Le Groupement de textes

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Jean JORDY, professeur agrégé Lycée de MIREPOIX et MAFPEN de l'Académie de TOULOUSE

Réalisation : CRDP de TOULOUSE

C O L L E C T I O N : S A V O I R E T F A I R E

Le G r o u p e m e n t de textes au Lycée... et au Collège

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2 Le Groupement de Textes

Avec la collaboration de :

Michel DES COTES, MAFPEN, Toulouse Gérard LANGLADE, Lycée Clément-Marot, Cahors Christine MORE AU, Lycée Berthelot, Toulouse Simone DOMPEYRE, Lycée Jolimont, Toulouse Véronique CHAVAROT, CPR, Toulouse Jean SIMHON, Collège Darasse, Caussade Pierre-Jean FAUDOT, Lycée Mirepoix

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SOMMAIRE

Préface 5

Avant-propos 9

Introduction 13

Préambule ludique 17

PREMIÈRE PARTIE Fondements 23

I. Du thématisme à la cohérence problématique 26 II. De l'hétérogénéité textuelle à l'intertextualité 38 III. Du "je ne sais pourquoi" au projet pédagogique ..................... 52 Fiche méthodologique 64

DEUXIÈME PARTIE Situations

I. Examen d'un exemple 70 II. Quatre situations didactiques 80 III. Situations "magistrales" 97

TROISIÈME PARTIE

Pratiques GT. 1. Pages d'écriture 111 GT.2. La description de paysages 121 GT.3. L'écriture de la violence 133

GT.4. Lyrisme et fonne fixe 147 GT.5. Monstres en tous genres 161 GT.6. Illusions comiques 181 GT.7. Scènes de première vue 193 GT.8. Maisons de romans 227

GT.9. Premières pages de romans 251 GT.10. L'écriture poétique du Spleen 261 GT. 11. Saturnales de comédies 271 GT. 12. Les alambics de l'Assommoir ........................................... 287

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PRÉFACE

Gustave Flaubert avait coutume, dans ses lettres de classer les mauvais critiques en «canailles» et en «farceurs» selon leur degré de sincérité ; il leur opposait les «praticiens», ceux qui savent parler d'un livre car ils sont eux-mêmes écrivains, et écrivains honnêtes. Nous devrions sans doute adopter ces robustes distinctions pour juger beaucoup de ceux qui donnent aujourd'hui leur avis sur l'enseignement, à l'heure où des slogans politiques peuvent donner aux parents l'illusion que l'on va doubler en quelques années le nombre des élèves en classes terminales sans profondément modifier les filières d'orientation, les pratiques pédagogiques et le recrutement des professeurs, à l'heure également où certains prétendent réformer l'institution éducative en dix mesures spectaculaires, sans discerner toujours quels dégâts entraînent à long terme les bons sentiments, lorsqu'ils trouvent leur source dans l'ignorance des vrais problèmes. Puisque tout le monde, malheureusement, s'accorde à reconnaître que les difficultés de lecture et d'expression écrite atteignent désonnais l'Université et les écoles d'ingénieurs, il semble donc plus que jamais nécessaire d'écouter les «praticiens», ceux qui, loin des luttes corporatistes et des émissions médiatisées, nous parlent de l'essentiel, l'aide directe apportée aux élèves et la didactique de discipline. Dans une époque de polyvalence frénétique et d'interdisciplinarité foisonnante, il ne faut pas craindre de rappeler que là se trouve sans aucun doute le socle de tout l'édifice : en effet, toute méthode privée de contenu précis se trouve rapidement vouée à l'échec et au bavardage ; de même, sans appuis disciplinaires bien maîtrisés, tout effort d'innovation et tout projet d'établissement ne sont que des vitrines vides, d'autant plus vides qu'elles sont brillamment éclairées.

Aux grands mots, en pédagogie comme ailleurs, il faut donc préférer les petits remèdes, ceux qui agissent avec patience, modestie et efficacité. Telle pourrait être la devise de cette collection toulousaine, inaugurée par La Lecture méthodique de Michel Descotes, et qui ne s'arrêtera pas avec ce deuxième ouvrage sur le goupement de textes. Ce dernier, on le sait, a maintenant force de loi, par la volonté des

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Instructions Officielles, dans toutes les classes de lycée, mais il se rencontre aussi, de plus en plus fréquemment, dans les classes de collège. Car cela va sans dire mais peut-être, comme dans bien d'autres domaines, infiniment mieux en le disant — ce recours au groupement de textes n'est absolument pas réservé aux classes de première, et aucun projet pédagogique, que ce soit en collège ou en lycée, ne peut actuellement s'en priver. Pourtant, il s'agit encore trop souvent de groupements vagues, constitués de pages arbitrairement juxtaposées ou étalées à travers les siècles. Comment étudier sérieusement, en quelques séances, la critique de la société du Moyen-Age à Louis-Ferdinand Céline, ou bien l'amour de Ronsard à Marguerite Duras, quand on ne remonte pas jusqu'à Chrétien de Troyes, ou jusqu'au Cantique des Cantiques ? D'où, à l'oral du baccalauréat, des listes décevantes, parfois difficiles à utiliser par les examinateurs. Mais il y a beaucoup plus grave : ces faux groupements, trop généraux ou trop arbitraires, enlèvent toute son efficacité à l'assistance en méthode qui doit être dispensée en seconde et en première. Ce livre se veut donc, avant tout, une invitation au dialogue et à la réflexion sur le bon usage du groupement de textes, et sur les possibilités qu'il offre aux enseignants de lettres.

Car, dans un projet pédagogique utile, c'est-à-dire bien adapté, souple et cohé- rent, la place de ces groupements est, si l'on peut dire, doublement essentielle : d'abord, ils permettent d'amener des élèves, même faibles ou peu cultivés, à connaître de manière suffisante quelques techniques d'écriture ou quelques écoles, c'est-à-dire à pouvoir se repérer à travers les grandes étapes de notre histoire littéraire ; ensuite, l'analyse et la comparaison de plusieurs textes bien choisis doivent amener progressivement beaucoup d'élèves à la véritable lecture, celle qui permet d'apprécier la cohérence et l'originalité d'une œuvre intégrale.

Certes, il est possible de parler avec nostalgie, le soir, à la chandelle, du temps — pas si lointain — où un élève sur dix, seulement, parvenait à la sixième, pour y recevoir un enseignement de 9 heures hebdomadaires en français ; il est également permis de rêver, dans cette période de grands chantiers, qu'une bonne fée ministé- rielle viendra modifier le baccalauréat, et, pour le moins, repousser d'un an l'interrogation de français, de manière à rendre un peu de sérénité aux classes de lycée. Mais nous devons surtout nous installer dans une stratégie obstinée d'infor- mation et de formation des collègues, afin de sauver l'essentiel : si nous acceptons en effet d'accueillir ces classes dont tout le monde célèbre l'hétérogénéité, il nous faut convaincre très vite l'ensemble ds enseignants qu 'ils peuvent, en se donnant plus de liberté et en adaptant mieux leurs pratiques de cours, répondre correctement à cette demande de plus en plus pressante, et parfois pathétique, qui vient de ces «nouveaux lycéens». Donnons-nous par conséquent comme tâche commune, pour le moins, d'améliorer les listes de baccalauréat et les pratiques d'interrogation à l'oral, qui sont

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encore loin aujourd'hui d'être satisfaisantes. Et donnons-nous également comme ambition, au-delà, d'amener ces futurs bacheliers à savoir lire et écrire, au sens plein de ces deux termes. Sinon, puisque la communication est aujourd'hui élevée au rang de religion, le rituel et la grand-messe, dans les cas où les fidèles ne sauraient ni se comprendre ni se parler, risquent d'être bien tristes !

Michel MARTINEZ, Inspecteur Pédagogique Régional de Lettres

de l'Académie de Toulouse.

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AVANT-PROPOS

il y a plus d'un an maintenant, nous écrivions en conclusion de La lecture méthodique : «Cette mise au point n'est qu'une étape dans une recherche à prolonger... », ou encore, «On ne peut séparer la lecture méthodique de l'étude du groupement de textes et de là lecture de l'œuvre intégrale... ». Nous constations aussi que bien des questions essentielles touchant la lecture méthodique n'avaient pas été encore abordées. Avec le recul, après une année de pratiques de classe et d'activités diverses de formation, de telles affirmations nous ont été amplement confirmées et rendent nécessaires de nouvelles publications : en effet, la réflexion doit être complétée, approfondie, nuancée, pour que la lecture méthodique prenne mieux sa place dans l'ensemble des activités de la classe de français.

La notion de lecture méthodique elle-même n'a cessé de se préciser ... tout en continuant à susciter des réactions et des émotions diverses chez les enseignants de lettres tant au lycée qu'au collège.

De notre côté, pour répondre à une demande de définition nous avions proposé ces quelques lignes :

Cette notion est historiquement marquée puisqu'elle apparaît en France dans les instructions officielles pour l'enseignement du français à la fin des années 1980.

Elle se substitue, dans l'enseignement secondaire, à l'explication de texte traditionnelle pratiquée depuis près d'un siècle : elle est définie comme «une explication de texte consciente de ses démarches et de ses choix» (Instructions Officielles de la classe de lère de 1988).

Lorsqu'on s'interroge, à travers les textes officiels, sur les présupposés qui la fondent, on repère un certain nombre de savoirs récents venus des théories de la littérature, de la linguistique ou de la sémiotique. On peut citer :

- le sens comme produit d'une intéraction entre un récepteur doté de compéten- ces (encyclopédique, linguistique, logique, pragmatique) et un matériau signifiant (le texte considéré comme une «forme» ou une «trace»).

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- l'acte de lire conçu comme une activité de construction du sens mettant enjeu les opérations d'anticipation, d'élaboration d'hypothèses de sens, de prélèvement d'indices pour validation des hypothèses, etc.

- le refus des préjugés esthétiques et d'une intention de l'écrivain admise a priori comme source du sens.

On ajoutera au moins un principe non explicité dans les textes mais que les recherches sur la lecture ont imposé : il n'y a de lecture authentique que dans un projet.

Sur ces bases peut se développer une véritable didactique de la lecture qui prend en compte les acquis des recherches sur l'apprentissage (constructivisme essentiel- lement) : l'enseignant n'est plus le détenteur du sens du texte qu'il aurait à transmettre ; il devient le concepteur de situations (ou situations-problèmes) au cours desquelles l'élève par son activité construira les concepts fondamentaux fondant une capacité de lecture ; la pertinence des sens élaborés par l'élève ne sera plus l'objectif unique mais apparaîtra aussi et surtout comme la garantie de ses compétences de lecteur. Plus que la connaissance des grands auteurs (qui ne sera jamais exclue pour autant), la pratique de la lecture doit permettre la maîtrise de méthodes transférables à des objets à lire (textes littéraires et non littéraires, images fixes ou animées) de plus en plus nombreux et variés dans le monde contemporain.

Les méthodes de lecture maîtrisées peu à peu par l'élève sont fondées sur deux types d'«outils» :

- des opérations mentales de base et des concepts opératoires (ou invariants) qui interviennent dans tout acte de lire, quel que soit le support (texte, image fixe ou animée)

- des notions plus techniques d'origines diverses (citons pêle-mêle : types de textes, champs lexicaux, énonciation, focalisation, statuts du narrateur, temps, espace, catégories grammaticales, etc.) qui permettent de sélectionner des indices spécifiques et donnent à l'acte de lire sa flexibilité.

Nous ne renions pas une telle définition mais pensons qu'elle doit être relayée par des approches plus directement didactiques situées dans les cadres concrets du groupement de textes et de l'œuvre intégrale. C'est là qu'on peut espérer atteindre la souplesse et la variété souhaitables, loin des grilles toutes faites et des dogmatis- mes réducteurs.

Jean Jordy comme Gérard Langlade (La lecture méthodique de Vœuvre inté- grale au lycée et au collège, au CRDP de Toulouse) nous proposent de poursuivre dans cet esprit la longue et profonde mutation de l'enseignement du français amenée

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par les dernières Instructions Officielles. Ils nous offrent une réflexion sur les textes officiels, des références théoriques pertinentes et originales, des illustrations nom- breuses et précises de pratiques de classe.

Ainsi Jean Jordy, déjà pourvoyeur de cinq exemples dans La lecture méthodique et auteur d'un «parcours de lecture» chez Bertrand-Lacoste (L'Ile des Esclaves de Marivaux) reprend-il le flambeau pour le Groupement de textes. Il a eu le souci d'actualiser sans cesse sa réflexion pour qu'elle prenne en compte les acquis d'une didactique du français en plein essor : nul doute que son approche du groupement de textes ouvrira des perspectives nouvelles. Il a ouvert ses pages à plusieurs de ses collègues pour des compte-rendu de séquences didactiques, apportant par là la preuve que la prise de conscience s'étend parmi les professeurs de lettres.

Michel Descotes MAFPEN TOULOUSE

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INTRODUCTION

Quand on regarde les demandes de stages de Lettres proposés par les MAFPEN et qui expriment les désirs et les besoins en formation des enseignants de français, on constate en règle générale que les stages sur les Groupements de Textes n'appa- raissent pas comme une priorité ou une urgence. (1)

De fait, le Groupement de textes (G.T.), dès que les Instructions officielles l'ont établi, n'a pas posé les problèmes qu'a suscités et que suscite encore la mise en place de la Lecture Méthodique par exemple.

Peu de vagues autour du Groupement ! Peu de passions !

Pour rendre compte du moindre intérêt que provoque cette pratique, nous pouvons avancer plusieurs explications :

* Les enseignants de Lycée se sentent dans l'ensemble seuls concernés, les professeurs de collège n'étant guère explicitement encouragés par les Instructions Officielles (1.0.) pour construire des Groupements de textes.

* Le Groupement est encore trop souvent perçu comme un «ravalement» ou une toilette de la liste de textes pour l'oral ; et cette «mise en forme» n'imposerait guère une «réforme» de la pédagogie !

* Les pratiques «thématiques» qui ont longtemps et partout fleuri conduisent encore à la constitution de séries faciles à créer : «l'eau», «l'auto», «l'automne» ; qui ne saurait aligner cinq textes sur chacun de ces «thèmes» ?

* Moins caricaturalement, les fascicules qui pullulent dans le commerce du livre, les diverses revues pédagogiques offrent des Groupements «tout-faits» ou à défaut des séries infinies de textes à réunir qui fonctionnent comme autant de réservoirs où chacun peut aisément puiser à peu de frais.

(1) Par exemple dans l'Académie de Toulouse, le stage «Lecture méthodique et construction du sens» a recueilli 145 demandes ; celui intitulé : Lecture méthodique et compréhension de textes classiques 109 ; la lecture de l'œuvre intégrale 196, et le groupement de textes... 68 (état de la demande de formation en lettres pour 90-91).

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* A la différence de la Lecture Méthodique (L.M.) ou de l'étude d'une Œuvre Intégrale (0.1.), la technique du G.T. ne parait guère remettre en cause des méthodes, en question le problème du sens, en jeu la relation entre l'enseignant, le savoir et l'élève.

Bref, le Groupement de textes apparaitrait essentiellement comme une solution sage et de bon sens, pragmatique, à l'éparpillement des textes présentés à l'oral du bac, à l'éclatement des listes... et il ne devrait guère conduire, le professeur de Lettres à des révisions déchirantes, conforté qu'il est parles publications les plus répandues !

Mais dans le même temps, d'autres indices semblent contredire ces faits et ces interprétations sommaires :

* Les examinateurs convoqués pour les épreuves orales du Bac, lors de la réunion de concertation (2) ou dans les couloirs, expriment parfois leur irritation devant tel ou tel Groupement, leur désarroi devant leur difficulté à poser une question d'ensem- ble sur une série de textes dont la cohérence est incertaine : mettent-ils en cause une présentation maladroite du travail construit en classe par le collègue ou plus profondément le principe même de la constitution du Groupement incriminé ?

* Les épreuves dites de didactique des concours internes de Lettres (CAPES et Agrégations) ont fait du Groupement de Textes une des techniques privilégiées sur laquelle doivent s'exercer la réflexion et l'esprit d'analyse et de synthèse des candidats. La diversité étonnante des «solutions» proposées dans les copies, la recension des erreurs sur la technique même que soulignent les rapports des jurys, indiquent la confusion qui existe dans les esprits - et donc dans les pratiques - sur cette méthode.

* Le succès même des fascicules thématiques qui s'étalent sur les tréteaux des libraires dit moins la confiance des collègues dans les groupements imprimés que leur difficulté à construire par eux-mêmes, pour leurs élèves, des séries répondant à des exigences clairement formulées.

Ainsi, le Groupement semble à la fois être bien accepté, sereinement pratiqué, et insidieusement gêner, troubler, irriter. Pratique marginale en collège, canonique en Première, le Groupement de Textes serait dans la trilogie «Lecture Méthodique- Œuvre Intégrale-G.T.», commodément admise comme la moins inquiétante, la moins bouleversante, celle dans laquelle «les bonnes vieilles habitudes qui ont fait leurs preuves» peuvent se couler en se parant du fard tranquille de l'indispensable

(2)... quand elle est prévue et possible, si elle est organisée et dirigée, lorsque chacun accepte de poser les problèmes rencontrés.

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rajeunissement ! Mais «à l'épreuve» - e t il faut prendre l'expression dans sa diversité de sens - , le Groupement s'avère moins docile, moins lisse, plus exigeant.

C'est que le problème posé par le Groupement de textes est plus complexe qu'on ne l'a dit. La difficulté à résoudre est moins en effet dans le «comment ?» que dans le «pour quoi?»

On trouve dans les revues pédagogiques, les opuscules de vulgarisation, les Instructions Officielles elles-mêmes, des réponses, diverses voire contradictoires, à la première de ces questions. On peut apprendre le nombre de textes pertinent pour un Groupement efficace, les conditions d'une utile confrontation des textes, la différence entre «cohérence thématique» et «cohérence problématique»...

Plus rarement se fait entendre la question qui est à nos yeux la plus importante : un Groupement de textes, certes... mais pour quoi faire ? En construisant la série de textes que nous présenterons aux élèves dans une progression soigneusement orga- nisée (éventuellement plus abruptement, en ayant dès lors conscience de la singula- rité de notre stratégie), que prétendons-nous construire ? Quels types de savoirs ? Quels savoir-faire ? Il est impossible de faire l'économie d'une réflexion d'ordre di- dactique sur la fonction du Groupement de textes dans le projet pédagogique de l'enseignant.

Ce livre va s'efforcer de répondre à toutes ces questions, d'assurer des prises solides sur une technique rebelle, de multiplier les exemples concrets de pratiques de classes.

La première partie Fondements cherche, à travers les méandres des publications hétérogènes, à tracer un chemin nettement balisé par les recherches théoriques, les réflexions sur la didactique, les regards sur des pratiques.

Situations a pour ambition de montrer comment le Groupement peut devenir un outil remarquablement efficace pour construire chez les élèves savoirs et savoir-faire nettement définis.

Le lecteur trouvera dans le troisième ensemble, le compte-rendu de douze Pratiques de classe autour du Groupement de textes. Il prendra accessoirement intérêt à lire «notre» solution au petit jeu que nous lui offrons en préambule...

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PRÉAMBULE... LUDIQUE.

L'épreuve de didactique des concours des Capes de Lettres offre aux collègues candidats l'occasion de composer «une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour qu'un savoir constitué devienne matière à enseigner», selon les termes mêmes d'un rapport de concours.

Dans le même esprit, on pourrait proposer aux lecteurs de ce dossier l'exercice suivant.

Vous trouverez page suivante trois poèmes contemporains * Mathématiques, de Jules Supervielle. * Le Cancre, de Jacques Prévert. * Page d'écriture, de Jacques Prévert.

Pour un niveau de classe que vous choisirez (1er ou 2èmecycle), construisez à partir des textes proposés un Groupement de textes en précisant les objectifs pédagogiques que vous visez. Vous exposerez les modalités d'exploitation des textes en suggérant la durée de la séquence de travail avec les élèves sans omettre les exercices d'évaluation (intermédiaire et/ou final) qui vous paraîtront pertinents.

Ne refusez pas l'exercice ou le jeu ! Il est certes artificiel, fictif, discutable. Mais il permet de poser - de se poser - un nombre certain de problème méthodologiques essentiels à une réflexion féconde sur les pratiques du Groupement de Textes :

* quels textes et pourquoi ceux-là ? * quel est le motif majeur de leur confrontation ? * quel(s) thème(s) et/ou problème(s) communs justifient-ils la série ainsi cons-

truite ?

* quel titre rendant compte du plus grand nombre de ces rapprochement pertinents donner à cet ensemble ?

* quelle place réserver à cette étude dans le projet pédagogique construit pour les élèves de la classe choisie ?

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* quels sont les prérequis indispensables aux élèves pour travailler efficacement ces textes ?

* quelles compétences, quels savoirs et quels savoir-faire ce groupement devrait- , il permettre de mettre en place ?

* comment évaluer dans ses dimensions plurielles les acquis de la séquence construite ?

* comment articuler ce travail de lecture avec des travaux d'écriture fondés ? *

MATHÉMATIQUES

Quarante enfants dans une salle, Un tableau noir et son triangle, Un grand cercle hési tant et sourd Son centre ba t comme un tambour.

Des lettres sans mots ni patrie Dans une at tente endolorie.

Le parapet dur d 'un trapèze, Une voix s'élève et s 'apaise Et le problème furieux Se tortille et se mord la queue.

La mâchoire d 'un angle s'ouvre Est-ce une chienne ? Est-ce une louve ?

Et tous les chiffres de la terre, Tous ces insectes qui défont Et qui refont leur fourmilière Sous les yeux fixes des garçons.

J. Supervielle Matins du monde dans Gravitations

LE CANCRE

Il dit non avec la tête mais il dit oui avec le cœur Il dit oui à ce qu'il aime il dit non au professeur il est debout on le questionne et tous les problèmes sont posés soudain le fou rire le prend et il efface tout les chiffres et les mots les dates et les noms les phrases et les pièges et malgré les menaces du maître sous les huées des enfants prodiges avec des craies de toutes les couleurs sur le tableau noir du malheur il dessine le visage d u bonheur.

J. Prévert Paroles

PAGE D'ÉCRITURE

Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize... Répétez ! dit le maître Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize. Mais voilà l'oiseau-lyre qui passe dans le ciel l 'enfant le voit l'enfant l 'entend l 'enfant l 'appelle : Sauve-moi joue avec moi oiseau !

Alors l 'oiseau descend et joue avec l 'enfant Deux et deux quatre... Répétez ! dit le maître et l 'enfant joue l 'oiseau joue avec lui... Quatre et quatre huit huit et huit font seize et seize et seize qu'est-ce qu'ils font ? Ils ne font rien seize et seize et surtout pas trente-deux de toute façon et il s 'en vont. Et l 'enfant a caché l 'oiseau dans son pupitre

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et tous les enfants entendent s a chanson et tous les enfants entendent la musique et huit et huit à leur tour s 'en vont et quatre et quatre et deux et deux à leur tour fichent le camp et un et u n ne font ni une ni deux un à un s 'en vont également. Et l'oiseau-lyre joue et l 'enfant chante et le professeur crie :

Quand vous aurez fini de faire le pitre ! Mais tous les autres enfants écoutent la musique et les murs de la classe s 'écroulent tranquillement. Et les vitre redeviennent sable l 'encre redevient eau les pupitres redeviennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau.

J. Prévert Paroles

PRÉAMBULE... LUDIQUE... SUITE.

Ce n'était là que la première phase du jeu. Le parcours va se compliquer... sans qu'il y ait modification des consignes !

Les pages suivantes regroupent six nouveaux textes : * «C'est moi le gosse...», de Petru Romosan. * Avec l'encre couleur du temps, de Germaine Beaumont. * L'école, de Maurice Carême. * Mon stylo, de Robert Gélis. * L'écolier, de Raymond Queneau * La main à la plume, de Raymond Queneau.

Vous voilà «à la tête» de neuf poèmes. En vous imposant la norme de quatre textes pour un Groupement (de quatre à six, suggèrent les 1.0.), construisez un nouveau G.T. qui réponde aux exigences pédagogiques rappelées par le questionnaire sommaire de la première page.

Cette démarche en deux temps - dont nous avons pu tester en formation d'ensei- gnants la pertinence et l'efficacité - permet de poser à son tour un nouvel ensemble de problèmes.

* éliminer ou choisir tel texte dans un groupement conduit inévitablement à modifier le sens du groupement, le motif de confrontation, et donc la démarche pédagogique.

* les textes choisis - et ce dans quelque groupement que ce soit - peuvent l'être à l'occasion d'une rencontre fortuite, d'un coup de cœur ou d'un jeu comme ici ; ils peuvent avoir été retenus parce qu'ils s'imposent à l'esprit pour traiter telle question littéraire ; dans tous les cas, il faut formuler, pour soi et pour les élèves, la «raison d'être» de leur présence dans le groupement et justifier (au moins pour soi) l'exclusion de tel autre.

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* le groupement de textes est un exercice forcément artificiel (mais ne le sont-ils pas tous ?). Construire un Groupement c'est chercher à construire des compétences nouvelles chez les élèves. La prise de conscience de la «fragilité» d'un groupement (variable, mobile selon les textes qui le constituent) doit nous inciter à une grande rigueur dans la définition des objectifs pédagogiques, à une large souplesse dans le choix des lectures méthodiques qu'il induit, à une infinie humilité devant un travail sans cesse en mouvement, en recherche permanente.

N.B. - Malgré les difficultés énoncées, nous osons suggérer dans la partie Pratiques une des réponses possibles à l'exercice proposé (cf. G.T. 1 ). Est-il nécessaire d'écrire que loin d'être un modèle, c 'est à peine un exemple ? On y trouvera cinq nouveaux textes qui pourraient, chacun à sa place, nourrir en le modifiant le groupement ou constituer (confrontés à quels autres ?) une nouvelle série profondé- ment nouvelle...

C'EST MOI LE GOSSE

C'est moi le gosse qui écrit des vers dans les vécés à la craie Dans les vécés du quartier que j'ai appelé Ithaque

j'écris à la craie rouge Dans les vécés du quartier que j'ai appelé Ithaque

j'écris à la craie verte Dans les vécés du quartier que j'ai appelé Ithaque

j'écris à la craie blanche la nuit j'entends par la ville des femmes et des hommes

clamant mes poèmes il y en a un qu'ils ont chanté à l'église à ce qu'on dit un poème à la craie blanche un acteur célèbre l'a récité à la télévision la milice me recherche mais moi je vais d'un vécé à l'autre j'écris un poème rouge un poème vert j'attends que ma photo paraisse dans les journaux « 100 000 lei à celui qui attrapera le poète des vécés» salut ! je m'en vais de ce pas écrire un poème à la craie verte

Petru Romosan poète roumain («Un portrait»

publié dans les Cahiers de l'Est, n° 17) (Traduit par Sanda Stolojan)

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AVEC L'ENCRE COULEUR DU TEMPS

J'écris avec l 'encre noire, les chagrins de tous les jours, et leur trame

sans histoire, et leur éternel retour... J'écris le deuil des saisons et le mal de la raison, et le jour près de s'éteindre.

J'écris avec l 'encre verte un jardin que je connais. J 'écris les feuilles et l 'herbe que le pr intemps remuait... J 'écris la lumière douce des chemins de mon pays...

Avec l 'encre violette, j'écris les soirs de bruyères sur les terres désolées et j 'écris les âmes fières de n'être pas consolées.

J 'écris avec l 'encre rouge tous les feux qui m'ont brûlée et tous les rubis

qui bougent dans le fond des cheminées, et le soleil qui se couche sur ses plus longues journées, et toutes les roses qui sur la mer s 'en sont allées...

J'écris avec l 'encre bleue le vol du geai dans les bois.

J'écris la mer u n dimanche et sa frissonnante voix... Germaine Beaumont. Couleurs. 22.07.54

L'ÉCOLE

L'école était au bord du monde, L'école était au bord du temps. Au dedans, c 'était plein de rondes ; Au dehors, plein de pigeons blancs.

On racontait des histoires Si merveilleuses qu'aujourd'hui, Dès que je commence à y croire, Je ne sais plus bien où j 'en suis.

Des fleurs grimpaient aux fenêtres Comme on n 'en trouve nulle part, Et, dans la cour gonflée de hêtres, Il pleuvait de l'or en miroirs.

Sur les tableaux d 'un noir profond, Voguaient de grandes majuscules Où, de l 'aube au soir, nous glissions Vers de nouvelles péninsules.

L'école était au bord du monde, L'école était au bord du temps. Ah ! que ne suis-je encor' dedans Pour voir, au dehors, les colombes !

Maurice Carême, Prince en poésie.

LA MAIN À LA PLUME

J'écrirai des poèmes Sur le lait le beurre la crème

J'écrirai des odes en vers heptasyllabiques Sur les vaches les brebis et les b iques J'écrirai des myriades de myriades de sonnets Sur le vent qui couche les lourds épis de blé J'écrirai des chansons

Sur les mouches et les charançons J'écrirai des sextines

Sur les fonds de jardin où se mussen t les latrines J'écrirai des phrases obscures Sur l 'agriculture J'utiliserai des métonymies et des métaphores Pour parler de la vie des porcs et de leur mort J'utiliserai l 'assonance et la rime

Pour parler des prés, de la forêt, de la campagne J'écrirai des poèmes La main sur la charrue du vocabulaire.

Raymond Queneau, Battre la campagne, 1968

Gallimard

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L'ÉCOLIER

J'écrirai le jeudi j'écrirai le dimanche Quand je n'irai pas à l'école

J'écrirai des nouvelles j'écrirai des romans Et même des paraboles

Je parlerai de mon village je parlerai de mes parents

De mes aïeux de mes aïeules Je décrirai les prés je décrirai les champs

Les broutilles et les bestioles Puis je voyagerai j'irai jusqu 'en Iran

Au Tibet ou bien au Népal Et ce qui est beaucoup plus intéressant

Du côté de Sirius ou d'Algol Où tout me paraîtra tellement étonnant

Que revenu dans mon école Je mettrai l 'orthographe mélancoliquement.

Raymond Queneau, Battre la Campagne, 1968

Gallimard

MON STYLO

Si mon stylo était magique, Avec les mots en herbe, J'écrirais des poèmes superbes, Avec des mots en cage, J'écrirai des poèmes sauvages. Si mon stylo était artiste, Avec les mots les plus bêtes, J'écrirais des poèmes en fête, Avec les mots de tous les jours, J'écrirais des poèmes d'amour. Mais mon stylo est un farceur Qui n ' en fait qu 'à sa tête, Et mes poèmes, sur mon cœur, Font des pirouettes.

Robert Gélis, En faisant des galipoètes.

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PREMIÈRE PARTIE

FONDEMENTS

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INTRODUCTION

I. DU «THÉMATISME» À LA COHÉRENCE PROBLÉMATIQUE

1.1 Thématique ou problématique ?

1.2 Thématique et problématique. 1.3 Le G.T. dans les Instructions Officielles

II. DE L'HÉTÉROGÉNÉITÉ TEXTUELLE À L'INTERTEXTUALITÉ

2.1 Hétérogénéité.

2.2 Homogénéité. 2.3 Une lecture intertextuelle.

III. DU «JE NE SAIS POURQUOI» AU PROJET PÉDAGOGIQUE

3.1 De quelques démarches.

3.2 Quels objectifs ?

3.3 Une stratégie d'apprentissage.

CONCLUSION

FICHE MÉTHODOLOGIQUE

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INTRODUCTION

Le Groupement de textes propose aux élèves une activité de lecture.

Mais à la différence de bien d'autres activités de lecture, même de celles que l'on construit en situation de classe, le Groupement de Textes met en place un travail qui ne correspond guère, malgré quelques parentés, à des conditions «authentiques», on n'ose écrire «naturelles» -, de l'acte de lire. En effet, en situation artificielle, le G.T. permet un apprentissage débouchant sur l'acquisition de connaissances et de savoir- faire.

L'enjeu le plus stimulant de la technique du Groupement est bien celui-ci : il s'impose à nous, enseignants de Français, de rendre l'artificiel fécond !

Des revues pédagogiques, des ouvrages de vulgarisation dont on se sait s'ils sont conçus à l'usage des élèves ou des professeurs !, les manuels offrent des exemples hétéroclites de Groupements, dans lesquels il est bien difficile de trouver quelque cohérence tant les démarches apparentes, les principes implicites, les choix sous- entendus s'opposent.

Nous ne souhaitons pas uniformiser les pratiques, mais donner à chaque ensei- gnant des points de réflexion qui soient autant de points d'appui, de prises pour élaborer et construire ses propres groupements : c'est l'objectif de cette 1ère partie «Fondements».

Nous proposons trois cheminements, trois voies qui convergent vers l'établisse- ment de la fiche méthodologique qui clôt cet ensemble :

* du «thématisme» à la cohérence dite problématique ; * de l'hétérogénéité textuelle à une lecture intertextuelle ; * de l'intuitif à l'intentionnel, du «je ne sais pourquoi» au projet pédagogique.

Puisse chacun admettre, au bout du chemin, le bien-fondé de ces parti pris, de ces choix !

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1 - DU «THÉMATISME» A LA COHÉRENCE PROBLÉMATIQUE

1.1 Thématique ou problématique ?

1.1.1 Du bon usage des groupements de textes.

Les lecteurs assidus de l' Information littéraire reconnaîtront dans ce sous-titre l'emprunt fait à un article déjà ancien de Michel P. Schmitt. Rappelons l'affirmation initiale :

«Le groupement de textes dont parlent les instructions est «thématique ou problématique». Si la mode n'en était passée, la conjonction «ou» serait avantageu- sement remplacée par un «et/ou», peut être plus explicite. On manquerait l'esprit du texte officiel, si on voulait construire des séries thématiques qui ne soient pas en même temps problématiques. Car il n'est pas question de revenir au «thématisme». A cet égard, les précisions du texte de 1983 dissipent les ambiguités. ( ... )».

Le texte auquel fait référence Michel P. Schmitt est celui relatif aux modalités des épreuves de Français au baccalauréat : notes de service des 27 et 28 juin 1983, BOEN nos 27 et 28 des 7 et 14 juillet 1983.

Pour justifier son rejet du thématisme mal conçu, Schmitt ajoutait :

«L'intérêt légitime que l'on porte à des thèmes majeurs comme l'amour, la mort, l'homme et l'univers etc. n'autorise pas les rapprochements superficiels qui renfor- cent les clichés et que la recherche d'une cohérence méthodologique exclut précisé- ment.»

Il peut paraître étrange, et, par certains côtés irritant, de reprendre pour commen- cer une étude sur les pratiques du Groupement de textes des dénonciations vieilles de plus d'un lustre. Les listes du baccalauréat témoignent-elles toujours des mêmes errements qui inquiétaient tant le coauteur de Savoir-Lire (Schmitt et Viala, Didier, 1982) ? Les manuels et brochures pédagogiques présentent-ils des séries de textes aux rapprochements douteux , à la cohérence discutable ? Les Instructions Officiel- les offrent-elles des possibilités d'interprétation à ce point multiples qu'elles justifieraient les pratiques les plus contradictoires ? Disons pour commencer que les mises en garde de Schmitt n'ont rien perdu de leur pertinence et que nous devons encore nous interroger sur un «bon usage des groupements de textes».

1.1.2. Du «thématisme».

Il y a 10 ans, le «thématisme» sévissait. Les (bonnes) raisons s'étalaient, et chacun, ici ou là, défendait cette ouverture de l'enseignement du Français sur la vie et le monde !

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Il suffit de feuilleter un «livre de textes» en vigueur dans les classes de collège dans les années 75 - et qui tous n'ont pas été détrônés ! - pour constater que les extraits d'auteurs choisis s'ordonnent autour de thèmes susceptibles d'intéresser les enfants ou les pré-adolescents : les animaux, le sport, l'aventure, la jeunesse... Unjeu facile et un peu cruel consisterait à «épingler» les séries les plus hétérogènes, tant du point de vue générique (diversité des genres convoqués) que littéraire (disparité des écrivains retenus). Sous le titre universel et intemporel «Le Sport», on a pu apprécier la juxtaposition coup sur coup d'un article de Jean Gachassin, (un rugbyman), d'un extrait d'Électre de Sophocle (le récit fictif de la mort d'Oreste aux Jeux Olympi- ques), d'un compte rendu de l'alpiniste Maurice Herzog, de croquis de Montherlant, d'une page de Colette, d'un poème de Hérédia ! Les textes se succèdent, sans que nul ne songe - y parviendrait-il d'ailleurs ? - à les comparer, à les confronter.

On pourrait croire de telles pratiques bannies de notre enseignement, tant leurs défauts sautent aux yeux. Les listes de Français au baccalauréat démontrent qu'il n'en est rien. Le «thématisme» sévit toujours. On épargnera au lecteur la reproduc- tion de maints exemples glanés au cours de multiples interrogations orales pour dénoncer plus vigoureusement les brochures dont la publication semble autoriser, authentifier, voire sanctifier, l'élaboration de séries si discutables.

1.1.3. Du temps, «thème littéraire privilégié».

«Le temps, thème littéraire privilégié. Le sentiment du temps apparaît en effet comme une constante de la littérature. L'homme s'est toujours trouvé confronté à l'âge, au vieillissement et à la mort. La littérature, qui est le reflet de chaque époque, en porte la trace. La manière d'aborder cette relation difficile de l'homme et du temps, et de l'exprimer, a, seule, changé en fonction des moments et des sensibilités»

in La fuite du temps de Ronsard au XXime siècle Hélène Sabbah (Profil Littérature n° 95. Hatier. p. 7).

C'est ainsi que avec une lucidité simple une collection qui reçoit de maints collègues un accueil favorable présente une série de G.T. sur le thème éternel, forcément éternel, de la fuite du temps. Quels textes par exemple ?

Sous le titre générique de «Le temps de vivre», trois textes sont convoqués (opus cité p. 66-79) pour évoquer des «questions qui agitent la littérature du XXème siècle (...), l'interrogation sur la condition humaine». Dans l'ordre de comparution, Aragon, «Un homme passe sous la fenêtre et chante» (1959) ; Boris Vian, Le temps de vivre (sans date), Marcel Proust, Du côté de chez Swann (sans date) : il s'agit, on s'en doute, d'un extrait de cette œuvre, plus particulièrement l'épisode connu sous le nom de «petite madeleine».

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Pour chaque texte sont d'abord proposées des «pistes de lecture» - sur lesquelles, il n'y a rien à dire -, suivies des deux questions d'ensemble : «temps et condition humaine à partir des trois textes proposés» et «Temps et littérature dans les trois textes proposés». TI serait facile de démontrer comment l'auteur de ce travail de confrontation se limite à des comparaisons d'idées, de nature «philosophisante». Quelques extraits - nécessairement choisis - seront éclairants : «Dans les trois textes, le temps apparaît comme inséparable de la condition humaine. Il domine la vie de sa présence, il impose ses effets (...). La relation homme/temps se définit donc comme une relation ambiguë.» Avions-nous besoin de Proust, de Vian et d'Aragon réunis pour dire si peu ? Et en quoi leur travail respectif d'écriture éclaire-t-il cette leçon ? Ne nous laissons pas entraîner sur ce terrain, (celui de la réduction des textes à l'illustration de grands thèmes généraux, universels et intemporels comme il se doit !) et renversons la question : en quoi cette leçon de «philosophie» éclaire-t-elle notre compréhension des textes de nos trois écrivains ? quelle est la part propre de chacun, son apport, son originalité ? Le problème n'a pas échappé à l'auteur ; elle note : «Les trois écrivains cités abordent le problème du temps de manière différente : poésie pour Aragon et Boris Vian, narration romanesque pour Proust». S'achemine- rait-on vers une réflexion sur la typologie des textes ? Qu'on en juge par l'aveu qui suit immédiatement cette reconnaissance de spécificité : «Mais si les formes changent, le contenu présente des similitudes. On trouve dans les trois cas une analyse du temps et une réflexion sur le temps». C'est bien le moins !

L'exemple choisi permet de mieux comprendre ce qu'on désigne sous le terme trop commode de «thème». Dans le recueil collectif paru chez De Boeck-Duculot en 1982 Pour un nouvel enseignement du Français, Yves Reuter analyse «les pratiques thématiques dans le secondaire». Il voit d'abord les raisons de leur succès vivace dans le fait qu'elles ont permis un temps «de rompre avec l'histoire littéraire et d'élargir le choix des textes» (...), «de centrer l'intérêt des élèves sur un problème, d'élargir l'éventail des exercices possibles», raisons - notons le au passage qui ne gardent pas le même caractère prioritaire ! Puis Reuter ouvre une discussion avec plusieurs collègues qui dénoncent les dérives inévitables d'un «thématisme» mal limité :

«Michel Mougenot pointe bien le problème - affirme Reuter - quand il analyse le thème dans le discours dominant comme «un grand problème humain qui existe et a toujours existé et dont on retrouve une expression continue dans la littérature» (1)

C'est bien l'aveu initial que faisait Hélène Sabbah dans la présentation de son opuscule. Le titre même du fascicule - et de ses frères ! - en dit assez l'ambition

(1) Voir de même l'extrait du guide des activités thématiques Collection Lagarde et Michard cité en 1.3 (p. 37).

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Il est demandé aux élèves de compléter l'ensemble du tableau pour le cours suivant.

III. Achèvement-Prolongements...

Séance 2 (1 heure).

Correction de l'exercice et commentaire du tableau occuperont cette 2c heure. Cette séance permet de s'assurer que les élèves sont capables, individuellement, de reproduire la démarche suivie en classe (comprendre n'est-ce pas tout d'abord être capable de refaire seul un parcours similaire à celui qui a été enseigné ?). Une fois le tableau complété, seront soulignées les multiples connexions entre réseaux d'images, afm d'en restituer la circulation et la richesse qui peuvent sembler neutralisées, d'une certaine façon, par l'exercice lui-même.

L'image des «entrailles» est liée à l'intérieur de la chaudière au «ventre de chaudronnière», au ventre de la terre, à la «fressure», à la «cave». Le terme «marmite» quant à lui est lié à la chaudière, au métal, à la transformation «cuisine», au «feu», à la figure maléfique de la «sorcière»... Les 3 extraits révèlent leur extraordinaire cohérence, leur continuité. D'un bout à l'autre du roman, on observe une même filiation de l'imaginaire, particulièrement sensible dans le rapprochement de 2 passages :

- extrait 1 : «des alambics aux longs cols, des serpentins». - extrait 3 : «son nez s'allongeait et se tortillait».

Séance 3. (1 heure).

Cette dernière séance est un prolongement.

Devant la difficulté des élèves à formuler la nature métaphorique de l'expression «cuisine du diable», une séance de T.P. a été organisée à partir d'un extrait de Au Bonheur des Dames. Il s'agit là d'un univers tout à fait différent de l'Assommoir, mais l'extrait choisi (4) révèle une constante stylistique : un usage «passionné» de l'image. L'exercice consiste à recenser toutes les images de l'extrait, et à les classer, tout d'abord, techniquement : comparaisons/métaphores ; puis, sémantiquement : établissement de champs lexicaux. Enfin ces champs lexicaux sont interprétés : la guerre - frénésie de la clientèle, guerre impitoyable entre grands magasins et petit commerce - éléments naturels - les grands magasins vont dans le sens du progrès, d"une évolution irrépressible et naturelle.

P.J. Faudot Lycée polyvalent de Mirepoix 09

(4) Cette séance reprend l'exercice proposé par Le Français au lycée, ed. Nathan. p. 94.

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appareil à distiller