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    SYMBOLES

    DE

    LA

    RENAISSANCE

    Troisiime

    volume

    --9

    Travaux de

    D. ARASSE

    .

    M.

    BROCK. G.

    DIDI-HUBERMAN

    F. LECERCLE

    .

    L. MARIN

    .

    A. MINAZZOLT

    P.

    MOREL.

    M. MURARO

    .

    D.

    RUSSO

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    .,'

    .,r.-i l'-,",, .i'-.-

    l;

    li.'t;:j,',i

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    Le

    lieu

    EST

    la

    figure

    (r

    i

    le

    temps de I'Annonciation

    produit

    bien auire

    chose

    que

    le simple

    moment

    d'une

    histoire,

    alors

    le lieu

    ne

    i)

    r'y

    rdduira

    pas

    plus

    h la seule circonscription

    d'un

    espace.

    On

    pourrait

    dire,

    jouant

    sur

    les mots,

    que

    dans

    l'Annonciation

    I'espace s'interloque:

    manidre

    d'indiquer

    que le

    passage du

    Verbe

    divin dans l'humanit6

    de

    Marie

    difhacte

    aussi

    l'id6e

    d'un

    espace aux

    quatre sens

    de

    I'Ecriture

    sainte. La s6miotique

    de

    l'Annonciation,

    on

    I'a

    vu,

    est une

    s6miotique des-signc translata. Le

    lieu

    pictural de

    I'Annonciation ne

    saurait

    €tre,

    en cons6quence,

    qu'une

    topologie du d6placement.

    Ce

    qui peut

    s'6noncer

    autrement:

    si

    la

    mise en

    jeu

    picturale

    des

    figures

    ex6g6tiques

    permet

    d'dlaborer

    de

    tels

    r6seaux

    temporels

    -

    i savoir

    les subtils rdseaux du

    pr6sent

    virtuel,

    du

    pass6

    comm6mor6

    et du

    futur

    prdfigurd

    -

    alors elle exigera

    aussi d'6laborer le

    jeu

    des

    espaces r6alistes

    i

    travers

    quelque chose

    que

    I'on

    pourra

    nommer

    un

    lieu-rdseau,

    un loars

    tanslativus. Disons

    pour faire

    bref

    que

    la

    topologie doit

    se

    constituer

    ici

    d l'image

    -

    image

    rhizomatique

    -

    de

    la

    tropologie.

    Que

    I'on

    se

    reporte

    donc ante

    figuram,

    devant

    la

    grande

    Annonciation

    peinte

    par Fra Angelico

    dans

    le

    corridor

    du couvent

    de

    San

    Marco. Le

    visiteur

    -

    imaginons-le dominicain,

    puisque cet espace

    du

    premier 6tage

    correspondait

    au

    Quattrocento

    i un espace de

    clausura

    -

    vient

    de

    gravir le haut escalier

    qui

    conduit

    aux cellules

    et

    d

    la bibliothdque.

    Imaginons-le

    s'agenouillant chastement

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    Le

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    Annonciations

    de Fra ,A.ngelico

    -

    et de tant d'autres artistes6

    -

    ce

    jardin

    n'est

    pas

    le Faradis,

    puisque la

    zone de

    i'espace

    qu'il

    semble d€limiter

    correspond

    pr6cis6ment

    i

    la

    perte du Paradis

    par

    I'espdce

    humaine'..

    Fra

    ,Angelico

    aurait donc

    peint

    son

    jardin

    verdoyant

    i

    la manidre de ce

    qu'on

    pourrait

    nornmer

    un

    lieu

    flottant.

    L'Annonciation

    du Prado,

    par

    exemple, ne repr6sente aucune

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    devant

    la

    Vierge

    -

    a

    priire

    de

    'i

    Ave supposant une

    g6nuflexion

    -

    non seulement

    i l'image de

    I'ange

    qur

    se

    tient

    en face

    de

    lui,

    mais encore i

    l'image

    (et

    c'esi un quasi reflet)

    du

    saint

    qui

    domine toute sa

    vie

    de

    frbre

    pr€cheur.

    D'autre

    part,

    regardant

    le 25 mars de

    I'Annoaciation,

    il

    sera en

    quelque

    sorte regarde

    dans le

    dos, obliquement.

    par

    cet autre 25

    mars

    que

    repr6sente

    la

    crucifixion.

    Le

    rapport

    figural

    s'impose donc avec force,

    et nombre de

    traits

    plastiques

    ou color6s confirmeront,

    si

    besoin

    est, le lien

    qui

    noue ces deux images.

    Par exemple,

    le

    Christ

    penche

    la

    t6te

    en

    direction

    de

    saint Dominique,

    un

    peu

    au-deli

    de

    lui,

    et cet au-deli

    d6signe

    virtuellement

    I'espace

    liturgique

    r6el du

    corridor.

    Quant

    i I'encadrement

    ,

    il

    joue

    lui

    aussi

    le rdle

    d'un

    pont

    entre

    les deux fresques:

    c'est une m€me corniche

    grise,

    peinte

    en trompe-l'oeil

    et

    i

    la

    m€me

    hauteur,

    qui

    fait

    la

    base

    de I'une et

    de I'autre image;

    enfin,

    le

    motif

    veg€tal

    qui

    entoure

    la repr€sentation du

    crucifi6

    reprend

    exactement

    la

    partition

    color6e, rouge et verte, du

    jardin

    que nous questionnonss.

    Ce

    jardin*en

    effet nous

    parle

    de

    l'incarnation,

    c'est-i-dire du r6seau

    temporel

    et symbolique

    que suppose

    I'incarnation.

    Dans

    ce

    jardin

    ont

    6clos des

    grappes prolifdrantes

    de

    fleurs

    blanches

    et

    rouges:

    ces fleurs,

    dit

    I'ex€gdse,

    sont

    le Chtist

    Albert

    le Grand

    prdcise

    mOme

    que

    I'on

    doit entendre

    par

    lh les

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    Fig. 1.

    -

    Fra ANGELICO

    et

    ccllaborateurs,

    Crucifixion,

    Florecce" cc-*vent de San

    Marco

    (cornCor).

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    Le

    premier,

    c'est

    le

    jardin

    de la pridre

    au Mont des

    Oliviers.

    trl se irouve reprdsent6

    i deux cellules de distance

    de

    I'Annonciationl2,

    illustrant

    le

    texte

    fameux de

    saint

    Luc

    selon

    lequel J6sus

    priait

    avec tant

    d'intensit6

    et

    d'angoisse

    -

    angoisse

    nomm6e agonie

    -

    que

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    Qu'est-ce

    qutun

    Eiear

    ?

    Le lieu

    pictural,

    on

    le

    voit,

    reldve d'un

    ordre de complexit€ inouie.

    Il ne se

    contente

    pas

    de

    donner I'espace

    plausible

    d'une histoire:

    il

    virtualise

    le labyrinthe

    entier dont tel espace de

    telle

    histoire n'aura

    constitue

    qu'une

    branche

    infime. L'Annonciation,

    dans

    la

    Bible chr6tienne,

    se situe elle-m€me

    entre deux

    textes

    au

    moins

    -

    et

    c'est

    ce

    que

    suggBre admirablement

    la

    disposition des

    bandeaux v6t6ro-

    et

    n€otestamentaires

    comme

    cadres

    horizontaux,

    dans l'Armadio

    degli

    Argenti.

    Le lieu

    pictural

    de

    l'Annonciation

    -

    et notamment ce

    jardin,

    qui ne

    FIG. 5

    nous

    a pas

    encore

    tout dit

    -,

    un tel

    lieu

    sera

    donc

    au

    moins

    entre deux textes,

    entre

    d'autres

    lieux,

    d'autres temps.

    Regarder

    le

    jardin

    d'une

    Annonciation

    de

    Fra Angelico, c'est se

    tenir devant

    un

    locw

    trawlativus,

    un

    lieu

    qui

    n'immobilise

    ou n'enferme

    rien, mais au

    contraire

    vous

    fait

    parcourir

    un

    immense chemin

    mental,

    entre

    le

    Paradis

    que vous

    avez

    perdu

    et celui

    que

    vous

    voudriez

    bien regarder, dans le lointain futur

    de la

    fin

    des

    temps.

    Le

    lieu

    pictural,

    compris

    selon

    sa

    fonction de

    figure,

    c'est donc un

    moment dans

    un

    r6seau: il

    en

    commdmore

    les

    tenants,

    il

    en

    prophdtise

    les

    aboutissants.

    Mais aussi

    il

    le

    prCsente

    -

    comme

    son

    indice

    -

    et ainsi,

    virtuellement,

    le

    lieu

    inclut

    la

    totalit6 du

    systdme

    qui

    I'inclut structuralement.

    Tel

    est son

    paradoxe, qui ne

    peut

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    Fie.4.

    Fr3

    ANG[-i rCC.

    t'lol':

    ttla

    ing?:?'

    t lir"*.". co'i/e

    $i

    de

    Sar

    Marco

    1,:e iLi c

    )

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    de

    .incarnatio,,

    "t

    oo,,J'i"*,i;""i'i""i;H,ffi"ff;

    ffiffiffi:":"::#"#:ii:#i::ffi:Hi:?i,'1

    Hffi:

    vrai

    que

    I'Annonciation

    est une

    histoire,

    et

    que

    pour

    un

    chr6tien

    elle

    a

    eu lieu dans le concret

    d'un od et

    d'un

    quand; un

    peintre

    dominicain

    se

    devait donc d'en rendre

    compte.

    Saint Thomas insiste d'ailleurs

    sur le

    fait

    que

    chaque

    histoire biblique

    est immddiatement porteuse

    de sens

    spirituel22.

    Il

    est bien vrai

    aussi

    que

    Fra Angelico

    a

    6labor6,

    dans

    le corridor

    de San Marco,

    un espace de

    perception

    en

    partie

    illusionniste:

    en

    tdmoignerait

    par

    exemple

    le trompe-l'eil

    de

    cette corniche qui

    semble faire

    un socle de

    pierre grise

    d la fresque.

    En t6moigne

    surtout

    Ia construction

    perspective

    de I'image:

    comme l'a

    remarqu6 William Hood,

    le

    peintre a intentionnelle-

    ment

    rehauss6 la

    ligne

    d'horizon,

    de maniDre i ce

    que

    l'espace de l'Annonciation

    puisse

    s'appr6hender

    au mieux

    de

    sa coh6rence perspective,

    seulement si

    le spectateur

    est

    ogenouill| devant I'image, c'est-i-dire dans

    la

    position

    liturgique

    de

    l'

    Ave

    Marigz3.

    Mais

    un tel proced6,

    qui

    joue

    6videmmeni

    sur les

    conditions du

    regard,

    n'en relbve

    pas pour

    autant

    d'un

    souci

    de l',

    celui

    qui

    voudrait

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    plus encore

    que

    de Thomas

    d'Aquin27.

    A

    Floience,

    saint

    Antonin citait

    le

    grand

    docteur

    dominicain

    d

    longueur

    de

    pages,

    tandis

    qu'on pouvait

    lire, dans

    Ia bibliothdque de

    San

    Marco,

    les €crits

    d'Albert

    le

    Grand

    (sa

    Physica, son

    trait| sur

    les

    pierues)

    d cotd

    de

    ses

    1crits

    th1ologiques

    (notamment

    son

    commentaire de

    l'Annonciation,

    le

    Supoer

    Missus

    est,

    autrement

    appel6 Mariale)2g.

    Albert

    le Grand est assurdment

    le fondateur de ce

    qu'on nomme I'aristotdlisme

    chretien.

    Il

    aura

    consacrd

    des dizaines

    de

    trait6s

    ir exposer

    et e commenter chaque aspect de

    l'cuvre d'Aristote,

    depuis

    la

    logique

    jusqu'aux

    Parva naturalla, en

    passant

    par

    la

    physique, la

    mdtaphysique

    et

    l'6thique.

    Si I'on

    met cette s6rie

    de volumineux

    trait6s en

    face

    de

    I'euvre

    th6ologique

    proprement

    dite

    -

    euvre

    plus

    ample encore,

    faisant suivre

    )

    la

    Summa

    theologiae

    les

    commentaires

    des

    prophdtes,

    des Evangiles

    ,

    des Sentences

    de Pierre

    Lombard

    et

    de toute

    I'cBuwe

    du

    Pseudo-Denys

    -,

    on

    comprend l'dtendue stup6fiante

    du savoir mis en

    jeu2e.

    Le

    moins

    qu'on

    puisse

    dire

    de

    I'cuvre

    d'Albert le Grand,

    c'est bien

    qu'elle

    se d6ploie comme une

    gigantesque encyclop6die.

    Or,

    l'expos6 de

    I'aristot6lisme

    occupe

    presque

    la moiti6

    de

    tout

    cet

    effort

    de synthBse.

    Mais

    comment

    procdde une

    telle

    synthdse ?

    Elle

    procdde de fagon

    d6concertante

    et

    se

    rdvdlera

    n'€tre

    pas,

    au

    sens

    strict

    du terme, une synthdse.

    On

    dirait aujourd'hui

    qu'elle

    est

    un

    bricolage,

    ce

    qui

    signifie

    notamment

    que la

    structure

    du savoir albertinien s'invente en se

    constituant,

    et au

    bout

    du

    compte

    n'est

    plus du tout

    la

    m6me

    que celle du

    savoir aristot6licien

    original. D'une

    part, ce

    qu'Albert

    le

    Grand

    nommait

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    t':

    a

    pu

    se modifier3a.

    On

    pourrait

    alors

    faire

    I'hypothBse que

    la

    ,

    c'est-d-dire

    la

    limite

    interne

    du corps

    enveloppant

    telle

    chose

    qui

    y

    prend

    placeal,

    On s'apergoit,

    au terme de cette analyse,

    que

    la notion

    aristot6licienne du lieu n'est

    pensable que du strict

    point de vue physique:

    qu'il

    y

    a

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    niveau de

    l'6me,

    ou encore au- niveau du divin

    -

    alors

    le lieu

    pens6

    comme limite

    corporelie

    ne

    suffli

    pius,

    exige

    son ddpassement.

    Toute

    la tradition

    chr6tienne

    -

    c'est une

    €vidence

    -

    comprend

    le

    lieu

    du divin comme un

    au-deld

    du

    pur

    et simple lieu

    physique:

    une

    alt6ritd absolue,

    puissante, et

    non

    pas relative

    ou aii6nde d

    la

    chose.

    C'est ce

    qu'dnongait

    une

    lettre de

    saint Augustin

    d

    Volusien,

    lettre

    citde partout,

    jusque dans

    la

    Sornrne

    th1ologique

    de saint Thomas

    :

    "Le

    ser6 de

    ces

    hommes

    pes

    hdr4tiquesj

    montre

    qu'ils

    sont inaptes

    d se

    reprisenter

    autre chose

    que

    des

    corps. Aucun

    de ces

    corps ne

    peft

    ete tout entier

    partout;

    car, n'est-ce

    pas

    un autre

    que lui

    qui

    se touve n6cessairement

    ailleurs

    par

    ses

    parties

    innonbrables

    ? Mab combien dffirente est la nature de l'6me de celle

    du corps

    Et combien

    plus

    encore

    In

    nature de Dieu

    qui

    est

    le clearcur

    de l'6me

    et

    da corps

    Lui,

    il sait

    qu'il

    est tout entier

    partout

    sans

    qu'aucun

    lizu

    le contienne;

    il

    sail

    qu'il

    vient dans

    un endroit

    sans

    s'flloigner de celui

    oi

    il 6ail;

    il sait

    qu'il

    s'en

    va d'un

    lizu

    sans

    quitter

    celui

    oi

    il 6tait

    vena"a-

    Or,

    , m€me

    si

    son

    essence

    6chappe

    au seul

    ordre

    de

    la r6alit6

    physique.

    Et

    c'est

    ici

    que

    I'aristot6lisme

    d'Albert

    le Grand

    va

    se faire

    ,

    de fagon

    i

    d6passer le strict

    point de vue

    de la circonscription spatiale, vers un

    point

    de vue

    qui

    pose

    la

    question du lieu

    dans

    les

    termes de la

    m6taphysique,

    mais aussi delamorphogenise,la

    gendse

    des formes. Saint Albert

    a beau,

    parfois,

    railler le

    TimCe,

    on a

    I'impression

    que

    le texte de

    Platon

    travaille

    en

    profondeur

    et

    prepare

    les

    futurs

    ddveloppements

    albertiniens

    sur

    le

    lieu.

    Que

    dit

    Platon ?

    Que

    I'alt6rit€

    -

    qui

    assure,

    dans I'ordre logique, la

    s6paration

    et

    le

    lien

    entre les

    genres

    -

    exige

    d'€tre

    pens6e

    dans I'ordre du

    sensible: cette exigence

    est

    celleli

    m€me

    de la

    pens6e

    du lieu.

    Mais

    elle

    s'avdre d'une difficult6 inouie. Comment

    pouvons-nous

    sdparer les objets

    de la

    place

    qu'ils occupent, afin

    de

    d€nuder, pour

    ainsi

    dire,

    I'essence

    de

    leur

    lieu? La r6ponse de Platon est admirable

    :

    "lLe

    lieul n'est

    perceptible

    que

    grdce

    d une

    sorte

    d.e

    raisonnement

    hybfidz

    que

    n'accompagne

    point

    la seruation

    [de

    Ia rdalitil:

    d

    peine

    pouvons-nous y

    croire. C'est lui

    certes que

    nous apercevorut

    comrne en un rtve,

    quand now

    affirmons

    qae

    tout Ctre est

    forciment

    quelque

    part,

    en

    un

    certain

    lizu,

    occupe une ceflaine place,

    et

    que

    ce

    qui

    n'est

    ni

    sur

    la teoe,

    ni

    quclque

    part

    dans le

    Ciel

    n'ut

    rien

    du tout.

    Mais

    toates ces

    obsemations

    [...],

    zoas somrnes incapables, dufait

    de

    cette sorte

    d'6tat de rAve, de les

    distinguer

    nettement

    et de dire ce

    qui

    est vrai>4s.

    La beaut6

    -

    et l'ambiguit€

    -

    de

    cet

    argument,

    c'est

    que

    Platon

    inverse

    par

    avance,

    terme

    i terme,

    ,ou,

    ""

    qui

    aura

    conduit la

    pensde

    aristotdlicienne

    du

    lieu

    physique.

    Ici,

    le

    lieu

    retrouve

    sa

    dignite

    d'€tre,

    conlre

    la

    quasi-existence

    que

    lui

    prOtait

    Aristote. On

    sent aussi

    que le domaine strict de la

    physique a 6t6

    d6pass6: Platon

    nous

    parle

    d'un

    ciel or) toute

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    15/30

    t

    at

    l:

    le

    lieu

    .,porte-empreinte>

    de Platon 6voque ce

    qu'on

    nomme

    les rdves blancs€, se donnant d

    la fois comme un

    principe

    d'absolue maternit4

    et

    comme

    un

    principe

    d'absolue

    dissemblance:

    "Car

    elle estfcette nature du rdceptaclef comrne

    un

    porte-empreinte

    pour toutes chosesl...].

    Qu'il

    suffise de bien

    se

    iixer

    dans

    l'esprit

    ces

    trois

    genres

    d'€tre: ce

    qui

    natt,

    ce

    en

    quoi

    cela

    natt,

    et ce d la ressemblance

    de

    quoi

    se

    d€veloppe

    ce

    qui

    natt.

    Et

    il

    convient

    de comparer le rdceptacle

    d

    une

    mire,

    Ie

    modile d

    un

    pire,

    et la nature intermddiaire

    enfte les

    deu:x

    d un

    enfant. De

    plus,

    il

    faut

    bien concevoir

    ceci:

    l'empreinte devant Atre trds diverse

    et pTbenter d l'eil toutes

    les

    vaiitis,

    ce en

    quoi

    se

    forme

    cette

    empreinte serait mal

    propre

    d le recevoir,

    si

    cela n'itait pas

    absolument

    exempt de toutes

    les

    figures

    que cela doit

    recevoir

    de

    quelque part

    ailleurs. En effet, si ce

    receptack

    enit semblable

    d l'une

    quelconque

    des

    figures

    qui y

    entrent, et si

    par

    hasard

    il

    lui

    arrivait des

    figures

    contraires d celle-Id ou d'une nature absolumefi

    he6rogene, iI

    en

    prendrait mal la ressemblance,

    puisqu'il

    I'offusquerait

    por

    son

    propre

    aspect.

    C'est pourquoi il convient que

    ce

    qui

    doit

    recevoir en soi tow lcs

    genres

    soit

    lui-mdme

    en

    dehors

    de toutes

    les

    forrnet

    "4e

    .

    Comme Platon,

    Albert le

    Grand

    a envisage

    le

    lieu selon

    un

    constant

    ddplacement

    des ordres

    de

    r6alit6:

    I'ordre

    physique se

    d6plagant

    vers I'ordre biologique, puis

    cosmologique,

    puis

    mdtaphysique;

    et

    I'ordre

    m6taphysique

    vers la

    pens6e

    exdg6tique

    des

    v6rit6s de la

    foi. Entre

    physique

    et

    ex6gCse,

    donc,

    Albert

    le Grand

    aura

    developp6 une

    notion du lieu

    sur un

    mode

    qui

    6tait

    lui-m€me

    translativus.

    Tout l'exigeait:

    la

    difficult6

    intrinsdque

    du

    concept aristot6licien,

    d'une partso;

    et d'autre part

    I'enjeu th6ologique

    de

    I'entreprise

    elle-m0me.

    Un

    dominicain

    du Moyen

    Age ne s'interrogeait

    pas

    sur

    le

    lieu

    pour

    simplement savoir

    ce que signifie

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    16/30

    originel

    dans

    la

    matidre

    et

    les

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    17/30

    #1':ie'.-

    3

    fouconsacr€:

    solemnis], distingueceschoses,puisqu'iln'yap4squ'unseullieupourselesremEmorertoutes,etilpowsed

    cela

    (movet)

    en

    tant qu'il

    est solennel

    et rare. En effet, l'6me

    adhire

    (inhaeret)

    plus

    fortement

    aux

    choses

    solennelles et

    rares;

    et

    c'est

    pour cela

    qu'elks

    s'impriment

    (imprimuntur) plus

    fortement

    et emeuvent

    (movent) p/as

    fo

    rtement>@.

    Lieu

    rare, solennel, voire

    -

    de

    l'incarnation.

    Albert

    le

    Grand

    d6finissait le lieu de

    m6moire selon

    trois

    critdres,

    que

    nous retrouvons

    precisement

    dans

    I'euvre

    du

    peintre

    florentin. Le

    premier,

    c'est

    qu'un

    lieu

    ne releve

    pas de

    la

    simple

    (

    -

    par

    exemple:

    la maison

    de

    la

    Vierge 6tait construite dans

    un

    jardin

    -,

    mais

    de la

    ..disposition"

    des

    lieux et

    des

    images>

    (dbpositio

    locorum

    et

    imaginum)61,

    c'est-i-dire

    un r6seau,

    par

    exemple:

    la maison de

    la

    Vierge est

    a se

    rem6morer

    comme

    si elle 6tait construite dans le

    jardin

    du Paradis

    perdu par Eve,

    dans le

    jardin

    de

    l'agonie et

    de

    la

    r6surrection de

    J6sus-Christ, dans

    le jardin d'un

    Paradis

    retrouv6...

    Le

    second

    critdre,

    cons€cutif

    au

    premier,

    c'est

    que

    le lieu de m6moire n'est

    pas

    un

    lieu

    naturel:

    on

    pourrait dire

    que

    (sibi

    facil

    anima ad reservationem imaginb);

    et elle a

    beau utiliser

    pour

    cela

    des

    ,

    celles-ci

    n'ont rien i

    voir

    avec

    quelque

    volont6 descriptive

    que ce soit: car

    les

    similitudes

    ne

    servent

    pas

    ici d d6crire, mais bien i transiter,

    par

    le

    jeu

    des

    associations,

    dans

    le

    temps62.

    La

    preuve

    de cela

    -

    et

    le

    troisidme

    critdre

    -,

    c'est que le lieu de mdmoire ne

    s'attribue

    pas

    d un 6v6nement

    particulier; autrement,

    dit

    saint

    Albert,

    les images

    prolifdreraient

    et interfdreraient

    dans

    I'dme

    pour y

    disparaitre,

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    18/30

    i'amour

    du

    Verbe

    incarn6

    et

    de

    I'Eglise66.

    Dds

    avant

    le

    milieu

    du

    III"

    sidcle, Origdne

    avait

    d6jd

    6crit

    trois

    commentaires

    du

    Cantique, dont

    le

    dernier

    comprenait

    dix

    livres

    en

    vingt-mille

    lignes

    environ: ld

    encore,

    ie

    ..baiser

    de bouche>r,

    sur

    lequel

    r0vdrent

    tant

    de mystiques,

    d6signait

    I'acte mOme de i'incarnation

    -

    chair et

    souffle divin

    m616s

    en Jdsus-Christ comme en un seul acte

    d'amour67.

    Un

    dominicain

    du

    Quattrocento

    pouvait

    encore

    lire ces

    anciens

    commentaires

    d'Origdne, dans la

    traduction

    qu'en

    avait laiss6

    saint Jdrdme

    :

    car ils furent

    recopids

    partout;

    on les

    trouvait notamment

    i Florence

    et

    au couvent

    de

    Fiesole

    of Fra

    Angelico, on le

    sait, v6cut de

    nombreuses ann6esG. Mais Origdne

    n'6tait

    que

    le

    premier

    maillon

    d'une

    chaine consid6rable

    scand6e, entre autres, par

    les

    noms de Gr6goire

    de Nysse,

    Maxime

    le

    Confesseur

    (qui

    fut traduit

    en

    latin

    par

    Jean

    Scot

    Erigdne),

    saint Ambroise,

    Augustin,

    Gr6goire

    le

    Grand6e...

    Celui-ci

    avait

    d6hut€

    son

    admirable Expositio

    in

    Canticis cantborum

    sur

    I'id6e

    qu'on

    peut

    atteindre

    la

    pensde

    -

    la

    m6moird-

    du

    mystdre

    i

    travers

    certaines

    images

    ou lieux corporels,

    i

    condition que

    ceux-ci soient

    pour

    ainsi

    dire

    unheimlichen,

    c'est-d-dire

    i

    la

    fois 4nigmatiques

    et

    familiers:

    telle

    est

    bien

    la

    figure

    au sens

    paulinien

    (ou

    dionysien)

    du

    terme,

    telle

    est

    I'all6gorie,

    comme

    le

    dit ici

    Gr6goire,

    d

    savoir une

    espdce de

    machine du

    sens

    qui

    nous

    fera transiter

    d'un

    sein de

    jeune

    fille

    vers

    l'amour

    de la

    divine incarnation

    :

    "Depuis

    que

    le

    genre

    hwnain

    a Ae

    expulse

    des

    jobs

    du

    Paradis,

    entrant dans l'exil de

    Ia

    vie

    presente,

    il

    a le ceur aveugle

    (caecum

    cor) d

    l'6gard de I'intelligence

    spiriatelle. Si ta voit

    divine

    (vox

    divina)

    disait d ce

    ceur aveugle :

    "Marche

    d Ia suite de

    Dieu> ou

    "Aime

    Dieur,

    comme

    on le lui a dit dans Ia

    Loi,

    disormais extld, refroidi et engourdi

    dans I'insensibilitC, il

    ne saisirait

    pas

    ce

    qu'il

    enEndrait.

    Aussi,

    est-ce

    par

    dnigmes

    que

    le

    discours divin

    s'adresse

    d

    I'ime

    engourdie

    par

    k

    ltoid

    et

    que,

    d

    partir

    des

    rdalit€s

    qu'elk

    connalt,

    il

    lui inspire

    secrdtement

    (latenter

    insinuat)

    un

    amout

    qu'elle

    ne connatt

    pas-

    L'all4gorie

    olfre

    en

    effet

    d I'Ame

    Cloign1e

    de Dieu

    comme u,ne machine

    (quasi

    quandam

    machinam)

    qui

    la

    fait

    s'Clever

    vers

    Dieu. Par

    le moyen

    des

    Enigmes, en

    reconnaissant

    dans leg, mots

    quelque

    chose qui

    lui

    est

    farnilier,

    elle

    comprend

    dans

    Ie sens

    des

    mots ce

    qui

    ne

    lui

    est

    pas

    familicr,

    et

    grAce

    d un

    Inngage

    terrestre, elle

    est

    s1parAe

    de

    h

    terre.

    f...1

    De

    ld vient en effet

    que

    dans

    ce

    livre

    infitul|

    Cantiqte

    des

    cantiques

    sont employis

    les termes d'un amour qui paratt

    charnel.

    1...1

    Dans ce

    livre

    en effet,

    on

    prononce le

    nom des

    baisers,

    lenomd.esseins,

    lenomdesjoues,

    lenomdescar.sses[...].

    Pourtant,parlefaitmAmequ'ils'abaisseenparole,Dieu

    now

    dlive

    en compr€hension:

    car

    c'est d

    partir

    du

    langage de cet

    amour-ld

    que

    nous

    opprcnons

    avec

    quelle

    force

    notu

    devons

    bnAler

    de I'amour divin,To

    Le

    Cantique

    des cantiqucs

    repr6sentait

    sans

    doute,

    dans

    la

    Bible lue

    par

    les

    exdgetes, le

    texte

    oi se

    manifestaient

    au

    plus

    haut

    point

    les vertus

    all6goriques

    et

    anagogiques

    de

    la

    figure.

    Chaque

    "similitude

    corporelle>,

    si

    t6nue

    f0t-elle,

    y

    6tait

    pour

    ainsi

    dire

    propuls6e

    vers

    un

    sens

    mystique,

    ouvert, abyssal. On ne

    s'6tonnera

    pas

    de

    constater

    que I'extraordinaire

    prolif€ration

    des

    ex6gdses

    du Canti4ue, au

    XIIU

    et

    au

    XIII"

    sidcles,

    s'est

    exactement

    identifi6e

    avec

    la

    mise au

    point

    d6finitive des

    principes

    de

    l'all€gorisme

    scripturaireTl.

    Au

    XII"

    sidcle,

    les

    conmentaires

    de saint

    Ambroise et de saint Gr6goire furent

    6dit€s et amplifi6s;

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    19/30

    trry

    Lorsqu'un

    dominicain

    du

    Quattrocento

    se

    tenait

    devant le

    jardin

    de

    I'Annonciation,

    i

    San

    Nfarco,

    il se

    tenait

    donc

    devant un

    lieu

    de m6moire, i comprendre ici

    comme

    un r6ceptacle

    -

    ou une

    ..machiner

    locale

    -

    capable

    de

    produire

    en

    lui tout un

    r6seau de sens,

    un

    r6seau d'alldgories, de tropologies

    et

    d'anagogies

    du

    mystere.

    Le

    dominicain

    pouvait

    ainsi regarder

    ce

    jardin

    comme un

    jardin

    superlatif,

    un

    Jardin

    des

    jardins.

    IIy

    voyait

    bien

    s0r l'horuu conclusus

    chant6

    par

    Salomon en

    pr6figuration

    de la naissance

    virginale

    de

    J6sus:

    jardin

    clos

    i

    raison

    de la virginit6

    de

    Marie;

    jardin

    fleuri

    i raison du

    printemps

    mystique

    o[

    se forme

    le Christ-fleur.

    Regarder

    dans

    ce

    jardin

    le

    jardin

    du

    Cantique,

    c'6tait d€ji m6diter

    sur

    le

    mystdre de

    I'incarnation?s.

    Et

    si I'eil

    un

    instant

    s'arr0tait

    sur les

    petites

    fleurs rouges et blanches du

    jardin

    d'Angelico, il

    pouvait

    y

    reconnaitre

    aussi la

    beaut6

    de

    l'6pouse, rubea

    et

    lactea,

    rouge

    et

    lactescenteT6

    -

    comme les

    joues

    de Marie sur

    la fresque

    elle-mdme.

    Qu'est-ce

    alors

    que

    ce

    jardin

    ? C'est un r6ceptacle de

    I'incarnation:

    c'est

    la figure

    de

    Marie.

    Le

    lieu, on

    le

    voit,

    ne se contente

    pas

    d'€tre un support des figures; non seulement

    il

    est

    capable de

    les engendrer,

    mais

    encore,

    en les engendrant,

    il

    s'y

    identifie tout

    i

    fait. l,orsque

    nous nous

    demandons

    oi est

    la

    Vierge sur

    la

    fresque

    d'Angelico,

    nous devons

    donc r6pondre

    ceci

    :

    elle

    est

    i

    droite

    comme figure-personnage de

    I'histoire;

    elle

    est

    d

    gauche

    comme

    figure-lieu

    du

    mystEre

    de

    I'incarnation, sous

    l'espdce

    d'un

    jardin

    clos,

    d'un

    jardin

    fleuri. Sa

    pr6sence

    traverse ainsi toute la surface de la

    fresque.

    Il

    nous faut dds lors comprendre

    que lorsque

    Fra Angelico

    conviait

    le dominicain

    de

    San Marco i

    se tenir ante

    Virginis

    figuram,

    il

    d6signait

    par

    ld

    son @uvre

    tout entidre

    comme

    un lieu marial

    -

    lieu f€cond

    et

    virginal

    tout d

    la fois, lieu ouvert

    et

    ferm6, dnigmatique

    et familier.

    Marie

    r6ceptacle

    du

    virtuel

    Quand

    le mystdre atteint

    les

    lieux,

    les

    objets

    ou

    les

    personnages

    familiers

    d'une histoire,

    tous

    les repdres

    se

    mettent

    d vaciller. Lieux,

    objets

    et

    personnages

    n'auront

    peut-€tre

    rien

    perdu

    de

    leur

    dvidence,

    de leur

    simplicitd

    apparente;

    mais les

    rapports,

    eux,

    auront

    ddfinitivement

    perdu

    leur assise de

    signification:

    le

    vouloir-dire

    qui

    relie objets,

    lieux et

    personnages

    deviendra

    probl6matique, ou

    abyssal,

    ou apordtique.

    Telle est

    I'inqui6tante

    6tranget6,

    des

    lieux

    proph6tiques

    dans

    I'Annonciation.

    Alors

    il faudra

    repgnser

    toute la

    distribution

    des rdles,

    au-deli

    des deux

    personnages

    du

    dialogue

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    20/30

    Toute

    la

    glorification

    propre

    du

    corps de Marie revenait

    alors i chanter

    son

    .t

    -

    son

    uterus

    -

    eomme

    lieu

    de

    i'incirconscriptible,

    r6ceptacle de

    ce

    qui

    n'a

    pas

    de limite78.

    Or,

    comment concevoir un

    tel

    lieu

    (lieu

    deux

    fois

    cel6, dans

    la chair

    et

    dans

    le mystdre)

    sinon d travers

    ce

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    21/30

    Les

    voies

    d'une

    telle

    mdtamorphose sont

    infinies,

    arachn6ennes.

    On tentera cependant

    d'en suivre

    un fil

    a

    travers

    les dcrits

    d'Albert

    le Grand.

    Qui

    s'6tonnerait, i

    pr6sent,

    de

    ddcouvrir

    en

    notre

    doctor universalis

    -

    iascin6

    par

    le

    mystdre des

    corps,

    fascin6

    par

    la question du

    liiu

    -

    le

    plus grand

    docteur

    marial

    du

    Moyen

    Age

    ?83.

    Les 6crits sur

    la

    Vierge

    qu'on

    lui

    attribuait,

    d

    tort

    ou

    i

    raison,

    librent

    d6finitivement

    son

    nom

    e

    tout un

    univers

    de

    d6veloppements

    th6ologico-po6tiques

    sur la maternit6

    divine:

    ainsi lisait-on

    encore

    i

    la

    Renaissance,

    parmi

    la

    quinzaine

    de

    ses

    6crits traitant

    de la Viergee

    ,

    sa

    Biblin

    Mariana,

    son

    grand

    Mariale,

    de longs sertnons

    ainsi

    que

    cetie

    6trange

    mariale

    qu'on

    intitulait

    le

    De laudibus Beatae

    Maiae

    Virginis.

    Il

    s'agit

    d'un

    texte immense

    d'environ mille

    sept cents

    colonnes

    in

    qunrto, organis6 en douze

    livres,

    dont

    le

    premier

    est une

    explication de la

    salutation angdlique,

    et le dernier un

    long d6veloppement

    en sept

    chapitres

    .rri

    la

    Vi"rge

    comprise comme

    hortus

    concluslrs.'

    logique

    i elle

    seule

    €clairante.

    Entre

    ces

    deux

    chapitres

    extr$mes,

    nous

    auronsparcouru

    des

    centaines

    de

    pages

    sur les douze

    ..privildges>

    de

    Marie,

    sur ses

    trente-cinq

    vertus,

    sur

    sa

    beaut6

    tant corporelle

    que

    spirituelle,

    sur

    ses treize

    noms

    propres...

    Puis,

    viennent cinq

    livres

    -

    totalisant

    i

    eux

    seuls

    quatre-vingt un

    chapitres

    -

    consacr6s

    aux

    figures

    de

    Marie,

    ce

    par quoi

    I'on

    doit imaginer

    Marie

    pour apprdhender

    les

    mystbres et les vdrit6s

    qu'elle

    porte

    en elle.

    Or,

    toutes

    ces

    figures

    ou

    Plesques

    sont

    des

    figures

    localesss:

    au livre

    VII,

    Marie

    est

    ddsign€e par

    douze

    figures

    c6lestes

    -

    Maria

    caelum,

    Maria

    finnamentum,

    Maria

    horizon,

    Maia

    hu,

    Maria

    nubes...

    -;

    au

    tiwe VIII

    sont recens€es

    les figures

    terrestres

    de

    ia

    Vierge

    -

    Maria

    terra, area, carnpus...

    -;

    au

    liwe IX,

    ses figures aquatiques

    -

    Mari^a

    fons,

    puteus,

    flumen...

    -;

    au

    liwe

    X,

    nous

    trouvons

    un

    catalogue

    des

    ,

    c'est-i-dire

    de tous les

    6difices

    bibliques

    pr6figurant

    le corps de la

    Vierge,

    tels

    I'arche d'alliance, le trdne de Salomon,

    le temple

    ou le

    tabernacle;

    le

    livre

    XI

    est

    consacrd

    aux figures

    de

    ..remparts>

    et de navires

    -

    Maria

    castrum, Maria

    marus, Maria

    arca Noe...

    Et

    sur

    I'arche

    de

    No€ nous revenons,

    pour

    conclure, i

    I'ineffable

    paradis

    de Maria

    hords.

    On

    entrera

    dans ce

    dernier

    livre

    comme dans

    un vrai

    jardin.

    Albert

    le Grand

    nous

    prdsente d'abord

    la

    gdn€ralitl

    de ce

    lieu

    qu'il

    nomme

    un

    ,

    de

    puretd

    (mundus

    in se...

    emund,ans)%.Il

    nous

    parle

    de

    ses

    propri6t6s

    bienfaisantes,

    passant

    du

    lieu

    irrigu6

    i

    quelque

    chose

    qui

    devient

    progressivement

    un co{Ps

    humoral,

    humide

    et

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    22/30

    Enfin notre

    regard

    se fera

    plus pr6eis,

    et nous cornprendrons

    que

    ce

    jardin

    n'a exist6

    que

    pour

    Otre

    f6cond,

    ensemenc6,

    (tecum)

    -

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    23/30

    Comment li encore ne

    pas penser

    ir

    l'incarnaiion

    du

    Verbe ? Dieu

    emplit

    la

    Vierge

    pour

    que naisse

    la

    chair

    du

    Christ,

    comme

    il a

    empli la

    terre pour

    que

    naisse

    la

    premidre chair, celle

    d'Adam.

    Tout

    le

    vocabulaire

    de

    I'incarnation

    -

    le pr6fixe

    in

    le montre assez

    -

    tourne

    autour de

    cette

    id6e

    d'un lieu

    terrestre

    empli,

    rempli

    par

    la divinit6.

    Dans

    l'Annonciation, Marie

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    24/30

    consoi6

    toutes

    ses ruines,

    il

    a fait

    de

    son

    d6sert

    un

    Edenrl07. tr-e corps de Marie nous

    parle

    donc

    d'un

    lieu revisit€

    par

    la

    puissance

    et la b6n6diction

    divines, depuis la chute

    originelle. Et

    la manidre

    dont Dieu

    revisite

    la

    terre,

    c'est

    bien

    str

    de la rendre

    f6conde,

    de

    faire du

    d€sert un

    jardin

    verdoyant...

    Terre vierge,

    terre

    f6conde,

    Marie s'6ldve ainsi d la dignit6

    supr6me de

    constituer

    la demeure, ici-bas, de

    Dieu.

    Lorsqu'un

    iecteur

    de

    la Bible r6fl6chit

    i la

    phrase

    de Gabriel,

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    25/30

    habitation

    m6taphysique

    -

    celle de

    la

    gr6ce

    spirituelle

    -

    et, s'agissant

    de

    la

    seule

    Vierge, une

    habitation

    >,

    celle

    du corps christique,

    qui

    devait

    emplir Marie

    comme

    le

    plus

    ineffable

    des

    bienfaits.

    Interrogeant

    la

    mission

    du

    Saint Esprit

    -

    Splrltus

    Sanctus

    superveniet

    in

    te

    -,

    Thomas

    d'Aquin

    a

    soulev6

    un

    probldme

    qui

    pourrait

    bien

    6tre crucial,

    s'agissant

    de la repr6sentation

    picturale

    du colloque ang6lique:

    il

    se

    demande

    si

    I'inhabitation

    du

    Saint Esprit

    concerne,

    en

    quelque

    manidre,

    le

    monde

    visible.

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    26/30

    vase,

    urne,

    calice

    ou

    merae

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    27/30

    Fig.

    6.

    ?ACr-O

    Di

    GIOv,qNNf

    FEl, Annoncistio;.,.

    itfsa,ane

    d, i'Er-fsr.t

    ei

    Cru:it"ixici",.

    Siecle,

    Pinacotaca

    Nazioilaie.

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    28/30

    (domina),

    elle

    qui

    sera

    tout

    i ia fois

    6pouse et

    mdre ,

    dit

    saint

    Antonin.

    Puis

    il

    explique que

    la

    langue

    hdbreuse dispose de

    deux

    signes

    pour

    notre

    lettre

    M:

    il

    y

    a le men,

    ouvert

    en

    bas

    et

    fermd

    en

    haut, et il

    y

    a

    le

    mem,

    ferm6

    en

    bas et

    ouvert

    en

    haut.

    C'est bien

    dvidemment

    ce dernier signe

    que

    le subtil Esprit

    Saint aura choisi,

    de

    tout

    temps,

    pour

    faire

    I'initiale

    du

    nom de la

    Viergelze.

    Que

    conclure alors

    de ce

    jeu

    des formes

    et du

    sens

    ?

    Que

    la

    lettre

    du

    nom

    de

    Marie se

    contourne

    et

    se

    d6crit

    comme

    le

    lieu

    le

    plus

    secret de son corps:

    le

    mem,

    owert

    en haut et ferm€ en

    bas,

    n'est

    rien

    d'autre

    que

    le

    geninle

    secreturn,

    la description

    m6me des

    de

    la

    Vierge, que le Verbe divin a

    d6sign6

    pour

    sa

    (viscera[...]

    realis habitatio

    Chris{'s.

    Bref,

    la lettre

    ici dessine le

    lieu

    du mystdre. La

    lettre

    d'un

    nom

    devient

    capable

    de fournir I'image

    la

    plus

    directe

    du mystBre

    que

    porte

    en elle la cr€ature dou€e

    de ce nom; de

    cette lettre.

    Le

    mem de

    Marie,

    c'est Marie comme

    lieu

    :

    c'est

    le

    jardin

    clos

    de

    son

    ventre, ferm6 en

    bas,

    ouvert

    en

    haut.

    L'ex6gdse a

    toujours

    d6ploy6

    des tr6sors

    d'ing6niosit6

    pour

    confondre

    -

    interchanger tout

    au moins

    -

    les

    reprdsentations

    de

    mots et

    les reprdsentations

    de choses.

    Le

    rdsultat de cette vocation i constamment

    ddplacer

    aura

    6t€

    la

    mise

    en

    place

    progreisive

    d'une

    fabuleuse

    machine

    de

    figurabilitd, d'omni-figurabilit6,

    aimerait-on

    dire.

    D6jd,

    saint

    Ambroise

    jouait

    sur les mots

    pour

    produire

    de I'image

    :

    aula

    (la

    demeure, le

    palais)

    r6sonnait

    avec

    aulaeunt

    (le

    rideau),

    puis

    avec

    otla

    (l'urne)

    pour

    d6signer la matrice de la Viergel3l. D6sormais,

    Albert

    le

    Grand fera

    jouer

    le

    mot

    uterus avec

    le mot ortus

    (barridre)

    et,

    bien

    stv,

    avechortus, le

    jardin

    -

    ce

    jardin

    que

    nous

    retrouvons

    enfin, bien qualifi6

    ici par

    saint

    Albert

    de Paradisus voluptatisl3z.

    Comment

    alors ne

    pas

    supposer qu'une

    telle

    pratique

    -

    qui

    jamais

    n'opposait

    le discours i

    la

    figure

    -

    ait

    Mars

    qu en

    est-r

    e

    nnonqa ron c ,

    eux

    sc emas

    se

    on

    concurrence

    e

    souvent

    coexrs en :

    ce

    sonr

    leux

    maniBres

    de

    penser

    la notion de symdtrie, que suppose le colloque ang6lique. La

    premidre

    est

    ternaire;

    elle

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    29/30

    tutorise

    le

    dispositif

    ir

    perc6e

    centrale; on

    peut

    thdologiquement I'investir d'un concept

    du

    lieu

    virginal

    en

    tant

    ;ue

    r6ceptacle

    de la

    "Trinit6

    tout

    entiEre>l3s.

    Mais la

    seconde,

    binaire,

    n'est pas

    moins

    pr6gnante: elle

    consiste

    i

    Oennit

    le

    loau

    de

    I'Annonciation

    par

    deux

    arcatures

    qui organisent toute la surface

    peinte selon

    le dessin

    fn1ral

    d'un

    grand

    M,

    pensable

    -

    ou,

    le

    plus

    souvent,

    par

    la r6p6tition

    scolaire

    du

    sch6ma,

    impens6

    -

    comme un

    ndice

    du

    nom

    de

    Marie.

    Ce

    dispositif

    est

    universel

    :

    on le trouve dans toute

    la

    peinture

    siennoise,

    chez

    Ambrogio

    It

    Pietro

    Lorenzetti,

    chez

    Taddeo di Bartolo; on

    le

    trouve d

    Florence

    chez

    Lorenzo Monaco,

    Filippo

    Lippi;

    plus

    ;ard,

    on

    le retrouve,

    d6placd comme

  • 8/18/2019 Le Lieu Virtuel

    30/30

    135.

    Cf.

    D.

    ARASSE,

    (Annonciation/Enonciation",

    art. cit.,

    p.

    8-12.

    t36

    Les

    exemples

    abondent encore

    dans le

    liwe

    de G.

    PRAMPoLINI,

    L'Annwciazione nei

    pittori primitivi italioni,

    Hoepli, Milan,

    1939.

    137.

    I-es

    paramdtres

    de

    e

    lieu ne

    se

    r€duisent

    pas

    i

    la seule dimensioa de l'irilubitatia ici interrog€e.

    Il

    y

    manque d'auhes

    trajets

    et

    d'autres dimensions,

    avant

    tout

    la

    dimensiol

    &l'irchoatia

    -

    ou

    genCse des

    fornres

    -

    et

    celle

    de

    l'incorporatio.

    Je

    me

    permes

    de

    renvoyer,

    pour

    l'int6gralite de c€tte

    analyse,

    au livre

    i

    paraitre

    :

    Dissemblance

    el

    fguraion.

    Les licu.r

    du mysthre dans

    la

    peinare

    du

    Quattrocento,

    Flammarion,

    Paris,

    1990.