LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ROUMAINE · garantissant des libertés aux sujets ou citoyens ......

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Claire NEVEUX Mémoire de DEA de droit public comparé des Etats européens Sous la direction de M. le professeur Didier MAUS Professeur associé à lUniversité Paris 1 LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ROUMAINE Mise en perspective avec la Constitution de la V e République française Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Année universitaire 2004/2005 Juillet 2005

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Claire NEVEUX Mémoire de DEA de droit public comparé des Etats européens

Sous la direction de M. le professeur Didier MAUS Professeur associé à l�’Université Paris 1

LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ROUMAINE Mise en perspective avec la Constitution de la Ve République française

Université Paris 1 Panthéon �– Sorbonne Année universitaire 2004/2005 �– Juillet 2005

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Remerciements

Que ceux-ci aillent à toutes les personnes que j�’ai pu rencontrer dans le cadre de mon

étude en Roumanie et en France.

Je remercie en particulier le professeur M. Didier Maus, mon directeur de mémoire, de

m�’avoir donné l�’opportunité de cet intéressant travail de recherche.

Merci à Mme le professeur Genoveva Vrabie, Recteur de l�’Université Mihai

Kogalniceanu de Ia i, au professeur Ioan Muraru, Avocat du Peuple de Roumanie, à Mme

Ruxandra S b reanu, Secrétaire Générale de la Cour Constitutionnelle ainsi qu�’à Mme le

professeur Elena Simina T n sescu de la faculté de droit de Bucarest et à M. tefan Deaconu,

conseiller présidentiel, pour la richesse de nos échanges pendant mon séjour en Roumanie.

Je remercie également les nombreuses personnes qui m�’ont aidée et soutenue afin que

je puisse mener à bien ce travail.

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SOMMAIRE

1ERE PARTIE �– LE PRESIDENT DES REPUBLIQUES FRANCAISE ET ROUMAINE : UNE PROXIMITE EN TROMPE-L�’�ŒIL

I. LA FONCTION PRESIDENTIELLE DANS LES REGIMES ROUMAIN ET FRANÇAIS

§1 La fonction de représentation de l�’Etat

§2 La fonction de défense ou de garantie de certaines valeurs fondamentales §3 La fonction de médiation ou d�’arbitrage

II. UN PRESIDENTIALISME ANCRE DANS LA TRADITION PARLEMENTAIRE

§1 Les caractéristiques du mandat §2 L�’influence du Président sur le Gouvernement §3 Une rationalisation parlementaire plus ou moins efficace

2EME PARTIE �– L�’ORIGINALITE ROUMAINE CONSACREE PAR LES EVOLUTIONS OPPOSEES DES DEUX PRESIDENCES

I. UNE PERTE DE POUVOIR DU PRESIDENT AU SEIN DE L�’EXECUTIF ROUMAIN QUI

CONTRASTE AVEC LE RENFORCEMENT DE LA FONCTION PRESIDENTIELLE FRANÇAISE

§1 Le pouvoir de révocation du Premier ministre §2 Les choix opposés sur la durée de mandat menant ou non à la

cohabitation II. LE RAPPORT DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE AVEC LES POUVOIRS LEGISLATIF ET

CONSTITUTIONNEL

§1 L�’équilibre des pouvoirs entre le Président et le Parlement §2 Le rapport du Président avec l�’organe constitutionnel

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LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ROUMAINE Mise en perspective avec la Constitution de la Ve République française

Introduction

En 1929, Henri Capitant, évoquant les relations franco-roumaines, déclare : « nous

concevons le droit de la même façon, nous rédigeons de la même façon. »1

De multiples péripéties constitutionnelles se sont déroulées depuis cette affirmation.

La France a changé deux fois de République, tandis que la Roumanie, assujettie à la puissance

soviétique passe de la monarchie constitutionnelle à la dictature socialiste jusqu�’en 1989.

La Révolution roumaine de décembre 1989, en écartant le régime dictatorial, a ouvert

des perspectives de développement vers l�’Etat de droit, démocratique et social. La transition

vers une société démocratique et pluraliste, au niveau des exigences européennes, a impliqué,

sur le plan constitutionnel, une évolution rapide. Aidée par les nombreux modèles qui

s�’offrent à elle et l�’expérience de juristes experts en droit constitutionnel, de colloques et tables

rondes, la Roumanie, à l�’instar des autres pays d�’Europe centrale, orientale et balte, élabore sa

Constitution, c'est-à-dire l�’ « ensemble des règles suprêmes fondant l�’autorité étatique, organisant ses

institutions, lui donnant ses pouvoirs, et souvent aussi lui imposant des limitations, en particulier en

garantissant des libertés aux sujets ou citoyens »2. Le Peuple roumain accepte le texte proposé par le

Parlement par référendum, le 8 décembre 1991.

Comme nous le verrons la France joue un rôle particulier au cours de l�’élaboration de

la Constitution. Après douze années de pratique institutionnelle, le texte fondamental ayant

révélé ses défaillances aux yeux des représentants du Peuple, ceux-ci décident d�’entreprendre

une révision de la Constitution. Le nouveau texte est approuvé par référendum les 18 et 19

octobre 2003 et entre en vigueur le 29 octobre 2003. La présente étude se basera

essentiellement sur la Constitution dans sa version la plus récente, sauf mention contraire dans

le cadre d�’une comparaison entre les nouvelles et les anciennes dispositions.

Le droit comparé français se préoccupe très peu de l�’étude du droit roumain. Dans

l�’ouvrage de référence en la matière de Mmes Constance Grewe et Hélène Ruiz-Fabri « Droits

constitutionnels européens », l�’étude du droit des nouveaux régimes issus de la chute de la

démocratie socialiste et de celui des pays d�’Europe de l�’Ouest est explicitement écartée. 1 Cité par S.E.M. Philippe Etienne, Actes du Colloque « L�’Union Européenne entre réforme et élargissement �– comparaison entre l�’approche d�’un Etat membre et la vision d�’un Etat candidat. » 11 et 12 septembre 2003, Bucarest. p.1. 2 « Vocabulaire juridique » G. Cornu, Paris, PUF, 6ème éd.

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« L�’homogénéité nécessaire à une véritable comparaison faisait défaut compte tenu des différences qui continuent

de séparer ces deux parties du continent. De surcroît, le droit constitutionnel des pays de l�’Est ne paraît pas, à

l�’heure actuelle, suffisamment stabilisé pour faire l�’objet d�’une analyse significative. »3 L�’ouvrage collectif

dirigé par le professeur Favoreu « Droit constitutionnel » mentionne la Roumanie à plusieurs

occasions, à titre d�’exemple, notamment en ce qui concerne la justice constitutionnelle.

Le domaine particulier de cette étude, le président de la République, fait d�’ailleurs

l�’objet de très peu de comparaisons ; la pratique et l�’histoire institutionnelles des Républiques

françaises suffisant peut-être aux yeux de la doctrine à faire saisir la fonction présidentielle.

Dans le cadre de l�’étude comparée de dispositions spécifiques des Constitutions respectives, le

texte et la pratique française sont placés avant les références roumaines de manière à pouvoir

examiner ces dernières « en connaissance de cause ».

En revanche, la doctrine roumaine est bien plus attentive à l�’expérience des principales

démocraties occidentales. Il est fréquent, pour ne pas dire systématique, qu�’un ouvrage de

droit constitutionnel commente les dispositions de la Constitution roumaine au regard de

celles des textes fondamentaux contemporains. La France tient une place de choix dans la

comparaison. S�’agit-il alors simplement de traduire en langue française les considérations de la

doctrine roumaine ? Non, et ce, à double titre. Premièrement, les dispositions

constitutionnelles françaises ne sont analysées que brièvement pour montrer l�’inspiration ou

l�’éloignement du régime élaboré en 1991 ; de plus le sujet qui nous intéresse ici est peu traité

en comparaison avec le volume existant en France sur le président de la République.

Deuxièmement, au 1er février 2005, la majorité des ouvrages a été rédigée avant l�’entrée en

vigueur de la révision constitutionnelle et ne prend donc pas en compte l�’évolution des textes

des dernières années. Les comparaisons de la Constitution ne traitent que rapidement

l�’évolution impliquée par les révisions des articles concernés.

Si à propos de la Roumanie, Alexandre Tilman-Timon affirme dès 1946 : « Il s�’agit donc

d�’une étude des influences étrangères à travers l�’évolution du droit constitutionnel roumain placé dans son cadre

naturel : l�’histoire politique »4, celle du régime actuel est trop récente pour être analysée en termes

constitutionnels par la doctrine. Tandis qu�’en France, « la durée de la Ve République, dès son XXe

anniversaire, incitait à regarder au-delà des textes, à chercher à comprendre comment certains d�’entre eux

3 « Droits constitutionnels européens » C. Grewe et H. Ruiz-Fabri, Paris, PUF, 1995. Avant-Propos. 4 « Les influences étrangères sur le droit constitutionnel roumain » Alexandre Tilman-Timon, Paris, Librairie du Recueil, Sirey, 1946. Avant-Propos.

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avaient été interprétés et à enregistrer les évolutions »5, en Roumanie, le recul fait cruellement défaut en

ce qui concerne la pratique constitutionnelle liée à la Constitution de 1991.

Il reste possible, et même nécessaire de s�’interroger sur les influences étrangères qui

nourrissent la doctrine roumaine depuis deux siècles. Ainsi que le soulignent MM.

Constantinescu et Muraru dans un article fondamental pour le sujet qui nous occupent : « Le projet de Constitution [de 1991] n�’a pas eu à la base un modèle préétabli, qu�’on aurait

adapté aux spécificités nationales. Si pour la Constitution de 1866, la Constitution belge de

1832, et par son intermédiaire, les principes de la révolution française, a eu une influence

décisive, et de nouveau les constitutions ultérieures, de 1923 et 1938, se sont inspirées du

modèle antérieur qu�’elles ont remplacé ; en revanche, les textes constitutionnels de la période

communistes ont été fortement influencés par les principes du constitutionnalisme soviétique

tandis que la Constitution de 1991 valorise les traditions démocratiques du constitutionnalisme

roumain, particulièrement de la Constitution de 1923, des principes et des solutions inspirées

des constitutions des pays démocratiques, particulièrement d�’Europe occidentale et des

impératifs des législations internationales relatives aux droits de l�’homme. »6

Même si on peut dater de 1566 un premier signe de l�’interaction France �– Roumanie,

où l�’ambassadeur de France à Constantinople, Grantyre de Grandchamps, aspirait à la main de

la s�œur du prince régnant de Valachie, Petru-le-Boiteux, pour devenir son successeur au trône,

il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour parler d�’influence proprement dit.

Pompiliu Eliade écrit en 1898 : « c�’est seulement pendant la troisième [période] (depuis 1848)

que les Français et les Roumains se connaissent, que l�’influence est consciemment exercée par les uns et subie

par les autres ; pendant la deuxième période (celle qui va de la Constitution de l�’empire français jusqu�’en

1804), ni les Roumains se connaissent les uns les autres : les Roumains apprennent le français, adoptent les

manières françaises, les idées et les formes extérieures de la civilisation française, grâce au contact des Grecs et

des Russes qui subissent plus directement l�’influence de cette civilisation. »7

Ainsi que le démontrent de nombreux auteurs, la Révolution française de 1789 a

marqué les esprits européens. A travers l�’empire de Russie dont dépendent les pays roumains,

se répandent les principes de la Révolution. Citons à cet égard l�’observation que fit St. Marc

Girardin en 1852, en se référant au voyage qu�’il avait entrepris seize ans auparavant dans les

5 Voici la justification du professeur Maus de l�’utilisation du terme « pratique constitutionnelle » ou « pratique institutionnelle » à laquelle nous souscrivons. Voir l�’article « Où est en le droit constitutionnel ? » D. Maus in « Mouvement du Droit Public » �– Mélanges en l�’honneur de Franck Moderne, Paris, Dalloz, 2004, p.711. 6 « Influen e franceze în elaborea Constitu iei României din anul 1991 » (L�’influence française dans l�’élaboration de la Constitution de la Roumanie de l�’année 1991) M. Constantinescu et I. Muraru, Bucarest, Revista de Drept Public 1995 n°2, p.51s. (traduction personnelle). 7 « De l�’influence française sur l�’esprit public en Roumanie » P. Eliade, Paris, Leroux, 1898, cité in « Les influences étrangères sur le droit constitutionnel roumain », op.cit. p.288.

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pays roumains : « J�’ai eu l�’occasion de lire les instructions que le Gouvernement russe envoyait à M.

Minciaky, consul général de la Russie et qui servirent de base aux Règlements organiques�… ; en les lisant, je

croyais souvent lire quelques-uns de ces grands et solennels rapports que faisaient à l�’Assemblée constituante les

Dupont, les Lally Tollendal, les Talleyrand, les Barnave. Ce sont les mêmes idées, les mêmes vues. »8

En 1848, les évènements français se répercutent directement en Valachie et Moldavie :

tous les étudiants roumains installés à Paris retournent chez eux avec de grandes envies, ainsi

que nous le montre une dépêche du consul de France à Bucarest, M. Nion, adressée au

ministre Lamartine : « Entraînés par de généreux instincts�… palpitant encore des émotions que leur a laissé

une éducation reçue dans nos écoles ou puisée dans nos livres, ils ne demandent rien de moins que l�’ensemble des

libertés politiques si laborieusement conquises par la France�… »9.

En 1856, le traité de Paris fixe les frontières et la domination de la Valachie et de la

Moldavie. La Convention qui en découle en 1858 est une sorte de première Constitution

roumaine, elle règle le fonctionnement des Principautés Unies de Moldavie et de Valachie. Les

grandes puissances décident de leur organisation constitutionnelle. L�’influence de la Belgique

et de la France est considérable sur ce texte. Certains articles de la Convention de Paris,

s�’inspirent de la Constitution de 1852, par exemple l�’article 4 roumain peut être rapproché de

l�’article 2 français, selon lequel « le Gouvernement de la république est confié au Président�… » (le terme

« Président » est remplacé dans le texte roumain par celui d�’ « hospodar »10) ; l�’article 5

roumain rejoint l�’article 4 français qui stipule : « La puissance législative s�’exerce collectivement par le

Président, le sénat et le corps législatif » (dans le texte roumain, le « sénat » est remplacé par la

« Commission centrale ») ; l�’article 14 (alinéa 2 et 20) roumain s�’inspire en partie de l�’article 8

français, selon lequel le président de la République a seul l�’initiative des lois.11

Sous le règne d�’Alexandru Ion Cuza, Prince de la Moldavie et de la Valachie, les

Roumains réalisent, en 1859, l�’union personnelle des deux principautés. Cuza estime qu�’une

dictature serait nécessaire pour éloigner les politiciens hostiles à la révision de la Constitution.

Le 2 mai 1864, A. I. Cuza promulgue le « Statut dezvolt tor al Conven iei de la Paris » (Statut

développant la Convention de Paris). Les retouches apportées transforment le régime en

Gouvernement unipersonnel où le Parlement est affublé d�’une deuxième chambre asservie au

Prince12. Après cette éclipse de deux ans, qui mène à l�’abdication de Cuza, une nouvelle

Constitution entra en vigueur, le 8 juin 1866, plus conforme aux standards occidentaux. Cette

dernière prend comme modèle la Constitution belge de 1831, elle-même fortement inspirée de 8 Cf. I. C. Filitti, « Des origines du régime représentatif en Roumanie » Extr. doc. Fr.-Roum., 3-4, sept.-oct. 1931. Cité in « Les influences étrangères sur le droit constitutionnel roumain », op. cit. 9 « Les influences étrangères sur le droit constitutionnel roumain », op.cit. p.286s. 10 Ancien titre des princes vassaux du sultan de Turquie. 11 « Les influences étrangères sur le droit constitutionnel roumain », op.cit. p.301. 12 Cette deuxième Assemblée est appelée à servir d�’organe pondérateur à l�’exemple du Sénat français du Second Empire.

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la Charte française de 1830, instituant un régime de monarchie parlementaire. Elle est très

libérale.

A titre d�’illustration exemplaire des relations étroites qui existent entre les juristes

roumains et français, il faut citer l�’Affaire de la Société des Tramways de Bucarest en 1912. Les

juges de la Cour de Cassation de Roumanie laissent entendre dès la fin du XIXe siècle que si

une loi postérieure à la Constitution la contredit, ils refuseront de l�’appliquer. A la suite d�’un

conflit entre la Société des Tramways de Bucarest et le gouvernement roumain, l�’avocat de la

société lésée fait appel au futur doyen de la faculté de droit de Paris, Barthélémy et au

professeur Gaston Jèze. Depuis quelques années, le débat fait rage en France sur le fait de

savoir si un contrôle de constitutionnalité est nécessaire ou non. C�’est pour les deux juristes

français l�’occasion de traiter concrètement de la question. Ils étudient méthodiquement la

question du contrôle constitutionnel, d�’abord d�’un point de vue théorique, puis en droit

comparé et enfin dans le contexte spécifique du droit constitutionnel roumain. Leur mémoire

est publié dans la Revue de droit public. Ils concluent à la compétence des juges de trancher

des exceptions d�’inconstitutionnalité à l�’occasion d�’un procès. Le tribunal saisi de la requête

(Tribunal d�’Ilfov, Bucarest) admet l�’exception d�’inconstitutionnalité. Saisie à son tour, la Cour

de Cassation lui donne raison. Cette jurisprudence ne fait cependant pas l�’unanimité dans le

milieu roumain. Il faudra attendre 1917 et 1921 pour que le contrôle d�’exception

d�’inconstitutionnalité soit à nouveau exercé. Il n�’en reste pas moins que c�’est là un très bon

témoignage de l�’influence du droit administratif et constitutionnel français sur la Roumanie au

début du XXe siècle, même si la France refuse d�’appliquer les solutions qu�’elle préconise.

A la suite de la Ière guerre mondiale, une nouvelle Constitution est proclamée le 29

mars 1923, conservant une monarchie constitutionnelle dont le régime parlementaire n�’est pas

clairement prévu car il y a une double responsabilité devant le monarque et devant le

parlement. Le roi Carol II ne réussit pas à maintenir le régime parlementaire en cette période

mouvementée et il institue une dictature en 1938. L�’arrivée d�’Hitler aggrave la situation : la

Roumanie se trouve de nouveau amputée de la Transylvanie du Nord et entraînée dans la

guerre contre l�’URSS par le maréchal Antonescu, qui continue la dictature. A la fin de la

guerre, la Roumanie est incluse dans la sphère d�’influence soviétique, dont elle ne sortira qu�’en

1989.

Il est également important de se replonger dans l�’histoire récente, celle de la

« Révolution » de 1989, qui met fin à quarante-trois ans de République socialiste de Roumanie

et fait apparaître sur la scène politique un des principaux protagonistes de la vie politique

roumaine depuis ce moment : Ion Iliescu. Le 16 décembre 1989, à Timi oara, dans le sud-

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ouest du pays, éclate une contestation de l�’autorité en place et rapidement, du régime

communiste personnalisé depuis 1965 par le secrétaire général du Parti Communiste Roumain,

Nicolae Ceau escu. Le mouvement gagne vite la capitale, contraignant le couple dictatorial à

s�’enfuir. Ils sont rattrapés et exécutés le jour même, le 25 décembre 1989. Le procès expéditif

des époux Ceau escu occulte malheureusement toute véritable remise en cause des structures

et des dirigeants de l�’ancien régime. Dès le 21 décembre est organisé un « Front de Salut

National », le FSN, présidé par Ion Iliescu, membre du PCR, écarté par Ceau escu du Comité

Central. Le 30 décembre est formé un Gouvernement issu de la Révolution dirigé par Petre

Roman. En février 1990, le FSN devient un parti et il se prépare à remporter les élections

présidentielles du 20 mai dans des conditions peu claires (violences contre les candidats non

FSN, accès limité aux médias�…), ce qu�’Iliescu fait avec 87,07% des voix au premier tour. Il est

président jusqu�’en 1996, puis au terme d�’une alternance peu convaincante, il revient en 2000.

Son parti se fait battre par l�’opposition en décembre 2004.

Bien sûr, la situation de la Roumanie au début des années 1990 n�’est en rien

comparable à celle de la France en 1958. Toutefois certains éléments nous laissent penser

qu�’une certaine similarité explique le choix de régime opéré par la suite.

La personnalité de Ion Iliescu pousse les protagonistes de la Révolution à vouloir

donner une place privilégiée au chef de l�’Etat.

Il faut donc s�’attacher à comprendre l�’enjeu du rôle du président de la nouvelle

République roumaine. Iliescu comme le général De Gaulle en 1944 et en 1958, symbolisent

« l�’homme providentiel », celui qui a sauvé la Nation de périls extérieurs et intérieurs. A ce

titre, ils prétendent à une certaine légitimité. Ils deviennent présidents des structures en

place. Le Général De Gaulle incarne le résistant à l�’oppresseur de 1940 à 1944, le libérateur du

25 août 1944. Il est élu, le 13 novembre 1945, président du Gouvernement. Ion Iliescu,

comme le Général, tente ensuite d�’influer sur les institutions dont il souhaite être le chef. Mais

là où le Général De Gaulle s�’efface, refusant de reculer sur ses positions, Iliescu force le

passage, préférant se séparer de son Premier ministre, Petre Roman, dont les idées ne sont

plus en concordance avec les siennes, que de partir. Certes, les habitudes démocratiques ne

sont pas les mêmes. Ion Iliescu n�’a qu�’à suivre la trace de celui qui a le mieux réussi le passage

entre pouvoir personnel dictatorial et pouvoir personnel légitime.

Le souvenir des restaurations, l�’une autoritaire l�’autre peu démocratique, celui des

Empires et l�’expérience de Vichy font considérer aux partis que le pouvoir personnel dans

l�’exécutif est incompatible avec la démocratie. La même crainte se retrouve en Roumanie.

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De Gaulle ne peut d�’ailleurs pas proposer le Président élu au suffrage universel direct

tout de suite. « Quel obstacle arrêta à ce moment-là le Général De Gaulle sur la voie du suffrage universel

pour l�’élection du Président ? D�’abord probablement, certainement, deux choses : les précédents historiques, le

fait que l�’élection du Président au suffrage universel en 1848 ait amené au Bonapartisme ; que l�’usage du

plébiscite pendant le Premier Empire ait laissé dans le souvenir du peuple français une certaine confusion entre

l�’élection au suffrage universel et le plébiscite. Or le général De Gaulle, �– c�’est une de ses préoccupations

constantes �– ne veut pas chausser les bottes du césarisme et par conséquent du bonapartisme. »13

Le même obstacle se dresse sur le chemin de Ion Iliescu. Depuis le début des années

1940, la Roumanie a connu de fortes personnalités qui l�’ont menée vers la dictature fasciste ou

communiste. Le Maréchal Ion Antonescu se proclame Conduc tor, dans la lignée du Duce ou du

Führer, avec l�’arrivée au pouvoir du roi Michel Ier qu�’il fait ensuite écarter.14

Cet épisode n�’est pas effacé par la période communiste qui suivra et il est certain que

Ion Iliescu ne peut se présenter en tant que sauveur de la Roumanie et s�’annoncer lui-même

comme « l�’homme providentiel ». Il doit faire preuve de prudence afin de ne pas afficher

d�’intention de pouvoir personnel, symbole de la République Sociale de Roumanie. Tudor

Dr g nu explique le système qui règne dans le pays du 23 août 1944 au 22 décembre 1989 de

cette façon : « Sans vanter les conceptions du marxisme-léninisme, mais bien en les combattant avec

véhémence, beaucoup de dictatures instaurées entre les deux guerres mondiales dans différents pays, ont

emprunté du modèle politique communiste, le système de parti unique organisé de telle façon à supprimer chaque

opposition et à maintenir les pouvoirs de l�’Etat dans les mains d�’une clique de chefs ou même d�’une seule

personne. »15 Et l�’adoption de la Constitution de 1965 est « la conséquence des ambitions du secrétaire

général du parti communiste, N. Ceau escu, et inaugure la tyrannie »16 qui dure vingt-trois ans.

Il s�’agit donc tout d�’abord de rompre avec la principale caractéristique du régime

socialiste et d�’instaurer le plus rapidement possible le pluralisme politique. Afin d�’élire la

première Assemblée, en mars 1990, le Conseil Provisoire d�’Union Nationale17 édicte un

13 « Démocratie et participation » cours de René Capitant, Paris, Centre étudiant de polycopies droit et sciences économiques, Centre Panthéon, 1970, p. V.16. 14 Voici le discours que celui-ci fait le 6 septembre 1940 (traduction personnelle) : « Dans cette période d�’égarement de la Roumanie et de déchirure du Peuple, j�’ai pris la conduite de l�’Etat, en accord avec Sa Majesté le Roi. Ce n�’est pas un Gouvernement nouveau, mais un nouveau régime. Non pas de parole, mais d�’action. Non d�’hésitations, mais de faits. Un passé grave et difficile s�’est refermé. Il ne faut pas laisser place à l�’oubli mais au droit. Mais aujourd�’hui, il faut sauver l�’Etat et la Nation. Nous devons resserrer les rangs à tout prix, rassembler les pouvoirs, sauver l�’honneur et nous assurer l�’avenir. Par la souffrance, mais aussi par la réflexion et par un seul pouvoir. Il faudra souffrir mais nous en sortirons grandis. » 15 « Drept constitu ional i institu ii politice », T. Dr ganu, Bucarest, Lumina Lex, 1998, vol. I, p.353. 16 Idem, p. 389. 17 Le CPUN, présidé par Ion Iliescu, se substitue au Front de Salut National. Il comprend 180 membres dont 90 « personnalités » et représentants des judets (circonscriptions territoriales) et des minorités nationales, et 90 représentants des 29 partis politiques enregistrés (le FSN n�’étant pas encore devenu un parti). Voir la chronologie d�’Edith Lhomel, publiée dans « Constitutions d�’Europe centrale, orientale et balte. » M. Lesage, Paris, La documentation française, 1995, p.173.

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décret-loi n°92 organisant les « élections du Parlement et du Président de la Roumanie ».

L�’article 1 déclare : « Le pouvoir politique en Roumanie appartient au peuple et est exercé selon les principes

de la démocratie, de la liberté et l�’assurance de la dignité humaine, de l�’inviolabilité et de l�’inaliénabilité des

droits fondamentaux des hommes. » L�’article 3 poursuit : « Le Parlement de la Roumanie, composé de

l�’Assemblée des Députés et du Sénat, ainsi que le Président de la Roumanie, sont élus au suffrage universel,

égal, direct et secret, librement exprimé. » Pourquoi avoir choisi le suffrage universel direct pour élire

le Président ? Peut-être est-ce pour les membres du Conseil Provisoire la meilleure façon de

démontrer leur bonne volonté en matière démocratique.

En effet, l�’influence de la France pendant les premières années post-révolutionnaires

est à replacer dans son contexte particulier. L�’ensemble des pays sortant d�’un régime socialiste

a cherché à être reconnu sur le plan international. La Communauté européenne, par une

déclaration des douze pays la composant à la date du 16 décembre 1991 relative aux « lignes

directrices sur la reconnaissance de nouveaux Etats en Europe orientale et en Union soviétique » fixe cinq

conditions à la reconnaissance d�’un nouvel Etat dont trois concernent l�’organisation même de

l�’Etat : le respect des dispositions de la Charte des Nations Unies et des engagements souscrits

dans l�’Acte final de Helsinki et la Charte de Paris, notamment en ce qui concerne l�’Etat de

droit, la démocratie et les droits de l�’Homme ; la garantie des droits des groupes ethniques et

nationaux et des minorités conformément aux engagements souscrits dans le cadre de la

Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe ; le respect de l�’inviolabilité des limites

territoriales qui ne peuvent être modifiées que par des moyens pacifiques et d�’un commun

accord. La Roumanie est admise au Conseil de l�’Europe le 7 octobre 1993, mais dès le début

des années 1990, elle collabore avec de nombreux réseaux afin de se faire aider à correspondre

aux standards requis par l�’Europe occidentale.

Les professeurs Mihai Constantinescu et Ioan Moraru retracent l�’histoire de

l�’élaboration de la Constitution, en soulignant l�’influence particulière qu�’ont eu la France et les

juristes français. Hormis l�’influence indirecte rapportée plus haut, l�’action de certains

spécialistes comme M. Robert Badinter ou le professeur Jean Gicquel, comme membre de la

délégation du Conseil de l�’Europe a des conséquences directes sur l�’élaboration du projet de

Constitution. A cette occasion, le Conseil d�’Etat français donne des avis et consultations,

fondés sur la Constitution de 195818. De même, le groupe « Gaullisme et Progrès », du parti

politique « RPR » formulent des observations19.

18 « En ce qui concerne les avis et les consultations, il faut mentionner les suggestions du Conseil d�’Etat �– section de l�’Intérieur �– sous la direction de Michel Bernard, fondées particulièrement sur la Constitution de 1958, en référence à certains problèmes de principes, combien utiles dans la conception de propositions sur le projet de Constitution. Dans une grande mesure, ces observations, formulées

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Selon les auteurs, l�’un des plus grands apports réside dans les observations relatives à la

structure de la Constitution, «Principes généraux », «Les droits, les libertés et les devoirs fondamentaux »,

«Les autorités publiques », «L'économie et les finances publiques », «La Cour constitutionnelle »,

(«L'intégration euroatlantique » a été ajoutée par une révision ultérieure à 1995), «La révision de la

Constitution » et «Dispositions finales et transitoires ». Ces titres modifiés après les observations

relatives aux propositions, ne sont pas remis en causes par les débats en assemblée et sont

adoptés par le référendum. Une autre observation principale est faite sur la déclaration des

droits, « trop déclarative », surtout à cause des renvois trop fréquents à une loi d�’application,

empêchant les droits d�’être directement applicables. Cette conception donne trop de flexibilité

au législateur et restreint le pouvoir de contrôle de la Cour Constitutionnelle. Ces renvois sont

supprimés, assurant le caractère subordonné de la loi à la Constitution. MM. Constantinescu et

Muraru concluent : « En général, l�’influence de la culture française sur le droit roumain, dans la branche du droit

constitutionnel, comme dans d�’autres branches �– le Code Civil de 1866, encore en vigueur, est

conçu d�’après le modèle du Code Napoléonien �– constitue une caractéristique essentielle de

l�’évolution du système juridique de Roumanie à l�’époque moderne, à partir du XIXe siècle.

C�’est pourquoi, le phénomène n�’a pas un caractère accidentel, il représente la continuité d�’une

tradition résultant de l�’influence écrasante qu�’a exercée la Révolution française de 1789 et, par-

dessus tout, de la vocation universaliste de la culture française qui, reçue dans des sociétés à

différents stades d�’évolution, a toujours constitué un modèle fondamental de la culture

européenne. »20

L�’examen de la Constitution roumaine aujourd�’hui à la lumière des institutions

françaises s�’inscrit donc dans une grande tradition d�’échanges culturels et juridiques franco-

roumains dont la vitalité s�’exprime encore dans les Journées Constitutionnelles Franco-

roumaines.

Si l�’influence de la France sur la Constitution roumaine est avérée, il faut cependant

relever dès à présent certains traits essentiels dénotant la distinction entre les deux ordres

avec le titre de suggestion, furent concordantes et avec d�’autres observations se retrouvent dans le projet de Constitution soumis à adoption et, ultérieurement, dans la Constitution soumise à référendum, comme par exemple, l�’élimination de l�’interdiction de la constitution de partis sur des critères exclusivement ethniques ou religieux, les attributions des autorités locales ou le droit pour la Cour Constitutionnelle de s�’autosaisir. » M. Constantinescu, I. Muraru, op. cit. p.53. (traduction personnelle) 19 « Il s�’agit de l�’unique cas où un parti politique �– RPR �–, sous la haute initiative de monsieur Jacques Chirac, a eu un apport direct dans le processus d�’élaboration en Roumanie. Les observations ont été nombreuses et les critiques accentuées, dans le but, pour l�’essentiel, d�’effectuer un éloignement plus net des conceptions constitutionnelles antérieures, de type collectiviste et étatistes, ainsi qu�’une affirmation plus importante des principes de démocratie, axées en priorité sur les droits de l�’homme, les libertés individuelles et les garanties de l�’Etat de droit.» Idem. p.53. 20 Ibid. p.54.

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constitutionnels. La position réservée au chef de l�’Etat21 est bien différente dans les deux pays

étudiés. En témoigne le rang auquel sont placées les dispositions relatives au président de la

République dans les Constitutions respectives. La France réserve le Titre II au Président, avant

d�’évoquer le Gouvernement puis le Parlement ; tandis que le constituant roumain place le

président de la République dans le Chapitre II du troisième titre consacré aux autorités

publiques, venant après le Parlement et avant le Gouvernement.

L�’analogie entre les articles d�’ouverture de la partie consacrée au chef de l�’Etat est

pourtant frappante. Le premier alinéa de l�’article 80 de la Constitution roumaine22 dispose :

« 1) Le Président de la Roumanie représente l'Etat roumain et il est le garant de l'indépendance nationale, de

l'unité et de l'intégrité territoriale du pays. 2) Le Président de la Roumanie veille au respect de la Constitution

et au bon fonctionnement des autorités publiques. Dans ce but, le Président exerce la fonction de médiation

entre les pouvoirs de l'Etat, ainsi qu'entre l'Etat et la société. » L�’inspiration de l�’article 5 de la

Constitution de la Ve République est flagrante : « 1) Le président de la République veille au respect de

la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la

continuité de l'Etat. 2) Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des

traités. »

Il n�’est donc pas anodin que l�’ouvrage de référence en la matière du professeur

Dr ganu commence la section sur le président de la République avec une longue comparaison

avec la Constitution de la Ve République. En examinant les dispositions relatives aux

attributions présidentielles, nous souscrivons à la dénonciation par le même auteur d�’une

exagération du rôle dans l�’Etat du président de la République par cet article qui utilise « des

formules qui dépassent les attributions qui lui sont conférées en réalité, une contradiction évidente s�’entrevoit 21 L�’usage est de parler du président de la République comme « chef de l�’Etat ». Il est intéressant de noter que ni la Constitution française, ni la Constitution roumaine n�’emploie ce terme explicitement. Le terme « président de la République » est employé pour la première fois en 1871 à la demande de « Monsieur Tiers », pour qui le titre de « chef du pouvoir exécutif de la République Française » évoque davantage les cuisiniers. Toutefois, c�’est le terme qui a servi à désigner le Président sous la IIème et la IIIème République. Il est étonnant qu�’il ne soit pas expressément reconnu comme tel dans la Constitution de la Ve République. Mais, dès le 28 décembre 1958, le Général déclare : « Guide de la France et chef de l�’Etat républicain, j�’exercerai le Pouvoir suprême dans toute l�’étendue qu�’il comporte désormais et suivant l�’esprit nouveau qui me l�’a fait attribuer. » (« Discours et messages », Général De Gaulle, 28 décembre 1958, tome III.) Concernant la Roumanie, le professeur Vrabie donne deux hypothèses susceptibles d�’expliquer le fait que le syntagme « chef de l�’Etat » ne soit jamais utilisé dans la Constitution roumaine (« Rolul i func iile pre edentelui României » G. Vrabie, Revista de Drept Public, 1995 n°2, p.69). La première veut que le Président soit le chef de l�’Etat, déduction faite de l�’interprétation des textes constitutionnels : si on tient compte des attributions de représentation au plan interne et externe, celles-ci correspondent à celles conférées dans les autres pays aux Chefs d�’Etat, comme par exemple, en Italie ou en Turquie. La deuxième hypothèse est celle selon laquelle, le Président, bien qu�’il en possède les attributions, n�’est pas le chef de l�’Etat, car il ne dispose pas d�’attribution le plaçant au-dessus des autres autorités publiques, élément d�’un ensemble horizontal et non pas vertical. Par fidélité à la tradition et par commodité, nous continuerons d�’utiliser le terme « chef de l�’Etat » pour désigner le président de la République, que ce soit en Roumanie ou en France. 22 Par la suite, pour faciliter la compréhension, les articles des constitutions respectives seront toujours suivis de la mention « CR » pour la Constitution roumaine et « CF » pour le texte fondamental français.

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dans la Constitution »23. Cette objection trouve une explication assez simple : la volonté

paradoxale de conférer des pouvoirs à un homme, le président de la République, et celle de

rendre impossible tout retour à une période dictatoriale. La grande préoccupation de

l�’Assemblée constituante est exprimée par le député démocrate chrétien Ion Diaconescu :

« Après 45 ans de terrible dictature, le chemin le plus sûr pour revenir à une nouvelle dictature est la

République présidentielle » 24. Ce contexte permet de comprendre qu�’il ne soit même pas envisagé

d�’insérer des dispositions ressemblant de près ou de loin à celles de l�’article 16 de la

Constitution de la Ve République. Nous ne nous attarderons donc pas sur ce point. En

revanche, s�’il est clair que la République roumaine n�’est pas présidentielle, il faut prendre le

temps d�’examiner attentivement la notion de régime semi-présidentiel qui est revendiquée par

certains, repoussée par d�’autres, aussi bien dans la doctrine française que dans la doctrine

roumaine.

Bien que le régime de la Ve république ait été qualifié de « semi-présidentiel » pour la

première fois25 lors de l�’entrée du général De Gaulle à l�’Elysée, le 9 janvier 1959, il serait

erroné de penser que ce modèle est né en France.

Un rapide tour d�’horizon nous apprend que plusieurs démocraties européennes26 se

sont dotées d�’un régime parlementaire et d�’un Président élu au suffrage universel dès après la

Première Guerre Mondiale : la Finlande, l�’Allemagne et l�’Autriche. Dans la République de

Weimar (1919-1920), souvent définie comme inspiratrice de la Ve République, est instauré un

président de la République élu au suffrage universel, il dispose de larges pouvoirs, notamment

en période de crise (art.48). Le régime parlementaire prend rapidement une tournure dualiste

avec la double responsabilité du Gouvernement devant le Parlement et devant le Président. A

cause de la représentation proportionnelle, le Gouvernement connait une grande instabilité.

Ces imperfections engendrent la perte de la République de Weimar et mènent à la dictature du

chancelier Hitler.

L�’Autriche adopte sa Constitution en 1929, remaniée en 1929, dont le principal artisan

est Hans Kelsen. Le Parlement bicaméral sanctionne la responsabilité du Gouvernement,

nommé et révoqué par le Président élu directement par le peuple pour un mandat de six ans

23 Tudor Dr g nu, op.cit. vol. II, p. 226. 24 Rapporté par « Geneza Constitu iei României 1991 » Travaux de l�’Assemblée Constituante publiés par le Monitor Oficial en 1992. 25 Par Monsieur Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde. 26 L�’étude de ces régimes s�’appuie sur le recueil « Les Constitutions de l�’Union Européenne » H. Oberdorf, C. Grewe, Paris, La Documentation Française, 1998.

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renouvelable une fois. Le Président peut dissoudre le Nationalrat (chambre basse représentant

les citoyens).

En Irlande, la première constitution de l�’Eire, en 1937, instaure un régime similaire à

ceux cités précédemment. Cependant, les prérogatives du Président sont très limitées (comme

l�’étaient celles du Gouverneur général représentant de la Couronne britannique) : le Président

est élu pour sept ans au suffrage universel direct et rééligible une fois seulement ; il nomme le

Premier ministre qui doit être investi par la Dail (chambre basse). Celle-ci est élue pour cinq

ans et peut être dissoute à l�’initiative du Premier ministre.

Il est curieux qu�’après les expériences de l�’Allemagne de Weimar et de l�’Autriche

annexée, d�’autres pays aient eu recours au même type de désignation du Chef d�’Etat.

Toutefois, l�’Islande, la France et le Portugal l�’adopteront.

L�’Islande a voulu après son indépendance en 1944 que l�’investiture populaire auréole

son chef d�’Etat du même prestige que les couronnes royales d�’Angleterre ou du Danemark

sans lui donner plus de puissance qu�’un monarque constitutionnel. En Allemagne, Finlande et

Autriche, l�’idée d�’un équivalent du souverain héréditaire est présente mais les empereurs

remplacés avaient plus de poids politique que les rois de Londres ou de Copenhague.

Au Portugal après de dures années de dictature et de guerres coloniales, en 1976, est

adoptée une Constitution établissant un régime semi-présidentiel. Les socialistes, protagonistes

de la « Révolution des �œillets » en 1974 honnissaient le pouvoir personnel qui avait marqué la

dictature de Salazar (Premier ministre) et ont cherché à diviser le pouvoir exécutif pour le

limiter. Le Président est élu pour cinq ans au suffrage universel direct, et peut être réélu une

fois. Il nomme le Premier ministre et le Gouvernement en tenant compte de la composition

de l�’Assemblée (art. 136 et 190 de la Constitution portugaise). Ce dernier est responsable de la

politique poursuivie devant l�’Assemblée de la République, chambre unique élue au suffrage

universel pour quatre ans et qui détient le pouvoir législatif. Les auteurs de la Constitution

portugaise connaissaient déjà le système français et ne voulaient pas permettre au Président

qu�’il puisse abuser de ses pouvoirs. Le chef de l�’Etat est un « pouvoir modérateur », selon le mot

du professeur A. Moreira27, c'est-à-dire l�’arbitre auquel il appartient de remédier au

« fonctionnement irrégulier des institutions », il dispose notamment du droit de dissolution.

Sur ces six régimes, trois fonctionnent comme des régimes parlementaires classiques,

nonobstant l�’élection populaire du Président (Islande, Autriche et Irlande), trois passent ou

sont passés par des phases alternatives de présidence active et de présidence effacée (Finlande,

27 Cité dans l�’article « Portugal » du Dictionnaire Constitutionnel, publié sous la direction d�’O. Duhamel et Y. Mény, Paris, PUF, p. 768.

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Allemagne de Weimar, Portugal). Il faut noter qu�’au Portugal, la lutte politique pour la

présidence n�’a plus lieu depuis quelques années : Jorge Sampaio, président de la République

depuis mars 1996 est réélu au premier tour en janvier 2001 avec 55,7 % mais avec un taux

d'abstention record (49 %). Son rôle est clairement décrit comme représentatif. Il ne reste

donc plus que la France qui ait un Président actif.

La théorie très répandue pendant l�’Entre-deux-guerres est que pour corriger les défauts

du régime parlementaire, il faut renforcer les prérogatives du chef de l�’Etat, ce qui ne s�’est pas

forcément avéré. On constate en revanche l�’importance du mode de scrutin relatif aux

élections législatives. En Finlande et en Allemagne de Weimar, la proportionnelle conduit à un

parlementarisme de type italien où le multipartisme implique l�’instabilité Gouvernementale et

les pouvoirs du Président élu au suffrage universel corrigent faiblement les conséquences. Il

n�’y parvient que pour des dissolutions multipliées et des législations par décret. Il ne peut pas

former des majorités aptes à soutenir des Gouvernements efficaces et stables. Selon Maurice

Duverger, et nous sommes du même avis, puisque c�’est ce que nous observons pour la

Roumanie, « le régime semi-présidentiel apparaît donc comme inséparable des trois sous-systèmes qui

l�’environnent : le système culturel, le système de partis et le système électoral. »28 On comprend ainsi

comment le même régime, défini par ses institutions juridiques, peut fonctionner dans le cadre

de systèmes politiques différents.

Notons qu�’un certain nombre de pays d�’Europe balte, centrale, orientale et balkanique

ont choisi ce régime lors de leur accession à la démocratie, en particulier la Bulgarie, la Croatie,

la Lituanie, la Pologne, la Russie, la Slovénie et l�’Ukraine. Comme pour la Roumanie, cette

organisation des pouvoirs est attirante par la double vertu qui lui est attribuée : s�’assurer du

caractère démocratique du régime et à la fois disposer d�’un exécutif fort, ce qui rappelle les

théories de l�’Entre-deux-guerres.

En France, le concept de régime semi-présidentiel a été utilisé pour la première fois

par Maurice Duverger dans la 11e édition de son manuel de droit constitutionnel et de sciences

politiques destiné aux étudiants. Il le place entre le régime parlementaire et le régime

présidentiel. En 1983, dans le colloque international consacré au régime semi-présidentiel,

celui-ci était défini comme désignant : « les institutions d�’une démocratie d�’Occident » réunissant deux

éléments : un président de la République élu au suffrage universel et doté d�’importants

pouvoirs propres d�’une part et un Premier ministre et un Gouvernement responsable « devant

28 Article « Régime semi-présidentiel » de Maurice Duverger, in Dictionnaire constitutionnel, op. cit. p.903.

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les députés » d�’autre part29. Marie-Anne Cohendet, pour sa part, qualifie ces mêmes régimes de

« parlementaires bireprésentatifs »30 dans le sens où le peuple est représenté par deux organes : le

Parlement (ou une de ses chambres) et le Président, tous deux élus au suffrage universel direct.

Une bonne part de la doctrine conteste la logique et le caractère scientifique de la

classification des régimes existants. En effet, si le critère de distinction entre régime

parlementaire et régime non parlementaire (parmi lesquels le régime présidentiel), est bien la

responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, on ne peut pas estimer qu�’un régime est

à moitié présidentiel, à moitié parlementaire. Il faut distinguer clairement entre deux critères :

celui de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement et celui du mode de

désignation du Président31. L�’intérêt scientifique de la classification serait de pouvoir déduire

d�’un ensemble de règles constitutionnelles des conséquences sur le plan du comportement

politique. « Une analyse juridique très simple fournirait ainsi une information politique complexe. Mais en

réalité, un tel lien n�’existe pas et ne peut pas exister, car le droit n�’est jamais la « cause » d�’un comportement

politique, ni la politique un « symptôme » du droit. »32

Toutefois, ce terme de « semi-présidentiel » et ce qu�’il représente, c'est-à-dire un

Président élu au suffrage universel et un Gouvernement responsable, comme dans la tradition

parlementaire, est la référence qui sert aux constituants de Roumanie et des autres pays

d�’Europe centrale, orientale et balte. Malgré l�’imprécision ce syntagme, nous prenons

néanmoins le parti de l�’utiliser car il se rattache historiquement au type d�’organisation

constitutionnelle de la France sous la Ve République et par extension, il désigne également, a

priori, celui de la Roumanie, qui choisit de se doter d�’un chef d�’Etat élu au suffrage universel

dans un régime de type parlementaire.

A la suite de l�’effondrement des régimes « socialistes » ou « populaires », tous les pays

concernés se sont interrogés sur l�’opportunité d�’adopter une nouvelle Constitution. Trois pays

29 « Les régimes semi-présidentiels » Actes du colloque des 20 et 21 janvier 1983, sous la direction de Maurice Duverger, Paris, PUF, p.7. 30 « Droit constitutionnel », Marie-Anne Cohendet, Paris, Montchrestien, 2ème éd. p.268. 31 Afin de démontrer le caractère non logique de la classification, qu�’il est possible que les deux classes utilisées pour la classification soient constituées à l�’aide de critère qui ne s�’opposent pas, F. Hamon et M. Troper emploient un exemple : ce serait le cas si l�’on classait les villes en villes de plus de 100 000 habitants et villes situées au bord de la mer¸ parce que d�’une part certaines villes ne pourraient pas être classées, tandis que d�’autres satisferont aux deux critères et appartiennent donc aux deux classes. Ils continuent : « dans l�’une de ses versions la classification des régimes politiques présente ce défaut : si le régime parlementaire est celui dans lequel existe la responsabilité politique et le régime présidentiel, celui dans lequel le président est élu au suffrage universel, certains régimes, qui ne comportent ni l�’un, ni l�’autre élément, comme certains systèmes du tiers monde, ne peuvent être classés nulle part, tandis que d�’autres, comme la Ve République, appartiennent aux deux catégories »31. De plus, si une telle classification a été établie, à partir de modèles, jugés comme « purs » : les Etats-Unis pour le modèle présidentiel, le Royaume-Uni pour le modèle parlementaire, ceux-ci ont évolués. « Droit constitutionnel » F. Hamon, M. Troper, Paris, LGDJ, 28ème éd., p.113s. 32 Idem p.115.

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ont choisi de rétablir leur Constitution antérieure : la Lettonie (rétablissement de la

Constitution du 15.02.1922, sans révision), la Hongrie (révision de la Constitution de 1920) et

la Pologne (révision de la Constitution du 13.03.1921 avec prévision d�’élaboration d�’une

nouvelle constitution, ce qui a été fait en 1997)33.

En Roumanie, la dernière Constitution dite démocratique date de 1923, il s�’agit d�’une

monarchie. Le décret-loi n°2/1989 pris par le Conseil Provisoire d�’Union Nationale est

considéré comme une mini-Constitution mais cela n�’est pas suffisant. Une commission

parlementaire se forme de 12 députés et 11 sénateurs, représentant tous les forces politiques

de la première Assemblée élue le 20 mai 1990 à majorité FSN (Front de Salut National), parti

du Président Ion Iliescu. Aux représentants parlementaires s�’ajoutent cinq spécialistes sans

droit de vote. Pour la première fois en Roumanie, l�’élaboration du projet constitutionnel se fait

sur initiative parlementaire et en commission mixte (experts et parlementaires) qui représente

toutes les tendances politiques sans proportionnalité par rapport à la composition de

l�’Assemblée.

Il est important de souligner l�’esprit avec lequel a été écrite cette Constitution : il ne

s�’agit pas de régler quelques problèmes remarqués dans les constitutions précédentes mais de

faire �œuvre nouvelle. Un grand enthousiasme est présent chez les instigateurs de la

Constitution. Dumitru D. Ifrim, spécialiste en droit international, conseiller auprès du Sénat,

exhorte les parlementaires à réaliser une �œuvre exceptionnelle : « Cela étant, ne serions-nous pas

justifiés, nous autres habitants de l�’Europe de l�’Est, de réaliser, par les temps pauvres où nous vivons et

justement, pour les dépasser, un système d�’organisation sociale et un Etat de droit qui, sans s�’écarter de la

démocratie ou encore moins la trahir, soit une forme particulière, c�’est-à-dire exceptionnelle de résoudre le

problème ? »34. Dans un ouvrage très utile pour notre étude, « L�’odyssée de l�’élaboration de la

Constitution », le professeur Antonie Iorgovan introduit son analyse en expliquant comment

se sont déroulées les sessions de la Commission d�’élaboration du projet de Constitution : « Que

ce soit en Commission ou à la Constituante, cela n�’a pas été seulement un échange d�’idées comme dans une

paisible et calme session scientifique, ce fut, avant tout, une lutte politique, dans des termes très forts, avec des

étincelles jaillissant de « duels verbaux », dans lesquels je n�’ai pas su comment ne pas entrer, soit comme

sénateur et président de Commission, soit comme universitaire en Droit public. »35

La question de la monarchie est rapidement évacuée et les députés se concentrent sur

la question de savoir s�’il faut établir un régime parlementaire ou présidentiel. Toutefois, après

l�’adoption de la Constitution par référendum, à l�’occasion d�’une visite privée de l�’ex-roi

33 « Constitutions d�’Europe centrale, orientale et balte » M. Lesage, op. cit. 34 « La constitution, entre tradition et innovation », Dumitru D. Ifrim, Revue roumaine des sciences juridiques, Tome VI, n°1 Janvier �– Juin 1995,Bucarest, Academiei Române (texte en version française). 35 « Odiseea elabor rii Constitu iei », Antonie Iorgovan, Bucarest, Uniunii Vatra Româneasca, 1998. p.2.

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Michel, le 25 et 27 avril 1992, une manifestation s�’organise en faveur d�’une monarchie

parlementaire.

Si le régime républicain ne pose pas de problème majeur, la décision sur la nature du

régime suscite de nombreuses discussions. Celle-ci est choisie par vote secret36. La commission

de rédaction est présidée par monsieur Florin Vasilescu, docteur en droit constitutionnel et

conseil présidentiel. Le premier point abordé lors des travaux de l�’Assemblée constituante est

la question de savoir si le président de la République doit être élu directement ou

indirectement. Le président de la commission présente principalement la thèse semi-

présidentialiste en prenant soin de préciser qu�’en cas de vote direct, il faut atténuer l�’effet de la

légitimité auprès du peuple en adoptant les mesures constitutionnelles adéquates pour ne pas

dériver vers le totalitarisme. S�’en suit un grand débat au cours duquel le FSN (Front de Salut

National), parti majoritaire, soutient le suffrage universel direct et souhaite ranger la

Constitution roumaine aux côtés des régimes semi-présidentiels occidentaux et latino-

américains.

La plupart des partis d�’opposition proposent que le Président soit élu par le Parlement

ou par un Collège électoral. Le Parti Démocrate Agraire de Roumanie, par exemple, accepte

que le Président soit élu directement par le Peuple mais voudrait éliminer la possibilité pour le

Président de nommer les membres du Gouvernement puisqu�’il nomme déjà le Premier

ministre. On le comprend le régime roumain est fruit de compromis et d�’amendements

successifs qui finissent par l�’éloigner de tout modèle préexistant. Dans le commentaire des

articles concernant le président de la République, Florin Vasilescu analyse les régimes

constitutionnels présidentiels, parlementaires puis les régimes « semi-présidentiels, mixtes, régimes

parlementaires avec un caractère présidentiel, etc. » Il conclut : « De tous ces traits, peu seulement se retrouvent dans notre système constitutionnel, la

majorité sous diverses formes diminuent « le poids » de l�’influence politique du Président du

pays, la seule disposition que l�’on peut trouver dans son intégralité est l�’élection au suffrage

universel direct, avec deux tours de scrutin, prévue par l�’article 81. Conséquence de ces limites

de la fonction présidentielle et de l�’adoption de certaines solutions spécifiques des régimes

parlementaires dans le rapport entre le Parlement et le Gouvernement �– fait qui se révèle dans

les développements relatifs aux articles suivants �–, notre régime politique peut être caractérisé

comme un régime semi-présidentiel « atténué » ou « parlementarisé », au vu de

36 Les informations utilisées ici viennent du sténogramme des séances des 16 et 17 avril 1991 publié par le Moniteur Officiel de Roumanie, IIème partie, n°10 du 18 avril 1991.

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l�’importance consacrée aux autres pouvoirs et par priorité l�’importance du Parlement dans la

vie politique du pays. »37

Le Professeur Iorgovan reprend l�’argument à son compte en le développant largement

dans son traité de droit administratif38. Après la révision constitutionnelle du 30 octobre 2003,

chargé du commentaire des articles sur le Gouvernement dans la nouvelle édition de la

« Constitution de la Roumanie �– commentée et annotée », il va même plus loin en affirmant :

« A notre avis, nous pouvons très bien utiliser également le terme régime semi-parlementaire, qui

s�’utilise dans la doctrine juridique et qui nous paraît plus conforme à la réalité constitutionnelle de la

Roumanie. »39

Cela nous amène à dresser le constat d�’une évolution importante, stigmatisée par la

révision constitutionnelle roumaine de 2003, vers les régimes parlementaires classiques et donc

un éloignement supplémentaire du modèle français. Après avoir examiné les différents Etats

membres de l�’Union Européenne dont le président de la République est élu au suffrage

universel, le même constat s�’impose : le chef de l�’Etat a « perdu » la plupart des pouvoirs qui

lui conféraient une place prééminente, au profit du Gouvernement. La Roumanie suit-elle

cette tendance majoritaire de « parlementarisation » des régimes semi-présidentiels dans

l�’Europe actuelle ? L�’influence française est-elle toujours aussi forte dans la pratique

constitutionnelle ou le régime roumain a-t-il développé une maturité institutionnelle suffisante

pour permettre un développement autonome ?

La Roumanie et la France ont développé tant dans le domaine culturel que juridique

des liens forts jusque dans l�’élaboration de la Constitution de 1991 et au-delà. Nous avons

donc choisi limiter le champs de notre étude à ces deux pays.

Notre attention se focalisera plus particulièrement sur les attributions du Président et

sur ses relations avec le Parlement et le Gouvernement d�’une part ainsi qu�’avec la Cour

Constitutionnelle d�’autre part. Nous nous attacherons à comparer les différentes dispositions

constitutionnelles des deux pays étudiés, en mettant en perspective le texte roumain, et dans la

mesure du possible, la pratique, avec la Constitution française du 4 octobre 1958 et la riche

37 « Constitu ia Romaniei �– comentat i adnotat » (la Constitution de la Roumanie �– commentée et annotée) dir. M. Constantinescu, commentaires de F. Vasilescu, Bucarest, Regia Autonom « Monitorul Oficial », 1992, p.184. (traduction et mise en évidence personnelle). 38 « Tratat de drept administrativ » A. Iorgovan, Bucarest, All Beck, 3ème éd. 2001, Vol. I. p.294s. 39 « Constitu ia Romaniei �– comentat i adnotat » (la Constitution de la Roumanie �– commentée et annotée) dir. M.Constantinescu, commentaires de A. Iorgovan, Bucarest, Regia Autonom « Monitorul Oficial », 2004, p.102. (en gras dans le texte, traduction personnelle).

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doctrine de droit constitutionnel se rapportant au président de la République en Roumanie et

en France.

Au fur et à mesure de l�’étude des dispositions constitutionnelles, tant originelles que

modifiées, une évidence s�’impose : le régime roumain actuel est très loin d�’être une fidèle

copie du régime français ni en 1958, ni en 1962, ni même aujourd�’hui. Il n�’est possible de

parler de « régime semi-présidentiel roumain » que pour le distinguer fortement de la France,

prise comme modèle tant par la Roumanie au moment de l�’élaboration de sa Constitution que

par cette étude.

Si au début de notre étude, nous avons pensé que la place du président de la

République dans le régime roumain pouvait justifier la qualification de celui-ci de « semi-

présidentiel » et à ce point de vue appeler l�’analogie avec le régime français, comme ont pu

nous le faire croire les deux articles généraux concernant le rôle du président de la République

et la légitimité donnée par le suffrage universel ; nous avons vite constaté qu�’il s�’agit d�’une

proximité en trompe-l�’�œil (1ère Partie). L�’évolution des deux régimes dans des directions

opposées consacre l�’originalité du régime roumain, stigmatisée par la révision constitutionnelle

du 30 octobre 2003, qui tout en conservant l�’élection du Président au suffrage universel direct,

l�’éloigne du modèle français (2ème Partie).

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1ERE PARTIE �– LE PRESIDENT DANS LES REPUBLIQUES

FRANCAISE ET ROUMAINE :

UNE PROXIMITE EN TROMPE-L�’�ŒIL

Si on compare les caractéristiques de la fonction présidentielle, entendues dans un sens

global, on est saisi de la ressemblance entre les deux. L�’article définissant le rôle du président

de la République dans les régimes français et roumain délimite les mêmes domaines avec des

attributions respectives très semblables. Un rapprochement immédiat s�’opère dès l�’étude de

l�’élection du chef de l�’Etat au suffrage universel. Cependant, l�’image du trompe-l�’�œil est de

mise car en s�’approchant, on observe que toutes ces reliefs n�’ont pas la même profondeur,

voire n�’en n�’ont pas en ce qui concerne l�’�œuvre constitutionnelle roumaine, sur certains

aspects.

Le premier constat à dresser est la différence de position des articles concernant le

président de la République dans le plan de la Constitution. Dans la Constitution française, il

est prévu à l�’origine que le titre consacré au Président soit le titre premier. Par la suite, il est

décidé de placer en tête du texte un préambule et un titre sur la souveraineté, l�’article maître

passe en cinquième place mais n�’en reste pas moins placé avant le Gouvernement et le

Parlement40. En revanche, la Constitution roumaine place le chapitre sur le Président en

deuxième place du Titre III sur les autorités publiques41, après le chapitre consacré au

Parlement et avant celui traitant du Gouvernement.

A travers l�’examen des articles définissant le rôle du Président, les articles 5 CF et 80

CR, la fonction présidentielle dans les régimes roumains et français sera examinée dans son

ensemble (I) et l�’inscription directe dans la tradition parlementaire se révèlera plus ou moins

importante (II).

40 Quatorze articles sont consacrés au Président, quatre au Gouvernement et dix au Parlement. 41 Vingt-deux articles sont consacrés au Président, neuf au Gouvernement et dix-neuf au Parlement.

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I. LA FONCTION PRESIDENTIELLE DANS LES REGIMES ROUMAINS ET

FRANÇAIS

« L�’article 5 est, paradoxalement, un des articles les plus importants de la Constitution, alors qu�’il

n�’était nullement indispensable. »42

Nous pouvons dresser le même constat à propos de l�’article 80 de la Constitution

roumaine. Il s�’agit pourtant du « fil d�’Ariane » qui relie les différentes missions du Président et

dont nous nous servirons pour étudier la fonction présidentielle de manière comparée.

Le contenu des deux articles est étonnamment proche.

L�’article 5 CF dispose : « Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage,

le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. Il est le garant

de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. »

L�’article 80 CR stipule : « Le Président de la Roumanie représente l'Etat roumain et il est le garant de l'indépendance

nationale, de l'unité et de l'intégrité territoriale du pays. Le Président de la Roumanie veille au

respect de la Constitution et au bon fonctionnement des autorités publiques. Dans ce but, le

Président exerce la fonction de médiation entre les pouvoirs de l'Etat, ainsi qu'entre l'Etat et la

société. »

Avant de comparer ces deux articles, élucidons un problème d�’ordre terminologique.

Le professeur Florin Vasilescu qualifie la représentation de l�’Etat roumain « d�’attribution la plus

importante »43. Le Vocabulaire Juridique de Gérard Cornu44 définit une attribution ainsi : « 1) Sens général. Action d�’attribuer et résultat de cette action ; action de conférer à une personne

déterminée un droit, un pouvoir, une fonction, etc. ; collation d�’une prérogative. 2) En parlant

d�’une autorité ou d�’un organe. Contenu d�’une fonction conférée par la loi ; plus précisément :

catégorie d�’actes ou de matières qui entre dans les pouvoirs ou la compétence de cette autorité

ou de cet organe. »

Tandis que la fonction serait le cadre général de l�’action du Président, définie ainsi : « Service d�’un but supérieur et commun. Ensemble des actes d�’une même sorte concourant à

l�’accomplissement du service. Ex. fonction législative, fonction exécutive. »45

On pourrait encore parler d�’activités plutôt que de fonctions, mais ce dernier terme permet

de souligner que l�’accomplissement des actes est nécessaire au bon fonctionnement de

l�’ensemble du système. La représentation est donc une fonction en vue de la réalisation de

42 Selon l�’expression de G. Conac, dans son commentaire de l�’article 5 CF. Voir pour de plus amples détails sur la genèse de la Constitution, voir « La Constitution de la République française » Analyses et commentaires sous la direction de F. Luchaire et G. Conac, Paris, Economica, 2ème éd. 1987. 43« Constitu ia Romaniei �– comentat i adnotat » 1ère éd. op. cit. p.181. 44 « Vocabulaire juridique », Gérard Cornu, Paris, PUF, 6ème éd. 45 Idem.

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laquelle la Constitution attribue certaines compétences au président de la République roumaine.

De même, nous utiliserons le terme de fonction pour désigner les aspects relatifs à la défense

ou à la garantie de valeurs fondamentales et à la médiation ou l�’arbitrage.

Le professeur Gérard Conac, pour sa part, préfère le terme de mission, qu�’il distingue

également de l�’attribution. « La notion de mission implique aussi celle de charge, de devoir, elle ne coïncide donc pas avec

celle d�’attribution. Les autorités publiques peuvent recevoir des attributions qu�’elles n�’auront

pas à exercer, soit parce qu�’elles n�’en auront pas l�’occasion, soit parce que, disposant d�’un

pouvoir discrétionnaire de décision, elles ne jugeront pas opportun de les utiliser. En revanche,

toutes les autorités publiques doivent remplir leur mission, elles sont tenues par une obligation

de résultat. De l�’accomplissement des missions respectives des pouvoirs publics, dépend le bon

fonctionnement des institutions car toute défaillance de l�’une d�’elles est supposée perturber

l�’ensemble du système. »46

Au cours de cet étude, nous écarterons donc le terme d�’ « attribution » car il est un

élément permettant d�’accomplir une fonction et nous préfèrerons le terme « fonction » à celui

de « mission » car il évoque une plus grande stabilité, un côté moins temporaire.

Ces deux articles contiennent des indications sur le rôle du Président qu�’il est possible

de classer47 selon qu�’elles renseignent sur la fonction de représentation de l�’Etat (§1), de

défense ou de garantie de certains principes constitutionnels (§2) ou sur la fonction de

médiation (§3).

§1. La fonction de représentation de l�’Etat

L�’alinéa 1er de l�’article 80 stipule : « Le Président de la Roumanie représente l'Etat roumain ».

Nous ne disposons pas d�’affirmation identique dans la Constitution française mais la fonction

de représentation n�’en est pas moins présente.

A la fois dans les rapports de droit interne (A) et dans les rapports de droit

international (B), la personnification de l�’Etat apparaît comme une nécessité.

A. La fonction symbolique du chef de l�’Etat sur le plan interne

La fonction de représentation du chef de l�’Etat revêt un aspect symbolique important.

Cependant en France, les constituants évitent soigneusement de mettre l�’ accent sur l�’aspect

honorifique auquel on a tendance à réduire la fonction sous les deux précédentes républiques.

Le général De Gaulle n�’aime pas que les Français puissent penser que le président était

46 « La constitution de la République française » Article 5 commenté par G. Conac, op. cit. p.237. 47 Le professeur G. Vrabie est à l�’origine de cette classification, son article « le Rôle et les fonctions du Président de la Roumanie » publié dans la Revue internationale de droit comparé 4,1996 est très précieux pour notre étude. Il est repris dans son ouvrage « Etudes de droit constitutionnel », Ia i, Institutul European, 2003, p.78.

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d�’abord « celui qui inaugure les chrysanthèmes ».48 Les auteurs de la Constitution de la Ve

République veulent donc éviter de mettre l�’accent sur l�’aspect honorifique auquel on a

tendance à réduire la fonction sous les deux précédentes républiques. Il est toutefois

impossible de ne pas évoquer la fonction de représentation dans un pays où le Président bien

qu�’actif, a une forte image emblématique. Le président de la République représente la

souveraineté nationale, mais est-il le seul (1) ? Dans cette fonction, sur le plan interne, la

principale attribution du Président réside dans le pouvoir de nomination des hauts

fonctionnaires et quelques pouvoirs honorifiques (2).

1. Le président de la République, représentant de la souveraineté nationale

La nation, à laquelle appartient la souveraineté dont les caractéristiques sont qu�’elle est

absolue, indivisible et perpétuelle, dans son principe est « un être abstrait et de raison, qui transcende

ses propres composantes et ne se réduit pas aux êtres vivants de la période considérée. »49 Cette conception

implique que la nation ne peut pas s�’exprimer par elle-même. Elle doit donc agir par

l�’intermédiaire de personnes physiques chargées de représenter temporairement la nation au

sein d�’organes qui la font vivre et la donnent à voir dans sa réalité concrète. Dans la

Constitution française, l�’article 3 déclare que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui

l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Il n�’est pas mentionné qui est plus habilité

à le représenter entre le Parlement et le président de la République. Pour le fondateur de la Ve

République, dès 1946, l�’idée fondamentale est « qu�’il convient de prendre le contre-pied de ce que la

France a pratiqué jusqu�’alors, le contre-pied aussi de ce que la France pratique encore pendant cette

Constitution provisoire, c'est-à-dire le contre-pied d�’un régime ou une Assemblée unique disposerait de la

souveraineté nationale. »50

Au contraire, en Roumanie, l�’article 61 CR consacre le Parlement comme « l'organe

représentatif suprême du peuple roumain et l'unique autorité législative du pays ». Comment le président

de la République peut-il représenter le peuple roumain au plan interne si cette fonction est

confiée au Parlement ? Selon Mme Vrabie51, le problème se résout en acceptant deux types de

représentation : la première est la représentation du peuple comme titulaire de la souveraineté

nationale et l�’exercice des compétences de souveraineté revient à ceux choisis dans ce but, la

seconde se réfère à la représentation de l�’Etat, comme système d�’organisation politique. Dans

le premier cas, il s�’agit des organes de représentation directe : le Parlement et le Président au

niveau central élu au suffrage universel direct et les organisations élues au niveau local. Dans le

48 « La constitution de la République française » commentaires de l�’article 5, op. cit. p.236. 49 « Droit constitutionnel » V. Constantinesco, S. Pierré-Caps, Paris, PUF, 2004, p.89. 50Cours de René Capitant, op. cit. p. V.13. 51 G. Vrabie, op.cit. p79s.

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deuxième cas, le seul représentant est le président de la République. En effet, l�’article 80 al.1

CR dispose « Le Président de la Roumanie représente l'Etat roumain et il est le garant de l'indépendance

nationale, de l'unité et de l'intégrité territoriale du pays. » Le terme « Etat » et non « peuple » est utilisé,

tandis que l�’article 61 al.1 CR déclare « Le Parlement est l'organe représentatif suprême du peuple

roumain et l'unique autorité législative du pays. » (mise en évidence personnelle).

Le président de la République roumaine comme française est donc habilité à

représenter l�’Etat sur le plan interne. Hormis le protocole, son attribution spécifique réside

dans la nomination des hauts fonctionnaires de la République.

2. La nomination aux emplois supérieurs de l�’Etat et les attributions honorifiques

En qualité de représentant de l�’Etat sur le plan interne, le Président de la Roumanie

décerne les décorations et les titres honorifiques, « il nomme aux emplois civils et militaires de

l'Etat », c'est-à-dire selon l�’art. 13 CF : les conseillers d'Etat, le grand chancelier de la Légion

d'honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des

Comptes, les préfets, les représentants de l'Etat dans les collectivités d'outre-mer et en

Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des

administrations centrales qui sont nommés en Conseil des Ministres. L�’article 94 CR est plus

général, laissant une marge de man�œuvre supplémentaire au Parlement puisque les

nominations aux fonctions publiques sont effectuées dans les conditions déterminées par une

loi simple. Dans le même domaine, l�’ordonnance du 28 novembre 1958 complète l�’article 13

CF : sont également nommés en Conseil des ministres les procureurs généraux et les dirigeants

des principales entreprises publiques. En outre, sur le fondement de la même ordonnance (art.

2), le Président se voit confier le soin de nommer par décret simple (c'est-à-dire non soumis au

Conseil des ministres) un nombre très important de fonctionnaires. Les articles suivants

réaffirment le principe de la délégation des autres nominations au Premier ministre et, dans un

soucis de simplicité, rappellent que la loi ou le règlement peuvent confier le pouvoir de

nomination à d�’autres autorités (ministres, préfets, etc.)

La nomination des hauts fonctionnaires de l�’Etat est un sujet dont la sensibilité

politique est particulièrement élevée en France, en période de cohabitation. Les nominations

font toujours l�’objet d�’une négociation entre le chef de l�’Etat et le Premier ministre, le

président de la République s�’efforçant de subordonner son accord aux nouveaux nommés à

un reclassement satisfaisant des hauts fonctionnaires remplacés.

De plus cette fonction l�’oblige à beaucoup d�’actes qui ne sont pas prévus par la

Constitution mais ont leur importance dans la formation de l�’opinion publique, celles qui ont

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été évoquées plus haut et qui correspondent au « Président �– Soleil »52 méprisé par le fondateur

de la Ve République53.

B. Le représentant de l�’Etat à l�’extérieur des frontières

Sur le plan externe, les attributions Présidentielles sont d�’accréditer et de rappeler les

représentants diplomatiques (1) ainsi que de conclure des traités internationaux (2).

1. Les attributions dans le domaine diplomatique

La représentation du pays au plan international est héritée des anciennes monarchies et

conforme au rôle du chef de l�’Etat dans la tradition parlementaire. Le président est ainsi le

point de passage obligé de la représentation diplomatique nationale à l�’étranger et étrangère en

Roumanie ou en France. Cette compétence s�’exprime par la délivrance de lettres de créances,

signées du chef de l�’Etat français ou roumain, et destinées à être remises au chef de l�’Etat

étranger. En sens inverse, les ambassadeurs étrangers viennent remettre les lettres émanant de

l�’Etat qu�’ils représentent. Les alinéas 2 et 3 de l�’article 91 CR sont rédigés ainsi : « (2) Le

Président, sur proposition du Gouvernement, accrédite et rappelle les représentants diplomatiques de la

Roumanie et approuve la création, la suppression ou le changement du rang des missions diplomatiques. (3)

Les représentants diplomatiques des autres Etats sont accrédités auprès du Président de la Roumanie. » Dans

une formulation plus simple, l�’article 14 de la Constitution française expose les mêmes

attributions : « Le président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès

des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de

lui. »

2. La difficile comparaison des prérogatives liées à la signature des traités

internationaux

La comparaison entre la Roumanie et la France en matière de prérogatives

Présidentielles relatives aux traités internationaux est un cas typique de difficulté inhérente à

l�’exercice. Les ambiguïtés relatives à la terminologie présentes dans les doctrines respectives

rendent difficile la comparaison. Il est cependant intéressant de savoir comment a été

organisée la procédure relative à l�’adoption des traités.

52 Surnom du Président Félix Faure, celui-ci incarne le Président idéal de la IIIe République (Janv. 1895 �– fév. 1899), celui qui aime le protocole et les cérémonies. 53 A propos des pouvoirs honorifiques du président de la République française, citons le professeur D. Chagnollaud : « L�’évocation des pouvoirs honorifiques du chef de l�’Etat ne manque pas de charme. Protecteur de l�’Académie française, Grand Maître de l�’Ordre national de la Légion d�’honneur et de l�’ordre national du Mérite, il faut rappeler qu�’avec l�’évêque de Seo de Urgel en Espagne, il est depuis 1278�… coprince d�’Andorre.(�…) Enfin, hasard de l�’Histoire, le président de la République est chanoine honoraire de la basilique Saint-Jean du Latran à Rome�… » in « Droit constitutionnel contemporain » Paris, Armand Collin, 4ème éd. 2005, Vol. II, p.244.

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Le Président semble être le personnage central de la conclusion des traités. L�’article 91

al.1 CR dispose : « Le Président conclut au nom de la Roumanie des traités internationaux, négociés par le

Gouvernement, et les soumet au Parlement en vue de ratification, dans un délai raisonnable. Les autres traités

et accords internationaux sont conclus, approuvés et ratifiés conformément à la procédure établie par la loi. » Le

dernier alinéa de l�’article 5 dispose que le Président « est le garant de l'indépendance nationale, de

l'intégrité du territoire et du respect des traités. »

Les différentes étapes de la « vie » du traité sont : la négociation, la signature ou

l�’authentification, la ratification, cette dernière faisant intervenir plusieurs organes.

La négociation est l�’apanage de l�’exécutif. Il s�’agit du Gouvernement roumain et du

Président français. Ce dernier négocie et ratifie les traités selon l�’alinéa 1er de l�’article 52 CF. Le

Code constitutionnel de Thierry Renoux et Michel de Villiers54 explique qu�’en ce qui concerne

l�’engagement international à procédure de conclusion longue, le dit « traité » dans la

Constitution de 1958, la signature ne suffit pas à créer l�’engagement. Il faut encore la

ratification et celle-ci est soumise à une autorisation préalable du Parlement réglée par l�’article

53 CF : « Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation

internationale, ceux qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui modifient des dispositions de nature législative,

ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne

peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi. Ils ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou

approuvés. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des

populations intéressées. » Bien sûr, l�’entrée définitive de l�’engagement ne prendra effet qu�’après la

publication au Journal Officiel de la République française du décret de promulgation signé par

le président de la République. Le Président n�’est pas le seul organe en jeu puisque les actes

relatifs au traité sont soumis au contreseing. Même s�’il n�’est pas exclu que le Président négocie

lui-même et signe le traité, la règle habituelle est que la signature du chef de l�’Etat n�’est

apposée qu�’à côté de celle de ses pairs. Or selon, une pratique quasi constante, la négociation,

close par la signature, est conduite au nom du chef de l�’Etat, ce qui justifie et souligne

l�’importance des lettres de pleins pouvoirs et de ratification.

Comme on l�’a vu, la ratification est relativement souvent soumise au Parlement en

raison de la matière du traité. A ce sujet, la Constitution roumaine est plus claire car elle

spécifie que le Parlement ratifie les traités internationaux, tandis que l�’article 52 CF stipule que

le Président négocie et ratifie les traités et que l�’article 53 CF prévoit que le Parlement doit

émettre une loi d�’approbation ou de ratification du traité pour les traités les plus importants.

54 « Code constitutionnel » T. S. Renoux et M. de Villiers, Paris, Litec, 5ème éd. p.473.

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La fonction de représentation de l�’Etat autant sur le plan intérieur qu�’extérieur est la

fonction « irréductible ». Dans les républiques semi-présidentielles citées en introduction, le

constat est unanime : le rôle du Président est purement représentatif. Il n�’est d�’ailleurs pas

dédaigné par les Présidents français successifs puisqu�’ils n�’ont jamais manqué dans les faits,

d�’affirmer leur prééminence dans la politique étrangère. Le président est aussi chargé de veiller

sur l�’intégrité de la Nation en la défendant contre toutes sortes d�’attaques contre sa

Constitution ou contre son territoire.

§2. La fonction de défense ou de garantie de certains principes constitutionnels

Comme la fonction de représentation, la fonction de défense ou de garantie de valeurs

se concrétise à travers diverses attributions ou des qualités attribuées au Président. Parmi

celles-ci, en France, figure au premier plan, au moins en théorie, l�’article 16 CF. En effet,

élément fondamental de la pensée gaullienne, la possibilité constitutionnelle de faire face à une

crise grave trouve son origine dans l�’analyse faite par le général De Gaulle de la défaite de

1940. Dans son discours de Bayeux, il envisage déjà quel doit être le rôle du chef de l�’Etat « s�’il

devait arriver que la Patrie fût en péril ». Cet article permet d�’instituer un type de « dictature

temporaire » à la romaine, caractérisée par l�’attribution légale à un seul homme de tous les

pouvoirs pour une durée limitée. On connaît l�’expérience roumaine de la dictature et à ce titre,

il est évident que cet article ait été repoussé. De façon générale, le président de la République,

tant en France qu�’en Roumanie se voit attribuer une fonction de protection des principes

républicains et du territoire (A) à travers une procédure constitutionnelle particulière (B).

A. La protection des principes républicains et du territoire

Cette fonction correspond à la défense de « l'indépendance nationale, de l'unité et de l'intégrité

territoriale du pays ». Il peut s�’agir d�’attaques extérieures contre l�’intégrité du territoire (1),

comme intérieures contre certains principes républicains (B).

1. La défense contre des attaques extérieures

L�’article 92 CR déclare le Président « commandant des forces armées » et, à ce titre, « il

remplit la fonction de Président du Conseil suprême de Défense du Pays » à l�’instar du président de la

République française qui est « le chef des armées » et qui « préside les conseils et les comités supérieurs de

la Défense Nationale. » (art. 15 CF). Les attributions du Président en matière de défense sont

assez détaillées, alors qu�’elles le sont beaucoup moins dans la Constitution de 1958. Faut-il y

voir la crainte d�’une agression étrangère précise ? Toujours est-il que l�’article 92 CR continue

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ainsi « (2) Il peut décréter, après autorisation préalable du Parlement, la mobilisation partielle ou totale des

forces armées. Dans des cas exceptionnels uniquement, la décision du Président est soumise ultérieurement à

l'approbation du Parlement, dans un délai maximum de cinq jours à compter de son adoption. (3) En cas

d'agression armée dirigée contre le pays, le Président de la Roumanie prend des mesures pour repousser

l'agression et en informe immédiatement le Parlement, par un message. Si le Parlement n'est pas en session, il

est convoqué de droit dans les vingt-quatre heures qui suivent le déclenchement de l'agression. (4) En cas de

mobilisation ou de guerre, le Parlement poursuit son activité pour toute la durée de ces états; s'il n'est pas en

session, il sera convoqué de droit dans les vingt-quatre heures qui suivent leur déclaration. » En France, faut-

il voir dans l�’article 16 la solution à toute situation mettant l�’Etat en danger ? Il est

certainement plus large mais contient cette éventualité. Toujours est-il que l�’article 20 CF

donne la disposition de la force armée au Gouvernement, même si le Président en est le chef.

Pour les deux Présidents, les actes qu�’ils peuvent être amenés à prendre en situation de

défense nationale sont contresignés par le Premier ministre. (Art. 100 CR et 19 CF). Il n�’est

pas seul à exercer ces prérogatives, il doit informer le Parlement, avant ou après selon le cas.

2. La prévention des périls intérieurs

La garantie de l�’intégrité et de l�’indépendance de la Roumanie n�’est pas seulement

confiée au Président, au Parlement et au Gouvernement, mais également à la Cour

Constitutionnelle, si on tient compte de certaines compétences attribuées dans le but de

protéger le pays contre des agressions internes. Ainsi selon l�’article 146 k) CR, la Cour « tranche

les contestations ayant pour objet la constitutionnalité d'un parti politique » et l�’article 40 al.2 CR indique

que « les partis ou les organisations qui, par leurs objectifs ou par leur activité, militent contre le pluralisme

politique, les principes de l'Etat de droit ou la souveraineté, l'intégrité ou l'indépendance de la Roumanie sont

inconstitutionnels. » En France, les partis sont peu réglementé55s, l�’introduction de l�’article 4 CF

est une innovation de 1958, d�’autant plus que les gaullistes étaient détracteurs du « régime des

partis », il dispose : « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du

suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes

de la souveraineté nationale et de la démocratie. Ils contribuent à la mise en oeuvre du

principe énoncé au dernier alinéa de l'article 3 dans les conditions déterminées par la loi56. »

L�’activité des partis n�’est limitée que par le respect des « principes de la souveraineté nationale

et de la démocratie », mais il est assuré notamment par la loi du 10 janvier 1936, qui interdit la

constitution de groupes de combat et de milices privées. Cette loi, adoptée en vue de disposer 55 Il faut mentionner l�’article 2 de la Déclaration des Droits de l�’Homme et du Citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l�’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l�’oppression. » 56 Alinéa ajouté par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, concernant la recherche d�’une plus grande égalité entre les hommes et les femmes.

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d�’armes juridiques à l�’encontre des « ligues » d�’extrême droite, a été complétée par les lois du

1er juillet 1972 (contre le racisme) et du 9 septembre 1986 (contre le terrorisme). Elle prévoit la

dissolution par décret de toute association ou groupement présentant le caractère d�’un groupe

de combat, appelant à des manifestations armées, tendant à attenter à la forme républicaine du

Gouvernement ou provoquant à la haine raciale. Yves Mény nous apprend que plusieurs

dizaines de partis se sont vus interdits depuis la Seconde guerre mondiale, pour lui « le procédé

reste choquant par son ampleur, comme par la faiblesse des garanties accordées (les décisions

du Conseil d�’Etat interviennent très tard et le contrôle reste limité), sans compter que son

efficacité demeure incertaine.57 »

D�’où vient cette disposition dans la Constitution roumaine, puisque aucun mécanisme

constitutionnel de contrôle n�’est prévu en France ? D�’une part, on peut y voir l�’influence des

autres démocraties puisque l�’Italie et l�’Allemagne, particulièrement, ont délimité le rôle et les

principes à respecter par les partis. L�’article 21-2 de la Loi fondamentale stipule : « Les partis

qui, d'après leurs buts ou d'après le comportement de leurs adhérents, tendent à porter atteinte

à l'ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou à le renverser, ou à mettre en péril

l'existence de la République fédérale d'Allemagne, sont inconstitutionnels. La Cour

constitutionnelle fédérale statue sur la question de l'inconstitutionnalité. » Sur la base de cette

disposition, le Gouvernement fédéral a sollicité l�’interdiction, de partis extrémistes à plusieurs

reprises avec succès. D�’autre part, on peut souligner l�’action et l�’influence française (de façon

positive ou négative ?) dans l�’élaboration de la Constitution. En effet, MM. Muraru et

Constantinescu attribuent à la participation de groupes politiques français, dont le RPR et M.

J. Chirac la présence ou l�’absence de dispositions constitutionnelles. Il est intéressant de voir

que ces français ont agit en faveur de la « suppression de l�’interdiction des partis sur un critère

exclusivement ethnique ou religieux ». Ceci afin « d�’effectuer un éloignement plus net des

conceptions constitutionnelles antérieures, de type collectiviste et étatistes, ainsi qu�’une

affirmation plus importante des principes de démocratie, axées en priorité sur les droits de

l�’homme, les libertés individuelles et les garanties de l�’Etat de droit. »58 Certainement, cette

suppression visait à prévenir des tendances de protection par rapport aux nombreuses

minorités se trouvant vivant sur le sol roumain. Il en résulte que la Constitution roumaine est

très avancée sur le droit des minorités.

L�’intégrité territoriale peut faire l�’objet d�’une menace venant de l�’intérieur du pays. En

effet, comme le souligne le professeur Conac, « dans une conception plus jacobine, des

mesures très poussées de décentralisation politique pourraient être assimilées à des atteintes à

57 « Politique comparée �– Les démocraties » Y. Mény, Y. Surel, Paris, Montchrestien, 7ème éd. p.78. 58 « Influen e franceze în elaborea Constitu iei României din anul 1991 ». Op. cit. p.53.

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l�’intégrité territoriale »59. Dans le cas où le Président soutiendrait une incompatibilité d�’un

projet de loi avec le principe d�’indivisibilité de la République (art. 1er CF), il devrait alors

mettre en �œuvre ses prérogatives par rapport à la protection constitutionnelle.

B. La procédure constitutionnelle de protection

« Le président de la République veille au respect de la Constitution. » Mot pour mot la

même formulation entre les deux constitutions : après ce constat, il s�’agit d�’examiner si les

deux articles recouvrent la même réalité, les attributions offertes au Président dans l�’exercice

de cette fonction de défense ou de garantie des valeurs constitutionnelles. Il faut remarquer

qu�’il n�’est pas le seul à « veiller » sur la Constitution. Il les exerce ces prérogatives en

collaboration avec les autres pouvoirs, effectuant ainsi un contrôle réciproque.

Les attributions du Président sont de deux types : prévenir l�’atteinte à la Constitution

en saisissant l�’organe constitutionnel à propos des engagements internationaux et des lois ou

grâce à d�’autres attributions plus politiques (1) ainsi que possibilité de proposer une révision

de la Constitution(2).

1. La prévention d�’atteintes à la Constitution

Selon l�’article 146 a) CR, sur saisine du Président de la Roumanie, mais aussi celle du

Président de l'une des Chambres, du Gouvernement, de la Haute Cour de Cassation et de

Justice, de l'avocat du peuple, de cinquante députés au moins ou de vingt-cinq sénateurs au

moins, la Cour Constitutionnelle60 se prononce sur la constitutionnalité des lois, avant leur

promulgation. Le Président saisit la Cour à l�’occasion de la promulgation de la loi. De même

pour le Conseil constitutionnel, qui se prononce sur la conformité à la Constitution des lois,

avant leur promulgation, sur saisine du président de la République, du Premier ministre, du

Président de l'Assemblée Nationale, du Président du Sénat ou de soixante députés ou soixante

sénateurs (art. 61 CF).

En ce qui concerne la conformité d�’une convention internationale à la Constitution,

notons que le Président de la Roumanie n�’a pas la faculté de saisir la Cour. A contrario, l�’article

54 CF prévoit que le Président français peut saisir le Conseil constitutionnel à propos de la

conformité des clauses d�’un engagement international à la Constitution. L�’omission du texte

roumain peut paraître logique, puisque le Président conclut les traités internationaux (art. 91

CR), veillant sur la Constitution, on suppose qu�’il ne la mettra pas en danger, ou en tous cas, il

ne saisira pas la Cour Constitutionnelle à ce propos. Ce sont alors les autres acteurs qui sont

59 « La Constitution de la République française », commentaire de l�’article 5, op. cit. p.250. 60 La composition de la Cour Constitutionnelle est identique en France et en Roumanie : le président de la République nomme trois des neufs juges de l�’organe constitutionnel (Art. 142 al.3 CR & art. 56 CF).

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chargés d�’être vigilants (le Président de l'une des deux Chambres, cinquante députés au moins

ou vingt-cinq sénateurs au moins �– art. 146 b) CR.)

Le Président dispose également des moyens d�’action politique qui lui sont reconnus

expressément par la Constitution elle-même. Pour prévenir ou dénoncer les atteintes à la

Constitution, le Président peut s�’adresser au Gouvernement, au Parlement (art. 65 a) CR et

art. 18 CF). S�’il n�’était pas entendu, il pourrait alerter l�’opinion publique, en s�’adressant à la

Nation (art. 88 CR et art. 16 CF mais seulement si les conditions sont respectées) En dehors

de toute prérogative confiée par la Constitution, ce moyen fut très utilisé par le général De

Gaulle, qui communiquait avec la Nation à travers ses conférences de presse, avant même

d�’être le Président61. Lui-même les définissait ainsi, le 9 septembre 1965 : « C�’est ainsi, en effet,

que la Nation peut connaître en personne l�’homme qui est à sa tête, discerner les liens qui

l�’unissent à lui, être au fait de ses idées, de ses actes, de ses projets, de ses soucis, de ses

espoirs. Et c�’est ainsi, en même temps, que le chef de l�’Etat a l�’occasion de faire sentir aux

Français, quelles que soient leurs régions et leurs catégories, qu�’ils sont tous au même titre les

citoyens d�’un seul et même pays, de connaître, en allant sur place, où en sont les âmes et les

choses, enfin d�’éprouver, au milieu de ses compatriotes, à quoi l�’obligent leurs

encouragements. » Sur proposition du Premier ministre, il pourrait, enfin, déclancher une

procédure de révision comme nous l�’étudions au point suivant. Nous examinerons l�’effectivité

de ce contrôle ultérieurement.

2. La révision de la Constitution

Le pouvoir d�’initiative du Président relative à la révision de la Constitution suppose

une proposition initiale du Premier ministre tant en France qu�’en Roumanie (art. 89 CF et art.

150 CR). Il s�’exerce en France sous la forme d�’un décret contresigné (art. 19 CF) désignant

l�’assemblée devant laquelle le projet est déposé et le ministre, (le Premier ministre en 1973, le

Garde des Sceaux par la suite), chargé de le défendre devant les chambres62. En Roumanie, en

revanche, l�’article 100 CR ne mentionne pas l�’acte d�’initiative de révision au nombre des actes

devant être contresignés, cependant, le rôle du Président se borne à l�’initiative, l�’approbation

se faisant par référendum (art. 151 al.3 CR). En revanche, en France, le Président décide la

modalité de l�’approbation définitive de la révision.

Les deux voies du référendum et du Congrès sont exclusives l�’une de l�’autre : le peuple

n�’est pas la juridiction d�’appel du Congrès en cas de vote négatif de ce dernier. Cependant, en

1992, le président de la République n�’exclut pas de recourir au référendum dans l�’hypothèse

61 De 1958 à 1965 : trente allocutions radiotélévisées, douze conférences de presse, trente-six discours solennels ! 62 « Droit parlementaire » P. Avril, J. Gicquel, Paris, Montchrestien, 3ème éd. p.229.

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où la procédure parlementaire de révision n�’aboutirait pas : s�’agissant de la révision

constitutionnelle, F. Mitterrand estime, le 1er mai, « que c�’est un travail technique et juridique assez

complexe. Voilà pourquoi je pense que la voie parlementaire est la meilleure (Le monde 4/3-5) »63. Il

n�’écarte pas le recours à l�’article 11 CF, en tant que de besoin : « Je serai obligé de m�’adresser à

l�’ensemble des Français pour trancher�… en cas de mauvais vouloir constaté (ibid.) »64. Michel Debré

soutient devant le Congrès, en 1963, que le Congrès ne doit être saisi que des projets

d�’aménagement technique, les questions fondamentales étant soumises au référendum, mais la

pratique montre, jusqu�’au référendum du 24 septembre 2000 pour approuver l�’institution du

quinquennat, que l�’intervention populaire est systématiquement éliminée (sauf à solliciter

directement le peuple dans le cadre de l�’article 11 CF).65

Il intéressant d�’observer rapidement une nouvelle divergence à propos du contrôle

constitutionnel sur les lois de révisions de la Constitution. Alors que la Cour Constitutionnelle

de Roumanie peut se prononcer d�’office sur la loi de révision constitutionnelle (art. 146 a)

CR), le Conseil se déclare incompétent. Il affirme en 1992, comme en 196266, qu�’une loi

adoptée par référendum constitue l�’expression directe de la souveraineté nationale67. Par sa

décision du 26 mars 200368, le Conseil constitutionnel décline sa compétence pour examiner la

loi de révision approuvée par le Congrès, relative à l�’organisation décentralisée de la

République, au motif que « l�’article 61 de la Constitution donne au Conseil constitutionnel mission

d�’apprécier la conformité à la Constitution, des ois organiques et, lorsqu�’elles lui sont déférées dans les

conditions fixées par cet article, les lois ordinaires ; que le Conseil constitutionnel ne tient ni de l�’article 61, ni

de l�’article 89, ni d�’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision

constitutionnelle ». Le Conseil constitutionnel précise tout de même dans sa décision n° 99-410

DC du 15 mars 1999 (Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie) que le pouvoir

constituant s�’exerce « sous réserve des prescriptions des articles 7, 16 et 89 de la Constitution. »

Cependant qui vérifiera que les limites de la révision ne sont pas dépassées ? En effet,

certaines dispositions des Constitution française et roumaine « ne peuvent faire l�’objet d�’une

révision ». Une limite temporelle est fixée par l�’article 7 CF qui interdit toute révision pendant la

63 « Chronique constitutionnelle française » P. Avril, J. Gicquel in Revue Pouvoirs « Campagne électorale » n°63, p.182. 64 Idem. 65 Intervention de M. Debré citée par le Code Constitutionnel, op. cit. p.473. 66 Décision n° 62-20 du 6 novembre 1962, sur la loi relative à l'élection du président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962. La Cour se déclare incompétente pour apprécier le fait que le général De Gaulle fasse adopter une révision de la Constitution par l�’intermédiaire de l�’article 11 CF au lieu de l�’article 89 CF. De même, en 1969, le général De Gaulle souhaite passer par-dessus le Sénat pour faire adopter la révision qui tend à limiter leurs pouvoirs, en utilisant la procédure de l�’article 11 CF plutôt que celle de l�’article 89 CF. 67 Décision n°92-313DC du 23 septembre 1992, cf. « Les Grandes Décisions du Conseil Constitutionnel », L. Favoreu, L. Philip, Paris, Dalloz, 2003, nos 14 et 45. 68 Décision n°2003-469DC du 26 mars 2003, cf. GDCC op. cit. n°53.

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vacance du Président, tandis que la Constitution roumaine empêche toute modification

« pendant la durée de l'état de siège ou de l'état d'urgence, ni en temps de guerre. » L�’intégrité du territoire

et la forme républicaine du Gouvernement69 sont intangibles en vertu des alinéas 4 et 5 de

l�’article 89 CF et de l�’article 152 (1) CR. La Constitution roumaine complète la liste des

limites de la révision : celle-ci ne peut porter ni sur « le caractère national, indépendant, unitaire et

indivisible de l'Etat roumain » ni sur « l'indépendance de la justice, le pluralisme politique et la langue

officielle ». De même, « aucune révision ne peut être réalisée qui aurait pour résultat la suppression des droits

fondamentaux et des libertés fondamentales des citoyens, ou de leurs garanties » (art. 152 (2) CR).

Ainsi qu�’il sera examiné plus loin, cette fonction de protection et de garantie de

certaines valeurs fondamentales, particulièrement dans sa dimension constitutionnelle est en

pleine mutation. Cette dernière se distingue parfois mal de la fonction d�’arbitrage ou de

médiation étudiée dans ce dernier paragraphe.

§3. La fonction de médiation ou d�’arbitrage

« Le bon fonctionnement des autorités publiques » est le but que doit poursuivre le président

de la République aussi bien en France qu�’en Roumanie. A ce titre, la Constitution lui confère

le rôle de « médiateur » ou d�’ « arbitre ». Encore aujourd�’hui on peut se demander quelle est la

portée d�’un tel rôle, pièce centrale de l�’article 5 de la Constitution française. Paul Reynaud,

Président du Comité consultatif constitutionnel, reconnaîtra en 1964, qu�’il s�’est laissé

convaincre trop facilement par les réponses du général De Gaulle relatives à la signification de

l�’article 5, mais il reste persuadé que les définitions contenues dans l�’article 5 ne conféraient

pas de véritables pouvoirs. Elles se bornaient, d�’après lui, à assigner au président des devoirs.

Il ne s�’agissait donc que de clauses « honoris causa », sans portée juridique.70 En même temps,

comme le souligne Gérard Conac, la préoccupation du général « n�’était pas d�’agrémenter la

Constitution d�’une clause de style visant à embellir la fonction présidentielle, mais de faire reconnaître au chef de

l�’Etat un rôle beaucoup plus important que celui qui résultait de la tradition constitutionnelle. Investi de la

mission de maîtriser les situations difficiles ou imprévisibles, le président devait bénéficier de tous les pouvoirs

nécessaires pour assurer les responsabilités qui lui étaient conférées par la Constitution. »71 La première

69 Selon Simon-Louis Formery, en France, « l�’origine de cette disposition se trouve dans la loi constitutionnelle du 14 août 1884. A l�’époque, il s�’agissait de prévenir une restauration monarchique ; le maintien de cette interdiction en 1958 répond sans doute davantage au risque de dictature, qui a plus particulièrement menacé les régimes européens au XXe siècle. (�…) La même interdiction n�’a pas empêché l�’intervention de la révision de 1940, qui transformait le régime en un « Etat français » dépouillé de toute référence à la République. » Op. cit. p.153. 70 « Et après ? » Paul Reynaud, Paris, Plon, 1974, cité in « La constitution de la république française », op. cit. p.235. 71 Idem p.235.

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question à résoudre est celle de savoir si les deux termes peuvent être employés comme

synonymes (A) avant d�’étudier les attributions de cette fonction (B).

A. Etude sémantique autour de « médiation » et d�’ « arbitrage »

Le syntagme « médiation » utilisé dans la Constitution roumaine « Le Président de la

Roumanie veille (�…) au bon fonctionnement des autorités publiques. Dans ce but, le Président exerce la

fonction de médiation entre les pouvoirs de l'Etat, ainsi qu'entre l'Etat et la société. » rappelle assurément

celui d�’ « arbitrage » concernant le président de la République française. Ce terme fait l�’objet de

plusieurs interprétations en France (1) mais ne sera pas retenu par les constituants roumains

(2).

1. Les diverses interprétations françaises

Le « Vocabulaire juridique » du professeur Cornu définit la médiation à partir des

termes latins mediatio : entremise, de mediare : s�’interposer. En un sens générique, le médiateur

est celui « auquel les parties à un conflit demandent de proposer la solution de leur différend, sans cependant

être investi du pouvoir (juridictionnel) de l�’imposer, à la différence de l�’arbitre (lequel est juge). Plus vaguement,

celui qui est choisi par les intéressés seuls ou par le juge avec leur accord, intervient à toutes fins pacificatrices

pour tempérer le conflit si celui-ci ne peut être résolu, et inciter les intéressés, à défaut de règlement global, à

chercher au moins à cerner les points de désaccord. » En revanche, l�’arbitre est la « personne investie par

une convention d�’arbitrage de la mission de trancher un litige déterminé et qui exerce ainsi, en vertu d�’une

investiture conventionnelle, un pouvoir juridictionnel. » Nous tirons la conclusion de ces courtes

définitions qu�’aucun terme n�’a de sens prédéterminé en droit constitutionnel et par

conséquent, que les auteurs de la Constitution ont entendu donner une signification propre à

leur utilisation particulière. D�’ailleurs, devant la critique que le mot « arbitrage » n�’était pas

employé dans le sens classique, M. Raymond Janot répond devant l�’Assemblée Générale du

Conseil d�’Etat du 27 août 1958, que « si la Constitution est capable de créer une nouvelle institution, elle

est capable aussi de créer des concepts juridiques et, précisément, ce concept que nous voudrions créer par ce

texte. »72

Il est nécessaire de se pencher dans l�’histoire de la constitution de 1958, de voir

comment et pourquoi ce « nouveau concept » a été mis en place. Dès le discours de Bayeux, le

général De Gaulle explique que « tous les principes et toutes les expériences exigent (�…) qu�’au-dessus des

contingences politiques, soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au-dessus des

combinaisons. » Selon G. Conac, l�’article 5 CF est destiné à donner une solution au problème de

la légitimité du pouvoir. Une des raisons du choix d�’un article aussi « doctrinal », donnant les

72 « Documents pour servir à l�’histoire de l�’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 », Paris, La documentation Française, 1991, Vol. III Du Conseil d�’Etat au Référendum 20 août 1958 �– 28 septembre 1958, p.302.

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finalités du rôle du Président, est de conférer une légitimité que l�’élection au suffrage universel

indirect ne donnait pas. « Il y avait disproportion entre l�’étendue de ses pouvoirs et le caractère étriqué de

son mode de désignation. Par compensation, il fallait mettre l�’accent sur les finalités qui étaient assignées à

l�’institution. »73 Ecoutons Raymond Janot, qui répondant à une question de Jean Ferniot,

journaliste de France Soir, le 5 septembre 1958, explique : « Il était indispensable qu�’une autorité supérieure fût chargée d�’assurer le fonctionnement du

régime parlementaire. Pour que cela soit possible, que faut-il ? Il faut que cette autorité, élue

par un collège électoral assez vaste, ait une mission d�’arbitre au sens fort. Il y a deux

conceptions de l�’arbitre : il y a la conception négative et traditionnelle dans laquelle l�’arbitre est

une sorte de miroir qui reçoit la lumière de la vie politique et qui se contente d�’user d�’une

autorité morale qui est d�’ailleurs incontestable et qui, dans certains cas, rend les plus grands

services. Mais l�’arbitre que conçoit la Constitution, c�’est plus que cela ; c�’est d�’abord quelqu�’un

qui, par son autorité morale et sa présence dans un Conseil des ministres, joue ce rôle

traditionnel. C�’est ensuite quelqu�’un qui prend lui-même, sans contreseing, un certain nombre

de décisions qui sont sa chose propre et dans des cas précis, déterminés par la Constitution.

Ces décisions, il les prend pour assurer précisément le fonctionnement des pouvoirs publics

dans un régime parlementaire. »74

Il avait rajouté devant la Commission constitutionnelle du Conseil d�’Etat « L�’arbitrage

du président de la République, comment va-t-il jouer ? De trois façons : d�’abord dans le fonctionnement des

institutions, en vertu de l�’autorité morale qu�’il représente ; ensuite, par un certain nombre d�’actes qui sont sa

chose propre sans contreseing ; enfin, il joue dans les cas particulièrement graves, grâce aux dispositions de

l�’article [16]. C�’est cela que veut dire le mot « arbitrage » de cette Constitution. »75 La Constitution a donc

été écrite dans l�’intention de doter la France d�’un pouvoir supérieur qui puisse trancher des

conflits mais aussi participer à la résolution par une implication personnelle. La critique de G.

Burdeau est une bonne transition pour passer à la Roumanie. Il dénonce l�’ambiguïté du terme

« arbitre » car « le mot arbitre peut être pris dans un sens faible ou dans un sens fort. Au sens faible, arbitrer,

c�’est veiller à la régularité d�’une compétition sans y participer soi-même, comme le fait par exemple un arbitre

sportif. Au sens fort, c�’est user de son autorité pour concilier des intérêts opposés ou même décider

souverainement de quelque chose. L�’idée d�’arbitrage peut donc servir à justifier des conceptions différentes et

même opposées du rôle du président de la République : si l�’on choisit le sens faible, le chef de l�’Etat doit

s�’abstenir de participer lui-même à la décision politique (�…) ; il doit seulement veiller à ce que le Parlement et

le Gouvernement respectent bien la lettre et l�’esprit de la Constitution ; si l�’on privilégie au contraire le sens fort,

73 « La constitution de la République française », op. cit. p.131. 74 « Documents pour servir à l�’histoire de l�’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 », op. cit. Vol. IV Commentaires sur la Constitution (1958-1959), p.4. 75 « Documents pour servir à l�’histoire de l�’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 », op. cit. Vol. III, p.54.

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le Président ne se borne pas à faire respecter la règle du jeu, il fixe lui-même les grandes orientations de la

politique nationale et tranche en dernier ressort les affaires importantes. »76.

2. Le choix délibéré d�’utiliser un terme distinct pour le Président roumain

L�’élaboration de la Constitution roumaine se fait plus de trente ans après celle de 1958

et les auteurs disposent de plus de recul sur le texte et particulièrement sur ces dispositions,

qui se sont révélées dans le temps. Et précisément, ils ont choisi de ne pas entrer dans le débat

et de choisir le terme de « médiation ». « L�’odyssée de l�’élaboration de la Constitution »

n�’évoque pas de controverses particulières sur le terme et la proposition a été votée à plus de

75% des voix des parlementaires présents. Un député souligne toutefois l�’incohérence entre le

fait que le Président représente l�’Etat et qu�’il soit médiateur entre l�’Etat et la société. Il n�’est

pas entendu par l�’Assemblée constituante.77 Il est intéressant de noter, qu�’afin d�’expliquer un

tel choix, les auteurs font appel à la doctrine française.

Pour le professeur Genoveva Vrabie, « ce rôle [de médiateur] revient au Président, en sa

qualité de représentant de l�’Etat et non pas en sa qualité d�’organe de l�’exécutif. Il ne peut pas être exercé de

l�’intérieur des organes de l�’Etat. En qualité de « médiateur », le Président se détache, dans un certain sens, de

toutes les autres autorités. »78 Il s�’agit comme précisait G. Burdeau, « d�’un pouvoir qui n�’est pas de même

nature que celui qui est mis en �œuvre par les autres organes de la République. »79 Confier une fonction de

ce type au Président est justifiée par le fait que celui-ci personnifie le pouvoir, la continuité des

pouvoir de l�’Etat, ainsi que par le fait que, à la différence de l�’autorité législative et de celle

Gouvernementale, qui fonctionnent « en utilisant l�’énergie fournie par les partis »80, il n�’est pas

exposé ou le promoteur des aspirations d�’un quelconque parti81. Enfin, la légitimité de ce rôle

est donnée par le fait que le Président est le représentant du peuple, élu par suffrage universel,

égal, direct et librement exprimé. De ce qui précède, nous déduisons donc que l�’intention

présidant à l�’adoption du terme d�’ « arbitre » ou de « médiateur » est différente. Sans doute, le

constituant roumain a-t-il voulu reprendre la symbolique du chef « au-dessus des contingences

politiques » mais en lui confiant des pouvoirs plus limités de façon à ce qu�’il ne puisse pas

déborder de son rôle neutre.

76 « Droit constitutionnel » F. Hamon, M. Troper, G. Burdeau, Paris, LGDJ, 27ème éd. p.557. 77 Pour approfondir l�’adoption de ces dispositions, se reporter à l�’ouvrage déjà cité du professeur et sénateur Iorgovan, « Odiseea elabor rii Constitu iei ». 78 « Le rôle et les fonctions du Président de la Roumanie » G. Vrabie, op. cit. p. 79. 79 « Droit constitutionnel et institutions politiques » G. Burdeau, Paris, LGDJ, 20ème éd. p. 510 80 Idem. 81 L�’alinéa 1 de l�’article 84 CR stipule que « pendant la durée du mandat, le Président de la Roumanie ne peut être membre d'aucun parti et ne peut exercer aucune autre fonction publique ou privée. ». Une telle disposition est absente du texte fondamental français, mais il ressort clairement de la conception gaulliste que « le Président est au-dessus des partis ».

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B. Les attributions de la fonction de médiation ou d�’arbitrage

Le constat que les deux termes ne sont pas employés dans la même intention ne doit

pas nous empêcher d�’examiner quels sont les moyens mis à la disposition du chef de l�’Etat

pour remplir la fonction de « médiateur » ou « d�’arbitre ». L�’étude de cette fonction mène à

balayer l�’ensemble des attributions confiées au Président vis-à-vis de l�’exécutif et du Peuple

d�’une part (1) et envers le Parlement et la Constitution d�’autre part (2).

1. Les attributions vis-à-vis du Gouvernement et du Peuple

Le premier moyen pour réaliser « le bon fonctionnement » ou « le fonctionnement régulier » est

une réglementation adéquate de l�’organisation et du fonctionnement des organes de l�’Etat, le

rapport entre eux et, par-dessus tout les moyens dont dispose chaque autorité pour contrôler

l�’activité de l�’autre. Au cours des débats de la Commission Constitutionnelle du Conseil d�’Etat,

le 25 et 26 août 1958, le Président Latournerie faisait remarquer : « La notion d�’arbitrage s�’applique

plus directement au fonctionnement des Pouvoirs publics qu�’à la continuité de l�’Etat. (�…) Autrement dit, la

notion d�’arbitrage s�’applique non pas à des conflits mais à des difficultés de fonctionnement du Gouvernement

ou de l�’autorité publique. On ne voit pas qu�’elle s�’applique directement à la continuité de l�’Etat. »82 Le

Président dispose donc, en sa qualité d�’arbitre de moyens destinés à « mettre de l�’huile dans les

rouages » de la vie institutionnelle. Il est intéressant de constater que ce rôle semble glisser du

président de la République vers la Cour Constitutionnelle. Nous l�’étudierons plus en détail

ultérieurement, mais il intéressant d�’évoquer ici la dernière modification de la Constitution

roumaine déjà citée, qui rajoute une compétence à la Cour dans l�’alinéa e) de l�’article 146 CR :

« elle statue sur les conflits juridiques de nature constitutionnelle entre les autorités publiques, sur demande du

Président de la Roumanie, du président de l'une des deux Chambres, du Premier ministre ou du président du

Conseil supérieur de la Magistrature ». Nous y reviendrons par la suite.

Continuons notre énumération des attributions relative à la médiation ou l�’arbitrage :

le Président peut nommer le Premier ministre issu de la majorité parlementaire (art. 85 CR et

art. 8 CF.) La France a aboli le contrôle du Parlement sur le choix du chef du Gouvernement,

ayant une trop mauvaise expérience des républiques précédentes. A l�’inverse la Roumanie a

établi une investiture du Gouvernement et, nous le verrons, a renforcé le contrôle

parlementaire sur le remaniement Gouvernemental. Depuis le nouvel alinéa 2 de l�’article 107

CR, le Président ne peut plus même songer à révoquer son Premier ministre. Il a tout de

même un pouvoir d�’appréciation relativement grand lorsque la majorité parlementaire est de

son côté.

82 « Documents pour servir à l�’histoire de l�’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 », op. cit. Vol. III, p.54.

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Une autre compétence dont on se demande si elle permet vraiment à l�’arbitre de se

trouver « au dessus des contingences politiques », au moins dans la Constitution française, est la

participation au Conseil des Ministres. Le constituant roumain a dû estimer que ce n�’était pas

le cas puisque la Constitution roumaine ne le prévoit pas. Elle dispose plus strictement : « (1)

Le Président de la Roumanie peut participer aux réunions du Gouvernement au cours desquelles sont discutés

les problèmes d'intérêt national portant sur la politique extérieure, la défense du pays, la protection de l'ordre

public et, sur demande du Premier ministre, en d'autres situations. (2) Le Président de la Roumanie préside les

réunions du Gouvernement auxquelles il participe. » Le fait que le Président ne préside pas les

réunions des ministres fera l�’objet d�’un examen plus approfondi ultérieurement.

Un outil essentiel dans l�’arsenal juridique à la disposition du président de la République

est son pouvoir réglementaire. L�’article 100 CR envisage l�’adoption de décrets dans l�’exercice

des attributions présidentielles. L�’article 13 CF est plus précis car il s�’agit des « ordonnances et les

décrets délibérés en Conseil des Ministres. » Il est intéressant de noter que la Constitution roumaine

prévoit le contreseing de certains décrets (art 100 al.2 CR) alors que la Constitution française

prévoit ceux qui ne sont pas contresignés, les confinant par là dans le domaine de

l�’exceptionnel. (art 19 CF).

Enfin, le Président peut exercer son pouvoir d�’arbitrage ou de médiation en

demandant au peuple de s�’exprimer par référendum. Le champs du référendum est délimité

par l�’article 90 CR au « sujet des problèmes d'intérêt national » roumain et plus largement, en France,

par l�’article 11 CF à « tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes

relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à

autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le

fonctionnement des institutions. » Le Président n�’a pas officiellement l�’initiative, celle-ci vient du

Gouvernement ou des assemblées.

2. Le contrôle sur le Parlement et la Constitution

A ce titre, le Président de la Roumanie peut convoquer la Chambre des députés et le

Sénat en session extraordinaire (art. 66 al.2 CR) tandis qu�’en vertu des articles 29 et 30 CF, le

chef de l�’Etat français n�’a pas l�’initiative de réunir les parlementaires en session extraordinaire,

mais seulement de contrôler l�’initiative du Premier ministre. Dans la pratique, les Présidents

successifs ont opposé un véritable droit de veto à l�’action Gouvernementale en la matière. Le

général De Gaulle refuse d�’ouvrir une session extraordinaire demandée par la majorité des

députés le 18 mars 1960. Le Président Mitterrand refusera de signer la convocation du

Parlement demandée par le Premier ministre, M. Jacques Chirac, en précisant que les

compétences de décider de la convocation d�’une session extraordinaire et d�’en fixer l�’ordre du

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jour « relèvent de la seule responsabilité et de la seule appréciation du président de la République », ce qui est

une interprétation très « présidentielle » de l�’article 29 CF, qui ne cite même pas le chef de

l�’Etat, et alors même que le décret de convocation ne fait pas partie des actes présidentiels

dispensés du contreseing par l�’article 19 CF83.

En vertu des articles 88 CR et 18 CF, le Président peut transmettre un message au

Parlement, sur tout domaine en France mais « sur les principaux problèmes politiques de la nation »

en Roumanie. Pourquoi avoir restreint le sujet des messages par une telle précision, qui est

plus qu�’évidente ?

Le Président peut solliciter le Parlement aux fins de réexamen de la loi avant la

promulgation de celle-ci ; l�’article 77 al.2 CR précise, à la différence de l�’article 10 al.2 CF que

le Président ne peut le faire qu�’une seule fois.

Le chef de l�’Etat peut saisir la Cour constitutionnelle avant la promulgation d�’une loi

(art. 146 a) CR & art. 61 al.2 CF).

Instrument essentiel dans la fonction d�’arbitre ou de médiateur (avec les nuances que

nous examinerons dans le paragraphe suivant), le droit de dissolution doit permettre au

Président de dépasser les crises, idéalement, en tant qu�’arbitre au dessus des partis, en faisant

appel au peuple. Celui-ci doit clarifier, renforcer ou renverser une position divergente entre le

Parlement, le Gouvernement et le Président. En France, le droit de dissolution est un pouvoir

propre du Président (art 19 CF), alors qu�’en Roumanie, la dissolution est conditionnée84 par le

refus d�’investiture du Parlement d�’un nouveau Gouvernement dû au début du mandat

présidentiel ou à un remaniement Gouvernemental et par des délais. Bien que nous

l�’étudierons plus bas, nous ne pouvons pas ne pas nous demander d�’ores et déjà quelle sorte

de droit de dissolution est-ce que celui-ci, de quelle marge de man�œuvre le Président dispose-

t-il et dans quelle mesure cela lui permet-il de mettre en �œuvre sa fonction de médiateur au-

dessus des partis ?

Enfin, le Président peut décider d�’initier une révision de la Constitution sur

proposition du Gouvernement (art. 150 CR & art. 89 CF).

Cette dernière fonction, l�’arbitrage, la plus novatrice de l�’article 5 de la Constitution de

la Ve République. Pour conclure, signalons qu�’un tel article, dans toute sa dimension �– c'est-à-

dire avec cette fonction de médiateur ou d�’arbitre �–, n�’est présent qu�’en Roumanie. De toutes

les républiques semi-présidentielles de l�’Union Européenne à vingt-cinq, seuls la Pologne et le

83 « Chronique constitutionnelle française » P. Avril, J. Gicquel in Revue Pouvoirs « L�’URSS de Gorbatchev » n° 45 p. 176. 84 La dissolution est conditionnée mais pas automatique, le Président « peut » dissoudre, selon les terme de l�’article 89 CR.

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Portugal disposent d�’une « définition » du rôle du président de la République élu au suffrage

universel, de même la Croatie et la Bulgarie.

II. UN PRESIDENTIALISME ANCRE DANS LA TRADITION PARLEMENTAIRE

Dès 1866, le Gouvernement parlementaire est instauré en Roumanie. Deux

caractéristiques peuvent le définir : un Gouvernement responsable devant l�’Assemblée élue et

en retour, la possibilité pour le Gouvernement de dissoudre l�’Assemblée élue. Le régime

exemplaire est la Grande Bretagne, mais le modèle de la Constitution roumaine est celui de la

Charte de 1830 octroyée par le roi des français, Louis-Philippe. Cette dernière est également

une source d�’inspiration pour la Constitution belge de 1831 qui influencera de nombreux Etats

européens dans la rédaction de leurs textes fondamentaux au XIXe siècle. La responsabilité

ministérielle devant le Parlement n�’y est pas toujours explicitement en droit même si utilisée en

fait. L�’article 12 de la Charte de 1830 dispose que « La personne du roi est inviolable et sacrée. Ses

ministres sont responsables. » On sait pourtant que la période de la seconde restauration voit

émerger la responsabilité politique du Gouvernement devant l�’Assemblée. La Constitution de

1848 est très claire puisque à deux reprises elle établit un lien exclusif entre le président de la

République et les ministres.85 C�’est seulement avec l�’article 6 de la loi constitutionnelle de 1875

qu�’est affirmé : « Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale

du Gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. » On connaît aussi les tentatives de

détournement dualiste de cette responsabilité par le maréchal Mac Mahon et les conséquences

« néfastes » pour la présidence jusqu�’à la Ve République. La Constitution roumaine de 1923

n�’est pas très clairement parlementaire car il y a une double responsabilité devant le monarque

et devant le Parlement.

Le Président dans un régime parlementaire est réduit à une place symbolique, désigné

la plupart du temps par l�’Assemblée lorsqu�’il n�’est pas un monarque héréditaire.

Sur cette base parlementaire, plus ou moins interrompue par des périodes de pouvoir

personnel, les Constitutions de 1958 et 1991 se sont construites en références ou en

opposition avec le modèle évoqué.

D�’une part, le Président occupe une place considérable par rapport à un chef de l�’Etat

dans un régime traditionnel classique, il est certain, de par son mode d�’élection mais son

autonomie par rapport au Parlement n�’est pas totale (A), d�’autre part, les relations 85 Article 13 de la Constitution de 1848 : « Les ministres ne dépendent que du Chef de l'État ; ils ne sont responsables que, chacun en ce qui le concerne, des actes du Gouvernement ; il n'y a point de solidarité entre eux ; ils ne peuvent être mis en accusation que par le Sénat. » Article 64 de la même Constitution : « Le président de la République nomme et révoque les ministres. »

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institutionnelles entre le Président et le Gouvernement peuvent varier énormément selon que

la nomination est discrétionnaire ou conditionnée et que le Président préside

systématiquement les réunions de ministre ou non (B). Enfin, si le but avoué de la

Constitution de la Ve République est d�’en finir avec la toute puissance parlementaire, il n�’est

rien de moins sûr en ce qui concerne la Roumanie (C).

§1. Les caractéristiques du mandat

Le mandat est une « mission que les citoyens confient à certains d�’entre eux d�’exercer le pouvoir en

leur nom et pour leur compte. En régime démocratique, le mandat politique procède de l�’élection »86. Le

mandat présidentiel est un élément essentiel dans le système complexe d�’une organisation

politique. En effet, la légitimité d�’un Président est toute différente vis-à-vis du Peuple, et donc

face au Parlement, s�’il est élu par les membres parlementaires ou par un collège élargi ou

encore au suffrage universel. Le mode d�’élection est donc capital pour l�’autonomie dont jouira

le président de la République (B). L�’influence de la durée du mandat et de son caractère

renouvelable ou non est plus subtile car on ne peut mesurer les effets à l�’avance (A).

A. La durée et le caractère renouvelable du mandat

Quatre, cinq, sept ans ? Nous examinerons ici les dispositions originelles des

Constitutions de Roumanie et de France relatives tant à la durée (1) qu�’au nombre de fois

qu�’une même personne peut assumer ce mandat (2).

1. La durée du mandat

En France, l�’article 6 CF opte pour une durée de sept ans avant que le référendum du

24 septembre 2000 approuvant le projet de réforme constitutionnelle, ne le raccourcisse à cinq

ans. On étudiera ici l�’historique du septennat en France, le passage au quinquennat faisant

l�’objet d�’un examen spécifique plus loin.

L�’avènement du septennat résulte de l�’histoire des institutions dès la IIIe République.

Le général Mac-Mahon succède à Thiers en attendant de pouvoir mettre sur le trône un

monarque. La question de la durée de son mandat se posant, il faut adopter une loi. Le général

Mac-Mahon déclare à l�’Assemblée : « Si je n�’avais consulté que mes goûts, je n�’aurais pas parlé de la

durée de mes pouvoirs (�…). Je comprends la pensée de ceux qui, pour favoriser l�’essor des grandes affaires, ont

proposé de fixer la prorogation à dix ans : mais, après y avoir bien réfléchi, j�’ai cru qu�’un délai de sept ans

86 Définition issue du « Lexique des termes juridiques » sous la direction de R. Guillien et J. Vincent, Paris, Dalloz, 12ème éd.

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répondrait suffisamment aux exigences de l�’intérêt général et serait plus en rapport avec les forces que je puis

consacrer encore au pays. »87 L�’article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 consacre ainsi

le septennat renouvelable. Lors de l�’écriture de la Constitution de 1958, la question de savoir si

le mandat du président de la République doit ou non coïncider avec celui de l�’Assemblée

nationale est évoquée. Le Commissaire du Gouvernement Raymond Janot rapporte qu�’ils ont

rapidement décidé que « la durée de ces mandats ne devait pas être la même (�…). Or, à partir du moment

où [la durée du mandat présidentiel] n�’était pas cinq ans, c�’était évidemment plus de cinq ans. Il y avait

une habitude qui était le septennat, on a pas réfléchi longtemps sur le chiffre sept. » En revanche, il y a

longtemps que les proches du général De Gaulle, et en particulier Michel Debré, réfléchissent

à la question de la durée du mandat présidentiel. Dans un texte rédigé sous l�’Occupation, ce

dernier soulignait qu�’ « un mandat trop court (�…) n�’assure pas la permanence, la stabilité nécessaire. »88

Le mandat de sept ans lui semble même insuffisant : « Il ne s�’étend pas sur la durée complète de deux

législatures. La meilleure solution paraît être un mandat allongé qui devrait être au moins d�’une douzaine

d�’années »89, mais non renouvelable. Il importe pour lui que le mandat soit long, mais, surtout,

qu�’il le soit plus que celui des députés, afin de donner « au président ce sens de l�’autorité supérieure

qui est indispensable à l�’exercice de sa fonction »90.

Une fois de plus, la Constitution roumaine se distingue lorsqu�’il s�’agit de pouvoir

réduire l�’influence présidentielle. L�’article 83 CR, dans sa version originale, fixe le mandat à

une durée de quatre ans, s�’inscrivant ainsi dans la lignée des Etats-Unis, de la Hongrie, de

l�’Islande et de certaines républiques d�’Amérique centrale et du sud. Le professeur Dr ganu

interprète cette disposition comme une volonté de s�’éloigner du système français : « Le fait que la nouvelle Constitution n�’a pas repris telles quelles les dispositions indiquées ci-

dessus de la Constitution français au sujet des attributions du président de la République,

comme la réduction de son mandat de sept à quatre ans, indique clairement que son rôle dans

l�’Etat a été conçu chez nous dans des conditions, qui ont vocation à réduire le tranchant de ces

commentaires, qui voient dans le régime semi-présidentiel français un type de monarchie

républicaine. Afin de souligner cette différence de notre Constitution avec le modèle français,

on a dit que le régime politique pour lequel il a été opté est un régime présidentiel atténué ou

parlementarisé. »91

Au vu des travaux de l�’Assemblée constituante, il ne semble pas que la durée ait fait

l�’objet de débats importants. La Commission de rédaction du projet prévoit une courte durée

87 Journal Officiel, 18 novembre 1873, p. 7021. Cité in « Quinquennat ou septennat ? » C. Boutin, F. Rouvillois, Paris, Flammarion, 2000, p. 26. 88 « Refaire la France », sous le pseudonyme de Jacquier-Bruère, Paris, Plon, 1945, p. 123. Cité in « Quinquennat ou septennat ? » C. Boutin, F. Rouvillois, Ed. Flammarion, 2000, p. 36. 89 Idem. 90 « Au service de la nation », M. Debré, Paris, Plon, 1963, p. 202. Cité in « Quinquennat ou septennat ? » C. Boutin, F. Rouvillois, Ed. Flammarion, 2000, p. 36. 91 « Drept constitu ional i institu ii politice » T. Dr ganu, op. cit. p.227.

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de mandat comme une mesure faisant partie de celles prévues pour atténuer les effets de la

légitimité obtenue par l�’élection au suffrage universel direct.

2. Le caractère renouvelable

Les dispositions relatives au président de la République française ne prévoit aucune

limitation quant au renouvellement du mandat. Lors de la campagne référendaire pour ou

contre le quinquennat qui sera évoquée ultérieurement, nombreux détracteurs de la réduction

de la durée du mandat prônent pour un septennat non renouvelable.92 Le débat ne date pas

d�’aujourd�’hui, en témoigne les Souvenirs d�’Alexis de Tocqueville lors des travaux en 1848 sur le

mode d�’élection du Président : « Nous avions toujours été frappés des dangers que feraient courir à la

liberté et à la moralité publique un Président rééligible, qui emploierait davantage à se faire réélire, comme cela

ne pouvait manquer d�’arriver, les immenses moyens de contrainte ou de corruption que nos lois et nos m�œurs

accordent au chef du pouvoir exécutif » 93. Au contraire, Louis Napoléon Bonaparte emploie toutes

ses forces à contourner l�’obstacle de la non-rééligibilité. Et Tocqueville de regretter : « Nous

tombâmes dans une très grande erreur. »94 Les arguments pour le non-renouvellement sont au

nombre de deux selon Olivier Duhamel : la souveraineté du peuple et la responsabilité

politique des gouvernants pouvant s�’exprimer de multiples manières. Il objecte : « Disons-le

d�’emblée : si les hommes étaient des dieux, les électeurs des citoyens toujours parfaits, les élus des citoyens

toujours irréprochables, la rééligibilité permanente serait de mise. »95 Comme ce n�’est pas le cas, le

nombre de mandat doit être limité. C�’est probablement le raisonnement qu�’a eu le constituant

roumain qui prévoit dans le quatrième alinéa de l�’article 81 de la Constitution roumaine que

« nul ne peut exercer la fonction de Président de la Roumanie pendant plus de deux mandats. Ceux-ci peuvent

également être successifs. »

Cette disposition a donné lieu à un intense débat, par deux fois, lors des candidatures

aux élections présidentielles de 1996 et celles de 2000. En effet, le Président Iliescu ayant été

élu Président par le premier suffrage de mai 1990, certains hommes politiques, juristes et

professeurs en sciences politiques, contestent devant la Cour Constitutionnelle la possibilité

pour le Président de se présenter une troisième fois. Par deux fois, la Cour refuse de faire droit

aux requérants au motif que « l�’institution réglementée par le Décret-Loi n°92/1990 a eu un caractère

transitoire »96. Elle commente également le caractère institutionnel du mandat constitutionnel du

92 Pour un retour sur le débat, voir l�’ouvrage, publié en juillet 2000, d�’Olivier Duhamel « Quinquennat », Paris, Presses de Sciences Po. 93 Cité in « Quinquennat » op. cit. p.98. 94 Idem. 95 Ibid. 96 Décisions relatives à la contestation de l�’enregistrement de la candidature de monsieur Ion Iliescu pour la fonction de président de la République n°3/1996 du 9 septembre 1996, publiée au Moniteur Officiel n°216 du 11.09.1996 & n°3/2000 du 24 octobre 2000, publiée au Moniteur Officiel n°552 du 08.11.2000.

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Président, réglementée pour la première fois par la Constitution de 1991. Selon la Cour, la

fonction de président ne peut être dissociée �– dans aucun cas �– de l�’idée du mandat

présidentiel : en l�’absence de « mandat » avant l�’entrée en vigueur de la Constitution, toute

association avec la situation juridique antérieure au texte fondamental de 1991 apparaît comme

infondée. Il est en effet très étonnant de constater que le décret-loi n°92/199097 ne prévoit pas

de durée des mandats ni législatifs ni présidentiels. Il est vrai que ce décret se veut transitoire

puisqu�’il dispose à la fin que ses dispositions sont en vigueur jusqu�’à ce que la nouvelle

Constitution soit adoptée (Art 99 du Décret-loi n°92-1990). La Cour repousse également les

arguments reposant sur les dispositions de l�’article 10 de la loi n°69/1992 relative à l�’élection

du Président, selon lesquelles « ne peut être candidat une personne qui, à la date du dépôt des candidature

ne remplit pas les conditions prévues par l�’article [37]98 de la Constitution qui a été élu antérieurement, par

deux fois, Président de la Roumanie ». Elle motive son refus disant qu�’il est vrai « que les mandats

exercés par le Président ne peuvent être plus de deux, mais ceci seulement dans les conditions posées par la loi

fondamentale du pays » car les dispositions ont une valeur juridique seulement dans la limite de la

Constitution.

B. Le suffrage universel et l�’autonomie par rapport au Parlement

La Roumanie autant que la France est un régime parlementaire en son essence, c'est-à-dire un

régime caractérisé par la responsabilité du Gouvernement devant l�’Assemblée représentant le

peuple et exerçant sa souveraineté. La particularité de la France est de s�’être vu imposer un

Président élu au suffrage universel direct (1), ce qui l�’a distingué et a forgé le concept de

régime semi-présidentiel. Les liens du Président roumain avec le Parlement, lui dont le suffrage

universel a été prévu dès l�’origine de la Constitution, sont bien différents (2).

97 Décret-loi n°92/1990 du 14 mars 1990, publié au Moniteur Officiel n°35 du 18 mars 1990. 98 Articles relatifs aux conditions d�’éligibilité du président de la République (version 2003) : Art. 37 : « (1) Ont le droit d'être élus les citoyens ayant le droit de vote, qui remplissent les conditions prévues à l'article 16 alinéa (3), s'il ne leur est pas interdit de s'associer en partis politiques conformément à l'article 40 alinéa (3). (2) Les candidats doivent être âgés d'au moins vingt-trois ans révolus jusqu'à la date des élections comprise, pour être élus à la Chambre des Députés ou aux organes de l'administration publique locale, d'au moins trente-trois ans, pour être élus au Sénat et d'au moins trente-cinq ans pour être élus à la fonction de Président de la Roumanie. » Art 36 : « (2) N'ont pas le droit de vote les débiles ou les aliénés mentaux, placés sous interdiction, ni les personnes condamnées, par décision judiciaire définitive, à la perte des droits électoraux. » Art 16 : « (3) Les fonctions et les dignités publiques, civiles ou militaires, peuvent être remplies, dans les conditions prévues par la loi, par les personnes ayant la citoyenneté roumaine et le domicile dans le pays. L'Etat roumain garantit l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans l'exercice de ces fonctions et dignités. » Art 40 : « (3) Ne peuvent pas appartenir à des partis politiques les juges à la Cour constitutionnelle, les avocats du peuple, les magistrats, les membres actifs de l'armée, les policiers et d'autres catégories de fonctionnaires publics déterminées par une loi organique. »

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1. L�’autonomie présidentielle renforcée par le suffrage universel dès 1962

« En l�’an de grâce 1962, fleurit le renouveau de la France »99 C�’est ainsi que définit le général

De Gaulle le moment où le Peuple accepte d�’élire le Président au suffrage universel par le

référendum approuvant la loi constitutionnelle du 6 novembre 1962. Depuis la crise du 16 mai

1877, le président de la République, comme il a déjà été évoqué perd toutes ses prérogatives au

profit du Premier ministre jusqu�’en 1920100. De 1920 à 1924, le Président Millerand tentera de

reprendre le pouvoir, mais sans succès. Cet échec aboutit à une période de régime

d�’Assemblée, caractérisé par la toute puissance des parlementaires et une forte instabilité

Gouvernementale (1924 �– 1940). Dans les régimes parlementaires, chaque fois que le chef de

l�’Etat a voulu abuser de ses pouvoirs, l�’Assemblée s�’est rebellée en renversant le

Gouvernement, obligeant ainsi le roi ou le président à se soumettre, à quitter le pouvoir ou à

recourir à l�’arbitrage du peuple. Pour M.-A. Cohendet, « quand on compare l�’ensemble de cette histoire

à celle de nos voisins, un fait est très frappant : nous n�’avons jamais trouvé de point d�’équilibre entre la

domination du chef de l�’Etat et celle de l�’Assemblée. »101 Cette dernière citation illustre bien la situation

française. L�’ensemble institutionnel peut sembler être équilibré jusqu�’à ce que le Président soit

élu par un collège élargi. Le système est à mi-chemin entre celui formé par les assemblées

parlementaires en 1875 et 1946 et le peuple en 1848. Le collège élargi est composé de

parlementaires, des élus et des représentants des assemblées locales, soit près de 80 000

personnes. Les parlementaires ont déjà perdu le pouvoir de désigner seuls le Président. Au

sortir de la crise algérienne, le général De Gaulle propose aux français de renforcer la légitimité

du chef de l�’Etat. Lors d�’un référendum aux allures de plébiscite, le 28 octobre 1962, les

citoyens approuvent cette réforme. Le Président utilise une procédure inconstitutionnelle en

employant l�’article 11 CF au lieu de l�’article 89 CF, personne n�’est capable de l�’en empêcher.

Les parlementaires, indignés par cette violation de la Constitution, utilisent le seul moyen dont

ils disposent : l�’accusation de haute trahison. Ils préfèrent renverser le Gouvernement dont le

chef est réputé avoir proposé le référendum. Le Président, fort de sa nouvelle légitimité

maintient le Gouvernement et dissout l�’Assemblée.

Le Président est alors complètement indépendant du Parlement. Le seul lien entre les

deux, d�’importance majeure en période de cohabitation, est la couleur politique de la majorité,

qui détermine le choix du Premier ministre.

99 « Mémoires d�’espoir », Ch. De Gaulle, t.II, 1971, p.13 cité par Jean Gicquel, dans le commentaire de l�’article 6 CF, in « La Constitution de la République française », op.cit. 100 « Je suis la reine d�’Angleterre » déclare Félix Faure, président à partir de 1895. Cité par A.-M. Cohendet in « Le président de la République » Paris, Dalloz, 2002, p.17. 101 Ibid. p.19.

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Il est évidemment hors de question de prévoir un quelconque serment à prêter devant

le Parlement, comme cela est le cas dans la Constitution de la IIe République102 et en

Roumanie.

2. Le serment, la soumission de l�’élu du Peuple roumain aux représentants du

Peuple

Le décret-loi n°92/1990 précité ne mentionne aucune forme de serment. Déjà est

prévue la validation de l�’élection par la Cour Suprême de Justice, rôle repris par la Cour

Constitutionnelle (art. 82 al.1 et 146 f) CR). Le deuxième alinéa de l�’article 82 CR dispose :

« Le candidat dont l'élection a été validée prête devant la Chambre des Députés et le Sénat, réunis en séance

commune, le serment suivant: "Je jure de consacrer toute ma force et toutes mes capacités à la prospérité

spirituelle et matérielle du peuple roumain, de respecter la Constitution et les lois du pays, de défendre la

démocratie, les droits fondamentaux et les libertés fondamentales des citoyens, la souveraineté, l'indépendance,

l'unité et l'intégrité territoriale de la Roumanie. Que Dieu m'y aide ! » Le serment prêté devant le

Parlement confère-t-il à ce dernier une responsabilité que le Président s�’y tienne ? Il faut

souligner plusieurs débats qui ont eu lieu quant au contenu de cette formule, particulièrement

à l�’épilogue : « Que Dieu m�’y aide ! » En effet, dans de nombreuses démocraties parlementaires

voisines, la formule religieuse est facultative, tandis que la Constitution roumaine ne semble

pas prévoir une telle faculté103. Ionel Blaga, député de la majorité lors des travaux constituants

argue : « Si nous acceptons cette formule religieuse dans le serment, et si nous acceptons ou non mon

amendement, il en résulte qu�’une partie des citoyens du pays, qui sont des libres-penseurs, athées ou qui

appartiennent à une Eglise ou une secte interdite par le serment104, ne peut pas devenir Président ni avoir

aucune autre fonction d�’Etat pour laquelle ce serment est sollicité. »105 Un membre parlementaire du

même parti, Constantin Sorescu, soutient que « le Peuple roumain est naît chrétien, il est resté chrétien,

en dépit de toutes les vicissitudes historiques à travers lesquelles il est passé. » Il continue sur un ton qui

fait sourire tout français bien laïc : « Si un Président n�’est pas chrétien, il n�’a pas besoin de l�’être. S�’il est

libre penseur, il n�’a qu�’à le déclarer lors du serment et décliner l�’appartenance à la foi fondamentale en face de

la Nation qui l�’a élu. De plus, personne ne croit qu�’il pourrait y avoir un jour un candidat à la présidence de

102 Article 48 de la Constitution de 1848 : « Avant d'entrer en fonctions, le président de la République prête au sein de l'Assemblée nationale le serment dont la teneur suit : « En présence de Dieu et devant le Peuple français, représenté par l'Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible, et de remplir tous les devoirs que m'impose la Constitution. » 103 Toutefois, lors des dernières élections présidentielles et législatives de décembre 2004, il a été rapporté que certains députés et sénateurs, soumis également au serment en vertu de l�’article 70 CR, n�’ont pas invoqué l�’aide de Dieu. 104 Il n�’en est pas question, heureusement, mais seulement la référence aconfessionnelle à Dieu. 105 Les débats sont rapportés par le professeur V. Duculescu dans son ouvrage « Constitu ia României �– comentat i adnotat » Bucarest, Lumina Lex, 1997, p.264.

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la Roumanie qui ne partagerait pas la foi de la majorité. » 106 A propos de la formulation du serment,

un autre débat d�’ordre terminologique n�’apparaît pas dans la traduction française : en version

originale, « je jure de consacrer » se dit : « Jur s -mi d ruiesc » qui se traduit par se consacrer, se vouer.

Pourtant se d rui a un sens différent de consacra : en témoigne la proposition de tefan

Cazimir d�’inscrire consacra au lieu de d rui car le second serait plus religieux que le premier. Un

de ses collègues lui répond que consacra évoque pour lui à l�’épitaphe : « Il a consacré sa vie à

l�’édification du peuple roumain », c'est-à-dire pour les morts ! Le terme définitif sera donc se d rui

dans le sens « se vouer », qui est traduit « se consacrer » dans la version française ! Ceci illustre bien

ce que le professeur Maus écrit dans la préface de l�’ouvrage collectif « Les régimes politiques

des pays de l�’UE et de la Roumanie » sous la direction de Genoveva Vrabie : « Tous ceux qui par

goût ou par obligation, s�’intéressent au droit comparé savent que les deux premières difficultés �– non juridique

au départ �– résident dans la barrière linguistique et les difficultés documentaires. (�…) L�’utilisation d�’une

langue débouche nécessairement sur des spécificités culturelles. Les concepts juridiques ne s�’expriment pas de la

même manière en français, en anglais ou en roumain. »107

Afin de moduler l�’appréciation selon laquelle le Président serait soumis au Parlement, il

faut mentionner l�’interdiction pour le Président d�’appartenir à un parti politique (Art. 84 al.1

CR). Même si par la décision n°339 du 17 septembre 2004, la Cour Constitutionnelle établit

que l�’obligation constitutionnelle pour le Président de la Roumanie de ne pas avoir

politiquement un parti pris n�’était pas absolue.

Comme on a pu le constater, l�’élection au suffrage universel direct n�’implique pas la

même liberté d�’action pour le président de la République, par rapport au Parlement

notamment. La Roumanie a fait des choix radicalement différents de ceux de la France, en

matière de durée de mandat, de renouvelabilité ou non. Lors de la réforme constitutionnelle de

2003, même la question du mode d�’élection est remis en question. Le problème est soumis à

l�’expertise de M. Jacques Robert, membre français de la Commission européenne pour la

démocratie par le droit : « Faut-il revenir sur l�’élection du Président de la Roumanie au suffrage universel ? »

C�’est un problème essentiellement politique qui concerne avant tout les Roumains et l�’équilibre

qu�’ils veulent réaliser dans leur Constitution. On se bornera ici à deux remarques d�’ordre

général :

a. L�’élection du chef de l�’Etat au suffrage universel lui confère nécessairement une

légitimité et une importance essentielles dans l�’Etat. Elu sur un programme, il devra s�’efforcer

de le réaliser et donc, il faudra qu�’il ait les moyens constitutionnels pour le faire. On n�’élit pas

106 Les orthodoxes sont 85% de la population en Roumanie. 107 « Les régimes politiques des pays de l�’UE et de la Roumanie » sous la direction de Genoveva Vrabie, Bucarest, R.A. Monitorul Oficial, 2002, Préface du professeur Maus.

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au suffrage universel un président de la République si l�’on souhaite seulement le confiner dans

un rôle de simple représentation. Il faut savoir donc si les Roumains veulent avoir un Président

fort ou faible.

b. Il est toujours difficile, politiquement, de reprendre au peuple un pouvoir qui lui a été

donné. On voit mal les citoyens d�’un pays auxquels on a donné le droit d�’élire, eux-mêmes,

directement, au suffrage universel, leur Président, accepter de renoncer à une telle

prérogative. »108

§2. L�’influence présidentielle sur le Gouvernement

« Il est normal chez nous que le président de la République et le Premier ministre ne soient pas un seul

et même homme. Certes, on ne saurait accepter qu�’une dyarchie existât au sommet. Mais, justement, il n�’en est

rien. »109 Telle est la conception du fondateur de la Ve République. En Roumanie, le Président a

constitutionnellement beaucoup moins de marge de man�œuvre quant à la nomination du

Premier ministre d�’une part et son influence étant restreinte par son absence lors de la réunion

des ministres d�’autre part. On relève d�’ailleurs curieux qu�’en Roumanie, les pouvoirs

contresignés soient énumérés par opposition à la compétence générale sans contreseing (art.

100 CR), cela laisserait entendre que les pouvoirs propres du Président roumain seraient la

compétence générale du Président et que, par exception, certaines de ses attributions seraient

soumises au contreseing du Premier ministre. L�’examen de la nomination du Premier ministre

et de l�’équipe Gouvernementale (A) et la présidence des réunions du Gouvernement (B)

montreront comment la tradition parlementaire est tantôt repoussée, tantôt complètement

acceptée.

A. La nomination du Premier ministre et de l�’équipe Gouvernementale

La nomination du Premier ministre constitue un pouvoir propre pour le président de

la République française (art. 19 CF) tandis qu�’il est conditionné par des consultations et autre

investiture du côté roumain. Dans les deux cas, le Premier ministre doit être issu de la majorité

parlementaire, ce qui constitue une limite à la liberté totale du Président français lorsque cette

majorité ne lui est pas favorable (1) mais qui conditionne dans tous les cas le choix du

Président roumain (2).

108 Voir l�’avis sur l�’adresse : http://www.venice.coe.int/docs/2003/CDL(2003)002-f.asp 109 Conférence de Presse du Général De Gaulle, 31 janvier 1964 in « La doctrine gaulliste », G. Sabatier, Paris, Economica, 1997.

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1. Une liberté totale limitée par la tendance majoritaire de l�’Assemblée Nationale

La simplicité évangélique de la première phrase du premier alinéa de l�’article 8 de la

Constitution française n�’est pas démentie par les faits : « Le président de la République nomme le

Premier ministre. » Pas une condition de plus. Aucune mention n�’est faite de la nécessité que

celui-ci provienne de la majorité parlementaire. Ceci doit être déduit de la responsabilité du

Gouvernement devant le Parlement (art. 20 dernier alinéa CF) : possibilité pour les

parlementaires de renverser le Gouvernement par une motion de censure (art. 49 al.2 CF) ou

un vote de défiance (art. 49 al. 1 et 3 CF). Toutefois, la nomination n�’est pas précédée comme

elle peut l�’être sous les IIIe et IVe Républiques, d�’un véritable « rituel » de consultations

(présidents des assemblées, personnalités marquantes des principales formations politiques�…),

qui laisse penser que le choix exercé est enserré dans de strictes limites politiques. Nous le

verrons, cette situation ressemble fort à celle qui est constitutionnalisée en Roumanie.

Lorsque le Président, dont le rôle dépasse celui d�’un arbitre neutre, de toute évidence,

dispose d�’une majorité qui lui est favorable à l�’Assemblée nationale, le choix qu�’il effectue

apparaît proche de celui d�’un dirigeant qui désignerait son « bras droit » : le Premier ministre

doit d�’abord avoir toute la confiance du Président ; il doit également avoir les qualités lui

permettant de diriger l�’équipe Gouvernementale et la majorité parlementaire. Simon-Louis

Formery commente la pratique de nomination du Premier ministre ainsi : « On a pu relever, dans le passé, que le profil du « premier » Premier ministre et des suivants

diffère légèrement. Lorsqu�’un président est élu, il a souvent à c�œur de nommer une

personnalité qui a déjà une certaine consistance politique (Michel Debré, Jacques Chaban-

Delmas, Jacques Chirac, Pierre Mauroy), alors que, par la suite, il sera plutôt tenté de désigner

un homme qui lui est proche, même s�’il est encore peu représentatif sur le plan politique

(George Pompidou, Maurice Couve de Murville, Raymond Barre, Pierre Bérégovoy, Jean-

Pierre Raffarin).110

L�’autre type de situation s�’est produite par trois fois (1986, 1993 et 1997) : le Président,

à la suite d�’élections législatives qui ne lui sont pas favorables, doit entériner le choix fait par

les électeurs. Le nouveau Premier ministre peut être le leader de la nouvelle majorité, comme

MM. Chirac et Jospin en 1986 et 1997 ou bien le Président peut tenir à montrer qu�’il opère un

choix personnel : « Balladur, c�’est moi qui l�’ai choisi »111

En Roumanie, en revanche, le choix est bien plus restreint.

110 « La Constitution commentée article par article » S.-L. Formery, Paris, Hachette Supérieur, 8ème éd., 2004, p.27. 111 François Mitterrand : conférence de presse du 14 juillet 1993, cité par S.-L. Formery, op. cit. p.28.

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2. Un choix restreint, même en période majoritaire, par le Parlement roumain

Si l�’on s�’arrête à la lecture de l�’article 85 CR, on comprend que le Président désigne de

manière discrétionnaire le Premier ministre et ensuite nomme le Gouvernement dont la

composition doit être acceptée par le Parlement. Dans le chapitre III concernant le

Gouvernement, on peut lire (article 103 CR) : « Le Président de la Roumanie désigne un

candidat à la fonction de Premier ministre, à la suite de la consultation du parti ayant la

majorité absolue dans le Parlement ou, si cette majorité n'existe pas, des partis représentés au

Parlement. » Il ne dispose donc pas d�’une grande latitude. En général, le Président lorsqu�’il est

élu dispose de la majorité parlementaire et donc de la légitimité nécessaire pour imposer ses

points de vue, du moins jusqu�’en 2004. En effet, depuis la réforme d�’octobre 2003, le mandat

présidentiel est passé de quatre à cinq ans �– à partir de celui de décembre 2004 �–, se

désynchronisant de celui des députés. La conséquence directe est que le Président arrivant ne

sera pas forcément rattaché aux partis ayant la majorité au Parlement et donc n�’aura pas de

légitimité suffisante par rapport à cette majorité, également forte du suffrage universel direct

précédent. Nous approfondirons ces questions lors de l�’étude de la révocation et de la

cohabitation.

Lors des débats de l�’Assemblée Constituante, le problème de savoir si le Président est

obligé de désigner un Premier ministre seulement parmi les parlementaires ou s�’il peut choisir

une personnalité indépendante, qui ne soit ni d�’un député ou sénateur, ni membre d�’une

quelconque formation politique. Or le Premier ministre de l�’époque est Teodor Stolojan,

précisément un technicien, succédant à Petre Roman, le « premier » Premier ministre. Un

député objecte : « Il ne faut pas oublier que nous traversons à l�’heure actuelle une période de

crise, nous passons par une véritable période de transition, et si cette fois-ci, M. Stolojan

n�’avait pas été nommé à la tête du Gouvernement, lui qui est une personnalité indépendante,

je ne sais pas à quelles conditions aurait pu être formé un Gouvernement. »112 Aucune

disposition quant à la qualité de membre parlementaire du candidat au poste de Premier

ministre n�’est inscrite dans la Constitution.

Le caractère parlementaire de la République roumaine ressort particulièrement bien à

travers ce pouvoir conditionné. Le caractère semi-présidentiel est encore plus atténué par le

fait que le président de la République ne préside pas.

112 Débat rapporté par le professeur Duculescu in « Constitu ia României �– comentat i adnotat » op. cit. p. 272.

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B. La présidence des réunions du Gouvernement

La dénomination « réunions du Gouvernement » est choisi car elle permet d�’englober

la réalité roumaine, relativement similaire au Conseil des ministres, mais qui n�’a pas voulu

prendre ce nom. Il s�’agit évidemment d�’une attribution capitale pour un chef de l�’exécutif.

Mais le Président roumain est-il le chef de l�’exécutif ? Après avoir examiné le cadre du système

français (1), nous observons quelle sorte de Président est celui de la Roumanie (2).

1. Le chef de l�’exécutif français présidant tous les Conseils des Ministres

L�’article 9 de la Constitution française dispose : « Le président de la République préside le

Conseil des Ministres. » Il s�’agit certainement de la manifestation du « président actif » la plus

explicite. Le Conseil des Ministres est la seule instance qui réunit le président de la République

et l�’ensemble des ministres. Alors que les Républiques précédentes ont connu la pratique des

« conseils de cabinet », réunissant le Gouvernement hors de la présence du chef de l�’Etat, cet

usage tombe en désuétude, même si on en retrouve une forme dans les « réunions de

ministre » organisées à l�’Hôtel Matignon pendant les périodes de cohabitation.

La présidence du Conseil des ministres est toujours assurée par le président de la

République, sauf dans les cas très exceptionnels où le Premier ministre est amené à le suppléer

dans cette tâche113. L�’ordre du jour est arrêté par le Président ; cette compétence, plus

coutumière que textuelle, lui confère un rôle essentiel dans la direction de l�’action

Gouvernementale. Elle donne lieu, le 13 février 2001, à une application « spectaculaire » selon le

professeur Formery, lorsque le Président Chirac retire de l�’ordre du jour du Conseil des

ministres le projet de loi sur la Corse, en se fondant sur son rôle de gardien de la Constitution

et en arguant des difficultés constitutionnelles relevées par le Conseil d�’Etat, « dont l�’avis était

pourtant, en principe, secret »114.

Le Président rencontre le Premier ministre avant la séance du Conseil qui a lieu le

mercredi au Palais de l�’Elysée ; la séance est parfois suivie d�’un conseil restreint, comprenant

les ministres intéressés par la situation internationale.

Le rôle du président dans les débats dépend évidemment de la configuration politique :

lorsque le président dispose d�’un Gouvernement qui lui est dévoué, il lui revient de conduire

les discussions et de donner les orientations qui lui paraissent nécessaires ; dans le cas

contraire, son attitude est plus réservée et il se borne à émettre des réserves ou des remarques.

113 Le dernier alinéa de l�’article 21 ne prévoit pas le Conseil des Ministres de l�’article 9 mais est pris comme base à la suppléance : « Il supplée, le cas échéant, le président de la République dans la présidence des conseils et comités prévus à l'article 15. » Quatre applications : 22 avril et 20 septembre 1964, 14 février 1973 et 16 septembre 1992. 114 « La Constitution française commentée article par article » op. cit. p.32.

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2. Un président roumain occasionnellement présent lors des réunions de

ministres

Commentant l�’article 9 de la Constitution de la Ve République, le conseiller d�’Etat

Bernard Tricot introduit en trois mots : « Cela paraît évident. »115 Cela est loin de l�’être dans la

conception roumaine.

La différence de taille dans l�’exercice des prérogatives au sein de l�’exécutif est que le

Président préside, certes, les réunions du Gouvernement mais il ne participe qu�’aux « réunions

du Gouvernement 116 au cours desquelles sont discutés les problèmes d'intérêt national portant sur la politique

extérieure, la défense du pays, la protection de l'ordre public et, sur demande du Premier ministre, en d'autres

situations. » (art. 87 al.1 CR). Cela n�’a rien à voir avec la rédaction laconique de l�’article 9 CF. Il

est intéressant de noter, qu�’en France le terme « réunion de ministre » ne concerne que les

réunions plus informelles où le président de la République n�’est pas convié. Les travaux de

l�’Assemblée constituante montrent que les députés ne sont pas prêts à accepter la participation

du Président à toutes les séances. Certains proposent qu�’il participe à toutes les séances

débattant des problèmes de relations internationales. Face à la proposition que le Président

participe à toutes les réunions, un député s�’indigne : « Je suis surpris du manque de fidélité de la

Commission Constitutionnelle �– au moins de certains de ses membres �– ayant l�’intention d�’élargir les

compétences du Président. Je crois que l�’idée que le Président ait la possibilité de prendre part à la séance du

Gouvernement seulement pour certains aspects de politique interne, et non pas de tous les aspects, comme la

formulé monsieur Rus, est en conformité avec l�’idée de république semi-présidentielle. C�’est pourquoi, je

considère que la formulation du projet est correcte et je ne veux pas que nous admettions cet amendement qui

instituerait une forme de république présidentielle pure. »117 Les Présidents roumains, même le premier,

ne contestent pas cette disposition et n�’ont que peu assisté aux réunions des ministres. Ainsi,

depuis le mois de janvier 2005, le Président B sescu n�’a participé qu�’à deux ou trois réunions

de ministres.

Ceci amène à la conclusion que le chef de l�’Etat roumain n�’est pas le chef de l�’exécutif.

Pourtant le professeur Iorgovan estime que le Président de la Roumanie, en tant que chef de

l�’exécutif est chargé de la garantie de l�’indépendance nationale, de l�’unité et de l�’intégrité du

territoire national. Ces attributions seraient plutôt celles du chef de l�’Etat garant. D�’ailleurs, la

Constitution dans sa version originale ne nomme pas le « pouvoir exécutif » mais les autorités

publiques ; les députés roumains font ensuite référence à la « séparation des pouvoirs » en

rajoutant un quatrième alinéa au premier article de leur Constitution, révisé en 2003. Ils ne

115 « La Constitution de la République française » F. Luchaire, G. Conac, op. cit. p.387. 116 Bien que la Constitution roumaine ne nomme pas le « Conseil des ministres », nous y assimilons les « réunions du Gouvernement ». 117 Débats rapportés par V. Duculescu in « Constitu ia României �– comentat i adnotat ». Op. cit. p.275.

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modifient pas pour autant le titre III qui s�’intitule « Autorités publiques » alors qu�’en France, on

parle de « pouvoirs publics ». Aussi curieux que cela puisse paraître, la Constitution française ne

mentionne pas une seule fois le terme « exécutif ». Cela correspond à l�’évolution de la tâche

Gouvernementale, qui n�’exécute plus seulement les lois adoptées par le Parlement mais

dispose d�’un pouvoir autonome de réglementation, comme on le verra plus loin.

L�’étude des dispositions constitutionnelles relatives aux relations entre le président de

la République et le Gouvernement montre la différence, on serait tenté de dire « le gouffre »,

qui sépare la Roumanie de la France : le Premier ministre nommé après de multiples

consultations et investi par le Parlement, la présidence exceptionnelle du Conseil des ministres

d�’un côté, Premier ministre nommé discrétionnairement et présidence systématique du Conseil

des Ministres de l�’autre.

§3. Une rationalisation parlementaire plus ou moins efficace

Le terme de rationalisation est beaucoup utilisé à propos des intentions présidant à

l�’élaboration du régime de la Ve République. Les professeurs Hamon et Troper l�’expliquent

ainsi : « rationaliser le parlementarisme, c�’est introduire dans la Constitution des dispositifs qui renforcent la

position du Gouvernement vis-à-vis du Parlement, et qui peuvent pallier l�’absence d�’une véritable majorité

parlementaire. »118 La dissolution est restaurée en France et rendue possible en Roumanie sous

de multiples sine qua none (A) tandis que la principale innovation dans les rapports entre

l�’exécutif et le législatif en France est l�’institution d�’une séparation entre les domaines de la loi

et du règlement, délimitation qui n�’a pas été reprise en Roumanie (B).

A. La menace essentielle de la dissolution

Comme nous avons pu le mentionner lors de l�’examen des attributions inhérentes à la

fonction de médiateur ou d�’arbitre, le pouvoir de dissolution, c'est-à-dire de renvoyer

collectivement les députés devant leurs électeurs avant la fin de leur mandat, est un instrument

essentiel de la rationalisation du régime parlementaire. La dissolution est un des deux piliers du

régime parlementaire, l�’autre étant la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement. Si

la France réussit à s�’affranchir des pesanteurs du passé pour la procédure de dissolution (1), la

Roumanie, en revanche, prévoit des conditions sévères pour l�’exercice de ce qui devient un

faible contrepoids (2).

118 « Droit constitutionnel » F. Hamon, M. Troper, op. cit., p.443.

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1. Une prérogative exercée en toute liberté en France

L�’histoire des institutions françaises révèle que les procédures clés que sont la

responsabilité Gouvernementale et la dissolution, censées assurer les conditions d�’un

parlementarisme équilibré, n�’ont jamais bien fonctionné simultanément. Afin de laver la tâche

honteuse de la dissolution, imprimée dans la vie républicaine depuis la crise du 16 mai 1877,

les constituants de 1946119 ont volontairement limité la possibilité de dissoudre l�’Assemblée

nationale. La Ve République rompt radicalement avec le passé.

L�’article 12 CF dispose que « le président de la République peut, après consultation du Premier

ministre et des Présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée Nationale. Les élections

générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution. L'Assemblée Nationale

se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période

prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours. Il ne peut être

procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections. » Le Président a une compétence

discrétionnaire malgré les quelques garde-fous qui encadrent ce droit. L�’alinéa 4 interdit un

second usage dans les douze mois �– « dissolution sur dissolution ne vaut », sans oublier les

dispositions de l�’article 7 CF, alinéa 4 et de l�’alinéa 5 de l�’article 16 CF qui interdisent le

recours à la dissolution en période d�’intérim et de mise en �œuvre des pouvoirs exceptionnels.

Ces limites sont bien minces, puisque les avis du Premier ministre et des présidents des

assemblées ne le lient pas. Enfin, ce pouvoir est un pouvoir propre (art. 19 CF). La dissolution

en France a été utilisée cinq fois (9 oct. 1962, 30 mai 1968, 22 mai 1981, 14 mai 1988 et 21

avril 1997) dont la dernière seulement a été un échec de la tentative de confortation de la

position sur la scène politique française.

2. Des conditions posées par la Constitution roumaine fragilisant la logique du

mécanisme

En Roumanie, la dissolution est largement conditionnée par des facteurs extérieurs au

Président. La dissolution conditionnelle correspond tout à fait à celle de 1946 en un peu moins

rigide mais toute aussi difficile à obtenir.

Selon l�’article 89 CR : « (1) Après consultation des présidents des deux Chambres et des leaders

des groupes parlementaires, le Président de la Roumanie peut dissoudre le Parlement, si celui-ci n'a pas accordé

la confiance pour la formation du Gouvernement dans un délai de soixante jours à compter du premier vote et

uniquement s'il y a eu au moins deux votes de refus de la confiance. (2) Au cours d'une année, le Parlement ne

119 Toute dissolution est interdite pendant les dix-huit premiers mois de chaque législature, et exigeant ensuite, pour que la dissolution soit légale, que soient survenues deux crises ministérielles au cours d�’une période de dix-huit mois. Une seule dissolution a lieu, à l�’initiative d�’Edgar Faure, le 2 décembre 1955.

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peut être dissous qu'une seule fois. (3) Le Parlement ne peut être dissous pendant les six derniers mois du

mandat du Président de la Roumanie ni pendant l'état de mobilisation, de guerre, de siège ou d'urgence. »

Le Président ne peut donc vraiment dissoudre qu�’en cas de crise ministérielle et non

pas pour renforcer sa position sur l�’échiquier politique. Il agit vraiment en tant que médiateur

au-dessus des parties. Tel qu�’est rédigé l�’article 89 CR, on peut se demander si il est même

possible de dissoudre les deux chambres �– quel est l�’intérêt du bicaméralisme dans ce cas ? �–

en dehors de l�’hypothèse de formation d�’un Gouvernement. La réponse nous est donnée par

Florin Vasilescu : le système constitutionnel roumain a opté « pour la restriction de ces attributions

du chef de l�’Etat seulement de la situation dans laquelle il faut former un nouveau Gouvernement, soit après

des élections législatives, soit à la suite de l�’expression d�’un vote de défiance contre celui existant. »120

Les verrous précédant l�’acte de dissolution en cours de mandat sont au nombre de

deux. En premier lieu, il faut que le Gouvernement ait été censuré deux fois en 60 jours. En

vertu des articles 113 CR et 114 CR, l�’initiative de la motion de censure doit venir d�’au moins

un quart de la totalité des députés et des sénateurs, elle est communiquée sans délai au

Gouvernement. Elle est discutée après un délai de trois jours puis votée. Elle doit recueillir la

majorité des voix pour être adoptée. En cas d�’échec, une nouvelle motion de censure ne peut

être présentée au cours de la même session121. Les députés et sénateurs peuvent aussi retirer

leur confiance au Gouvernement si celui-ci engage sa responsabilité sur son programme, une

déclaration de politique générale ou un projet de loi. En deuxième lieu, la Constitution limite

l�’utilisation de la dissolution dans le temps. Celle-ci ne peut être utilisée dans les six mois qui

précèdent la fin du mandat. La dernière proposition de l�’alinéa 3 de l�’article 89 « ni pendant l'état

de mobilisation, de guerre, de siège ou d'urgence » a été rajoutée par des sénateurs lors de la réforme

d�’octobre 2003 car « le danger public lié à l�’existence de l�’état de siège, d�’urgence, de mobilisation et de

guerre impose le fonctionnement du Parlement et l�’impossibilité d�’organiser des élections libres et correctes

pendant la durée de ce siège. »

Pour qu�’une dissolution puisse survenir en cours de mandat, il faut donc qu�’un

premier Gouvernement soit démis par une motion de censure ou par le retrait de la confiance

à la suite de l�’engagement de la responsabilité Gouvernementale. Le Président est ensuite

chargé de désigner un nouveau Premier ministre après consultation des partis majoritaires. Le

Premier ministre a dix jours (art 102 CR) pour former son équipe et préparer son programme

et le présenter au Parlement qui lui donne ou lui refuse la confiance. Dans ce dernier cas, le

Président est alors autorisé à dissoudre le Parlement. 120 « Constitu ia Romaniei �– comentat i adnotat » dir. M. Constantinescu, commentaires de F. Vasilescu, Bucarest, Regia Autonom « Monitorul Oficial », 1992, p.202. 121 Il y a deux sessions ordinaires par an : de février à juin et de septembre à décembre. Les sessions extraordinaires se tiennent à la demande du Président de la Roumanie, du bureau permanent de chaque Chambre ou d'un tiers au moins du nombre des députés ou des sénateurs.

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Il est intéressant de noter que lors des débats pour la révision de la Constitution, un

projet de modification a été posé concernant la procédure de dissolution. En témoigne l�’avis

sur le projet de révision de la Constitution de la Roumanie adopté par la Commission de

Venise lors de sa 54e session plénière, les 14 et 15 mars 2003122. La rédaction du projet

transmis aux expert de la Commission européenne pour la Démocratie par le droit expose :

« Le président de la Roumanie peut dissoudre le Parlement après consultation du Premier ministre, et des

présidents des deux Chambres, dans le cas où le rapport entre la majorité et l�’opposition serait modifié à la

suite des changements opérés dans la composition des groupes parlementaires. L�’avis du Premier ministre et des

présidents des deux Chambres est consultatif. Les élections générales seront organisées dans un délai de

maximum 60 jours à partir de la dissolution. »123 Visiblement, les dissensions au sein des

parlementaires étaient trop fortes pour être surmontées et l�’article n�’a pas subi de

modification. Il est vrai que celles-ci auraient considérablement renforcé le pouvoir

présidentiel.

B. La séparation du domaine législatif et réglementaire

Au cours du XXe siècle, on assiste à une double évolution du pouvoir législatif : le

Parlement ne peut assurer seul sa tâche de législateur universel et tend à déléguer au

Gouvernement l�’exercice effectif d�’une partie de ses compétences, parallèlement, le pouvoir

exécutif se voit reconnaître un pouvoir réglementaire « autonome »124, puis en France, un

véritable domaine de compétence125. La Constitution de 1958 consacre cette évolution en

délimitant le domaine de la loi et en confiant au règlement le soin de régler tout ce qui ne l�’est

plus par la loi (1). En Roumanie, le constituant prend le parti de consacrer un pouvoir

réglementaire mais toujours subordonné à l�’autorisation de la loi, sans lui confier de domaine

général (2).

1. La normalisation du pouvoir réglementaire en France

Entre les deux guerres mondiales, les démocraties occidentales sont marquées par la

nécessité des décrets-lois : le Parlement, par une loi dite de pleins pouvoirs, autorise le

Gouvernement à modifier la loi existante par décret pendant une période de temps donnée et

seulement pour atteindre certains objectifs. Voulant rompre avec cette habitude jugée

mauvaise, la IVe République les interdit ; mais par une loi du 11 juillet 1953, la pratique des

décrets-lois réapparaît. La Constitution de 1958 rend le recours à cette technique inutile

122 Voir l�’avis à l�’adresse : http://www.venice.coe.int/docs/2003/CDL-AD(2003)004-f.asp 123 Cet avis très instructif est rapporté en son entier en annexe 2. 124 Consacré en France par le Conseil d�’Etat dans l�’arrêt « Labonne » du 8 août 1919. 125 Voir la loi Marie du 17 août 1948.

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puisqu�’elle prévoit les ordonnances. Celles-ci ne correspondent plus à un but précis mais à un

domaine. Les articles 34 CF et 37 CF répartissent les différentes matières entre la loi et

l�’ordonnance : le domaine de la première est défini (art. 34 CF) tandis que celui de la deuxième

(art. 37 CF) a compétence générale. M. Marcilhacy, du Comité consultatif constitutionnel,

aurait qualifié « d�’abominable »126 le principe posé par les articles 34 et 37. Les domaines

respectifs sont protégés par le Conseil Constitutionnel, mais au fil du temps la frontière est

moins rigide. Le Conseil admet d�’abord la recevabilité d�’un recours contre une loi pénétrant

dans le domaine réglementaire127, puis renversant sa jurisprudence, il estime en 1982 que « la

Constitution n�’a pas entendu frapper d�’inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue

dans une loi »128. Le Gouvernement ne peut donc s�’opposer à un texte portant sur le domaine

réglementaire qu�’au moment de sa discussion, en utilisant la procédure prévue par l�’article 41

CF129. Il peut de plus, une fois la loi promulguée, demander au Conseil constitutionnel de la

déclasser en application de l�’article 37 al.2 CF130, ce qui lui permet ensuite de la modifier �– ou

même de l�’abroger par décret. Devant les séries d�’extensions du domaine de la loi opérées par

le Conseil Constitutionnel, on peut se demander quelle est l�’efficacité actuelle d�’une telle

disposition constitutionnelle.131

2. L�’absence de délimitation des compétences législatives en Roumanie

Fort de cette expérience française peut-être, les constituants roumains ne veulent pas

prévoir de telles dispositions. Le système des décrets-lois est repris et fortement encadré. La

Constitution prévoit ainsi dans l�’article 108 CR l�’« ordonan », que nous traduirons par

« ordonnance » : « les ordonnances sont adoptées en vertu d'une loi spéciale d'habilitation, dans les limites et

dans les conditions déterminées par celle-ci. » Le domaine des lois spéciales est défini par exception

126 Cité par François Luchaire, in « La constitution de la République française » op. cit. p.755. 127 Décision 60-7 DC du 11 août 1960 (Juges de paix en service en Algérie). 128 Décision n° 82-963 du 30 juillet 1982, Recueil, p. 113. 129 Art. 41 CF : « S'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38, le Gouvernement peut opposer l'irrecevabilité. En cas de désaccord entre le Gouvernement et le Président de l'assemblée intéressée, le Conseil Constitutionnel, à la demande de l'un ou de l'autre, statue dans un délai de huit jours. » 130 Art. 37 CF : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire. Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d'Etat. Ceux de ces textes qui interviendraient après l'entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si le Conseil Constitutionnel a déclaré qu'ils ont un caractère réglementaire en vertu de l'alinéa précédent. » 131 A ce propos, le Président de l�’Assemblée Nationale M. Jean-Louis Debré, lors du colloque sur la loi : la réforme du travail législatif, déplore les conséquences dramatiques de la production législative surabondante : la loi n�’est plus le socle de règles communes mais un « magma informe », le Parlement perds son énergie, son et temps et son influence dans ses débats alors que les problèmes les plus importants se décident ailleurs, la démocratie perd en qualité. Une des solutions préconisées serait que les députés aient plus de discipline en ce qui concerne la séparation des domaines législatifs et réglementaires. Colloque sur la loi organisé par le Centre de Recherche en Droit Constitutionnel, le 25 mars 2005. Voir sur le site du CRDC : http://crdc.over-blog.com/article-362714.html

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par rapport à celui des lois organiques132. Selon l�’article 115 CR, « la loi d'habilitation détermine

nécessairement le domaine des ordonnances et la date jusqu'à laquelle elles peuvent être émises. » Les

conditions dans lesquelles les ordonnances doivent être prises sont fixées par la loi

d�’habilitation : la durée, l�’exigence d�’approbation du Parlement conformément à la procédure

législative ou non. Il est également prévu que le Gouvernement puisse prendre des

ordonnances d�’urgence « seulement en situations extraordinaires dont la réglementation ne peut être

ajournée, étant tenu de motiver l'urgence dans leur contenu. » L�’ordonnance d�’urgence entre en vigueur

après son dépôt sur le bureau de la Chambre compétente �– le Sénat en principe, sauf en cas de

domaine réglé par une loi organique où la Chambre des Députés est compétente. Les

chambres ont successivement trente jours pour se prononcer, sans quoi, l�’ordonnance

d�’urgence est réputée entrer en vigueur en l�’état. L�’alinéa 6 de l�’article 115 CR restreint le

domaine des ordonnances d�’urgence , elles ne peuvent « être adoptées dans le domaine des lois

constitutionnelles, ne peuvent porter préjudice au régime des institutions fondamentales de l'Etat, aux droits,

aux libertés et aux devoirs prévus par la Constitution, aux droits électoraux, ni viser des mesures de saisie de

certains biens dans la propriété publique. »

La conclusion à propos de l�’efficacité de la rationalisation du parlementarisme n�’est pas

évidente à tirer. Certes, les mécanismes sont atrophiés ou inexistants en Roumanie :

dissolution impossible, pas de domaine distinct loi/règlement, mais est-ce le but poursuivie

par la Constitution ? N�’est ce pas plutôt de corriger cette faiblesse de départ : celle de vouloir

élire un Président afin de fortifier l�’exécutif, en lui ôtant les possibilités de gouverner ?

Nous verrons dans la deuxième partie que le régime roumain voit consacrée

l�’évolution parlementariste du régime, alors que la France par des réformes constitutionnelles

ou des interprétations de la Constitution cherche toujours plus à renforcer la prise du

président de la République sur la réalité politique.

132 Art. 73 al 3 CR : « Par la loi organique sont réglementés: a) le système électoral; l'organisation et le fonctionnement de l'Autorité électorale permanente; b) l'organisation, le fonctionnement et le financement des partis politiques; c) le statut des députés et des sénateurs, l'établissement de leurs indemnités et des autres droits; d) l'organisation et le déroulement du référendum; e) l'organisation du Gouvernement et du Conseil suprême de Défense du Pays; f) le régime de l'état de mobilisation partielle ou totale des forces armées et de l'état de guerre; g) le régime de l'état de siège et de l'état d'urgence; h) les infractions, les peines et leur régime d'exécution; i) l'octroi de l'amnistie et de la grâce collective; j) le statut des fonctionnaires publics; k) le contentieux administratif; l) l'organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la Magistrature, des instances judiciaires, du Ministère public et de la Cour des Comptes; m) le régime juridique général de la propriété et des successions; n) l'organisation générale de l'enseignement; o) l'organisation de l'administration publique locale, du territoire, ainsi que le régime général relatif à l'autonomie locale; p) le régime général relatif aux rapports de travail, aux syndicats, aux patronats et à la protection sociale; q) le statut des minorités nationales de Roumanie; r) le régime général des cultes; s) les autres domaines pour lesquels la Constitution prévoit l'adoption de lois organiques. »

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2EME PARTIE �– L�’ORIGINALITE ROUMAINE CONSACREE PAR

LES EVOLUTIONS OPPOSEES DES DEUX PRESIDENCES

La 1ère Partie a permis de comprendre quels sont les points communs entre les

Républiques françaises et roumaines. La Constitution de la Roumanie s�’inspire

indubitablement du texte fondamental de 1958, dans l�’état et avec les expériences qui sont les

siens en 1990. En une dizaine d�’années, toutefois, la doctrine constitutionnelle est amenée à

évoluer sur un certain nombre de points.

En France, deux rapports sont demandés par le président de la République. M.

Mitterrand appelle un Comité consultatif pour une révision de la Constitution, connu sous le

nom de « rapport Vedel », du nom de du président du Comité. Il est rendu le 15 février 1993.

De nombreuses questions sont abordées mais pour celles qui nous intéressent, la réforme du

septennat et la responsabilité du chef de l�’Etat, le statu quo est recommandé. Le Président

Chirac demande la création d�’un groupe de réflexion sur la responsabilité du Président. La

Commission de réflexion sur le statut pénal du président de la République présidée par le

professeur Avril est constituée le 4 juillet 2002. Le rapport propose de nouvelles solutions qui

n�’ont pas été suivies d�’effet pour l�’instant.

Parallèlement, en Roumanie, une Commission parlementaire pour la révision de la

Constitution se met en place. Dès 2002, des questions sont posées aux experts de la

Commission de Venise.

Deux révisions constitutionnelles particulièrement intéressantes pour notre étude

interviennent dans les deux régimes étudiés. Dans quelle mesure ces révisions ont-elles changé

l�’équilibre institutionnel ?

Le Président roumain perd toujours plus la maîtrise de l�’exécutif alors que la fonction

présidentielle en France semble sortie renforcée des dernières évolutions (I). Le pouvoir

législatif ne perd en revanche jamais une occasion de se renforcer au détriment du Président

roumain et la Cour Constitutionnelle obtient de nouveaux pouvoirs qui pourraient appauvrir

la fonction médiatrice du Président (II).

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I. UNE PERTE DE POUVOIR DU PRESIDENT AU SEIN DE L�’EXECUTIF

ROUMAIN QUI CONTRASTE AVEC LE RENFORCEMENT DE LA FONCTION

PRESIDENTIELLE FRANÇAISE

Le chef de l�’Etat roumain n�’est pas le chef de l�’exécutif, telle est notre conclusion tirée

de ce qui précède, mais cela n�’empêche pas qu�’il continue à avoir une certaine place

prééminente par rapport au Gouvernement. Cependant, même cette dernière est contestée.

Pour Marie-Anne Cohendet, la singularité n�’est pas du côté roumain mais du côté français :

« Tandis que la France a été le premier pays européen à affirmer la souveraineté du peuple, elle est le seul,

parmi les démocraties parlementaires occidentales, à n�’avoir toujours pas réglé un problème résolu depuis

longtemps partout ailleurs, celui des relations entre le chef de l�’Etat et du chef du Gouvernement. Partout, ce

duel au sommet est démodé depuis longtemps, son vainqueur est incontesté, c�’est le Premier ministre. »133

La question de la révocation du Premier ministre est définitivement réglée par la

révision constitutionnelle roumaine du 30 octobre 2003, il convient d�’analyser le changement

de l�’équilibre entre le Président et le Premier ministre (§1). La durée du mandat présidentiel et

sa coïncidence ou non avec le mandat législatif sont revues tant en Roumanie qu�’en France et

pour deux situations opposées, deux solutions, toujours opposées, sont trouvées (§2).

§1. Le pouvoir de révocation du Premier ministre

Marcel Prélot écrit en 1958 : « Le président de la République détient le pouvoir Gouvernemental

dont le Premier ministre est l�’organe exécutif. »134. Il semble donc logique que le Président puisse

décider qui exécutera ses décisions. Or la Constitution de 1958, comme celle de 1991, n�’a pas

prévu de pouvoir de révocation, mais la force du général De Gaulle est précisément de faire

apparaître des démissions comme des révocations. La pratique est donc instaurée et

fidèlement suivie par les autres Présidents tant français que roumains (A). C�’est sans compter

la cohabitation d�’une part et l�’opposition politique d�’autre part (B).

A. L�’interprétation discrétionnaire de dispositions elliptiques

Dans le style « épuré » qui caractérise la Constitution de la Ve République, l�’alinéa 1er

de l�’article 8 dispose : « Le président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions

sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. » Ces dispositions sont très claires et

133 « Le président de la République » M.-A. Cohendet, op. cit. p. 19. 134 « Pour comprendre la nouvelle Constitution. Etudes et documents » Paris, Centurion, cité in « Code constitutionnel » op. cit. p. 401.

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ne donnent en principe pas lieu à grand débat. En Roumanie, en revanche, la Constitution est

moins intelligible puisque aucun article ne contient de dispositions explicites relatives à la fin

de la fonction du Premier ministre. Les Présidents français ont développé une pratique à côté

de la Constitution (1), le chef de l�’Etat roumain en a profité pour suivre l�’interprétation

française (2).

1. Une convention praeter legem

L�’article 8 de la Constitution française n�’est pas celui qui donne lieu au plus de débat

lors de l�’élaboration de la Constitution. Au comité consultatif constitutionnel, le général De

Gaulle, du 8 août 1958, affirme qu�’il n�’y a pas de responsabilité du Premier ministre devant le

président de la République : « Quand on est à la tête du Gouvernement, il faut avoir l�’esprit libre. Le

Gouvernement est responsable devant le Parlement, il n�’est pas responsable devant le chef de l�’Etat qui, lui, est

un personnage impartial, qui ne se mêle pas de la conjoncture politique et ne doit pas s�’en mêler ». Ces

propos se trouvent en contradiction évidente avec ceux prononcés six ans après par le même

Général De Gaulle, moins soucieux de faire accepter la Constitution que de faire valoir

l�’efficacité au sein de l�’exécutif. Au cours de la célèbre conférence de presse du 31 janvier

1964, le Général déclare : « Le Président, qui choisit le Premier ministre (�…) a la faculté de le changer,

soit parce que se trouve accomplie la tâche qu�’il lui destinait, et qu�’il veuille s�’en faire une réserve en vue d�’une

phase ultérieure, soit parce qu�’il ne l�’approuverait plus. »135 Pour Pierre Avril, cette responsabilité

s�’apparente à la « responsabilité générale » ou « morale » de la monarchie parlementaire, c'est-à-dire

qu�’elle n�’a pas besoin d�’être juridiquement définie parce qu�’elle reflète une réalité politique

fondée sur un rapport de force136.

Une pratique du Général a été dénoncée par M. Michel Jobert, selon laquelle De Gaulle aurait

fait signer « à ses Premiers ministres, au moment où il les nommait, une lettre non datée, par laquelle ceux-ci

remettaient leur démission au Chef d�’Etat. »137 Cependant Michel Debré l�’a démentie aussi bien pour

ce qui le concernait que les deux Gouvernements suivants.

Le professeur Pierre Avril classe les différentes démissions en quatre catégories :

démission constitutionnelle obligatoire (à la suite d�’une motion de censure), démission

constitutionnelle coutumière, consécutive à une élection présidentielle, démission

« conventionnelle » résultant d�’un désaccord, soit à l�’initiative du président de la République,

soit à l�’initiative du Premier ministre et démission �– remaniement destinée à faciliter le

renouvellement de l�’équipe Gouvernementale sans changer le Premier ministre. Le Président

135 Conférence de Presse du Général De Gaulle, 31 janvier 1964 in « La doctrine gaulliste » op. cit. 136 « La Constitution de la République française », Pierre Avril, op. cit. p.224. 137 « Mémoires d�’avenir », M. Jobert, Paris, Grasset, 1974, p.174, cité par Pierre Avril in « La Constitution de la République française », op. cit. p.225.

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n�’a pas le pouvoir de retenir un Premier ministre démissionnaire, il ne saurait le contraindre à

conserver des fonctions que celui-ci est décidé à abandonner, tout au plus peut-il en différer

l�’acceptation comme le fit M. Giscard d�’Estaing, le 26 juillet 1976 lorsque M. Chirac lui

présenta sa démission. En revanche, lorsque la démission est imposée par une motion de

censure, le chef de l�’Etat n�’a pas le pouvoir de le maintenir en fonction. Sauf au cas où le

Président voudrait sanctionner une assemblée de cette motion en la dissolvant et en

demandant au Gouvernement de rester en place jusqu�’aux élections suivantes, comme ce fut le

cas en 1962.

En période de fait majoritaire, le Premier ministre accepte que sa responsabilité soit

mise en cause et devant le Parlement et devant le Président. MM. Georges Pompidou, Jacques

Chaban Delmas, Pierre Messmer déclarent tous accepter cette double responsabilité. M. Pierre

Mauroy, souligne, lui aussi en réponse à une question écrite du député M. Cousté, le 22 mars

1982, qu�’il existe une double responsabilité pour le premier ministre : « Sans le double aval du

président de la République et de l�’Assemblée nationale, qui tout deux bénéficient de la légitimité conférée par le

suffrage universel, le Premier ministre ne s�’estimerait pas en situation de continuer d�’exercer ses fonctions. » 138

En cohabitation la limite juridique qu�’est la présentation d�’une lettre de démission est

évidemment bien plus importante

2. Une interprétation roumaine « à la française » jusqu�’en 1999

La Constitution roumaine dans sa version originelle ne contient aucune disposition

relative à la fin des fonctions du Premier ministre, ni révocation, ni démission. Des

dispositions de l�’ancien article 106 combinées à celles de l�’article précédent (actuellement

respectivement les articles 107 et 106 CR139) conduisent à déduire les conditions dans

lesquelles il peut être mis fin aux fonctions du Premier ministre. Le principe est que le Premier

ministre, en tant que membre du Gouvernement est « politiquement responsable, pour toute son

activité, uniquement devant le Parlement. » (alinéa 1 de l�’article 109 CR). Il est aménagé plusieurs

possibilités de fin des fonctions de membre de Gouvernement : « à la suite de la démission, de la

révocation, de la perte des droits électoraux, de l'état d'incompatibilité, du décès, ainsi que dans d'autres cas

déterminés par la loi. » (art. 106 CR) Pour le Premier ministre, s�’il est dans l'une des situations

prévues à l'article 106, ou « est dans l'impossibilité d'exercer ses attributions, le Président de la Roumanie

désigne un autre membre du Gouvernement comme Premier ministre par intérim, pour exercer les attributions

du Premier ministre, jusqu'à la formation du nouveau Gouvernement. (�…)» (art. 107 al.3 CR). Les

138 « Les grands textes de la pratique institutionnelle », textes rassemblés par D. Maus, Paris, La Documentation Française, 1998, p.140, document VIII. 139 Par soucis de simplicité, nous utiliserons la numérotation après la révision constitutionnelle de 2003, même pour évoquer des dispositions qui ont été complétées par la suite.

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présidents de la République ont utilisé cet article, notamment les expressions « impossibilité » et

« révocation » pour révoquer leurs Premiers ministres. Avant même que la Constitution n�’entre

en vigueur, sous le régime de la loi électorale de mars 1990 précitée, le Président Iliescu se

défait de son Premier ministre, Petre Roman, en faisant annoncer par un de ses conseillers, le

26 septembre 1991, la démission du Gouvernement Roman « parce qu�’il a démontré qu�’il ne peut

gouverner de manière efficiente. »140 Le Premier ministre Petre Roman ne cessera ses fonctions que

le 15 octobre 1991.

Le quatrième Premier ministre depuis 1991, M. Ciorbea, est obligé de démissionner,

non pas sous la pression du président de la République, mais des partis. Le Président Emil

Constantinescu se fait alors la voix des partis.

La crise la plus significative est celle de décembre 1999 entre le président et le

deuxième Premier ministre de son mandat, Radu Vasile. Cette affaire est symptomatique du

tournant qu�’a pris le régime roumain dans les dix dernières années : on y constate la

soumission du Gouvernement et du Président aux partis. M. Vasile est soutenu par les jeunes

militants du Parti National Paysan Chrétien Démocrate (« Partidul Na ional r nesc Cre tin

Democrat » ou « PN CD ») alors que les leaders n�’approuvent pas sa politique. Le bureau

central du Parti lui demande de démissionner, devant son refus ils enjoignent aux ministres

démocrates-chrétiens de démissionner, ce qu�’ils font. Le Président Emil Constantinescu

convoque une réunion avec les chefs des partis membres de la coalition (une coalition très

nombreuse : PN CD + PNL �– Parti national libéral + USD-PD �– Union sociale démocrate et

Parti démocrate + UDMR �– Union démocrate des hongrois de Roumanie) à l�’issue de laquelle

ils déclarent retirer leur soutien politique au Premier ministre. Le soir du 13 décembre 1999, le

chef de Gouvernement se retrouve quasiment sans Gouvernement ! Le Président édicte un

décret de révocation141. Successivement, il nomme un Premier ministre intérimaire en vertu de

l�’article 106 al. 2 CR (art. 107 al.3 CR après la révision). La situation frise l�’absurde lorsque le

lendemain les deux prétendus Premiers ministres se présentent au Palais du Gouvernement

mais M. Radu Vasile attend une motion de censure de la part des députés et des sénateurs142. Il

lâchera prise le 17 décembre 1999 en donnant sa démission. Le Président Constantinescu

140 « Instabilitatea guvernamental în România postcomunist » R zvan Grecu, in Studia Politic �– Revista Româna de tiin Politic , Bucarest, Meridiane, Vol.I n°2 2001. (traduction personnelle). 141 Le décret n°426 du 13 décembre 1999 relatif à la révocation de la fonction de Premier ministre du Gouvernement (publié au M. Of. n°609/14 déc. 1999) contient un article unique : « Aux termes des articles 105 [106] et 106 al.2 [107 al.3] de la Constitution de la Roumanie, Le Président de la Roumanie décrète : Article unique �– Monsieur Radu Vasile est révoqué de la fonction de premier ministre du Gouvernement. » 142 Cette situation rappelle celle de M. Pinay le 13 janvier 1960, ministre, qui déclare : « Je fais observer que je ne suis pas démissionnaire, j�’attends qu�’un décret mette fin à mes fonctions. » (Le Monde, 15 janvier 1960). Cité par D. Amson, « La démission des ministres sous la IVe et la Ve République », RDP, 1975 (6), p. 1677.

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prend acte de la démission, la considérant comme en continuité avec la révocation. Les

réactions de la presse seront très violentes à l�’encontre du Président Constantinescu, un

journal à grand tirage titre : « L�’instauration d�’une dictature personnelle »143. Le Premier ministre

précédent, dont le décret de révocation était intervenu, inutilement, après sa démission, le 30

mars 1998, déclare à la presse : « Nous sommes passés d�’une République parlementaire semi-présidentielle

à une République super-présidentielle. Dorénavant, les chefs du Gouvernement seront à la merci du

Président. »144 Les fondements constitutionnels sont présentés dans un communiqué de presse

du 14 décembre 1999 dans le quotidien Ziua (« Le jour »). L�’argument central réside dans

l�’article 106 CR à propos de la fin de la fonction de membre du Gouvernement, rédigé ainsi :

« la fonction de membre du Gouvernement prend fin à la suite de la démission, de la révocation, de la perte des

droits électoraux, de l'état d'incompatibilité, du décès, ainsi que dans d'autres cas déterminés par la loi. »145.

Un juge de la Cour Suprême, Paul Florea, soutient le Président en invoquant le parallélisme

des formes146, les partis sont consultés avant la nomination par le Président (art 102 al.2 CR),

les partis sont consultés avant la révocation par le Président (art 106 CR). Il s�’appuie

également sur l�’article 80 alinéa 2 CR selon lequel le Président veille au bon fonctionnement

des autorités, cependant le juge oublie simplement la première partie de la proposition : « le

Président veille au respect de la Constitution ». Quant à la possibilité de nommer un Premier ministre

intérimaire, l�’alinéa 3 de l�’article 107 CR, avant sa modification (il précise maintenant « excepté

la révocation »), le Président ne peut le faire que si le Premier ministre est dans un cas de l�’article

106 ou « dans l'impossibilité d'exercer ses attributions » mais pour la plupart de la doctrine, à

posteriori, il s�’agit d�’une impossibilité physique et non pas provoquée par le Président lui-

même. Il est intéressant de noter que les commentateurs offusqués par l�’acte présidentiel, ne

l�’ont pas été du rôle des partis.

B. L�’interdiction explicite de la responsabilité dualiste du Gouvernement

Bien que certains constitutionnalistes s�’échinent à clamer haut et fort que la révocation

n�’est pas constitutionnelle, seules la situation politique ou une interdiction explicite

contraignent les Présidents à se plier au droit. En France, la légitimité du Parlement

fraîchement élu, d�’une majorité différente de celle du Président et qui a indiqué de quel côté

choisir le Premier ministre, ne permet pas au chef de l�’Etat de s�’imposer comme chef de

l�’exécutif (1). Les Présidents roumains voient maintenant l�’alinéa 2 de l�’article 107 CR qui leur

est opposé : « Le Président de la Roumanie ne peut pas révoquer le Premier ministre. » (2).

143 M. Feraru dans Cotiadianul (« Le quotidien ») du 15 décembre 1999. 144 Cotidianul du 16 décembre 1999. 145 Traduction et mise en évidence personnelle. 146 România libera « Roumanie Libre » du 16 décembre 1999.

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1. Les limites en période de cohabitation

Les commentaires sont peu nombreux sur cette question. Vu qu�’en période de

cohabitation, le Président est contraint de respecter « la Constitution, toute la Constitution, rien que

la Constitution » selon le mot du Président Mitterrand, il ne reste qu�’à constater que le Président

n�’a pas le pouvoir de révoquer le Premier ministre.

A la question d�’Olivier Duhamel : « Le Président doit-il pouvoir révoquer le Premier

ministre ? », monsieur F. Mitterrand répond : « Le Premier ministre, qui met en �œuvre la politique de la

majorité parlementaire, ne peut être révoqué que par elle. »147 Le caractère moniste du régime

parlementaire de la Ve République est alors révélé. La pratique qui occulte la Constitution

depuis une trentaine d�’année se dévoile enfin : le Premier ministre n�’est pas révocable. Lorsque

le Premier ministre est le chef d�’une majorité en désaccord avec le président, il devient, selon

l�’expression de Chaban-Delmas, « indéboulonnable ».148

2. La révision de l�’article 107 de la Constitution roumaine

La crise Vasile �– Constantinescu a été la dernière et a déclanché en réaction,

l�’inscription dans la Constitution de l�’impossibilité pour le président de la République de

révoquer le Premier ministre. Depuis la loi de révision de la Constitution de la Roumanie

n°429/2003 du 29 octobre 2003, l�’article 106, devenu 107 suite à la renumérotation, s�’est doté

d�’un nouvel alinéa qui stipule : « Le Président de la Roumanie ne peut pas révoquer le Premier ministre. »

(art. 107 al.2 CR). L�’alinéa 3 a été complété de cette manière : « Si le Premier ministre est dans l'une

des situations prévues à l'article 106, excepté la révocation, ou est dans l'impossibilité d'exercer ses attributions,

le Président de la Roumanie désigne un autre membre du Gouvernement comme Premier ministre par intérim,

(�…) »149.

Plusieurs amendements sont déposés auprès du bureau de la Commission chargée de

la révision de la Constitution. Tous visent à ne pas inclure d�’interdiction ou même à permettre

la révocation. La Commission repousse tous ces amendements en soutenant que la révocation

du Premier ministre à l�’initiative du Président de la Roumanie, est inadmissible du moment où

le Premier ministre est investi par le Parlement.150

L�’évolution du pouvoir de révocation est intéressante à observer car elle montre

combien l�’équilibre entre le texte fondamental et la pratique constitutionnelle est fragile et que

cette dernière peut se montrer plus persuasive au point de déclancher une modification 147 « Sur les institutions » F. Mitterrand in Revue Pouvoirs « L�’URSS de Gorbatchev » n°45, p.136. 148 Mot cité par S.-L. Formery, in « La Constitution commentée article par article », op. cit. p.28. 149 Mise en évidence personnelle. 150 Débats reportés par Cristian Ionescu in « Constitu ia României �– Legea de revizuire comentat i adnotat cu dezbateri parlamentare. », Bucarest, All Beck, 2003, p.168.

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constitutionnelle. En témoigne la révision du 30 octobre 2003 de la Constitution roumaine qui

s�’oppose à ce que la pratique puisse détourner de nouveau les dispositions constitutionnelles

implicites. A l�’inverse, la conjoncture politique en France permet de redécouvrir les prévisions

constitutionnelles. De façon identique, la question de la durée du mandat a été augmentée ou

réduite selon les effets escomptés.

§2. Les choix opposés sur la durée de mandat menant ou non à la cohabitation

« La confrontation traditionnelle entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif s�’efface de plus en plus,

désormais, devant celle entre majorité et opposition. »151 Cette analyse est issue de l�’expérience de la

cohabitation qui transforme le chef de l�’exécutif en chef de l�’opposition. La cohabitation,

jugée comme anomalie de la Ve République s�’est finalement imposée comme part entière de la

vie institutionnelle depuis 1986, date de la première. A l�’origine de ce fait politique amenant les

électeurs à voter à quelques années de différence une majorité différente pour les législative,

les mandats présidentiels et législatifs de durée différente, celui du Président étant plus long

pour qu�’il puisse assurer sa fonction arbitrale. En 1990, le constituant roumain est déjà éclairé

sur la possibilité d�’une telle situation. Il choisit donc de faire coïncider les mandats, optant

pour une présidence de législature, ce que le fondateur de la Ve République a toujours refusé

(A). Or la révision constitutionnelle de 2003 en Roumanie et celle de 2000 en France voient la

durée changer, les solutions adoptées sont la situation inverse de celle étudiée précédemment

(B).

A. L�’option initiale roumaine de la présidence de législature, opposition avec la Constitution de 1958

En France, dès les origines de la Ve République, la question est repoussée et la

cohabitation, bien qu�’elle ne soit pas envisagée, est rendue possible (1). Il n�’est pas évoqué lors

des débats constitutionnels roumains une référence explicite à la « présidence de législature », à

ses avantages et inconvénients, mais c�’est le système choisi (2).

1. Le refus français et l�’expérience de la cohabitation

La Constitution française dans sa rédaction initiale prévoit que le mandat législatif est

de cinq ans (art. 63 al.1 CF) et celui du président de la République de sept ans (art.6 CF).

Pour le général De Gaulle, « le risque, si l�’on fait coïncider l�’élection présidentielle et l�’élection

législative, c�’est que le président devienne prisonnier de l�’Assemblée, c'est-à-dire des partis. Les deux

consultations,dans la foulée, résulteraient de combinaisons électorales. Or, tout a été agencé dans cette

151 « Droit constitutionnel », sous la direction de Louis Favoreu, Paris, Dalloz, 7ème éd. p.338.

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Constitution pour permettre au président d�’échapper à ces combinaisons, et de placer le Gouvernement en

position de force vis-à-vis de l�’Assemblée. »152 Le Général développe complètement son

argumentation dans la conférence de presse du 31 janvier 1964, où certains lui conseillent

d�’établir « un véritable régime présidentiel ». « Parce que la France est ce qu�’elle est », parce qu�’elle n�’est

pas les Etats-Unis, où le système fonctionne « cahin-caha », « il ne faut pas que le président soit élu

simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérerait le caractère

et abrègerait la durée de sa fonction de chef de l�’Etat. »153 De plus, dans l�’idée gaulliste, l�’élection

présidentielle n�’est pas le seul moyen de placer le chef de l�’Etat face au peuple souverain qui

sanctionne son mandat précédent en le confirmant ou en en choisissant un autre. Pour René

Capitant, le septennat « serait bien long si le Président n�’était pas pendant ces sept années responsable

devant le Peuple et si le Peuple, comme il l�’a fait en 1969 n�’avait pas la possibilité d�’interrompre le

septennat. »154

La conséquence directe du décalage de l�’appel au peuple pour le choix de ses

représentants au Parlement et pour celui de son président de la République, est que ceux-ci

peuvent ne pas être du même bord politique. La cohabitation ne génère pas un changement de

régime, mais seulement un changement de système politique155, du fait de la modification d�’un

élément majeur du système de variables déterminantes, la situation de la majorité

parlementaire par rapport au Président. Tous les acteurs sont alors obligés de respecter la

lettre de la Constitution, c'est-à-dire que le Président ne peut plus se permettre d�’imposer sa

vision des institutions. La France subit ou assiste à trois cohabitation : 1986-1988, 1993-1995

puis 1997-2002.

A propos du terme « cohabitation », François Mitterrand répondant à des questions

d�’Olivier Duhamel, en mars 1988 déclare qu�’il « préfère [l�’expression de coexistence pacifique]

parce qu�’elle souligne que la situation ainsi créée n�’a pas résulté de ma volonté personnelle mais du seul souci

que j�’avais de respecter la Constitution, c'est-à-dire la loi commune. La trace qu�’elle laissera sera profonde.

Chacun des pouvoirs sait désormais qu�’il existe et voudra exercer sa pleine compétence, y compris lorsque

majorité parlementaire et majorité présidentielle coïncideront de nouveau. »156 On découvre en France, lors

de la première cohabitation, les pouvoirs réels du Président tels qu�’ils sont définis par le texte

constitutionnel : l�’importance des pouvoirs propres, les pouvoirs exigeants le contreseing

échappant désormais à la tutelle du Président. Pour Maurice Duverger, « en appliquant le principe

« la constitution, toute la constitution, rien que la constitution », François Mitterrand réussit sa plus belle

performance. Il parvint à incarner le fameux « pouvoir modérateur » que Benjamin Constant voulait attribuer 152 « C�’était De Gaulle », A. Peyrefitte, Ed. Fallois/Fayard, t.II, 1997, p.143. 153 Conférence de Presse du général De Gaulle, 31 janvier 1964 in « La doctrine gaulliste » op. cit. 154 Cours de René Capitant, op. cit. p. IX.30. 155 Sur la distinction régime/système, voir « Les démocraties » O. Duhamel, Paris, Seuil, 1993, p. 275s. 156 « Sur les institutions » op. cit. p.135.

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aux monarques constitutionnels et que ceux-ci ne purent jamais faire vivre ».157 Effectivement, dans ce

contexte, les présidents n�’ont plus de légitimité politique partisane pour diriger la politique

nationale, mais ils ont une légitimité arbitrale ou plus précisément, la légitimité d�’un pouvoir

modérateur, pour veiller au respect de la Constitution et rappeler le Gouvernement à l�’ordre

par des critiques si nécessaire. Marie-Anne Cohendet dans son article « Cohabitation sous la Ve

République »158, aborde la question du changement de système en deux parties : « un large retour

au texte de la Constitution » et « la persistance de certains abus de pouvoirs présidentiels ». Dans cette

dernière, elle souligne que les Présidents en place lors des périodes de « coexistence » n�’ont pas

hésité à violer la Constitution. F. Mitterrand par exemple a réussi à s�’arroger un droit de veto

sur les nominations, les ordonnances, les sessions extraordinaires du Parlement. Il est parvenu

à prétendre continuer à imposer sa prééminence, ou au moins des pouvoirs partagés avec ceux du

Premier ministre en matière de défense et de diplomatie, alors même qu�’il avait longtemps

dénoncé l�’inconstitutionnalité du prétendu « domaine réservé ». Marie-Anne Cohendet liste

ensuite les divers points où le Premier ministre a pu réussir à s�’imposer dans la stricte

interprétation de la Constitution et ceux où le Président a persisté. « Car les habitus ont la vie

dure » comme elle le dit si bien. Elle conclut toutefois « ce n�’est pas parce que ces violations ont été

possibles qu�’elles sont admissibles. Cela montre seulement que la primauté de la Constitution sur les actes du

Président n�’est pas garantie, et qu�’il conviendrait donc de la réviser pour en imposer le respect à tous.

Cependant, au fil des cohabitations, de nouveaux habitus étant créés par de nouvelles pratiques, l�’image de la

norme se modifie, favorisant un retour au texte de la Constitution. »159

La réforme en question a été amorcée par loi constitutionnelle n°2000-964, modifiant

la durée du mandat présidentiel qui correspond dorénavant à celui législatif.

2. Le choix initial de la Roumanie

En vertu de l�’article 83 dans sa rédaction originelle, « le mandat du Président de la

Roumanie est de quatre ans et son exercice commence à la date de la prestation du serment. »

Or, la même durée a été prévue pour les membres de la Chambre des députés et du Sénat (art.

63 al.1 CR). La raison n�’apparaît pas dans les débats de l�’Assemblée constituante. Peut-être,

est-ce par soucis de simplicité. En effet, l�’ensemble des mandats est de quatre ans : l�’article 24

de la loi de l�’administration public locale160. Le calendrier électoral est ainsi fait : tous les quatre

ans, en juin, les citoyens élisent les maires et les autres élus locaux (à moins d�’un décalage

conjoncturel) puis fin novembre �– début décembre, les électeurs vont aux urnes pour choisir 157 Article « Régime présidentiel » de M. Duverger, op. cit. p. 903. 158 « Droit constitutionnel » M.-A. Cohendet, op. cit. p. 21s. 159 Idem, p.25. 160 Loi n°215/2001 du 23 avril 2001, publiée au Moniteur Officiel n°204 du 23.04.2001. Cette loi a subi de nombreuses modifications mais reste en vigueur.

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les députés et les sénateurs ainsi que le président de la République pour le premier tour. La

majorité législative est ainsi dégagée puis le deuxième dimanche suivant le premier tour, les

citoyens élisent le candidat retenu parmi les deux premiers selon les résultats obtenus. Il peut

alors se produire un fait peu souhaitable : que l�’opinion publique politique change entre les

deux tours. Cette situation s�’est quasiment réalisée lors des dernières élections

législatives/présidentielles en décembre 2004161. La confusion au moment de la formation du

Gouvernement est garantie. Malheureusement, cette situation risquera de se produire à

nouveau dans le futur étant donné que les parlementaires ont choisi de décaler les mandats des

parlementaires et celui du Président.

B. Des mandats présidentiels et législatifs de durée inégale, opposition avec la Constitution française

en 2005

Dans la lettre qu�’il adresse le 30 novembre 1992 aux présidents des deux assemblées et

au président du Conseil constitutionnel, François Mitterrand présente « le texte des propositions de

révision de la Constitution qu�’il entend soumettre à l�’examen d�’un Comité consultatif ».

Voici l�’extrait concernant la durée du mandat présidentiel : « Le débat d'actualité, ouvert dans l'opinion publique, porte, on le sait, sur la durée du mandat

présidentiel. La Constitution a fixé celui-ci à sept ans et autorise son renouvellement. Dans ce

dernier cas, beaucoup pensent que quatorze années, c'est trop. M. Pompidou avait fait adopter

par les Assemblées le mandat à cinq ans renouvelable une fois. Mais il n'a pas poussé la

procédure à son terme, c'est-à-dire jusqu'au vote du Congrès. De nombreuses initiatives ont

repris ce projet. Diverses personnalités préfèrent un mandat de sept ans non renouvelable et

certaines d'entre elles suggèrent six ans renouvelables une fois. Ma préférence va à un mandat

d'une durée plus longue que celle d'un député et au moins aussi longue que celle d'un maire ou

d'un conseiller général. N'oublions pas que le président de la République a, en raison de l'article

5, un pouvoir d'arbitrage et qu'il n'est pas lié aux changements de majorité parlementaire.

Tout autre serait la logique d'un régime présidentiel de type américain. J'ai moi-même écrit, en

1988, que je laisserais le soin au Parlement et aux grandes formations politiques de déterminer,

par un accord aussi large que possible, la durée désirable ».

Plus de dix ans après, les enjeux sont toujours les mêmes. Le débat public sera large et

réglé par référendum le 24 septembre 2000 : les mandats présidentiels et législatifs sont tous les

deux de cinq ans (1). En Roumanie, la question est incidemment réglée à l�’occasion de la

révision constitutionnelle, pourtant les propositions de révision constitutionnelle des parties ne

montrent aucun intérêt particulier pour cette modification. La solution choisie est

l�’allongement du mandat, elle adopte le système français de 1958 (2). 161 Le Premier ministre C lin Popescu T riceanu est obligé de former un Gouvernement proportionnellement à la coalition formée dans le Parlement qui obtient difficilement les 51% nécessaires à l�’investiture.

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1. Le référendum du 24 septembre 2000 en France

« On reproche couramment au septennat le fait qu�’il remonte aux premières années de la IIIe

République, et qu�’il est né d�’une série de hasards, tenant aux rapports de forces au sein de la droite

monarchiste, à la fatigue du président Mac-Mahon et à l�’espérance de vie du comte Chambord. Voilà,

concluent souvent ses détracteurs, pourquoi il ne correspond plus à rien aujourd�’hui, et doit être remplacé par un

mandat plus bref. »162 Chose faite. Avant d�’évoquer la loi constitutionnelle n°2000-964 du 2

octobre 2000, qui modifie l�’article 6 de la Constitution française, il est important de

comprendre l�’évolution du débat.163

Alors que le général De Gaulle s�’oppose fermement à toute remise en question du

septennat, peu à peu le président Pompidou évoque l�’éventualité d�’une réduction du mandat.

Le quinquennat est jusque-là invoqué par ceux qui voudraient réduire le pouvoir présidentiel.

Le président Pompidou retourne à son profit la thématique et la rhétorique du quinquennat.

« Dans un régime comme le nôtre (�…) tout le problème est celui de l�’équilibre des pouvoirs, et cet équilibre est

extrêmement fragile (�…). Je me suis dit qu�’une raison de déséquilibre existait dans la différence de la longueur

de mandat du président de la République et celui des députés. Dans une Assemblée un peu difficile, on

trouverait (�…) des parlementaires (�…) pour dire au président de la République (�…) : « Ecoutez, vous êtes

élu pour sept ans alors que nous nous soumettons au suffrage populaire tous les cinq ans. Par conséquent, nous

sommes plus près du peuple que vous, c�’est nous qui somme les porteurs de la volonté du pays. » C�’est là ma

grande raison de fond : établir ce véritable équilibre des pouvoirs et faire que mes successeurs ne se trouvent pas

dans une sorte d�’infériorité morale vis-à-vis du Parlement. »164 Le Président Pompidou envisage donc

une réforme de la Constitution par la voie parlementaire mais ceux qui plaidaient pour le

quinquennat ne veulent pas se rallier à la majorité présidentielle. Le Président décide de

reporter le processus de révision à des jours meilleurs. Son successeur aurait pu réunir la

majorité des trois cinquièmes du Congrès, mais « Giscard d�’Estaing, qui songe déjà à sa réélection, est

peu soucieux d�’abréger son propre mandat en s�’appliquant à lui-même une telle règle : il est toujours pénible de

scier la branche sur laquelle on est assis. »165 Il enterre donc le projet.

Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois résument les débats autour du quinquennat

jusqu�’en 1997 ainsi : « né dans les années 60 du refus de la primauté présidentielle, prolongé dans les années

70 par ambition de la renforcer, puis dans les années 80 par le soucis de rajeunir le système, le combat pour le

quinquennat est relancé en 1997 sur des bases nouvelles. Désormais, en effet, un phénomène domine la vie

politique : la cohabitation, et notamment la troisième d�’entre elle qui commence alors pour une durée de cinq

162 « Quinquennat ou septennat ? » C. Boutin, F. Rouvillois, Paris, Flammarion, 2000, p. 30. 163 Sur ce point, on peut voir les extraits du rapport Vedel précité, sur le site de la Documentation française : http://www.ladocfrancaise.gouv.fr/dossier_actualite/quinquennat/documents.shtml#rapport_Vedel 164 Cité in « Les idées politiques de Georges Pompidou », S. Rials, Paris, PUF, 1977, p.163-164. 165 « Quinquennat ou septennat ? » C. Boutin, F. Rouvillois, Ed. Flammarion, 2000, p. 45.

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ans. C�’est la nécessité d�’éviter sa répétition ou de neutraliser ses effets qui va devenir, dans le discours politique,

la principale justification du quinquennat. »

En mai 2000, l�’ancien Président Valéry Giscard d�’Estaing dépose une proposition de

loi visant à réduire la durée du mandat présidentiel à cinq ans. La situation politique de

cohabitation fait que la réforme a de grandes chances de passer, la majorité socialiste étant

pour cette réduction et le Président et son parti ne voulant pas se décrédibiliser. La voie du

référendum est choisie et le peuple acquiescera le 24 septembre 2000, une réforme du

quinquennat « sec », c'est-à-dire ne modifiant que la durée du mandat.

La plupart des auteurs de la doctrine contestent cette réforme dans le sens où elle n�’a

pas été accompagnée de toute une série de mesures ajustant la durée avec les autres

dispositions de la Constitution. Certains qualifient la réforme de « quinquennat gadget ». Ils

critiquent le fait que le Président deviennent le leader de la majorité. Le choix constitutionnel

qui fonde la révision est de redonner toute sa puissance d�’attraction au présidentialisme

majoritaire affaibli par les cohabitations successives. C�’est avouer que, des deux lectures,

présidentialiste et parlementaire, de la Constitution de la Ve République, c�’est la première qu�’il

s�’agit de privilégier (alors que c�’est la seconde que favoriserait le septennat non renouvelable).

« Or, critiquent les auteurs du Code Constitutionnel, la vraie difficulté n�’est pas dans la détermination

de la durée du mandat présidentiel (�…), mais dans l�’ajustement de cette durée avec les autres dispositions de la

Constitution. Assigner un même terme aux mandats du président de la République et de l�’Assemblée

nationale, devant laquelle le Gouvernement est responsable, c�’est consacrer le chef de l�’Etat comme chef de

l�’exécutif, retirer à la mission arbitrale du président l�’essentiel de sa portée, et réduire considérablement l�’espace

d�’initiative réservé au Premier ministre. »166 Ils qualifient cette logique de « présidentialisme rationalisé ».

Tous les auteurs mettent l�’accent sur le fait que la synchronisation des mandats

n�’implique pas une impossibilité de cohabitation mais la rende moins probable. Toutefois, une

dissolution, un décès ou une démission du Président peuvent décaler les élections, offrant à

nouveau une situation de cohabitation.

2. La révision constitutionnelle roumaine du 30 octobre 2003

Contre toute attente, au regard de ce que nous avons dit par rapport à l�’influence

française, à la même question de la durée du mandat, les roumains répondent par la solution

inverse. La révision du 30 octobre 2003 porte la durée du mandat de quatre à cinq ans. La

doctrine ne fait pas grand cas de cette modification et les commentaires sur cette

modifications sont très réduits. Aux sénateurs qui voulaient revenir au mandat de quatre ans,

la Commission pour la révision de la Constitution répond : « la prolongation du mandat correspond

166 « Code Constitutionnel » op. cit. p.350.

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à un courant d�’opinion lié à la séparation des élections présidentielles de celles parlementaires. La concomitance

des élections présidentielles et parlementaires déforme le choix du corps électoral en ce qu�’elle fait dépendre la

représentation au Parlement de l�’adhésion de ce corps à la personnalité du candidat à la fonction de

Président. »167

Rappelons que le mandat législatif est d�’une durée de quatre ans (art. 63 al.1 CR). La

conséquence directe est donc un affaiblissement supplémentaire de la fonction présidentielle

car la désynchronisation du mandat éloigne le Président de toute possibilité de gouverner à

travers un Premier ministre choisi sur une majorité parlementaire favorable. On objectera que

cela a bien été le cas en France, mais c�’est oublier qu�’en Roumanie, le Président ne dispose pas

de l�’arme politique de la dissolution discrétionnaire. Il est intéressant de savoir que l�’initiateur

de cette réforme est le sénateur Iorgovan, celui-là même qui plaidait pour le régime semi-

présidentiel au sein de l�’Assemblée constituante en 1991. Sans rentrer dans le débat politique,

il apparaît assez clairement que le parti majoritaire au moment de la révision, le Parti Socialiste

Démocrate, celui du Président Iliescu et de son Premier ministre, Adrian N stase, envisage la

concrétisation des réformes constitutionnelles dans un environnement permettant au

Président, qui aurait été monsieur N stase, de maintenir ses prérogatives politiques, pour cinq

ans. Ce qu�’ils n�’ont pas prévu, est l�’échec du Premier ministre aux élections présidentielles de

décembre 2004. La question reste entière : comment résoudre le hiatus politique lorsque le

Président sera élu suffisamment après ou avant les parlementaires pour ne pas être de la même

couleur politique ? Il ne pourra pas utiliser la dissolution, ni révoquer le Premier ministre, ni

remanier le Gouvernement de manière trop substantielle. Le Président se retrouvera à devoir

respecter la lettre de la Constitution qui reste moins avantageuse que celle de la France.

La solution de l�’allongement du mandat du Président montre la volonté implicite de

« le mettre sur la touche ». Peu à peu, rejoint-il les Présidents des autres régimes semi-

présidentiels d�’Europe ? L�’intense campagne présidentielle d�’octobre �– novembre 2004, laisse

penser le contraire. Néanmoins, la révision de la Constitution montre que les opposants au

Front de Salut National, en 1991, qui veulent instaurer un régime parlementaire, à défaut de

l�’obtenir, réussissent peu à peu à limiter la sphère d�’influence du Président à la représentation

de l�’Etat, en s�’éloignant toujours plus du modèle de la Constitution française de 1958 ou de

2005.

167 Cité par Cristian Ionescu in « Constitu ia României �– Legea de revizuire comentat i adnotat cu dezbateri parlamentare » op. cit. p.147.

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Nous avons considéré dans la première partie quels sont les rapports du Président

avec le pouvoir législatif, la dernière section est consacrée à l�’observation de l�’évolution de

ceux-ci et du rôle de la Cour Constitutionnelle par rapport au Président.

II. LE RAPPORT DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE AVEC LES POUVOIRS

LEGISLATIF ET CONSTITUTIONNEL Les rapports du Président avec les pouvoirs législatifs et constitutionnels s�’expriment

particulièrement au travers de la fonction de médiateur ou d�’arbitre. Celle-ci manifeste le

devoir qui lui incombe, celui d�’être « la clef de voûte des institutions », selon le mot de Michel

Debré. Que l�’arbitrage soit passif ou actif, il implique qu�’aucun pouvoir ne soit au-dessus de

lui, puisse le contrôler éventuellement, quoique dans la pensée gaullienne, à part le Peuple,

aucun organe n�’est apte à exercer un contrôle sur le Président. Pour le Général : « Il doit être

évidemment entendu que l�’autorité indivisible de l�’Etat est confiée tout entière au président par le peuple qui l�’a

élu, qu�’il n�’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et

maintenue par lui, enfin qu�’il lui appartient d�’ajuster le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dont il

attribue la gestion à d�’autres�… »168. Il n�’a pas l�’audace de citer le pouvoir législatif, qui n�’est ni

confié ni maintenu par lui (exception faite de la menace de dissolution).

Dans le système roumain, le Parlement acquiert une place de plus en plus

prédominante. Cela peut s�’expliquer par le fait que les hommes politiques étaient peu connus

et les partis faibles lors de la création de la République roumaine, en 1991.

Sur le plan de la justice constitutionnelle, la Roumanie compte parmi les précurseurs,

puisque dès la fin du XIXe siècle, les juges de la Cour de Cassation laissent entendre que la

Constitution est supérieure à une loi contraire. Le pas est franchi en 1902, lorsqu�’ils refusent

d�’appliquer une loi, la jugeant comme inconstitutionnelle. En 1912, le procès de la Société des

Tramways de Bucarest permet l�’affirmation du contrôle juridictionnel sur les lois. La

Constitution de 1923 prévoit explicitement ce contrôle. Il est évident que lors de l�’élaboration

de la Constitution en 1991, le contrôle de constitutionnalité des lois, même a posteriori, est

adopté. La Cour Constitutionnelle dispose de nombreuses attributions énumérées à l�’article

147 CR et dans la loi n°47 du 18 mai 1992 relative à son organisation et son

168 Conférence de presse du 31 janvier 1964, in « La doctrine gaulliste » op. cit.

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fonctionnement169. Enfin, une attribution supplémentaire est rajoutée par la révision

constitutionnelle de 2003.

Au fur et à mesure des évènements politiques et de par le fait que visiblement, lorsqu�’il

s�’agit de réduire la fonction présidentielle, la majorité nécessaire au vote d�’une révision

constitutionnelle est obtenue, le Parlement renforce sa position, déjà éminente dans la

Constitution de 1991 (§1). Le rapport du Président, que ce soit en France ou en Roumanie,

avec l�’organe constitutionnel évolue lui aussi car son rôle de « veilleur » du respect de la

Constitution n�’est pas toujours très efficace ou à son avantage, alors que le rôle d�’arbitre du

Président roumaine pourrait clairement diminuer du fait de la nouvelle compétence attribuée à

la Cour Constitutionnelle roumaine (§2).

§1. L�’équilibre des pouvoirs entre le Président et le Parlement

Le contraste entre la pratique roumaine et française est grand dans les rapports avec le

Parlement comme on a pu déjà le constater. En Roumanie, l�’impossibilité pour le Président de

manipuler la composition du Gouvernement sans l�’assentiment du Parlement mène à la

conclusion de la perte de toute latitude d�’action présidentielle. Le chef de l�’Etat devient ainsi le

notaire de la volonté du Parlement. Celui-ci a la possibilité de contrôler le remaniement en

Roumanie mais en France, la pratique est identique à celle concernant le Premier ministre170

(A). Allant plus loin que le contrôle du Gouvernement et de sa composition, ne pouvant pas

contrôler l�’élection du Président, le Parlement consolide la responsabilité pénale et politique

du Président devant lui tant en France qu�’en Roumanie (B).

A. Le contrôle sur le Gouvernement : le remaniement ministériel conditionné ou libre

La comparaison avec la situation en France révèle le fossé qui sépare la Ve République

de la République roumaine aujourd�’hui. La situation de contrôle du Parlement sur la

composition du Gouvernement n�’est pas sans rappeler la IIIe République française. La

Roumanie est-elle à l�’aube d�’un régime d�’assemblée ? En effet, si en France est tolérée une

pratique identique à celle de la révocation du Premier ministre pour le Gouvernement (1), les

députés roumains ont, lors de la dernière révision constitutionnelle, écarté toute possibilité de

remaniement ministériel important sans contrôle parlementaire (2).

169 Republiée au Moniteur Officiel n°502 du 3 juin 2004, les textes ayant une nouvelle numérotation. 170 Se reporter aux développements sur la révocation du Premier ministre, cf. 2ème Partie, I.§1.

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1. Une pratique semblable à celle de la révocation du Premier ministre

On constate dans les textes constitutionnels de la Ve République une véritable volonté

de faire disparaître les traces de toute responsabilité individuelle des ministres devant le

Parlement. En effet, sous la IIIe République, il était possible de renvoyer un ministre

individuellement.171 Cela n�’implique pas que ce droit ait disparu au profit du président de la

République. D�’après M. Didier Maus, « on voit mal d�’ailleurs comment ce droit, dont le Président

Ramadier avait fait usage en 1947 aux dépens des ministres communistes, aurait pu ne pas exister dans un

système constitutionnel dont l�’ambition était de renforcer à la fois l�’autorité du président de la République et du

Premier ministre. »172

L�’alinéa 2 de l�’article 8 CF rédigé ainsi : « Sur la proposition du Premier ministre, [le

président de la République] nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions. »

laisse une plus grande marge encore au président de la République. Ce libellé met l�’accent sur

le parallélisme des formes qui doit exister entre la nomination et la cessation des fonctions

Gouvernementales. On en déduit également que, si la proposition du Premier ministre est

nécessaire pour mettre fin à la fonction d�’un membre du Gouvernement, il n�’est nullement

obligatoire que ce dernier ait manifesté explicitement sa volonté de partir. A propos de la

responsabilité individuelle des ministres devant le Président, M. Michel Debré affirme peu

après avoir nié toute intention de double responsabilité du Gouvernement devant le chef de

l�’Etat : « La responsabilité collective du ministère, comme la responsabilité individuelle de chaque ministre, joue

devant le chef de l�’Etat »173. Suivant les circonstances, les Présidents eux-mêmes vont jusqu�’à

commenter la composition des Gouvernements, il n�’est donc pas étonnant que le Président

prenne la liberté de révoquer certains ministres. Certaines fois, au cours de l�’histoire

institutionnelle de la Ve République, le Président remanie le Gouvernement de manière

tellement importante que cela reviendrait au même de nommer un nouveau Gouvernement174.

Les révocations expriment chaque fois de véritables désaccords politiques, d�’où la

crainte pour les parlementaires roumains de voir la teneur politique de l�’équipe

Gouvernementale changer. Etant donné, qu�’en France, le Gouvernement ne se soumet pas à

l�’investiture du Parlement, le seul moyen pour ce dernier d�’exercer un contrôle politique réside

dans la motion de censure (art. 49-2 CF), le refus de la confiance sur le programme du

Gouvernement (art. 49-1 CF) ou sur un texte (art. 49-3 CF).

171 Dans son précis de 1952, Marcel Prélot fait la même analyse et distingue « la question de portefeuille et la question de Cabinet » p.518, cité par M. Maus dans ses notes de cours « Le droit constitutionnel de la Ve République », vol. III. p.71. 172 « Démissions et révocations » D. Maus in Revue Pouvoirs « Le ministre » n°36, p.119. 173 Entretien publié par la « Revue de la Défense nationale » d�’août-septembre 1958, cité par Pierre Avril in « La Constitution de la République française », op. cit. p.224. 174 En 1976, un décret de remaniement « technique » révoque six ministres, sous le Gouvernement Chirac.

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2. L�’élimination du risque de changement politique issu d�’un remaniement

Quelle serait la valeur d�’une investiture si le Gouvernement pouvait ensuite être

remanié sans avoir recours à l�’autorisation du Parlement ?

Le traitement de la question du remaniement ministériel révèle l�’évolution

parlementariste du régime roumain. Si la légitimité du président de la République découle du

suffrage universel direct, celle du Premier ministre découle du vote de confiance donné par le

Parlement à l�’occasion de l�’investiture précédant sa nomination. La procédure suivie ensuite

pour la formation du Gouvernement est décrite par Cristian Ionescu175 : chaque candidat pour

la fonction de ministre inscrit sur la liste du Gouvernement est entendu en séance commune

par chaque commission permanente des deux chambres, qui correspond au domaine d�’activité

du futur ministre. A la suite de l�’audition, les commissions émettent un avis commun

consultatif, motivé, lequel sera présenté au candidat désigné pour la fonction de Premier

ministre. A la suite de celles sur la nomination du Premier ministre, l�’article 85, dans sa version

originelle, finit par l�’alinéa 2 : « En cas de remaniement Gouvernemental ou de vacance de postes, le

Président révoque et nomme, sur proposition du Premier ministre, les membres du Gouvernement. » Cet alinéa

n�’indique aucune obligation de référence à la volonté du Parlement. Le remaniement peut être

défini comme « tout changement ample »176 au sein du Gouvernement. Le Président et le Premier

ministre peuvent donc à loisir changer ensuite la composition du Gouvernement et il faudrait

pour les deux Chambres passer par la difficile procédure de la motion de censure pour

sanctionner la nouvelle équipe Gouvernementale.

La Commission pour l�’élaboration de propositions législatives de révisions de la

Constitution a proposé d�’introduire un nouvel alinéa qui a été repris dans la loi

constitutionnelle n°429/2003. L�’article 85 CR se trouve dorénavant doté d�’un troisième alinéa

ainsi rédigé : « Si la proposition de remaniement entraîne le changement de la structure ou de la composition

politique du Gouvernement, le Président de la Roumanie ne pourra exercer l'attribution prévue à l'alinéa (2)

que sur la base de l'approbation du Parlement, donnée sur la proposition du Premier ministre. » Le nouveau

texte réduit considérablement l�’action présidentielle. Jusqu�’à la révision, le Premier ministre

s�’adresse au président de la République pour lui proposer un remaniement. Désormais, quelle

sera la procédure à suivre ? Le Premier ministre proposera un remaniement au Parlement qui

l�’approuvera ou non, puis le président de la République ne disposera plus que du pouvoir

d�’entériner la décision du Parlement par un décret de révocation et de nomination personnelle

des ministres concernés ?

175 « Constitu ia României �– Legea de revizuire comentat i adnotat cu dezbateri parlamentare » Cristian Ionescu, op. cit. p.150. 176 « Orice schimbare ampl a Guvernului poate fi considerat remaniere guvernamental . » idem p.151.

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Par cette nouvelle atteinte au pouvoir présidentiel, le régime glisse de facto vers le

régime parlementaire pur et simple. Le Parlement ayant « récupéré » la maîtrise totale de la

composition du Gouvernement, il tente désormais d�’exercer un contrôle sur le président.

B. Une responsabilité consolidée devant le Parlement

Il convient à cet égard de distinguer au sein de la catégorie des immunités , c�’est à dire

selon le sens commun, le droit de bénéficier d�’une dérogation à la loi commune : l�’immunité au

sens strict, consistant en l�’absence de possibilité de sanction pour un acte que le droit commun

( pénal, civil, voire professionnel) permet de sanctionner ; le privilège de juridiction ou de procédure,

attribution de compétence à une juridiction spécialisée pour l�’appréciation d�’actes ou la mise

en cause de personnes déterminées, procédure particulière de mise en accusation ou régime

particulier de poursuite ; l�’inviolabilité, garantie, généralement conditionnelle, de n�’être ni arrêté

ni soumis à des mesures restrictives de liberté.

En France comme en Roumanie, la tradition constitutionnelle consacre

l�’irresponsabilité du chef de l�’Etat. Les Constitutions de 1866 et 1923 en Roumanie prévoient

que « La personne du prince [roi] est inviolable. ». Pourtant, il n�’est plus concevable

aujourd�’hui de ne pas pouvoir atteindre le chef de l�’Etat. Différents débats en France et en

Roumanie arrivent, pour une fois, aux mêmes conclusions : l�’irresponsabilité politique doit

être maintenue (1) mais la responsabilité pénale renforcée (2).

1. L�’irresponsabilité politique consacrée

La responsabilité politique est définie par le Vocabulaire Juridique comme l�’« obligation

pour les ministres, dans le régime parlementaire, de quitter le pouvoir lorsqu�’ils n�’ont plus la confiance du

Parlement ». La transposition de cette définition pour le président de la République n�’est pas

possible car le Président ne doit obtenir la confiance de personne. Pour René Capitant, à plus

forte raison lorsque le Président est élu au suffrage universel direct, la responsabilité politique

à son égard est exercée par le peuple à travers le référendum de l�’article 11 CF, conçu comme

une question de confiance. Cette vision était partagée par le général De Gaulle puisqu�’il

démissionna à la suite du « non » au référendum du 27 avril 1969. De même l�’obligation de

cohabiter avec un Premier ministre issu d�’une majorité parlementaire hostile peut être perçu

comme une sanction que lui inflige le corps électoral. De manière générale, l�’irresponsabilité

politique est fondée sur le fait que le président en République parlementaire ne prend pas

d�’actes autonomes mais tous sont contresignés par le Premier ministre. « Le Roi ne peut mal

faire » : quand un président ne peut rien faire, il est normal qu�’il ne puisse mal faire. Cependant

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la particularité des constitutions en vigueur en France et en Roumanie est d�’attribuer des

pouvoirs propres au Président, pour lesquels il n�’est pas responsable.

Le Rapport Vedel déclare : « En démocratie, il n�’y a pas d�’autorité sans responsabilité. On ne

peut pas à la fois reconnaître au président de la République française des pouvoirs qui cumulent ceux d�’un chef

d�’Etat présidentiel et ceux d�’un chef de Gouvernement parlementaire et lui accorder pour sept ans un statut

d�’irresponsabilité. » Ce rapport n�’est pas suivi d�’effet, traitant peut-être de trop d�’arguments de

manière contemporaine.

Le Président Chirac demande la création d�’un groupe de réflexion sur la question. La

Commission de réflexion sur le statut pénal du président de la République présidée par le

professeur Avril introduit le rapport de cette manière : « Issues des Républiques antérieures, ces

dispositions [art. 67 et 68 CF] sont à la fois ambiguës dans leur rédaction et inadaptées dans leur esprit, car

elles concernent une présidence traditionnelle sans commune mesure avec la mission du premier des représentants

de la nation qu�’est le Président de la Ve République. »177 Pourtant, il faut régler le rapport continue

en se posant deux questions opposées : « Comment, d�’un côté, éviter aux responsables d�’un pouvoir

exécutif d�’être l�’objet d�’attaques judiciaires incessantes, qui mettraient en péril l�’exercice de leurs fonctions au

service de la collectivité ? Comment, d�’un autre côté, éviter qu�’ils puissent bénéficier d�’une impunité, de fait ou

de droit, finalement aussi intolérable dans son principe et insupportable aux citoyens que le harcèlement

judiciaire ? »178

La notion établie par les Constitutions pour évoquer la responsabilité présidentielle est

la « haute trahison ». L�’alinéa 1er de l�’article 68 CF dispose : « Le Président n�’est responsable des actes

accomplis dans l�’exercice de ses fonctions qu�’en cas de haute trahison. » En revanche, la Constitution

roumaine prévoit une « suspension de la fonction » dans l�’article 95 CR. La notion de haute

trahison n�’est pas utilisée pour la responsabilité politique mais pour la responsabilité pénale

qui sera étudiée ensuite. La procédure de suspension peut être engagée si le Président « commet

des faits graves violant les dispositions de la Constitution ». Pour Florin Vasilescu, la responsabilité du

Président s�’apprécie relativement au respect de l�’article 80 CR179, article fondateur largement

examiné en amont. Dans les deux cas, les faits constitutifs ne sont pas précisément

déterminés. En France, la seule Constitution ayant tenté une définition de la haute trahison est

celle du 4 novembre 1848, dans son article 68 : « toute mesure par laquelle le président de la

République dissout l�’Assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l�’exercice de son mandat ». Guy

Carcassonne est tenté de définir la haute trahison comme « tout acte que la Haute Cour de justice

177 Cf. le rapport sur le site de la Documentation Française : www.ladocumentationfrancaise.fr/brp/notices/024000635.shtml 178 Idem. 179 « Constitu ia Romaniei �– comentat i adnotat », 1992, op. cit. p.215.

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régulièrement saisie, aura jugé tel »180. La Commission Avril quant à elle préconise de qualifier les

faits d�’« incompatibilité manifeste avec la dignité de la fonction » présidentielle, car le côté politique de

l�’appréciation ne doit pas être caché.

En France, le Président est jugé par la Haute Cour de justice ; il s�’agit d�’une « institution

de justice politique : composée de politiques, elle est saisie par des politiques et juge un homme politique »181

selon l�’expression de Thierry S. Renoux et Michel de Villiers. L�’ordonnance n°59-1 organisant

la Haute Cour de justice règle toutes les procédures relatives au jugement des infractions

politiques. L�’article 67 expose que cette cour est « composée de membres élus, en leur sein et en nombre

égal, par l�’Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées.

Elle élit son président parmi ses membres. » Le Président ne peut être mis en accusation que par les

deux Assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des

membres les composant.

En Roumanie, le Président peut être suspendu par les parlementaires. La proposition

de suspension de la fonction est présentée par un tiers au moins du nombre des députés et des

sénateurs et est communiquée immédiatement au Président. Le vote de suspension, après

consultation de la Cour Constitutionnelle, s�’effectue en séance commune, à la majorité des

voix des députés et des sénateurs. Le Président peut donner des explications au sujet des faits

qui lui sont imputés. Si la proposition de suspension de la fonction est approuvée, dans un

délai maximum de trente jours un référendum est organisé pour démettre le Président.

On remarquera que la procédure en Roumanie est plus simple182. Elle répond à la

critique formulée par la Commission Avril : les titulaires d�’un mandat représentatif n�’ont pas

besoin de se « travestir en juge » pour priver un autre représentant de son mandat. Ils doivent

assumer le caractère politique de leurs positions. D�’autant plus que la procédure française

ressemblant à un procès, le fait qu�’elle ne respecte pas certaines caractéristiques essentielles est

contraire aux principes du « procès équitable » inscrit dans le droit interne et l�’article 6 §1 de la

Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l�’Homme. En Roumanie, l�’article 95 est

utilisé une fois contre le Président Iliescu, mais sans succès. Le 10 juin 1994, le Parti National

Paysan �– Chrétien démocrate (PN CD) annonce qu�’il a l�’intention d�’amorcer la procédure de

suspension de ses fonctions à l�’égard du Président Iliescu pour « attentat à l�’indépendance du

pouvoir judiciaire », sur la base des affirmations présidentielles selon lesquelles certaines décisions

judiciaires qui donnent gain de cause aux anciens propriétaires d�’immeubles nationalisés en

180 « La Constitution », G. Carcassonne, Paris, Seuil, 2ème éd. 1996, p.283. 181 Code Constitutionnel, op. cit. p.641. 182 Elle est complétée par la procédure incluse dans le Règlement des séances communes aux deux chambres.

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défaveur des locataires ne seraient pas légales. La procédure n�’a pas aboutie, l�’avis consultatif

n°1 du 5 juillet 1994183 de la Cour Constitutionnelle, relatif à la proposition de suspension de la

fonction de Monsieur Ion Iliescu est négatif.

La responsabilité du Président est particulièrement consolidée devant le Parlement

depuis la révision du 29 octobre 2003 où les députés ont désiré renforcer la responsabilité

politique.

2. La responsabilité pénale renforcée tant en France qu�’en Roumanie

Si le président de la République bénéficie d�’une irresponsabilité de principe pour tous

les actes accomplis dans l�’exercice de ses fonctions, est-il pour les actes détachables de celles-ci

un citoyen ordinaire ? Ainsi que le fait observer B. Genevois, citant l�’ancien garde des Sceaux

J. Foyer, il est généralement admis jusqu�’au printemps 1998 que « le président de la République

répond pénalement des infractions détachables de sa fonction. Pour le jugement de telles infraction, il ne bénéficie

d�’aucun privilège de juridiction. »184.

En France, la question de la justiciabilité du président de la République reste alors très

théorique. Il n�’en est plus de même dans un contexte de mise en cause du chef de l�’Etat dans

différentes procédures, deux décisions de justice : la décision du Conseil constitutionnel du 22

janvier 1999 et l�’arrêt de la Cour de Cassation du 10 octobre 2001, deux décisions qui

n�’apportent pas exactement la même réponse à la question posée185. Alors que la Commission

Avril n�’entraîne aucune modification de la Constitution, en Roumanie, un nouvel article est

introduit prévoyant une responsabilité pénale pour « haute trahison » cette fois-ci.

Le Conseil Constitutionnel est saisi sur le fondement de l�’article 54 CF de la question

de savoir si la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale (CPI), signé à

Rome le 19 juillet 1998, doit être précédée d�’une révision de la Constitution. L�’article 28 du

traité prévoit que le statut de la CPI s�’applique à toute personne, de manière égale, sans aucune

distinction fondée sur la qualité officielle. Pour le Conseil Constitutionnel, « il résulte de l�’article

68 de la Constitution que le président de la République, pour les actes accomplis dans l�’exercice de ses fonctions

et hors le cas de haute trahison, bénéficie d�’une immunité ; qu�’au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa

responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées

par le même article (�…) » (considérant n°16). Il s�’en suit que, le traité faisant échec à cette 183 Avis consultatif n°1 du 5 juillet 1994 relatif à la proposition de suspension de fonction du Président de la Roumanie, publié au Moniteur Officiel n°166 du 16.07.1994. 184 Revue Française de Droit Administratif 1999, p.296. 185 Pour plus de précisions, se reporter aux décisions du Conseil Constitutionnel, 22 janvier 1999 : AJDA 1999, p.230 et 266 ; de la Cour de Cassation, en assemblée plénière, 10 oct. 2001, M. Breisacher, commentaires de la jurisprudence constitutionnelle : Revue Française de Droit Constitutionnel 1999, comm. M. Troper, p.325 ; Revue de Droit Public 1999, obs. D. Chagnollaud, p.1669.

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immunité constitutionnelle, l�’article 27 du statut de la CPI est déclaré contraire à la

Constitution.

L�’autorité de cette interprétation ne s�’attache cependant à la décision du Conseil que

dans le cadre de la question qui lui est posée. La Cour de Cassation s�’estime compétente de

« déterminer si le président de la République peut être entendu en qualité de témoin ou être

poursuivi devant elle pour y répondre de toute autre infraction commise en dehors de

l�’exercice de ses fonctions. » La réponse de la Cour est que la compétence de la Haute Cour

est limitée aux actes de haute trahison, pour tous les actes extérieurs à l�’exercice des fonctions, le

président de la République relève des juridictions ordinaires ; mais les poursuites contre le

président ne pouvant être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de

l�’action publique est suspendue jusqu�’à la fin du mandat présidentiel. Isoler l�’acte détachable de la

fonction présidentielle sera toujours une entreprise délicate.

La commission de réflexion sur le statut pénal du président de la République instituée

par M. Chirac remet le 12 décembre 2002 un rapport dont les conclusions tiennent en deux

propositions dont certains éléments ont été déjà évoqués. D�’une part, consacrer l�’inviolabilité

présidentielle provisoire de façon à ce que, au cours du mandat, le président ne puisse être mis

en cause devant quelque autorité administrative ou juridictionnelle que ce soit, la contrepartie

de cette inviolabilité étant la suspension des délais de prescriptions : la solution dégagée par la

Cour de cassation serait ainsi reprise explicitement dans la Constitution et concernerait

l�’ensemble du statut juridictionnel du chef de l�’Etat. D�’autre part, maintenir le principe de

l�’irresponsabilité pour tous les actes accomplis dans l�’exercice des fonctions et remplacer

l�’exception de haute trahison par celle de « manquement » aux devoirs du Président

« manifestement incompatible avec l�’exercice de son mandat ».186

La révision constitutionnelle de Roumanie insère une procédure de mise en accusation.

L�’article 96 CR stipule : « (1) La Chambre des Députés et le Sénat, réunis en séance commune, peuvent décider, à la

voix d'au moins deux tiers du nombre des députés et des sénateurs, de mettre le Président de la

Roumanie en accusation pour haute trahison.

(2) La proposition de mise en accusation peut être initiée par la majorité des députés et des

sénateurs et doit être immédiatement portée à la connaissance du Président de la Roumanie

afin qu'il puisse donner des explications sur les faits qui lui sont imputés.

(3) A partir de la date de mise en accusation et jusqu'à la date de la démission, le Président est

suspendu de droit.

186 Pour plus de précisions voir l�’interview de Louis Favoreu, Dalloz 2003, p.431.

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(4) La compétence de jugement incombe à la Haute Cour de Cassation et de Justice. Le

Président est démis de droit à la date où la décision de condamnation demeure définitive. »

Ces nouvelles dispositions remplacent l�’alinéa 3 de l�’article 84. Elles rajoutent des

garanties procédurales et l�’individualisent par rapport aux dispositions sur les immunités

comme c�’est le cas dans la version originale.

Selon Cristian Ionescu, pour « des raisons de symétrie »187, la Cour Constitutionnelle

devrait constater formellement la suspension, comme elle valide les résultats des élections

présidentielles.

On aura pu le constater, la responsabilité du chef de l�’Etat est un problème majeur au

c�œur du débat politique depuis quelques années. On tolère de moins en moins que le « Roi

puisse être au-dessus des lois ». Le problème est très épineux et n�’a pas été réglé par une

réforme constitutionnelle en France. En Roumanie, l�’individualisation d�’un article consacré à

la responsabilité pénale du chef de l�’Etat montre la volonté des représentants parlementaires

de mettre fin à l�’immunité totale du président. Cela nous amène au constat selon lequel la

justice et particulièrement la justice constitutionnelle prend une place toujours plus importante

dans la détermination de l�’équilibre politique.

§2. Le rapport du Président avec l�’organe constitutionnel

La justice constitutionnelle est longtemps boudée en France. Puisque l�’article 5 CF

donne au Président le pouvoir de « veiller au respect de la Constitution », pourquoi avoir un organe

spécialisé qui contrôle les lois ? Il faut attendre les années 1970 pour que le juge

constitutionnel « se réveille ». Les trois domaines principaux de son activité sont le contentieux

électoral (art. 58 à 60 CF), le domaine de la loi et du règlement (art. 34 et 37 CF) et la

constitutionnalité des lois (art. 61 CF). On remarque qu�’en matière de division horizontale des

pouvoirs, le juge constitutionnel français ne peut être saisi de conflits de compétences entre les

organes.

Le président de la République dans sa fonction de garant des principes

constitutionnels peut être amené à contrôler la constitutionnalité des lois avant qu�’il ne les

promulgue. L�’efficacité, si l�’on peut parler en de tels termes, de la surveillance présidentielle

tant en France qu�’en Roumanie, tient au fait que cette compétence est partagée, mais on peut

se demander quelles sont les conséquences d�’une norme visée par le contrôle à priori par le

Président (A). Il est également très intéressant de se pencher sur une nouvelle compétence de 187 « Constitu ia României �– Legea de revizuire comentat i adnotat cu dezbateri parlamentare » C. Ionescu, op. cit. p.164.

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l�’organe constitutionnel roumain, qui bien que débattue n�’existe pas en France, et qui concerne

le rapport entre le Président et les autres autorités publiques (B).

A. L�’efficacité de la surveillance du respect de la Constitution française et roumaine

Le fait de partager la possibilité de saisir l�’organe constitutionnel ne peut être que

positif pour l�’ordre juridique national mais la multitude d�’acteur capables de saisir l�’organe en

question peut diluer la spécificité de l�’action présidentielle (1). De plus, le fait que le Président

roumain ne puisse déférer une loi à la Cour Constitutionnelle qu�’une fois (art. 77 CR) ne

permet pas un contrôle optimal des normes et en France, le Conseil peut se servir du contrôle

constitutionnel des normes comme moyen de surveillance sur l�’action présidentielle (2).

1. Une compétence largement partagée

Le président de la République « veille au respect de la Constitution » selon les articles 80 CR

et 5 CF. Or celui-ci n�’est pas et ne peut pas être son seul garant.

La défense de la Constitution, en Roumanie, est à la charge des instances judiciaires, en

vertu de la loi et d�’une légitimité incontestable de la Cour Constitutionnelle qui est « l�’unique

autorité de juridiction constitutionnelle » en vertu de l�’article 1er de la loi 47/1992. La défense de la

Constitution revient également au Conseil législatif188 qui analyse les projets d�’actes normatifs

et juridiques soumis à avis (art 1 al. 2 de la loi n°73/1993189) essentiellement au regard de leur

conformité à la Constitution. Le contrôle constitutionnel étant en Roumanie, à priori, il est

aussi entre les mains des juges de droit commun qui se réfèrent à la Cour par question

préjudicielle.190 Le Président partage le droit de saisine de la Cour Constitutionnelle avec les

Présidents des Chambres, du Gouvernement, de la Haute Cour de Cassation et de Justice ainsi

qu�’avec l�’avocat du peuple et cinquante députés ou vingt-cinq sénateurs. Pour certaines

matières comme la constitutionnalité des traités, le Président ne peut même pas saisir la Cour.

En France, le Conseil Constitutionnel peut être saisi, avant la promulgation des lois,

par le président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée Nationale, le

Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs. (Art. 61 al.2 CF). La question

de l�’exception d�’inconstitutionnalité se pose toujours. Ceux qui plaident pour le statut quo,

188 Article 79 al.1 CR : « Le Conseil législatif est un organe consultatif spécialisé du Parlement, qui donne son avis sur les projets d'actes normatifs dans le but d'harmoniser, d'unifier et de coordonner toute la législation. Il tient le registre officiel de la législation de la Roumanie. » 189 Loi n°73/1993 relative à la création, à l�’organisation et au fonctionnement du Conseil Législatif du 3 novembre 1993, publiée au Moniteur Officiel n°260 le 5 novembre 1993, republiée au Moniteur Officiel n°1122 le 29 novembre 2004. 190 Art 146 d) CR : « [la Cour Constitutionnelle] décide des exceptions sur l'inconstitutionnalité des lois et des ordonnances, soulevées devant les instances judiciaires ou d'arbitrage commercial; l'exception d'inconstitutionnalité peut être directement soulevée par l'avocat du peuple. »

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c'est-à-dire l�’impossibilité pour le juge d�’en référer à la Cour au sujet d�’une disposition infra-

constitutionnelle, arguent que les cours et tribunaux peuvent très bien se livrer à une

interprétation conforme des textes de loi déjà promulgués, en neutralisant par leurs pouvoirs

souverains d�’interprétation, toute conséquence de la loi qui serait contraire à la Constitution.

Pour autant, comme a pu le faire observer le doyen Vedel, l�’exception d�’inconstitutionnalité

est déjà en vigueur dans la quasi-totalité des Etats d�’Europe continentale. M. Robert Badinter,

président du Conseil Constitutionnel plaide en 1992 : « C�’est à l�’expérience que l�’on s�’aperçoit que

telle loi frappe les citoyens dans leurs droits fondamentaux. »191 Il a déjà suggéré en mars 1989 que si au

cours d�’un procès était soulevée l�’inconstitutionnalité d�’une loi, le Conseil d�’Etat ou la Cour de

Cassation devraient pouvoir faire trancher la difficulté par le Conseil Constitutionnel sur

renvoi.192 Cette idée est reprise par le président de la République lui-même, M. Mitterrand, à

l�’occasion de la commémoration du bicentenaire de la Révolution de 1789. Conformément

aux v�œux du Président, un projet de loi constitutionnelle est adopté en Conseil des ministres

et déposé sur le bureau de l�’Assemblée Nationale, le 30 mars 1990, accompagné d�’un projet de

loi organique modifiant l�’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil

Constitutionnel. Le Sénat ayant considérablement modifié le texte adopté par l�’Assemblée

nationale en première lecture, puis maintenu son vote en deuxième lecture, le 28 juin 1990, les

Chambres composant le Parlement ne peuvent parvenir à l�’adoption d�’un texte identique, qui

seul aurait permis leur réunion en Congrès193. L�’introduction de l�’exception

d�’inconstitutionnalité en droit français fait partie des propositions de révision soumises en

1992 au Comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par M. le doyen

Georges Vedel. Celui-ci reviendra précisément au texte de loi constitutionnelle initial soumis à

l�’Assemblée Nationale en 1990.

Le Président n�’est donc pas l�’unique « veilleur » de la constitutionnalité des lois. Dans

les deux pays de multiples autorités peuvent converger vers l�’organe constitutionnel. Il faut

s�’interroger sur les conséquences d�’une décision de la justice constitutionnelle sur une loi

déférée dans le contrôle à priori.

191 « L�’exception d�’inconstitutionnalité, garantie nécessaire du citoyen », La Semaine Juridique G 1992, I, 3584. 192 « L�’exception d�’inconstitutionnalité. Le projet de réforme de la saisine du Conseil constitutionnel » Revue Française de Droit Constitutionnel n°4, 1990. 193 « L�’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel aux juridictions administratives et judiciaires » L. Favoreu, Revue Française de Droit constitutionnel 1990, n°4, p.581.

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2. Les conséquences pour la norme visée par le contrôle présidentiel

Quelles sont les conséquences à tirer pour le Parlement lorsque le Président défère une

loi à l�’organe constitutionnel ? Quelle est l�’attitude de la Cour face aux actes déférés ?

Les dispositions concernant les effets juridiques des décisions de la Cour

Constitutionnelle sont bien moins précises dans la Constitution roumaine que dans le texte

français : l�’article 147 CR dispose à propos de l�’inconstitutionnalité des lois avant leur

promulgation dans son alinéa 2 : « Dans les cas d'inconstitutionnalité qui concernent les lois, avant leur

promulgation, le Parlement est tenu de réexaminer les dispositions respectives afin qu'elles soient mises d'accord

avec la décision de la Cour constitutionnelle. » ; tandis que l�’article 62 CF stipule : « Une disposition

déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions du Conseil

Constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les

autorités administratives et juridictionnelles. » Le problème en ce qui concerne la Roumanie est que

le Président, en vertu de l�’article 77 CR, ne peut refuser la promulgation pour demander un

réexamen ou pour la saisine pour inconstitutionnalité qu�’une seule fois. Il s�’ensuit que le

Parlement peut « forcer le passage ». Par exemple, le Président renvoie une loi au Parlement,

considérant qu�’on viole le principe d�’équité, comme cela est arrivé à la loi relative à l�’impôt sur

les indemnités et les allocations parlementaires. Le Parlement vote de nouveau la loi sans tenir

compte de la position du Président et du peuple, telle qu�’elle est reflétée dans la presse. De

même, les parlementaires peuvent passer outre une décision de non conformité de la Cour

Constitutionnelle. L�’article 32 de la loi n°88/1993 concernant l�’évaluation des institutions

d�’enseignement supérieur �– qui limitait les activités didactiques �– a été déclaré

inconstitutionnel par une décision de la Cour Constitutionnelle194. Le professeur G. Vrabie

rapporte dans son excellent recueil d�’articles « Etudes de droit constitutionnel »195 que quand le

Parlement a réitéré la règle dans le Statut des enseignants adopté par la loi n° 128/1997, le

même requérant qui avait invoqué la première fois l�’exception de non-constitutionnalité l�’a

invoquée la seconde fois aussi. De nouveau, la Cour Constitutionnelle a émis une décision

d�’inconstitutionnalité196. Pour l�’auteur, ce problème serait évité si on permettait au peuple

d�’adopter des lois par voie de référendum. Le peuple pourrait se manifester à titre d�’exception,

comme autorité législative. Il faudrait pour cela interpréter l�’article 61 CR,qui prévoit que « le

Parlement est l�’unique autorité législative du pays » dans l�’esprit de l�’article 2 al.1 CR qui prévoit que

« La souveraineté nationale appartient au peuple roumain, qui l'exerce par ses organes représentatifs, constitués

à voie d'élections libres197, périodiques et correctes, ainsi que par référendum. » Comme ni cet article, ni

194 Voir la décision de la Cour Constitutionnelle n°114 du 15 novembre 1994. 195 « Etudes de droit constitutionnel », G. Vrabie, op. cit. p.119. 196 Voir la décision de la Cour Constitutionnelle n°30 du 10 février 1998. 197 Syntaxe utilisée par la traduction officielle en français de la Constitution roumaine, à jour au 1er février 2005.

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l�’article 90 CR198 au sujet du référendum, ne règle le domaine dans lequel ce dernier peut être

tenu ; dans des conditions exceptionnelles, le peuple pourrait exercer directement son pouvoir

de décider du contenu d�’une loi, et établir ainsi des règles générales et obligatoires pour tous.

En France, la jurisprudence constitutionnelle ne se développe qu�’à partir de 1971

seulement. Les alternances et cohabitations successives lui sont très favorables. Le mécanisme

constitutionnel est accepté par toutes les tendances politiques car les Présidents successifs

peuvent mesurer l�’intérêt d�’un recours au Conseil constitutionnel lorsque l�’on est dans

l�’opposition pour faire valoir ses droits et son point de vue. Le contrôle des lois remplit la

fonction de pacification de la vie politique car l�’opposition a à sa disposition un moyen de

s�’assurer que la majorité ne franchit pas les limites fixées par la Constitution, que l�’initiateur de

la saisine constitutionnelle soit le Président ou les députés. Pour le professeur Favoreu, le

président de la République disposant d�’une légitimité et de pouvoirs considérables, « on conçoit

alors que soit nécessaire un contrepoids et un garant de l�’équilibre entre majorité et opposition. Dès lors, le rôle

du juge constitutionnel s�’éclaire : c�’est moins un contrôleur du Parlement, qu�’un contrôleur de la majorité

Gouvernementale et présidentielle. Les lois ayant, dans 90% des cas, pour origine des projets

Gouvernementaux voire présidentiels, le juge constitutionnel assure en réalité le contrôle de l�’action

Gouvernementale qui, en France, risquait d�’échapper au juge ordinaire dans la mesure où celui-ci ne se

reconnaît pas compétent pour vérifier la constitutionnalité de la loi. »

B. La nouvelle compétence de la Cour Constitutionnelle roumaine envers le président de la

République et les autres autorités publiques

Une des grandes nouveautés issue de la révision constitutionnelle du 29 octobre 2003

est l�’insertion d�’une nouvelle compétence pour la Cour Constitutionnelle. Loin du modèle

français, cette disposition attribue à la Cour la faculté de juger des conflits entre les pouvoirs

de l�’Etat. L�’article 146 e) CR prévoit que la Cour « statue sur les conflits juridiques de nature

constitutionnelle entre les autorités publiques, sur demande du Président de la Roumanie, du

président de l'une des deux Chambres, du Premier ministre ou du président du Conseil

supérieur de la Magistrature ». Cette attribution relative à un conflit entre les autorités n�’est

présente que dans trois Constitutions de pays européens : la Slovénie, la Pologne et la

Hongrie.

Après avoir examiné les dispositions des trois pays et avoir évoqué le débat en France

(1), la particularité de la nouvelle compétence roumaine se dégagera, spécialement à travers

l�’examen de la première décision rendue en la matière (2).

198 Art. 90CR : « Le Président de la Roumanie, après avoir consulté le Parlement, peut demander au peuple d'exprimer, par référendum, sa volonté au sujet des problèmes d'intérêt national. »

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1. Une prérogative tirée d�’un modèle très différent de celui de la France

En Slovénie, l�’article 160 de la Constitution liste les onze attributions de la Cour

Constitutionnelle parmi lesquelles : « [elle juge] des litiges en matière de compétences, entre l'État et les

collectivités locales, et entre les collectivités locales elles-mêmes; des litiges en matière de compétences, entre les

tribunaux et autres organes de l'Etat; des litiges en matière de compétences, entre l'Assemblée nationale, le

président de la République et le Gouvernement ». La Cour semble ici jouer le rôle du Tribunal des

Conflits français. La loi constitutionnelle sur la Cour Constitutionnelle précise dans ses articles

61 et suivants que cette procédure concerne les cas où plusieurs autorités refuseraient de se

déclarer compétentes ou, au contraire, revendiqueraient la compétence. Il peut s�’agir d�’un

conflit horizontal : entre autorités étatiques ou entre collectivités locales ou d�’un conflit

vertical : entre les autorités étatiques et les collectivités locales. De même en Pologne, l�’article

189 de la Constitution de 1997 dispose que « Le Tribunal constitutionnel tranche les conflits de

compétence entre les autorités centrales constitutionnelles de l'Etat. » Il s�’agit également d�’éviter un déni

de justice à l�’encontre des citoyens, objets des mesures des autorités centrales en question.

Enfin, la Hongrie insère dans la loi constitutionnelle accompagnant la Constitution révisée de

1920, dans l�’article 1er : « Relèvent de la compétence de la Cour constitutionnelle : (�…) f) de mettre fin aux

conflits de compétences intervenant entre les différents organes d�’État, les collectivités locales et les organes d�’État

ou entre les différentes collectivités locales. » Sans être seulement des attributions de gardienne des

compétences attribuées et générales comme peut l�’être la Cour Constitutionnelle fédérale

allemande (article 93 de la Loi Fondamentale), ces cours présentent l�’originalité de statuer

entre les pouvoirs de l�’Etat. Cependant le terme « conflit de nature juridique » dans la Constitution

roumaine va plus loin que « compétence » dans le sens où il est bien plus imprécis. Les termes « de

nature juridique » s�’opposent à « de nature politique » de toute évidence. A partir du moment où

tout acte politique influe sur la séparation des pouvoirs, peut-il être considéré comme

juridique ? L�’ouvrage « Vocabulaire juridique » définit le « conflit juridique » comme un « conflit

collectif qui, portant sur une question de droit, peut être résolu par application du droit. »199 Cette définition

peut convenir dans la mesure où le problème surgit entre le Président de la Roumanie, le

président du Sénat ou de la Chambre des Députés, du chef du Gouvernement ou du président

du Conseil supérieur de la magistrature. Il est intéressant de noter à cet égard, qu�’en France, en

vertu de l�’article 65 de la Constitution, le Président du Conseil supérieur de la magistrature est

précisément le président de la République tandis qu�’en Roumanie, il s�’agit d�’un magistrat élu

parmi les dix-neuf membres du Conseil (art. 133 CR).

Le modèle dont est issu la nouvelle compétence de la Cour Constitutionnelle roumaine

a beau être éloigné de celui de la France, cela ne signifie pas pour autant que la question ne se

199 « Vocabulaire juridique », G. Cornu, op. cit.

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soit pas posée en doctrine française. Le professeur Conac, dans son explication de l�’article 5 de

la Constitution française200, se demande s�’il faut reconnaître au président de la République le

pouvoir d�’imposer son interprétation juridique d�’une disposition constitutionnelle en cas de

divergence entre différentes autorités constitutionnelles. « Ce sont des conflits de nature juridique,

même s�’ils interviennent dans un contexte politique, car ils portent sur l�’interprétation juridique à donner à une

disposition constitutionnelle. » La Constitution pourrait donner cette compétence au Président lui-

même, nombreux sont ceux qui se la sont arrogés sans permission du texte. Cette

interprétation n�’a ensuite aucune force juridictionnelle et ne peut lier les autres présidents pour

le futur. Des « difficultés redoutables » selon le professeur Conac, se dessineraient en cas de

cohabitation. En effet, comment faire si le Président et son Premier ministre s�’opposent sur

des questions de compétence, de signature ou autre. La question suivante est alors de savoir si

le Président peut saisir le Conseil Constitutionnel pour avis en dehors des cas expressément

prévus par la Constitution. La réponse donnée est la suivante : d�’une part, le Conseil

Constitutionnel, devant le danger que ses avis ne soient pas respectés, n�’est pas nécessairement

tenté par le rôle de donneur d�’avis, d�’autre part, si le Président commence à solliciter les avis

du Conseil, il devra ensuite, non seulement les respecter mais s�’y référer dès que surgira un

nouveau conflit. Sur ce point, le Conseil a pris nettement position lorsqu�’il a été saisi par le

président de l�’Assemblée Nationale, Jacques Chaban-Delmas, le 14 septembre 1961 pour avis

sur les pouvoirs de l�’Assemblée Nationale pendant les périodes d�’application de l�’article 16. Il

a considéré que « la Constitution a strictement délimité les compétences du Conseil constitutionnel, que celui-

ci ne saurait être appelé à statuer ou à émettre un avis que dans les cas et suivant les modalités qu�’elle a fixés ».

Le Doyen Georges Vedel dans un article du Monde (septembre 1961) approuvait cette

solution : « Juridiquement, écrivait-il, le Conseil n�’est pas un organe possédant une compétence définie par une

clause générale, telle que celle qui le chargerait de trancher des difficultés relatives à l�’application de la

Constitution ou de statuer sur les différends entre les organes des pouvoirs publics ».201

Interrogée sur ce sujet, la Commission de Venise répond : « La compétence de la Cour constitutionnelle de trancher des "conflits de nature

constitutionnelle entre les autorités publiques sur requête du Président �… " n'est toujours pas

très claire. Certes, l'ancien libellé de "solutionner les conflits de nature constitutionnelle" est

remplacé par les termes de "trancher les conflits". Mais il reste des questions. Il convient de

préciser qu�’il s�’agit des conflits de nature juridique et non de nature politique. Une Cour

constitutionnelle doit rester ce qu�’elle est : à savoir une juridiction habilitée seulement à « dire le

droit ». Dans cette mesure, un tel contentieux inter-organes est un progrès de l�’Etat de droit.

200 « La constitution de la République française » G. Conac, op. cit. p.243. 201 Idem p.246.

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Une Cour constitutionnelle n�’est par contre pas un organe de médiation entre les pouvoirs de

l�’Etat, chargé d�’apaiser leurs querelles et de trouver une solution « politique » à leurs différends.

Que veut dire "conflit de nature (juridique) constitutionnelle entre les autorités

publiques" ? Il peut s'agir d'abord, certes, de conflits de compétence positifs ou négatifs dans

un cas concret. Mais le texte proposé va plus loin. Il semble embrasser tous les conflits entre

les autorités publiques concernant l'interprétation et l'application de la Constitution dans une

situation concrète. La notion de "conflit" reste à définir.

Si le conflit à résoudre par la Cour Constitutionnelle est entre �“autorités publiques�”, il

faut reconnaître le droit de saisine uniquement aux autorités, aux institutions et aux organes qui

peuvent exprimer la volonté de ces institutions. Il conviendrait dès lors d�’ajouter que la

demande de saisine peut être décidée par la Chambre des Députés ou par le Sénat à travers une

décision adoptée en séance plénière.

D'après le projet, le droit de saisir la Cour constitutionnelle est détaché des parties

relatives aux conflits constitutionnels respectifs. Cela exige, d'autant plus, que les conditions

pour la saisine (existence d'un conflit) soient bien définies. »202

La disposition ne se révèle que le 8 janvier 2005, lorsque les deux présidents de

Chambre déposent une requête devant la Cour Constitutionnelle demandant d�’arbitrer un

conflit sur la base de l�’article 146 e).

2. La décision du 28 janvier 2005 : la première solution relative à un « conflit de

nature juridique ».

Le Président de la Chambre des Députés, monsieur Adrian N stase, et celui du Sénat,

monsieur Nicolae V c roiu, ont déposé respectivement le 8 et 10 janvier 2005, une requête

devant la Cour Constitutionnelle tendant à la résolution d�’un conflit de nature juridique, se

fondant pour la première fois sur l�’article 146 e) CR.203 Il est reproché au président de la

République, monsieur Traian B sescu, d�’avoir affirmé au cours d�’un entretien dans le

quotidien Adev rul « Je suis un adepte des élections anticipées immédiates pour échapper à une solution

immorale qui porte le nom du Parti humaniste roumain (PUR) ». Ce n�’est ni le lieu ni l�’objet de notre

étude de porter une appréciation sur les déclarations du Président ni même d�’entrer dans le

détail de la situation politique du moment. Les requérants affirment que cette déclaration viole

l�’article 1 alinéa (4)204, l�’article 8205, l�’article 61206, l�’article 64207, l�’article 89208 et que le Président

202 Voir l�’avis précité sur http://www.venice.coe.int/docs/2003/CDL-AD(2003)004-f.asp 203 En raison de son caractère novateur, l�’arrêt est intégralement reproduit en annexe. 204 Art. 1 al.4 CR : « L'Etat est organisé conformément au principe de la séparation et de l'équilibre des pouvoirs - législatif, exécutif et judiciaire - dans le cadre de la démocratie constitutionnelle. » 205 Art. 8 CR : « (1) Le pluralisme est dans la société roumaine une condition et une garantie de la démocratie constitutionnelle. (2) Les partis politiques sont constitués et excercent leur activité dans les conditions fixées par la loi. Ils contribuent à la définition et à l'expression de la volonté politique des citoyens, tout en respectant la souveraineté nationale, l'intégrité territoriale, l'ordre juridique et les principes de la démocratie. » 206 Art. 61 CR : « (1) Le Parlement est l'organe représentatif suprême du peuple roumain et l'unique autorité législative du pays. (2) Le Parlement est formé de la Chambre des Députés et du Sénat. »

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de la Roumanie, en raison de sa conduite, a violé l�’article 80 alinéa (2)209 et l�’article 82 alinéa

(2)210 de la Constitution.

Selon eux, parmi les autorités publiques susceptibles d�’être impliquées figurent les

partis politiques. La Cour répond que sont des autorités publiques « seulement celles prévues au

Titre III de la Constitution211 ». La Cour observe ensuite que le « conflit juridique de nature

constitutionnelle entre les autorités publiques présuppose des actes ou des agissements concrets par lesquels une

autorité ou plusieurs s�’arrogent des pouvoirs, des attributions ou des compétences, qui, conformément à la

Constitution, appartiennent à d�’autres autorités publiques, ou l�’omission de certaines autorités publiques,

refusant d�’assumer la compétence ou d�’accomplir certains actes entrant dans leurs obligations. Or, un tel conflit

juridique de nature constitutionnelle n�’a pas été créé par les déclarations examinées, qui n�’ont pas produit d�’effet

juridique. » La Cour développe ensuite quelles sont les possibilités pour le Président d�’agir dans

le cadre de la Constitution pour conclure que ses « avis ou opinions restent dans les limites de la liberté

d�’expression des opinions politiques ».

Il semble toutefois que la Cour accueille partiellement les demandes des plaignants qui

concluent pour le prononcé d�’une « décision attirant l�’attention du Président de la Roumanie sur son

comportement inconstitutionnel, en l�’obligeant à présenter des excuses publiques aux présidents des deux

Chambres et à toutes les structures parlementaires qui ont été visées par son comportement inconstitutionnel ».

La Cour termine la motivation de l�’arrêt par : « Cependant, la Cour retient que, les déclarations

publiques, elles aussi, des représentants des différentes autorités publiques, par rapport au contexte dans lequel

elles sont faites et à leur contenu concret, peuvent engendrer des états de confusion, d�’incertitude ou des tensions,

qui ultérieurement pourraient dégénérer dans des conflits entre les autorités publiques, clairement de nature

juridique. La Cour Constitutionnelle est toutefois compétente pour n�’intervenir que dans les situations dans

207 Art. 64 CR : « (1) L'organisation et le fonctionnement de chaque Chambre sont établis par leur propre règlement. Les ressources financières des Chambres sont prévues dans les budgets qu'elles approuvent. (2) Chaque Chambre élit son bureau permanent. Le président de la Chambre des Députés et le président du Sénat sont élus pour la durée des mandats respectifs des Chambres. Les autres membres des bureaux permanents sont élus au début de chaque session. Les membres des bureaux permanents peuvent être révoqués avant l'expiration de leurs mandats respectifs. (3) Les députés et les sénateurs peuvent s'organiser en groupes parlementaires, conformément au règlement de chaque Chambre. (4) Chaque Chambre constitue ses commissions permanentes et peut établir des commissions d'enquête ou d'autres commissions spéciales. Les Chambres peuvent constituer des commissions communes. (5) Les bureaux permanents et les commissions parlementaires sont constitués conformément à la configuration politique de chaque Chambre. » 208 Art. 89 CR : « (1) Après consultation des présidents des deux Chambres et des leaders des groupes parlementaires, le Président de la Roumanie peut dissoudre le Parlement, si celui-ci n'a pas accordé la confiance pour la formation du Gouvernement dans un délai de soixante jours à compter du premier vote et uniquement s'il y a eu au moins deux votes de refus de la confiance. (2) Au cours d'une année, le Parlement ne peut être dissous qu'une seule fois. (3) Le Parlement ne peut être dissous pendant les six derniers mois du mandat du Président de la Roumanie ni pendant l'état de mobilisation, de guerre, de siège ou d'urgence. » 209 Art. 80 al.2 CR : « Le Président de la Roumanie veille au respect de la Constitution et au bon fonctionnement des autorités publiques. Dans ce but, le Président exerce la fonction de médiation entre les pouvoirs de l'Etat, ainsi qu'entre l'Etat et la société. » 210 Art. 82 al.2 CR : « Le candidat dont l'élection a été validée prête devant la Chambre des Députés et le Sénat, réunis en séance commune, le serment suivant: "Je jure de consacrer toute ma force et toutes mes capacités à la prospérité spirituelle et matérielle du peuple roumain, de respecter la Constitution et les lois du pays, de défendre la démocratie, les droits fondamentaux et les libertés fondamentales des citoyens, la souveraineté, l'indépendance, l'unité et l'intégrité territoriale de la Roumanie. Que Dieu m'y aide!" » 211 C'est-à-dire le Parlement, le président de la République et le Gouvernement.

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lesquelles il fut créé effectivement un conflit juridique de nature constitutionnelle entre deux ou plusieurs

autorités publiques ».

La Cour Constitutionnelle de Roumanie se range ainsi à une interprétation assez

proche de celle de ses cons�œurs, se limitant au conflit de compétence entre autorités. Elle

évite ainsi de se substituer au rôle de médiateur du Président proclamé par l�’article 80 de la

Constitution roumaine.

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CONCLUSION GENERALE

Depuis le XVIIIe siècle, la France et la Roumanie développent des relations d�’amitié,

d�’échanges culturels et juridiques. Les étudiants roumains de la faculté de droit de Paris

retournent dans leur pays avec leur connaissances fraîchement acquises. Ils n�’hésitent pas à

faire appel ensuite à leurs professeurs français en cas de questions d�’importance majeure,

comme par exemple dans l�’Affaire de la Société des Tramways de Bucarest en 1912, l�’étude de

la possibilité de prononcer des exceptions d�’inconstitutionnalité à l�’occasion d�’un procès par

les juges roumains par les professeurs Barthélemy et Jèze.

Lors de la chute de la République socialiste de Roumanie en 1989, la nécessité

d�’élaborer une nouvelle Constitution s�’impose, tant par les aspirations démocratiques du

peuple libéré du joug communiste, que par les exigences des différents organes européens tels

que l�’Union Européenne, le Conseil de l�’Europe et la Commission européenne pour la

Démocratie par le droit.

S�’inspirant de tout le patrimoine constitutionnel européen, des « traditions

constitutionnelles communes »212, la Commission d�’élaboration du projet de Constitution se

penche plus particulièrement sur le modèle de régime semi-présidentiel, entendu comme un

régime de type parlementaire dont le Président est élu au suffrage universel direct. Dans ce

cadre, le pays représentant la réalisation d�’un équilibre entre exécutif fort et légitimité

parlementaire est la France. En effet, l�’étude préalable des régimes semi-présidentiels ayant

cours en Europe occidentale au début des années 1990 montre une évolution importante vers

la tradition parlementaire. Seul le Portugal résiste encore, ce qui ne s�’avère plus en 2005.

La Constitution de la Ve République est alors étudiée de près et il est fait appel à de

nombreux experts français. Il faut s�’attacher à reconnaître dans la Constitution roumaine du 8

décembre 1991 les éléments qui témoignent de l�’influence particulière de la France.

Plus de dix ans après, la comparaison entre les Constitutions française et roumaine

mérite d�’être faite à plus d�’un titre. Dans un premier temps, nous avons analysé les

dispositions originelles, tant en France qu�’en Roumanie, pour distinguer les mécanismes

constitutionnels employés pour régler l�’équilibre entre les pouvoirs publics. Puis, l�’étude des

Constitutions respectives à l�’heure actuelle s�’est imposée. Fruits de la pratique institutionnelle 212 Selon l�’expression employée pour la première fois par le juge de Luxembourg dans l�’arrêt Handelgeselchaft (aff. 11/70 du 17 décembre 1970).

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de plus de cinquante ans en France, d�’une quinzaine d�’années en Roumanie, des révisions

constitutionnelles sont survenues, faisant évoluer les institutions, entérinant la pratique ou s�’y

opposant, dans des directions différentes pour les deux pays.

Un point particulier a retenu notre attention, puisque c�’est celui qui appelle le plus

fortement la comparaison : la place du Président de la République dans les Constitutions

respectives.

L�’étude des dispositions constitutionnelles a révélé les points communs et les

dissemblances.

Par son élection au suffrage universel direct, le président des Républiques française et

roumaine dispose d�’une grande légitimité. Il devient un acteur de taille à contrebalancer le

poids des Chambres élues. Afin d�’atteindre les objectifs fixés par le texte fondamental, à

savoir : représenter son Etat, défendre ses principes fondamentaux et son indépendance,

veiller au respect de la Constitution et au bon fonctionnement des autorités publiques, le

Président se voit confier la mission d�’arbitre ou de médiateur.

La Constitution roumaine se distingue de son aînée en se qu�’elle ne confère pas au

Président de la Roumanie la possibilité d�’être vraiment en position de supériorité dans ses

relations avec le Gouvernement et le Parlement, comme c�’est indéniablement le cas en France.

Les choix français et roumains concernant les caractéristiques du mandat se croisent

sans se rencontrer. D�’un côté, la France a choisit de raccourcir le septennat à cinq années de

mandat présidentiel indéfiniment renouvelable, lors du référendum du 24 septembre 2000. Le

risque de la cohabitation entre un Président et une majorité qui lui serait hostile, lui imposant

un Premier ministre indésirable et peu maniable, est éloigné car le mandat législatif a plus de

chance de coïncider avec celui du Président. De l�’autre côté, la Roumanie, après avoir opté

pour un mandat présidentiel renouvelable une fois et de même durée que celui des députés et

des sénateurs, décide en 2003, d�’allonger le mandat à cinq ans également. La porte est ouverte

à la cohabitation et cela nous laisse d�’autant plus perplexe que le Président ne dispose pas des

outils nécessaires pour régler un conflit politique. En effet, même si formellement, le président

de la République roumaine dispose du droit de dissolution, celui-ci est soumis à de telles

conditions, qu�’il est pour ainsi dire inexistant.

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En période majoritaire en France, le chef de l�’Etat est également le chef de l�’exécutif.

Ce n�’est pas le cas en Roumanie. Sa position par rapport au Gouvernement est bien trop

subordonnée au Parlement. Là où le président de la République française nomme le Premier

ministre sans entrave, le révoque, bien que la Constitution ne lui permette pas et agit sur la

composition de l�’équipe gouvernementale comme bon lui semble ; le Président roumain doit

proposer le candidat au poste de Premier ministre afin que le Parlement lui accorde

l�’investiture, se voit interdire toute révocation du Premier ministre par la révision

constitutionnelle de 2003 et ne peut remanier le Gouvernement sans en référer au

Parlement�… Enfin, signe flagrant de l�’écart entre les deux Présidents : le Français préside

systématiquement le Conseil des ministres, tandis que son homologue roumain se voit invité

occasionnellement à y participer.

Notons qu�’en matière de responsabilité du Président devant le Parlement, la Roumanie

et la France se rapprochent. Une réflexion sur le statut pénal du président de la République

mène les deux pays à la même conclusion : l�’immunité totale en matière pénale n�’est plus

souhaitable. Elle doit être limitée temporellement à la durée du mandat pour la France et

justifie une immunité de juridiction pour la Roumanie. Les réflexions aboutissent à adopter

lors de la révision constitutionnelle roumaine un nouvel article concernant la responsabilité

pénale du Président, tandis qu�’en France, les solutions préconisées ne sont pas suivies.

Enfin, face à l�’organe constitutionnel, le Président roumain est plus susceptible d�’être

remis en cause. En effet, la question de la compétence pour l�’organe constitutionnel de statuer

sur un conflit de compétence ou d�’interprétation de la Constitution n�’est pas résolue de la

même manière. La France refuse de donner un quelconque pouvoir au Conseil

Constitutionnel d�’interpréter la Constitution à la demande du Président, du Premier ministre

ou d�’un Président de chambre. En revanche, la Cour Constitutionnelle de la Roumanie se voit

dotée d�’une attribution supplémentaire à l�’occasion de la révision constitutionnelle, celle de

résoudre les conflits de nature juridique entre les différentes autorités publiques roumaines.

Appelée à se prononcer sur la base de cette nouvelle disposition de la Constitution, la Cour,

dans son arrêt n°53/2005, délimite fermement le champs d�’application de sa compétence et

n�’entend pas se placer comme juge suprême de la vie politique et juridique du pays.

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Face au débat sur la qualification du régime roumain et après l�’avoir comparé avec

celui de la France, censé représenter « le » modèle en la matière, le positionnement devient

plus aisé. Même s�’il reste formellement au Président roumain certaines caractéristiques ou

attributions qui continueront à placer la Roumanie parmi les régimes semi-présidentiels, il est

plus exact de qualifier le régime avec le professeur Iorgovan de « régime semi-parlementaire »213.

Ceci nous amène à remarquer, une fois de plus, la singularité de la France dans le paysage

constitutionnel européen. Si la Roumanie l�’a prise pour exemple, elle a su dégager son propre

régime adapté à sa culture politico-juridique.

213 « Constitu ia Romaniei �– comentat i adnotat » A. Iorgovan, op. cit. p.102.

97

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BIBLIOGRAPHIE

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- Christophe BOUTIN, François ROUVILLOIS « Quinquennat ou septennat ? » Paris,

Flammarion, 2000.

- Dominique CHAGNOLLAUD « Droit constitutionnel contemporain » Paris, Armand

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- Georges BURDEAU « Manuel de droit constitutionnel et institutions politiques » Paris,

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- Marie-Anne COHENDET « Droit constitutionnel » Paris, Montchrestien, 2ème éd., 2000.

- Marie-Anne COHENDET « Le Président de la République » Paris, Dalloz, 2002.

- Olivier DUHAMEL « Quinquennat » Paris, Presses de Sciences Po, 2000.

- Olivier DUHAMEL, Yves MÉNY (dir.) « Dictionnaire Constitutionnel » Paris, PUF,

1992.

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- Francis HAMON, Michel TROPER « Droit constitutionnel » Paris, LGDJ, 28ème éd.,

2003.

- Francis HAMON, Michel TROPER, Georges BURDEAU « Droit constitutionnel »

Paris, LGDJ, 27ème éd., 2001.

- Yves MENY « Politique comparée �– Les démocraties » Paris, Montchrestien, 7ème éd. 2004.

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- Genoveva VRABIE « Etudes de droit constitutionnel » Ia i, Institutul European, 2003.

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- Studia politic

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(L�’instabilité gouvernementale dans la Roumanie postcommuniste) 2001 n°3.

En langue française :

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- Revue de droit public

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(6).

- Revue française de droit constitutionnel

Robert BADINTER « L�’exception d�’inconstitutionnalité. Le projet de réforme de la

saisine du Conseil constitutionnel » n°4, 1990.

100

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Louis FAVOREU « L�’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel aux

juridictions administratives et judiciaires » n°4, 1990.

-

ition et innovation » (nov. 1990)

-

issions et révocations » n°36 « Le ministre ».

AVRIL, Jean GICQUEL « Chronique constitutionnelle française » n°45

ICQUEL « Chronique constitutionnelle française » n°63

3. JURISPRUDENCE214

Cour Constitutionnelle roumaine

Revue Roumaine des Sciences Juridiques

Dumitru D. IFRIM « La Constitution, entre trad

Tome VI n°1, 1995.

Pouvoirs

Didier MAUS « Dém

Pierre

« L�’URSS de Gorbatchev ».

François MITTERRAND « Sur les institutions » n°45 « L�’URSS de Gorbatchev ».

Pierre AVRIL, Jean G

« Campagne électorale ».

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- Avis consultatif n°1 du 5 juillet 1994.

mbre 1994.

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- Décision n°3/1996 du 9 septembre 19

- Décision n°30/1998 du 10 février 1998.

- Décision n°3/2000 du 24 octobre 2000.

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- Décision 60-7 DC du 11 août 1960.

1982.

re 1992.

03.

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- Décision n° 82-963 du 30 juillet

- Décision n°92-313DC du 23 septemb

- Décision n°2003-469DC du 26 mars 20

our de Cassation française :

- Cass. ass. plén., 10 oct. 2001, M. Breisacher.

214 La jurisprudence des Cours citées est consultable sur les sites Internet référencés plus loin.

101

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4. LOIS ET REGLEMENTATION

Lég t

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- Constitution de la Roumanie du 21 novembre 1991, modifiée et complétée par la Loi de

itution de la Roumanie n° 429/2003.

- D or Oficial n°131 du 31.03.1998.

iée au Moniteur Officiel n°1122 le 29 novembre 2004.

L

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ecret présidentiel n°108 du 30 mars 1998 publié au Monit

- Decret présidentiel n°426 du 13 décembre 1999 publié au Monitor Oficial n°609 du

14.12.1999.

- Loi n°73/1993 du 3 novembre 1993, publiée au Moniteur Officiel n°260 le 5 novembre

1993, republ

- Loi n°215/2001 du 23 avril 2001, publiée au Moniteur Officiel n°204 du 23.04.2001.

égislation française :

- Constitution de la République française, à jour au 1er mars 2005. Voir le texte sur :

nce.gouv.fr/html/constitution/constitution.htm http://www.legifra

5. SITES

En langue roumaine

215 :

- Cour Constitutionnelle de Roumanie : www.ccr.ro

hambre des Députés : www.cdep.ro/pls/legis/legis_pck.frame- Index législatif de la C

- Moteur de recherche : www.google.ro

En langue française :

- Conseil Constitutionnel : www.conseil-constitutionnel.fr

ions françaises depuis 1791. - Toutes les constitut

http://www.legisnet.com/france/marianne.html

- Index législatif et jurisprudentiel : www.legifrance.gouv.fr

- S e.coe.intite de la Commission de Venise : http://www.venic

- Moteur de recherche : www.google.fr

215 La majorité des sites en langue roumaine sont disponibles en langue française voire en anglais, toutefois, il est souvent préférable de les consulter en roumain car ils sont plus complets.

102

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6. DIVERS

ques

- « L�’Union Européenne entre réforme et élargissement �– comparaison entre l�’approche d�’un

Etat me vision d�’un Etat candidat. » 11 et 12 septembre 2003. Bucarest, All

- «

- Colloque sur la loi organisé par le Centre de Recherche en Droit Constitutionnel, le 25 mars

4.html

Collo

mbre et la

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2005. Voir sur le site du CRDC : http://crdc.over-blog.com/article-36271

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- Extraits du rapport du Comité consultatif pour une révision de la Constitution, « Comité

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Cours

- Didier Maus « Le droit constitutionnel de la Ve République », vol. III. « Le Président de la

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Mélanges

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Rapports

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http://www.ladocfrancaise.gouv.fr/dossier_actualite/quinquennat/documents.shtml#rap

port_Vedel

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n Avril » : www.ladocumentationfrancaise.fr/brp/notices/024000635.shtml

apport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République,

« Commissio

103

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Recueil de constitutions

- Michel Lesage « Constitutions d�’Europe centrale, orientale et balte. » Paris, La

documentation française, 1995.

- Henri Oberdorff, Constance Grewe « Les Constitutions des Etats de l�’Union

Européenne » Paris, La documentation française, 1999.

Vocabulaire juridique

- Gérard Cornu « Vocabulaire juridique » Paris, PUF.

- Raymond Guillien, Jean Vincent (dir.) « Lexique des termes juridiques » Paris, Dalloz,

12ème éd.

104

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ANNEXES

AN des articles des Constitutions roumaines et françaises

c

NNEXE 2 : Avis sur le projet de révision de la Constitution de la Roumanie adopté par la

Commission de Venise lors de sa 54e session plénière, les 14 et 15 mars 2003�…�…�…�…�…. V

A

nat de la Roumanie et le Parlement�…�…�…�…�…�….. VI

NEXE 1 : Tableau comparatif

oncernant le président de la République�…�…�…�…�…�…�…�…�…�…�…�…�…�…�…�…�…�…�…. I

A

NNEXE 3 : Décision n°53 du 28 janvier 2005 relative à la résolution du conflit juridique de

ure constitutionnelle entre le Président

105

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TABLE DES MATIERES

1ERE PARTIE �– LE PRESIDENT DANS LES REPUBLIQUES FRANCAISE ET

§1. La fonction de représentation de l�’Etat...................................................... 24

2. La nomination aux emplois supérieurs de l�’Etat et les attributions

honorifiques .........................................................................................................................26

B. Le représentant de l�’Etat à l�’extérieur des frontières..............................................................27

1. Les attributions dans le domaine diplomatique .....................................................27

2. La difficile comparaison des prérogatives liées à la signature des traités

internationaux ......................................................................................................................27

§2. La fonction de défense ou de garantie de certains principes

constitutionnels .......................................................................................... 29

A. La protection des principes républicains et du territoire ..........................................................29

1. La défense contre des attaques extérieures.............................................................29

2. La prévention des périls intérieurs...........................................................................30

B. La procédure constitutionnelle de protection ...........................................................................32

1. La prévention d�’atteintes à la Constitution.............................................................32

2. La révision de la Constitution...................................................................................33

§3. La fonction de médiation ou d�’arbitrage.................................................... 35

A. Etude sémantique autour de « médiation » et d�’ « arbitrage » ...............................................36

1. Les diverses interprétations françaises ....................................................................36

2. Le choix délibéré d�’utiliser un terme distinct pour le Président roumain ..........38

B. Les attributions de la fonction de médiation ou d�’arbitrage ....................................................39

1. Les attributions vis-à-vis du Gouvernement et du Peuple ...................................39

2. Le contrôle sur le Parlement et la Constitution .....................................................40

II. UN PRESIDENTIALISME ANCRE DANS LA TRADITION PARLEMENTAIRE 42

§1. Les caractéristiques du mandat.................................................................. 43

A. La durée et le caractère renouvelable du mandat ....................................................................43

1. La durée du mandat ...................................................................................................43

INTRODUCTION...........................................................................................................4

ROUMAINE : UNE PROXIMITE EN TROMPE-L�’�ŒIL.......................................... 22

I. LA FONCTION PRESIDENTIELLE DANS LES REGIMES ROUMAINS ET FRANÇAIS 23

A. La fonction symbolique du chef de l�’Etat sur le plan interne ..................................................24

1. Le président de la République, représentant de la souveraineté nationale.........25

106

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2. Le caractère reno ....................................................45

B. Le suffrage universel et l�’autonomie par rapport au Parlement ...............................................46

2. Le serment, la soumission de l�’élu du Peuple roumain aux représentants du

1.

a ...................53

§3. U ........ 55

1. .......................56

2.

a

2EM

EVO IO

I. UN

CONTRASTE

FRANÇAISE

§1.

�’

B.

uvelable......................................

1. L�’autonomie présidentielle renforcée par le suffrage universel dès 1962...........47

Peuple....................................................................................................................................48

§2. L�’influence présidentielle sur le Gouvernement ........................................ 50

A. La nomination du Premier ministre et de l�’équipe Gouvernementale ......................................50

Une liberté totale limitée par la tendance majoritaire de l�’Assemblée

Nationale...............................................................................................................................51

2. Un choix restreint, même en période majoritaire, par le Parlement roumain ...52

B. L présidence des réunions du Gouvernement.....................................................

1. Le chef de l�’exécutif français présidant tous les Conseils des Ministres ............53

2. Un président roumain occasionnellement présent lors des réunions de

ministres................................................................................................................................54

ne rationalisation parlementaire plus ou moins efficace.................

A. La menace essentielle de la dissolution ..................................................................................55

Une prérogative exercée en toute liberté en France.......................

Des conditions posées par la Constitution roumaine fragilisant la logique du

mécanisme ............................................................................................................................56

B. L séparation du domaine législatif et réglementaire ..............................................................58

1. La normalisation du pouvoir réglementaire en France .........................................58

2. L�’absence de délimitation des compétences législatives en Roumanie...............59

E PARTIE �– L�’ORIGINALITE ROUMAINE CONSACREE PAR LES

LUT NS OPPOSEES DES DEUX PRESIDENCES ........................................ 61

E PERTE DE POUVOIR DU PRESIDENT AU SEIN DE L�’EXECUTIF ROUMAIN QUI

AVEC LE RENFORCEMENT DE LA FONCTION PRESIDENTIELLE

62

Le pouvoir de révocation du Premier ministre........................................... 62

A. L interprétation discrétionnaire de dispositions elliptiques ......................................................62

1. Une convention praeter legem......................................................................................63

2. Une interprétation roumaine « à la française » jusqu�’en 1999..............................64

L�’interdiction explicite de la responsabilité dualiste du Gouvernement....................................66

1. Les limites en période de cohabitation....................................................................67

2. La révision de l�’article 107 de la Constitution roumaine ......................................67

107

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§2.

�’

.68

2.

ça ..............71

II. LE

ET CON IT

§1. L ........ 76

1.

n

79

§2.

�’

2. Les conséquences pour la norme visée par le contrôle présidentiel ...................87

conflit de

CONCL

BIBLIOG

ANNEX ..

TABLE

Les choix opposés sur la durée de mandat menant ou non à la

cohabitation ................................................................................................ 68

A. L option initiale roumaine de la présidence de législature, opposition avec la Constitution de

1958 .......................................................................................................................................

1. Le refus français et l�’expérience de la cohabitation...............................................68

Le choix initial de la Roumanie ................................................................................70

B. Des mandats présidentiels et législatifs de durée inégale, opposition avec la Constitution

fran ise en 2005........................................................................................................

1. Le référendum du 24 septembre 2000 en France..................................................72

2. La révision constitutionnelle roumaine du 30 octobre 2003................................73

RAPPORT DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE AVEC LES POUVOIRS LEGISLATIF

ST UTIONNEL 75

�’équilibre des pouvoirs entre le Président et le Parlement ..............

A. Le contrôle sur le Gouvernement : le remaniement ministériel conditionné ou libre ..................76

Une pratique semblable à celle de la révocation du Premier ministre ................77

2. L�’élimination du risque de changement politique issu d�’un remaniement.........78

B. U e responsabilité consolidée devant le Parlement..................................................................79

1. L�’irresponsabilité politique consacrée .....................................................................

2. La responsabilité pénale renforcée tant en France qu�’en Roumanie ..................82

Le rapport du Président avec l�’organe constitutionnel .............................. 84

A. L efficacité de la surveillance du respect de la Constitution française et roumaine ....................85

1. Une compétence largement partagée.......................................................................85

B. La nouvelle compétence de la Cour Constitutionnelle roumaine envers le président de la

République et les autres autorités publiques ................................................................................88

1. Une prérogative tirée d�’un modèle très différent de celui de la France..............89

2. La décision du 28 janvier 2005 : la première solution relative à un «

nature juridique ». ................................................................................................................91

USION GENERALE ....................................................................................... 94

RAPHIE ......................................................................................................... 98

ES. ..................................................................................................................105

DES MATIERES.............................................................................................106

108

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ANNEXE 1 : Tableau comparatif des articles des Constitutions roumaines et françaises

concernant le Président de la République.

Pour plus de facilité pour le lecteur, habitué à l�’étude de la Constitution française, il a

semblé plus judicieux et plus aisé de présenter les articles de la constitution roumaine en

fonction de ceux de la Constitution française.

Constitution française Constitution roumaine Fonctions présidentielles

Art. 5. - Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités.

Art. 80. - (1) Le Président de la Roumanie représente l'Etat roumain et il est le garant de l'indépendance nationale, de l'unité et de l'intégrité territoriale du pays. (2) Le Président de la Roumanie veille au respect de la Constitution et au bon fonctionnement des autorités publiques. Dans ce but, le Président exerce la fonction de médiation entre les pouvoirs de l'Etat, ainsi qu'entre l'Etat et la société.

Caractéristiques du mandat Art. 6. - Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Les modalités d'application du présent article sont fixées par une loi organique.

Art. 81. - (1) Le Président de la Roumanie est élu au suffrage universel, égal, direct, secret et librement exprimé. (4) Nul ne peut exercer la fonction de Président de la Roumanie pendant plus de deux mandats. Ceux-ci peuvent également être successifs. Art. 83. - (1) Le mandat du Président de la Roumanie est de cinq ans et son exercice commence à la date de la prestation du serment.

Nomination et fin des fonctions du Premier ministre et du gouvernement Art. 8. - Le Président de la République nomme le Premier Ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier Ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.

Art. 85. - (1) Le Président de la Roumanie désigne un candidat à la fonction de Premier ministre et nomme le Gouvernement sur la base d'un vote de confiance accordé par le Parlement. Art. 103. - (1) Le Président de la Roumanie désigne un candidat à la fonction de Premier ministre, à la suite de la consultation du parti ayant la majorité absolue dans le Parlement ou, si cette majorité n'existe pas, des partis représentés au Parlement. (2) Le candidat à la fonction de Premier ministre demande, dans un délai de dix jours à compter de sa désignation, le vote de confiance du Parlement sur le programme et la liste complète du Gouvernement. (3) Le programme et la liste du Gouvernement sont discutés par la Chambre des Députés et par le Sénat, en séance commune. Le Parlement accorde la confiance au Gouvernement à la majorité des voix des députés et des sénateurs. Art. 106. - La fonction de membre du Gouvernement prend fin à la suite de la démission, de la révocation, de la perte des droits électoraux, de l'état d'incompatibilité, du décès, ainsi que dans d'autres cas déterminés par la loi. Art. 107. - (1) Le Premier ministre dirige le Gouvernement et coordonne l'activité de ses membres, en respectant les attributions qui leur incombent. De même, il présente à la Chambre des Députés ou au Sénat des rapports et des déclarations au sujet de la

I

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politique du Gouvernement, qui sont discutés en

priorité. (2) Le Président de la Roumanie ne peut pas révoquer le Premier ministre. (3) Si le Premier ministre est dans l'une des situations prévues à l'article 106, excepté la révocation, ou est dans l'impossibilité d'exercer ses attributions, le Président de la Roumanie désigne un autre membre du Gouvernement comme Premier ministre par intérim, pour exercer les attributions du Premier ministre, jusqu'à la formation du nouveau Gouvernement. L'intérim, pour la durée de l'impossibilité d'exercer les fonctions, cesse si le Premier ministre reprend son activité au Gouvernement. (4) Les dispositions de l'alinéa (3) s'appliquent de manière analogue aux autres membres du Gouvernement, sur proposition du Premier ministre, pour une durée maximum de quarante-cinq jours.

Présidence des réunions du Gouvernement Art. 9. - Le Président de la République préside le Conseil des Ministres.

Art. 87. - (1) Le Président de la Roumanie peut participer aux réunions du Gouvernement au cours desquelles sont discutés les problèmes d'intérêt national portant sur la politique extérieure, la défense du pays, la protection de l'ordre public et, sur demande du Premier ministre, en d'autres situations. (2) Le Président de la Roumanie préside les réunions du Gouvernement auxquelles il participe.

Référendum et révision de la Constitution Art. 3. - La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Art. 11. - Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat. Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation. Art. 88-5. - Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République. Art. 89. - L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier Ministre et aux membres du Parlement. Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans

Art. 2. - (1) La souveraineté nationale appartient au peuple roumain, qui l'exerce par ses organes représentatifs, constitués à voie d'élections libres, périodiques et correctes, ainsi que par référendum. Art. 90. - Le Président de la Roumanie, après avoir consulté le Parlement, peut demander au peuple d'exprimer, par référendum, sa volonté au sujet des problèmes d'intérêt national. Art. 11. �– (�…) (3) Lorsqu'un traité auquel la Roumanie veut devenir partie comprend des dispositions contraires à la Constitution, il ne pourra être ratifié qu'après la révision de la Constitution. Art. 150. - (1) La révision de la Constitution peut être engagée à l'initiative du Président de la Roumanie, sur la proposition du Gouvernement, d'un quart au moins du nombre des députés ou des sénateurs, ainsi que d'au moins 500.000 citoyens ayant le droit de vote. (2) Les citoyens qui prennent l'initiative de la révision de la Constitution doivent provenir de la moitié au moins des départements du pays, et dans chacun de ces départements ou dans la municipalité de Bucarest, 20.000 signatures au moins doivent être enregistrées à l'appui de cette initiative. Art. 151. - (1) Le projet ou la proposition de révision doit être adopté par la Chambre des Députés et par le Sénat, à une majorité d'au moins deux tiers du nombre des membres de chaque Chambre. (2) Si un accord n'est pas obtenu par la procédure de médiation, la Chambre des Députés et le Sénat, en séance commune, décident par un vote d'au moins trois quarts du nombre des députés et des sénateurs. (3) La révision est définitive après son approbation par

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ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée Nationale. Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire. La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision.

un référendum, organisé dans un délai maximum de trente jours à compter de la date de l'adoption du projet ou de la proposition de révision. Art. 152 (1) Les dispositions de la présente Constitution portant sur le caractère national, indépendant, unitaire et indivisible de l'Etat roumain, la forme républicaine de gouvernement, l'intégrité du territoire, l'indépendance de la justice, le pluralisme politique et la langue officielle ne peuvent faire l'objet d'une révision. (2) De même, aucune révision ne peut être réalisée qui aurait pour résultat la suppression des droits fondamentaux et des libertés fondamentales des citoyens, ou de leurs garanties. (3) La Constitution ne peut être révisée pendant la durée de l'état de siège ou de l'état d'urgence, ni en temps de guerre.

Nominations Art. 13. - Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des Ministres. Il nomme aux emplois civils et militaires de l'Etat. Les conseillers d'Etat, le grand chancelier de la Légion d'honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des Comptes, les préfets, les représentants de l'Etat dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales sont nommés en Conseil des Ministres. Une loi organique détermine les autres emplois auxquels il est pourvu en Conseil des Ministres ainsi que les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être par lui délégué pour être exercé en son nom. Art. 56. - Le Conseil Constitutionnel comprend neuf membres, dont le mandat dure neuf ans et n'est pas renouvelable. Le Conseil Constitutionnel se renouvelle par tiers tous les trois ans. Trois des membres sont nommés par le Président de la République, trois par le Président de l'Assemblée Nationale, trois par le Président du Sénat. En sus des neuf membres prévus ci-dessus, font de droit partie à vie du Conseil Constitutionnel les anciens Présidents de la République. Le Président est nommé par le Président de la République. Il a voix prépondérante en cas de partage.

Art. 65. - (2) Les Chambres déroulent également leurs travaux en séances communes, conformément à un règlement adopté à la majorité des voix des députés et des sénateurs, pour : (�…) h) nommer, sur proposition du Président de la Roumanie, les directeurs des services de renseignements et exercer le contrôle sur l'activité de ces services. Art. 94. - Le Président de la Roumanie exerce également les attributions suivantes: a) il décerne des décorations et des titres honorifiques; b) il confère les grades de maréchal, de général et d'amiral; c) il nomme aux fonctions publiques, dans les conditions déterminées par la loi; (�…). Art. 142. - (1) La Cour constitutionnelle est le garant de la suprématie de la Constitution. (2) La Cour constitutionnelle se compose de neuf juges, nommés pour un mandat de neuf ans, qui ne peut être prolongé ou renouvelé. (3) Trois juges sont nommés par la Chambre des Députés, trois par le Sénat et trois par le Président de la Roumanie. (4) Les juges de la Cour constitutionnelle élisent, au scrutin secret, le président de la Cour pour une durée de trois ans. (5) La Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers, tous les trois ans, dans les conditions déterminées par la loi organique relative à la Cour.

Politique extérieure Art. 14. - Le Président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui.

Art. 52. - Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d'un accord international non soumis à ratification.

Art. 91. - (1) Le Président conclut au nom de la Roumanie des traités internationaux, négociés par le Gouvernement, et les soumet au Parlement en vue de ratification, dans un délai raisonnable. Les autres traités et accords internationaux sont conclus, approuvés et ratifiés conformément à la procédure établie par la loi. (2) Le Président, sur proposition du Gouvernement, accrédite et rappelle les représentants diplomatiques de la Roumanie et approuve la création, la suppression ou le changement du rang des missions diplomatiques. (3) Les représentants diplomatiques des autres Etats sont accrédités auprès du Président de la Roumanie.

III

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Défense et mesures exceptionnelles

Art. 15. - Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la Défense Nationale. Art. 16. - Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel. Il en informe la Nation par un message. Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil Constitutionnel est consulté à leur sujet. Le Parlement se réunit de plein droit. L'Assemblée Nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels.

Art. 92. - (1) Le Président de la Roumanie est le commandant des forces armées et il remplit la fonction de président du Conseil suprême de Défense du Pays. (2) Il peut décréter, après autorisation préalable du Parlement, la mobilisation partielle ou totale des forces armées. Dans des cas exceptionnels uniquement, la décision du Président est soumise ultérieurement à l'approbation du Parlement, dans un délai maximum de cinq jours à compter de son adoption. (3) En cas d'agression armée dirigée contre le pays, le Président de la Roumanie prend des mesures pour repousser l'agression et en informe immédiatement le Parlement, par un message. Si le Parlement n'est pas en session, il est convoqué de droit dans les vingt-quatre heures qui suivent le déclenchement de l'agression. (4) En cas de mobilisation ou de guerre, le Parlement poursuit son activité pour toute la durée de ces états; s'il n'est pas en session, il sera convoqué de droit dans les vingt-quatre heures qui suivent leur déclaration. Art. 93. - (1) Le Président de la Roumanie institue, conformément à la loi, l'état de siège ou l'état d'urgence dans tout le pays ou dans certaines unités administratives-territoriales et demande au Parlement d'approuver la mesure adoptée, dans un délai maximum de cinq jours après son adoption. (2) Si le Parlement n'est pas en session, il est convoqué de droit dans un délai maximum de quarante-huit heures à compter de l'institution de l'état de siège ou de l'état d'urgence et siège pendant toute la durée de ceux-ci.

Droit de grâce Art. 17. - Le Président de la République a le droit de faire grâce.

Art. 94. - Le Président de la Roumanie exerce également les attributions suivantes: (�…) d) il accorde la grâce individuelle.

Messages au Parlement Art. 18. - Le Président de la République communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu'il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat. Hors session, le Parlement est réuni spécialement à cet effet.

Art. 88. - Le Président de la Roumanie adresse au Parlement des messages portant sur les principaux problèmes politiques de la nation.

Actes du Président Art. 19. - Les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier Ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables.

Art. 100. - (1) Dans l'exercice de ses attributions, le Président de la Roumanie adopte des décrets qui sont publiés au Moniteur officiel de la Roumanie. L'absence de publication entraîne l'inexistence du décret. (2) Les décrets adoptés par le Président de la Roumanie dans l'exercice de ses attributions prévues à l'article 91 alinéas (1) et (2), à l'article 92 alinéas (2) et (3), à l'article 93 alinéa (1) et à l'article 94 lettres a), b) et d) sont contresignés par le Premier ministre.

IV

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ANNEXE 2 : Avis sur le projet de révision de la Constitution de la Roumanie adopté par

la Commission de Venise lors de sa 54e session plénière, les 14 et 15 mars 20031. La rédaction du projet transmis aux expert de la Commission européenne pour la Démocratie par le

droit expose : « Le président de la Roumanie peut dissoudre le Parlement après consultation du Premier Ministre, et des présidents des deux Chambres, dans le cas où le rapport entre la majorité et l�’opposition serait modifié à la suite des changements opérés dans la composition des groupes parlementaires. L�’avis du Premier Ministre et des présidents des deux Chambres est consultatif. Les élections générales seront organisées dans un délai de maximum 60 jours à partir de la dissolution. »

« Dans le système ancien, la dissolution pouvait intervenir au moment de la formation du

gouvernement, si celui-ci n�’obtenait pas la confiance du Parlement (article 102) : la crise ne pouvait pas dépasser 60 jours, et pour que la dissolution soit possible, le Parlement devait avoir, pendant ce délai, refusé au moins à deux reprises sa confiance à un gouvernement. Dans la nouvelle proposition, cela disparaît.

Dans le système nouveau proposé, l�’avis du Premier Ministre est désormais requis (sa participation, même purement consultative, à la procédure de dissolution accentue le caractère parlementaire du régime) et la condition de fond nouvelle est la modification du rapport entre la majorité et l�’opposition, suite à un changement de la composition des groupes parlementaires, vraisemblablement lorsque certains députés de la majorité passeraient dans l�’opposition. La dissolution apparaît comme la sanction à la modification ou à la recomposition des équilibres parlementaires issus des élections, en cours de législature, sans que la responsabilité du gouvernement ait été engagée.

Le droit de dissolution du Parlement est une institution classique du régime parlementaire qui permet essentiellement de donner la parole aux électeurs pour essayer de résoudre une situation parlementaire de blocage et d�’absence de majorité de soutien au gouvernement. Du point de vue matériel, le titulaire du droit de dissolution est le Chef de l�’Etat (articles 12 et 19 de la Constitution française de 1958), ou bien le Premier Ministre ou le gouvernement dans la plupart des régimes parlementaires. Dans le cas roumain, où le Chef de l�’Etat est élu comme en France au suffrage universel direct, l�’attribution de cette fonction totalement au Président de la République peut apparaître cohérente si l�’on veut renforcer sa position institutionnelle, mais on peut songer à d�’autres solutions qui existent aussi dans des régimes semi-présidentiels (article 13.2 de la Constitution de l�’Irlande) et qui permettent l�’intervention du gouvernement dans l�’exercice du droit de dissolution du Parlement.

Les tentatives de lier le droit de dissolution à des conditions qui sont entre les mains des parlementaires s�’est souvent révélée illusoire. Si la dissolution doit trancher une crise, pourquoi ne pas attendre qu�’elle se manifeste, comme dans la rédaction précédente ? Les circonstances qui peuvent provoquer une situation parlementaire de ce genre ne se réduisent pas, comme on peut lire dans la proposition du nouvel article 89, aux �“changements opérés dans la composition politique des groupes parlementaires�”, mais elles peuvent découler simplement des nouvelles orientations politiques adoptées par les groupes parlementaires pendant la législature.

Il est dangereux de permettre au Président de la Roumanie de dissoudre le Parlement « dans le cas où le rapport entre la majorité et l�’opposition est modifié à la suite des changements opérés dans la composition politique des groupes parlementaires ». C�’est la porte ouverte à toutes les man�œuvres de débauchage ou de scission au sein des partis.

Si l�’on souhaite que la dissolution devienne une arme entièrement discrétionnaire entre les mains du Président de la République, il vaudrait mieux, alors, le dire clairement. L�’expression utilisée par l�’article 89 nouveau paraît d�’une redoutable ambiguïté.

Il convient enfin de souligner que la nouvelle formule ("après consultation") est considérablement améliorée par rapport à l'ancien texte ("sur proposition") et évite des blocages, en particulier en cas de cohabitation.

En conclusion, on pourrait revenir au texte plus ouvert de la première proposition de révision de la Constitution. On peut se référer au texte contenu au point 46 de l�’Avis adopté par la Commission de Venise en juillet 2002, CDL-AD (2002) 12 :

Si l�’on tient à conserver cette disposition, elle pourrait être reformulée comme suit (proposition rédactionnelle) : « Le Président de la Roumanie ne peut prononcer la dissolution du Parlement que sur proposition du gouvernement, après consultation des présidents des assemblées et après l�’échec d�’une tentative de médiation entre les partis représentés au Parlement et au Gouvernement ».

1 Voir l�’avis à l�’adresse : http://www.venice.coe.int/docs/2003/CDL-AD(2003)004-f.asp

V

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ANNEXE 3 : Décision n°53 du 28 janvier 2005 relative à la résolution du conflit

juridique de nature constitutionnelle entre le Président de la Roumanie et le

Parlement2

Décision n° 53 du 28 janvier 2005 relative aux requêtes tendant à la résolution du conflit juridique de nature

constitutionnelle entre le Président de la Roumanie et le Parlement, soulevées par le président de la Chambre des Députés et par le président du Sénat

Publiée au Journal Officiel (Monitorul Oficial) no.144 du 17 février 2005 En vertu de l�’article 146 lettre e) de la Constitution et de l�’article 34 de la Loi no.47/1992 réglementant l�’organisation et le fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, le président de la Chambre des Députés, le 8 janvier 2005, a saisi la Cour Constitutionnelle de la requête tendant à résoudre le conflit juridique de nature constitutionnelle créé par le Président de la Roumanie, Monsieur Traian B sescu, entre cette autorité publique et le Parlement, demande enregistrée sous le no. 96 du 8 janvier 2005 et qui fait l�’objet du Dossier no.11E/2005. Selon la requête, il est apparu un conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Président de la Roumanie, d�’une part, et le Parlement, la Chambre des Députés et le Sénat, d�’autre part, « suite au comportement contraire à la Constitution du président de la Roumanie, Monsieur Traian B sescu ». Il y est considéré que par le syntagme « des conflits juridiques de nature constitutionnelle », mentionné à l�’article 146 lettre e) de la Constitution, on vise « l�’accomplissement des attributions spécifiques à chaque pouvoir » prévues par la Loi fondamentale, compris comme un acte juridique. Le statut juridique des autorités publiques est de nature constitutionnelle, et la violation de ce statut « représente justement le bien fondé des requêtes prévues à l�’article 146 lettre e) de la Constitution ». Selon l�’opinion de l�’auteur de la demande, le conflit a été créé par les affirmations du Président de la Roumanie, Monsieur Traian B sescu, dans l�’entretien accordé au Journal « Adev rul » et publié dans le no.4513 du 6 janvier 2005, sous le titre « Je suis un adepte des élections anticipées immédiates pour échapper à une solution immorale qui porte le nom du Parti humaniste roumain (PUR) ».Ces affirmations relatives au Parlement et aux partis parlementaires surpassent les attributions constitutionnelles du Président de la Roumanie, en suggérant, en outre, des conduites contraires à la Constitution. Ainsi, le Parti humaniste roumain, parti parlementaire qui participe au gouvernement, a été qualifié de « solution immorale », la direction du Parti Social Démocrate caractérisée comme ayant « des limites de compréhension de l�’avenir de la Roumanie » et comme étant un mécanisme par l�’intermédiaire duquel « le système de gouvernement de type mafieux a été élevé au rang de politique d�’État », et pour d�’autres partis parlementaires on a suggéré la nécessité de la fusion et, de plus, on y a précisé des actions concrètes, dans ce sens, à l�’occasion des prochains congrès. Dans la ligne des ingérences dans les attributions du Parlement, le Président de la Roumanie a sollicité, au cours du même entretien, une enquête parlementaire au sujet du mode dans lequel se sont déroulées les élections générales du novembre 2004, ainsi que le déclenchement de la procédure parlementaire afin que les deux présidents des Chambres soient changés, en soutenant, en même temps, la nécessité des élections parlementaires anticipées. Selon le président de la Chambre des Députés, « Ces déclarations par lesquelles on sollicite une certaine conduite et un certain vote pour les groupes parlementaires et pour les partis, en tant que sujets de droit public, sont contraires, par essence, aux textes constitutionnels suivants: l�’article 1 alinéa (4), l�’article 8, l�’article 61, l�’article 64, l�’article 89 », et le Président de la Roumanie, en raison de cette conduite, il a violé l�’article 80 alinéa (2) et l�’article 82 alinéa (2) de la Constitution. Une telle conduite du Président de la Roumanie engendre des conflits au sein des autorités publiques et parmi celles-ci. L�’exhortation du Président selon laquelle devraient être provoquées des élections anticipées est contraire à l�’esprit de la Constitution et contrevient à l�’article 80 alinéa (2) et à l�’article 82 alinéa (2) de la Constitution. « Les élections anticipées, conformément à l�’article 89 de la Constitution, ne sont à concevoir qu�’à la suite de la dissolution du Parlement, et la dissolution du Parlement ne peut se faire qu�’à la suite d�’une crise gouvernementale répétée et prolongée au-delà d�’un délai de 60 jours ». En vertu de l�’article cité 146 lettre e), le président du Sénat, le 10 janvier 2005, a saisi, lui aussi, la Cour d�’une demande de résolution du conflit juridique de nature constitutionnelle entre les autorités publiques, enregistrée sous le no.122 de ladite date. Cette requête tend à faire valoir les mêmes motifs que ceux de la requête du président de la Chambre des Députés. De plus, le président du Sénat a demandé à la Cour Constitutionnelle de prononcer « une décision attirant l�’attention du Président de la Roumanie sur son comportement inconstitutionnel, en l�’obligeant à demander des excuses publiques aux présidents des deux Chambres et à toutes les structures parlementaires qui ont été visées par son comportement inconstitutionnel ». Cette requête fait l�’objet du dossier no.20E/2005. La traduction a été effectuée par le service de la documentation de la Cour Constitutionnelle de Roumanie mais l�’a été à titre gracieux et n�’engage pas la Cour.

VI

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Vu que les requêtes déposées par le président de la Chambre des Députés et par le président du Sénat ont le même objet, car dans les deux requêtes, il est sollicité de trancher le conflit entre le Président de la Roumanie et les Chambres du Parlement, conflit engendré par les mêmes déclarations du Président de la Roumanie, la Cour Constitutionnelle, par le Jugement avant dire droit du 26 janvier 2005, a décidé de rendre connexe les deux causes. En conformité avec les dispositions de l�’article 35 alinéa (1) de la Loi no.47/1992 réglementant l�’organisation et le fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, les requêtes ont été transmises au Président de la Roumanie, ainsi qu�’aux présidents des deux Chambres du Parlement, pour présenter leurs points de vue sur le contenu de nature constitutionnelle et des éventuelles voies de solution de celles-ci. Le Président de la Roumanie, Monsieur Traian B sescu, a communiqué son point de vue avec les adresses no.CA/364 et CA/365 du 18 janvier 2005, enregistrées à la Cour Constitutionnelle sous le no.342 et 341 du 18 janvier 2005, au sujet des requêtes soulevées par le président de la Chambre des Députés et par le président du Sénat. En l�’espèce, il ne s�’agit pas de l�’existence d�’un conflit entre des autorités publiques, même si l�’existence d�’un certain conflit était retenue, celui-ci est de nature politique, et non pas juridique d�’ordre constitutionnel, au sujet de certains textes légaux relatifs aux attributions des autorités impliquées (des conflits positifs ou négatifs de compétence). Dans la motivation de ce point de vue, il est montré que le titre III de la Constitution définit ce que l�’on entend par autorités publiques et qui peut prétendre à cette appellation, les partis politiques, parlementaires ou non parlementaires n�’étant pas compris dans cette catégorie d�’institutions. Par conséquent, entre les partis politiques et une autorité publique, il ne peut exister un conflit juridique de nature constitutionnelle qui entraînerait la compétence de solution de la Cour Constitutionnelle. Concernant la signification du syntagme « conflit juridique de nature constitutionnelle », le Président invoque la Décision de la Cour Constitutionnelle no.148 du 16 avril 2003 relative à la constitutionnalité de la proposition législative de révision de la Constitution, dans laquelle il fut retenu que, par la solution des conflits qu�’il y a entre différentes autorités publiques, on entend éviter certains blocages institutionnels possibles, et non pas donner la solution de certaines divergences d�’ordre politique. Des conflits peuvent exister entre deux ou plusieurs autorités constitutionnelles, engendrés par le contenu ou par l�’étendue de leurs attributions, respectivement des conflits positifs ou négatifs de compétence. Dans l�’affaire, les affirmations imputées au Président de la Roumanie ne sont pas des actes, des agissements ou des omissions, mais des simples déclarations à caractère exclusivement politique; or, selon les dispositions constitutionnelles de l�’article 84 alinéa (2), en corrélation avec celles de l�’article 72 alinéa (1), la liberté d�’expression du Président de la Roumanie est garantie expressément, n�’étant pas possible qu�’il soit rendu juridiquement responsable « pour les opinions politiques exprimées dans l�’exercice de son mandat ». Cette conclusion résulte aussi de l�’Avis consultatif no.1 du 5 juillet 1994 de la Cour Constitutionnelle, relatif à la proposition de suspension de la fonction de Monsieur Ion Iliescu. Également, par la Décision no.339 du 17 septembre 2004, la Cour Constitutionnelle a statué que l�’obligation constitutionnelle pour le Président de la Roumanie de ne pas avoir politiquement un parti pris n�’était pas absolue. Par cette décision, il avait été constaté que les dispositions de l�’article 5 alinéa (7) de la Loi no.373/2004 pour l�’élection de la Chambre des Députés et du Sénat étaient constitutionnelles, par conséquent le Président en fonction de la Roumanie pouvait se porter candidat dans les élections parlementaires sur la liste d�’un parti politique et, implicitement, il pouvait participer à la campagne électorale de ce parti-là. La question de la façon dont il exerce sa fonction de médiation entre les pouvoirs de l�’État, ainsi qu�’entre l�’État et la société dépend de la mesure dans laquelle le Président remplit ses obligations, de l�’éthique de l�’exercice du mandat présidentiel, lequel, lorsqu�’il est gravement enfreint, entraîne la responsabilité constitutionnelle du titulaire du mandat. En ce qui concerne l�’affirmation relative à l�’éventualité des élections anticipées il y est démontré que, dans les requêtes soulevées, sont omises les précisions faites par le Président de la Roumanie Traian B sescu dans ledit entretien, dans le sens où cette éventualité est envisagée comme moyen de solution à une éventuelle crise politique au cours de laquelle le Gouvernement ne pourrait pas réaliser son programme de gouvernement en accord avec le Parlement, crise qui n�’exitste pas actuellement. Il y est précisé qu�’une pareille déclaration politique, ainsi que la possibilité de faire appel à nouveau à l�’électorat afin que la nation exerce directement la souveraineté dont elle est titulaire, ne sont pas inconstitutionnelles. Les présidents des deux Chambres du Parlement ont communiqué leurs points de vue avec l�’Adresse no.10 du 20 janvier 2005, enregistrée à la Cour Constitutionnelle avec le no.384 du 20 janvier 2005, précisant que les requêtes portant sur la solution du conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Président de la Roumanie et le Parlement de la Roumanie étaient fondées, et la Cour Constitutionnelle compétente pour adopter une décision par laquelle elle avertirait publiquement le Président de la Roumanie de sa conduite inconstitutionnelle et porterait à son attention le danger auquel il s�’expose si un tel comportement se manifestait de nouveau. Dans la motivation de ce point de vue, il y a réitération des arguments compris dans les actes de saisine, relatifs à l�’existence d�’un conflit juridique de nature constitutionnelle entre les Chambres du Parlement et l�’institution du Président de la Roumanie, provoqué par la conduite contraire à la Constitution de Monsieur le Président Traian B sescu.

VII

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Il est encore soutenu que les déclarations publiques du Président de la Roumanie excèdent les obligations et les attributions prévues par la Constitution au sujet de l�’institution du Président de la Roumanie, qui dans ses relation avec le Parlement n�’a que le droit d�’adresser des messages sur les principaux problèmes politiques de la nation. Certaines affirmation, sollicitations et conduites contraires à la Constitution ne sont pas des opinions personnelles, en qualité de simple citoyen, car, aussi longtemps qu�’il détient la fonction de Président de la Roumanie, toute déclaration représente la position de cette autorité publique - l�’institution du Président de la Roumanie, avec toutes les implications constitutionnelles et légales concernant le titulaire de la fonction. L�’article 84 alinéa (2), en corrélation avec l�’article 72 alinéa (1) de la Constitution, prévoit que le Président de la Roumanie ne peut pas être rendu responsable pour « les opinions politiques exprimées dans l�’exercice du mandat », c�’est à dire pour les opinions politiques exprimées dans l�’exercice de ses attributions; or, en l�’espèce, le Président de la Roumanie n�’a pas exprimé pareilles opinions, mais, davantage, il a sollicité des groupes parlementaires une conduite contraire à la Constitution, qui ne lui reconnaît pas le droit de se mêler aux questions internes du Parlement. En conclusion, il est démontré que « la solution du conflit juridique de nature constitutionnelle impose que le dispositif de la décision de la Cour Constitutionnelle soit conçu et rédigé, dans le bas du paragraphe de l�’admission de la demande, de telle nature que l�’état conflictuel cesse et ne puisse plus être réitéré, et si la partie ayant été sanctionnée récidive, qu�’il y ait des leviers constitutionnels et légaux de neutralisation, par l�’application d�’une sanction plus grave ». De la philosophie de la Constitution, révisée, il résulte que « la responsabilité administrative �– disciplinaire » du Président de la Roumanie est nuancée dans le sens où, jusqu�’au déclanchement de la procédure de suspension prévue par l�’article 95 de celle-ci, la Cour Constitutionnelle peut prononcer, en vertu des dispositions constitutionnelles de l�’article 146 lettre e), une décision d�’attention publique à l�’adresse du Président. Les débats sur les requêtes tendant à la résolution du conflit juridique de nature constitutionnelle eurent lieu le 25 janvier 2005 et se sont déroulés selon les dispositions de l�’article 35 alinéa (2) de la Loi no.47/1992 relative à l�’organisation et au fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, avec la citation des parties et l�’audition des conclusions des représentants de celles-ci, étant consignées dans le jugement avant dire droit de cette date-là. La Cour, ayant besoin du temps pour délibérer, a ajourné le prononcé pour le 28 janvier 2005. LA COUR,

examinant les requêtes tendant à la résolution du conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Président de la Roumanie et les Chambres du Parlement, le contenu de l�’entretien publié dans le journal Adev rul no.4513 du 6 janvier 2005, le point de vue du Président de la Roumanie, du président de la Chambre des Députés, ainsi que celui du président du Sénat, les rapports dressés par les juges rapporteurs, les allégations des représentants des autorités publiques impliquées dans le conflit, compte tenu des dispositions de la Constitution, ainsi que celles de la Loi no.47/1992 sur l�’organisation et le fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, retient ce qui suit:

La Cour fut légalement saisie et elle est compétente, conformément aux dispositions de l�’article 146 lettre e) de la Constitution, ainsi qu�’à celles des articles 1, 10, 34 et 35 de la Loi no.47/1992, pour se prononcer sur les requêtes relatives au conflit juridique de nature constitutionnelle entre les autorités publiques.

Conformément aux dispositions de l�’article 146 lettre e) de la Constitution, la Cour Constitutionnelle « statue sur les conflits juridiques de nature constitutionnelle entre les autorités publiques, sur demande Président de la Roumanie, du président de l�’une des Chambres, du Premier ministre ou du président du Conseil supérieur de la Magistrature ».

Dans les requêtes tendant à la résolution du conflit juridique de nature constitutionnelle entre le Président de la Roumanie et le Parlement de la Roumanie, soulevées par le président de la Chambre des Députés et par le président du Sénat, il est affirmé, dans l�’essentiel, que ce conflit est apparu à la « suite du comportement contraire à la Constitution du Président de la Roumanie ». Les auteurs des requêtes considèrent que le syntagme « des conflits de nature juridique » vise l�’accomplissement des attributions spécifiques à chaque autorité publique, qui ont « un statut juridique de nature constitutionnelle », et la violation de ce statut juridique « représente justement le bien fondé des requêtes prévues à l�’article 146 lettre e) de la Constitution ». C�’est pourquoi, il est considéré que la Cour Constitutionnelle est compétente pour trancher le conflit qui apparaît à la suite de la conduite, concrétisée aussi dans une déclaration publique, et pour examiner si par celle-ci les principes constitutionnels de fonctionnement des autorités publiques sont violés. Ainsi, le Président de la Roumanie, dans l�’entretien publié par le journal Adev rul, « en ce qui concerne le Parlement, y compris les partis qui y sont représentés », a fait des affirmations excédant ses attributions constitutionnelles.

Les auteurs des requêtes allèguent, également, que la sollicitation d�’une certaine conduite et d�’un certain vote de la part des groupes parlementaires et des partis, des sujets de droit public, est contraire aux dispositions de l�’article 1 alinéa (4), des articles 8, 61, 64 89, de l�’article 80 alinéa (2) et de l�’article 82 alinéa (2) de la Constitution. Il est encore allégué que les affirmations et les exhortations du Président de la Roumanie représentent des ingérences inadmissibles dans l�’activité et le fonctionnement du Parlement. Le comportement du Président de la

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Roumanie engendrant des états conflictuels au sein des autorités publiques, entre les autorités publiques, ainsi que son exhortation d�’aboutir à des élections anticipées sont contraires à la lettre et à l�’esprit de la Constitution.

Les dispositions constitutionnelles prétendument méconnues par les affirmations du Président de la Roumanie sont les suivantes: -l�’article 1 alinéa (4): « (4) L'Etat est organisé conformément au principe de la séparation et de l'équilibre des pouvoirs - législatif, exécutif et judiciaire - dans le cadre de la démocratie constitutionnelle. » -l�’article 8: « (1) Le pluralisme est dans la société roumaine une condition et une garantie de la démocratie constitutionnelle. (2) Les partis politiques sont constitués et exercent leur activité dans les conditions fixées par la loi. Ils contribuent à la définition et à l'expression de la volonté politique des citoyens, tout en respectant la souveraineté nationale, l'intégrité territoriale, l'ordre de droit et les principes de la démocratie. » -l�’article 61: « (1) Le Parlement est l'organe représentatif suprême du peuple roumain et l'unique autorité législative du pays. (2) Le Parlement est formé de la Chambre des Députés et du Sénat. » -l�’article 64: « (1) L'organisation et le fonctionnement de chaque Chambre sont établis par leurs propres règlements. Les ressources financières des Chambres sont prévues dans les budgets qu'elles approuvent. (2) Chaque Chambre élit son bureau permanent. Le président de la Chambre des Députés et le président du Sénat sont élus pour la durée des mandats respectifs des Chambres. Les autres membres des bureaux permanents sont élus au début de chaque session. Les membres des bureaux permanents peuvent être révoqués avant l'expiration de leurs mandats respectifs. (3) Les députés et les sénateurs peuvent s'organiser en groupes parlementaires, conformément au règlement de chaque Chambre. (4) Chaque Chambre constitue ses commissions permanentes et peut établir des commissions d'enquête ou d'autres commissions spéciales. Les Chambres peuvent constituer des commissions communes. (5) Les bureaux permanents et les commissions parlementaires sont constitués conformément à la configuration politique de chaque Chambre. » -l�’article 80 alinéa (2): « (2) Le Président de la Roumanie veille au respect de la Constitution et au bon fonctionnement des autorités publiques. Dans ce but, le Président exerce la fonction de médiation entre les pouvoirs de l'État, ainsi qu'entre l'État et la société. » -l�’article 82 alinéa (2): « (2) Le candidat dont l'élection a été validée prête devant la Chambre des Députés et le Sénat, réunis en séance commune, le serment suivant : « Je jure de consacrer toute ma force et toutes mes capacités à la prospérité spirituelle et matérielle du peuple roumain, de respecter la Constitution et les lois du pays, de défendre la démocratie, les droits fondamentaux et les libertés fondamentales des citoyens, la souveraineté, l'indépendance, l'unité et l'intégrité territoriale de la Roumanie. Que Dieu m'y aide! » -l�’article 84 alinéa (1): « (1) Pendant la durée du mandat, le Président de la Roumanie ne peut être membre d'aucun parti et ne peut exercer aucune autre fonction publique ou privée. » -l�’article 89: « (1) Après consultation des présidents des deux Chambres et des leaders des groupes parlementaires, le Président de la Roumanie peut dissoudre le Parlement, si celui-ci n'a pas accordé le vote de confiance pour la formation du Gouvernement dans un délai de 60 jours à compter du premier vote et uniquement s'il y a eu deux votes au moins de refus d'investiture. (2) Au cours d'une année, le Parlement peut être dissous une seule fois. (3) Le Parlement ne peut être dissous pendant les 6 derniers mois du mandat du Président de la Roumanie ni pendant l'état de mobilisation, de guerre, de siège ou d'urgence. »

Compte tenu des motifs invoqués dans les requêtes qui lui furent adressées, la Cour Constitutionnelle retient que, pour la solution de celles-ci, il est important d�’être déterminée la signification exacte du syntagme « conflit juridique de nature constitutionnelle entre les autorités publiques », prévu par le texte constitutionnel.

En analysant la nature des autorités publiques susceptibles d�’être des parties impliquées dans le conflit, la Cour remarque qu�’il s�’agit seulement de celles prévues au Titre III de la Constitution. Dans la catégorie de ces autorités n�’entrent pas les partis politiques, les personnes morales de droit public qui, selon les dispositions de l�’article 8 alinéa (2) de la Constitution, « [...] contribuent à la définition et à l�’expression de la volonté politiques des citoyens[...] ». Par conséquent, les partis politiques ne sont pas des autorités publiques. De même, les groupes parlementaires ne sont pas des autorités publiques, ils sont des structures de la Chambre du Parlement.

Eu égard à ce précédemment exposé, la Cour retient qu�’un éventuel conflit entre un parti politique ou un groupe parlementaire et une autorité publique n�’entre pas dans la catégorie des conflits dont la solution est donnée dans la compétence de la Cour Constitutionnelle, par l�’article 146 lettre e) de la Constitution.

Le conflit juridique de nature constitutionnelle entre les autorités publiques présuppose des actes ou des agissements concrets par lesquels une autorité ou plusieurs s�’arrogent des pouvoirs, des attributions ou des compétences, qui, conformément à la Constitution, appartiennent à d�’autres autorités publiques, ou l�’omission de certaines autorités publiques, refusant d�’assumer la compétence ou d�’accomplir certains actes entrant dans leurs obligations. Or, un tel conflit juridique de nature constitutionnelle n�’a pas été créé par les déclarations examinées, qui n�’ont pas produit d�’effet juridique.

La Cour constate que les opinions, les jugements de valeurs ou les affirmations du titulaire d�’un mandat de dignité publique �– comme le Président de la Roumanie, autorité publique unipersonnelle, ou comme le

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dirigeant d�’une autorité publique �– portant sur d�’autres autorités publiques ne constituent par elles mêmes des conflits juridiques entre les autorités publiques. Les opinions ou les propositions relatives au mode selon lequel agit ou devrait agir une certaine autorité publique ou les structures de celles-ci, même étant critiques, ne déclanchent pas des blocages institutionnels, si elles ne sont pas suivies par des actions ou des inactions de nature à empêcher l�’accomplissement des attributions constitutionnelles de ces autorités publiques. De tels avis ou opinions restent dans les limites de la liberté d�’expression des opinions politiques, avec les restrictions prévues à l�’article 30 alinéas (6) et (7) de la Constitution.

De même, tout candidat à la fonction de Président de la Roumanie propose à l�’électorat une doctrine politique, un programme pour la réalisation duquel il va agir, au cas où il serait élu, pendant la durée de son mandat. L�’article 84 alinéa (1) de la Constitution prévoit que, « Pendant la durée du mandat, le Président de la Roumanie ne peut être membre d�’aucun parti et ne peut exercer aucune autre fonction publique ou privée ». Ces interdictions n�’excluent pas, cependant, la possibilité d�’expression, par la suite, des opinions politiques, des engagements et des buts présentés dans son programme électoral ou de militer et d�’agir pour la réalisation de ceux-ci, avec le respect des prérogatives constitutionnelles.

La fonction de médiation entre les pouvoirs de l�’État, ainsi qu�’entre l�’État et la société, prévue à l�’article 80 alinéa (2) paragraphe deuxième de la Constitution, impose que le Président de la Roumanie soit impartial, mais, la possibilité qu�’il exprime son opinion sur le mode optimal de solution des divergences apparues n�’est pas exclue.

Le droit à l�’expression de l�’opinion politique est garanti, en égale mesure, pour le Président de la Roumanie, à l�’article 84 alinéa (2) prévoyant pour le chef de l�’État la même immunité que pour les députés et les sénateurs, l�’article 72 alinéa (1) de la Constitution s�’appliquant de manière correspondante.

La Cour Constitutionnelle retient que, conformément aux dispositions de l�’article 1 alinéa (4) de la Loi fondamentale, dans la structure organique de l�’État roumain, les autorités publiques sont organisées selon « le principe de la séparation et de l�’équilibre des pouvoirs �– législatif, exécutif et judiciaire ». C�’est pourquoi, le législateur constituant prévoit le droit pour le Président de la Roumanie de critiquer les lois adoptées par le Parlement et d�’agir contre elles. Ainsi: conformément à l�’article 77 alinéa (2), « avant la promulgation, le Président peut demander au Parlement, une seule fois, le réexamen de la loi », et l�’article 146 lettre a) prévoit le droit du Président de saisir la Cour Constitutionnelle pour l�’exercice du contrôle a priori sur la constitutionnalité des lois adoptées par le Parlement avant la promulgation. Ces attributions du Président de la Roumanie sont un contrepoids envers le pouvoir législatif, afin de réaliser l�’équilibre des pouvoirs de droit, consacré par les dispositions de l�’article 1 alinéa (3) de la Constitution. Le Président de la Roumanie dispose aussi du droit de demander à la Cour Constitutionnelle la résolution des conflits juridiques de nature constitutionnelle entre les autorités publiques, conformément à l�’article 146 lettre e) de la Constitution, et ce droit s�’exerce en exprimant les voies possibles de solution du conflit, implicitement sur le bien fondé ou le mal fondé de l�’attitude ou des allégations des autorités publiques impliquées dans le conflit.

Eu égard à ce précédemment exposé, la Cour Constitutionnelle constate que les déclarations du Président de la Roumanie ont le caractère d�’opinions politiques, exprimées en vertu de l�’article 84 alinéa (2) en corrélation avec l�’article 72 alinéa (1) de la Constitution, lesquelles n�’ont pas engendré un conflit juridique de nature constitutionnelle entre les autorités publiques �– le Président de la Roumanie et les deux Chambres du Parlement de la Roumanie -, selon la signification des dispositions de l�’article 146 lettre e) de la Constitution.

Cependant, la Cour retient que, les déclarations publiques, elles aussi, des représentants des différentes autorités publiques, par rapport au contexte dans lequel elles sont faites et à leur contenu concret, peuvent engendrer des états de confusion, d�’incertitude ou des tensions, qui ultérieurement pourraient dégénérer dans des conflits entre les autorités publiques, clairement de nature juridique. La Cour Constitutionnelle est toutefois compétente pour n�’intervenir que dans les situations dans lesquelles il fut créé effectivement un conflit juridique de nature constitutionnelle entre deux ou plusieurs autorités publiques.

Vu les considérants exposés dans la présente décision, les dispositions de l�’article 1 alinéas (1) et (4), des articles 8, 61, 64, de l�’article 80 alinéa (2), de l�’article 82 alinéa (2), de l�’article 89 et de l�’article 146 lettre e) de la Constitution, ainsi que les dispositions de l�’article 11 alinéa (1) lettre A.e), de l�’article 34 et de l�’article 35 de la Loi no.47/1992 relative à l�’organisation et au fonctionnement de la Cour Constitutionnelle. LA COUR CONSTITUTIONNELLE Au nom de la loi DÉCIDE:

Constate que les déclarations du Président de la Roumanie, Monsieur Traian B sescu, publiées au Journal "Adev rul" no.4513 du 6 janvier 2005, n�’ont pas engendré un conflit juridique de nature constitutionnelle entre les autorités publiques - le Président de la Roumanie et les deux Chambres du Parlement de la Roumanie -, selon la signification des dispositions de l�’article 146 lettre e) de la Constitution.

Définitive. La décision est communiquée au Président de la Roumanie, au président de la Chambre des Députés et

au président du Sénat et elle est publiée au Journal Officiel (Monitorul Oficial) de la Roumanie, Partie Ière.

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