Le management management

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Henry MINTZBERG Henry MINTZBERG Le management Voyage au centre des organisations

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« J’ai écrit ce livre

en pensant qu’il existait

un réel besoin d’une

meilleure compréhension

des organisations, et ce,

autant dans la société

prise dans son ensemble,

que parmi les managers qui

essayent de faire fonctionner

ces organisations. »

Henry MINTZBERG

Un incontournable du management, accessible à tous en version poche.

Ce livre présente l’essentiel des travaux de Mintzberg, l’un des plus grands spécialistes mondiaux des organisations. Destiné aux étudiants comme aux professionnels, il donne une vue complète du management.

format 125 x 190 mm - dos 40,5 mm

Henry MINTZBERGH

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Le m

anag

emen

t

Henry MINTZBERG, Ph.D. (MIT), ingénieur (McGill), est professeur de management à l’université McGill de Montréal. Il est l’auteur de nombreux livres de référence, dont Le manager au quotidien, Structure et dynamique des organisations et Le pouvoir dans les organisations.

Voyage au centre des organisations

Henry MINTZBERG

Code

édi

teur

: G53

093

ISBN

: 97

8-2-

7081

-309

3-7

-:HSMHKI=VXU^X\:

13,50 €

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« J’ai écrit ce livre

en pensant qu’il existait

un réel besoin d’une

meilleure compréhension

des organisations, et ce,

autant dans la société

prise dans son ensemble,

que parmi les managers qui

essayent de faire fonctionner

ces organisations. »

Henry MINTZBERG

Un incontournable du management, accessible à tous en version poche.

Ce livre présente l’essentiel des travaux de Mintzberg, l’un des plus grands spécialistes mondiaux des organisations. Destiné aux étudiants comme aux professionnels, il donne une vue complète du management.

format 125 x 190 mm - dos 40,5 mm

Henry MINTZBERG

Henry

MIN

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G

Lemanagement

Le m

anag

emen

tHenry MINTZBERG, Ph.D. (MIT), ingénieur (McGill), est professeur de management à l’université McGill de Montréal. Il est l’auteur de nombreux livres de référence, dont Le manager au quotidien, Structure et dynamique des organisations et Le pouvoir dans les organisations.

Voyage au centre des organisations

Henry MINTZBERG

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LE MANAGEMENT Voyage au centre des organisations

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Éditions d’Organisation1, rue Thénard

75240 Paris Cedex 05www.editions-organisation.com

DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR

Le manager au quotidien : les 10 rôles du cadreStructure et dynamique des organisations

Le pouvoir dans les organisations

Traduit de : Henry MINTZBERG, Mintzberg on Management.Inside Our Strange World of Organizations, New York, 1989.

© Henry Mintzberg, 1989

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou

partiellement le présent ouvrage, sur quelque sup-port que ce soit, sans autorisation de l’Éditeur ou du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

© Éditions d’Organisation, 1990, pour l’édition originale.© Éditions d’Organisation, 1998, 2004 pour la présente édition.

ISBN : 978-2-708-13093-7

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H

ENRY

M

INTZBERG

LE MANAGEMENT

Voyage au centre des organisations

Traduit par Jean-Michel Behar et révisé par Nathalie Tremblay

Deuxième édition revue et corrigée

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Ce livre s’adresse à tous ceux qui passent leur vie professionnelle dans les organisations,

et leur vie privée à tenter de s’en échapper.

Il est dédié à la mémoire de Jim Waters, qui consacra toute sa carrière

à rendre ces organisations plus humaines.

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Table des matières

R

EMERCIEMENTS

.................................................................. 9

N

OTRE

MONDE

FAIT D

ORGANISATIONS

................................. 11

I

re

PARTIE

À PROPOS DU MANAGEMENT

17

Chapitre 1 –

L

A

PROFESSION

DE

MANAGER

....................... 21

Chapitre 2 –

L

A

STRATÉGIE

DE

L

ARTISAN

......................... 55

Chapitre 3 –

H

ÉMISPHÈRE

GAUCHE

ET PLANIFICATION

,

HÉMISPHÈRE DROIT

ET MANAGEMENT

........... 87

Chapitre 4 –

C

OUPLER

ANALYSE

ET

INTUITION

DANS

LE

MANAGEMENT

............................... 111

Chapitre 5 –

F

ORMER

DES

MANAGERS

ET NON DES

DIPLÔMÉS

DE

MBA ................. 151

II

e

PARTIE

À PROPOS DES ORGANISATIONS

175

Chapitre 6 –

L

ES

CONFIGURATIONS

DÉRIVÉES

................. 179

Chapitre 7 –

L’

ORGANISATION

ENTREPRENEURIALE

......... 213

Chapitre 8 –

L’

ORGANISATION

MÉCANISTE

..................... 237

Chapitre 9 –

L’

ORGANISATION

DIVISIONNALISÉE

............. 275

Chapitre 10 –

L’

ORGANISATION

PROFESSIONNELLE

............ 309

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8 LE MANAGEMENT

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Chapitre 11 –

L’

ORGANISATION

INNOVATRICE

.................. 347

Chapitre 12 –

L’

IDÉOLOGIE

ET

L

ORGANISATION

MISSIONNAIRE

........................................... 389

Chapitre 13 –

L

ES

SYSTÈMES

POLITIQUES

ET L

ORGANISATION

POLITIQUE

.................. 415

Chapitre 14 –

A

U-DELÀ

DES

CONFIGURATIONS

.................. 447

III

e

PARTIE

À PROPOS DE NOTRE SOCIÉTÉ FAITE D’ORGANISATIONS

535

Chapitre 15 –

Q

UI

DEVRAIT

CONTRÔLER

LES GRANDES ENTREPRISES

? ....................... 537

Chapitre 16 –

R

EMARQUE

SUR UN BIEN VILAIN MOT

: «

EFFICIENCE

» .......................................... 589

Chapitre 17 –

U

NE SOCIÉTÉ DEVENUE INGÉRABLE, COMME RÉSULTAT DU MANAGEMENT ........... 597

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Remerciements

Il est de tradition de remercier tous ceux qui ontapporté une contribution significative à la réalisationd’un livre. Mais, comme une grande partie de ce livrereprend bon nombre de mes écrits précédents, où j’aidéjà remercié ceux qui m’avaient apporté cette contribu-tion, je ne repéterai pas ici mes remerciements en ce quiles concerne. Ils étaient des plus sincères à l’époque et iln’y a aucune raison pour que cela change. Mais, ce que jevoudrais faire, ici, c’est présenter ces remerciements àune seule personne, même s’il est bien évident que je nevoudrais, pour rien au monde, passer sous silence lesrôles de mes collègues Danny Miller et Frances Westley,qui m’aidèrent de bien des façons dans mes réflexions ;Jim Walters, un ami extraordinaire dont la contributionimplicite à ce livre dépasse largement le cadre des remer-ciements formalisés que l’on trouve au texte, et qui nousmanque à tous si profondément ; celui de mon éditeurBod Wallace, qui fit preuve d’une tolérance remarquable ;de mes « fonctionnels de support logistique » KateMaguire-Devlin et Zinette Khan, qui déchiffrèrent, avecgrâce, mes horribles gribouillages ; et celui de mes deuxdoyens, Morty Yalovsky et Wally Crowston qui mirent àma disposition toutes les autres formes de support logis-tique que je pouvais souhaiter.

Bill Litwack est cette personne. Il incarne le mot empa-thie. Non l’empathie des psychologues de boulevard, caril est rude et caustique, du moins pour ses vrais amis. Maisil sait les comprendre et répondre à leur véritable attente,sans parler pour autant, de celle, qui peut naître chezceux qui écrivent des livres.

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En 1968, Billy à l’âge, pas si tendre que cela, de vingtans, m’aida à mettre au point ma thèse de doctorat. Ce futune expérience atroce. Mais j’appris à écrire. Dans lesvingt années qui suivirent, soit j’ai oublié la leçon, soit il achangé ses critères. J’ai certainement oublié combienl’expérience avait été atroce. Dans tous les cas, aprèsnotre seconde expérience de rédaction commune, j’aisurvécu, Billy a survécu, le livre a survécu et beaucoupplus important : notre amitié a survécu. Billy « étaitdevenu » le livre pendant quelques mois d’une extrêmeintensité, fouillant à l’intérieur de ma tête et me rendantpresque fou à certains moments (dans le genre : « C’esthypocrisie qui s’écrit ici “hypo-cratie” “hippo-cratie” »)jusqu’à ce que je mette en ordre (du moins, c’est ce quej’espère avoir fait) un ensemble de publications pour réa-liser le livre que je voulais. Je vous remercie de cela Bill,mais pas seulement de cela.

C’est le moment où l’auteur est supposé ajouter ici,comme si quelqu’un en doutait, que malgré toutes lescontributions merveilleuses dont il a bénéficié, il reste leseul responsable de ce qui va suivre. En aucune façon. (Netouchez pas à cela Billy !). Je peux ne pas avoir pris son« avis » pour certains passages, avoir fait des changementsau dernier moment sans lui laisser la possibilité même deles voir, mais partout ailleurs Litwack est totalement fautifdes erreurs ou des insuffisances qui ont pu rester dans celivre. Et nous, voici, repartis pour une nouvelle période devingt ans de paix.

LAC CASTOR

Janvier 1989

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Notre monde fait d’organisations

Notre monde est devenu, pour le meilleur et pour lepire, une société faite d’organisations. Nous sommes nésdans le cadre d’organisations et ce sont encore des orga-nisations qui ont veillé à notre éducation de façon à ceque plus tard, nous puissions travailler dans des organi-sations. Dans le même temps les organisations ont prisen charge nos besoins et nos loisirs. Elles nous gouver-nent et nous tourmentent (et, par moment, les deux à lafois). Et, notre dernière heure venue, ce seront encoredes organisations qui s’occuperont de nos funérailles. Etpourtant, à l’exception d’un petit groupe constitué dechercheurs (auxquels on donne le nom de « théoriciensdes organisations ») qui les étudient et, de quelques raresmanagers qui sentent le besoin de saisir plus profondé-ment l’objet même de leur management, bien peucomprennent réellement ces « animaux étranges », denature collective, qui exercent une si grande influencesur notre vie de tous les jours.

Si vous voulez vous renseigner sur votre propre psy-ché, il vous suffira de vous rendre dans n’importe quellelibrairie et de faire votre choix parmi les dizaines de livresqui traitent de la façon dont votre esprit, votre corps ouvotre comportement est censé fonctionner. Mais, si c’estvotre organisation que vous désirez mieux comprendre, ilvous faudra, alors, trouver une librairie universitaire et là,vous aurez à patauger dans les théories très denses de grosouvrages à vocation scientifique, à moins que vous nejetiez votre dévolu sur un recueil de textes qui rassembleces théories, bien soigneusement – et, probablementaussi, de façon bien simpliste.

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Du moins, c’est ce que vous trouverez sur les rayonna-ges consacrés au management, dans cette librairie. Parceque sur les autres, ceux qui sont attribués à des disciplinesplus anciennes, plus traditionnelles, vous trouverez desouvrages qui ne font qu’allusion aux organisations. EnSciences Économiques, l’organisation est reçue sous laforme d’une entité « rationnelle », mais pour le reste, mys-térieuse, qui agit, on ne sait trop comment, uniquementpour maximiser son profit. Personnellement, je neconnais pas une seule organisation qui ressemble à cela.La Psychologie nous fournit des enseignements sur lecomportement des individus ou des petits groupes qui setrouvent au sein des organisations, mais elle ne nousapprend rien en ce qui concerne le comportement desorganisations elles-mêmes. Les Sciences Politiques, quantà elles, considèrent une catégorie d’organisation trèsimportante : l’État ; mais plus sous l’aspect d’un systèmeélectoral ou politique que sous celui d’un réseau d’organi-sations significatif. La Sociologie et l’Anthropologie s’atta-chent, bien évidemment, à l’étude des comportementshumains collectifs, mais, généralement, en termes desociété informelle, dans son cadre le plus large, plutôtqu’à celle des organisations formalisées de taille plusmodeste.

La théorie des organisations utilise toutes ces discipli-nes, mais elle leur ajoute un concept fondamental, celuide « l’organisation en elle-même ». Pour moi, l’organisa-tion se définit comme une action collective à la poursuitede la réalisation d’une mission commune ; une bien drôlede façon de dire, qu’un groupe d’hommes s’est rassemblé,sous une bannière distinctive (que ce soit « GeneralMotors » ou « Chez Dupont ») pour réaliser certains pro-duits ou services.

J’ai écrit ce livre en pensant qu’il existait un réelbesoin d’une meilleure compréhension des organisationset ce autant dans la société, prise dans son ensemble, que

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parmi les managers qui essayent de faire fonctionner cesorganisations (et, qui sont souvent, aussi perplexes, que laplupart d’entre nous, devant l’étrange comportement deces dernières). À chaque fois, que j’ai eu à discuter desorganisations avec des personnes, d’horizons très divers –y compris des professionnels établis à leur compte, desménagères ou encore d’autres catégories ayant relative-ment peu de contact avec le « fait organisationnel » – j’ai ététrès surpris de leur intérêt pour le sujet.

L’un raconte une expérience curieuse dans un hôpital,l’autre un incident sur un avion ou chez un concession-naire automobile. Nous avons tous désespérement besoind’appréhender ces « étranges animaux » qui ont tant deconséquences sur nous. La compréhension conceptuellefondamentale est là ; le seul problème c’est que jusqu’àmaintenant, elle n’était pas facilement accessible.

Ce livre présente l’essentiel de mes travaux sur lesorganisations de ces vingt dernières années. Il ne contientpas seulement mes propres idées sur le sujet, car un cer-tain nombre de mes recherches se sont proposées de fairela synthèse de celles d’autres auteurs, en particulier en cequi concerne les travaux fondés sur la recherche systéma-tique. Au fil des ans, j’ai étudié la façon dont les managerstravaillaient ; celle dont les organisations fonctionnaient,prenaient leurs décisions, élaboraient leurs stratégies et sestructuraient d’elles-mêmes ; mais aussi comment les rela-tions liées au pouvoir entouraient puis pénétraient lesorganisations ; ainsi que la façon dont les sociétés enten-daient se comporter avec leurs organisations.

Je présente donc ici une série de textes de réflexion,extraits de différentes parties de mes écrits et qui meparaissent le mieux correspondre à un exposé d’intérêtgénéral sur les organisations. Certains de ces travaux ontété, à leur origine, publiés dans les plus grands titres de lapresse économique, alors que d’autres n’ont connuqu’une diffusion limitée, à travers des revues universitaires

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plus confidentielles. J’ai essayé d’inclure ici, en les adap-tant, pour une lecture plus facile, ces travaux, que jeconsidère du plus grand intérêt. J’avais d’abord eu l’inten-tion de tous les rassembler tels quels, mais j’ai fini par lesrécrire et même, dans plusieurs cas, à les écrire dans unenouvelle version, (cela représente environ plus de la moi-tié de ce que l’on trouvera ici). C’est pourquoi, ce livre aété conçu dans l’espoir d’élargir l’audience de ces idéesaussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la communautédu management. Si cela vous chante, vous pourrez direqu’il y a là une « vulgarisation de la théorie desorganisations » à condition, toutefois, que l’on nesous-entende pas que j’aurais, de quelque façon que cesoit, essayé de banaliser les activités complexes d’uneorganisation.

J’ai divisé ce livre de réflexion en trois parties. La pre-mière est consacrée au management, c’est-à-dire à cesprocessus par lesquels ceux qui ont la responsabilité for-melle de tout ou partie de l’organisation, essayent de ladiriger ou, du moins, de la guider dans ses activités. Laseconde partie s’attachera aux formes des organisations,dans une approche un peu comparable à celle du biolo-giste lorsqu’il considère différentes espèces dans lanature. Je crois que notre plus grande erreur, dans notreapproche des organisations – que nous avons commise àtravers tout ce siècle et que nous continuons à commettretous les jours – est de prétendre qu’il n’existe qu’« uneseule bonne façon » pour gérer chaque organisation. Cequi est bon pour « General Motors » est souvent un poisonviolent pour la boutique « Chez Dupont ». Il n’y a pas plusde raisons de vouloir traiter toutes les organisations defaçon semblable que pour un ophtalmologiste de pres-crire à tous ses patients une même paire de lunettes. Latroisième partie sera consacrée à notre société faited’organisations, de quelle façon nous cherchons à exer-cer une influence sur les organisations et comment, à leur

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tour, ces dernières exercent une influence sur nous aupoint de rendre nos vies à la fois plus heureuses et plusmisérables.

Lisez ce qui va suivre à votre guise ; vous êtes libre dechoisir de le feuilleter ou de l’étudier suivant vos proprescentres d’intérêt. Quoique que vous décidiez, pensez uninstant à votre propre entreprise, à votre garagiste ou àvotre concessionnaire automobile, à l’hôpital où vousvous êtes fait soigner et à l’école qui vous a rendu miséra-ble, à la compagnie aérienne que vous utilisez, à l’associa-tion qui se bat pour que les animaux soient vêtus ou àcelle qui œuvre pour la promotion du pop-corn. Les orga-nisations assurent la satisfaction de nos besoins et ellesnous exploitent, elles nous entretiennent et elles noustourmentent. Certes, nous pouvons toujours leur échap-per… pour un moment ; il y en a même certains, parminous, qui ont réussi à vivre relativement indépendam-ment de celles-ci. Mais, la plupart d’entre nous doivent serésigner à consacrer une grande partie de leur vie publi-que et de leur vie privée aux organisations. C’est pour-quoi nous avons tous besoin de mieux les comprendre.

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Ire PARTIE

À propos du management

On pourrait dire que, d’une certaine façon, le ving-tième siècle sera le siècle du « Management ». Il est certainque le monde, ayant atteint le stade de développementéconomique le plus élevé de l’histoire de l’humanité, nepouvait qu’être séduit par les procédures de gestion quiont marqué ce siècle. Henri Fayol1, célèbre industriel fran-çais, spécialiste de l’économie industrielle, a sans douteété le premier à exprimer les principes du management,mais c’est réellement la vague des experts américains, deFrederick Taylor en passant par Peter Drucker et HerbertSimon, entre autres, qui a créé et renforcé l’engouementque l’Amérique connaît depuis lors pour ses managers etleurs procédures de gestion.

Cela explique certainement les raisons du choc provo-qué par le récent défi japonais lancé à l’industrie améri-caine. Car, voici un peuple, d’une culture très différente,qui a réussi à battre l’Amérique à son propre jeu, le jeu dumanagement. Certes, ce n’est pas la première fois quecela se produit. L’Europe de l’Ouest fut la première maisen aucun cas de façon aussi magistrale (Volkswagen avaitbien embarrassé les trois Grands de Detroit avant mêmeque Toyota n’existât). Il n’y a pas très longtemps Jean-Jac-ques Servan-Schreiber écrivait Le Défi américain où ilexposait que le succès de l’Amérique, dans le domaine

1. N.d.T. Henri Fayol (1841-1925), auteur d’un projet de réorga-nisation hiérarchique des différentes fonctions de l’entrepriseintitulé Administration générale et industrielle (1916).

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18 À PROPOS DU MANAGEMENT

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économique, ne tenait pas tant à ses ressources naturellesou à son avancement technologique qu’à l’attentionqu’elle avait su porter aux questions du management (1)1.Il est certain qu’aujourd’hui les amis de l’Amérique onttellement bien compris cette leçon qu’il leur a été possi-ble d’écrire aisément Le Défi européen et plus tard LeDéfi japonais (même si ces ouvrages ne portaient pasexactement ces titres-là au moment de leur parution).

Il n’y pas eu un tel défi communiste. Mais la gestion estapparue, de la même façon, sous la forme d’une analysecritique des procédures en Europe de l’Est. Car, en vérité,malgré les promesses de déclin de l’État, il n’existe pasd’autres moyens de conduire une société communistesans recourir aux procédures de management. À cetégard, l’Amérique et l’Union soviétique ne diffèrent pastant dans leur obsession du management que dans leurspratiques pour sélectionner les managers les plus impor-tants. On doit donc comprendre que, partout, où il y adéveloppement économique, il y a attention soutenuepour les procédures de management.

Évidemment, les organisations ne se réduisent pas aumanagement, le développement économique non plus.En fait, il doit être possible de soutenir aujourd’hui(comme je le ferai dans la troisième partie de ce livre) quel’approche traditionnelle peut avoir plus de conséquen-ces négatives que positives sur cette croissance économi-que. Mais il n’existe pas d’approche complète duphénomène des organisations sans une prise en compterigoureuse des procédures de management. Et c’est pour-quoi nous consacrerons d’abord notre attention à cepoint, du moins au management tel qu’il semble être réel-lement pratiqué et non sur la façon dont la littérature tra-ditionnelle continue à décrire ce qu’il devrait être.

1. Les numéros entre parenthèses renvoient aux références à lafin de l’ouvrage (p. 669 et suivantes).

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Nous débuterons donc par ce que je crois être ledébut, à savoir la véritable nature du travail du manager,c’est-à-dire, ce que font réellement ceux que l’on nommeles managers (ou de tout autre nom équivalent) dans leursbureaux à longueur de journées. Vous serez peut-être sur-pris de ce que vous lirez – non pas surpris en termes devotre propre expérience mais plutôt à travers ce que l’onest censé savoir du travail du manager par le biais de sesdescriptions dans la littérature spécialisée. Ce premierchapitre aura, pour objectif, d’éclairer cette contradic-tion, très commune et très coûteuse dans les organisa-tions, entre ce qui se passe réellement au niveau dumanagement, et des notions bien vagues qui conduisent,souvent dans une mauvaise direction, sur ce qui est censése passer.

Notre second chapitre continue dans la même veine,mais en s’attachant à un autre aspect du management. Ilprend en compte le processus d’élaboration de la straté-gie. Mais à nouveau, par opposition à la perception tradi-tionnelle des procédures de planification, nous mettronsici, en évidence, une autre approche fondée sur unevision que l’on pourrait qualifier d’« artisanale » de ceprocessus, avec toutes les implications qu’elle peut avoirpour les managers et les organisations.

Ces deux chapitres suggèrent qu’il est en train de sepasser quelque chose au niveau du management, quelquechose qui se situe en dehors des processus « analytiques »et « rationnels », qui furent si longtemps favorisés dans cedomaine. Notre troisième chapitre essaye de mettre enévidence le point suivant : à partir des recherches actuel-les sur les deux hémisphères du cerveau humain, noustenterons de suggérer que dans notre volonté incessantede jeter la lumière de l’analyse sur le management, il sepeut que nous ayons perdu de vue un processus, plus obs-cur mais non moins important, que l’on nomme l’intui-tion. La réflexion qui suit, réalisée spécialement pour ce

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20 À PROPOS DU MANAGEMENT

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livre à partir de différentes sources, va plus en profondeurdans ce sujet, en considérant d’abord le débat fondamen-tal entre l’analyse et l’intuition, puis en proposant diver-ses méthodes à travers lesquelles ces deux processuspeuvent être couplés afin de jouer un rôle plus efficacedans le cadre des organisations complexes.

Le dernier thème de cette partie sur le management,écrite spécialement pour ce livre, tire une conséquenceimportante de cette discussion : à savoir la tendanceactuelle de nos universités de management à former desdiplômés de MBA plutôt que des managers. Je démontre,ici, et j’insiste à nouveau sur ce point dans la conclusionde ce livre, que cela n’est pas sans conséquences dramati-ques sur nos organisations, en minant les bases mêmes deleur efficacité sociale et économique.

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CHAPITRE 1

La profession de manager

Légende et réalité

Lorsque nous pensons organisation, nous pensonsmanagement. Il est certain que l’organisation ne se réduitpas aux managers et aux systèmes de gestion qu’ils ontcréés. Mais ce qui distingue, avant tout, une organisationformelle d’un quelconque rassemblement d’hommes –d’une foule, d’un groupe informel – c’est la présence d’unsystème d’autorité et d’administration, personnifié par unou plusieurs managers dans une hiérarchie plus ou moinsstructurée et dont la tâche est d’unir les efforts de tousdans un but donné.

Ceci étant et en considération du grand engouementque le peuple américain entretient depuis maintenantplus d’un siècle avec l’archétype du manager de HoratioAlger à Lee Iacocca, il est très surprenant de constaterqu’il existe si peu d’études sur ce que le manager fait réel-lement. Comme des milliers d’étudiants de l’époque, j’aipassé un MBA, un diplôme dont le but est ostensiblementde former des managers, sans m’interroger sur le fait quepersonne n’avait jamais étudié de façon valable ce que lemanager faisait concrètement. Imaginez un programmed’études médicales qui ne s’intéresserait pas une seulefois au travail réel du médecin.

Certes, il ne manque pas de travaux sur ce que lesmanagers sont censés faire (par exemple, suivre tout unensemble de prescriptions simples que l’on nomme lagestion du temps ou employer les ordinateurs selon les

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22 À PROPOS DU MANAGEMENT

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recommandations de quelques spécialistes techniquessans aucune responsabilité). Malheureusement, enl’absence d’une compréhension réelle du travail de ges-tionnaire, beaucoup de ces conseils se révélèrent incohé-rents, voire pur gaspillage. Comment qui que ce soitpourrait-il prescrire des changements dans un phéno-mène aussi complexe que le travail de gestionnaire sansen avoir, au préalable, une profonde compréhension ?

Au milieu des années 60, James Webb, qui dirigeait laNASA, eut le désir d’« être étudié ». La NASA avait senti lebesoin de justifier son existence par les retombéesd’applications pratiques de ses recherches (innovations)et Webb comptait ses principes de gestion parmi cesinnovations. Webb s’ouvrit de cette idée avec un de mesprofesseurs de la Sloan School of Management du MIT, etcomme j’étais le seul étudiant en doctorat qui s’était spé-cialisé dans le management (par opposition aux systèmesinformatiques, aux modèles mathématiques ou encoreaux motivations des consommateurs etc.), il me demandad’étudier Webb comme sujet pour ma thèse de doctorat.Je déclinai cette proposition qui m’apparut comme uneidée incohérente. C’était bien sûr le MIT, après tout, lebastion de la science. Mais passer des journées entièresassis dans le bureau d’un important manager, décrivant cequ’il faisait, ne me disait absolument rien. (Quoique, unautre de mes professeurs m’avait dit, quelque temps plustôt, que le but ultime d’une thèse de doctorat du MIT étaitavant tout « l’élégance ». Il ne faisait nullement allusionaux résultats.) De toute façon, j’avais choisi de faire unethèse sur la façon de développer les procédures de pro-grammation stratégique dans le cadre des organisations.Mais par bonheur, et ce ne fut pas la dernière fois dans mavie, des forces extérieures me sauvèrent de moi-même.

Mon projet de thèse échoua par manque d’une seuleorganisation désirant se soumettre à un tel exercice (oupar manque de ténacité dans mes essais pour en trouver

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une). J’assistais, alors, à une conférence au MIT à laquelleétait venu participer un nombre important de personnali-tés pour discuter de l’impact de l’informatique sur lemanager. Ils n’aboutirent à aucune conclusion ; pendantdeux jours, ils tournèrent en rond, à peine effleurèrent-ils,dans leurs discussions, le fait que l’usage de l’informati-que par les managers est fonction de la difficulté à« programmer » (quel que soit le sens que l’on peut sup-poser donner à ce terme) leurs tâches. Je fus frappé de cequ’il manquait à tous ces spécialistes un cadre de penséecohérent pour saisir la réalité du travail du manager. Ils nemanquaient, toutefois, certainement pas d’une connais-sance intrinsèque du phénomène ; ils travaillaient tousavec des managers et bon nombre d’entre eux étaient desmanagers. Mais, ce qui leur manquait, c’était une baseconceptuelle pour appréhender ce sujet.

J’ai appris deux choses à cette conférence. La premièrechose fut que le savoir explicite était très différent du savoirimplicite et que les deux ont des conséquences importan-tes dans la conduite des organisations. La seconde chose futde considérer qu’il existait une nécessité urgente d’uneétude rigoureuse de ce que les managers font réellement,ce qui, même en un lieu comme le MIT, peut constituer lamatière d’une thèse dont le but n’est pas l’élégance de laméthode mais la pertinence du sujet.

Et c’est ainsi que j’ai commencé mes premières recher-ches sur le travail du « manager au quotidien » (ce fut letitre du livre publié à partir de ma thèse). Mais ce ne futpas avec James Webb qui n’était plus disponible à cemoment. Utilisant un chronomètre (dans un style très pro-che de celui de Frederick Taylor lorsqu’il étudiait lesouvriers d’une usine quelques années plus tôt), j’observaiau cours d’une semaine complète les activités de cinqmanagers dirigeants appartenant à : une grande société deconseils, un célèbre hôpital universitaire, une grande uni-versité, une société de technologie de pointe et une

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grande fabrique de biens de consommation. Une semaine,ce n’est pas très long mais je m’intéressais surtout à ladurée et à la nature de leurs travaux plutôt qu’aux déve-loppements ultérieurs des sujets abordés dans le longterme. Ma thèse était achevée en 1968 et le livre en 1973 ;deux ans plus tard la Harvard Business Review publiaitl’article que l’on trouve ici (avec quelques changementsmineurs).

Tout aussi bien dans ses orientations et le ton que j’yadoptais que dans le thème central que j’y traitais, cet arti-cle fut réellement la base de tous mes travaux postérieurs.Le New York Times – 29 octobre 1976 – (1) utilisa à pro-pos de ma description du « travail du manager » les termesde « chaos calculé » ou encore de « désordre contrôlé » . Ilusait également d’une expression que j’en suis venu à pré-férer, à beaucoup d’autres, pour caractériser mestravaux : « la célébration de l’intuition ».

Si vous demandez à des managers ce qu’ils font, ilsvous répondront vraisemblablement qu’ils planifient,organisent, coordonnent et contrôlent. Alors, observonsce qu’ils font. Et personne ne sera surpris de constaterque leurs activités peuvent difficilement être décrites aumoyen des quatre mots ci-dessus.

Quand on les appelle pour leur dire qu’une de leurs usi-nes vient juste d’être détruite par le feu et qu’ils conseillentà leur correspondant d’étudier s’il est possible de mettreen place un arrangement temporaire avec d’autres filialesétrangères pour assurer l’approvisionnement des clients,peut-on dire qu’il y a là planification, organisation, coordi-nation ou contrôle ? Et que penser lorsqu’ils sont en trainde remettre en cadeau, à un employé qui prend sa retraite,une montre en or ? Ou lorsqu’ils assistent à une confé-rence pour y rencontrer d’éventuelles relations d’affaires ?Ou lorsque revenant de ce type de conférence, ils expli-quent, à un de leurs subordonnés, l’idée d’un produit inté-ressant qu’ils y ont glanée à ce moment-là ?

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La réalité nous fait comprendre que les quatre mots-clefs qui ont dominé la gestion depuis qu’Henri Fayol, lespécialiste de l’économie industrielle, les a introduits en1916, n’apportent que bien peu de précisions sur ce quefont réellement les managers. Au mieux, décrivent-ilsquelques vagues objectifs que des managers peuventavoir lorsqu’ils travaillent.

Mon but, ici, est très simple : briser les chaînes quiretenaient le lecteur aux quatre termes fondamentaux deFayol et l’introduire à une vision plus supportable, et queje considère comme plus utile, du travail du manager.Cette vision est fondée sur ma propre étude du travail decinq managers dirigeants, corroborée par un petit nom-bre d’autres travaux sur la façon dont divers managers uti-lisent leur temps.

Dans certains de ces travaux, les managers sont soumisà une observation intensive (« dans leur ombre » est leterme que l’on y trouve employé), dans d’autres, on tientun journal détaillé de leurs activités, et dans un petit nom-bre, on analyse même leurs dossiers. Bien des genres dif-férents de managers sont ainsi étudiés ; les contremaîtres,les directeurs d’usines, les managers de direction géné-rale, les managers commerciaux, les administrateurs decentres hospitaliers, les présidents de grandes sociétés oud’États et même les leaders de gangs des rues. Ces« managers » étaient choisis dans différents pays : USA,Canada, Suède et Grande-Bretagne.

Une synthèse des résultats de ces études donne uneimage intéressante des activités du manager qui est aussiproche de la vision classique de Fayol qu’une œuvrecubiste l’est d’un tableau de la Renaissance. D’une cer-taine façon, on pourrait dire que cette image du managerest totalement évidente pour toute personne qui n’auraitpassé ne serait-ce même qu’une journée dans le bureaud’un manager, que ce soit dans le fauteuil de ce dernier oudans celui du visiteur. Mais dans le même temps, cette

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image peut sembler révolutionnaire, en ce sens qu’ellejette le doute sur la légende que nous avions tous accep-tée sur le travail du gestionnaire.

Je traiterai, en premier lieu, de cette légende qui existeautour du manager et je montrerai les contrastes entrecelle-ci et les résultats de recherches systématiques – lesfaits bruts qui décrivent comment les managers utilisentleur temps. Puis dans un second temps, je présenterai unesynthèse des conclusions de ces recherches en décrivantles dix rôles du manager tels qu’ils semblent le mieuxdépeindre l’essentiel de la profession du manager. Pourconclure, je discuterai un certain nombre des implica-tions de cette synthèse pour ceux qui tentent d’appro-cher une gestion plus efficace.

LÉGENDE ET RÉALITÉ DU TRAVAIL DE GESTIONNAIRE

Il y a quatre idées reçues sur la profession du managerqui ne résistent pas à une analyse soigneuse des faits.

1. LÉGENDE : LE MANAGER EST UN PLANIFICATEUR SYSTÉMATIQUE, RÉFLÉCHI

Cette vision est reçue à une majorité écrasante dansl’opinion mais il n’existe pas un atome d’analyse quiconforte cette thèse.

Réalité : Étude après étude, on a démontré que lesmanagers étaient soumis à un rythme implacable,

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que toutes leurs activités sont caractérisées par la« brièveté » – la variété et la discontinuité – etqu’elles sont presque exclusivement orientées versl’action et très peu vers la réflexion.

Considérons ainsi cette idée :

● La moitié des activités des cinq managers dirigeantsque j’ai observés durant mon étude durait moins de9 minutes et il n’y en avait que 10 pour cent qui excé-daient 1 heure (2). Une étude faite sur cinquante-sixcontremaîtres américains montrait qu’ils exerçaient,environ, 583 activités différentes, par période de huitheures, soit une activité différente toutes les48 secondes (3). Le rythme de travail, aussi bien desmanagers dirigeants que des contremaîtres, était doncimplacable. Les managers dirigeants avaient à faireface à un flot constant d’appels et de courrier à partirdu moment où ils arrivaient le matin à leur bureau etce jusqu’à ce qu’ils le quittassent dans la soirée. Lespauses-café et les déjeuners étaient, inévitablement,consacrés à des rapports de travail, et même la pré-sence de subordonnés semblait être une usurpation dumoindre moment de liberté.

● Une étude des agendas de 160 managers moyens etsupérieurs britanniques, montrait qu’il n’y avait dansleur emploi du temps qu’un moment tous les deuxjours où ils travaillaient sans interruption pendant unepériode continue d’une 1/2 heure ou plus (4).

● Pour 93 pour cent des managers dirigeants observésdans cette étude, les contacts verbaux qu’ils avaientétaient organisés sur une base d’improvisation. Il n’yavait qu’un pour cent du temps de ces cadres qui étaitconsacré à des tournées d’inspection. Il n’y avait qu’uncontact verbal sur 368 qui n’était pas relatif à un sujet

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particulier et qui pouvait être ainsi considéré commelié à un thème de planification générale.

● Aucune étude n’a pu mettre en évidence une quel-conque méthode systématique dans la façon dont lesmanagers planifient leur emploi du temps. Ils sem-blent, ainsi, sauter d’un sujet à l’autre, sans arrêt,n’ayant comme motivation que de répondre aux sol-licitations du moment.

Est-ce là, la planification de la littérature classique ?On peut en douter. Comment peut-on, alors, expliquerce comportement ? Le manager ne fait que répondre auxpressions de sa profession. J’ai, ainsi, remarqué que lesmanagers dirigeants, objets de mon étude, interrom-paient d’eux-mêmes beaucoup de leurs activités, quittantmême souvent une réunion avant son terme ou abandon-nant leur occupation pour appeler un subordonné. Undes managers supérieurs de mon étude avait non seule-ment placé son bureau de façon à pouvoir observer, encontrebas, un long couloir, mais encore laissait-il cons-tamment sa porte ouverte quand il était seul ; une invitepour ses subordonnés à venir le trouver et à interrompreson travail.

Il est évident que ces managers avaient pour but de serendre accessibles, le plus possible, à un flux d’informa-tions courantes. Mais de façon encore plus significative,ils semblaient conditionnés par leur propre charge de tra-vail. Ils savaient estimer eux-mêmes le coût de leur tempset ils étaient continuellement attentifs à leurs obligationsdu moment ; courrier en attente de réponses, visiteursattendant d’être reçus etc. Il semble que, quelle que soitl’activité du manager, il est constamment tourmenté parce qu’il devrait faire et ce qu’il doit faire.

Quand un manager doit s’occuper de planification, ilsemble le faire de façon implicite dans le contexte strict

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des activités d’une journée et nullement dans le cadre dequelque processus abstrait réservé uniquement aux sémi-naires de deux semaines à la montagne ! Les plans desmanagers dirigeants que j’ai étudiés, ne semblaient n’exis-ter que dans leur tête ; des plans aux intentions flexibles,même si, bien souvent, très spécialisés. Malgré la littéra-ture traditionnelle sur ce sujet, la profession d’encadre-ment ne donne pas forcément naissance à des experts enplanification doués d’un grand pouvoir de réflexion ; lemanager ne fait que répondre, en temps réel, aux stimuliqu’il reçoit, c’est un homme, ou une femme, conditionnépar sa profession et qui préfère les actions immédiates àcelles à long terme.

2. LÉGENDE : LE VRAI MANAGER N’A PAS DE TÂCHES ROUTINIÈRES À ACCOMPLIR

Les managers ne cessent de se faire dire de passer plusde temps à planifier et à déléguer de leurs pouvoirs qu’àvoir leurs clients et à engager des négociations. Ce quin’est pas, après tout, la véritable tâche d’un manager. Enemployant la vieille comparaison traditionnelle entre lemanager et le chef d’orchestre, on peut dire que, de lamême façon que ce dernier, le manager doit savoir toutpréparer soigneusement à l’avance. De sorte que, par lasuite, il peut rester confortablement assis à considéreravec fierté les fruits de son labeur, en agissant occasion-nellement lors de la survenance de quelque événementexceptionnel et imprévisible.

Mais à nouveau cette belle construction théorique neparait pas tenir à l’épreuve des faits.

Réalité : En plus des événements imprévisibles aux-quels il faut répondre, le travail de gestionnaire

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recouvre un certain nombre de tâches répétitives comprenant aussi bien sa participation aux rites de l’organisation, à des cérémonies, à des négocia-tions et à l’information informelle qui rattache ainsi l’organisation à son environnement.

Considérons, ainsi, quelques résultats de recherchessur ce sujet :

● Une étude, portant sur les présidents de petites entre-prises, a montré qu’ils étaient engagés, la plupart dutemps, dans des activités routinières parce que leurentreprise ne pouvait s’offrir les services de spécialis-tes de l’encadrement au niveau de la présidence etqu’elle était si pauvre en personnel opérationnelqu’une seule absence obligeait souvent le président àprendre la place du manquant (5).

● Une étude concernant les managers commerciaux etune autre sur les managers dirigeants suggèrent qu’ilest naturel pour ces deux professions de voir desclients importants, si l’on part bien sûr de l’hypothèseque ces managers veulent conserver ces clients (6).

● On a dit, un peu par plaisanterie, que le manager étaitcette personne qui reçoit les visiteurs de telle façonque n’importe qui d’autre peut faire, pendant cetemps, son travail. J’ai mis en évidence dans monétude que certaines obligations liées à des cérémonies– recevoir la visite de personnalités, remettre encadeau des montres en or, présider un dîner – faisaientpartie intrinsèquement de la profession de managerdirigeant.

● Des études sur l’information des managers ont suggéréque ces derniers jouent un rôle important en s’assu-rant des sources d’informations « informelles » exter-nes (dont bon nombre d’entre elles ne sont accessibles

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qu’aux managers eu égard à leur statut) et en les trans-mettant à leurs subordonnés.

3. LÉGENDE : LE MANAGER SUPÉRIEUR A BESOIN D’INFORMATIONS AGRÉGÉES, CE QUE SEUL UN SYSTÈME D’INFORMATION DE GESTION PEUT LUI FOURNIR

Dans l’optique de la vision classique du manager quiest ainsi un homme perché au sommet d’un système hié-rarchique bien réglé, la littérature sur le manager indiquequ’il reçoit toute son information d’un gigantesque et trèscomplet système formalisé d’information de gestion. Maisun simple regard sur la façon dont les managers procè-dent réellement pour trouver leurs informations donneune image très différente. Les managers ont cinq moyensde communication à leur disposition : les documents, lesappels téléphoniques, les réunions formelles et informel-les et les tournées d’inspection.

Réalité : Les managers favorisent totalement les moyens de communication verbaux, c’est-à-dire le téléphone et les réunions.

Cela résulte de pratiquement toutes les monographiessur le travail du gestionnaire. Considérons ainsi les résul-tats suivants :

● Dans deux études britanniques, les managers passenten moyenne 66 et 80 pour cent de leur temps dans descommunications verbales (7). Dans mon étude relativeaux cinq managers dirigeants américains, ce mêmechiffre se situe au niveau de 78 pour cent.

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● Ces cinq managers dirigeants considéraient le traite-ment du courrier comme un fardeau superflu. L’und’entre eux vint un samedi matin (pendant ma périoded’observation) à son bureau pour s’occuper de 142documents arrivés par le courrier, en juste trois heures« pour se débarrasser de tout ce fatras ». Ce mêmemanager avisant un gros rapport qu’il avait reçu parfascicules tout au long de la semaine et portant sur uneétude de coût, le mit immédiatement de côté avecpour simple commentaire : « Je ne regarde jamais cegenre de chose. »

● Ces mêmes cinq managers dirigeants n’ont réponduimmédiatement qu’à deux rapports sur les 40 qu’ilsrecevaient habituellement pendant les 5 semaines demon enquête et à 4 articles sur les quelque 104 pério-diques reçus. Ils feuilletaient la plupart de ces périodi-ques en quelques secondes, d’une façon presquerituelle. Pendant toute la période de mon étude, cescinq chefs d’organisations de taille assez conséquente,ne furent à l’origine – c’est-à-dire de leur propre initia-tive, sans répondre à un quelconque document ou let-tre – que de 25 expéditions de courrier en 25 joursd’observation.

Une analyse du courrier reçu par ces managers diri-geants n’est pas sans intérêt : on trouve ainsi qu’il n’y avaitque 13 pour cent de ce courrier qui concernait des sujetsprécis et immédiats. Nous découvrons donc ainsi unenouvelle pièce de notre puzzle. Il n’y a que très peu decourrier reçu qui est consacré à des informations immé-diates ou courantes – l’action d’un concurrent, l’humeurde tel parlementaire, le taux d’écoute de la dernière émis-sion de télévision. Ce sont pourtant, là, les informationsqui conduisent les managers dirigeants, qui les poussent àinterrompre leurs réunions et à réorganiser leur journéede travail.

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Considérons encore un autre résultat intéressant. Lesmanagers semblent chérir l’information « informelle » etplus particulièrement les potins, rumeurs et autres spécu-lations. Pourquoi ? La réponse est l’opportunité : unbavardage aujourd’hui peut être réalité demain. Le mana-ger qui ne peut être atteint par le téléphone qui l’avertiraitque son plus gros client a été vu en train de jouer au golfavec son principal concurrent risque de voir le résultat dece match de golf dans le prochain rapport trimestriel sousla forme d’une chute brutale des ventes. Mais évidem-ment, à ce moment-là, il sera trop tard.

Considérons, encore, les propos de Richard Neustadtqui a étudié les habitudes de collecte de l’informationchez trois présidents américains :

« Ce n’est pas l’information générale qui permet auprésident de se faire une opinion : ce ne sont ni lesrapports, ni les études, ni les amalgames insipides…c’est l’accumulation des détails tangibles et dispara-tes, puis la structuration qu’il en fait dans son esprit,qui illuminent la face cachée des questions soumisesà son jugement. Pour réussir dans ce domaine, ildoit ratisser aussi largement qu’il le peut tous les élé-ments de faits, d’opinions et de rumeurs qui sont liésaux intérêts et aux relations qu’il a eus en tant queprésident. Il doit se faire directeur de son propre sys-tème d’information (8). »

L’importance des commentaires verbaux pour lemanager montre deux choses importantes :

D’abord, l’information acquise verbalement est stoc-kée dans les cerveaux. Il n’y a que lorsque l’on écrit cetteinformation qu’elle peut être stockée dans les dossiers del’organisation, que ce soit dans des armoires métalliquesou sur des bandes magnétiques, mais apparemment lesmanagers n’écrivent pas beaucoup sur ce qu’ils enten-dent. C’est ainsi que la banque de données stratégiques de

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l’organisation ne se trouve pas tant dans ses ordinateursque dans l’esprit de ses managers.

Ensuite, l’utilisation intensive par les managers de lacommunication verbale aide à expliquer pourquoi cesderniers sont si réticents à déléguer leurs tâches. Lorsquel’on prend conscience que la plupart des informationsimportantes, dont peuvent disposer les managers, vien-nent sous une forme verbale et qu’elles se stockent dansleur tête, on peut beaucoup mieux apprécier cette réti-cence. Ce n’est pas juste comme s’ils pouvaient tendre undossier à quelqu’un, ils doivent prendre le temps de viderleur mémoire pour transmettre à l’autre tout ce qu’ilssavent sur le sujet. Mais cela pourrait prendre bien dutemps, de sorte que les managers trouvent plus simple deremplir eux-mêmes la tâche qu’ils auraient pu déléguer.C’est ainsi que le manager est condamné par son propresystème d’information au « dilemme de la délégation » : enfaire trop tout seul ou déléguer à un subordonné insuffi-samment mis au courant.

4. LÉGENDE : LE MANAGEMENT EST, OU DU MOINS EST RAPIDEMENT, EN TRAIN DE DEVENIR UNE SCIENCE ET UNE PROFESSION

Or, dans pratiquement toutes les acceptions des ter-mes science ou profession, cette thèse est fausse. Unebrève observation de n’importe quel manager conduit àabandonner rapidement l’idée que le corps de ses activi-tés puisse former une science. Une science implique laformulation de procédures déterminées, analytiques etsystématiques ou de programmes. Si nous n’arrivonsmême pas à connaître les procédures que les managersutilisent, comment nous serait-il possible de les décriredans le contexte d’une quelconque analyse scientifique ?

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Et comment, de même, pourrions-nous envisager le mana-gement comme une profession si nous ne pouvons tou-jours pas préciser ce que les managers apprennent ?

Réalité : Les programmes des managers – pour leur emploi du temps, pour leur accès à l’information, pour prendre des décisions etc. – restent totalement « bouclés » à l’intérieur de leur cerveau.

C’est ainsi que pour décrire ce type de programmesnous devons constamment employer des mots comme :jugement ou intuition, sans nous rendre compte qu’ils nefont que révéler, bien souvent, notre ignorance. Je fusfrappé de constater, durant mon étude, le fait que lesmanagers dirigeants que j’observais, bien que tous trèscompétents selon tous les critères en usage, ne se distin-guaient pratiquement pas de leurs homologues d’il y a unsiècle. L’information dont ils avaient besoin était diffé-rente, mais ils la cherchaient de la même façon, par le bou-che à oreille. Leurs décisions concernent des technologiesmodernes, mais les procédures qu’ils suivent pour lesprendre ne diffèrent guère de celles que suivait le managerdu dix-neuvième siècle. Même l’ordinateur, pourtant siimportant pour le travail spécifique des organisations, n’aapparemment que peu d’influence sur les procédures detravail des directeurs généraux. En fait, le manager est dansune sorte de cercle vicieux où sa charge de travail ne cessed’augmenter alors qu’il ne peut attendre aucune aided’une quelconque science du management.

Si nous considérons les faits concernant le travail dugestionnaire, on s’aperçoit que la profession des mana-gers, est très complexe et très difficile. Le manager estécrasé par le fardeau de ses obligations et pourtant il nepeut pas facilement déléguer ses tâches. C’est pourquoi ildevient rapidement surchargé de travail et qu’il est obligéd’accomplir ses tâches de façon superficielle. La brièveté,

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la fragmentation et la communication verbale caractéri-sent ainsi son travail. Ce sont, cependant, ces caractéristi-ques mêmes du travail de gestionnaire que l’on a cherchéà soumettre à des analyses scientifiques pour les amélio-rer. Mais comme résultat, les scientifiques de la gestionont concentré leurs efforts sur les fonctions spécifiquesde l’organisation où ils pouvaient plus facilement analyserles procédures et quantifier les informations pertinentes.On peut donc considérer que le premier pas, pour fournirau manager une aide substantielle, est de mettre en évi-dence la véritable nature de sa profession.

RETOUR À UNE DESCRIPTION FONDAMENTALE

DU TRAVAIL DE GESTIONNAIRE

Essayons d’assembler ici quelques-unes des pièces dece puzzle. Le manager peut se définir comme ayant la res-ponsabilité d’une organisation ou d’une des unités decette dernière. Aux côtés des managers de la directiongénérale, cette définition intègre les vice-présidents, évê-ques, contremaîtres, entraîneurs d’équipes de hockey surglace et premiers ministres. Y a-t-il un point communentre les représentants de ces diverses activités ? En fait laréponse doit être positive. Car avant toute chose, commepoint de départ important de notre analyse, on constatequ’ils sont tous investis d’une autorité formelle dansl’organisation dont ils font partie. De cette autorité for-melle découle un statut qui conduit lui-même à différen-tes formes de relations interpersonnelles (9) et de cesdernières s’induit l’accès à l’information. L’informationqui, à son tour, permet au manager de prendre des déci-sions et d’élaborer des stratégies dans l’organisation dontil a la responsabilité.

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La profession de manager peut être décrite en termesde différents « rôles » ou par des ensembles organisés decomportements identifiés à une fonction. Ma description,représentée par le schéma de la figure 1-1, comprend dixrôles.

Figure 1-1 – Les rôles du manager

LES RÔLES INTERPERSONNELS

Trois des rôles du manager découlent directement dela notion d’autorité formelle et impliquent, fondamentale-ment, des relations interpersonnelles.

Autorité formalisée et statut

Les rôles interpersonnels

La figure de proue Le leader L’agent de liaison

Les rôles liés à l’information

Observateur actif Diffuseur Porte-parole

Les rôles décisionnels

Entrepreneur Régulateur Répartiteur de ressources Négociateur

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1. Le premier rôle est celui de figure de proue. De parla vertu de sa position à la tête d’une organisation, chaquemanager doit accomplir quelques obligations de naturecérémoniale. Le président doit souhaiter la bienvenue àun groupe de personnalités en visite dans l’entreprise, lecontremaître se doit d’assister au mariage d’un tourneurde son équipe et le directeur des ventes doit inviter unimportant client à déjeuner.

Les managers dirigeants de mon étude consacraient12 pour cent de leur temps en cérémonies de toutes sor-tes, 17 pour cent du courrier qu’ils recevaient avait trait àdes remerciements ou à des sollicitations liées à leur sta-tut. Par exemple, une lettre expédiée au président d’unesociété pour demander des produits gratuits pour un éco-lier handicapé ou bien les diplômes placés sur le bureaud’un directeur de collège pour qu’il y appose sa signature.

Les obligations qui concernent les rôles interperson-nels peuvent être parfois purement routinières, impli-quant alors une communication à un faible niveaud’information et aucune prise de décision importante.Elles n’en demeurent pas moins nécessaires au bon fonc-tionnement sans à-coup d’une organisation et elles nepourraient être méconnues du manager.

2. Parce qu’il est chargé d’une organisation, le mana-ger est responsable du travail des employés de cette orga-nisation.

Ses activités, dans ce cadre, constituent le rôle du lea-der. Certaines de ces activités impliquent directementson leadership, ainsi, par exemple, dans la plupart desorganisations le manager est normalement responsable durecrutement et de la formation de sa propre équipe. Toutmanager doit savoir motiver et encourager ses employés,d’une certaine manière, il doit adapter les besoins desindividus aux buts de l’organisation. Tous les contacts que

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le manager établit avec ses employés sont virtuellementsubordonnés à la recherche d’indices de son leadershipindiquant la voie qu’il entend suivre. « Approuve-t-il ? »« Comment aimerait-elle sortir le rapport ? » « Est-il plusintéressé par une part du marché que par le profit ? »

L’influence du manager est la plus évidente dans sonrôle de leader. Son autorité formelle l’investit d’un grandpouvoir potentiel, son leadership détermine en grandepartie la façon dont il peut, en fait, l’employer.

3. La littérature sur la gestion a toujours reconnu lerôle du leader et, en particulier, ceux de ses aspects quisont directement liés à la motivation. En comparaison, etjusqu’à une période récente, il y a eu peu de travaux surson rôle d’agent de liaison, décrivant les contacts que lemanager prend à l’extérieur de la traditionnelle chaîne derelations verticales. C’est un des résultats remarquablesde chaque étude sur le travail de gestionnaire que deconstater que les managers passent beaucoup plus detemps avec leurs pairs et d’autres personnes extérieures àleur organisation qu’avec leurs propres subordonnés, et ilest même surprenant de se rendre compte qu’ils passentencore beaucoup moins de temps avec leurs supérieurs(on retient généralement des chiffres de l’ordre de 45, 45et 10 pour cent, respectivement).

Les contacts des cinq managers dirigeants objets demon étude étaient incroyablement nombreux et variés :subordonnés, clients, partenaires, fournisseurs, managersd’organisations similaires, responsables d’organisationsgouvernementales ou commerciales, administrateurs deconseils d’administration de diverses sociétés, etc. Uneétude de Robert Guest sur les contremaîtres a mis en évi-dence, de la même façon, que leurs contacts étaient aussinombreux et variés, rarement en dessous de trente cinqpersonnes et bien souvent au-delà de cinquante.

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Comme nous le verrons sous peu, le manager cultivede tels contacts parce qu’il est constamment à la recher-che d’informations. Ce rôle d’agent de liaison a, en effet,pour but principal de construire le propre réseau exté-rieur d’informations du manager -- informel, privé et ver-bal mais néanmoins très efficace.

LES RÔLES LIÉS À L’INFORMATION

En vertu de ses relations interpersonnelles, à la foisavec ses subordonnés et le réseau de ses contacts, lemanager apparaît comme au centre du système nerveuxde son organisation. Le manager ne sait pas toujours tout,mais il en sait souvent plus que n’importe lequel de sessubordonnés.

De nombreuses études ont montré que cela était vala-ble pour tous les leaders, des chefs de bandes de jeunesaux présidents des USA. Dans son livre The human group(le groupe humain), C. Homans en explique la raison,pour ce qui concerne les chefs de bandes de jeunes : c’estparce qu’ils sont au centre du réseau d’informations deleur propre bande et aussi parce qu’ils sont en contactavec les chefs des autres bandes qu’ils sont constammentmieux informés qu’aucun de leurs subordonnés (9). EtRichard Neustadt rapporte, de la façon suivante, l’attitudede Franklin D. Roosevelt face aux questions liées à l’infor-mation, dans l’étude qu’il lui a consacrée :

« La concurrence était le fondement de la techniqueutilisée par Roosevelt pour obtenir de l’information.Un de ses collaborateurs m’a dit un jour : “Il vousappelait pour vous demander d’éclaircir une his-toire compliquée et, lorsque vous reveniez le voiraprès un ou deux jours de dur travail pour lui pré-senter le morceau juteux que vous aviez découvert

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caché sous une pierre quelque part, vous constatiezqu’il connaissait tout ce que vous aviez découvertet, en plus, d’autres choses que vous ne connaissiezpas. Il ne vous disait jamais d’où il tenait ses infor-mations mais quand il vous avait placé deux outrois fois dans ce type de situation, vous deveniezdiablement attentif à la qualité de vos informa-tions” (10). »

On peut deviner facilement d’où Roosevelt « avait sesinformations » lorsque l’on considère les relations entreles rôles interpersonnels et ceux liés à l’information. Entant que leader, les managers ont un accès formel et facileà chacun de leurs subordonnés. D’où, ainsi que nousl’avons vu plus haut, ils tendent à en savoir plus sur leurorganisation que n’importe qui d’autre. De plus, leurscontacts comme agent de liaison leur permettent d’avoiraccès à des informations extérieures auxquelles leurssubordonnés ne peuvent souvent prétendre. Bon nombrede ces contacts ont lieu avec d’autres managers de mêmestatut et qui sont eux-mêmes au centre du système ner-veux de leur propre organisation. En ce sens, les mana-gers développent une puissante base de donnéesd’information.

Le processus d’information est une des clefs de la pro-fession de manager. Dans mon enquête, les managers diri-geants consacraient 40 pour cent de leur temps à descontacts exclusivement orientés vers la transmissiond’information et 70 pour cent du courrier qu’ils rece-vaient était de nature informative (en opposition à celuiportant sur des demandes d’action). Le manager ne quittepas une réunion ou ne raccroche pas son téléphone pourse remettre au travail. Car, pour une grande partie, son tra-vail, c’est la communication. Trois rôles décrivent lesaspects liés à l’information du travail de gestionnaire.

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4. Dans son rôle d’observateur actif, le manager estconstamment en train de scruter son environnement à larecherche d’informations, interrogeant ses contacts et sessubordonnés et recevant aussi des informations qu’il n’apas demandées, et bon nombre d’entre elles sont un résul-tat du réseau de contacts personnels qu’il a su mettre enplace. Il faut se souvenir qu’une bonne partie des informa-tions, que le manager collecte dans son rôle d’observateuractif, lui parvient sous forme verbale, bien souvent commebavardages, potins ou spéculations. Grâce à ses contacts, lemanager a un avantage naturel pour collecter ces informa-tions informelles pour le compte de son organisation.

5. Les managers doivent encore répartir et diffuser unegrande partie de ces informations. Celles-ci, qu’ils ont gla-nées grâce à leurs contacts personnels extérieurs, peu-vent se révéler très utiles au sein même de leurorganisation. Dans leur rôle de diffuseur, les managerspassent quelques-unes de leurs informations privilégiéesdirectement à leurs subordonnés qui n’auraient pas,autrement, accès à ces dernières. De plus lorsque leurssubordonnés n’ont pas de contacts faciles entre eux, lesmanagers se voient parfois contraints de faire circulerl’information de l’un à l’autre.

6. Dans leur rôle de porte-parole : les managers doi-vent communiquer des informations propres à leur orga-nisation à l’extérieur de celle-ci ; un président fait undiscours pour faire pression afin de défendre tel besoin deson organisation, ou un contremaître indique une modifi-cation de produit à un fournisseur. De plus, comme partieintégrante de ce rôle de porte-parole, le manager doitencore informer et satisfaire les demandes des personnesinfluentes qui contrôlent son organisation. Les managersdirigeants, notamment, peuvent consacrer un temps

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important à ces personnalités influentes. Ils doivent met-tre au courant des résultats financiers les directeurs géné-raux et les actionnaires, expliquer aux associations deconsommateurs que leur organisation remplit bien sesobligations envers la société, etc.

LES RÔLES DÉCISIONNELS

L’information n’est pas, bien sûr, une fin en soi ; c’estla base du processus de prise de décision. Une choseémerge clairement de l’étude du travail de gestionnaire :le manager joue le rôle principal dans l’élaboration de sonsystème de prise de décision. Comme conséquence deson autorité formelle, seul le manager peut engager sonorganisation dans une nouvelle direction d’activités, etcomme centre du système nerveux de l’organisation, ilest, encore, seul à accéder à des informations actuelles,aussi complètes que possible, afin de mettre en placel’ensemble des décisions qui déterminera la stratégie deson organisation. Il y a quatre rôles qui décrivent le mana-ger dans cette optique décisionnelle.

7. En tant qu’entrepreneur, le manager cherche à amé-liorer l’organisation dont il a la charge, à l’adapter à touttype de changement dans les conditions de son environ-nement. Dans son rôle d’observateur actif, le président estconstamment à la recherche de nouvelles idées ; quandune telle idée survient, il initie, dans son rôle d’entrepre-neur, la mise en place d’un projet qu’il superviseralui-même ou qu’il délèguera à un employé (avec,peut-être, comme condition, que le manager devra accep-ter la proposition finale).

Il y a deux points importants à considérer au sujet dudéveloppement des projets, au niveau d’un manager diri-

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geant. D’abord, ces projets n’impliquent pas des déci-sions uniques ou même un ensemble unifié de décisions.Ils émergent, plutôt, comme le résultat d’une série depetites décisions et d’actions fragmentaires à travers letemps. On a l’impression que les managers dirigeants pro-longent chaque projet de sorte qu’ils peuvent ainsi, petitmorceau par petit morceau, le glisser dans leur emploi dutemps, déjà trop dense, afin de pouvoir graduellementassimiler le sujet, si, bien sûr, ce dernier est d’une naturecomplexe.

Ensuite, les managers dirigeants que j’ai étudiés super-visaient pratiquement près de cinquante de ces projets enmême temps. Certains projets concernaient de nouveauxproduits ou procédés ; d’autres avaient trait à des campa-gnes de relations publiques, à la solution d’un problèmemoral dans une division étrangère, à l’intégration d’opéra-tions informatiques, ou encore à diverses acquisitions,etc. Les managers dirigeants apparaissent entretenir unesorte d’inventaire des projets dont ils supervisenteux-mêmes le développement, les différentes étapes dece développement, ceux qui sont en cours de réalisationet ceux qui sont encore dans les limbes. À la façon du jon-gleur, ils semblent avoir toujours un certain nombre deprojets suspendus en l’air, périodiquement, il y en un quiretombe, ils lui donnent alors une nouvelle poussée et ilse retrouve sur son orbite. Selon des intervalles divers, ilspeuvent intégrer, dans ce flux, de nouveaux projets ou,au contraire, en éliminer d’anciens.

8. Alors que le rôle d’entrepreneur décrit le managercomme la source de volonté qui initie le changement, lerôle de régulateur montre le manager répondant involon-tairement aux pressions. Ici, le changement se fait endehors du contrôle du manager : une menace de grève,un gros client qui fait faillite, un fournisseur qui manqueà ses obligations contractuelles.

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Il a été à la mode, comme je le mentionnais plus haut,de comparer le cadre à un chef d’orchestre ainsi que le fai-sait Peter F. Druker dans The Practice of Management1.

« Le manager a pour responsabilité de créer un toutqui est supérieur à la somme des parties, une entitéproductive dont il sort plus que la somme des res-sources qu’on y a mises. C’est l’analogie avec le chefd’orchestre qui vient à l’esprit, par ses efforts, savision et son leadership, des parties instrumentalesindividuelles, qui ne sont en elles-mêmes que desbruits, deviennent une totalité vivante : la musique.Mais le chef d’orchestre dispose de la partition écritepar le compositeur : il n’est qu’un interprète. Lemanager, lui, est à la fois compositeur et chefd’orchestre (11). »

Considérons maintenant les commentaires de LeonardR. Sayles qui réalisa une approche systématique de la pro-fession de manager. Le manager

« … est comme le chef d’un orchestre symphoniquequi s’efforce d’obtenir une prestation mélodieusedans laquelle les contributions des divers instru-ments sont coordonnées, espacées, harmonisées etmises en forme alors même que les instrumentistesont divers problèmes personnels, que des appari-teurs déplacent les chevalets portant la partition, quel’alternance de chaleur et de froid pose des problè-mes aux instruments et au public et que l’organisa-tion du concert insiste pour imposer au programmedes changements irrationnels (12). »

En effet, tous les managers doivent consacrer unebonne partie de leur temps à répondre à des perturba-tions très contraignantes. Il n’existe aucune organisationqui fonctionnerait aussi bien que possible, respectueuse

1. N.d.T. La pratique du management.

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des normes fixées, et qui puisse prendre en compte tou-tes les contingences par avance. Les perturbations n’appa-raissent pas seulement parce qu’un pauvre managerignore la situation jusqu’à ce que celle-ci se soit dégradéeau point de générer une crise mais aussi parce qu’iln’existe pas de bon manager capable d’anticiper toutesles conséquences des actions qu’il a initiées.

9. Le troisième rôle décisionnel est celui de réparti-teur des ressources. C’est au manager que revient la res-ponsabilité de ce qui doit être attribué, et à qui, dansl’organisation. Il est possible que la principale répartitiondes ressources, à laquelle contribue le manager, est cellede son propre temps. L’accès au manager constitue unaccès au centre du système nerveux et du processus deprise de décision de l’organisation. Le manager est, aussi,chargé de l’élaboration de la structure de l’organisation,cette configuration de relations formelles qui déterminecomment le travail doit être divisé et coordonné.

Dans son rôle de répartiteur des ressources, le mana-ger autorise, aussi, les décisions importantes de son orga-nisation avant qu’elles ne soient mises en œuvre. Étant àl’origine de ce pouvoir, le manager peut ainsi s’assurerque toutes ces décisions seront cohérentes entre elles,puisque toutes passent par un seul cerveau. Fragmenterserait encourager un processus de prise de décision dis-continue et une stratégie non cohérente.

Dans mon étude sur les managers dirigeants, j’ai mon-tré que ces derniers devaient faire face à des choix d’uneincroyable complexité pour exercer ce pouvoir. Ils ont àévaluer l’impact de chaque décision sur les autres et aussisur la stratégie globale de l’organisation. Ils ont, aussi, àveiller à ce que telle décision soit acceptable pour ceuxqui exercent une influence sur leur organisation et às’assurer, également, que les dépenses prévisionnelles ne

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soient pas dépassées. Ils ont à intégrer les différents coûtset profits d’une décision autant que la faisabilité decelle-ci. Ils ont encore à considérer la question des délais.Tous ces éléments sont nécessaires pour la simple appro-bation d’une proposition venant d’une autre source quede lui-même. Dans le même instant, cependant, les délaispeuvent faire perdre du temps, tandis qu’une approbationtrop rapide peut être mal reçue et un rejet, tout aussirapide, pourrait décourager un subordonné qui a passéplusieurs mois à mettre au point son projet favori. Unedes solutions communes à ce problème de l’approbationd’un nouveau projet semble avoir été celle de choisircelui qui présente le projet plutôt que le projet lui-même.C’est-à-dire, encore, que les managers ont tendance àapprouver un projet qui leur est présenté par une per-sonne en laquelle ils ont confiance. Mais il est évidentqu’ils ne peuvent pas toujours utiliser une astuce aussisimpliste.

10. Le dernier de ces rôles décisionnels est celui denégociateur. Toutes les études sur le travail de gestion-naire montrent, à tous les niveaux, que les managers consa-crent une partie considérable de leur temps auxnégociations : le président d’une équipe de football estappelé pour négocier un contrat avec un joueur vedette, leprésident d’une grande société doit mener le groupe denégociateurs de sa société pour trouver une nouvelle issueà un mouvement de grève, le contremaître fait état dedoléances à l’encontre du serveur d’une boutique. LeonardSayles a dit à ce propos que la négociation faisait partie du« mode de vie » du manager de haut niveau.

La négociation est une des obligations de la professionde manager, elle peut être, quelquefois, routinière maisne peut en aucun cas être esquivée. C’est une partie inté-grante de sa profession car il est le seul à disposer del’autorité pour engager les ressources de l’organisation en

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« temps réel » et il est, également, le seul à être au centredu système nerveux d’information qui fournit les donnéesutiles dans le contexte de négociations importantes.

UNE PROFESSION INTÉGRÉE

Il devrait être clair désormais que les dix rôles dumanager que je viens de décrire ne sont pas facilementdissociables. Ils forment une Gestalt1, un tout intégré. Onne peut supprimer aucun de ces rôles, sans modifier pro-fondément la nature de la profession de manager. Parexemple, un manager qui ne voudrait pas jouer son rôled’agent de liaison manquerait d’information extérieure.Ce qui aurait pour résultat qu’il ne pourrait ni transmettrel’information dont ses subordonnées auraient besoin niprendre des décisions reflétant les conditions extérieures(d’ailleurs c’est le problème qui se pose à ceux qui vien-nent de prendre nouvellement leur fonction de manageret qui tant qu’ils n’ont pu mettre en place leur propreréseau de contacts ne peuvent prendre aucune décisionréelle).

On met, ici, en évidence un problème important concer-nant l’équipe chargée de la gestion. Deux ou trois person-nes ne peuvent partager la même fonction d’encadrement àmoins qu’elles n’agissent comme une seule entité.C’est-à-dire qu’elles ne peuvent se partager les dix rôles àmoins qu’elles ne soient capables de les associer à nouveau

1. N.d.T. Gestalt est un mot allemand qui signifie à la fois formeet structure. II est à la base d’une théorie psychologique et phi-losophique due à Köhler, Wertheimer et Koffka qui établit qu’iln’est pas possible d’expliquer les phénomènes en les isolant lesuns des autres. Ils doivent être perçus comme des ensemblesunis et structurés (les formes). C’est dans cette optique que ceterme a été retenu par les spécialistes du management.

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au moment où le besoin s’en fait sentir. La vrai difficulté pro-vient des rôles liés à l’information. Car, à moins qu’il nepuisse y avoir une vraie répartition de l’information néces-saire à la gestion qui est, comme j’ai déjà insisté sur ce point,de nature essentiellement verbale, l’équipe se briserad’elle-même. Un seul poste de manager ne peut être arbitrai-rement découpé, par exemple, entre des rôles internes etexternes car l’information provenant de ces deux sourcesdoit être rassemblée au moment de la prise de décision.

Dire que les dix rôles forment une Gestalt ne veut pasdire que chaque manager accorde le même intérêt à cha-cun de ces rôles. En fait, j’ai montré dans mes analyses cri-tiques de diverses études que :

● Les managers chargés des ventes semblent passer plusde temps dans leurs rôles interpersonnels, ce qui estsans doute une des conséquences de la nature extra-vertie des activités du marketing.

● Les managers chargés de la production s’attachentplus à leurs rôles décisionnels, ce qui découle sansdoute de leur attention pour les questions d’effi-cience.

● Les managers de la direction générale se consacrentplus aux rôles liés à l’information car ils sont lesexperts qui gèrent les départements qui doiventconseiller les autres parties de l’organisation.

Quoi qu’il en soit, les rôles interpersonnels, liés àl’information, et décisionnels demeurent totalementinséparables.

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VERS UNE GESTION PLUS EFFICACE

Quels sont les enseignements dont le managementpeut bénéficier à partir de cette description ? Je crois, enpremier lieu et avant tout, que cette description du travailde gestionnaire devrait apporter plus aux managers quetoutes les recommandations que l’on pourrait extraire decelles-ci. C’est-à-dire que l’efficacité des managers estinfluencée de façon significative par leur regardd’introspection sur leur propre travail. Leur efficacitédépend de la façon dont ils comprennent et répondentaux pressions et aux dilemmes de leur profession.

Considérons trois domaines spécifiques qui concer-nent ce sujet. Dans la plupart des cas, les impasses de lagestion – le dilemme de la délégation de pouvoir, la ban-que de données stockée dans un seul cerveau et les pro-blèmes du travail avec les analystes scientifiques de lagestion – découlent de la nature verbale de l’informationdes managers. Il y a un grand danger à centraliser les ban-ques de données de l’organisation dans les esprits de sesmanagers. Quand ils quittent l’organisation, ils emportentleur mémoire avec eux. Et un subordonné qui est hors de« portée de voix » du manager dont il dépend, subit unhandicap sérieux au niveau information.

1. Le manager doit répondre au défi de trouver des moyens systématiques de partage de ses informa-tions privilégiées.

Une séance régulière de « débriefing » avec ses princi-paux subordonnés, un week-end consacré à « vider samémoire » dans un dictaphone, la mise à jour d’un agendaconcernant les informations importantes à circulation limi-tée ou d’autres moyens du même genre peuvent considéra-blement résoudre les impasses qu’il rencontre dans sontravail. Le temps ainsi consacré à diffuser l’information

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peut être plus que regagné au moment de la prise de déci-sion. Bien entendu, certains soulèveront la question de laconfidentialité. Mais c’est au manager de soupeser les ris-ques de diffusion d’une information confidentielle enregard de ce à quoi peuvent s’exposer ses subordonnésdans des prises de décision inefficaces.

S’il y a un seul thème commun à toute cette descrip-tion, c’est bien celui des pressions qui s’exercent sur lemanager et qui le conduisent à être superficiel dans sesactions – à être surchargé de travail – ce qui encourage lesinterruptions, des réponses trop rapides à chaque stimu-lus, une recherche du concret contre l’abstrait, la prise dedécision par petites étapes successives et une façon detout faire dans la précipitation.

2. Ici, à nouveau, le manager est mis au défi d’agir sous la pression de la superficialité en accordant sérieusement son attention aux sujets qui l’exigent et en se reportant aux éléments tangibles d’infor-mation afin d’en avoir une vision plus large grâce à l’utilisation de données analytiques.

Bien qu’un manager efficace soit entraîné à donner desréponses rapides aux questions les plus variées, le dangerdu travail de gestionnaire réside dans le fait que le managerpuisse répondre de la même façon quel que soit le sujet(c’est-à-dire toujours de façon précipitée) et qu’il ne tra-vaillera jamais à partir des éléments d’information tangibleset des données analytiques dont il peut disposer afind’avoir une vue d’ensemble du monde dans lequel il agit.

Lorsqu’il s’attaque à un sujet complexe, le managersupérieur a beaucoup à gagner en travaillant en étroitecollaboration avec les analystes scientifiques en gestionde sa propre organisation. Ils ont quelque chose d’impor-tant qui lui manque – le temps – pour s’attacher à dessujets complexes. Une relation de travail efficace dépend

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de la solution de ce qu’un de mes collègues et moi-mêmeavons nommé le « dilemme de la planification » (13). Lesmanagers ont l’information et l’autorité ; les analystes ontle temps et les techniques. Une relation de travail réussieentre les deux hommes pourra être efficace lorsque lemanager aura appris à partager ses informations avecl’analyste et ce dernier aura appris à s’adapter aux besoinsdu manager. Pour ce qui concerne l’analyste, j’entendspar adaptation, qu’il se soucie moins de l’élégance de sesméthodes et plus de rapidité et de flexibilité.

3 . Le cadre est mis au défi d’avoir un meilleur contrôle sur son temps, pour transformer ses obligations en avantages et, a contrario, transformer les objectifs qu’il désire atteindre en obligations.

Les managers dirigeants que j’ai observés dans ma pro-pre étude n’étaient à l’origine que de trente-deux pourcent de leurs contacts (et il y avait cinq pour cent qui pro-venait des contacts établis d’un commun accord). Et pour-tant, ils semblaient être entièrement maîtres de leuremploi du temps. Deux facteurs-clefs expliquent en faitce phénomène.

Premièrement, les managers doivent consacrer untemps considérable à se décharger des obligations quiautrement ne leur permettraient pas de laisser la moin-dre marque dans leur organisation. Le manager ineffi-cace reportera ses échecs sur les obligations qu’il a dûsupporter, le cadre efficace saura tourner ces obligationsà son propre avantage. Un discours peut être une chancede défendre une cause, une réunion, une chance de réor-ganiser un département trop faible, une visite à un clientimportant, une chance d’en retirer des informationscommerciales essentielles.

Deuxièmement, les managers libèrent de leur tempspour faire ces choses qu’ils pensent – et qu’ils sont

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peut-être les seuls à croire – importantes en les transfor-mant en obligations. Le manager doit organiser son tempslibre, s’il ne le trouve pas ; il lui faut alors « forcer »l’agenda. Espérer réserver un moment et le consacrer à lacontemplation ou à la planification générale, c’est autantdire espérer que les pressions, qui sont dans la nature desa profession, pourraient disparaître. Le manager qui veutinnover, prendra l’initiative d’un projet et obligerad’autres personnes, en retour, à lui communiquer unrapport ; le manager qui a besoin de certaines informa-tions établira pour cela des réseaux qui le tiendront auto-matiquement informé ; le manager qui veut faire latournée des installations doit le faire savoir autour de luiafin que son désir se transforme en obligation vis-à-vis desautres.

Il n’y a aucune autre profession qui est aussi vitalepour notre société que celle de manager. C’est le managerqui détermine si nos institutions sociales nous serventbien ou si, au contraire, elles gaspillent nos talents et nosressources. Il est donc temps de rejeter la légende quientoure le travail de gestionnaire afin de nous plongerdans la tâche difficile d’apporter des améliorations subs-tantielles à ses performances.

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CHAPITRE 2

La stratégie de l’artisan

Une des tâches les plus importantes qui est dévolue aumanager consiste en la détermination de la stratégie de sonorganisation – ou du moins dans la supervisation des pro-cessus par lesquels d’autres personnes et lui-même élabo-rent une stratégie. Stricto sensu, l’élaboration d’unestratégie se veut concentrée sur le positionnement d’uneorganisation eu égard aux créneaux qui existent sur le mar-ché, en d’autres termes, elle a pour but de décider queltype de produits devra être fabriqué et pour qui. Mais, dansune acception plus large, l’élaboration de la stratégie faitégalement référence à la façon dont un système collectif,nommé organisation, établit ses orientations fondamenta-les et, si nécessaire, ses changements de cap. L’élaborationde la stratégie doit encore prendre en compte le thèmecomplexe de l’intention collective – comment une organi-sation composée de beaucoup d’individus différents par-vient à dégager une sorte d’esprit proprement à elle, pourainsi dire.

L’élaboration de la stratégie est un processus fascinant,qui s’étend bien au-delà du simple ensemble de directivesque l’on nomme « plan » et qu’on lui associe traditionnel-lement. Ce sujet a été mon principal thème de réflexion àtravers toute ma carrière. Mon premier article, en 1967,alors que j’étais encore étudiant en doctorat et intitulé :« La science de l’élaboration de la stratégie » faisait l’oppo-sition entre une approche « grand plan » de type bibliqueet une approche évolutive de type darwinien. Mes écritsactuels comportent une série de travaux en deux volumesintitulés : La formation de la stratégie, qui, soulignant

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délibérément le thème de ces contrastes, décrit desapproches de ce sujet.

J’ai développé mes idées sur ce sujet à travers un pro-jet de recherches, mis en œuvre en 1971. Avec l’aide d’uncertain nombre d’étudiants de doctorat et de collègues,en particulier Jim Waters, notre intention était d’étudier lafaçon dont les organisations s’engagent dans ce processusen « traquant » les stratégies qu’elles ont suivies au coursdes dernières décennies de leur histoire.

Tout au long des douze années qui suivirent, ou à peuprès, nous réalisâmes une série complète d’études sur cesujet – sur une chaîne de supermarchés, sur une grandecompagnie aérienne, sur un organisme gouvernementals’occupant de cinéma, une société de presse éditant unpetit quotidien, notre propre université et encore biend’autres. Comme le projet touchait à son terme, jecommençai à chercher une façon de présenter les conclu-sions à un public général de managers.

Pendant tout le temps de mes travaux, ma femme fai-sait de la poterie dans notre cave. Un jour, elle décida defaire une exposition rétrospective de ses œuvres et sou-dain, je vis la « stratégie » évoluer devant mes yeux. Uneidée me frappa alors, ou peut-être était-ce au moment oùma femme fit un exposé devant une classe regroupant àla fois des étudiants en poterie et en gestion, sur les sour-ces et la nature de la création en art décoratif. Je réalisaipeu à peu que ce que j’entendais à travers son exposéétait très proche de ce que j’avais entendu de la bouchede spécialistes en stratégie créatrice du monde des affai-res (par exemple les effets bénéfiques des « erreurs » enpoterie et ceux des « opportunités » dans les affaires,« sentir l’argile » et « la connaissance des affaires »). Jedécidai, alors, d’utiliser l’idée de la poterie comme méta-phore et analogie pour appréhender les difficultés de lastratégie créatrice dans une dynamique organisationnelle.

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« La stratégie de l’artisan » parut dans la Harvard Busi-ness Review en 1987.

J’ai développé mes idées pendant des années (à traversces dernières vous retrouverez encore les ombres des« grands plans bibliques » et de « l’évolution darwinienne »),mais vous trouverez également, ici, un ton similaire à celuique j’ai adopté dans l’article « La profession de manager ».Ce que je veux exposer dans cet article, c’est une descrip-tion de la façon dont les managers qui travaillent dans un« chaos calculé » utilisent le processus, complexe et néces-sairement collectif, d’élaboration de la stratégie.

Imaginons quelque stratégie planifiée. Ce qui sauteimmédiatement à l’esprit, c’est l’image d’une pensée bienordonnée : un manager supérieur ou un groupe de mana-gers supérieurs siégeant dans un bureau et formulant lesmodes d’action que les autres membres de l’organisationdevront suivre selon le calendrier prévu. La note domi-nante est la raison – un contrôle rationnel, une analysesystématique des concurrents et des marchés, des forceset des faiblesses de la société – la combinaison de ces ana-lyses conduisant à des stratégies claires, explicites et cer-tifiées.

Maintenant imaginons quelque peu la stratégie del’artisan. Une image totalement différente apparaîtra,aussi différente de la planification que la poterie est diffé-rente de l’industrie. L’artisanat évoque une habileté tradi-tionnelle, un dévouement, une perfection à travers lamaîtrise de tout un ensemble de détails. Ce qui frappealors l’esprit, ce n’est pas tant la réflexion rationnelle quel’engagement, un sentiment d’intimité et d’harmonieentre le matériau et la main qui s’est développé à traversde longues années d’expérience et d’investissement. For-mulation et réalisation se sont coulées l’une dans l’autreen un processus fluide d’apprentissage à partir duquel sedéveloppe la stratégie créatrice.

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Ma thèse est simple, l’image de l’artisan appréhendemieux le processus à travers lequel émergent les straté-gies efficaces. L’image de la planification, si longtempspopulaire dans la littérature, déforme la compréhensionde ce processus et a pour conséquence d’égarer les orga-nisations qui l’ont adoptée sans réserves.

En développant cette thèse, je ferai état des expérien-ces d’un artiste solitaire, un potier, et je les comparerai auxrésultats d’une recherche qui a poursuivi les stratégies denombre de grandes organisations, à travers des décenniesde leur histoire. Comme ces deux contextes semblent àl’évidence si différents, on pourrait, au premier abord,considérer que ma métaphore, à l’instar de mes assertions,est pour le moins gratuite. Toutefois, si nous envisageonsnotre potier sous l’aspect d’une organisation, nous consta-terons qu’il a, de la même façon qu’une organisation, àfaire face au principal défi, que mettent en évidence lesspécialistes de la stratégie – connaître suffisamment bienles capacités de l’organisation afin de réfléchir, en profon-deur, à ses orientations stratégiques. En considérant, l’éla-boration d’une stratégie, dans la perspective d’un seulindividu – décideur, libre des contraintes qui naissent detout l’attirail de ce que l’on a appelé l’industrie de la straté-gie, nous pouvons apprendre beaucoup de choses sur laformation des stratégies dans les grandes sociétés indus-trielles et commerciales. De la même façon que notrepotier doit gérer son art, le manager doit aussi mettre del’art dans sa stratégie.

Au travail, le potier est assis devant un tas d’argileplacé sur le tour. Son esprit est concentré sur l’argile maisil est également conscient de se situer entre ses expérien-ces passées et ses projets futurs. Il sait exactement ce qui« a marché » et ce qui « n’a pas marché » pour lui dans lepassé. Il a une intime connaissance de son travail, de sescapacités et de son marché. En tant qu’artiste, il sent tou-tes ces choses plutôt qu’il ne les analyse, son savoir est

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tacite. Tout cela fonctionne dans son esprit alors que sesmains pétrissent l’argile. L’œuvre qui, peu à peu, émergedu tour a toutes les chances de s’inscrire dans la ligne dela tradition de ses précédentes réalisations. Mais il peuts’en échapper et suivre de nouveaux sentiers. Et, toute-fois, en agissant ainsi, le passé n’en demeure pas moinsprésent, se projetant dans l’avenir.

Dans ma métaphore, les managers deviennent desartistes, des potiers, et la stratégie est leur argile. De lamême façon que le potier, ils sont situés entre un passéfait des capacités de leur société et un futur reflétant lesopportunités du marché. Et s’ils sont de vrais artistes, ilsapportent à leur travail une égale connaissance intime desmatériaux dont ils auront à se servir. C’est là l’essence dela stratégie du potier.

Nous allons fouiller cette métaphore pour mettre enévidence la façon dont les stratégies sont réellement éla-borées par opposition à ce que l’on suppose générale-ment sur ce sujet. Pour cela, je tirerai mes analyses desdeux sources que j’ai déjà mentionnées plus haut. La pre-mière sera le projet de recherche sur les conditions de for-mation de la stratégie, qui débuta en 1971 sous madirection, dans le contexte de l’université de McGill ; laseconde est constituée par l’ensemble des œuvres d’unpotier de grand talent, ma femme, qui débuta son œuvreen 1967.

Les stratégies sont à la fois des plans pour l’avenir et les modèles d’action issus du passé.

Demandez pratiquement à n’importe qui ce que le motstratégie évoque pour lui, et vous aurez, en général, pourréponse l’idée d’une sorte de plan, d’un guide explicite descomportements dans l’avenir. Demandez alors à cette per-sonne quelle stratégie tel de ses concurrents, ou tel gouver-nement, ou elle-même, suit actuellement. Il y a de fortes

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chances qu’elle s’exprime alors devant vous en termes decomportements du passé – un mode d’action que l’onpoursuit à travers le temps. La stratégie se révèle être un deces mots que l’on définit d’une façon et que l’on emploiesouvent d’une autre, sans réaliser la différence.

La raison de cette attitude est simple. Malgré la défini-tion formelle de la stratégie et ses origines militaires grec-ques, nous devons utiliser ce mot à la fois pour expliquerles actions du passé et pour décrire les comportementsprojetés du futur. Après tout, si les stratégies peuvent êtreplanifiées et projetées dans l’avenir, elles peuvent aussiêtre mises en œuvre et réalisées (ou non, suivant les évé-nements). Et le mode d’action du passé, ou ce quej’appelle une stratégie réalisée, reflète cette volonté. Parailleurs, de la même façon qu’un plan n’a pas besoin dedevenir un mode d’action (certaines stratégies projetéesne sont jamais réalisées), un mode d’action n’a pas besoinde résulter d’un plan. Une organisation peut développerun mode d’action (une stratégie réalisée) sans le savoir,seule la réalisation de la stratégie étant alors explicite, nonsa formulation.

Les modes d’action, comme la beauté, sont bien sûrdans l’esprit de celui qui observe. Mais toute personnepassant en revue une présentation chronologique desœuvres de notre potier ne devrait avoir aucune difficultéà y discerner clairement un mode d’action, du moins pourcertaines périodes. Par exemple, jusqu’en 1974, mafemme faisait de petits animaux décoratifs en céramiqueet des objets divers. Puis elle abandonna brusquementcette « stratégie du bibelot » et de nouveaux modesd’action se dessinèrent autour de fines sculptures ou debols en céramique, très structurés et non vernis.

Il n’est guère plus difficile de mettre en évidence detelles variations dans les modes d’action des organisa-tions. En fait, cela se révéla très simple dans nos recher-ches sur des sociétés aussi énormes que Volkswagen ou

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Air Canada ! (alors que cela aurait dû être plus difficile. Ilest, en effet, infiniment plus facile à un potier de changerdans son atelier sa façon de faire qu’à une entreprisecomme Volkswagen de reconstruire toute une chaîne demontage). Si l’on considère, par exemple, les modèlesVolkswagen de la fin des années 1940 à la fin des années1970, on découvre un mode d’action clair focalisé sur laCoccinelle. Il sera suivi, à la fin des années 1960, par unerecherche frénétique de changements à travers soit denouvelles acquisitions, soit le lancement de nouveauxmodèles. Ce sera le cas jusqu’à la réorientation stratégi-que du milieu des années 1970, construite autour duthème de véhicules plus design à refroidissement par eauet à traction avant.

Mais que dire à propos des stratégies que l’on projettede réaliser, de ces plans formels qui sont autant de décla-rations d’intention auxquels nous pensons à chaque foisque nous prononçons le mot stratégie ? C’est là que, parironie, nous nous enfonçons dans toutes sortes de problè-mes. Même dans le cas d’un simple potier, comment pou-vons-nous connaître les stratégies réelles qu’il projette ? Sinous faisions un retour en arrière, ne trouverions-nouspas des déclarations « d’intention » ? Et si c’était le cas,devrions-nous être capables de leur accorder quelquecrédit ? Nous nous conduisons souvent en sots, commebeaucoup d’autres, lorsque nous voulons nier les motiva-tions qui viennent de notre inconscient. Et il faut toujoursse rappeler que les intentions sont de peu de valeur, dumoins en regard des réalisations.

LIRE DANS L’ESPRIT D’UNE ORGANISATION

Si vous croyez que tout cela a plus à voir avec une ana-lyse freudienne de l’esprit d’un potier qu’avec la réalité

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pratique de la production d’automobiles, alors revoyonsencore les choses une fois ensemble. Car il faut d’abord sedemander en quoi consistent réellement les stratégiesenvisagées par Volkswagen, sans parler de ce qu’ellessont en elles-mêmes. Pouvons-nous simplement posercomme hypothèse que, dans ce contexte collectif, lesstratégies projetées par cette société ne sont représentéesque par ses plans formels et d’autres rapports émanant dubureau de la direction générale ? Ne sont-ils que de vainsespoirs ou des options rationnelles ou encore des strata-gèmes pour égarer la concurrence ? Et même s’il existeune telle déclaration d’intention, jusqu’à quel pointest-elle partagée par les autres membres del’organisation ? Comment peut-on lire dans l’esprit collec-tif d’une organisation ? Et qui est, en fin de compte, celuiqui élabore la stratégie ?

La conception traditionnelle de la gestion stratégiquerésout ces problèmes tout à fait simplement, par le sys-tème que les théoriciens de l’organisation appellent« attribution ». On voit constamment cette explicationemployée dans la presse économique. Lorsque GeneralMotors décide une action, c’est parce que son directeurgénéral a élaboré une stratégie. Faire une réalisation sup-pose à chaque fois une intention qui l’a précédée et onattribue automatiquement cette dernière au chef.

Dans un court article de magazine, cette hypothèse estcompréhensible, même si elle est fausse. Les journalistesn’ont pas beaucoup de temps pour remonter aux originesde la stratégie de telle ou telle organisation et GeneralMotors est une grande organisation, fort complexe. Maisattardons-nous un instant sur la complexité et les confu-sions qui se glissent derrière cette hypothèse – toutes lesréunions et tous les débats, le nombre de personnes impli-quées, les impasses, le développement ou au contrairel’étiolement des idées. Maintenant considérons que nousessayons de construire un système formalisé d’élaboration

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de la stratégie à partir de cette hypothèse. Personne nes’est-il jamais demandé si une planification formalisée desstratégies n’était pas souvent un échec retentissant ?

Pour débrouiller cette confusion – et s’échapper de lacomplexité artificielle que nous avons élevée autour duprocessus d’élaboration de la stratégie – nous devonsretourner à quelques concepts de base. Le concept le plusfondamental de tous est l’intime connexion qui existeentre la pensée et l’action. C’est la clef de l’art du potieret aussi celle de l’art de la stratégie.

Les stratégies n’ont pas besoin d’être délibérées – elle peuvent aussi émerger, plus ou moins, des actions entreprises.

Tout ce qui a été écrit au sujet de l’élaboration de lastratégie expose, en fait, ce processus comme totalementdélibéré. En premier lieu nous pensons, puis nous agis-sons. Nous formulons une idée puis nous l’exécutons. Lachaîne logique paraît parfaitement identifiable. Pourquoiquelqu’un voudrait-il procéder différemment ?

Notre potier est dans son atelier, tourne l’argile pouren faire une fine sculpture. L’argile entre en contact avecun ébauchoir qui tourne autour d’elle et une forme rondeapparaît. Pourquoi ne pas en faire un vase cylindrique ?Une idée conduit à une autre jusqu’à ce qu’un nouveaumode d’action se forme. L’action a, ici, conduit la pensée :une stratégie est apparue.

Dehors, sur le terrain, un commercial rend visite à unclient. Le produit n’est pas tout à fait à sa convenance et ilsse mettent tous les deux à y apporter quelques modifica-tions. Le commercial retourne à sa société et là, il fait étatdes modifications qu’ils ont été ainsi amenés à élaborer ;après deux ou trois essais supplémentaires, on obtient fina-lement un bon résultat. Un nouveau produit est apparu qui

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pourra éventuellement s’ouvrir un nouveau marché. Lasociété a, ainsi, modifié le cours de sa stratégie.

En fait, la plupart des commerciaux ont moins dechance que celui que nous venons de décrire ou notrepotier. Dans une organisation constituée par un seul indi-vidu, le réalisateur est également celui qui donne l’ordre,aussi les innovations peuvent-elles être intégrées à la stra-tégie rapidement et facilement. Dans les grandes organisa-tions, celui qui découvre une innovation peut se trouverà, au moins, dix niveaux hiérarchiques du leader qui estsupposé dicter la stratégie et il peut aussi avoir à vendreson idée à des douzaines de pairs qui font le même travailque lui.

Certains commerciaux, bien sûr, peuvent agir de leurpropre chef, modifiant les produits à la convenance deleurs clients et convaincre les « gratte-papier » de l’usined’intégrer ces modifications aux produits. Ils poursuiventalors, en effet, leurs propres stratégies. Peut-être per-sonne d’autre n’y prêtera-t-il jamais attention. Parfois, ilpeut arriver que leurs innovations provoquent l’intérêt,quelques années plus tard, quand les stratégies prédomi-nantes de la société sont tombées « en panne » et que sesleaders tâtonnent à la recherche de quelques nouveautés.Alors, la stratégie personnelle de notre commercial peutêtre autorisée à s’intégrer au système, elle est devenuecelle de l’organisation.

Cette histoire est-elle complètement gratuite ?Certainement pas. Nous avons tous entendu parler d’his-toires de ce genre. Mais comme nous avons tous la mêmetendance à ne voir que ce que nous voulons croire, sinous avons décidé de croire que les stratégies doiventêtre planifiées, il est peu probable que nous soyons récep-tifs à la véritable signification de telles histoires.

Considérons la façon dont l’Office national du film duCanada en est venu à adopter une stratégie concernant les

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longs métrages. L’ONF est une agence du GouvernementFédéral, célèbre pour sa créativité et son expertise dans laproduction de courts métrages documentaires. Il y a quel-ques années, elle finança un réalisateur sur un projet quise révèla, de façon inattendue, devenir un long métrage.Pour distribuer son film, l’ONF se tourna vers les cinémaset acquit ainsi, sans le prévoir, une solide expérience dumarketing des longs métrages. D’autres réalisateurs saisi-rent l’occasion et l’ONF se trouva ainsi avoir mis en placeune stratégie pour les longs métrages, un mode d’actionpour produire de tels films.

Mon point de vue est simple, désespérement simple :les stratégies peuvent aussi bien se former qu’être formu-lées. Une stratégie réalisée peut survenir en réponse à unesituation changeante, ou elle peut être délibérémentadoptée à travers un processus de formulation qui serasuivi par une réalisation. Mais lorsque ce n’est pas le cas,c’est-à-dire lorsque les intentions programmées ne produi-sent pas les actions désirées, les organisations se retrou-vent alors avec des stratégies non réalisées.

De nos jours, on entend souvent mentionner ce phé-nomène de stratégies n’ayant débouché sur rien, et onremarquera qu’à chaque fois, on assiste à des commentai-res qui rejettent la faute de cet échec sur l’exécution de lastratégie et non sur la stratégie elle-même. La gestion a éténégligée, les contrôles ont été mous, les exécutants ne sesont pas investis. Les excuses abondent. À certainsmoments, il peut y en avoir de valables. Mais bien sou-vent, elles se révèlent trop simples. C’est pourquoi, il y acertains spécialistes qui ne s’arrêtent pas à l’exécution etqui regardent plus loin, vers la formulation. Ceux qui sesont chargés de l’élaboration de la stratégie n’ont pas étéassez intelligents.

S’il est certainement vrai que beaucoup de stratégiesprojetées sont mal conçues, je crois toutefois que le vraiproblème se situe ailleurs, dans la distinction que nous

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faisons en premier lieu entre la formulation et l’exécu-tion, l’hypothèse traditionnelle étant que la pensée doitêtre indépendante de (et précéder) l’action. Il est certainque les spécialistes peuvent devenir plus intelligentsmais pas seulement en concevant des stratégies plusintelligentes. Quelquefois, ils peuvent être plus intelli-gents en laissant les stratégies se développer graduelle-ment, en prenant en compte les actions et lesexpériences de l’organisation. Un spécialiste intelligentde la stratégie doit savoir reconnaître qu’il ne peut êtretoujours assez intelligent pour penser, par avance, à toutce qui peut se produire dans l’avenir.

LA MAIN ET LA TÊTE

Il n’existe pas de potier qui pense un jour et travailleun autre. L’esprit du potier va constamment au rythme desa main. Pourtant, dans les grandes organisations, on tentede séparer le travail de la tête de celui de la main. En agis-sant ainsi, on peut souvent altérer le lien vital du« feedback » entre les deux. Le commercial, qui trouve unclient dont les besoins ne sont pas satisfaits, peut possé-der un des éléments d’information les plus importants detoute l’organisation. Mais cette information est sans uti-lité, s’il n’est pas à même de créer une stratégie enréponse à celle-ci, ou s’il ne transmet pas l’information àquelqu’un en mesure d’en créer une – parce que lesréseaux d’informations sont bloqués ou parce que le res-ponsable de la formulation a terminé de donner ses direc-tives. L’idée que la stratégie est quelque chose qui seconcocte au sommet loin des détails de la conduite d’uneorganisation au jour le jour – c’est là un des plus grandssophismes du management traditionnel. Et elle expliqueune bonne partie des échecs les plus dramatiques que l’on

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peut connaître aujourd’hui dans le monde des affaires oude la politique.

Nous, à McGill, nous appelons les stratégies qui appa-raissent sans intentions claires – ou en dépit de ces inten-tions – les stratégies émergentes. Les actions convergent,ainsi, vers des modes d’action. Ils peuvent être délibéré-ment adoptés, si, bien sûr, ils sont reconnus pour tels etlégitimés par la direction générale. Mais cela se produitaprès coup.

Tout cela peut sembler bizarre. Je le sais. Les stratégiesqui émergent ? Les managers qui reconnaissent des straté-gies déjà formées ? À travers les années, notre groupe derecherche de McGill a rencontré beaucoup de résistancesde la part de ceux qui furent sidérés par ce qu’ils perçu-rent être notre définition passive d’un mot qui était poureux si étroitement lié à la notion de comportement actifet de totale volonté. Le terme stratégie ne signifit-il pas,après tout, contrôle, et la Grèce de l’Antiquitén’employait-il pas ce mot pour décrire l’art d’un générald’armée.

L’APPRENTISSAGE DE LA STRATÉGIE

Mais nous avons persisté dans cet usage pour uneraison : l’apprentissage. Dans l’absolu, une stratégie déli-bérée exclut l’apprentissage, une fois que la stratégie estformulée ; la stratégie émergente l’encourage. On répondaux actions au fur et à mesure qu’elles se présentent, c’estainsi que peut se dessiner, en fin de compte, un moded’action.

Notre potier essaye de faire une forme sculpturale surpied. Il n’y arrive pas, il l’arrondit un peu d’ici, l’aplatit parailleurs. Le résultat semble meilleur mais ce n’est pas

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encore le but recherché. Il recommence et recommence.Il peut arriver, alors, qu’après des jours, des mois, voiredes années, il obtienne enfin le résultat désiré. Il est, main-tenant, parti sur la voie d’une nouvelle stratégie.

En pratique, bien sûr, tous les processus d’élaborationde la stratégie marchent sur deux jambes, celle de la stra-tégie délibérée et celle de la stratégie émergente. Car, unprocessus d’élaboration de la stratégie émergente exclu-rait le contrôle, de la même façon qu’un processus d’éla-boration de la stratégie purement délibéré excluraitl’apprentissage. Poussées dans leurs extrêmes limites,aucune de ces deux approches n’a beaucoup de sens.L’apprentissage doit être couplé au contrôle. C’est pour-quoi, le groupe de recherche de McGill utilise le termestratégie pour désigner aussi bien les comportementsémergents que les comportements délibérés.

De la même façon, il n’existe pas une stratégie de typedélibéré pur ou de type émergent pur. Il n’existe aucuneorganisation – pas même, celles commandées par les géné-raux de la Grèce antique – qui puisse avoir une connais-sance suffisante afin de prévoir tout par avance, pourignorer le rôle de l’apprentissage en cours de route. Et iln’en existe pas une seule – pas même un potier solitaire –qui soit suffisamment flexible pour s’abandonner aux réac-tions du hasard et pour abandonner tout contrôle mental.La poterie réclame un contrôle juste comme elle réclameune réponse de la main au matériau. C’est, ainsi, que lesstratégies délibérées et émergentes constituent les der-niers points d’un continuum tout au long duquel les straté-gies qui sont dans le monde réel peuvent se révéler. Danscertains cas, des stratégies peuvent être élaborées parl’une ou l’autre méthode, mais la plupart du temps, elles sesituent à un point intermédiaire.