Le phénomène otaku en france

117
Newton PHAM DANG Un tsunami venu d’Orient

Transcript of Le phénomène otaku en france

Page 1: Le phénomène otaku en france

Newton PHAM DANG

Un tsunami venu d’Orient

Page 2: Le phénomène otaku en france

2

LE PHENOMENE OTAKU

EN FRANCE

Page 3: Le phénomène otaku en france

3

Page 4: Le phénomène otaku en france

4

Newton Pham Dang

LE PHENOMENE OTAKU

EN FRANCE

UN TSUNAMI VENU D’ORIENT

Page 5: Le phénomène otaku en france

5

© 2012, Warehouse Editions

Page 6: Le phénomène otaku en france

6

Dédicace particulier

à une sociologue en devenir.

Que cet ouvrage te soit profitable

et qu’il te ramène au souvenir de

cet agréable après-midi au cours

duquel nous avons refait le monde.

Je vous souhaite beaucoup de

bonheur, à toi et à ton compagnon.

Newton

Page 7: Le phénomène otaku en france

7

Page 8: Le phénomène otaku en france

8

INTRODUCTION

L’Homo sapiens progressait, depuis la découverte du feu, par la connaissance empirique. Son monde était celui du réel tangible, c’était celui de Newton, Copernic ou Descartes. L’Homo virtuens vit par procuration, il revendique le droit de rêver tout éveillé. Cet Homme virtuel ne naîtra pas dans une éprouvette mais des circuits intégrés d’un ordinateur multimédia.1

Le phénomène otaku est un fait avéré propre à la civilisation

japonaise. L’otakisme se caractérise par la volonté d’une personne

de s’isoler du reste de la société en se réfugiant dans un monde fait

de divertissements (jeux vidéo, mangas, animes, maquettes,

figurines). Ce phénomène est intimement lié aux bouleversements

que le Japon a connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Ce sont ces modifications profondes du pays qui ont rendues

possible l’otakisme aujourd’hui.

Alors qu’on serait tenté de croire que ce phénomène se réduit à

un cas de figure japonais, en France, le terme « otaku » fait depuis

peu partie du langage courant. Avec la vague asiatique qui

submerge l’Europe depuis quelques années déjà, de plus en plus de

jeunes se découvrent une passion pour le monde ludique nippon.

1 BARRAL, E., Otaku : les enfants du virtuel, J’ai lu, Paris, 1999, pp. 21-22.

Page 9: Le phénomène otaku en france

9

De fait, bon nombre d’entre eux n’hésitent pas à se revendiquer

otaku.

A côté de cela, il existe en France des jeunes qui s’isolent et

s’auto-excluent de la société. Certains d’entre eux passent leurs

journées entières derrière l’écran de leur ordinateur sans

nécessairement s’intéresser au monde du manga ou de l’anime

japonais. Ceux-là ne sont-il finalement pas plus proche des otaku

tels qu’on les entend au Japon ?

Notre étude a une double intention. Dans un premier temps, il

s’agit de démontrer que le terme « otaku » tel qu’on le conçoit en

France ne revêt pas le même sens qu’au Japon. Dans un second

temps, nous allons également nous intéresser plus spécifiquement

aux personnes qui vivent exclusivement derrière leur ordinateur en

cherchant les causes qui justifient cette forme d’autisme techno-

logique.

Page 10: Le phénomène otaku en france

10

PARTIE I : L’OTAKISME AU JAPON

Etre comme tout le monde est essentiel

pour vivre dans la société japonaise. Même lorsque le choix de la collectivité ne vous plaît pas, vous devez vous convaincre du contraire. Ce sont les gens qui ont cette faculté qui réussissent le mieux. 2

1- DESCRIPTION DU PHENOMENE OTAKU

1.1. Etymologie du terme

Utilisé pour la première fois par l’essayiste Nakamori Akio en

1983, le terme japonais « otaku » possède une double signification.

Il peut se traduire par « maison », « demeure » ou encore « chez-

soi » désignant ainsi l’habitat, le lieu où l’on vit. Par ailleurs, il s’agit

d’une forme de vouvoiement impersonnel qu’on utilise lorsqu’on

s’adresse à quelqu’un sans pour autant désirer approfondir la

relation. La raison qui a valu à ce terme d’être rapidement adopté

pour qualifier une nouvelle génération de jeunes tient en ce qu’il

réunit à lui seul les deux caractéristiques principales du syndrome :

d’une part le refus catégorique de développer des relations

personnelles approfondies et, d’autre part, l’enfermement

impliquant, par là même, le replis sur soi. On ne trouve toutefois

aucun équivalent à ce terme dans la langue française, ce qui

n’empêche pas l’apparition de multiples vulgarisations, souvent

2 MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et protière,

Gémenos, 2001, p. 221.

Page 11: Le phénomène otaku en france

11

réductrices car ne rendant pas bien compte de la réalité

sociologique du phénomène.3 Aux Etats-Unis, l’otaku est

fréquemment associé au nerd qui partage les mêmes activités

ludiques.4

1.2. Origine du phénomène

A la fin des années 70 apparaît dans le vocabulaire nippon le

terme de « jeunesse moratoire » (moratorium ningen). Ce qualificatif

sert à désigner les jeunes qui poursuivent indéfiniment leurs études

dans la seule intention de différer leur entrée dans la vie active.

Pour bon nombre d’étudiants universitaires, les années passées à la

faculté s’apparentent en effet à une période idyllique. S’il se trouve

que les examens d’entrée aux universités réputées atteignent

souvent un niveau de difficulté exceptionnel, les années passées à

la faculté n’ont en elles-mêmes rien d’insurmontable pour les

étudiants qui ont la chance d’y être admis.5 Profitant alors, sans

doute pour la première fois, de moments de temps libre et d’une

liberté sans précédent, les étudiants poursuivent leurs études avec

l’assurance quasi-totale de trouver un bon emploi dès leur sortie.

3 Au début des années 90, un mensuel avait ainsi traduit le terme otaku par « les emmurés », un autre magazine encore par « les embastillés ». 4 Le terme nerd désigne une personne qui manifeste d’importantes difficultés à

sociabiliser et qui se passionne pour des sujets liés au domaine scientifique, aux mathématiques ou aux techniques. Ce qualificatif est également utilisé pour

désigner les passionnés d’informatique. Mais ce terme ne suffit pas à rendre

compte de l’étendue du phénomène otaku. 5 Ces lieux prestigieux bénéficient d’une telle réputation que les grandes entre-

prises n’hésitent pas à se rendre sur les campus pour y recruter leurs futurs

membres.

Page 12: Le phénomène otaku en france

12

La tentation devient alors grande de vouloir prolonger son séjour

dans le cocon universitaire.

Cette jeunesse qui cherche à fuir les responsabilités d’adultes

est caractéristique des sociétés industrielles ayant atteint un haut

niveau de développement. Bien que ces jeunes constituent la

première génération à profiter de la réussite économique de leur

pays, ils sont toutefois moins préparés à affronter l’existence.6

Faute d’avoir grandi à une période de grande prospérité

économique, ces « enfants gâtés » ne connaissent rien de la

privation et n’ont jamais eu à s’inquiéter pour leur avenir. Le

contraste avec la rude compétition des examens n’en est que plus

saisissant. A travers la lutte effrénée pour l’obtention du diplôme le

plus gratifiant, les jeunes prennent conscience des règles qui

régissent le monde productiviste des adultes. Redoutant plus que

tout le passage à la profession, voie de non-retour qui risque

assurément de leur déplaire, ils préfèrent alors se réfugier dans le

monde de l’éternelle jeunesse afin de conserver la dernière part

d’enfance qui les habite.

Toutefois, pour voir apparaître les premiers otaku, il faut

attendre le début des années 80 avec la portée grandissante des

médias de masse et la consécration de la société de consommation.

A ces deux critères s’ajoute une éducation qui tend à négliger les

6 Les enfants nés à partir de 1965 forment la première génération dont les

parents ne sont pas eux-mêmes hantés par les souvenirs de la guerre.

Page 13: Le phénomène otaku en france

13

défaites du passé, comme les échecs de la guerre, et qui trouve ses

nouveaux fondements non plus à travers la longue tradition

confucianiste, jusqu’alors ciment de la société japonaise, mais dans

la compétition avec l’Occident et, par là même, l’incitation au

consumérisme.

En l’absence de valeurs profondes qui puissent donner un sens

à son existence, c’est toute une génération qui a grandi sans buts ni

repères véritables. Et parce qu’il n’y avait pas de raison pour

qu’elle soit fière d’elle-même, parce que rien dans la société ne

semblait la rendre indispensable, elle a cherché à combler ce

manque d’idéaux avec le seul univers qui, à ses yeux, parvenait

encore à garder une certaine sincérité : le monde de l’enfance. Or,

en cette période des années 80, le monde de l’enfance est

indissociable de celui des mangas, des jeux vidéo et des héros

télévisés. L’armada technologique dont s’entourent les otaku est

donc perçu par eux non comme de simples machines mais comme

le prolongement direct de l’univers infantile qu’ils se sont

reconstitués et qu’ils tâchent de préserver.

C’est en explorant de fond en comble ce microcosme que les

otaku parviennent à affirmer leur personnalité. En se spécialisant à

outrance dans des domaines aussi variés que le maquettisme, les

figurines rares, les fanzines de BD ou même les childoles, ils

Page 14: Le phénomène otaku en france

14

espèrent ainsi donner sens à leur existence. 7 Pour nombreux

d’entre eux, la plus belle chose qu’ils puissent espérer de la vie est

la reconnaissance par leurs pairs. Et pour ce faire, il n’est d’autre

moyen que de pousser à l’extrême les connaissances dans un

domaine précis ou de se distinguer par des aptitudes hors du

commun. C’est en procédant de la sorte que certains otaku

parviennent à se hisser parmi les gamers de légende. « Comment

reconnaître un gamer de légende lorsqu’il se présente ? Facile : il

doit être capable de « tirer » seize coups à la seconde, d’appuyer

seize fois avec son pouce sur le bouton de son boîtier de contrôle

pour abattre des ennemis. »8

Bien que le nombre d’otaku ne cesse de croître, le Japon ne

découvre l’existence de cette génération qu’à la fin des années 80

avec la sinistre histoire de Miyazaki Tsutomu. En 1988, ce Japonais

de 27 ans avait enlevé, dépecé et partiellement mangé quatre

petites filles. Ce n’est que deux années après les faits que le

meurtrier est identifié et arrêté. Par l’intermédiaire des médias, le

Japon entier découvre avec stupéfaction la chambre du meurtrier,

une pièce renfermant plus de 600 cassettes vidéo ainsi que des

piles de magazines mangas pornographiques. L’amalgame entre

Miyazaki et toute la génération otaku est inévitable. De génération

7 Le terme childole a été créé par Nakamori Akio, aussi auteur du mot otaku tel

qu’on le conçoit aujourd’hui. Il s’agit d’un néologisme construit avec les mots child et idoles et qui désigne les idoles encore enfant, c’est-à-dire entre trois et

quinze ans. 8 BARRAL, E., Otaku : les enfants du virtuel, J’ai lu, Paris 1999, p.18

Page 15: Le phénomène otaku en france

15

perdue, elle devient génération assassine. Finalement, les expertises

psychologiques ont pu rompre le lien entre les actes barbares

commis par Miyazaki et la génération otaku à laquelle il

appartenait.

2- JAPON : L’ENVERS DE L’ESSOR

Les otaku sont indissociables de la société qui les a enfanté. Et

s’il nous faut donner un point de départ à leur histoire,

certainement commence-t-elle à la fin de la Seconde Guerre

mondiale. L’humiliation de l’échec face aux Américains va

engendrer de profondes modifications au sein de la société

japonaise. Intégration de valeurs pacifistes, combat quotidien pour

remettre le pays sur pieds, modernisation à l’occidentale ; là sont

autant d’éléments qui rendront possible, des années plus tard, le

phénomène otaku.

2.1. De la privation à la surabondance

2.1.1. La phase d’industrialisation

La défaite de 1945, qui marque la victoire des Etats-Unis sur le

Japon, fait l’effet d’un séisme dans la conscience des Japonais.

Après des années de lutte, de privations et de souffrances, le choc

de la défaite n’en est que plus difficile à supporter. Désormais, il

Page 16: Le phénomène otaku en france

16

devient impératif pour la nation toute entière de réorienter ses

objectifs de base.

Habitués depuis toujours à résister aux forces naturelles qui

s’acharnent contre eux – tremblements de terre, typhons –, les

Japonais unissent leurs efforts et se lancent dans la reconstruction

d’un pays complètement laminé par la guerre. Malgré l’inflation

galopante et les pénuries qui empêchent la stabilité de l’économie

rurale et urbaine, la production japonaise progresse rapidement.

Grâce à d’habiles réformes et à l’ardeur au travail des Japonais, le

pays retrouve petit à petit un équilibre budgétaire, parvenant à

ainsi enrayer la redoutable spirale inflationniste. Au redressement

industriel s’accompagnent la reprise du commerce extérieur et les

circonstances liées au contexte extérieur, toutes en faveur pour

l’archipel : « le déclenchement de la guerre de Corée de 1950

permet au Japon de renforcer son partenariat avec les Etats-Unis

et, cinq années plus tard, la crise de Suez lui donne l’occasion de

développer ses chantiers navals. »9

2.1.2. La réorientation industrielle

Devenu désuet, le matériel d’industrie lourde est alors réutilisé

comme matière première pour l’industrie de transformation

(voitures, appareils électroménagers). Pour la première fois depuis

9 REISCHAUER, E. O., Histoire du Japon et des Japonais de 1945 à 1970,

Editions du Seuil, 1997, p.44.

Page 17: Le phénomène otaku en france

17

la fin de la guerre, l’expression de « miracle japonais » est utilisée

au début des années 60 lorsque le Japon devient la première

société de consommation d’Asie et Tokyo, avec ses 11 millions

d’habitants, la première ville au monde. « L’apparition de nouveaux

biens matériels symbolise le changement de mode de vie. A la ville,

comme à la campagne, la télévision pénètre dans tous les foyers.

Appareils photographiques, machines à laver, réfrigérateurs

deviennent d’usage courant. »10

En cinquante ans, l’industrie japonaise connaît ainsi une

véritable métamorphose. Après avoir vu se développer les

industries de transformations, ce sont désormais les technologies

de pointes qui font leur apparition. Dans les années 80, les géants

de l’électronique tels que Matsushita ou Sony envahissent le

marché mondial. Le Japon s’est ainsi adapté aux besoins de ses 127

millions d’habitants qui comptent désormais parmi les plus grands

consommateurs au monde. Selon les statistiques de l’Agence

gouvernementale des affaires générales, chaque famille japonaise

possède en moyenne 2,24 postes de télévision, tandis que le taux

d’équipement en bicyclettes n’est que de 1,57 par foyer. 99,2 % des

foyers japonais possèderaient ainsi au moins un poste de

télévision. Pour indicateur de cette évolution, on peut également se

10 REISCHAUER, E. O., Histoire du Japon et des Japonais de 1945 à 1970,

Editions du Seuil, 1997, p.48.

Page 18: Le phénomène otaku en france

18

baser sur le coefficient de Engel.11 Il nous indique que le taux des

dépenses consacrées à l’alimentation à l’intérieur d’un budget

familial est passé de 60,4 % en 1948 à 22% en 1998.

2.1.3. L’impasse du consumérisme

Les profondes modifications sociétales qui résultent du

redressement économique ne sont pas sans conséquences sur la

jeunesse. Ayant grandi dans un environnement d’abondance, les

jeunes n’ont pas connaissance des mots « privation » ou

« restriction ». Après l’ultime effort de reconstruction du pays, la

course pour doubler le revenu national en dix ans, la lutte effrénée

pour rattraper le retard sur l’Occident, puis la conquête des

marchés extérieurs, il n’est plus de grand projet fédérateur qui

puisse encore inciter le peuple à œuvrer dans un même sens. La

nouvelle génération se retrouve dès lors réduite à faire tourner la

machine sans pouvoir innover à son tour. Aussi, cette logique

consumériste qui a permis au pays de renaître de ses cendres se

retrouve dans une impasse : y a-t-il une vie après la

consommation ? Comme se le demande Jean-Jacques Beineix, « le

phénomène otaku ne représente-t-il pas la réponse d’une jeunesse

issue d’une société sans buts et sans valeurs qui se met à l’abri des

11 Le coefficient de Engel permet de mesurer le degré d’opulence d’une société en calculant la part du revenu allouée aux denrées alimentaires, considérées

comme des dépenses vitales. Un faible pourcentage se traduit par une forte

opulence de la société.

Page 19: Le phénomène otaku en france

19

réalités d’un monde devenu trop violent, d’un avenir sans

espoir ? »12

2.2. Un système éducatif en crise

Comme nous l’avons expliqué précédemment, la défaite de

1945 a engendré de profondes modifications au sein de la société

nippone. Le système éducatif n’est pas en reste. Deux ans après la

Seconde Guerre mondiale, sous l’impulsion américaine, l’actuel

système éducatif est mis sur pied. Pourtant au milieu des années

80, les inquiétudes des politiques vont grandissant à propos de ce

système et le Japon se demande comment il va pouvoir conserver

son statut de leader technologique mondial. Pour ce faire, il faut

des hommes nouveaux, des créateurs, et inventeurs. En effet, le

système éducatif japonais, qui met surtout l’accent sur la mémoire

comme on le voit avec les concours d’entrée, ne parvient pas à

former de véritables élites de la création. Une commission de

réforme se penche ainsi sur la question et en déduit qu’il est faut

rapidement repérer les meilleurs élèves et les éduquer à part. « Les

futures élites iraient dans des écoles spéciales, où elles pourraient

épanouir leurs dons. Pour les autres, rien de changé : régime de

concours sur fond de bachotage et de surmenage. »13

12 BEINIEX, J-J., in Otaku : les enfants du virtuel, J’ai lu, Paris, p. 8. 13 SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte,

Paris 1988, p. 210.

Page 20: Le phénomène otaku en france

20

2.2.1. La mentalité collective

Le phénomène otaku est intimement lié au système éducatif

japonais. Ce sont ses excès qui sont majoritairement responsables

de l’accroissement du nombre des otaku dans les années 80. Et s’il

est vrai que ce processus éducatif a permis l’essor du plus grand

nombre et joué un rôle non négligeable dans la réussite

économique du pays, il est avant tout conçu pour la masse et

n’accorde que peu d’attention à l’individu. C’est cette négation

systématique de l’individu que Miyamoto Massao, ancien haut

fonctionnaire, dénonce dans son ouvrage intitulé Japon, société

camisole de force : « L’éducation japonaise (…) vise à supprimer les

différences, et ce qui importe c’est que tout le monde soit aussi

égal que possible. Réciter ensemble les préceptes de la société,

rester au bureau jusqu’à ce que tout le monde ait fini son travail, ce

sont autant de façons de sacrifier son domaine intellectuel pour

mieux s’intégrer à la collectivité. »14

Aussi, le secret de la réussite tient également, non pas en

l’ingéniosité de quelques-uns, mais en l’exécution machinale de

tous. Une société unifiée, avançant dans une seule et même

direction, constitue aux yeux des Japonais la condition même de

son bon fonctionnement. « Les membres constitutifs du groupe

doivent penser comme un seul homme. Ainsi, la pensée de tous

14 MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et

protière, Gémenos, 2001, p. 212.

Page 21: Le phénomène otaku en france

21

doit être identique et s’impose comme une pression muette sur

tous les membres du groupe auxquels il est interdit d’avoir une

pensée personnelle. Tout mode de pensée un tant soit peu

individualiste est qualifié de tendance à l’autosatisfaction ou de

caprice égocentrique par l’ensemble des membres du groupe car il

risque de perturber l’ « esprit de corps » partagé par tous les

membres du groupe. »15

A travers ce système qui n’a de considération que pour la

collectivité, l’on peut se rendre compte du dédain qu’éprouvent les

Japonais à l’égard des métiers qui valorisent l’individu au détriment

du groupe. Le système japonais affiche ainsi une claire préférence

pour les métiers de généralistes à ceux de spécialistes, ces derniers

risquant, par les compétences supérieures dans un domaine précis,

de susciter des jalousies. La différence est donc une vraie cause de

souci au Japon et la cacher devient presque un impératif de survie.

Il en va ainsi des enfants qui ont eu l’opportunité d’apprendre

l’anglais à l’étranger. Une fois de retour au Japon, il n’ont d’autre

choix que de dissimuler comme ils le peuvent l’accent qu’ils ont

appris sur place en prononçant l’anglais à la manière japonaise.

C’est la seule manière pour ne pas se faire pointer du doigt par ses

camarades ou, pire encore, par ses professeurs qui sont les

premiers à lui reprocher un trop bon anglais. En 1953, Jean

Stotzel, qui réalisait une étude sur les attitudes de la jeunesse

15 Ibid., p. 151.

Page 22: Le phénomène otaku en france

22

japonaise d’après-guerre, avait déjà fait le constat de cette mentalité

collective : « L’un des grands traits de personnalité qui ressort le

plus clairement des différentes enquêtes, c’est la grande

dépendance des jeunes Japonais. Ils ont besoin de se reposer sur

les autres, ils ont besoin d’autrui. »16

Selon Etienne Barral, cette prédominance du groupe sur

l’individu trouve ses origines dans un passé lointain. On peut

interpréter cette attitude comme « un vestige de la culture rurale de

ce pays. Le riz, aliment de base des Japonais, est une céréale

capricieuse et douillette qui nécessite des efforts intensifs et

concentrés pour le cultiver sans encombre. Après l’irrigation des

rizières, la phase de replantage des jeunes pousses de riz demande

d’agir avec rapidité afin que la culture soit égale en tout point de la

parcelle. Pour ce repiquage, l’aide de tous les villageois était requise

et chacun à son tour de rôle bénéficiait des bras de son voisin. Il

était impossible à un individu seul de cultiver du riz. (…) Se mettre

à l’écart du village, ou en subir l’ostracisme, revenait alors à signer

sa perte. Encore aujourd’hui, l’expression « être mis au ban du

village » désigne ceux qui ne peuvent s’intégrer à la société. »17

16 STOETZL, J., Jeunesse sans chrysanthème ni sabre, Plon-Unesco, Paris, 1953, p. 222. 17 BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999,

p. 178.

Page 23: Le phénomène otaku en france

23

2.2.2 Elitisme et compétition scolaire

Parce que la cohésion d’un groupe d’élèves prime sur

l’individu, il n’existe pas de système de redoublement jusqu’à

l’entrée au lycée. Autrement dit, il est possible pour un mauvais

élève de se retrouver durant toute sa scolarité sur le même banc

que le premier de classe, soit, pour une durée de neuf ans. En

effet, l’éducation obligatoire comprend six années d’écoles

primaires et trois de collège. Tous les Japonais suivent donc

d’année en année les mêmes programmes scolaires jusqu’à l’âge de

quinze ans. La distinction entre les élèves s’opère une fois arrivés

aux concours d’entrée pour le lycée. « Si la presque totalité des

jeunes (94 %) franchit cette étape, certains lycées ne recueillent que

les élèves dont les résultats sont les plus médiocres, alors que

d’autres ont le choix entre les meilleurs éléments de la ville. (...)

Une hiérarchie existe en effet entre les lycées japonais. Tout en

haut de l’échelle se situent les lycées ordinaires (futsu), puis

viennent les lycées techniques (kôgyô), les lycées commerciaux

(shôgyô), et en dernier lieu les lycées agricoles (nôgyo) et ceux

d’enseignement ménager (katei). »18

Selon les résultats obtenus aux examens d’entrée pour le lycée,

le destin de l'élève peut varier du tout au tout. Se voir accepté dans

18 SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte,

Paris 1988, p. 207.

Page 24: Le phénomène otaku en france

24

un lycée de réputation, c’est s’offrir une meilleure formation au

futur concours d’entrée, autrement plus difficile, d’une université

prestigieuse comme celle de Tôkyô ou de Keio. Et qui parvient à

intégrer une université de renom s’assure l’octroi d’un métier

gratifiant une fois les études terminées. « Une université de

première catégorie enverra ses diplômés dans les plus grandes

entreprises ou dans les ministères les plus importants (Finances,

Commerce extérieur, Affaires étrangères). C’est donc finalement

l’embauche dans les grandes entreprises et les ministères qui

structure toute la pyramide scolaire. »19 En revanche, pour les

élèves qui auront obtenu des résultats plutôt médiocres, seules les

portes des petits lycées peu renommés leur seront ouvertes, ce qui,

à l’issue de leurs études, se traduira par une plus grande difficulté à

accéder aux professions les plus convoitées.

S’il tient à augmenter ses chances de réussir le concours

d’entrée à l’université, l’élève est alors amené à s’interroger sur le

lycée qui lui offrira la meilleure formation. Il existe à cet effet un

classement hiérarchique permettant de comparer les lycées entre

eux et dont la mesure ne repose que sur un seul critère : le nombre

d’étudiants ayant réussi à intégrer un établissement supérieur

renommé.

19 SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte,

Paris 1988, p. 205.

Page 25: Le phénomène otaku en france

25

Conséquemment, la raison qui pousse les professeurs à

transmettre à leurs élèves des connaissances aiguës n’a que peu de

rapport avec le fait qu’ils soient bons pédagogues. Leur intention

première est de pouvoir se targuer auprès de leurs collègues d’avoir

fait entrer autant d’élèves dans tel ou tel établissement bien coté. Si

la compétition existe bien entre les élèves, elle est tout aussi

présente du côté des professeurs, ce qui se traduira par une

attention toujours portée sur les performances de l’élève plutôt

que sur son épanouissement personnel.

Ce sentiment d’être constamment en compétition accompagne

l’étudiant tout au long de sa scolarité et, de fait, n’encourage

aucunement les relations d’amitié avec ses camarades dont il ne

connaît rien, si ce n’est peut-être le hensachi.20 Aussi n’admettra-t-il

pour seul critère d’évaluation que ce qui est quantifiable. Et que

peut-on mesurer mathématiquement sinon les résultats obtenus

aux contrôles et aux examens. A côté de cela, les qualités humaines

qu’on ne peut faire figurer sur une échelle chiffrée n’auront pas

droit à la considération de l’enfant japonais. L’inquantifiable est

tout simplement inappréciable.

20 Le hensachi ou « valeur d’inflexion » est un système d’évaluation des résultats

scolaires des collégiens et lycéens à l’échelon national. Il se calcule pour chaque élève par rapport à la moyenne nationale obtenue à un test standardisé mensuel

qui circule dans toutes les écoles, privées et publiques, avant d’être collecté au

niveau national.

Page 26: Le phénomène otaku en france

26

2.2.3. Les Juku et Yobikô

Afin d’augmenter leur chance de réussir l’examen d’entrée d’un

lycée réputé, de nombreux jeunes se mettent à suivre des cours du

soir privés, parfois dès les primaires. Couramment appelées

« boîtes à concours », ces écoles privées du soir sont de deux

ordres. Il y a celles qui sont prévues pour les écoliers et collégiens

(juku) et celles destinées aux lycéens (yobikô). Les étudiants y

apprendront les techniques pour emmagasiner de grandes

quantités de matière et s’exerceront à d’innombrables simulations

d’examens. Sorte d’enseignement parallèle, ces cours sont

désormais jugés indispensables non seulement pour réussir les

concours d’entrée, mais plus simplement pour suivre le

programme scolaire officiel. Selon les chiffres du Ministère de

l’Education japonais, le pourcentage d’écoliers du primaire

fréquentant régulièrement un juku est passé de 17 % en 1985 à 41

% en 1997 et celui des collégiens de 45 % à 66 % pour les même

années. Il est toutefois reconnu que, dans la plupart des cas, c’est

l’enfant lui-même qui demande à intégrer ce genre d’école, et ce

malgré la charge de travail supplémentaire que cela implique. Sans

doute est-ce le prix à payer s’il veut éviter que les membres de sa

classe ne le qualifient de paresseux, l’une des pires insultes que l’on

puisse adresser à un Japonais.

Page 27: Le phénomène otaku en france

27

2.2.4. Le phénomène des brimades

A mesure que la compétition scolaire s’accentue, on voit se

développer dans les établissements scolaires le phénomène du jime

que l’on peut traduire littéralement par « phénomène de souffre-

douleur ». Injures, sévices corporels, mise au ban de la société, le

ijime est essentiellement un moyen pour forcer l’individu à accepter

la logique du groupe. De par sa mentalité collective, la société

japonaise génère ainsi des forces d’autocontrôle du groupe

chargées de mettre au pas les non-conformistes. Qu’il s’agisse du

nouvel arrivant, de l’élève qui obtient les meilleures notes de sa

classe ou encore de celui qui a du mal à se maintenir à niveau, tout

qui se démarque du groupe encourt le risque de devenir la tête de

turc de la classe. « La différence est une tare. (…) Le fait d’être

différent des autres suffisait pour qu’on devienne la cible de toute

une série de petites persécutions, ce qui prouvait bien qu’il existait

une règle tacite selon laquelle il était mal vu de ne pas être comme

tout le monde. » 21

De nombreux enfants, victimes du ijime, se gardent toutefois de

parler à leurs proches des persécutions qu’ils subissent au

quotidien. Cela s’explique par le fait que la meilleure manière

d’affronter les brimades est d’attendre en silence que la tempête

21 MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et

protière, Gémenos, 2001, p. 171.

Page 28: Le phénomène otaku en france

28

passe, soit, de faire profil bas sans montrer de signes de faiblesses.

Les auteurs de ces persécutions, voyant que la victime de leurs

acharnements reste sans réaction, finissent alors par se lasser et le

processus prend fin de lui-même. « C’est lorsque l’entourage

estime que les souffrances qu’on impose sont devenues « plaisir »

ou « jouissance » pour l’intéressé que les persécutions cessent

instantanément. » 22

Celui qui, par contre, se risque à dénoncer les auteurs des

brimades s’expose non seulement à des persécutions plus fortes

mais, pire encore, à une exclusion définitive du groupe, situation

tout à fait invivable pour un enfant Japonais et qui va d’ailleurs

jusqu’à acculer les élèves les plus fragiles au suicide. « Solitude et

échec sont les deux raisons principales du suicide des jeunes

Japonais. Le rôle du groupe est si important pour l’individu qu’en

être exclu ou bien encore en subir les brimades verbales ou

physiques conduit souvent la victime sur le chemin du suicide. » 23

Plutôt que de réprouver ces pratiques, nombreux sont les

éducateurs qui les tolèrent voyant là un simple rite d’initiation

adolescent. Certains d’entre eux les disent même nécessaires à la

structuration psychique de l’individu. C’est ainsi qu’au milieu des

22 MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et

protière, Gémenos, 2001, p. 174. 23 SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte,

Paris 1988, p. 212

Page 29: Le phénomène otaku en france

29

années 80, un sombre fait divers défrayait la chronique : « dans une

école primaire, il y avait un garçon sur lequel se concentrait le ijime

de tout son entourage. Un jour les petits camarades du jeune

garçon imaginèrent un jeu nouveau qui consistait à faire comme si

la victime était morte. Toute la classe organisa même un simulacre

de cérémonie funèbre pour le pseudo-défunt, préparant des

banderoles sur lesquelles étaient écrites des paroles d’adieu

destinées au jeune garçon. La raison pour laquelle cet incident fit la

une des journaux est que le garçon persécuté s’est suicidé et que

l’on su que l’instituteur avait accepté de se joindre à cette macabre

mascarade. »24

Ainsi le ijime s’attaque au plus profond de la psychologie de la

victime en lui faisant subir une pression psychologique constante.

Cette forme de persécution laisse des blessures

durables dans l’esprit de la personne qu’elle vise. Plus jeune on

commence à être l’objet de ces brimades, plus profondes seront les

blessures qu’elles laisseront sur le sujet. Seuls les plus résistants

parviennent à développer des défenses immunitaires contre ces

persécutions, ce qui requiert une force intérieure pas donnée à

tous. Raison pour laquelle certains succombent.

24 MIYAMOTO, M., Japon, société camisole de force, Picquier et protière,

Gémenos, 2001, p. 188.

Page 30: Le phénomène otaku en france

30

L’intérêt tout particulier que nous portons à cette attitude

typiquement japonaise s’explique par le fait que le phénomène du

ijime est intimement lié au phénomène otaku. En effet, bon

nombre d’enfants persécutés finissent par ne plus se rendre à

l’école par crainte d’y subir de nouvelles brimades. On dénombre

ainsi 75.000 élèves refusant officiellement d’aller à l’école, et qui se

procurent une dérogation spéciale les autorisant à rester chez eux.

Parmi ces jeunes, certains se réfugient dans un univers fictif, pas

nécessairement moins violent, mais où là au moins ils tiennent le

bon rôle et peuvent virtuellement se venger des sévices dont ils

ont été victimes. D’autres encore, empreints du sentiment que le

système est incapable de les écouter, décident de fuguer, autre

façon de boycotter l’école. « En 1998, on a dénombré 137 000 cas

de fugues répétées, voire de disparitions pures et simples (20 % de

plus sur un an). » 25

25 Il est à noter que ce problème ne se limite pas au seul univers scolaire.

L’acharnement de tous à l’encontre d’un seul se retrouve également dans

l’environnement professionnel. Dans son ouvrage Japon : Société camisole de force, Miyamoto Massao dénonce les brimades dont il a été victime lorsqu’il

occupait le poste de vice-directeur de la division Santé mentale. Maîtrisant

parfaitement l’Anglais après avoir étudié onze ans aux Etats-Unis, Miyamoto a eu l’opportunité assez exceptionnelle d’être recruté en cours de carrière. Faute

d’avoir été propulsé au sommet de la pyramide sans avoir eu à gravir les

échelons, ses collègues se sont ligués contre ce nouvel arrivant, parachuté de nulle part, le soumettant ainsi à un véritable bizutage institutionnel. Ces actes

sont ainsi fréquents au Japon lorsqu’un individu arrive dans un environnement

nouveau, scolaire comme professionnel.

Page 31: Le phénomène otaku en france

31

2.3. Dissolution de la cellule familiale

2.3.1. L’absence du père

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la société

nippone a redéfini le rôle de chacun des individus. On a ainsi

progressivement assisté à la disparition du modèle de la famille

souche, issu de la longue tradition confucéenne et qui réunissait

sous le même toit les membres de trois générations, pour voir

apparaître le modèle de la famille mononucléaire. « Lorsque le

Japon, après 1945, a aligné l’essentiel de sa législation sur celle

des vainqueurs, il s’est vu contraint de renoncer au système familial

qui jusque là cimentait l’ensemble de la société. Ce système, fondé

sur le concept du ie (famille souche) avait été la pierre angulaire de

l’idéologie militaro-fasciste : aux yeux des Américains, son

éradication devait conjurer à jamais les risques de récidives.

L’ancien système familial, typique d’une société agraire et

fortement marquée par le confucianisme, se caractérisait par la

préser-vation, à tout prix, de la lignée et celui à qui incombait cette

tâche était le père de famille. »26

Le père, chargé de nourrir le foyer, passe la majeure partie de

sa vie au travail, ce qui l’empêche de s’impliquer dans l’éducation

de son enfant. En effet, les exigences du milieu professionnel sont

26 SABOURET, J-F., in L’Etat du Japon et de ses habitants, La découverte,

Paris 1988, p. 67.

Page 32: Le phénomène otaku en france

32

telles que l’homme est souvent contraint d’exécuter des heures

supplémentaires – souvent gratuitement – ou de réaliser des sorties

entre collègues après le travail ou même le week-end.

Pourtant, pas question pour le salaryman de refuser la soirée au

bar ou au karaoké que lui proposent les collègues. D’abord parce

que ce serait la meilleure façon de se voir exclu du groupe. Ensuite

parce que, aux yeux des siens comme des voisins, le fait de rentrer

tôt à la maison ne peut relever que d’un problème survenu au

bureau. Alors, les hypothèses fusent : mauvaise intégration dans

l’entreprise, mésentente avec les collègues, perte de confiance des

supérieurs en son salaryman, etc. Aussi, pour éviter de se mettre les

collègues à dos, de voir son épouse s’inquiéter inutilement ou de

susciter l’interrogation du voisinage, l’homme préfèrera se livrer à

ces activités professionnelles prolongées qui, comme il le sait, font

implicitement partie du contrat de travail. Le père abandonne donc

la tâche pédagogique à la mère, laquelle prendra totalement en

charge l’enfant, allant jusqu’à choisir l’orientation de ses études.

« Au cours d’une enquête de l’Agence municipale de la vie

quotidienne de Tôkyô auprès de collégiens en classe de cinquième,

51 % n’ont jamais l’occasion de converser avec leur père pendant

la semaine (contre 21,8 % avec leur mère) (…) 52,1 % des enfants

avouent ne pas avoir l’occasion matérielle de parler avec leur père

Page 33: Le phénomène otaku en france

33

et 51,5 % estiment n’avoir rien à lui dire. »27 La répartition des

rôles dans la société japonaise est ainsi en grande partie

responsable de la non-relation entre le père et son enfant.

2.3.2. La relation fusionnelle mère-enfant

Jusqu’à l’âge de cinq ans, l’enfant a droit à toute l’attention de

sa mère. En général, celle-ci abandonne son travail après

l’accouchement pour se consacrer pleinement à l’éducation de son

enfant et lui être entièrement disponible. A cet égard, il est

significatif de constater que, la plupart du temps, l’enfant dort dans

le même lit que ses parents. Ainsi, pendant que l’homme est

occupé à œuvrer au travail, la mère est à l’affût des moindres

besoins de l’enfant, et répond à toutes ses questions afin d’éveiller

son intelligence. De plus, avec la crise de la natalité qui frappe le

Japon depuis les années 60, cela notamment dû au fait qu’éduquer

un enfant coûte toujours plus cher, la mère concentre tout son

amour sur son unique enfant. « Jusqu’à la fin des années cinquante,

les familles de quatre enfants ne sont pas rares. Mais, dès le début

des années soixante, la démographie s’effondre. La famille au sens

large est une notion qui disparaît » 28

27 BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », Edition J’ai

lu, Paris 1999, p. 173. 28 BIROLLI, Bruno., in « La vague Otaku », Le Nouvel Observateur, Semaine

du 15 juin 2000 -H.S N°41.

Page 34: Le phénomène otaku en france

34

Dès lors, le principal objectif de la mère est d’offrir à son seul

enfant les meilleures chances de réussir. C’est ainsi que, lorsqu’il

sera scolarisé, l’enfant sera suivi de près par sa mère. Et, du

moment où celui-ci travaille bien à l’école, à peu près tous les

caprices lui seront faits. Ce sacrifice sera récompensé par l’enfant

lorsque celui-ci, ayant brillamment réussi dans une grande

université, obtiendra une bonne situation professionnelle qui lui

permettra de prendre en charge ses parents. Pourtant, ce chantage

affectif n’est pas sans conséquence. Car, en retour de cet amour

maternel intense, l’enfant tient à être à la hauteur de ses

espérances. Pire, il paraît presque inconcevable d’aller à l’encontre

de la volonté maternelle, même dans le choix des études.

3- L’IMAGINAIRE : ZONE REFUGE

La perte des valeurs familiales, l’individualisation croissante des

jeunes nippons et leur enfermement dans un monde de fiction

s’est inévitablement reflété dans la culture nippone dans l’immédiat

après-guerre. Le Japon connaît alors un engouement croissant

pour les mangas d’abord, puis un peu plus tard pour les animes. A

la fin des années 70 la demande explose littéralement. Elle ne

connaîtra une diminution que dans les années 90. Il n’empêche, en

1997, le chiffre de la bande dessinée japonaise dépassait 4 milliards

d’euros, soit presque l’équivalent du chiffre de vente des jeux

Page 35: Le phénomène otaku en france

35

vidéo.29 Nous allons tenter d’apporter un éclaircissement à cet

enthousiasme soudain pour les œuvres de fiction.

3.1. Entre dure réalité et fiction animée

Au cinéma comme en littérature, de nombreux artistes japonais

ont tenté d’exprimer à travers leurs œuvres le malaise social et

l’aliénation des jeunes Japonais. On trouve un exemple marquant

de cette tendance dans les œuvres de l’auteur Kazuo Ishiguro. Cet

écrivain d’origine japonaise installé en Angleterre et écrivant dans

sa langue d’adoption est l’auteur de nombreux romans qui rendent

compte de ce malaise (notamment The remains of the day adapté au

cinéma en 1994). Mais ce sont surtout dans ses histoires courtes et

nouvelles qu’Ishiguro illustre au mieux la schizophrénie du Japon

tiraillé entre son désir d’expansion économique, technologique et

son ancrage dans les valeurs traditionnelles et familiales.

Dans l’une de ses nouvelles intitulée « un retour difficile »,

Ishiguro décrit une soirée passée par un jeune homme au sein de

sa famille. On y découvre tout le décalage qui sépare la jeunesse

japonaise de leurs aînés : le jeune homme travaille dans une grande

corporation à Kyoto, écoute sans cesse son walkman et n’a que

peu de temps à consacrer à sa famille. D’emblée, une atmosphère

d’incompréhension mutuelle s’installe, exprimée dans un style

29 Sotinel T., Le destin de l’anime japonais, in Le Monde, lundi 7 août 2006,

p. 16.

Page 36: Le phénomène otaku en france

36

minimaliste qui cultive la litote et les non-dits. A aucun moment

les deux générations ne semblent véritablement capables de

communiquer, enfermées qu’elles sont dans leurs propres préjugés.

Pour les parents, en particulier le père, l’accomplissement

professionnel compte moins que l’épanouissement familial, ce qui

le pousse à ne pas apprécier à sa juste valeur la réussite de son fils.

D’un autre côté, l’ambition strictement égocentrique du jeune

homme lui fait oublier ses racines et l’empêche de comprendre ses

origines. Dans les deux cas, il y a impossibilité à véritablement

s’aimer. Sans qu’il y ait de véritable dispute, une tension palpable

finit par apparaître, aboutissant à une impasse, chacun des deux

partis campant sur ses positions et s’apprêtant après le repas, à

retourner dans son enfermement psychologique et émotionnel.

Le thème de cette nouvelle, que l’on retrouve dans plusieurs

autres œuvres d’Ishiguro, est l’incommunicabilité, l’incapacité à

exprimer des sentiments qui, à force d’être refoulés, ne peuvent

plus être partagés. Même l’amour familial ne semble plus avoir de

raison d’exister dans un pays qui, à l’image du jeune homme, se

condamne à réussir coûte que coûte sans se préoccuper des

conséquences. La détermination de ce jeune est d’autant plus

ironique qu’elle devrait refléter une réussite professionnelle et

sociale respectable. Mais en définitive, le prix à payer pour vivre

cette réussite au quotidien est celui de l’isolement individuel.

Page 37: Le phénomène otaku en france

37

Cette illustration du malaise familial et social japonais n’est du

reste pas la seule. On peut également songer au chef d’œuvre de

Yasujiro Ozu, Tokyo story. Ce film réalisé dans l’immédiat après-

guerre illustre la corrosion et l’effacement progressif des valeurs

traditionnelles au Japon à travers la rencontre entre un couple de

sexagénaires et leurs enfants dans la capitale nippone. Là encore, le

constat exprimé par les images plutôt que par les mots reste le

même : de génération en génération, les Japonais ne semblent plus

parvenir à communiquer, à se comprendre ni même à s’aimer. Plus

récemment, Takeshi Kitano, immense star télévisuelle au pays du

soleil levant a exprimé dans son film Kids return le déboussolement

ressenti par les jeunes Japonais au sein d’une société où les

sentiments comptent moins que la réussite.

Pour autant, il convient de souligner que les plus grands succès

cinématographiques de ces dernières années sont les œuvres qui

expriment une fascination pour les traditions ancestrales du Japon.

Ce phénomène est particulièrement flagrant à travers l’énorme

succès remporté par tous les dessins animés japonais produits et

réalisés par le studio Ghibli. « Le créateur de ce studio (Hayao

Miyazaki) entend sensibiliser le public à l’importance de rester en

accord avec la nature, faisant appel à ses souvenirs pour évoquer la

campagne japonaise des années cinquante. »30 Il reviendra d’ailleurs

sur ces thèmes dans ses films suivants, notamment le célèbre

30 Extrait tiré du magazine « Première », Paris, août 2006 N°354

Page 38: Le phénomène otaku en france

38

Princesse Mononoké (1997) et ses divinités sylvestres baignant dans

un monde mythologique.

La sortie récente et simultanée en DVD de Mon voisin Totoro et

de Pompoko n’est pas dépourvue de cohérence, bien que les deux

films d’animations aient été réalisés à six ans d’intervalles. Outre

les liens évidents qui unissent ces deux dessins animés, l’un et

l’autre traitent de l’importance de rester en phase avec la nature et

les traditions. Le premier, d’une façon totalement apaisée (aucun

méchant dans Mon voisin Totoro), le second de manière beaucoup

plus réaliste. En effet, l’histoire de Pompoko est celle de Tanukis,

sorte de ratons laveurs qui résistent à l’implantation d’une ville

nouvelle, ce qui donne lieu à de multiples conflits. Entre humains

et animaux d’abord, les premiers étant considérés comme des

envahisseurs qui menacent l’équilibre de la forêt ; entre les Tanukis

ensuite, qui sont répartis en deux camps : d’une part, les partisans

d’un compromis inévitable avec les humains et, d’autre part, les

résistants irréductibles. A travers cette rivalité, on voit illustrée la

dispute qui a secoué la vie japonaise pendant vingt ans après la

Seconde Guerre mondiale. D’un côté les progressistes qui pensent

que la seule façon de sortir de la débâcle est de composer avec une

culture radicalement nouvelle, celle de l’ennemi américain, et plus

généralement de s’ouvrir au mode de vie occidental. De l’autre

côté, les conservateurs nationalistes partisans d’une résistance

culturelle et traditionnelle pour sauvegarder l’identité nippone.

Page 39: Le phénomène otaku en france

39

Mais le dessin animé le plus pertinent, tant au Japon qu’en

Occident, est certainement Le Voyage de Chihiro. A travers le

parcours initiatique et l’apprentissage picaresque d’une petite

Japonaise, Miyazaki parvient au cœur de ses thématiques : dans un

monde urbain, technologique et déshumanisé, il est nécessaire de

rester en contact avec les traditions, la nature et les sentiments. Au

début du dessin animé, Chihiro, une jeune écolière lasse d’une vie

qu’elle n’a pas encore vécue, n’écoute que très distraitement ses

deux parents. Mais quand le sort condamne ces derniers à être

transformés en cochons, la petite fille va être forcée de devenir

mature et responsable. Comme toujours chez Miyazaki, cette

évolution a un cadre authentiquement japonais qui fait référence à

la mythologie et aux histoires ancestrales du Japon. Symbole de ce

littéral retour aux sources, la maison des bains, somptueux

bâtiment architectural, dans lequel l’héroïne va réapprendre à vivre

au contact de personnages tels que sorcières, elfes ou autres

créatures des bois.

A travers ce lien entre réalité et fiction, l’on peut ainsi voir

comment des œuvres en apparence purement fictives parviennent

à rendre compte d’un malaise sociétal profond.

Page 40: Le phénomène otaku en france

40

3.3. Le Comiket : refuge des otaku

Créé par un petit groupe de fans en 1975, le Comiket a

aujourd’hui acquis ses lettres de noblesse au sein de la

communauté otaku. Alors qu’à ses débuts, ce rassemblement

bisannuel réunissait 32 cercles (clubs de dessinateurs amateurs) et

700 participants, aujourd’hui le Comiket regroupe plus de 34.000

cercles et 500.000 jeunes. L’événement est de telle ampleur qu’il

occupe tout le Parc des expositions d’Ariake, un complexe de la

taille du Parc des expositions de la porte de Versailles à Paris. En

trois jours, pas moins de 5 millions de fanzines sont vendues,

générant un chiffre d’affaires de 22,5 millions d’euros. Le guide du

visiteur contient à lui seul plus de 700 pages, consacrant à chacun

des exposants une vignette large 4 centimètres.31

La grande force du « Comic Market » tient en sa volonté de

dépasser les mangas commerciaux destinés à la masse. L’originalité

de sa démarche consiste à ne s’intéresser qu’aux fanzines, à

entendre par là les mangas dessinés par des amateurs et qui ne

s’adressant qu’à un cercle restreint de lecteurs avec lesquels les

dessinateurs lient une relation quasi-personnelle. La grande

particularité de cet événement tient donc en son aspect non

commercial. En effet, même si, au cours de ces trois jours, il s’y

produit de nombreuses transactions, l’argent circule uniquement

31 BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999,

p. 150.

Page 41: Le phénomène otaku en france

41

entre amateurs de mangas, les stands commerciaux étant bannis de

ces lieux.

En réaction à ce boycott radical des commerces, les médias ont

pris le parti de bouder la manifestation. Malgré son ampleur

considérable, le Comiket ne bénéficie pratiquement pas de

couverture médiatique. Alors que les manifestations sponsorisées,

même les plus petites, ont droit à leur heure de gloire sur les

chaînes nippones, le Comiket constitue pour les médias un non-

événement. Quel intérêt à médiatiser un événement où industriels

et commerciaux n’y trouvent pas leur compte ? C’est en déjouant

les lois du consumérisme que le Comiket se révèle être la plus

otakiste de toutes les manifestations. Car l’argent qui y circule ne

parvient pas à atterrir dans la poche des commerciaux.

Il n’empêche, depuis 1998, le Comiket a été contraint d’ouvrir

ses portes à quelques stands commerciaux. Etant donné qu’un

grand nombre de fanzines échangés à la manifestation constituent

des parodies de séries commerciales vendues sans que le

dessinateur ne possède de droits sur la série, les structures

commerciales se sont montrées intransigeantes en matière de

copyright. Soumis à une forte pression des commerciaux, le

Comiket a fini par accepter la présence de quelques stands, une

façon de calmer les ardeurs.

Page 42: Le phénomène otaku en france

42

Dans le fouillis dessiné du Comiket, l’on distingue

principalement deux genres dominants : les fanzines érotiques

pour les garçons et les yaoi pour les filles. Peu connus des

occidentaux, les yaoi mangas racontent les aventures de garçons

homosexuels. Ils sont principalement l’œuvre de jeunes femmes

dessinatrices cherchant à dépasser les romans à l’eau de rose. Selon

Etienne Barral, le genre yaoi serait une réaction à l’opposition

sexuelles des hommes, une forme de révolte contre l’image

stéréotypée de la femme dans les médias. « (Le phénomène) des

yaoi manga est révélateur du profond malaise qui sous-tend la

sexualité et les relations sociales entre hommes-femmes chez les

jeunes Japonaises (…). Le choix de décrire des relations

homosexuelles n’est pas innocent. Il tient au refus des jeunes filles

se lier le sentiment amoureux qu’elles idéalisent aux contraintes

sociales et psychologiques qu’engendre dans le réel une relation

« banale » entre un homme et une femme. » 32

Hormis le succès que remportent les fanzines, une autre

spécificité contribue à faire du Comiket le lieu de rassemblement

des foules : les activités cosplay.33 Par la pratique du cosplay, il s’agit

tant de revendiquer ses préférences en matière de personnages

manga que d’attirer le regard du public. Ils sont ainsi des milliers à

32 BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999,

p. 162. 33 Le mot cosplay est né de la contraction de l’anglais costume et playing (ou

player). Le principe consiste à jouer le rôle d’un personnage, notamment de

mangas, à l’aide de déguisement et maquillage.

Page 43: Le phénomène otaku en france

43

se promener en héros animés et à s’exposer aux flashes crépitants

des appareils photos.

Ainsi, le Comiket constitue le lieu de pèlerinage des otaku, leur

« Q.G. » pour reprendre l’expression de certains analystes. Il existe

toutefois en France un événement fort semblable : la Japan Expo.

Le rapprochement entre ces deux festivals sera l’objet de notre

second chapitre.

Page 44: Le phénomène otaku en france

44

PARTIE II : L’OTAKISME EN FRANCE

je passe mon tps devant le pc / je suis

fille unique / j'ai tjr été entourée de gdes personnes, ss autres enfants, dc peu de contacts vers l'extérieur / on me donnait tt qd j'étais petite dc égoïste aujourd'hui / maintenant, je suis sauvage, associable, agoraphobe, et toute la panoplie de la super no life otaku / je voudrais m'améliorer 34

1- LA VAGUE ASIATIQUE

Depuis quelques années, la culture japonaise s’est mise à

déferler en vagues sur l’Occident. En France, ce sont d’abord les

animations qui conquièrent toute une génération d’enfants.

Quelques années plus tard, les consoles de jeux envahissent le

marché ludique. Et aujourd’hui, les mangas permettent aux

maisons d’éditions françaises de tenir bon sur le marché du livre.

Plus récemment encore, cette vague asiatique, surtout japonaise,

nous livre de nouvelles recettes. De nombreux jeunes Français se

mettent alors à pratiquer des activités cosplay, non seulement

occasionnellement mais parfois même dans leur vie quotidienne.

Et si certains préfèrent s’entraîner à longueur de journées à des M-

Games (jeux musicaux), d’autres choisissent encore de se rendre

aux événements du J-Rock (rock japonais) pour voir les stars

japonaises faire leurs premiers pas en France.

34 Entretien avec « Mitsubachi » via MSN Messenger.

Page 45: Le phénomène otaku en france

45

Au sein de cette communauté de passionnés pour la

japanimation, nombreux sont ceux qui se prétendent otaku.

Comment interpréter cette revendication ? Faut-il y voir un simple

engouement pour la culture japonaise ou, au-delà des propos, le

signe d’un mal-être profond ? Parmi ces jeunes, le plus souvent

passionnés de jeux vidéos, ne trouve-t-on pas des joueurs

compulsifs qui, à l’instar des otaku japonais, se réfugient dans leur

bulle virtuelle ?

Récemment, en consultant des forums de discussions

« réservés aux otaku », nous avons remarqué qu’un événement

national imminent occupait tous les esprits. Les otaku français ne

semblaient plus vivre que pour une chose : la Japan Expo, le plus

grand festival européen des loisirs asiatiques.

1.1. Le festival Japan Expo

C’est au Parc des expositions de Paris-Nord-Villepinte que se

tient durant trois jours la septième édition de la Japan Expo.

S’étendant sur 47.000 mètres carrés, ce festival du divertissement

asiatique qui comptait 2.400 personnes en 1999, devrait en

rassembler plus de 55.000 cette année.35 Et si un journal comme

Le Monde semble encore s’étonner de l’ampleur de cet événement,

pour bon nombre de fans, ce succès est depuis longtemps une

35 Entretien avec Pierre-Yves Devroute.

Page 46: Le phénomène otaku en france

46

évidence. Sur un forum de discussion Internet consacré à la Japan

Expo, on peut lire ce commentaire laissé par un internaute : « Un

peu d'humour venant du monde [le journal] du 6 juin "Japan

Expo, qui ouvre à Paris le vendredi 7 juillet, attend 60 000

visiteurs. La culture populaire nipponne suscite un engouement

croissant, surtout chez les jeunes. Pour les spécialistes, le

phénomène n'est pas passager". Ils sont mignons avec leur

phénomène passager, ça fait 10 ans que je l'entends, il était grand

temps qu'ils se rendent compte que c'est loin de l'être.... »36

En vouant un véritable culte au manga et à l’anime, en débattant

de pratiques telles que le scantrading ou le fansubbing à la lisière de la

légalité ou en accueillant les fanzines, ces bandes dessinées

réalisées par des amateurs, le festival Japan Expo représente aux

yeux des fans, un Eldorado de trois jours. Trois jours durant

lesquels ils pourront s’affronter entre experts de Mario Kart Twin,

se procurer « Weather Report », le dernier single de Hitomitoi,

célèbre chanteuse de J-Pop (pop japonaise) ou tout simplement se

pavaner en tenue cosplay.

1.1.1. L’art du cosplay

Les défilés cosplay constituent l’une des principales attractions

du festival. Le principe consiste à reproduire et à porter un

36 Commentaire laissé par « Gexian » sur un forum d’Animeland.com intitulé

« Japan Expo ».

Page 47: Le phénomène otaku en france

47

costume, le plus souvent fait à la main, issu d’une œuvre de fiction

(manga, série ou film d’animation). Apparu en France au sein des

salons à tendance japanime, le cosplay est souvent inspiré des mangas

ou dessins animés japonais, mais depuis peu, s’ouvre également

aux bandes dessinées françaises et étrangères ainsi qu’aux jeux

vidéo.

Depuis 2003, TV Aichi, grande chaîne japonaise, organise le

World Cosplay Summit, la plus grande compétition internationale de

cosplay. Pour la première fois, l’étape française du concours se

déroule à la Japan Expo où deux cosplayers seront sélectionnés

pour participer à la finale au Japon, à Nagoya. Le thème est libre à

condition de rester dans la tradition du cosplay, c’est-à-dire de

réaliser son propre costume inspiré d’un personnage tiré d’une

œuvre précise. Le règlement spécifie toutefois : « le crossplay

(inversion des sexes) et les costumes "humanisés" sont autorisés,

tous comme les robots et les mascottes. Par contre, évitez les

cosplay aux costumes banals sans aucune réalisation technique, les

customisations à outrance de costumes obscurs et les costumes

originaux, vous pourriez être éconduits pour l'inscription aux

concours car le nombre de places est très limité. » 37

En effet, la capacité maximale autorisée est de 80 places pour

les participations en individuels et un maximum de 40 groupes est

37 Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, Evénement Cosplay, p. 19.

(v. site web de la Cosplay Factory : http://www.cosplayfactory.org)

Page 48: Le phénomène otaku en france

48

autorisé à défiler. Ils sont toutefois des centaines à avoir revêtu la

tenue d’un héros animé, souvent sans l’intention de concourir.

C’est le cas de nombreux exposants ou de créateurs de fanzines,

ces derniers portant parfois la même tenue que le héros qu’ils ont

accouché sur papier.

Cécile Pera, grande adepte de cosplay et de jeux musicaux, ne

tient pas à participer au concours de cosplay. Elle a juste voulu se

déguiser en Iroha, l’héroïne du jeu Beatmania IDDX, un M-Game

populaire. Nous lui demandons des détails sur la fabrication de son

costume pour pouvoir en estimer le prix.

« Les petits signes sur les manches, je les ai brodés à la main, …euh… pour les écouteurs, j’ai utilisé des boules de polystyrène, le vinyle je l’ai trouvé en brocante. Le plus pénible, c’était sans doute la perruque parce qu’on ne la trouve pas en France et que je ne pouvais pas la faire moi-même. Donc j’ai du la faire importer de Chine. Elle m’a coûté …euh… j’ai payé 14 euros, donc 18 avec les frais de port. Au final, ça revient pas si cher. Bon, c’est vrai que ça m’a pris du temps pour le faire [le costume], bien plus que pour un Japonais expérimenté. » - Parce que tu as mis combien de temps ? « Non, je suis désolée, je ne peux pas le dire, c’est la honte …mais c’est aussi mon premier costume. » - Un Japonais expérimenté, il met environ combien de temps ? « A peu près 10 heures … … Moi j’ai mis …euh…entre 300 et 400 heures. »38 Autre différence avec le cas japonais, Cécile Pera conservera

son costume une fois le festival terminé. Au Japon, faute de place,

38 Entretien avec Cécile Pera.

Page 49: Le phénomène otaku en france

49

les cosplayeurs sont souvent forcés de se défaire de leurs créations

parfois pour une bouchée de pain. Difficile cependant d’évaluer le

coût d’un costume, le caractère unique de chacun d’eux ainsi que

les matériaux spécifiques utilisés pour les constituer risquant de

rendre toute estimation erronée. En revanche, il semble que le

temps nécessaire à leur fabrication est considérable,

disproportionné même au regard du temps d’emploi.

La confirmation de cette idée nous vient d’un cosplayer adulte

qui, au beau milieu d’une foule de jeunes, s’en distingue

complètement : habillé de façon tout à fait ordinaire, il porte au

sommet du crâne une sorte de visière avec trois lentilles vertes en

guise d’yeux. Nous le questionnons au sujet de cet objet

interpellant.

« Ça ? (C’est) le casque de Splinter Cell. » - Pourquoi ne portez-vous pas toute la tenue ? « Je l’ai déjà portée les deux jours. En général, une tenue, on ne la porte qu’une fois. » - Cela revient cher pour toute la combinaison ? « Ça coûte rien, c’est fait maison. C’est juste que ça m’a pris 400 heures pour faire tout le déguisement. Mais, bon …si vous tenez vraiment à le voir, allez sur le Net ... j’ai été pris au moins 200 fois en photo depuis que je suis ici. »39

Ces centaines de photos d’un seul et même cosplayer constituent

sans doute pour lui la compensation des centaines d’heures de

39 Interview de Thierry Poncelet.

Page 50: Le phénomène otaku en france

50

travail investies dans la confection de son costume. Il lui est en

effet presque impossible de marcher dans une allée sans se faire

interpeller par des fans qui, parce qu’ils viennent de reconnaître en

lui le héros d’une série qu’ils affectionnent, souhaitent conserver

un souvenir de son passage-éclair. L’on voit ainsi fréquemment des

groupes de six ou sept cosplayeurs marcher côte à côte et prendre la

pose lorsque se présente devant eux une armada de photographes

amateurs.

Il est plus rare qu’un cosplayer circule seul. Les solitaires le sont

généralement par nécessité, lorsqu’ils sont en quête de bandes

dessinées mangas ou autres objets de la japanimation. C’est le cas

de ce jeune garçon aux yeux et cheveux bleus clairs dont l’anneau à

la lèvre inférieure est relié au piercing de son oreille par une

chaînette argentée. Ses vêtements lacérés donnent l’impression

qu’il sort à l’instant d’un violent affrontement. Même plongé dans

les bacs de mangas du stand Kurokawa à la recherche d’un épisode

de Full Metal Alchemist, le combattant charismatique n’a pas

échappé à la gent féminine. En l’espace de deux minutes, pas

moins de trois jeunes filles ont demandé à le prendre en photo. Au

cours de la conversation que nous tenons avec lui, nous discutons

des critères permettant de déterminer la valeur d’un costume :

« Pour moi, ce qui fait la valeur d’un costume, c’est pas son prix mais l’originalité. Il faut que ça soit quelque chose de personnel. Ça doit pas nécessairement coûter cher. Regarde les filles là-bas (il montre un

Page 51: Le phénomène otaku en france

51

groupe de sept filles Japonaises, toutes affublées de la même tenue de collégienne). Un ensemble comme ça, t’achètes ça tout fait. Et c’est pas donné, ça va facilement chercher dans les 200 euros. Mon déguisement, c’est quoi … des vêtements que j’ai découpé moi-même, une double coloration et des lentilles bleues, rien d’autre. Mais c’est de moi. » - Donc, tu estimes qu’il ne devrait y avoir que des costumes originaux … « Non, non, pas du tout …euh… tout le monde n’a pas la patience ni l’envie de créer son propre costume. Je dis juste que …euh… que l’originalité, c’est un bon critère pour juger un costume. Maintenant, libre à lui celui qui l’achète tout fait. De toute façon l’objectif n’est pas là. L’objectif du déguisement c’est de pouvoir s’exprimer à sa façon. C’est l’occasion pour des filles qui … qui ne sont pas spécialement jolies de se mettre en valeur sans avoir peur d’être jugées sur leur physique. C’est ça, le but. La Japan Expo, ça sert de défouloir. »40

La discussion semble déboucher sur quelque chose de très

significatif : la nécessité pour des jeunes de se travestir en

personnages fictifs afin d’échapper à ce qu’ils sont au quotidien.

C’est déjà ce qu’Etienne Barral pointait du doigt en se rendant au

Comiket : « Ce désir de changer de peau est une constante dans la

galaxie otaku. Comme si en se déguisant en personnages de dessins

animés les jeunes parvenaient en fait à retrouver leur vraie

personnalité. Comme si leur morne habit de tous les jours était en

fait le vrai déguisement, celui qui les représente sous un jour qui ne

leur correspond pas. »41

40 Entretien avec « Bluestone ». 41 BARRAL, Etienne., « Otaku : les enfants du virtuel », J’ai lu, Paris 1999,

p. 161.

Page 52: Le phénomène otaku en france

52

1.1.2. Les jeux musicaux

Parmi les nombreux stands, celui des M-Games (jeux

musicaux) est de loin l’un des plus populaires. Bien que les M-

Games se déclinent sous de multiples formes, le principe reste le

même pour tous : suivre un rythme ou une mélodie en utilisant un

accessoire particulier (tapis de danse, micro, castagnettes). Le player

aura donc pour mission de reproduire un enchaînement de riffs à

la batterie ou à la guitare, de répéter des rythmes aux tambours ou

encore de réaliser une succession de scratches aux platines.

L’une des innovations de cette année tient en la présence de

bornes d’arcade sur le stand de jeux musicaux. Les visiteurs

peuvent désormais s’essayer aux bornes traditionnelles (Singstar,

Donkey Konga) mais également aux dernières importations

japonaises pas encore disponibles en France (Beatmania IIDX 11,

Taiko No Tatsujin, Pop'n Music 12, Guitar Freaks V) 42. Pour les

débutants, des séances d’initiation aux jeux musicaux sont

possibles. Les plus expérimentés peuvent quant à eux participer à

de mini-tournois avec lots à la clé. De toutes les déclinaisons M-

Games, l’attraction sans conteste la plus populaire est le tapis de

danse. Il en existe de tous types : cela va du simple tapis mou à 20

euros au tapis de luxe à 300 euros (comme le EDG de cobalt Flax)

en passant par le tapis métallique à 150 euros (tels les TX1000 et

42 Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, Pop Culture : M-Games et le

Bemani, p. 30.

Page 53: Le phénomène otaku en france

53

TX2000), le plus célèbre étant le Dance Dance Revolution (DDR)

dont la nouvelle borne DDR Supernova est très attendue par la

communauté des joueurs français.

Cécile Pera s’est découverte une passion pour les jeux

musicaux lors de la Japan Expo de 2003. Après avoir assisté à des

démonstrations de danse avec son compagnon, tous deux se sont

procurés un tapis afin de s’exercer à domicile. A force

d’entraînements journaliers (3 à 4 heures par jour), ils ont

aujourd’hui atteint un niveau plus que respectable dans la

communauté des joueurs. Lorsque nous lui demandons le genre de

performance qu’elle est capable de réaliser, Cécile Pera nous donne

deux références Internet où l’on peut visionner en ligne des démos

de danse.43 Sur l’une des vidéos, on peut voir un jeune garçon

dansant, dans un état quasi-épileptique, sur deux bornes de jeu à la

fois, bondissant instantanément de l’une à l’autre.

A un niveau plus modéré, on trouve au festival de nombreux

visiteurs venus expérimenter les bornes de jeux par simple

curiosité. Cela peut expliquer l’attroupement autour du Dancing

Stage Supernova, une borne de jeu au concept plutôt aguicheur. Le

principe constitue à reproduire au mieux la chorégraphie virtuelle

d’une danseuse japonaise en tenue moulante qui se remue au son

43 Les adresses des deux sites web :

http://www.youtube.com/watch?v=TChVcm8fLcc&search=iidx%20LISU et

http://www.youtube.com/watch?v=E-TFd3eN70o&search=DDR%20yasu

Page 54: Le phénomène otaku en france

54

d’une musique J-Pop (pop japonaise). Autour de l’apprenti-

danseur, cinq capteurs en forme de fleur rose posés au sol évaluent

ses mouvements de danse. La chorégraphie terminée, le joueur

voit apparaître son score à l’écran. Nous interrogeons un danseur

qui vient d’enchaîner coup sur coup deux chorégraphies.

- Après ça, tu penses t’être amélioré en danse ? « (Essoufflé) En fait, ça t’apprend pas vraiment à danser … c’est plus un sport. Et puis, ça t’initie aux chansons japonaises. »44

Cette dernière phrase nous semble tout particulièrement

porteuse de sens. Nous constatons en effet qu’à travers les

multiples activités que propose le festival, nombreuses

sont celles qui permettent aux néophytes français de se familiariser

avec la culture japonaise. Cécile Pera, l’adepte des M-Games,

reconnaîtra que depuis qu’elle s’est mise à pratiquer les jeux

musicaux, elle écoute bien plus d’Eurobeat (musique dance

japonaise). De nombreux karaokés permettent aux fans de chanter

les génériques de leurs séries préférées en VF mais aussi en VO.

Des associations (comme GKJdR) proposent au visiteur d’incarner

le héros manga ou d’animation de son choix à travers des jeux de

rôles. Et toutes sortes de quiz sont là pour inciter les badauds à

réviser leurs connaissances en matière de jeux vidéo japonais ou de

japanimation.

44 Interview de Julie Fraiquin.

Page 55: Le phénomène otaku en france

55

A côté de cela, on remarque que la plupart des stands

proposent des séances d’initiation aux spécificités nippones :

initiation à la calligraphie, à l’origami (art du pliage de papier), au O-

Gestu Ryu (forme de danse de combat) ou même au puroresu (catch

japonais). Les stands de modélisme, en plus d’offrir des stages

d’initiation, vous propose de réaliser vos propres maquettes de

papier à domicile en téléchargeant des modèles pliables. L’on

pourra ainsi voir à côté d’un gigantesque vaisseau spatial en papier

un petit écriteau précisant que « le fichier du Gun Dam Hazel est

disponible sur www.tamasoft.co.jp/pepakura_en ». Certains concours

offrent de redessiner les héros manga façon estampes (comme le

concours Okami-Capcom) ou de recréer un manga à partir de la

première et dernière case d’une planche tirée d’un manga existant.

Des associations proposent même aux intéressés des stages

payants pour expérimenter l’activité de mangaka (dessinateur de

manga) à travers l’apprentissage du trait, l’écriture de scénario, la

création de story-board ou tout simplement le travail

d’infographie. 45

Si, a priori, les activités du festival semblent exclusivement

résulter de l’importation pure et simple de différents pans de la

culture nippone, en y regardant plus près, on remarque des

affinités entre culture française et japonaise, lesquelles donnent

45 Une association comme Yutaka propose ainsi 70 heures de cours (24 heures

de cours de japonais et 46 heures de cours de manga) pour la somme de 476

euros.

Page 56: Le phénomène otaku en france

56

quelquefois lieu à un vrai métissage culturel. Ainsi, le jeu du Suchi

Quiz reprend le principe de l’ancienne émission télévisée d’Alain

Chabat, le Burger Quiz. Un autre divertissement intitulé « Qui veut

devenir un champion de Tsubasa ? » n’est autre que la version anime de

« Qui veut gagner des millions ? ».

Autrement plus significatif, le large emplacement consacré à

Espace Japon, un espace culturel franco-japonais (et dont

l’établissement prestigieux est situé à environ trois cent mètres de

la tour Eiffel). A ce stand, on trouve un étalage réservé au journal

OVNI, un bimensuel franco-japonais parisien distribué

gratuitement en France et au Japon.46 Il peut sembler surprenant

de constater comment les langues française et japonaise, pourtant

si différentes l’une de l’autre, parviennent non seulement à

cohabiter au sein d’un journal mais, mieux encore, à se compléter.

L’on voit ainsi apparaître dans des articles rédigés en langue

japonaise des mots français intraduisibles en japonais (comme

« pruneau », « crème anglaise », « eau de vie », ou « contrat

première embauche »). A chaque parution, la section

« dico » permet aux lecteurs japonais l’apprentissage d’un mot

français. Le nom des rubriques (actualités, annonces, cinéma) est

par contre toujours écrit en français.

46 Il est à noter qu’Etienne Barral, l’auteur de « Otaku : les enfants du virtuel »

est membre de la rédaction de ce journal.

Page 57: Le phénomène otaku en france

57

Autre signe de ces affinités franco-japonaises, la collaboration

de Japan Expo et de la NHK, première chaîne de télévision

nippone, pour l’enregistrement d’une émission spéciale de 90

minutes. Intitulé Cool Japan, ce talk-show japonais connaît déjà un

franc succès en son pays. « Le concept de l'émission Cool Japan

est plutôt simple : réunir sur un plateau huit personnes non-

japonaises mais vivant au Japon afin de leur demander ce qu'elles y

trouvent de « cool ». (…) La NHK a décidé de reprendre le même

concept, mais au lieu de demander aux visiteurs ce qu'ils pensent

du Japon, les présentateurs de cette célèbre émission leur

demanderont ce qui est « cool » à Japan Expo. ( …) La présence

de la première chaîne japonaise sur notre événement est pour nous

[les organisateurs] une preuve que celui-ci est désormais connu et

reconnu bien au-delà de nos frontières. »47

1.1.3. Mangas, animes et jeux d’arcade

A côté des deux attractions populaires que sont le cosplay et les

M-Games, d’autres encore ont une propension à rassembler les

foules. Les secteurs du manga, de l’anime et du jeu d’arcade, qui

feront chacun l’objet d’un chapitre particulier, remportent comme

à leur habitude un franc succès.

47 Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, Evenement Cool Japan, p. 17.

Page 58: Le phénomène otaku en france

58

L’on trouve ainsi un espace du nom de Arcaland regroupant

plusieurs salles d’arcades, lesquelles mettent à la disposition des

fans une série de bornes de jeux vidéo en freeplay (gratuitement),

toutes sous l’hégire des plus célèbres noms d’éditeurs arcade (tel

que Sega, Konami, Namco ou encore Nintendo). Certaines salles

proposent les dernières nouveautés en avant-première, comme le

stand Nintendo avec sa nouvelle version de Zelda et de Final

Fantasy 3 sur Nintendo DS.

En matière d’animes, on trouve également de quoi ravir tous les

fans de japanimation. Sur toute la durée du festival, une trentaine

de dessins animés japonais doivent être projetés « en avant-

première mondiale ».48 Dans le même registre, on trouve un écran

géant qui diffuse en boucle le générique des plus célèbres dessins

animés japonais. Une scène entière est carrément consacrée à un

jeu de connaissance des génériques au cours duquel quatre équipes

s’affrontent sur des karaokés piégés. Alors que les membres d’une

équipe sont occupés à chanter en chœur un générique d’anime en

suivant les paroles sur un écran, surgissent soudainement des

paroles inexactes. Instantanément, les membres de l’équipe

doivent faire appel à leur mémoire pour ne pas se laisser entraîner

dans l’erreur. L’équipe gagnante est celle qui sera restée la plus

fidèle au générique original. 49

48 Ibid, p. 36. 49 Le succès de l’anime en France a notamment donné naissance à de nouvelles

professions comme celui d’importateur de celluloïds (cell) et qui consiste à

Page 59: Le phénomène otaku en france

59

Les mangas ne sont pas en reste. Pour l’occasion, la Japan Expo

a invité des mangakas (dessinateurs de mangas) de renommée

internationale. Leur plus fervents admirateurs, venus expressément

au festival pour leur rendre hommage, n’auront souvent pas

l’occasion de voir autre chose qu’une longue file d’attente de fans

attendant d’obtenir non pas un autographe mais un dessin de leur

mangaka favori. Certains arrivés tôt le matin feront parfois la

queue jusqu’à l’heure de fermeture des portes sans même avoir fait

un pas dans le festival.

1.2. Japan Expo : un refuge pour otaku ?

De par son concept et le succès qu’il rencontre, le festival Japan

Expo n’est pas sans rappeler le Comiket. Tant les fanzines de

bandes dessinées que les défilés cosplay autorisent à croire que le

festival tire directement ses idées du Comic Market japonais. Il y a

toutefois une différence de taille entre les deux événements qu’on

ne pourrait négliger : la dimension commerciale de la Japan Expo.

1.2.1. Dimension commerciale

La description du festival Japan Expo nous vient du journal Le

Monde lequel décrit l’événement comme un « hybride de festival

racheter des planches originales de dessins animés japonais pour les revendre

soit par Internet, soit à l’occasion d’événements exceptionnels comme lors de

festivals.

Page 60: Le phénomène otaku en france

60

culturel et de Salon commercial. »50 Les sponsors figurant sur la

couverture du guide du festival en sont peut-être la meilleure

illustration : Glénat, Delcourt ou Soleil Manga ; tous les plus

grands du marché de la bande dessinée.

A l’intérieur du festival, on remarque une large place laissée à

des animes populaires comme Naruto ou Full Metal Alchemist,

désormais distribués dans les hypermarchés après avoir conquis les

grandes surfaces culturelles. Conséquence de cette expansion du

marché manga, un élargissement de l’audience qui fait que « depuis

2004, le public de la Japan Expo n’est plus seulement constitué de

fans mais aussi de familles. »51 A côté de cela, des voyages d’un

mois au Japon sont organisés en collaboration avec Japan Airlines

(JAL), la plus grande compagnie aérienne nippone, et qui se

présente comme le « transporteur officiel de Japan Expo 2006 »52

Un peu partout à travers le festival, on trouve des distributeurs

Capsule Station Gashapon proposant des figurines de personnages

mangas de cinq centimètres à un euro la pièce.

A bien des égards, la Japan Expo prend la forme d’un

hypermarché de produits japanisés. A l’achat de plusieurs articles

(animes, mangas ou autres), le client reçoit un énorme sac en carton

à l’effigie des plus célèbres héros mangas. De fait, ce sont des

50 Sotinel T.,Wecker N., , Mangas : « Goldorak », vers l’âge adulte, in Le Monde, jeudi 6 juillet 2006, p. 19 51 Idem. 52 Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, p. 35.

Page 61: Le phénomène otaku en france

61

milliers de sacs que l’on voit tenus à bout de bras. Plusieurs fans

déplorent pourtant ce développement vers le marchandising :

« C'est de plus en plus une boite a fric / moins d'exclusivite / (tout ce qu'il y a tu peux le trouver dans les boutiques specialise a Paris) / (et moins cher sur internet) / et de plus en plus en monde / disparition des stands plus classiques / disparition des plus petit stands / et de plus en plus de gros stands commerciaux : tonkam, pika, declic image... » 53

« Personnellement, je dois dire que je suis un peu déçu. Quand on voit comment c’était avant [le festival] … franchement, c’était nettement moins commercial. Euh… je me souviens qu’avant, dans l’ancienne salle, t’avais un amphithéâtre avec des gradins d’où tu pouvais voir les spectacles de danse et tout ça … Maintenant, avec tout ce nouveau monde, la salle où ils organisaient ça était devenue trop petite. Donc pour pouvoir accueillir tous les fans, …ben ils ont décidé de faire ça au Parc des expositions qui est une grande surface plane. Maintenant tu vois plus rien des spectacles et t’as plus aucun point de repères quand tu es dans la salle. »54

Il n’empêche, certains préceptes de la Japan Expo laissent

encore planer un certain esprit de Comiket. Ainsi, par exemple, si

les quarante premières pages du guide du visiteur sont consacrées

aux activités du festival, les cent autres ne sont que des extraits de

mangas (Kamunagara, Geobreeders, Tokyo Underground).55 Lorsque

nous demandons à Pierre-Yves Devroute, porte-parole de Japan

Expo, si le concept est bien inspiré du Comiket, sa réponse est

catégorique :

53 Entretien avec Cécile Pera via MSN Messenger. 54 Entretien avec Philippe Deguel. 55 Il est à noter que les sept extraits de mangas figurant dans le guide du visiteur

comportent tous d’importantes scènes de violence.

Page 62: Le phénomène otaku en france

62

« L'idée initiale est bien sur inspirée du Comicket, mais sur la forme, les deux festivals n'ont rien à voir. »56

1.2.2. Et les otaku ?

Si la différence entre les deux festivals tient en la dimension

non-commerciale de l’un et l’aspect exclusivement commercial de

l’autre, peut-on dès lors envisager que des otaku songent même se

rendre à la Japan Expo ? La réponse des commerçants varie du tout

au tout :

« Des otaku ? Il n’y a que ça ici ! »57 « Si tu cherches des otaku, c’est pas ici que tu vas les trouver … les vrais otaku, ils sont chez eux, pas ici. Japan Expo, c’est trop commercial … »58

Aussi, à la question « comment décrivez-vous le véritable

otaku », les réponses varient :

« Le vrai otaku, c’est celui qui reste chez lui, qui télécharge comme un porc, qui a raté ses études, qui regarde des animes à longueur de journées, qui ne parle et ne vit que pour ça. »59 « Le vrai otaku, c’est celui qui est capable de te faire un « perfect » au DDR [Dance Dance Revolution]. »60

56 Entretien avec Pierre-Yves Devroute. 57 Interview de Mathieu Warzée. 58 Interview de Marie Evrard. 59 Entretien avec Cécile Pera. 60 Interview d’un jeune journaliste couvrant le festival Japan Expo.

Page 63: Le phénomène otaku en france

63

« Pour moi, le vrai otaku, c’est celui qui aime la culture japonaise. »61

Sans doute sommes-nous ici au cœur de notre problématique.

Le terme « otaku » semble revêtir, dans le sens commun, deux

significations antinomiques. D’un côté, il définirait le fan de

japanimation qui trouve en un événement comme la Japan Expo de

quoi alimenter sa passion ; de l’autre, ce terme désignerait plutôt

une personne qui a connu des difficultés dans la vie et qui cultive

une passion intense pour la fiction animée japonaise sans pour

autant recourir aux grands commerces de produits japanisés.

Nous pouvons constater au travers des divertissements

proposés par le festival que le terme « otaku » est souvent utilisé de

façon anodine. L’association Tsubasa par exemple organise un jeu

appelé « le Parcours de l’Otaku » où « chaque joueur tire une épreuve

(au sort) et doit faire deviner une série (animée) à son équipe. »62 A côté

de cela, d’autres activités, moins tape-à-l’œil, parviennent pourtant

à rendre compte d’un malaise bien réel. L’exemple le plus

significatif se trouve certainement dans le Tanabata (arbre aux

souhaits). Ce grand bambou japonais permet aux visiteurs

d’accrocher leur vœu le plus cher. A l’aide d’un stylo ou à l’encre

de Chine, ils rédigent ce vœu sur un petit papier coloré qu’ils

suspendent ensuite à une branche de l’arbre. Ce dernier sera alors

entièrement brûlé, la fumée qu’il dégage étant supposée rejoindre

61 Interview de Sylvain Delentrée. 62 Guide du visiteur de Japan Expo 7ème impact, p. 21.

Page 64: Le phénomène otaku en france

64

deux étoiles incarnant un prince et une princesse du Japon

ancestral. Parmi ces vœux, certains sont simplement le fruit

d’aspirations adolescentes :

« Je souhaite avoir le pouvoir de contrôler par la pensée des objets comme Jean dans Xmen. Hinata. »

D’autres, plus significatifs, illustrent la nécessité de combler un

besoin sexuel :

« Je voudrais plus de Yaoi en France. Audrey. »

D’autres encore sont carrément l’expression d’un malaise

profond :

« Salut, je m’appelle Jean-Baptiste. Je voudrais arrêter de jouer à Counter-

Strike. »

2- AUX ORIGINES DE LA JAPANIMATION

Pour comprendre l’engouement de milliers de jeunes Français

pour la japanimation et les dérives que celle-ci a parfois pu

entraîner, il nous faut revenir au début des années 80 quand le

paysage audiovisuel français connaît de profondes modifications.

A cette époque, la chaîne télévisée TF1, qui vient d’être privatisée,

cherche un moyen peu onéreux de remplir ses grilles de

programmes. La solution vient du Japon : TF1 rachète pour un

prix dérisoire une très grande quantité de dessins animés aux

Page 65: Le phénomène otaku en france

65

producteurs japonais et se met à les diffuser dans une émission

pour enfants intitulée « Le Club Dorothée ». Tandis que la chaîne

s’occupe d’importer massivement des séries japonaises, se produit

en France un autre phénomène originaire du même pays : l'arrivée

des premières consoles de jeux vidéo japonaises dans les

commerces français. Quelques années plus tard, c’est au tour des

bandes dessinées manga de faire leur apparition. Autant de

facteurs qui vont contribuer à l’immersion nippone de toute une

génération de jeunes Français.

2.1. Les animes du Club Dorothée

2.1.1. L’apogée de l’animation (1985-1990)

Au milieu des années 80, la chaîne française TF1 doit se rendre

à une dure évidence : Récré A2, l’émission pour enfant de la chaîne

concurrente Antenne 2, fait la meilleure audience. Pour

concurrencer Goldorak qui cartonne sur A2, TF1 décide alors de

miser sur l’animation japonaise. Dorothée qui jusque là animait

Récré A2, passe donc sur TF1, récemment privatisée, pour

présenter une émission destinée aux enfants : le Club Dorothée.

Avec l’aide de son équipe exclusivement composée de

transfuges d’A2 (Ariane, Patrick et Corbier), l’animatrice Dorothée

donne le coup d’envoi en 1987 au début de la rentrée scolaire. La

programmation de l’émission est alors essentiellement composée

Page 66: Le phénomène otaku en france

66

de rediffusions. En effet, pour éviter une prise de risque inutile, la

première entreprise du Club Dorothée consiste à reprendre à son

compte les quelques succès confirmés (tels que Goldorak, Candy ou

encore Jayce).63

Mais à la fin des années 80, le Club innove en diffusant de

nouvelles séries nippones encore inconnues du grand public

(Juliette je t’aime, Le Collège fou fou fou, Lamu) permettant à plusieurs

milliers d’enfants d’origine française de se trouver en contact avec

la culture japonaise. L’engouement croissant des enfants pour ces

dessins animés conforte TF1 dans sa démarche d’importateur de

séries nippones, une pratique jusqu’alors unique en son genre.

« En ce qui concerne l’animation, il faut savoir que …euh… à l’époque de Dorothée, le Club Dorothée, Dorothée était la seule au monde à aller chercher des dessins animés au Japon – à l’époque, personne n’y allait – et le Japon a fait ce business avec la France, ce qui a transformé la France. Parce que, il faut dire ce qui est, même si le club Dorothée n’était pas tout le temps pertinent au niveau de la sélection des programmes, c’est le Club Dorothée qui a fait de la France le deuxième pays consommateur de mangas au monde pendant très longtemps. » 64

Avec l’énorme succès des Chevaliers du Zodiaque et toute la

panoplie de produits dérivés qui en découle (figurines de

combattants, déguisements etc.), TF1 prend véritablement

conscience du potentiel des séries japonaises. Autre confirmation

63 http://www.gametronik.com/site/ClubDo.html 64 Entretien avec Sébastien Moricard.

Page 67: Le phénomène otaku en france

67

de ce succès, la série Dragon Ball, puis plus tard Dragon Ball Z, qui

fait littéralement exploser l’audience.

A côté de cela, la Cinq, concurrente directe de TF1, lance à son

tour un programme constitué de dessins animés plutôt destinés

aux filles (avec des séries comme Sous le signe des Mousquetaires ou

encore Les Quatre filles du Docteur March). Sans trop s’en rendre

compte, les chaînes françaises sont en train de sensibiliser toute

une génération à la culture et subculture nippone.

2.1.2. Protestations et suppressions (1990-1993)

Avec l’explosion des chaînes commerciales s’accompagne la

nécessité de remplir les grilles de programmation de la manière la

plus rentable possible. La solution-miracle réside dans la

production japonaise, excessivement large de choix et relativement

bon marché. Seul problème, faute d’acheter massivement, les

diffuseurs prêtent une attention très relative aux programmes qu’ils

mettent sur les ondes hertziennes. Conséquemment, il arrive que

des séries achetées à la hâte se révèlent, à la grande surprise des

diffuseurs eux-mêmes, empreintes d’une grande violence.

« Le Club Dorothée, il faut savoir, en fait, achetait vraiment ça ...euh... comme des grossistes. C’était au nombre d’épisodes qu’ils achetaient. Ils ne faisaient pas attention à ce qu’ils achetaient. Ils regardaient quelques épisodes, ils prenaient un paquet, ils se mettaient à doubler ça à la va-vite, et puis ils distribuaient. Donc, souvent, la qualité du doublage ou des séries qui étaient distribuées, ben ...euh... c’était pas terrible. »

Page 68: Le phénomène otaku en france

68

- C’est comme ça, par exemple, qu’une série comme Ken Le Survivant s’est retrouvée dans un programme pour enfants ... « En fait, ils ont regardé quelques épisodes et ils se sont dits, oui pourquoi pas, la violence ça marche. Donc, ils ont pris et ...euh... les épisodes après ont franchement ...euh... ont franchement dérapés. T’avais des signes SS dans les séries ... qui ont été censurés ... (…) Donc ...euh... c’est vraiment pour te dire que, quand je dis grossiste, ça l’est jusque là. Le doublage se faisait ...euh... à la va-vite ...euh... c’était au nombre de lignes qu’ils lisaient. Donc ...euh... plus ils en enfilaient ...euh... sur très peu de temps et ...euh... plus ils touchaient. Donc c’était vraiment ...euh... un immense supermarché ...euh... à l’animation. » 65

Si les enfants ne voient rien à redire aux scènes poussées de

violence auxquelles ils assistent, les parents, indignés, n’hésitent

pas à monter au créneau contre la chaîne responsable de la

programmation. C’est ainsi que fin des années 80 se forment des

associations de parents d’élèves exigeant la déprogrammation pure

et simple de dessins animés jugés trop violents. En tête de liste,

Ken Le Survivant dont les scènes de décapitations et autres sévices

corporels n’ont pas échappé à la vigilance parentale. L’affaire

atterrit au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et conduit à la

suppression irrévocable du dessin animé. Quelques temps après,

c’est au tour de Dragon Ball Z de provoquer la fureur des parents

faute d’une scène d’extrême violence. L’action menée de front par

les diverses associations ira jusqu’à conduire TF1 à s’excuser

auprès de ses téléspectateurs avant le journal de 20 heures. Ces

65 Entretien avec Claude Mathy.

Page 69: Le phénomène otaku en france

69

actions répétées finissent non seulement par porter un discrédit sur

la production japonaise mais également par réduire fortement le

nombre de séries diffusées. Par ailleurs, les censures multiples et

répétées dans les épisodes nuisent fortement à la cohérence du

scénario.

Dès 1992, le Club Dorothée cesse la programmation de dessins

animés le mercredi après-midi, lesquels se trouvent remplacés par

des sitcoms pour adolescents (Hélène et les Garçons, Premiers baisers).

Les animations japonaises désertent les grilles de programmes.

2.1.3. Développement d’un marché parallèle (1993-…)

La suppression des dessins animés japonais va créer un attrait

pour ce qui est désormais devenu une denrée rare.

Progressivement, des clubs de fans apparaissent sur Internet,

réseau encore peu connu du grand public. Il faut aussi compter

qu’à l’époque, il n’existe que très peu de magasins spécialisés dans

le domaine d’où la difficulté de se procurer des animes

authentiques. Seule alternative pour les fans, s’échanger par la

poste les cassettes vidéo sur lesquelles on a enregistré telle ou telle

série :

« Au moment où je l’ai redécouvert, l’anime ne faisait pas autant vendre, n’était pas aussi commercial que maintenant. Donc on ne trouvait quasiment rien du tout, si ce n’est quelques VHS, donc ...euh... ça a été vraiment très pénible à ce moment-là de redécouvrir une passion et de ne

Page 70: Le phénomène otaku en france

70

pas avoir le support dans les magasins pour pouvoir l’assouvir. Et alors je dois dire que, vraiment, Internet a amené énormément parce qu’en fait, vu que personne ne vendait ce genre de chose, ou très peu et c’était assez limité, on a commencé, en fait, à créer des forums de discussion et d’échange d’animes. Et donc ...euh... on s’est retrouvé ... on était une bonne centaine à l’époque à avoir à peu près ce même goût-là, de vouloir retrouver les vieilles séries et ...euh... ben il y a toujours quelqu’un qui a une vieille VHS qu’il avait enregistré à l’époque et ...euh... de fil en aiguille comme ça, on arrivait à se recréer des intégrales de très vieilles séries. » 66

Petit à petit, les fans s’organisent et se retrouvent, notamment

par le biais des conventions manga. On assiste ainsi au

développement d’un véritable marché parallèle regroupant tous les

amateurs d’animation. Grâce aux performances grandissantes

d’Internet et à sa popularité croissante, les fans peuvent désormais

visionner de nouvelles séries via les fansubs, et occasionnellement

les télécharger. 67

Cet engouement n’échappe pas aux yeux des commerciaux qui

y flairent la bonne affaire. Progressivement, l’on voit apparaître des

commerces proposant des bandes dessinées en format de poche,

noir et blanc, traduites en français : ce sont les premiers mangas.

Petit à petit, le marché de la vidéo s’étend sur le territoire français,

permettant aux fans de se procurer des séries intégrales non

66 Entretien avec Claude Mathy. 67 Le terme fansub (contraction de « fan » et du diminutif de « subtitle ») désigne

la copie d’une série, d’un film ou d’une émission sous-titré par des fans dans leur langue maternelle. Ainsi, par exemple, un anglophone parlant japonais et

qui affectionne une série nippone jamais sortie en Occident créera lui-même les

sous-titres afin de permettre à d’autres anglophones de découvrir cette série.

Page 71: Le phénomène otaku en france

71

censurées. A côté de cela, on voit apparaître sur les écrans de

cinéma des longs métrages d’animation. « La probabilité de voir les

grands festivals s'arracher la production des studios d'animation

nippons était quasi nulle. Depuis, Le Voyage de Chihiro, d'Hayao

Miyazaki, a remporté l'Ours d'or de la Berlinale de 2002, et son

Château ambulant a été sélectionné à Venise en 2004. Cannes a

invité deux fois Mamoru Oshii : en 2001, Avalon a été présenté

hors compétition, et, en 2004, Innocence affrontait Fahrenheit

9/11, de Michael Moore, ou Clean, d'Olivier Assayas. Pourtant, le

parfum de mépris qui entoure l'anime ne s'est pas tout à fait

dissipé. » 68

Cette industrie florissante constitue pour le fan une véritable

opportunité en ce qu’elle lui permet d’effectuer un littéral retour

aux sources. En effet, les animations du Club Dorothée étant

principalement destinées à des enfants, les doubleurs n’hésitaient

pas à édulcorer les œuvres originales. Dans une série comme Juliette

je t’aime, il n’était ainsi pas rare de voir les personnages, de jeunes

adolescents, tituber après avoir s’être soûlés au jus d’orange. Le

cheminement logique devait mener les fans français à se détourner

des adaptations françaises pour se mettre en quête des

authenticités japonaises.

68 Sotinel T., Le destin de l’anime japonais, in Le Monde, lundi 7 août 2006,

p. 16.

Page 72: Le phénomène otaku en france

72

Timidement, on voit réapparaître des mangas au Club

Dorothée. Mais, mis à part le très populaire Sailormoon, les autres

séries nippones ne rencontrent pas un franc succès. De plus,

Dragon Ball Z, en dépit de sa forte audience, fait incessamment

l’objet de critiques et semble, à bien des égards, nuire à la

réputation de la chaîne. La suppression du dessin animé est

finalement ordonnée par le CSA. A cela s’ajoute la baisse constante

de l’audience et l’image vieillissante de l’émission. Le Club

Dorothée prend fin à la fin des vacances scolaires de 1997 après

dix années de monopole sur les émissions jeunesse.

Pendant un temps, Canal+ reprend le flambeau en diffusant en

1998 une nouveauté à succès, la célébrissime série Evangélion. La

chaîne donne également lieu à une émission mensuelle consacrée

aux mangas (« manga manga ») ; cela durera un an. Aujourd’hui, les

dessins animés nippons ont disparu des ondes hertziennes et sont

uniquement disponibles par satellite ou sur les chaînes câblées qui

les diffusent en boucle (sur TMC ou ABSat).69

Ainsi, depuis les débuts en 1978 sur A2 jusqu’à 1998 sur

Canal+, les chaînes françaises n’ont cessé, durant vingt années

consécutives, de diffuser des dessins animés japonais, presque

chaque jour de la semaine. Ce fait n’est pas sans impact sur toute

une génération qui, depuis sa plus tendre enfance, a été abreuvée

69 http://membres.lycos.fr/cinemajaponais/DA.jap.80.htm

Page 73: Le phénomène otaku en france

73

de ces animations. Plus que jamais aujourd’hui, bon nombre de ces

jeunes fréquentent les magasins de mangas, participent à des

conventions mangas ou suivent de près les sorties de longs

métrages d’animation.

2.1.4. Hypothèses interprétatives

Il peut sembler surprenant de voir comment, en quelques

années à peine, la société française est parvenue avec succès à

intégrer dans sa propre culture un pan entier de la culture

japonaise, celui des animes nippons. Selon nous, ce succès repose

avant tout sur le genre même du dessin animé. Depuis ses origines

jusqu’à aujourd’hui encore, ce genre télévisuel est apparu comme

un instrument de popularisation incontournable. Ils ont ainsi

permis à toute une génération d’occidentaux de découvrir une

culture dont ils ne pouvaient que difficilement soupçonner

l’existence :

« Etant tout petit ...euh... j’ai été ...euh... baby-sitté par le Club Dorothée et ...euh... c’est comme ça, en fait, que je les ai découverts (les animes), mais sans savoir vraiment ...euh... que ça venait du Japon etc. Donc sans savoir ce que c’était vraiment un anime, un manga etc. » 70

Parmi les séries proposées, différents genres apparaissent

rétrospectivement : certains dessins animés étaient consacrés aux

70 Entretien avec Claude Mathy.

Page 74: Le phénomène otaku en france

74

sports (Olive et Tom pour le football, Jeanne et Serge pour le volley),

d’autres à une mythologie typiquement japonaise (Dragon Ball).

Certains s’inspiraient tout simplement de la vie quotidienne (Juliette

je t’aime ou Nicky Larson, deux dessins animés mis en scène dans un

Japon contemporain et urbanisé).

En examinant ces œuvres de plus près, nous constatons

toutefois que bon nombre trouvent leur ancrage narratif dans les

traditions européennes, illustrant les échanges réciproques entre

culture orientale et occidentale. Ainsi, un dessin animé comme

Ulysse 31 trouve sa source d’inspiration dans la mythologie

grecque, ce qui le rend dès lors accessible non seulement à un

public japonais, mais également européen. Pareil pour Les chevaliers

du zodiaques, basé lui aussi sur la cosmologie mythique des textes de

la Grèce antique. D’autres dessins animés japonais illustrent

autrement encore cette émulation mutuelle entre des histoires

typiquement européennes mises en scène à travers une esthétique

japonaise : Princesse Sara ou Robinson Crusoé sont incontestablement

inspirés des romans de Charles Dickens pour le premier et par le

classique de Daniel De Föe pour le second. 71

71 On peut toutefois noter que ce phénomène d’échange ne se limite pas au seul

dessin animé. Dans les années 50, le célèbre metteur en scène japonais Akira Kurosawa s’était déjà approprié les schémas narratifs popularisés par les

westerns américains pour ses propres films – on peut songer à Yojimbo, variation

orientale du western spaghetti – avant que ses œuvres ne soient à leur tour réappropriées par les studios hollywoodiens et formatées pour le public

américain. C’est ainsi que Les Sept Samouraïs se sont métamorphosés en Les

Sept Mercenaires.

Page 75: Le phénomène otaku en france

75

Ainsi, il nous semble que le succès des dessins animés japonais

en France peut en partie s’expliquer par le fait qu’il s’approprie des

références culturelles à la base de la civilisation occidentale, toute

l’originalité étant qu’une esthétique de manga vient revitaliser et

moderniser ces histoires immémoriales. Il n’est d’ailleurs pas

interdit de penser que c’est à travers la mise en scène nippone que

le public occidental a pu redécouvrir des légendes typiquement

européennes.

2.2. La folie arcade

2.2.1. Brève histoire du jeu vidéo

Les dessins animés ne sont pas les seuls divertissements

typiquement japonais à avoir été popularisés en Europe. Les jeux

vidéo constituent une autre révolution culturelle japonaise dans les

pays occidentaux qui jusque là n’y avait jamais vraiment goûté.

Ainsi, dès le début des années 80, quelques entreprises réussissent

à percer les marchés européens et américains, notamment

Nintendo avec son concept portatif Game&Watch, sorte de petite

console portative proposant un jeu d’animation basique. Très vite,

le succès pousse ces industries à mettre au point des consoles de

salon reliées à la télévision et à proposer une véritable ludothèque

avec des centaines de cartouches de jeu.

Page 76: Le phénomène otaku en france

76

Du jour au lendemain, une flopée de personnages virtuels tels

que Mario Bross le sympathique plombier italien imaginé par

Nintendo, Link l’aventurier Zelda ou plus tard Sonic le hérisson

bleu de Sega, deviennent de véritables phénomènes de société. A

l’instar du « hit parade » qui regroupe les chansons qui font un

carton, on parle de « hit d’arcade » pour le classement des jeux à

succès. Ciblant essentiellement une population masculine et

adolescente, les jeux vidéo se sont rapidement ancrés dans les

mœurs occidentales de sorte qu’aujourd’hui encore, ils connaissent

une croissance exponentielle. En 2005, l’industrie vidéo ludique a

réalisé un chiffre d’affaire cumulé (machines et jeux vidéo) de 27

milliards d’euros.72 Quant aux consoles de jeu Xbox (Microsoft) et

Game Cube (Nintendo), elles se sont vendues à 20 millions

d’exemplaires à travers le monde. L’industrie Sony écrase ses

concurrents avec 110 millions de Playstation 2 écoulées. « L’année

2006 marquera une étape importante dans l’histoire des jeux vidéo.

(…) D’ici à Noël, les trois concurrents disposeront de consoles de

nouvelle génération. (La Playstation 3) sera un super-ordinateur de

jeu doté d’un processeur 35 fois plus puissant que la PS2, équipé

d’un lecteur DVD haute définition utilisant la technologie Blu-Ray

qui permet de stocker plus d’informations. » 73

72 Il faut préciser que les consoles de jeu n’ont pas été le seul support numérique

des jeux vidéo. Les ordinateurs PC et Mac ont également su s’adapter très rapidement à cette nouvelle forme de divertissement. 73 Brafman N., Fraissard G., Un match très disputé, in Le Monde, jeudi 11 mai

2006, p. 3.

Page 77: Le phénomène otaku en france

77

2.2.2. L’addiction au jeu

Il serait toutefois réducteur de ramener le jeu vidéo à sa seule

dimension distrayante. Pour certaines personnes, au-delà d’un

simple divertissement, il s’agit de leur plus grande passion qui,

lorsqu’elle est poussée à l’extrême, va jusqu’à devenir leur raison de

vivre. De nombreux cas pathologiques ont pour cause directe une

exposition trop fréquente et presque permanente à ces

divertissements. Ce phénomène d’addiction compulsive aux jeux

vidéo a d’ailleurs eu par le passé des conséquences catastrophiques.

Début d’année en France, deux jeunes d’une vingtaine d’années

ont été hospitalisés en service psychiatrique pour avoir abusé des

jeux vidéo. « Tous deux (étaient) dans un état psychologique et

physique désastreux. Au fil des mois, ils se sont progressivement

déconnectés de toute vie familiale et sociale et engloutis dans

l'univers parallèle d'un « jeu de rôle en ligne massivement multi-

joueurs ». » 74

Cette forme de distraction nouvelle peut constituer un

véritable danger pour la santé et la stabilité des joueurs qui

n’arrivent pas à s’en séparer : tel est le constat sans appel lancé par

nombreux psychologues et psychothérapeutes occidentaux et

asiatiques. Les appellations varient selon les degrés d’addiction. Au

niveau le plus raisonnable, on trouve les casual (joueurs

74 Vincent C., Drogués aux jeux virtuels, in Le Monde, mercredi 3 mai 2006,

p. 7.

Page 78: Le phénomène otaku en france

78

occasionnels). A plus forte dose, on parle de hardcore gamer

(passionnés excessifs), c’est-à-dire le joueur qui consacre cinq jours

de sa semaine au jeu, entre quatre et cinq heures quotidiennement.

A bout de la chaîne de la dépendance se situe le no life, soit, celui

qui consacre l'exclusivité de son temps à pratiquer sa passion du

jeu en s’excluant totalement de la vie sociale. Sept jours sur sept

devant l’écran, certains peuvent jouer dix heures d’affilée, parfois

même plus. Selon Cécile Pera, adepte du cosplay et spécialiste en M-

Games (jeux musicaux), le terme no life englobe toutefois d’autres

catégories de personnes que les fanatiques de jeux vidéo.

- Comment qualifie-t-on celui qui s'isole chez lui en refusant le contact humain ? « = un "no-life" / pas forcement lie a la culture jap / ex : counter-strike, world of warcraft,... / (...) je connai des no-lifes du jeu sur PC (world of warcraft) (...) par exemple tu peux etre no-life a cause du rubik's cube / a partir du monde ou tu t'isole pour ta passion, tu deviens un no-life / je connai personnellement des gens qui / a une periode de leur vie ont joue 5 a 6h de rubiks cube par jour. » - Tu en connais plusieurs ? « Non un seul, je vis avec lui. » - Ça le passionne toujours actuellement ? « Encore un peu mais plus trop / il en a fait pdt 2ans / maintenant, ca lui arrive de "reviser" ces algorithmes. » - Il a déjà participé à des concours ? « Non mais il a failli / il a decouvert les jeux musicaux, juste avant. » 75

Par l’intermédiaire du site web Animeland.com (forum de mangas

populaire) puis via MSN Messenger, nous sommes entrés en

contact avec une no life de la banlieue parisienne. Il a toutefois été

75 Entretien avec Cécile Pera.

Page 79: Le phénomène otaku en france

79

particulièrement difficile d’obtenir un échange, même virtuel avec

la personne, celle-ci ne répondant pratiquement pas aux courriels

qui lui étaient envoyés. A maintes reprises, nous avons dû réitérer

notre demande de conversation. Ce n’est qu’à force de sollicitation

que l’interlocutrice (sous le pseudo de Mitsubachi) a fini par

accepter un dialogue virtuel. Lors de notre première discussion via

MSN Messenger, le justificatif de Mitsubachi à propos de ce long

silence était révélateur de son mode de vie :

« Désolé, quand je rentre chez moi, après la cuisine, je suate [saute] jouer à un jeu online et je calcule plus personne. c'est pourquoi j'ai eu tant de mal à te répondre. » - Tu joues combien d'heures par jour ? « Dès que j'ai le tps / avant, j'étais super accro (...) je dirai que je passais ptet 15 heures par jour dessus / mais maintenant, j'ai appris à prendre l'air, à me détendre (pr mieux jouer), à ne pas trop me couper du monde, quoi / et dc, qd je joue pas, je suis pas dépendante. »

- Et aujourd'hui, tu y passes combien de temps ? « Qd je rentre du travail, je me connecte ms j'y joue pas tt de suite / je joue vraiment que vers 22h (car je fais la vaisselle, je fais la cuisine, je sors le chien, tt ça) / et ce, jusqu'à une h du mat (...) je vis avec ma famille / ils disent que je passe trop de tps dessus. » 76

Se présentant comme une ancienne otaku reconvertie en no life,

Mitsubachi consacre la majeure partie de son temps à jouer à

World of Warcraft (WOW), un MMORPG.77 Si a priori, elle peut

sembler la seule responsable de sa situation, rapidement elle s’en

défend : appartenir à une guilde constitue un véritable engagement

76 Entretien avec « Mitsubachi ». 77 MMORPG est le sigle de massively multi-player online role-playing game ou

jeu de rôle en ligne massivement multijoueur.

Page 80: Le phénomène otaku en france

80

vis-à-vis de ses partenaires virtuels. Lorsqu’un groupe de

combattants vous accepte au sein de leur clan, vous endossez

inéluctablement de nombreuses responsabilités. Qu’on veuille le

croire ou non, l’univers virtuel a lui aussi ses contraintes. Cela peut

notamment expliquer les raisons qui rendent les ‘critères

d’embauche’ si stricts. En effet, lorsqu’un joueur souhaite intégrer

une guilde, il doit soumettre sa demande à un comité. Dès lors,

comme pour un entretien d’embauche, le postulant doit être

capable d’argumenter en se montrant prêt à contribuer pleinement

au développement non de l’entreprise mais de la horde à laquelle il

désire se joindre. Mis en période d’essai, le candidat devra se

montrer à la hauteur des espérances de la guilde, notamment par sa

grande disponibilité, ce qui implique de bien vouloir sacrifier sa vie

réelle, si ce n’est déjà fait. Se présenter à ses futurs partenaires

comme étant sans emploi ou no life constitue un argument de poids

pour être accepté du clan. Sans famille, sans amis ni travail ; tel est

le profil idéal du joueur de WOW.

Lancé l’année dernière par la société d’édition de jeux vidéo

Blizzard Entertainment (filiale de Vivendi Games), WOW a déjà

fait six millions d’adeptes, devenant en deux ans le plus joué des

MMORPG.78 Début mai, tandis que l’affaire Clearstream venait

d’éclater en France et que le nom de Jean-Louis Gergorin, le

présumé corbeau, résonnait pour la première fois dans les médias,

78 Le succès est tel que Blizzard Entertainment s’est déjà associée à la Warner

pour préparer le film de Word of Wordcraft.

Page 81: Le phénomène otaku en france

81

le journal Le Monde consacrait toute sa troisième page à WOW,

annonçant même en Une : « World of Warcraft n’est pas

seulement un jeu vidéo massivement multi-joueurs. Il est devenu,

en moins de deux ans, un véritable phénomène de société, une

religion ludique à laquelle une partie de ses millions de fidèles

consacrent énormément de temps. » 79

La grande particularité de ce genre de jeux, et qui souvent fait

leur popularité, est qu’ils mettent en scène un univers permanent.

Autrement dit, même lorsque l’ordinateur n’est pas sous tension,

leur monde virtuel continue à vivre, à se développer et leurs

personnages à évoluer. A ce titre, on peut littéralement parler

d’une multitude de mondes parallèles au sein desquels une forte

socialisation cimente une vraie communauté, toutefois invisible.

2.2.3. Traitement de la cyberaddiction

Au fur et à mesure que se multiplient les MMORPG s’accroît

également le nombre de joueurs intensifs. Le problème de

dépendance au jeu est dès lors envisagé avec toujours plus de

sérieux. Certains psychiatres comparent d’ores et déjà cette

nouvelle forme d’addiction à la dépendance aux jeux de hasard, ou

même à l’alcool. C’est ainsi qu’en février dernier s’est produit en

79 Le Monde, jeudi 11 mai 2006, Engloutis dans un monde virtuel, de Nathalie

Brafman, p. 3.

Page 82: Le phénomène otaku en france

82

France le premier cas d’internement d’office en hôpital

psychiatrique d’un cyberaddict. « Enfermé 20 heures par jour dans

une salle parisienne de jeux vidéo en réseaux, (Boris, 23 ans) avait

déserté l’école et perdu 17 kilos. Il était devenu un « no life ». (…)

Boris, qui se prenait pour un « thorens », un personnage méchant

faisant partie d’une horde, était très agressif avec ses parents. »80

L’état psychique du jeune homme s’était tellement dégradé que

l’intervention des pompiers a été nécessaire pour le tirer de force

de la salle de jeux. « Tommaso, 22 ans, se prenait lui pour un elfe

de la nuit, une créature non agressive qui a pour particularité d’être

invisible. Du coup, le jeune homme pouvait sortir nu, persuadé de

n’être vu par personne. »81 Il a quant à lui été interné à la demande

de ses parents, un mois après le cas de Boris.82

Il est significatif de constater l’apparition d’un nouveau terme dans

la langue française pour désigner cette pathologie liée à la

dépendance au jeu : la cyberaddiction. Pour venir en aide aux

malades du jeu vidéo, le centre Marmottan de Paris a mis en place,

il y a deux ans, une cellule permettant aux cyberaddicts de suivre

un traitement thérapeutique. En 2005, les consultations

psychiatriques liées au jeu vidéo ont représenté 36 % du total des

80 de Mallevoüe D., La psychiatrie de plus en plus confrontée à la « cyber-addiction », in Le Figaro, samedi 25 et dimanche 26 février 2006, p. 15. 81 Idem. 82 Si ces cas extrêmes demeurent encore rares en Occident, ils sont désormais fréquents dans plusieurs pays orientaux (notamment en Corée du Sud et en

Chine) où la législation a d’ailleurs fini par s’adapter aux frasques des joueurs

excessifs, les menaçant d’amendes s’ils en venaient à troubler l’ordre public.

Page 83: Le phénomène otaku en france

83

consultations contre 29 % en 2004, une augmentation visible tant

en cabinet privé que dans les hôpitaux publics. Qu’on le veuille ou

non, l’addiction au virtuel constitue bien une nouvelle réalité.

2.2.4. Hypothèses interprétatives

Le problème de la cyberaddiction nous semble plus que jamais

d’actualité. Et l’on peut compter qu’avec le développement

technologique spectaculaire des jeux vidéo, la communauté des

joueurs est certainement destinée à s’élargir davantage.83 A l’heure

actuelle déjà, bon nombre de jeux vidéo proposent des sessions de

jeu qui peuvent être décuplées lorsqu’on les partage en réseau. Et

s’il est vrai que ces sessions se font souvent à plusieurs, on peut

toutefois constater que les joueurs ne se rencontrent jamais qu’à

travers les personnages fictifs qu’ils incarnent. La discussion n’est

possible que par l’intermédiaire du clavier et n’a souvent pour

thème que l’univers virtuel imposé par le jeu. L’impression de

convivialité apparaît alors comme un mirage qui, au final,

contribue à renforcer le joueur dans son isolement. Il y a loin entre

les sessions d’arcades se déroulant dans un environnement partagé

par des dizaines d’autres individus et l’emprisonnement volontaire

du no life « drogué » à un jeu vidéo vécu dans un espace clos.

83 En une décennie, les consoles sont passées d’une capacité de mémoire de 8

mégabytes pour la Nes des années 80 à une puissance de 120 mégabytes pour la

PS2 sortie en 2001.

Page 84: Le phénomène otaku en france

84

Pour autant, il nous semble que les jeux vidéo ne sont pas les

seuls à blâmer. A bien des égards, le réseau Internet constitue lui

aussi l’une des causes de l’enfermement. En soi, l’objectif de cette

technologie n’est certainement pas répréhensible. Mais lorsqu’elle

fait l’objet d’une utilisation excessive (rendue encore plus facile

avec le développement des systèmes de connexion ADSL et

VDSL), elle peut constituer une toile (« web ») dans laquelle

s’engluent ceux qui y passent un temps inconsidéré. Comme

l’assure le psychiatre Jean-Claude Matysiak, « Il est certain que les

accros sont de plus en plus nombreux, surtout depuis l’arrivée de

l’Internet à haut débit. »84

Un exemple frappant de cette déconnexion émotionnelle

générée par l’Internet se trouve dans la pornographie virtuelle. Dès

l’apparition de cette nouvelle technologie au milieu des années 90,

on a vu fleurir sur la toile des centaines, puis des milliers de sites

classés « X ». Aux photos pornographiques se sont succédées les

vidéos dont la résolution graphique connaît une constante

amélioration. Selon nous, le fait de trouver dans l’Internet

l’inspiration pour une vie sexuelle exclusivement onaniste

constitue là aussi un refuge qui renforce l’isolement. En inhibant

les désirs sexuels et physiques de ceux qui y sont exposés, la

pornographie virtuelle peut donner l’impression qu’une vie

sexuelle partagée n’est plus nécessaire ; la satisfaction, loin de

84 de Mallevoüe D., La psychiatrie de plus en plus confrontée à la « cyber-

addiction », in Le Figaro, samedi 25 et dimanche 26 février 2006, p. 15.

Page 85: Le phénomène otaku en france

85

passer par une séduction incertaine, n’est alors plus qu’à quelques

clics de souris.

Là sont autant de facteurs qui nous permettent de croire que

l’internaute obsessionnel, le no life et même le mangamaniaque

partagent le même profil psychologique : celui d’une personne qui

redoute d’affronter la réalité et tout particulièrement ce qui a trait

au rapport humain et au domaine sentimental. En cela,

l’environnement virtuel permettrait à celui qui y pénètre de fuir des

responsabilités parfois trop lourdes à porter, comme en témoigne

Mitsubachi :

« c sur [c’est sûr] que si ds notre vie, tt merde, y'a des chances qu'on ait moins envie de vivre en société (...) et je te rassure, je vis pas pr jouer / en amour, j'ai pas eu bcp de chance, ms je me dis que j'ai encore le tps de trouver. pr le boulot, là, tt va bien, et j'espère apprendre encore plein de choses de la vie. »85 Sur ce dernier point, nous pouvons établir une analogie avec

l’étudiant japonais en qui les parents mettent tous leurs espoirs. La

peur de décevoir et la crainte de l’échec sont autant d’élément qui

peuvent amener le jeune étudiant à se réfugier dans ce monde

parallèle, moins contraignant et plus séduisant, qu’est celui du jeu

et du divertissement. Cela rejoint les propos de Michael Stora,

psychologue et fondateur de l’Observatoire des mondes

numériques en sciences humaines (OMNSH) : « le jeu vidéo

85 Entretien avec « Mitsubachi ».

Page 86: Le phénomène otaku en france

86

permet au jeune de devenir un autre, de vivre des fantasmes

perdus. Particulièrement chez ces enfants qui ne se sentent plus à

la hauteur des idéaux de leurs parents, comme les très bons élèves

à qui la famille met une grande pression sur les résultats. (…) Ils

plongent dans le jeu car il va servir leur cause : ils vont incarner un

héros, celui qu’ils ne sont plus aux yeux de leurs parents, vivre à

travers lui des sentiments de victoire. »86 Le retour à la réalité n’en

sera que plus difficile.

2.3. Le phénomène de mangalisation

Moins problématique, que du contraire, la bande dessinée

japonaise apporte un second souffle aux maisons d’édition

françaises. Longtemps considérés comme intraduisibles,

inadaptables et invendables par les amateurs de bandes dessinées

occidentales, les mangas se sont infiltrés sur le marché du livre en

produisant une véritable révolution silencieuse.

2.3.1. Mangas : la révolution silencieuse

Aujourd’hui, la France est le troisième marché de la bande

dessinée japonaise, après le Japon et les Etats-Unis. « Les mangas

jouissent depuis un peu plus de dix ans d'un engouement qui ne se

dément pas en France. (…) Une bande dessinée sur trois y est

86 de Mallevoüe D., La psychiatrie de plus en plus confrontée à la

« cyberaddiction », in Le Figaro, samedi 25 et dimanche 26 février 2006, p. 15.

Page 87: Le phénomène otaku en france

87

désormais un manga »87 Selon une étude de Gilles Ratier, le

secrétaire général de l’ACBD, 2005 serait l’année de la

« mangalisation » tant l’importance de la bande dessinée asiatique

se confirme au fil des mois. « 3.600 albums (nouveautés et

rééditions confondues) auraient, selon Gilles Ratier, été publiés en

2005, marquant ainsi une progression de la production de 17,26%.

Les mangas et manwhas représentent 42,28% du total des

nouveautés, avec 1.142 albums parus contre 754 l’année

précédente. Une progression fulgurante lorsque l’on sait que la BD

asiatique ne représentait que 269 titres en 2001. »88 Les éditeurs

parviennent ainsi à s’imposer sur le difficile marché du livre en

multipliant les collections, les diffusions de masse des séries-phares

mais aussi les campagnes publicitaire.

La révolution manga est telle en France que certains n’hésitent

pas à la comparer au phénomène de contre-culture rock des

années 60. « Par son enthousiasme et son esprit d’entreprise, le

milieu qui a grandit autour des mangas évoque la scène rock née

dans la foulée du mouvement punk britannique. Amateurs et

professionnels s’y côtoient, et son développement s’est fait

quasiment à l’insu du reste de la société. » 89

87 Beuve-Méry A., Le monde des livres, in Le Monde, vendredi 4 août 2006. 88 Statistiques obtenus d’après une étude du marché de la bande dessinée sur le

territoire francophone européen réalisée par Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD. 89 Sotinel T.,Wecker N., , Mangas : « Goldorak », vers l’âge adulte, in Le

Monde, jeudi 6 juillet 200, p. 19

Page 88: Le phénomène otaku en france

88

2.3.2. La guerre des licences

En plus de gonfler les ventes de livres, la bande dessinée

japonaise comporte encore d’autres avantages qui ravissent les

éditeurs. En achetant des licences pour les mangas, ils n’ont pas de

droits d’auteurs à payer. Par ailleurs, ils peuvent aussi tirer des

recettes supplémentaires avec les dessins animés et jeux vidéos qui

sont inspirés de ces mangas. Selon les chiffres de Gilles Ratier, ces

derniers représentent désormais 42,3 % du volume de la

production de la bande dessinée.

Avec cette augmentation fulgurante de la demande du manga

en Occident, c’est sans doute le Japon qui en profite le mieux.

Non seulement, le pays retrouve petit à petit son image positive

des années 80 lorsque les animes battaient tous les scores

d’audience en France. Mais mieux encore, conséquence directe de

cette évolution, les licences pour les mangas japonais font l’objet

de nombreuses sollicitations des sociétés d’édition françaises. Vu

sous l’angle de Jonathan Pavius, directeur général et rédacteur en

chef du magazine Japan Vibes, il s’agit bien là d’un point noir pour

les éditeurs occidentaux :

« Maintenant que la consommation de manga et d’animation japonaise a fortement augmenté en France, nous nous retrouvons avec x sociétés [françaises] qui vont se battre pour telle ou telle licence, et là les Japonais

Page 89: Le phénomène otaku en france

89

– c’est du pain béni – ils n’ont cas attendre que la société la plus fortunée leur mette le plus gros chèque sur la table. »90

2.3.3. Hypothèses interprétatives

Les mangas doivent certainement une large de part de leur

succès à la télévision qui les a popularisé avec des dessins animés

tels que Goldorak, Dragon Ball ou encore Les Chevaliers du Zodiaque

dans les années 80. Les ventes du manga Ken Le Survivant seraient-

elle aussi importantes aujourd’hui si le dessin animé n’avait

entraîné autant de polémiques ?

On peut aussi remarquer que le manga a un rythme de

parution nettement plus rapide que la bande dessinée occidentale.

Avec un épisode tous les deux ou trois mois pour une même série,

le lecteur peut aisément garder le fil de l’histoire et ainsi rester dans

l’intrigue. Pour simple comparaison, il faut attendre un an pour

voir apparaître un nouveau Largo Winch et cinq ans pour un

Astérix. Du fait que la production de manga est à ce point

conséquente, les épisodes s’étirent, ce qui permet aux personnages

de gagner en profondeur et en ambiguïté. « Le manga, à la

différence de la BD franco-belge, dont les albums ont un format

moyen de quarante-huit pages, prend son temps. Les récits sont

90 Entretien avec Jonathan Pavius.

Page 90: Le phénomène otaku en france

90

d’abord publiés en feuilletons dans des journaux, puis reliés. Et les

séries peuvent atteindre dix, quinze tomes, voire plus… »91

Un critère certainement déterminant du succès du manga, tient

en sa spécialisation dans pratiquement tous les genres imaginables :

sport, action, science-fiction, humour, érotisme et plus encore. Le

manga cible en effet des populations particulières en mettant en

scène un univers correspondant à leurs attentes. En plus d’offrir au

lecteur un monde sur mesure, le manga lui expose des personnages

auxquels il lui sera facile de s’identifier. Avec leur chevelure

quasiment aussi expressive que leur visage aux traits exacerbés, les

héros du manga bénéficient d’un certain relief qui les rend

charismatiques. Autant de caractéristiques qui, aujourd’hui encore,

sont fortement critiquées par les grands lecteurs de bande

dessinées traditionnelles. En rend compte l’attitude de Lucas

Hérault : tandis que ses deux amis sont occupés à acheter des

posters de manga chez Konci, magasin de manga parisien, Lucas

attend à l’entrée, le temps qu’ils terminent leurs achats.

Le manga, ça ne te parle donc pas … « Non, absolument pas … c’est trop … déjà, les personnages se ressemblent tous. Regarde, quand je vois des persos comme ça [il montre une affiche en vitrine réunissant plusieurs héros mangas] ça me donne vraiment pas envie de découvrir l’histoire. Ils ont tous la même tête … T’as cas faire le test : tu leur retires leurs cheveux et tu verras, ils sont tous pareils. »92

91 Psychologie, Pourquoi vous allez aimer les mangas, septembre 2005, p. 89. 92 Entretien avec Lucas Hérault.

Page 91: Le phénomène otaku en france

91

Récemment, on a pu voir des mangakas travailler dans une

autre optique, préférant les expressions tout en retenue à

l’exagération. C’est la démarche qu’a décidé d’adopter Jirô

Taniguchi, dessinateur de Quartier lointain (Casterman) : « Le manga

japonais a toujours représenté des expression excessives. Il s’est

développé en inventant ces expressions exagérées qui traduisent

les sentiments plus facilement auprès des lecteurs. (...) Un jour, je

me suis dit que je pouvais faire le contraire et j’ai changé ma mise

en scène, au lieu de dessiner un visage triste, je dessine un visage

furieux pour approfondir cette tristesse. Ces expressions indirectes

permettent d’aller au plus profond des sentiments. C’est pour ça

que je fais les choses différemment. » 93

Les critiques à l’encontre du trait de dessin nippon portent

toutefois un faible préjudice au monde du manga, celui-ci

cherchant à cibler un autre public que celui de la bande dessinée

traditionnelle. Comme l’explique Olivier Fallaix, rédacteur en chef

d’Animeland : « Il [le manga] ne prend pas la place de la BD

traditionnelle, car son prix est en général inférieur. Il va chercher

un nouveau public qui n’achetait pas forcément des BD avant. »94

A côté de cela, on peut encore noter que le prix des bandes

dessinées japonaises est relativement démocratique – environ 3

euros pièce – comparé aux bandes dessinées de chez nous. Les

93 Jirô Taniguchi in, Documentaire : Collection BD, La Deux. 94 Télépro, Les mangas dévorent l’Europe, P. 28.

Page 92: Le phénomène otaku en france

92

mangas n’utilisant que rarement la couleur, leur coût de production

est par conséquent moins élevé. Ajoutons à cela le système de

licences qui dispense les éditeurs de payer des droits d’auteurs, et

l’on détient la recette miracle qui vaut à la bande dessinée

japonaise son succès actuel.

Page 93: Le phénomène otaku en france

93

PARTIE III : ANALYSE COMPARATIVE

1- OTAKISME FRANÇAIS, DERIVE JAPONAISE ?

Depuis que la culture japonaise s’est mise à déferler en vague

sur l’Occident, de plus en plus de jeunes de par le monde se

passionnent pour l’univers de la japanimation. Afin de marquer

leur attirance pour cette culture, bon nombre d’entre eux

n’hésitent pas à se revendiquer otaku. En France, où la culture

otaku est des plus actives, l’on voit des jeunes créer des forums de

discussion sur Internet « uniquement réservés aux otaku ». Qu’en

est-il vraiment ? Peut-on parler d’otakisme au même titre qu’au

Japon ?

1.1. Comparaison entre l’otaku français et japonais

Il nous paraît évident d’ouvrir ce chapitre en donnant la parole

à Etienne Barral. De tous les interlocuteurs que nous avons

rencontré, sans doute est-ce le seul véritable spécialiste en matière

d’otakisme. Ayant fréquenté tant le Comiket que la Japan Expo, il

peut donner une description claire des jeunes qui apprécient ces

lieux. Pour lui, la différence entre otaku français et japonais repose

essentiellement sur la notion de culture :

« En ce qui concerne les "otaku francais", pour moi, ce sont des "jeunes - ou moins jeunes - fans de CULTURE otaku" (…). Comme je vous

Page 94: Le phénomène otaku en france

94

l'avais explique, pour moi un Otaku (a la difference d'un fan, d'un mania, etc...) doit passer par le processus socio-psychologique de l'exclusion (ou auto-exclusion) pour se refugier dans sa bulle virtuelle, ce sentiment de malaise par rapport a la societe ambiante, exacerbe au Japon ou le groupe pese sur l'individu, est bien moins pesant en France ou l'individualisme ambiant permet de s'autoriser une conduite autonome. Les "otaku francais" peuvent donc bien se passionner pour la J-culture, grand bien leur fasse, ce n'en fait pas pour autant des "otaku" meme s'ils s'auto-proclament tels (et apres tout, c'est leur droit...) »95

Une première différence réside donc dans le rapport entre

l’otaku et la société. Tandis qu’en France l’individu bénéficie d’une

grande indépendance par rapport au groupe, au Japon par contre,

la pression du groupe sur un seul homme est telle que celui-ci ne

peut que difficilement supporter d’être frappé d’ostracisme par la

majorité. Cette crainte d’être mis au ban de la société pourrait alors

mener l’individu japonais à l’otakisme.

Une deuxième différence nous est énoncée par Jonathan

Pavius, directeur général et rédacteur en chef de Japan Vibes, et

concerne la vision de la population à l’égard des otaku. En France,

l’otaku est perçu comme un passionné de mangas qui a passé l’âge

de regarder des dessins animés. Au Japon, par contre, le terme

revêt une connotation beaucoup plus négative. L’otaku sera

identifié à un pervers ou à un être complètement associable.

L’affaire Miyazaki de 1988 y est certainement pour beaucoup. Le

95 Entretien avec Etienne Barral poursuivi par voie informatique (l’absence

d’accents est due à l’utilisation d’un clavier japonais).

Page 95: Le phénomène otaku en france

95

meurtre des quatre fillettes commis par cet otaku de 27 ans est

aujourd’hui encore dans toutes les mémoires. Nombreux sont les

Japonais qui ont appris l’existence des otaku à travers ce macabre

fait divers. L’amalgame entre le passionné d’animes et l’assassin

pervers est, de fait, quasi-inévitable. Jonathan Pavius insiste

fortement sur la façon dont les otaku sont perçus en France par

rapport au Japon :

« Si, par exemple, on dit en France qu’on aime bien le dessin animé, tu es éventuellement pris quelqu’un d’un petit peu …euh… comment dire …euh… gamin, quoi. On va dire qu’on est des « adulescents » (...) On va être pris pour des enfants, à la limite. Donc ce n’est pas encore trop grave. Au Japon, si on se qualifie en terme d’otaku, je précise bien « otaku », car on peut dire qu’on aime bien les mangas, mais si on dit qu’on est un otaku, eh bien on va être mis au ban de la société. On sera assimilé à un pervers etc., et à quelqu’un qui est incapable de s’insérer dans la société. » 96

Une troisième différence est avancée par Sébastien Moricard,

directeur marketing des Editions Tonkam. Alors que l’otaku

japonais évite autant qu’il peut la vie communautaire, à moins qu’il

ne s’agisse de communiquer via des réseaux, l’otaku français

s’entoure de personnes avec lesquelles il partage les mêmes centres

d’intérêts, créant ainsi une véritable communauté d’otaku. Selon

Sébastien Moricard, d’un côté comme de l’autre, l’attitude de

l’otaku est avant tout motivée par le regard extérieur :

96 Entretien avec Jonathan Pavius.

Page 96: Le phénomène otaku en france

96

« Il y a un paradoxe. C’est que …euh… au Japon, c’est une société qui est une société de collectivité ; l’occident c’est l’individualisme qui règne. Et pourtant, je pense que quand on est un otaku Japonais, on a beaucoup plus vite fait de s’isoler du reste du monde que quand on est un otaku Français. Parce que « l’otakisme » entre guillemets au Japon, c’est quelque chose de profondément péjoratif et beaucoup plus sévère qu’on peut le voir en France. Les otaku Français, c’est quoi ? C’est des mecs qui vivent leur passion à fond et qui, justement, vont plutôt avoir tendance à être en clan d’otaku. (…) En général, quand il n’y a pas de différence de niveau social ou d’âge, ils ne sont pas perçu comme des attardés mais comme des gens funs qui ont une passion un peu marginale et …euh... voilà, on les savate pas. Alors qu’au Japon, là où, en fait, c’est une culture qui est pleinement assimilée, je pense qu’ils sont beaucoup plus sévères envers les otaku purs et durs, et donc ce sont des gens beaucoup plus isolés. »97

Cette idée d’une communauté d’otaku français est étayée par

Grégoire Hellot, directeur éditorial de Kurokawa et testeur de jeux

vidéos, qui voit en leur volonté de se regrouper une nécessité pour

parvenir à leurs fins :

« Contrairement au Japon, en France ...euh... quand on est un otaku, on est obligé d’avoir des amis pour se faire des échanges et tout parce que, comme on aime quelque chose qui vient d’un pays étranger et que ...euh... plus on est otaku donc plus on est fan et plus on veut des choses rares, inconnues etc. et ... puis pour avoir des contacts, pour avoir les choses inédites, les choses qui n’existent pas et ...euh... et donc du coup, ben on est obligé d’être en communauté pour avoir les nouveautés, les choses intéressantes ... »

97 Entretien avec Sébastien Moricard.

Page 97: Le phénomène otaku en france

97

Selon lui, cette propension à se retrouver entre otaku français

trouverait son origine dans le discrédit jeté sur les animes en France

au milieu des années 90 :

« Le truc, c’est que les otaku aiment quelque chose qui a été dénigré par les grands médias français pendant des années. Donc ...euh... au contraire, ils ont besoin d’être en groupe pour être valorisés, pour se ... pour se rassurer entre eux, pour se dire : ben voilà, moi j’aime les mangas et tout le monde me dit que je suis débile parce que j’aime les mangas, et ben voilà, je vois que je suis pas le seul, c’est cool, on est en communauté. »

Si l’on s’en tient à la définition de l’otaku français que nous

donne Grégoire Hellot, on peut croire que sa grande particularité

tient en son hyperspécialisation. L’otaku français serait quelqu’un

qui se spécialiserait à l’extrême dans la japanimation, mais aussi, de

façon plus large encore, à la culture japonaise :

« La définition de l’otaku Français, moi je pense qu’elle est très simple. L’otaku français, c’est simplement le fan de tout ce qui est regroupé dans l’entertainment japonais, quoi. C’est celui qui aime le manga, l’animé, le jeu vidéo ...euh... japonais obscur qui n’est pas sorti en France ...euh... la bouffe japonaise. Enfin, tout ce qui se rapporte au Japon en général et l’Asie par extension (…) L’otaku, c’est comme le geek et le nerd, c’est une spécialisation du fan »98

Bien que le mot de culture n’ait pas été prononcé par Grégoire

Hellot, son idée semble rejoindre celle d’Etienne Barral à propos

de l’otaku français. Ainsi, tous deux utilisent le terme de « fan »

98 Entretien avec Grégoire Hellot.

Page 98: Le phénomène otaku en france

98

pour évoquer la passion quasi-convulsive de l’otaku français pour

la japanimation.

1.2. Etre otaku au sens français

Que signifie être otaku en France aujourd’hui ? Plusieurs de

nos interlocuteurs se revendiquent clairement otaku, mais tous à

des degrés différents. Jonathan Pavius insiste sur le fait qu’il se

considère comme un otaku au sens français et non japonais :

« Je pense …euh… que le terme d’otaku chez nous n’est pas le même qu’au Japon. Donc quand je me qualifie d’otaku, je parlerais plutôt du fait que j’aime beaucoup l’animation japonaise, les mangas, leurs traits, leur graphisme – c’est là que va ma préférence. J’aime aussi beaucoup leur nourriture, leur culture, etc. etc. C’est pour ça que j’ai créé un magazine qui s’appelle « Japan Vibes » (...) Au Japon par contre, le terme d’otaku, ça qualifie des gens qui (...) sortent pas de chez eux, qui sont laids (rire), qui n’ont pas forcément de vie sociale, et je ne pense pas faire partie de cette catégorie-là. »99

S’il est également un très grand fan de japanimation, Sébastien

Moricard, tempère. Bien qu’il ait grandi sur un tatami et avec un

joystick en main, comme il dit, il ne se revendique pas otaku pour

autant :

« Je pense que le commun des mortels me qualifiera d’otaku parce que j’ai …euh… je partage aussi …euh… avec Jonathan …euh… une fascination sur bon nombre de pans de la culture japonaise, mais je pense pas être un otaku dans la mesure où je suis vachement content de ne pas

99 Entretien avec Jonathan Pavius.

Page 99: Le phénomène otaku en france

99

être Japonais …euh… et qu’il y a énormément de choses au Japon qui me révulsent …euh… dans la gestion des rapports entre les individus …euh… dans la manière dont ça peut se passer dans une société …euh… que ça soit au sens sociologique ou au sens corporatiste…euh… voilà. Donc, je … je ne suis pas frustré d’être né en France, je ne suis pas …euh… fasciné par le Japon dans sa totalité. »100

Pour Grégoire Hellot en revanche, la réponse est tranchée. Otaku ?

« A la française, oui. A la Japonaise, non. Je ne suis jamais chez moi. »101

1.3. Etre otaku au sens japonais

De tous les otaku que nous avons pu rencontrer,

« Mitsubachi » est la seule personne qui dise avoir été à une

période de sa vie otaku au sens japonais. Ayant délaissé l’univers

des animes pour celui des jeux vidéos, elle se considère aujourd’hui

comme no life. L’entretien avec elle, bien que virtuel, s’est avéré fort

difficile en ce que notre interlocutrice ne pouvait s’empêcher de

jouer à un MMORPG en même temps qu’elle discutait. Elle nous a

toutefois livré sa vision de l’otakisme :

« La définition du mot Otaku se résume à quelqu'un qui 'na aucune vie sociale, un cafard de la société, je dirai qui ne vit que dans son propre monde. Il est insatisfait de la société actuelle (qui la rejette) et donc, il se créé un monde utopique rien que pour lui, un abris, un havre de paix ... Moi, j'étais comme ça, avant, mon monde était els mangas ainsi que l'univers que je 'métais créé autour d'eux, plus rien ne comptait ... j'étais

100 Entretien avec Sébastien Moricard. 101 Entretien avec Grégoire Hellot.

Page 100: Le phénomène otaku en france

100

comme ça sans doute parce que j'étais une ado frustré par la vie, en crise et tout, mais maintenant que 'jai laché les mangas, je me sens mieux dans ma peau. »102

Lors d’une conversation que nous avons eu via MSN

Messenger, « Mitsubachi » nous a expliqué les raisons qui l’ont

poussées à tout miser sur le Japon :

« Je trouvais que les mangas n'étaient pas que des dessins animés pr gamins et qu'ils pouvaient véhiculer des visions du monde, des valeurs, des thèmes et tout, exactement comme pleins de film live (...) je me souviens que 'jaimais le japon et je considérais ce pays comme un pays pas nul, ou du moins égal aux autres pays, concernant la cinématographie et tout / ms que la france ne diffusait que els films ricains et ne promouvait que les animes disney / ça 'ma poussé à devenir otaku et à défendre, en qq sorte ce pays / j'étais une véritable supportrice du japon (...) j'étais à 'lécart de suatres gens normaux qui s'amusait en sortant en boite ou en achetant un cd shakira / moi, je donnais tt ds le japon (...) je m'étais dit que 'jallais devenir mangaka et faire véhiculer mes visions du monde. » - Tu dis que tu t'éloignais des gens normaux. Parce que tu estimes qu'être otaku, ce n'est pas être comme tout le monde ? « voilà / etre otaku c'est etre un cas social / une personne frustrée et mal ds sa peau qui se créer un univers pr s'y réfugier, pr y survivre, pr y rever. »103

2- LES ZONES FLOUES DE L’OTAKISME

2.1. A la lisière de l’otaku français et japonais

102 Entretien avec « Mitsubachi » par e-mail. 103 Entretien avec « Mitsubachi » via MSN Messenger.

Page 101: Le phénomène otaku en france

101

Il reste à préciser que la différence entre otaku français et

japonais n’est pas toujours aussi nette. De toutes les rencontres

que nous avons pu faire au cours de notre étude, c’est

certainement en la personne de Claude Mathy que s’est le plus

reflétée la difficulté d’opérer un distinguo entre les deux catégories.

Celui-ci, qui se présentait comme un otaku français, manifestait par

diverses attitudes les symptômes que l’on pourrait attribuer à

l’otaku japonais : regard fuyant, hésitations, bégayements. A

chaque fois que nous évoquions des questions directement liées à

sa vie personnelle, notre interlocuteur se rétractait derrière

l’ordinateur de son bureau et perdait tous ses moyens :

- Du fait de ta passion, tes amis te voient-ils comme un otaku ? « Ben ... (soupir) ... il faut faire ... il y a plusieurs degrés d’otakisme. Mais ...euh... je sais encore sortir, j’ai encore une vie ...euh... j’ai encore une ... une ... une vie ...euh...» - Sociale ... « ... une vie sociale, donc ...euh... (silence) ... il faut faire attention à ce que ça ne devienne pas une drogue. Il faut arriver à ...euh... à mêler tout, à mêler ta vie ...euh... sociale, ta vie professionnelle ...euh... te ... te ... tes contacts, tes connaissances. Tu ... tu ne peux pas t’enfermer uniquement ...euh... là-dedans. » - En définitive, tu ne te considères pas vraiment comme otaku ... « Euh... si. Parce que ...euh... il faut reconnaître ...euh... (il semble vouloir se justifier) ... mais je n’ai pas que cette passion-là. J’ai aussi ...euh... j’ai d’autres passions. Mais celle-là, je la vis pleinement et ...euh... mais je sais me mettre les barrières, et je sais ...euh... me déconnecter quand il faut. Maintenant, il n’y a rien à faire, ...euh... à partir du moment où tu rentres dans cette grande famille-là ...euh... sur Internet ou ...euh... ou entre amis ...euh... ben ... te ... ta ... ta vie ... ta vie sociale

Page 102: Le phénomène otaku en france

102

aussi est baignée dedans et ...euh... rien à faire, même si ...euh... je suis avec des amis qui n’y connaissent rien, ben ...euh... je leur parle ...euh... je leur fais découvrir un peu ... je leur fais un peu découvrir mon univers, donc ... oui, j’ai une vie sur le côté, mais elle est quand même ...euh... elle est quand même entachée par ...euh... par ma passion ... »104

On remarquera au passage l’utilisation du terme « entaché »,

peut-être l’expression d’une certaine insatisfaction dans la vie

réelle.

2.2. De l’otakisme caricatural

Une dernière précision à apporter concerne la vision déformée

que beaucoup ont de l’otakisme nippon et qui donne souvent lieu

à des réductions caricaturales. L’otaku japonais devient alors tout

simplement un être incapable de communiquer. Sur ce point,

Etienne Barral tient à recadrer la situation :

« Ils [les otaku japonais] sont loin d'etre replies uniquement sur leur chambre, ce sont les plus fervents utilisateurs des reseaux (BBS autrefois, internet desormais, ce qui leur permet de rester en contact, depuis leur "bulle" avec les interlocuteurs qu'ils se choisissent, leurs pairs... »105

2.3. L’otakisme, débat des forums

En clôture de ce mémoire, nous aimerions rendre compte de

l’intérêt que portent certains jeunes se revendiquant otaku (au sens

français) pour leur homologues (bien différents) japonais. Voici

104 Entretien avec Claude Mathy. 105 Entretien avec Etienne Barral poursuivi par voie informatique.

Page 103: Le phénomène otaku en france

103

donc la retranscription d’une conversation tenue entre quelques

otaku dans un forum de discussion ayant pour thème

« l’otakisme ».

« Comme vous devriez le savoir "Otaku" est un terme japonais pour désigner "le fan" (si je ne me trompe). En France il est souvent utilisé version péjorative, comme si c'était une tare humaine d'être fan. Moi je suis un vrai Otaku, j'ai des figurines de Naruto. Keneda »

« Otaku es bien plus péjoratif que tu ne le croît / un otaku est enfermé dans son monde / si tu as vus midori days, dans le magasin de figurines, c'est ça un otaku pur et dur /bien sur il s'agit du japon, ici on peut dre [dire] otaku pour un passione, ou un fan qui collectionne à fond / moi j'ai des figurines, lamu, arumi, one piece, dragon ball je collectionne les wallpapers [papiers peints pour fond d’écran], j'en est des centaines en stock, les éditions collectors et BO / donc on peut dire ausi que je suis un otaku. roikku »

« Pour revenir à otaku, on donne la même image négative que geek / geek, c'est un manaque [maniaque] des nouvelles technologies, ou des trucs qui servent à rien , mais qui font bien à leurs yeux gnre [genre] chaussons chauffants à brancher le port usb du pc ou encore, la cafetière, toujour sur usb / ça doit être des gros consommateurs d'alimentation (électrique). roikku »

« Moi je pense pas rentré dans cette catégorie : mince je voulais en etre. gavin412 »

« C'est le même genre que les accros du cinéma / une fois sortis de la salle, il regardais de vieux films cloitrés chez eux il mangais des trucs riches en fibres pour ne pas perdre de temps aux toilettes / ça fait peur / vivre sa passion à fond d'accord, mais y'a des limites. roikku » 106

106 www.animeland.com/forumotaku.html

Page 104: Le phénomène otaku en france

104

Conclusion

En définitive, nous constatons que, même si la vague asiatique

a permis l’importation de l’otakisme en France, celui-ci se décline

différemment qu’au Japon. Dans le cas français, l’otakisme désigne

l’engouement de jeunes français pour la japanimation et la culture

japonaise en général ; dans le cas japonais, il rend compte de

l’attitude de jeunes japonais qui s’autoexcluent de la société en se

réfugiant dans la bulle virtuelle qu’ils se sont constituée. Par

ailleurs, on réalise une différence fondamentale dans les

fondements mêmes des sociétés française et japonaise. La

première accorde une grande liberté à l’individu, le rendant

relativement autonome et, par là, peu dépendant de la collectivité.

La seconde au contraire fonde ses préceptes sur la vie collective.

Dès lors, dans la conception japonaise, se faire exclure du groupe

équivaut au châtiment suprême, la vie n’étant pas possible sans les

autres.

En s’excluant de la société, les otaku japonais cherchent à se

défaire de l’aliénation forcée qu’impose la vie de groupe. Faute

d’être différent, ils se sont vu blâmés par la collectivité. Mais plutôt

que de tenter de regagner leur estime, ils choisissent de se réfugier

dans un monde moins sévère, celui du divertissement.

Page 105: Le phénomène otaku en france

105

Rares sont les otaku français qui présentent les mêmes

caractéristiques que leurs homologues japonais. Au contraire,

l’otaku français a plutôt tendance à chercher la vie en

communauté, tout particulièrement lorsqu’elle lui permet de

s’alimenter en produits japonais dont il est perpétuellement en

quête.

A côté de cela, certains individus français, qui n’éprouvent pas

nécessairement de sensibilité vis-à-vis des produits japonais, ont

une conduite qui permet de les comparer aux otaku japonais. Les

no life n’ont de vie que pour les jeux vidéos. Fuyant les réalités de la

vie quotidienne à travers un monde fictif, ils trouvent souvent une

seconde vie dans les jeux en réseaux multijoueurs.

Peut-être les no life sont-ils les futurs otaku japonais de notre

civilisation.

Page 106: Le phénomène otaku en france

106

Page 107: Le phénomène otaku en france

107

Page 108: Le phénomène otaku en france

108

Bibliographie

Ouvrages :

AYANORI O., Histoire du Japon : l’économie et la population, Presses

Universitaires de France, Paris, 1959.

Sous la direction de LUCAS N. et SAKAI C., Japon Pluriel 4,

Philippe Picquier, Aubenas, 2000.

MIYAMOTO M., Japon, société camisole de force, Picquier et protière,

Gémenos, 2001.

MOREAU M., L’économie du Japon, Presses Universitaires de

France, Paris, Que sais-je, 1959.

REISCHAUER E., Histoire du Japon et des Japonais de 1945 à 1970,

Seuil, Paris,1997.

SABOURET J-F, Japon, peuple et civilisation, La découverte, Paris,

2004.

SABOURET J-F, L’Etat du Japon et de ses habitants, La Découverte,

Paris 1988.

Page 109: Le phénomène otaku en france

109

VIE M., Le Japon et le monde au vingtième siècle, Masson histoire, Paris,

1995.

Articles de journaux

Beuve-Méry A., Le monde des livres, in Le Monde, vendredi 4 août

2006.

Brafman N., Engloutis dans un monde virtuel, in Le Monde, jeudi 11

mai 2006, p. 3.

Brafman N., Fraissard G., Un match très disputé, in Le Monde, jeudi

11 mai 2006, p. 3.

de Mallevoüe D., La psychiatrie de plus en plus confrontée à la

« cyberaddiction », in Le Figaro, samedi 25 et dimanche 26 février

2006, p. 15.

Sotinel T., Le destin de l’anime japonais, in Le Monde, lundi 7 août

2006, p. 16.

Sotinel T.,Wecker N., Mangas : « Goldorak », vers l’âge adulte, in Le

Monde, jeudi 6 juillet 2006, p. 19.

Page 110: Le phénomène otaku en france

110

Vincent C., Drogués aux jeux virtuels, in Le Monde, mercredi 3 mai

2006, p. 7.

Magazines

« Première », août 2006 N° 354.

Sites Internet http://membres.lycos.fr/cinemajaponais/DA.jap.80.html http://www.gametronik.com/site/ClubDo.html http://www.youtube.com/watch?v=TChVcm8fLcc&search=iidx%20LISU http://www.youtube.com/watch?v=E-TFd3eN70o&search=DDR%20yasu http://www.cosplayfactory.org http://www.animeland.com/forumotaku.html

Page 111: Le phénomène otaku en france

111

Page 112: Le phénomène otaku en france

112

INTRODUCTION .............................................................. 8

PARTIE I : L’OTAKISME AU JAPON

1- DESCRIPTION DU PHENOMENE OTAKU .............10

1.1. Etymologie du terme ...............................................10

1.2. Origine du phénomène ............................................11

2- JAPON : L’ENVERS DE L’ESSOR ...............................15

2.1. De la privation à la surabondance ............................15

2.1.1. La phase d’industrialisation ..............................15

2.1.2. La réorientation industrielle .............................16

2.1.3. L’impasse du consumérisme ............................18

2.2. Un système éducatif en crise ....................................19

2.2.1. La mentalité collective .....................................20

2.2.2. Elitisme et compétition scolaire .......................23

2.2.3. Les Juku et Yobikô ..........................................26

2.2.4. Le phénomène des brimades ...........................27

2.3. Dissolution de la cellule familiale .............................31

2.3.1. L’absence du père ............................................31

2.3.2. La relation fusionnelle mère-enfant .................33

3- L’IMAGINAIRE : ZONE REFUGE ..............................34

3.1. Entre dure réalité et fiction animée ..........................35

3.2. Le Comiket : refuge des otaku ..................................40

PARTIE II : L’OTAKISME EN FRANCE

1- LA VAGUE ASIATIQUE ..............................................44

1.1. Le festival Japan Expo .............................................45

1.1.1. L’art du cosplay ...............................................46

Page 113: Le phénomène otaku en france

113

1.1.2. Les jeux musicaux ...........................................52

1.1.3. Mangas, animes et jeux d’arcade .......................57

1.2. Japan Expo : un refuge pour otaku ? ........................59

1.2.1. Dimension commerciale ..................................59

1.2.2. Et les otaku ? ...................................................62

2- AUX ORIGINES DE LA JAPANIMATION .................64

2.1. Les animes du Club Dorothée .................................65

2.1.1. L’apogée de l’animation (1985-1990) ...............65

2.1.2. Protestations et suppressions (1990-1993) .......67

2.1.3. Développement de marché parallèle (1993-) ....69

2.1.4. Hypothèses interprétatives ..............................73

2.2. La folie arcade .........................................................75

2.2.1. Brève histoire du jeu vidéo ..............................75

2.2.2. L’addiction au jeu ............................................77

2.2.3. Traitement de la cyberaddiction .......................81

2.2.4. Hypothèses interprétatives ..............................83

2.3. Le phénomène de la mangalisation ...........................86

2.3.1. Mangas : la révolution silencieuse ....................86

2.3.2. La guerre des licences ......................................88

2.3.3. Hypothèses interprétatives ..............................89

PARTIE III : ANALYSE COMPARATIVE

1- OTAKISME FRANÇAIS : DERIVE JAPONAISE ? .....93

1.1. Comparaison entre otaku français et japonais ...........93

1.2. Etre otaku au sens français .......................................98

1.3. Etre otaku au sens japonais ......................................99

Page 114: Le phénomène otaku en france

114

2- LES ZONES FLOUES DE L’OTAKISME ................. 100

2.1. A la lisière entre otaku français et japonais ............ 100

2.2. De l’otakisme caricatural ....................................... 102

2.3. L’otakisme, débat des forums ................................ 102

CONCLUSION ................................................................. 104

BIBLIOGRAPHIE ............................................................ 108

Page 115: Le phénomène otaku en france

115

Page 116: Le phénomène otaku en france

116

Achevé d’imprimer en Europe (Belgique)

par Warehouse Editions – 1210 Saint-Josse le 17 février 2012.

Dépôt légal février 2012. ISBN 2-290-31205-3

Warehouse Editions 75, rue des Deux Tours, 1210 Saint-Josse

Diffusion Belgique

Page 117: Le phénomène otaku en france

117

Ils écoutent de la J-pop, vénèrent les mangakas,

tentent d’exploser leur score en dansant sur des jeux

musicaux. Ils peuvent passer 400 heures à confec-

tionner un costume de héros de manga qu’ils ne

porteront qu’une journée. La plupart se disent otaku.

Détrompez-vous, ils ne sont pas japonais. Ce sont des

français, férus de japanimation, capables de se

rassembler par millier à la Japan Expo de Paris, le plus

grand festival européen des loisirs asiatiques, pour

venir y tester en freeplay les dernières nouveautés sur

les bornes d’arcades.

Dans ce cas, quel rapport avec ces jeunes japonais qui

eux aussi se revendiquent otaku mais vivent coupés du

monde, trouvant refuge dans un monde parallèle fait

de poupées, de fanzines et de mangas ? Peut-on parler

d’otakisme en France au même titre qu’au Japon ?

C’est à ces questions que ce livre tente de répondre.

Illu

stra

tio

n d

e co

uve

rtu

re :

Javi

er B

ord

on

Newton Pham Dang a travaillé comme journaliste au journal télévisé de la RTBF en Belgique. Il a notamment été distingué d’un 1er prix de journalisme pour une enquête sur le phénomène lolita publiée dans le quotidien belge Le Soir.

30/9709/4 Code prix LP 8

Dépôt légal Impr. 2972B-5 Édit. 5302 1/2012