorsque les hommes disposent des connaissances et des mthodes, les meilleu-res dcisions ne sont pas forcment prises. De mme que des dcisions durables et adaptes aux enjeux climatiques soit quelles les rdui-sent, soit quelles ne les accentuent pas peu-vent tre engages sans que les connaissances scientifiques aient pralablement balay le problme de manire exhaustive. Lalibi du dfaut de projections climatiques locales ne peut donc tre satisfaisant, ce qui ne signifie pas pour autant quil ne pose pas problme. Il nous parat ds lors intressant de confronter cela aux travaux concrtement mis en uvre par les pays mditerranens dans le cadre des

    Selon le GIEC, la variabilit climatique concerne des varia-tions de ltat moyen et dautres statistiques (carts stan-dards, phnomnes extrmes, etc.) du climat toutes les chelles temporelles et spatiales au-del des phnomnes climatiques individuels , et les changements climatiques dsignent une variation statistiquement significative de ltat moyen du climat ou de sa variabilit persistant pendant de longues priodes (gnralement, pendant des dcennies ou plus) . Le GIEC rappelle galement que la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNuCC), dans son Article 1, dfinit les changements climatiques comme tant des changements de climat qui sont attribus directement ou indirectement une activit humaine altrant la composition de latmosphre mondiale et qui viennent sajouter la variabilit naturelle du climat observe au cours de priodes comparables . La CCNuCC fait ainsi une distinction entre les changements climati-ques qui peuvent tre attribus aux activits humaines altrant la composition de latmosphre, et la variabilit climatique due des causes naturelles .

    Variabilit climatique et changement climatique

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    Le tourisme littoral en Mditerrane : tendances et perspectives face au changement climatique

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    Communications nationales la CCNUCC. En effet, et pour revenir sur la question des chel-les territoriales auxquelles est pense la vuln-rabilit des littoraux (nationale ou nationale et locale ?) et en supposant ici que lchelon national est privilgi, on peut se demander si la modeste prise en compte des enjeux locaux est due aux incertitudes scientifiques ou si cela rsulte simplement du fait que cette problma-tique de la vulnrabilit au changement clima-tique tant finalement assez rcente, les pays nen sont qu un stade premier de lintgra-tion de la question du changement climatique aux politiques publiques de planification et de dveloppement.Lensemble de cette discussion sur le poids des incertitudes devra permettre de faire avancer les rflexions sur le rapport entre connaissan-ces scientifiques et action publique. Celles-ci pourront dailleurs tre largies la relation science/gestion en gnral et, dans le contexte du changement climatique, au rle frein et/ou potentiellement moteur des incertitudes scientifiques. En effet, labsence de contrain-tes scientifiques ne peut-elle pas dans certains cas favoriser linnovation et le recours des stratgies individuelles ou collectives favora-bles une rduction de la vulnrabilit des lit-toraux touristiques ? L encore, le champ du dveloppement touristique offre des contras-tes de situations trs porteurs pour ce type de rflexion.

    Vers une vision largie de la vulnrabilit : hypothses de recherche pour llaboration dune grille danalyseAu terme de ce document, et compte tenu de la relation complexe qui existe entre tourisme littoral et changement climatique, il apparat donc crucial daborder la question des cons-quences attendre du changement climatique sous langle de la vulnrabilit. En effet, le concept de vulnrabilit est intrinsquement li celui dadaptation et par voie de fait celui de capacit dadaptation. Or, cest bien de cette capacit dadaptation et des stratgies dadap-tation promouvoir sur les littoraux touristi-ques mditerranens dont nous devons nous proccuper.Au-del de lanalyse des visions nationales de cette vulnrabilit et au regard des choix scien-tifiques oprs (travailler lchelle locale et prendre en compte des combinaisons de ris-

    ques), la question reste donc celle de la manire daborder la vulnrabilit lors dtudes de cas. En effet, doit-on repartir des bases mthodolo-giques ventuellement proposes par les tats dans le cadre de leurs Communications natio-nales la CCNUCC, ou bien doit-on en proposer de nouvelles ? Notre choix porte sur la seconde option, lide tant terme de comparer les analyses locales de la vulnrabilit celles des Communications nationales afin didentifier les complmentarits ventuelles dindicateurs et ainsi favoriser la prise en compte des chel-les locales dans les stratgies nationales.Dans cette perspective, deux points peuvent dores et dj tre abords qui discutent des fondements conceptuels et mthodologiques des analyses locales.

    Dun point de vue conceptuelDans un ouvrage publi au dbut des annes 1990, P. Blaikie, T. Cannon, I. Davis et B. Wisner ont dvelopp le modle dit des pressions et des relchements Pressure and Release (PAR) model , lequel repose sur lide que a disaster is the intersection of two opposing forces : those processes generating vulnerability on one side, and physical exposure to hazard on the other (1994, p. 22). Bien que ces auteurs considrent la vulnrabilit comme tant avant tout a social production (p. 21), leur travail prsente lintrt de proposer une lecture de la vulnrabilit enracine dans les fondements intimes de la socit considre. Les facteurs humains qui expliquent les fragilits dun groupe relvent de trois dimensions qui sont autant dtapes de remonte dans le temps. La premire caractrise les conditions du systme au moment de la confrontation avec lala. Or, celles-ci sexpliquent en partie par des causes plus sous-jacentes, en loccurrence les volu-tions environnementales, socioculturelles, co-nomiques et politiques des dernires dcen-nies. On aborde l un volet plus dynamique des facteurs de vulnrabilit. Enfin, la troisime dimension du PAR model renvoie une chelle de temps plurisculaire au travers des valeurs fondamentales ( root causes ) sur lesquelles sest difie la socit : hirarchie, rpartition du pouvoir, rapport aux ressources naturelles, orientations conomiques, etc.Nous partageons entirement cette vision enracine de la vulnrabilit, et cest pourquoi notre approche scientifique repose

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    aujourdhui sur lidentification des facteurs qui notre sens influent sur la vulnrabilit dun littoral touristique, et plus largement sur la vulnrabilit du territoire dans lequel lacti-vit touristique sinscrit. Six grandes familles ont t retenues qui sont (1) la configuration spatiale, (2) la cohsion socitale, (3) la sensi-bilit environnementale, (4) la diversification conomique, (5) la structuration politico-insti-tutionnelle et (6) le niveau de dveloppement. Prsentes de manire synthtique ci-dessous, elles servent de base la mise en place dun cadre mthodologique danalyse de la vulnra-bilit (cf. 3.2.2.).La configuration spatiale (1) du territoire fait globalement rfrence aux potentialits et contraintes de lespace en tant que support de dveloppement. Il peut en effet prsenter plus ou moins de plaines ctires, des sols plus ou moins fertiles, un microclimat plus ou moins contraignant, des ressources en poissons plus ou moins importantes, etc. Du point de vue des risques naturels, ce facteur dinfluence caractrise la propension de lespace tre concern tant par des alas naturels ponctuels que par des volutions graduelles des condi-tions climatiques et des ressources naturelles. De tels lments induisent videmment des choix de dveloppement, touristique mais pas seulement, qui sont spcifiques. Ceci expli-que notamment pourquoi les chelles locales doivent tre intgres aux analyses de vuln-rabilit au changement climatique, car les fac-teurs locaux telles les caractristiques du cadre physique auront une influence certaine sur les tendances climatiques locales moyennes et sur leurs consquences.Ce jeu dchelles est galement mis en avant par le second facteur : la cohsion socitale (2). Celle-ci se caractrise par la nature et le degr de stabilit des relations entre les diffrents individus dun mme groupe, dont dpend, on peut partir de cette hypothse, le degr de soli-darit dont ce dernier peut faire preuve face au risque, pendant et aprs la crise (CRC, 2003). Schmatiquement, cette cohsion socitale repose la fois sur les rapports sociaux entre les individus du groupe, sur le partage dune identit culturelle et sur une relative homog-nit entre les classes conomiques. Elle pourra prendre diffrentes formes, comme laccueil des personnes sinistres par des foyers moins affects, la fourniture de vtements, daliments,

    de matriel scolaire. Or, une telle stratgie de rponse une crise, donc indirectement de gestion et ventuellement danticipation des risques, constitue un facteur important de rduction de la vulnrabilit en ce sens que la cohsion sociale permet de contrecarrer les ingalits, tout du moins den limiter les effets pervers (individualisme et ghettosation, par exemple). Par l-mme, elle tend favoriser lmergence de mcanismes de solidarit dans diffrents domaines connexes ceux des ris-ques naturels (alimentation, scolarisation, loge-ment, formation). Favoriser la cohsion soci-tale semble donc ncessaire la rduction de la vulnrabilit du territoire, et cela commence lchelle des populations locales. Cest ce qui explique limportance de lintgration des com-munauts daccueil dans la dynamique touris-tique et plus gnralement dans les logiques conomiques. Pour faciliter cela, il est essentiel que le produit touristique soit lui-mme adapt aux dynamiques locales et leurs particulari-ts socio-spatiales, culturelles et conomiques. Lintgration doit donc galement tre pense au niveau des oprateurs touristiques privs exognes (investisseurs) et des touristes (tou-risme enclav vs. tourisme intgr ?).Un troisime facteur met de nouveau laccent sur les caractristiques naturelles du territoire porteur dune activit touristique en traitant spcifiquement du niveau de sensibilit envi-ronnementale (3). Ce caractre influe en effet indiscutablement sur la probabilit quun vnement se rvle ou non perturbateur des dynamiques en place. Le lien est rel et quasi-direct entre sensibilit des cosystmes et vul-nrabilit aux risques naturels. Et ce dautant que certains cosystmes comme les herbiers de posidonies en Mditerrane, par exemple, peuvent jouer un rle tampon face lattaque des ctes par les houles. Enfin, rappelons que cette sensibilit dpend beaucoup aujourdhui des amnagements ctiers dont le tourisme a en grande partie t moteur (cf. 1.1.3.). L encore, le rapport environnement/tourisme est double entre.La diversification dont fait ou non preuve la structuration conomique du territoire ctier touristique (4) entre galement en ligne de compte pour expliquer la vulnrabilit de ce dernier aux risques naturels et au changement climatique, en ce sens quelle influe sur sa capa-cit se relever dune crise. En effet, on peut

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    Le tourisme littoral en Mditerrane : tendances et perspectives face au changement climatique

    IDDRI

    considrer que cette vulnrabilit est dautant plus limite que le schma de dveloppement repose sur plusieurs activits et que celles-ci, de surcrot, ne se concentrent pas toutes sur le littoral. La raison en est essentiellement que laffaiblissement dun secteur particulirement touch par une perturbation naturelle (destruc-tion de lappareil de production le plus souvent) peut tre compens par lactivit dun autre secteur, le temps dune certaine rsilience. Du moins cela permet-il au territoire de ne pas se retrouver sans ressources conomiques, alors mme que celles-ci sont plus que ncessaires au moment de la reconstruction. De manire plus indirecte, la monoactivit conomique prsente aussi le dsavantage de proposer un spectre demplois restreint. Autrement dit, si le secteur dominant (le tourisme par exemple) est durement impact par un vnement, cest rapidement lensemble de lappareil de produc-tion du territoire qui est touch, et travers lui lensemble de la force de production. La perte des emplois, dune part, et le manque dautres perspectives dans dautres secteurs, dautre part, se rpercutent sur les revenus des mna-ges, cest--dire sur leur capacit se rtablir dune crise. On voit ici linfluence de lchelle des individus sur la situation densemble, et inversement. Compte tenu du poids considra-ble de lactivit touristique sur leurs conomies, il est clair que les ctes mditerranennes sont particulirement sensibles cette question de la diversification conomique.Un cinquime facteur dinfluence est la struc-turation politico-institutionnelle du territoire touristique (5). Ce facteur fait rfrence aux mcanismes qui rgissent le fonctionnement de ce territoire et qui expliquent que les diver-ses circonscriptions qui le composent (por-tions de ctes, arrire-pays, zones urbaines) sont plus ou moins relies les unes aux autres. Autrement dit, le territoire peut tre plus ou moins cohrent, cette cohrence reposant en grande partie sur la prsence de rseaux (de solidarit et de communication) bien articuls. Cest notamment ce qui permettra en cas de problme une certaine solidarit socitale (cf. deuxime facteur), car la communaut vivant sur la portion de cte affecte ne se retrou-vera pas seule face la crise. Or, cette articu-lation dchelles territoriales sexplique par la manire dont sont structurs et coordonns les organes publics de dcision et dintervention.

    Cest la sphre politique et institutionnelle qui est ici interroge tant dans ses logiques des-cendantes (Top-Down) quascendantes (Bottom-Up), car cest elle qui a en charge les processus de rgulation et danticipation des crises, en loccurrence naturelles.Enfin, et de manire l encore implicite, le niveau de dveloppement (6) pris dans son acception gnraliste pse sur le niveau de vul-nrabilit. On peut voir en ce facteur une image relativement fidle des conditions de vie de la population locale, donc du territoire daccueil. Ce niveau de dveloppement peut tre globale-ment apprhend partir dlments caractri-sant la dmographie (taux de croissance, den-sits, proportion de jeunes), lhabitat (en dur ou non, densits doccupation), lducation (taux dalphabtisation, sensibilisation aux ris-ques naturels), lemploi (population active, niveaux moyens des salaires), la sant (taux de certaines maladies, capacits hospitalires et mdicales), laccessibilit aux transports (moyens de se dplacer et rseaux) et le type de sources dnergie utilises au quotidien par les mnages (plutt traditionnelles ou modernes, donc plus ou moins de dpendan