Le sens véritable de la formule sur le monument de Rök

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LE SENS VÉRITABLE DE LA FORMULE <SAKUMUKMINI> SUR LE MONUMENT DE RÖK Alain Marez Klincksieck | Études Germaniques 2008/3 - n° 251 pages 529 à 550 ISSN 0014-2115 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-etudes-germaniques-2008-3-page-529.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Marez Alain, « Le sens véritable de la formule <sakumukmini> sur le monument de Rök », Études Germaniques, 2008/3 n° 251, p. 529-550. DOI : 10.3917/eger.251.0529 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Klincksieck. © Klincksieck. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 173.178.115.31 - 10/03/2015 00h57. © Klincksieck Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 173.178.115.31 - 10/03/2015 00h57. © Klincksieck

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Le sens véritable de la formule sur le monument de Rök

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  • LE SENS VRITABLE DE LA FORMULE <SAKUMUKMINI>SUR LE MONUMENT DE RK Alain Marez Klincksieck | tudes Germaniques 2008/3 - n 251pages 529 550

    ISSN 0014-2115

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-etudes-germaniques-2008-3-page-529.htm

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    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Marez Alain, Le sens vritable de la formule sur le monument de Rk ,

    tudes Germaniques, 2008/3 n 251, p. 529-550. DOI : 10.3917/eger.251.0529

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  • TUDES PHILOLOGIQUES, LITTRAIRES ET PHILOSOPHIQUES

    Alain MAREZ*

    Le sens vritable de la formule

    sur le monument de Rk

    For more than a century runologists have been wondering what the actual meaning of the key-formula is, which is repeated seven times in the Rk inscription, the longest and one of the most important in Sweden at the beginning of Viking times (around 900). Up to now the two proposed readings are less than satisfactory so that numerous researchers have contested them and proposed new interpretations, of which few are really convincing. A superfi cial epigraphic analysis combined with an erroneous splitting of the graphic sequence is responsible for these repeated failures. Haplography and ligatures that are a constant of runic epigraphy and orthography allow a rigorous and very different interpretation that is confi rmed by the rewriting of the same sequence in Germanic runes (old fuark with 24 signs). As a Rosetta stone of the North, the version in ancient runes gives the content of the text, but also reveals the notational worth of some Germanic runes after the installation of Scandinavian runes (fuark with 16 signs). In so doing it gives a survey, however fragmentary, of the linguistic evolution at stake. underlines the exceptional character of the inscription, the only one that enumerates epic stories of oral tradition. It discloses the particular intention of the engraver and punctuates its realisation.

    Depuis plus dun sicle, les runologues sinterrogent sur le sens vritable de la formule-clef reprise sept fois dans linscription de Rk, la plus longue et une des plus importantes de Sude au dbut de lpoque des Vikings (vers 900). Les deux lectures avances jusquici sont si peu satisfaisantes que de nombreux chercheurs les ont contestes en proposant de nouvelles interprtations dont bien peu sont elles-mmes convaincantes. Une analyse pigraphique superfi -cielle, voire nglige, associe une dcoupe errone de la squence graphique, est lorigine de ces checs successifs. Lhaplographie et les ligatures, ces constantes de lpigraphie et de lorthographe runiques, permettent de dgager en toute rigueur une interprtation trs diffrente, confi rme par la rcriture en rune germaniques (ancien fuark 24 signes) de la mme squence. Tout comme une pierre de Ro-sette du Nord, la version en runes anciennes livre la teneur du texte, mais rvle aussi la valeur de notation de certaines runes germaniques aprs linstallation des runes scandinaves (fuark 16 signes, variante de Rk), donnant ainsi un aperu, si

    tudes Germaniques 63 (2008), 3, p. 529-550

    * Alain MAREZ est Professeur honoraire luniversit Michel de Montaigne (Bordeaux III), Le Figuey , 4 chemin du vivier F-33640 BEAUTIRAN ; courriel ; [email protected]

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  • 530 LE MONUMENT DE RK

    fragmentaire soit-il, des volutions linguistiques en cours. souligne le caractre exceptionnel de linscription, la seules numrer des rcits piques de la tradition orale. Elle annonce le dessein singulier du graveur et en rythme la ralisation.

    Le monument de Rk se compose de deux parties distinctes fort diffrentes. Elle souvre sur deux bandes runiques surdimensionnes par rapport au calibre de toutes celles qui suivent. Le contraste est sans aucun doute voulu, car il met en valeur une ddicace mouvante, celle dun pre (Varinn) la mmoire de son fi ls dfunt (Vmo). Le style en revanche na rien doriginal et sapparente assez troitement celui de certains monuments contemporains du dbut de lpoque des Vikings 1.

    Avec ses vingt-cinq bandes, la seconde partie occupe toute la surface du bloc de pierre, y compris les artes sommitale et latrales. Le fait mrite dtre soulign, car aucune inscription ne recouvre, ma connaissance, la totalit de son support, mme si certaines se dploient sur plusieurs faces dun monument. Cette omniprsence du texte se double dune singula-rit manifeste ; il transmet par le discours et non par la gravure le contenu de rcits hroques ou mythiques, lun dentre eux par une strophe en fornyrislag (mode des anciens rcits dans lEdda) racontant la destine dun certain jrikr (Thodoric) non encore formellement identifi , les autres par des mentions plus ou moins brves en prose, six rcits en tout, qui correspondent un univers hroque sans doute familier au public de lpoque, mais qui nous est compltement inconnu. On chercherait en vain dans lensemble du corpus runique une telle volont de raconter (segja) des mythes hroques, de les dire , alors que les reprsenta-tions plastiques de tels mythes ne manquent pas sur les monuments de lpoque des Vikings 2. Ce fait nouveau et unique a laspect dune num-ration en forme de catalogue.

    Il souvre sur la formule qui apparat six fois aprs cette mention liminaire, trois fois sous sa forme complte et trois fois sous sa forme rduite . Sur ces sept occurrences en tout, quatre sont graves en runes scandinaves dans leur variante de Rk (kortkvistrunar runes branches courtes ), deux en runes cryp-tiques, lune en runes de substitution et lautre en runes crochets (dites

    1. Rk : /Aft Vmo standa runaR aR/ la mmoire de Vmo se dressent ces runes Flemlse 1 (Bg herred, Odense amt, Fionie), DR 192 : /ft Roulf stndr sten sasi../ la mmoire de Roulv se dresse cette pierre

    2. Parmi les rcits hroques, on rencontre notamment Sigurr Fafnisbni (Sigurd, le meurtrier de Fafnir) sur Ramsundsberget, Gk, Ockelbo, Stora Ramsj et Drvle en Sude, le cycle des Vlsungar sur Norum et Vsterljung et celui du forgeron Vlund (Ardre, Gotland). Les pisodes mythiques sont aussi bien reprsents : la pche de Thor sur Altuna, les funrailles de Baldr sur Hunnestad 2 (?), la fi n du monde (Ragnark) et la mort dinn sur la pierre de Ledberg toujours en Sude.

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    hahalrunar runes-chaudron ), lesquelles sont un simple encodage de la squence prcdente, une enfi n en fuark germanique vingt-quatre signes. Elles sont ingalement rparties sur lensemble du bloc de pierre : sur la face antrieure, les deux squences sont graves en runes de Rk, sur la face postrieure deux sont en runes de Rk, une en fuark germa-nique vingt-quatre signes, une quatrime en runes de substitution. La dernire, celle en runes crochets, apparat enfi n sur larte de gauche.

    On pressent limportance capitale de cette formule susceptible de dvoi-ler lintention de son auteur, mais aussi de donner la clef dune interprta-tion gnrale de linscription, car non seulement elle introduit le message dans sa totalit, mais elle en rythme le contenu en une ample anaphore, elle se retrouve en effet chaque fois que le graveur aborde un nouveau rcit Elle le clt de surcrot avec une invocation (?) au dieu Thor et cons-titue pour ainsi dire un procd dencadrement (dan. omramning), assez frquent dans lorganisation syntaxique de certains textes runiques.

    Ligne 3, de bas en haut (runes de Rk)Fin de la ligne 5 et dbut de la ligne 6 (runes de Rk)

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  • 532 LE MONUMENT DE RK

    Ligne 21 (transversale infrieure en runes renverses (fuark germani-que 24 signes), de droite gauche Ligne 22 (verticale lextrme gauche, de bas en haut (fuark germani-que 24 signes) Ligne 23 (transversale en dessous des runes branches, de gauche droite, en runes cryptiques de substitution) = Ligne 12 (verticale, la 2 en partant de la gauche, de bas en haut) en runes de RkLigne 14 (verticale, la 4 en partant de la gauche, de bas en haut) en runes de RkLigne 27 (tranche de droite, de haut en bas en runes crochets (hahal-runar)

    La dcoupe traditionnelle de cette squence graphique en mots na pas vari depuis la premire tentative dinterprtation, cest--dire depuis celle de S. Bugge en 1878 3. Malgr son caractre peu satisfaisant, elle a t inlassablement reprise par de grands spcialistes en runolo-gie depuis E. Wessn (1958) et L. Jacobsen (1961) jusqu O. Grnvik (1983) et, plus rcemment encore, G. Widmark (1993) 4. Cette segmen-

    3. Sophus Bugge : Rk I (1878) et Rk III, Der Runenstein von Rk, publication pos-thume en 1910.

    4. Elias Wessn : Runstenen vid Rks kyrka, Kung. vitterhets historie och antikvitets akademiens handlingar, fi lologisk-fi losofi ska serien 5, Almqvist och Wiksell, Stockholm 1958.

    Lis Jacobsen : Rkstudier, Arkiv fr nordisk fi lologi, LXXVI, 1961, p. 1-50.Ottar Grnvik : Runeinnskriften p Rk-steinen, Maal og Minne 3-4 1983.Gunnar Widmark : Varfr ristade varin runor ? Tankar kring Rkstenen, Saga och sed,

    Uppsala 1993.Cf. aussi Helmer Gustavson : Rkstenen, Svenska kulturminnen 23, Stockholm (1991).

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    tation est elle-mmes sujette controverse : les uns proposent , les autres avec haplographie du qui terminerait et constituerait lattaque consonantique de . Succdant une forme transcrite /sagum/ qui pourrait tre soit une 1Pplprs. ind soit un subjonctif soit mme un impratif 1Ppl (!) 5, /ungmnni/ dans le premier cas serait un datif singulier aux jeunes, la jeunesse , /mogminni/ dans le second cas constituerait un accusatif singulier, voire pluriel la mmoire populaire . La squence pourrait donc tre interprte de deux faons diffrentes : je dis (forme solennelle de 1Pplprs. ind., lit. nous disons !) la jeunesse ou je dis (nous disons) la mmoire popu-laire . Comme la formule prcde lnumration des rcits hroques, on est contraint dans la premire hypothse de penser que le graveur a pour intention de faire connatre aux jeunes ces rcits quils ignorent peut-tre, dans la seconde en revanche cette mmoire populaire serait la matire mythique elle-mme quil sapprte numrer 6. Cette ambiguit dans linterprtation est gnante en soi ; on en veut pour preuve lempressement avec lequel tous les spcialistes tentent den proposer de nouvelles.

    Au lieu de reprendre la dcoupe , on suppose une haplogra-phie normale de entre la fi nale dune squence + . La rgle orthographique qui consiste ne pas graver deux fois le mme graphme lorsquil termine un mot et constitue linitiale de celui qui suit immdiatement est lun des principes les plus contraignants de lorthographe runique tant lpoque du germanique (ancien fuark 24 signes) qu celle des Vikings (nouveau fuark 16 signes). Il ne connat un assouplissement tout relatif quau Moyen ge ( partir de 1050).

    Cette nouvelle segmentation permet de dgager une premire unit graphique qui se laisse aisment interprter comme une forme, certes lgrement archasante, mais tout fait normale de la 1Psg. prs. ind. du verbe segja dire /sagu/. Le morphme /-u/ est celui attest en protonordique dans le paradigme fl exionnel des verbes forts et faibles 7. On note que le verbe /segja/ conserve sa fl exion dorigine, celle des verbes faibles en /--/ et na pas adopt encore celle des verbes en /-ja-/ quil a en vieux-norrois (1Psg. prs. ind /seg(i)/).

    On interprte le second lment comme la prposition suivi dun accusatif.

    5. Cf . Elias Wessn, op. cit., p. 32. 6. Elias Wessen et Lis Jacobsen adoptent cette seconde interprtation. 7. Martin Syrett : The unaccented vowels of proto-norse, Odense University Press,

    p. 237 sq.

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  • 534 LE MONUMENT DE RK

    Quant la squence , elle constitue le groupe prposi-tionnel introduit par la . On considre donc que lhaplographie du suppose par une partie de la recherche antrieure est relle.

    est un mot compos neutre laccusatif singulier ou pluriel. Les deux membres de la composition sont relis par une rela-tion de type dterminatif, dans laquelle le second est dtermin par le premier : , le dterminant, est sans doute la transcription gra-phique du terme quon retrouve sous la forme /mgr/ masculin (thme en /-u-/) en vieux norrois fi ls, jeune garon , tandis que le dtermin note vraisemblablement le terme /minni/ neutre (thme en /ija/-) mmoire, souvenir et, dans plusieurs textes, monument (funraire) commmoratif 8.

    Cest lapplication stricte de la rgle de lhaplographie qui permet une telle lecture : la chane phonique /sagu um mgminni/ ne peut abso-lument pas apparatre dans une transcription du type * et on ne voit gure par ailleurs comment le graveur aurait pu la noter autrement. On stonne du reste que des annes de recherche runologique accomplie par dminents spcialistes naient pas conduit une telle interprtation, dautant que la seconde haplographie, celle du faisait partie des hypothses avances. /sagu um mgminni/ installe une nouvelle lecture : je dis sur (toute la surface du) le monu-ment du (de mon fi ls) , dans laquelle la prposition /um/ + A. a le sens quelle conserve en vieux norrois tout autour de, sur toute la surface de . Dans la forme abrge de la formule, cest--dire sans groupe pr-positionnel, /um/ apparat en fonction dadverbe : (L 5/6, 12 et 14), et note la chane phonique /at sagu um/, soit je dis cela (sur le monument entier) , dans laquelle /at/, dmonstratif laccusatif neutre singulier annonce la subordonne interrogative indirecte.

    La rcriture de en runes germaniques (fuark 24 signes) atteste que lancienne srie tait encore connue des graveurs au dbut du IXe sicle. Il nest pas sr en revanche quun contemporain ait t encore capable de les dchiffrer, mme sil tait vers dans la connaissance du fuark scandinave 16 signes et de sa variante de Rk. Il semble que deux intentions se rejoignent chez le graveur, celle de faire talage de sa science et de sa matrise des runes et celle de cryp-ter le message autrement que par les procds dencodage classiques comme les runes de substitution ou les runes crochets, fonds uni-quement sur des manipulations formelles du fuark. La comparaison des deux squences transcrivant la mme chane phonique doit nous renseigner sur la valeur de notation phontique que les anciens signes avaient lpoque de la ralisation du monument, mais aussi nous per-

    8. Cf. lexpression en vieux norrois setja bautasteina til minnis : dresser des pierres en guise de monument commmoratif.

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  • TUDES GERMANIQUES, JUILLET-SEPTEMBRE 2008 535

    mettre peut-tre de confi rmer ou dinfi rmer linterprtation retenue prcdemment.

    Cette comparaison se fonde sur une analyse pigraphique rigou-reuse jamais entreprise jusqu maintenant, laquelle reprsente le seul moyen dinvestigation susceptible de conduire une interprtation scientifi quement fonde de la squence.

    Dbut de la ligne 21

    Squence en runes scandinaves(variante de Rk)

    On constate que les deux sries comportent le mme nombre duni-ts graphiques, soit onze. Sur ces onze graphmes, sept sont des signes appartenant la srie germanique (fuark 24 signes), soit les runes 1 , 3 , 4 , 5 m, 6 o, 7 , 9 e, un caractre appartient la srie scandinave (fuark 16 signes, variante de Rk) n10 , trois enfi n sont des crations : 2, 8, 11.

    Lanalyse du consonantisme montre que le graveur na pas rencon-tr de diffi cults crypter le message en fuark germanique, car les caractres ont des formes diffrentes dans les deux sries runiques :

    R 1 : c correspond s pour la notation de la siffl ante sourde /s/.

    R 3 et 7 /g/ de la srie germanique est not /k/ en runes scandinaves, puisque la corrlation de sonorit /g/ /k/ subit une neutra-lisation graphique au profi t de la sourde lors du passage de lancien au nouveau fuark.

    R 5 : m /m/, lancien signe pour locclusive bilabiale nasale dispa-rat au profi t de 4 dans la variante de Rk du nouveau fuark (ailleurs, cest--dire dans la variante dite danoise (Grlev), elle est remplace par Y).

    En ce qui concerne R 10 (/n/ occlusive dentale nasalise), on trouve le mme signe dans les deux squences, soit n. Cest la forme de la variante de Rk (kortkvistrunor), non celle de lancien et du nouveau fuark scandinave dont le trait transversal coupe la haste verticale : N. On ne sait trop la raison pour laquelle le matre des runes a renonc cette forme qui lui donnait pourtant loccasion de diffrencier, au moins lgrement, les deux squences.

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  • 536 LE MONUMENT DE RK

    Dterminer la valeur phontique des anciennes runes lors de linstal-lation du nouveau fuark, cest--dire laube de lpoque des Vikings, est, en ce qui concerne le vocalisme, une tche autrement dlicate. Une reconstruction est toutefois ralisable partir du principe acrophoni-que. Ce moyen mnmotechnique permet au lapicide de retenir la valeur phontique du signe graphique grce au son initial du nom de la rune, qui subit les mmes volutions que les autres mots de la langue. Or celles-ci sont considrables (mtaphonies, fractures, syncope) au cours de la priode qui prcde et inaugure lpoque des Vikings au point de paralyser la tradition pigraphique en Scandinavie au VIIIe sicle 9. Grce la phontique et la phonologie diachroniques, on parvient toutefois reconstituer pour une grande part les grands traits de ces modifi cations du vocalisme en syllabe accentue, cest--dire celles qui se produisent linitiale du nom des runes. Une fois ce travail accompli, on vrifi e que la valeur phontique prsume de la rune est identique celle dcelable dans les autres occurrences de la squence graphique en runes germaniques (lignes 21 et 22) :

    Lensemble de la squence en fuark germanique 24 signes (lignes 21 et 22)

    En cas de concordance, il convient dexaminer en dernier lieu si ce rsultat est en accord avec la squence graphique en nouveau fuark scandinave 16 signes.

    R. 4 est la variante arrondie de la huitime unit de la srie ger-manique . La forme germanique reconstruite du nom de la rune pourrait tre */wunj/ (vang : wen/ wynn, got : uuinne) joie, plaisir et sa valeur de notation /w/, glide bilabial, lequel sest maintenu devant voyelle homorgane linitiale accentue jusquau milieu du VIIe sicle (inscriptions du Blekinge). Aprs sa disparition en cette position, le nom de la rune commence par /u-/ ; le son est dj not par R2 U 10 et le signe disparat parce que jug redondant. Le graveur de Rk ignore lvidence la valeur de transcription /w/ puisquil note le glide laide

    9. Cf. Alain Marez : Les Causes de la rduction du fuark germanique : les glides et le vocalisme, Paris-Lille 2002. (thse dtat).

    10. U (et ses variantes) occupe la seconde place et conserve la mme forme dans les deux sries germanique et scandinave.

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  • TUDES GERMANIQUES, JUILLET-SEPTEMBRE 2008 537

    de o le vingt-quatrime et dernier signe de la srie germanique, et ceci trois reprises : (ligne 21, runes 16-19) /hwaR/ int. masc. sg. qui ? , (ligne 22, runes 4-7) /waRi/ 3Psgprt. subj aux. du pas-sif aurait t et (ligne 22, runes 15-20) /kwnaR/ Gsgfm. dune femme . Il apparat que le choix du signe est dtermin par la volont de transcrire un phonme dont le trait principal est le carac-tre arrondi. U est disponible mais dessert le dessein docculter le message. Le graphme offrait toutefois la possibilit de noter un /u/ nasalis 11 (cf. */unn-/), une faon commode de signaler la prsence dans la chane phonique de la nasale /m/ appartenant la prposition /um/ mutile graphiquement par lhaplographie.

    R6 o a pour nom probable la forme reconstruite /ala-/ ~/ila-/ bien hrditaire . La forme anglo-saxonne du nom /el/ ~/il/ et celles du vang. /el/ ~/el/ refl teraient linitiale une alternance // ~ // (/e/ par dsarrondissement) due lvolution lgrement divergente des deux formes : seule */ila/ subit lvolution // > // cause par la mtaphonie par /-i-/. Toutes les formes ultrieures des langues scandina-ves comportent dailleurs ltat non infl chi du vocalisme radical, soit isl. al, norv. odel, sud. odal 12. On vient de voir par ailleurs que le graveur utilisait le signe pour transcrire le glide bilabial /w/ devant voyelle ant-rieure. Il est donc vraisemblable quil a choisi la rune o pour noter un phonme dont le trait distinctif tait son caractre arrondi. En pleine priode dvolution du systme vocalique en syllabe accentue telle que la connat le dbut de lpoque des Vikings, le choix de lunit phonique se limite deux phonmes /o/ et /u/, voire un allophone // (/o/ ouvert) issu de la mtaphonie par /-u-/ de /a/).

    R9 e Le caractre pose un problme particulier de nature pigra-phique. Il nexiste pas dans lancienne srie germanique ou, pour tre plus prcis, reprsente formellement un mixte entre la rune 19 e et la rune 20 m . Faut-il y voir une une confusion due au voisinage immdiat des deux signes dans le rpertoire mnmotechnique du graveur, une frappe maladroite dans le maniement du burin, ou, une fois encore, la volont de crypter le message en crant un caractre inconnu ? On ne saurait le dire 13. En tout cas, la place de la rune entre deux signes de valeur consonantique et les contraintes de lensemble de la chane phonique nous incitent poser la rune et non la rune dont le trac apparat dailleurs en R5. Quelle valeur pouvait avoir

    11. Peu importe quil sagisse dune occlusive nasale dentale dans le nom de la rune et dune labiale dans la prposition, lessentiel demeure la notation du caractre nasal de la voyelle qui prcde, cest--dire /u/.

    12. La forme atteste du vieux haut allemand /uodal/ refl te pour le westique aussi la prsence de // en syllabe accentue.

    13. On ne peut exclure non plus une rainure naturelle dans le support, car le trait oblique rejoignant la haste de gauche parat moins rgulier que la partie suprieure en juger par les clichs plus ou moins nets en ma possession.

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  • 538 LE MONUMENT DE RK

    la rune e pour le graveur ? En germanique, on saccorde sur une forme de type */ehwaz/ ~ */ewaz/ cheval . Tout comme /o/, le son /e/ en syllabe accentue volue sous linfl uence du vocalisme en syllabe atone (mtaphonies et fractures). Si on compare les formes du protonordique / celle du visl. /jr/, on constate leffet de la fracture par /u/. A une poque intermdiaire, celle de la transition entre les deux sries du fuark, le nom de la rune a vraisemblablement comport un glide palatal /j/ linitiale. Comme la notation du glide tait dj assure par , le signe fut considr comme redondant et limin. Il ny a rien dtonnant ce que notre graveur lutilist comme transcription dun /i/ vocalique (notation par position devant consonne).

    Restent trois signes irrductibles lune ou lautre srie du fuark, la germanique ou la scandinave, ce sont R2, R8 et R11. Ils constituent de vritables crations du lapicide.

    R2 a laspect dune hache dont la haste verticale serait le manche et le triangle grossirement dessin le tranchant. Le signe est unique dans le corpus runique et ne se laisse driver daucune autre forme de lan-cien comme du nouveau fuark 14. Les six occurrences aux lignes 21 et 22 indiquent que le signe note un son /a/ : /sagu/ 1Psgprsind je dis , /at/ Asgdmneut cela , dans /-inga/ Gplmasc du morphme drivationnel /-ing/, et, aprs le glide bilabial /w/, /hwar/ Qui ? , /waRi/ aurait t , /kwnaR/ Gsg dune femme . Le dernier exemple indique que le gra-veur, comme le font du reste tous ceux de lpoque des Vikings, distin-gue le // (/a/ nasal/) 15 du /a/ (/a/ oral) le signe en forme de hache. Dans le reste du texte non crypt, le /a/ oral a la forme quon lui connat dans la variante de Rk, cest--dire a (forme normale en nouveau fuark ). Le problme du lapicide est donc de transcrire le /a/ oral : lancienne srie germanique est exclue, car elle ne possde pas de signe spcifi que et la nouvelle srie scandinave ne garantit pas un brouillage suffi sant du message ( se diffrencie peine de a). Il choisit donc la voie audacieuse de crer son propre signe en prenant soin de respecter la rf-rence acrophonique du nom des runes : le son transcrit sera le phonme initial du nom de sa rune, cest--dire /a/ oral, et le signe aura la forme de lobjet ou de la notion quil dsigne : x f. hache dont le vocalisme ini-tial et radical est /a-/ : germ */aqwisi/ ~ */akusi/. Ce degr /a/ de la racine est soumis la mtaphonie par /w/ au Nsg., mais se retrouve encore bien apparent en vieux norrois au Gsg /axar/ et ou Npl /axir/. Le recours

    14. Lide dAslak Liestl (in The emergence of the viking runes, in : Michigan Germanic Studies 7.1, (1981), p.112sq) selon laquelle le signe serait driv de lancienne rune R14 p est fort peu vraisemblable !

    15. La diffrence est infi me entre le du graveur de Rk et celui de lancien fuark : les deux traits obliques vers le bas droite sont seulement dcals vers le milieu de la haste au lieu de partir de son sommet ( au lieu de. ).

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  • TUDES GERMANIQUES, JUILLET-SEPTEMBRE 2008 539

    lidogramme constitue un hapax dans le corpus des inscriptions, mais na rien dinvraisemblable : il sert le dessein de son auteur sans enfrein-dre pour autant le principe souverain de lacrophonie.

    R8 rvle un autre artifi ce du graveur qui a su djouer jusqu main-tenant la perspicacit des runologues les plus avertis. Tout comme le prcdent, le signe grav nexiste ni dans lancienne srie germanique ni dans le fuark scandinave et pourtant, tous les spcialistes saccordent pour le transcrire par la seule valeur de translittration notant /m/ occlusive bilabiale nasalise. Rien nautorise une telle dmarche qui relve dune ngligence incontestable dans lanalyse pigraphique. 4 est bien le signe transcrivant /m/ dans la variante de Rk (ailleurs (Grlev) et M en gnral), mais la translittration en cause ignore le jambage de gauche du signe trs lgrement recourb au sommet lors-quil rejoint le trait horizontal suprieur de . Le signe lui-mme est un hapax formel, certes, mais il constitue une ligature de deux runes connues, lune commune aux deux fuark voire U (forme inverse) /u/, lautre spciale Rk 4 /m/. Dans le complexe , la haste verticale de est commune aux deux signes. Cette ligature prsente un double avantage : elle permet aux deux squences, celle en ancien et celle en nouveau fuark, daligner le mme nombre dunits et sert dans le mme temps le dessein avou de dissimuler la nature du message, en associant deux runes parfaitement identifi ables lorsquelle sont isoles, mais illisibles pour les contemporains lorsquelles sont unies par une ligature.

    R11 est le dernier signe tmoigner de la crativit graphique du lapicide. Il est compos dune haste verticale dont les deux extrmits sont relies par une sinusode en forme de lgrement inclin sur la gauche. Il apparat plusieurs reprises avec pour fonction de noter un /i/. Bande 21 /-minni/, /Inguldinga/ ; bande 22 /waRi/, /guldinn/, /husli/. Comme i /i/ con-serve en fuark scandinave la forme quil avait en germanique, il fallait crer un signe susceptible dgarer le lecteur. Cest ainsi que le graveur associe i un lment qui pourrait tre lancien trac de la rune 12 du germanique jJ avec la valeur de notation /j/ (glide palatal ou /i/ consonantique). Ce second signe aurait du reste suffi assurer le cryptage.

    Lanalyse pigraphique permet donc dtablir la translittration sui-vante de la squence :

    qui transcrit la chane phonique /sagu(u)m(m)oguminni/ soit je dis sur le (toute la surface du) monument du garon (du fi ls) . Cette translittration met en vidence le faits sui-vants :

    La squence compte onze units graphiques (graphmes) mais douze runes en raison de la ligature .

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  • 540 LE MONUMENT DE RK

    Elle est htroclite sur le plan graphique puisquelle puise la fois dans les formes anciennes des runes germaniques, dans celles des nou-velles runes scandinaves et mme dans limagination graphique du docte graveur. Cet clectisme graphique nest pas d la fantaisie de son auteur, mais une contrainte impose par le caractre ambi-tieux de son projet : rcrire en fuark germanique 24 signes tous les sons (ou phonmes) de la chane phonique. Certaines runes en effet ont conserv la mme forme dans les deux sries, la germanique et la scan-dinave. Cest le cas pour u, i et Nn. On a vu comment il con-tournait la diffi cult : pour i laide e et de i + & 16, pour grce la ligature + 4 , mais il a renonc pour Nn quil transcrit en clair dans le fuark qui est le sien (kortkvistrunor).

    Le problme de la transcription de /a/ (/a/ oral) est dune tout autre nature. Lancienne srie germanique navait pas de signe spcifi que sus-ceptible de le transcrire. Le nom acrophonique de la rune R4 */ansuR/ (dieu) ase la destinait noter // (/a/ nasal). Quelques tentatives de notation du /a/ oral voient le jour dans le groupe des inscriptions du Blekinge (650-750/800). Le signe S, trs isol et minoritaire 17, voisine avec h, beaucoup plus rpandu 18, qui va se maintenir sur des monu-ments danois contemporains de Rk et y concurrencer (variante de Rk a) 19 avant de prendre la valeur /h/ quelle a dans linscription de Grlev. Aucun de ces deux signes nest utilisable par le graveur de lstergtland : il rserve le premier c pour noter /s/, siffl ante sourde) ; quant au second, il semble dun emploi limit au Blekinge et au Danemark et a dj la valeur de notation /h/ dans la srie de Grlev (vers 750/800-900) qui constitue la premire manifestation du nouveau fuark (runes danoises). La seule solution est donc dinventer un nouveau signe, le pictogramme de la hache.

    La valeur de notation des anciennes runes germaniques lors de la cration du nouveau fuark transparat donc dans la squence graphi-que et il est possible de dterminer, au moins de faon minimale, les caractristiques principales de chaque unit en cause dans loutil mn-motechnique du lapicide. Lorsquil grave cgm, il note /s/ siffl ante sourde, /g/ occlusive vlaire sonore et /m/ occlusive labiale nasalise, cest--dire

    16. /i/ fait lobjet de trois transcriptions diffrentes : 1 dans /-inga/, morphme de drivation appartenant la ligne de . La raison est purement pigra-phique : dans toute linscription la ligne suprieure de la bande horizontale constitue la haste verticale de la rune initiale de la bande verticale. 2 < i + j> : le signe compos est employ partout o /i/ se trouve en syllabe atone /waRi/, /goldinn/, /hosli/ et /minni/. 3 Le cas de /minni/ illustre une distribution complmentaire des signes diffrents pour le mme son /i/ : en syllabe accentue, (signe compos) en syllabe atone.

    17. Il napparat que sur Istaby.18. h en syllabe accentue sur Stentoften (x3) et Istaby (1), en syllabe atone ou en

    fi nale dans Stentoften (x3), Istaby (x2) et Gummarp (1).19. h seule dans Avnslev et Hje Tstrup h et sur Snderby, Flemlse 1 (x5 de

    chaque), Snoldelev (h(x2) (x5) seule dans N. Brarup (1), rbk ?, Helns, Grlev.

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  • TUDES GERMANIQUES, JUILLET-SEPTEMBRE 2008 541

    la valeur ancienne des signes consonantiques. Mme si le vocalisme en pleine volution au cours du VIIIe sicle (mtaphonies fractures et syn-cope) est peine stabilis au dbut du IXe sicle et donc dlicat cer-ner, il napparat pas draisonnable de tenter une telle entreprise :

    w en germanique glide bilabial a perdu cette valeur cause de la chute assez prcoce du phonme initial : germ*/wunnj/ > */unn-/ , et la valeur phontique du signe est dsormais en vertu du principe acrophonique un phonme /u/ dont les traits distinctifs sont : arrire +, arrondi +, nasal + qui soppose /u/ oral, arrire +, arrondi +, mais non nasal -(not ).

    o na plus non plus sa valeur originale, mais a conserv le trait arrondi + pour noter, comme on la signal, le glide bilabial devant /a/, mais aussi, selon toute vraisemblance, // (plus ouvert que /o/ et moins que /a/, produit de la mtaphonie par /u/ de /-a-/).

    e , affect par la fracture par /w,u/ (*/ehwaz/ */ehu-/ > /jr/), a dsormais comme valeur initiale du nom de la rune le glide palatal /j/ choisi pour noter /i/ sous laccent dans /-minni/.

    lvidence, lorthographe du lapicide tient compte des volu-tions phontiques qui ont affect le nom des runes et donc leur valeur de transcription.

    On peut donc rsumer les correspondances sons (phonmes) ~ runes (graphmes) dans le tableau suivant :

    sons(phonmes)

    runes(graphmes)

    germaniques scandinaves(Grlev)

    scandinaves(Rk)

    crations

    /a/ oral 0 N a Pictogrammede la hache

    /a/ nasal a a 0

    /i/ i i i dbut de bandee sous laccent

    i+j en syllabe atone

    /u/ oral U dans la liga-ture + 4

    /u/ nasal 0 0 w

    /o/ ouvert 0 0 o sous laccent

    Le point remarquable de la squence en runes germaniques demeure la ligature en R8, qui, comme nous lavons dj vu, associe deux runes dont lune est formellement identique dans les deux sries, tan-

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  • 542 LE MONUMENT DE RK

    dis que lautre 4 appartient exclusivement la variante de Rk. Le graveur, toujours soucieux de rendre son message indchiffrable, ne pouvait utiliser de faon isole et sest vu contraint dutiliser lartifi ce de la ligature. Le mme nombre dunits graphiques dans les deux squences dissimule en ralit une rune supplmentaire dans la squence en runes germaniques, cest--dire 12 runes dans la squence crypte, mais 11 seulement dans celle en runes modernes (variante de Rk), soit :

    ~ qui transcrivent /mgu-/ ~ /mg-/.

    Le /-u/ de la syllabe atone dans la srie germanique constitue la syl-labe de liaison entre les deux membres du nom compos /mgu-minni/, laquelle nest autre que le morphme thmatique de la fl exion des thmes en /-u-/. Il apparat du reste dans des inscriptions du protonordique dans de nombreux noms composs 20 et semble se main-tenir assez longtemps 21. Il faut donc voir dans le premier membre du mot compos ~ le nom /mgr/ qui suit la fl exion des thmes en /-u-/ (vxnorrois /mgr/) jeune garon et le prendre dans le sens quil a dans la langue potique, cest--dire fi ls . On trouve ici la confi rmation de notre hypothse liminaire. Lartifi ce de la ligature qui, dans lesprit du lapicide, devait crypter le message, fournit paradoxale-ment au runologue la clef de linterprtation de la squence :

    ~ transcrit bien

    /sagu(u)m(m)gminni/ ~ /sagu(u)m(m)guminni/soit

    je dis sur (toute la surface du) le monument du (de mon) fi ls

    Une telle interprtation ne fait que mettre en vidence grce une stricte analyse pigraphique les rgles contraignantes de lorthographe runique (haplographie et ligature) telle quon peut les constater depuis les premiers textes jusqu la fi n de lpoque des Vikings.

    Elle nest dailleurs pas sans trouver quelque confi rmation dans des units lexicales du texte lui-mme.

    Tout dabord dans lemploi que fait le matre des runes de la prpo-sition /um/ jusqu maintenant ignore par la recherche parce quoccul-te par la double haplographie qui lencadre. /um/ + A. caractrise la dure dans le temps et lenveloppement circulaire dans lespace. Dans

    20. Sunde, , Himlingje 2, Kragehul, Myklebostad Kjlevik, Gummarp, Istaby, Stentoften.

    21. Cf. Hans Krahe et Wolfgang Meid, Germanische Sprachwissenschaft III, Wort-bildungslehre, 20, p. 20. Il est conserv encore dans les textes du Blekinge (650-750/800).

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  • TUDES GERMANIQUES, JUILLET-SEPTEMBRE 2008 543

    les deux cas, laccent est mis sur le caractre complet et fi ni de la notion exprime : dans le temps pendant toute la dure de.. , dans lespace tout autour de . Dans notre texte, tout autour de.. signifi e lvidence sur toute la surface de.. . A la dclaration du graveur cor-respond une ralit manifeste : comme nous le signalions plus haut, le monument ne prsente pas un seul espace, si rduit soit-il, qui ne serve de support des runes. Lauteur annonce ce quil va faire et fait ce quil a annonc !

    Le terme /mgr/ ensuite, M. (thme en /-u-/) : synonyme de /sveinn/ m., il dsigne gnralement un jeune garon , mais prend dans la langue potique un sens plus prcis, celui de fi ls (synonyme de /sonr/ m.) 22. Chaque fois quil apparat dans le corpus runique, il est en relation immdiate avec les plus proches parents, cest--dire avec le pre ou la mre. Dans /magur/ Nsg. Vstergtland 119 (face 3) en Sude, /mgi/ Dsg., Rims (DR114), Jutland septentrio-nal (Danemark), /magu-/ dans un mot compos sur Kjlevik en Rogaland (Norvge, milieu du Ve sicle).

    /minni/ n. (thme en /-ja-), na jamais dans le corpus runique le sens quil a dans les langues scandinaves modernes, celui de mmoire, souvenir , mais celui de monument commmoratif (funraire) et constitue un synonyme de /kumbl/ ou /sten/. Cest une erreur mani-feste que de lui attribuer le sens du terme /minne/ quil a en sudois moderne, alors quil correspond en ralit /minnesmrke/. Tous les exemples tirs du corpus runique sont formels sur ce point : /minnum/ Dpl. dans Runby (U.114, face 2) en Uppland (Sude) ainsi que sur les monuments danois tous situs dans le Jutland septen-trional (priodes Jelling et post-Jelling (750/800-1050) : /minni/ D. sg. dans S. Vinge 2 (DR83), /minni/ N. pl dans lum 1 (DR94) et /minni/ A. pl. dans Virring (DR 110). Le compos qui nous occupe /mgu-minni/ le monument (funraire) du (de mon) fi ls nest pas un hapax et se retrouve par un heureux hasard dans une inscription norvgienne date selon toute vraisem-blance du milieu du Ve sicle, celle de Kjlevik en Rogaland (Strand sogn, Stavanger amt) : /maguminni+ ino/ (N. ou A. pl, forme dfi nie) 23. Le terme /minni/ dans cette acception particuli-rement vidente et exclusive est donc lexicalis ds cette poque. Il

    22. Cf. sur lemploi diffrenci des termes sveinn ~ mgr en vieux norrois la premire strophe du Fafnisml (Edda potique) o le dragon Fafnir lagonie sadresse son meur-trier Sigurr (strophe 1, v.2/3) : hverjum ertu sveini um borinn ? Hverra ertu manna mgr ? = Garon, de quel garon es-tu n ? De quels hommes es-tu le fi ls ?

    23. Cf. Alain Marez, Kjlevik-Inschrift, eine neue kritische Deutung, in : Zeitschrift fr deutsche Philologie, Bd. 120, Heft 3/2001, p. 413-420. /ek HagustaldaR hlai(wa) aiwido/ maguminni (i)no/ Moi Hagustaldar jai fait la tombe. (Voici) le monument (funraire) du (de mon) fi ls.

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  • 544 LE MONUMENT DE RK

    nest pas indiffrent que le mme terme rapparaisse dans des cir-constances identiques laube de lpoque des Vikings : un pre rend hommage son fi ls dfunt en lui rigeant en personne un monument commmoratif.

    En annonant ds le dbut quil va occuper toute la surface du bloc de pierre, lauteur prvient en quelque sorte quil va crer un monu-ment unique en son genre, fort loign de la tradition pigraphique funraire telle quelle tait pratique avant lui. La ddicace liminaire suffi sait par ailleurs faire de linscription de Rk une stle analogue celles qui vont faire fl ors tout au long de lre viking, tandis que la seconde partie introduite par la squence qui nous occupe est en rup-ture totale avec la culture pigraphique passe et future. En reprenant cette formule devant la mention de chaque pisode pico-mythique, il informe sa matire en la cloisonnant dans le style dun catalogue et lui donne une ampleur littraire certaine grce lanaphore.

    La coexistence des deux squences ~ ne nous fournit pas seulement la clef de la vritable interpr-tation et ne se borne pas en dlivrer le sens, mais claire de manire signifi cative certaines questions de phontique et phonologie dia-chroniques, telles les phnomnes de fractures et de mtaphonies. La squence en runes germaniques ne constitue pas une simple rcriture qui consisterait remplacer chaque rune moderne par son quiva-lent ancien. Elle renseigne manifestement sur lvolution de la chane phonique et sur certains de ses aspects au moment prcis o le monu-ment a t grav.

    Il nest pas douteux que la fracture de /e/ par /w/ ~ /u/ en syllabe accentue est accomplie dans le nom acrophonique de la rune puisque le signe e transcrit un son (phonme) aux traits distinctifs suivants : tir +, antrieur +, ferm +. En distribution complmentaire : /j/ devant voyelle (i consonantique ou glisse), /i/ vocalique devant consonne.

    La coexistence des deux formes ~ /mg-/ ~ /mgu-/ indique que le graveur avait connaissance dune forme plus ancienne de la mme chane phonique, laquelle comportait encore le morphme thmatique en fonction de voyelle de liaison entre les deux membres du mot compos. On ne saurait dire si cette forme, transcrite en runes germaniques, tait encore en usage au moment o il grave le monument ou si elle fait partie de lrudition du matre des runes . Quoi quil en soit, la syncope de /-u-/ a d intervenir, sinon du vivant du graveur, du moins une date assez voisine pour quil en puisse garder le souvenir. Deux faits retiennent donc lattention : La notation du vocalisme radi-cal sous laccent atteste dans /mgu/ et /mg/ que la mtaphonie par /u/ est accomplie, tandis que dans linscription 119 du Vstergtland, le vocalisme originel persiste : (prsent dans sur Kjlevik) o note encore /a/, alors que Rk lui substi-

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  • TUDES GERMANIQUES, JUILLET-SEPTEMBRE 2008 545

    tue // dans la srie germanique et // dans la srie scandinave (variante de Rk) 24.

    Dans /mgu-/ la nouvelle voyelle radicale nest quun allophone (variante combinatoire) de /-a-/ puisque le facteur mtaphonique sub-siste. Dans /mg-/ en revanche la variante a t phonologise la suite de la syncope. Une telle phonologisation ponctuelle dans une chane phonique singulire nautorise aucune gnralisation, mais le fait de pouvoir la constater pour la premire fois dans un corpus dordinaire trs parcimonieux en ce genre dindication permet de supposer que le phnomne nest sans doute pas isol. // not et dans Rk reprsente donc le stade intermdiaire complet (allophone et pho-nme) de lvolution du /a/ originel soumis la mtaphonie par /u/ ~ /w/ entre le protonordique (Kjlevik et le nordique ancien (vxnor. mgr) m.). La prsence simultane de la variante allophonique et du phonme dans le mme contexte phonique indique que la mta-phonie par /u/ et la phonologisation qui lui succde avec la syncope sont en cours, ce qui ne signifi e pas pour autant que toutes les chanes pho-niques concernes sont affectes au mme degr et au mme moment. Il nest pas exclu en effet que le nom acrophonique choisi pour la rune * /a/ oral prsente encore une forme de nominatif singulier avec /a/ comme voyelle initiale accentue */aksu/ ct dun doublet allopho-nique de type */ksu/.

    Les ranges 19 et 20

    La plupart des spcialistes soucieux dtablir une interprtation de la squence ~ sollicitent la seconde partie de la range 19 et la range 20 25, car cette dernire, son dbut, reprend selon eux le terme .

    24. La notation est tout fait normale puisque (U) sert transcrire toute voyelle arrondie.

    25. Elles constituent les deux dernires ranges verticales lextrme droite de la face postrieure de la pierre.

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  • 546 LE MONUMENT DE RK

    On voit que toute la partie droite (ici la partie infrieure) de la ran-ge 20 est fort endommage au point que toute les hastes des runes ont disparu.

    La fi n de la bande 19 qui slargit et occupe peu prs la largeur des deux bandes 19 et 20 ne prsente aucune diffi cult de lecture : aprs le point qui dlimite la fi n de la phrase prcdente et le dbut dune nou-velle proposition, on dchiffre nettement et sans ambiguit /()tiR fra/. La ligne 20 commence par la rune n , dont la haste verticale est commune avec la ligne dencadrement de la range horizontale infrieure comme la ligne 18 (). Les 3 runes qui sui-vent sont aisment identifi ables . Les cinq suivantes sont indtermines, car rduites des points ou des traits verticaux minus-cules non signifi catifs. Le signe 10, deux points aligns verticalement dans la partie infrieure de la bande peut fi gurer la rigueur une rune endommage. Les trois runes suivantes reprsentent sans doute, bien que mutiles, la squence Alu (11-13). Les deux traits sui-vants ne peuvent tre identifi s, tandis que le signe qui succde pourrait reprsenter la rune k , dont le trait oblique est lgrement arrondi (16). Aprs un signe qui pourrait fi gurer un i (17 ?), un groupe de 4 signes identifi ables : AinE (21-24), puis, semble-t-il, un u suivi dun A (25-26).

    Le signe suivant (27) nest gure identifi able. Les runes 28 et 29 fi gurent iq . La squence se termine par le signe s . Aprs une lacune quon pourrait estimer sept signes (?), on trouve la rune q suivie dune nouvelle lacune moins importante que la premire (4 signes environ).

    Le texte lisible stablit donc comme suit :bande 19 :

    bande 20 :

    Trois reconstructions entre autres ont tent de donner une interpr-tation de la squence :

    Celle dE. Wessn (1958), qui place la partie largie de la bande 19 la suite de la vingtime : /Nuk minni mer allu sagi. AinhvaRR svaftiR fra/ Maintenant je dis les mmoires (populaires) en entier( !). Quelquun..ce quil a demand .

    L. Jacobsen (1961) garde lordre de succession des runes, mais va plus avant dans la reconstruction : L. 19 , L.20 /()ftiR fra nuk minni meR allu./ Maintenant jai interrog compltement la mmoire popu-laire..

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  • TUDES GERMANIQUES, JUILLET-SEPTEMBRE 2008 547

    O. Grnvik enfi n (1983), tout en reprenant lordre syntaxique de Wessn, donne la leon suivante : . Il complte la seconde partie de la ligne 19 ainsi /nk minni me llu segi ein ; hverr igjjld ne iggi-a, eftiR fr/ Maintenant je dis en entier quelques mmoires (populaires) (?) ; celui qui ne reoit pas de compensation, je lai appris par la suite (??) 26.

    Sans entrer dans une critique dtaille de ces interprtations parfois fort hasardeuses et en se bornant strictement aux squences lisibles et aux leons indiscutables, force est de constater quune interprtation cohrente de lensemble est impossible.

    Les quatre premires runes (1-4) ne constituent pas une reprise de la squence qui nous occupe, car le premier caractre ne peut tre que la rune n . Les auteurs cits cdent visiblement la tentation de complter par , bien quaucun lment de nature pigraphique ne les y autorise : les traits minuscules ou points indiquant lextrmit suprieure des signes sur la ligne dencadrement ne sont pas pertinents et peuvent appartenir nimporte quelle rune. Dans ces conditions, la segmentation en mot de est alatoire, pour ne pas dire impossible : /ng/ adj assez, sufi sant , avec haplographie de /n/ adv. maintenant + /auk/ conj. coord. et , voire avec lision de la voyelle du pron. pers. maintenant je.. , -toutes hypothses indmontrables en lab-sence de contexte de phrase.

    (11-13) peut reprsenter un D. sg. neut. de allr tout , soit une forme de type /llu/. Il dpendrait, selon les auteurs prcdents, de la prposition /me/ (me llu = compltement, entirement ), mais il nest gure possible didentifi er les runes correspondantes dans les trois traces qui prcdent et la leon propose nest pas recevable vu ltat de la range cet endroit.

    (16-24) demeure problmatique pour 17 et, un moindre degr, pour 24 . On ne saurait dire sil faut voir dans la transcription de /einnhverr/ pron. chacun, un..quelcon-que ou celle de /einn/ num. et pron. un + /hverr ?/ pron. int. qui ? et, dans ce dernier cas, quel lment rattacher /einn/ ?

    Ainsi, dans aucun des segments comportant des fragments de runes nettement interprtables, il nest possible de dgager une squence ayant un sens. On comprend la tentation de lire * /minni/ (4-7) qui, associ /me()R llu/ compltement, entirement , rendrait compte de laccomplissement de la tche que stait assigne

    26. Cette dernire phrase pour le moins trange dans le contexte ncessite de la part de son auteur une explication laborieuse et bien peu convaincante.

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  • 548 LE MONUMENT DE RK

    le graveur en employant la prposition /um/. Ce dernier signalerait quaprs le point de la bande 19, il a recouvert entirement la surface du monument . Mais on vient de dmontrer le caractre alatoire dune telle lecture, et rien nest moins sr que cette interprtation.

    Lanalyse qui prcde montre et dmontre quil est indispensable de revenir la source fondamentale de toute interprtation qui consiste en une analyse pigraphique rigoureuse pour tous les textes qui, des degrs divers, proposent des interprtations peu satisfaisantes, ambi-gus et prcaires. Elles sont imputables pour la plupart une dcoupe errone de la squence graphique. La trop longue controverse sur le sens exact de puise en effet son origine dans la reprise inconditionnelle et incomprhensible du premier dcoupage funeste /sagum/ qui entrane ncessairement des hypothses plus ou moins hasardeuses et en tout cas errones et striles. Le dchiffrement doit dabord tenir compte des rgles orthographiques propres au runi-que, qui, fort heureusement, sont stables jusqu la fi n de lpoque des Vikings. Les haplographies ne souffrent aucune exception (il y en a plu-sieurs dans notre inscription), les ligatures sont facultatives, mais rpon-dent souvent des intentions du lapicide comme ici le codage dun point de la squence graphique ou des contraintes matrielles telles que lexigut du support ; les deux procds assurant une conomie de lespace particulirement prcieuse pour notre graveur proccup par le volume et lampleur du message quil entend dlivrer. Ds le dbut de la partie narrative, il est sans doute conscient quil se verra contraint doccuper toute la surface du bloc de pierre, dautant que la ddicace qui prcde, grave en caractres beaucoup plus grands, occupe dj peut-tre plus despace quil nescomptait. La formule elle-mme nest ni une adresse des lecteurs ventuels (la jeunesse !) ni une dsignation du contenu du texte qui suit (la mmoire populaire !), mais lexpression de lintention de son auteur assortie dun avertissement concernant loriginalit audacieuse de son projet : le monument consacr son fi ls dfunt est unique dans sa conception et dans sa ralisation.

    Il lest aussi en proposant, comme la pierre de Rosette, la double notation dun texte identique. Le fait ne connat pas de prcdent et ne se reproduira pas au cours de lpoque des Vikings. En ce tout dbut du IXe sicle, lutilisation des runes germaniques reprsente une vri-table performance quand on sait que le quasi-hiatus pigraphique du VIIIe sicle est d au dsarroi des graveurs qui ne peuvent plus dsor-mais utiliser lancien systme de notation en raison de lvolution rapide du vocalisme. Linitiale vocalique du nom des runes sest modifi e rendant caduc le principe de rfrence acrophonique. Cette priode, comme on la soulign, appartient dj au pass pour le graveur de Rk en ce qui concerne les apertures moyennes /e/ et /o/ ainsi que le glide bilabial /w/. Il utilise au mieux la nouvelle valeur des runes anciennes, et l o toute notation est impossible cause dune lacune du systme graphique, il cre son propre signe, le pictogramme de la hache, tout

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  • TUDES GERMANIQUES, JUILLET-SEPTEMBRE 2008 549

    en prenant soin en matre des runes accompli de le munir dune rfrence acrophonique vidente et univoque. Sur le plan purement gra-phique donc, le fuark germanique demeure un souvenir vivace, mme si les runes scandinaves sous la forme de la variante de Rk constituent dj loutil de notation utilis. Sur le plan phontique, certaines volu-tions, comme le montrent prcisment les valeurs des anciens signes, sont dj accomplies : le fait est patent pour les ouvertures moyennes ant rieures et postrieures /e/, /o/ ainsi que pour le glide bilabial /w/. La mtaphonie par /-u/ en revanche semble en cours de ralisation, car elle ne touche vraisemblablement que certaines chanes ce moment prcis : elle est accomplie dans /mgu-/, mais peut-tre pas dans le nom de la rune / a/ oral */aksu/ non plus donc dans /sagu/ (?). Sur le plan phonolo gique enfi n, le monument fournit, ma connaissance, le seul exemple de phonologisation dun allophone dans le doublet /mgu-/ ~ / mg-/ : lallophone a sa place dans la squence en runes germaniques, ce qui apparat normal puisquil note un tat de langue plus ancien, tandis que la syncope du facteur mtaphonique provoque la phonolo-gisation de // dans la squence en runes nouvelles. La syncope de la voyelle de liaison /u/ dans le compos /mg(u)minni/ illustre aussi des modifi cations dans la morphologie tout comme dailleurs le fait que le fl exion du verbe / segja/ nait pas encore rejoint la fl exion des ver-bes en /-ja/ : /sagu/ et non /segir~segr/. Les transformations subies par le nordique trouvent donc un cho dans la notation des formes nomi-nales et ver bales : certes, le (les ?) phnomne(s) mtaphonique(s) se dveloppe(nt) encore, mais lintervention de la syncope indique peut-tre lapparition sporadique et ponctuelle dun dbut de stabilisation des volutions.

    lvidence, notre matre des runes appartient une priode critique dans lvolution du scandinave runique. La crise proprement pigraphique , celle du systme dcriture, est rvolue, alors que celle du systme phonologique nest pas encore acheve. Il a sans doute connu de son vivant la coexistence incertaine de plusieurs formes de la mme unit lexicale, du mme mot , et se trouve donc plac au cur mme de cette instabilit intermdiaire entre le nordique et le scandinave de lpoque des Vikings. Cest donc au monument de Rk quil convient de sadresser pour tablir une dfi nition prcise et la plus exhaustive possible de ce quil faut appeler une inscription de transition.

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  • 550 LE MONUMENT DE RK

    Signes, abrviations et lments de bibliographie

    Les squences en gras entoures de indiquent les valeurs de translittration, celles en italiques entre // restituent la chane phonique (ou phonologique) prsume.

    // note le rsultat de la mtaphonie de /-a-/ par /-u/, soit un son arrondi intermdiaire entre /a/ et /u/ pour le trait daperture.

    D.R. renvoie Jacobsen L. et Moltke E, Danmarks Runeindskrifter, Copenhague (1942) Munksgaard.

    Ouvrages cits

    Sophus BUGGE : Rk I (1878) et Rk III : Der Runenstein von Rk, publication posthume en 1910.

    Ottar GRNVIK : Runeinnskriften p Rk-steinen , in : Maal og Minne 3-4 (1983).

    Helmer GUSTAVSON : Rkstenen , in : Svenska kulturminnen 23, Stockholm, 1991.

    Ragnvald IVERSEN : Norrn grammatikk, Oslo : Aschehoug/ Nygaard, 1961.

    Lis JACOBSEN, Erik MOLTKE : Danmarks runeindskrifter, Copenhague : Munksgaard (DR), 1942.

    Lis JACOBSEN : Rkstudier , in : Arkiv fr nordisk Filologi LXXVI (1961), p. 1-50.

    Hans KRAHE, Wolgang MEID : Germanische Sprachwissenschaft I-III, Berlin : Walter de Gruyter, 1969.

    Aslak LIESTL : The Emergence of the Viking Runes , in : Michigan Germanic Studies 7.1 (1981).

    Alain MAREZ : sakumukmini ? Une relecture de linscription de Rk , in tudes germaniques 4, 1997, p. 543-557.

    Alain MAREZ : Kjlevik-Inschrift (Rogaland, Norwegen), eine neue kritische Deutung , in : Zeitschrift fr deutsche Philologie, Bd. 120, Heft 3/2001, p. 413-420.

    Alain MAREZ : Les Causes de la rduction du fuark germanique : les glides et le vocalisme, Paris-Lille (2002).

    Lucien MUSSET : Introduction la runologie, Paris : Aubier Montaigne, 1965.

    Martin SYRETT : The Unaccented Vowels of Proto-Norse, Nowele 11, Odense (1994).

    Otto VON FRIESEN : Rkstenen, Stockholm 1920.Elias WESSEN : Runstenen vid Rks kyrka , in : Kungl. vitterhets

    historie och antikvitets akademiens handlingar, fi lologisk-fi losofi ka serien 5, Stockholm 1958.

    Gunnar WIDMARK : Varfr ristade varin runor ? Tankar kring Rkstenen , in : Saga och sed, Uppsala 1993.

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