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Herwig Wolfram Le genre de l'Origo gentis In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 68 fasc. 4, 1990. Histoire - Geschiedenis. pp. 789-801. Citer ce document / Cite this document : Wolfram Herwig. Le genre de l'Origo gentis. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 68 fasc. 4, 1990. Histoire - Geschiedenis. pp. 789-801. doi : 10.3406/rbph.1990.3742 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1990_num_68_4_3742

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Le genre de l'Origo gentisIn: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 68 fasc. 4, 1990. Histoire - Geschiedenis. pp. 789-801.

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Wolfram Herwig. Le genre de l'Origo gentis. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 68 fasc. 4, 1990. Histoire -Geschiedenis. pp. 789-801.

doi : 10.3406/rbph.1990.3742

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1990_num_68_4_3742

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Le genre de YOrigo gentis (*)

Herwig Wolfram

Le genre littéraire de YOrigo gentis (') tire son origine de l'Antiquité, et est dominé par de nombreux stéréotypes qui se répercutent avec insistance jusqu'à nos jours. Depuis César, les auteurs ethnographes s'intéressent de plus en plus aux traditions autochtones (2), qu'ils aiment subordonner à Yinter- pretatio romana (3). Jusqu'au sixième siècle, les Origines gentium furent exclusivement écrites à partir du point de vue d'un civilisé, qui s'exprimait sur les peuples primitifs et sur les barbares : fondamentalement, il aurait manqué aux barbares la nature propre de l'homme et, par conséquent, tous les efforts de civilisation auraient été chose vaine en ce qui les concerne. Dans cette

(*) Ce texte est la version légèrement remaniée d'un exposé présenté au 39e Sachsensymposium, tenu à Caen du 12 au 16 septembre 1988 sur le thème Peuplement et échanges, iue-ixe siècles. Sa parution dans la R.B.P.H. est le résultat d'une suggestion de l'organisateur du colloque, Claude Lorren, que nous remercions de tout cœur, ainsi que M. Jacques Burniat, qui a bien voulu revoir la version française de cet article [A.D. — Ndlr].

(1) Sur le genre de YOrigo gentis, voir les synthèses de Herbert Grundmann, Geschichtsschreibung im Mittelalter (Kleine Vandenhoek-Reihe 209/210). Göttingen, 1965, p. 12-17 ; Elias J. Bickerman, Origines gentium, dans Classical Philology, 47, 1952, p. 65 sqq., surtout p. 75 sq. ; Herwig Wolfram, Einige Überlegungen zur gotischen 'origo gentis', dans Festschrift für Alexander Issatschenko. Lisse, 1978, p. 487 sqq. Cf. Susan Reynolds, Medieval «Origines gentium» and the Community of the Realm, dans History, 68, 1983, p. 375 sqq.

(2) Bickerman, Origines gentium, p. 75 sq. (3) Tacitus, Germania, XLIII ; cf. Rudolf Much, Die Germania des Tacitus.

Heidelberg, 3e ed., 1967, p. 561, sub v.

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conception, les barbares s'opposeraient aux Romains, comme l'irrationnel s'oppose à la raison (4). Le monde barbare resterait prisonnier d'un chaos anhistorique, à tel point que Synesius de Cyrène pouvait dire à son Empereur Arcadius qu'il n'y aurait au fond pas de nouveaux barbares, puisque ceux- ci inventeraient simplement de nouveaux noms et déguiseraient leur apparence, dans le but d'induire les Romains en erreur (5). C'est pourquoi les Francs et les Alamans faisaient figure de Germains. Dans la même veine, on assimila les Goths, les Vandales et les Huns aux Scythes, c'est-à-dire à un peuple des steppes du sud de la Russie, éteint depuis longtemps (6). Selon l'école hypocratique, seules les tribus dirigées par des rois pouvaient parvenir à un état de culture plus élevé Ç). Les barbares pouvaient être des indigènes non métissés, ou de nouveaux arrivants qui prenaient possession d'un territoire d'après le droit de conquête, ou encore les descendants de nouveaux arrivants et d'indigènes. En général, on attribuait à l'autochtonie le plus haut rang, même si les deux autres types d'ethogenèse laissaient aussi apparaître des côtés positifs. Ainsi la migration d'un peuple célèbre, comme les Troyens après la destruction de leur ville, revêt un haut prestige pour l'histoire de l'origine des Romains, des Francs, ou même encore des Allemands et surtout des Français du Haut Moyen Âge (8).

La première Origo gentis, qui fut écrite non seulement sur, mais avant tout pour un peuple barbare, tenta de réconcilier les stéréotypes de l'ethnographie antique avec les traditions barbares. Cette approche convient par ailleurs à l'histoire des Goths de Cassiodore, qui s'est trouvé ainsi être l'initiateur de nouvelles règles pour le genre de VOrigo gentis (9).

Entre YOrigo gothica de Cassiodore, dans la version de son Epitomator Jordanes et les Gesta Danorum de Saxo Grammaticus autour de l'an 1200, une série d'auteurs, pour la plupart latinistes remarquables, écrivent sur les traditions non classiques des Germains, des Celtes et des Slaves. Au regard

(4) Themistios, Orationes quae supersunt (ed. Heinrich Schenkl/ Glanville Downey/ Albert Francis Norman, Leipzig, 1965-1974), Oratio X 131 b-c.

(5) Synesius de Cyrene, De regno oratio ad Arcadium imperatorem (éd. Antonio Garzya, Naples, 1973), XV.

(6) Herwig Wolfram, Ethnogenesen im frühmittelalterlichen Donau- und Ostalpenraum (6. bis 10. Jahrhundert), dans Frühmittelalterliche Ethnogenese im Alpenraum, ed. Helmut Beumann et Werner Schröder, Sigmaringen, 1985, p. 97-152, aux p. 98- 101.

(7) Otto Maenchen-Helfen, The World of the Huns. Berkeley-Los Angeles- Londres, University of California Press, 1973, p. 12 sq. avec n. 79 et 82.

(8) Reinhard Wenskus, Stammesbildung und Verfassung. Das Werden der frühmittelalterlichen Gentes. Cologne-Graz, 2e ed., 1977, p. 56-59.

(9) Cassiodore, Variae epistulae (ed. Theodor Mommsen, MGH Auetores anti- quissimi 12, 1894), Praefatio p. 4 ; IX 25, 4 sq. ; p. 291 sq. — Iordanes, Getica (ed. Theodor Mommsen, MGH Auetores antiquissimi 5, 1, Berlin, 1882, 53 sq.) 1 ; p. 53. — Anecdoton Holderii (ed. Hermann Usener, Bonn, 1977) p. 4.

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de la tradition, l'œuvre de Cassiodore revêtait une signification qui n'était pas peu révolutionnaire. La curiosité, la conscience d'une certaine mission culturelle, l'angoisse et l'inquiétude — bref, tous les aspects habituels de l'ethnographie antique, — étaient alors présentés comme autant de signes à la gloire des Goths italiques et avant tout de la lignée de leurs princes amaliens. À ce propos, Cassiodore fait dire à l'enfant roi Athalaric sur son «Histoire des Goths» : «II (Cassiodore) a élevé l'origine gothique au rang de l'histoire romaine» (10). Une origine ainsi orientée et interprétée a valeur de légitimation d'une classe dirigeante. Elle fut donc codifiée pour la tribu ; ce qu'il faut prendre au pied de la lettre : la tradition commune comprend Yorigo aussi bien que la lex. Les traditions barbares furent ainsi élevées, du rang de préhistoire d'une gens barbara à celui de l'histoire véritable du populus, du peuple élu. Malgré, ou plus exactement à cause de cet objectif, une histoire des origines barbares ne pouvait donc pas renoncer aux traditions barbares (n).

Une Origo gentis contient la connaissance des faits et gestes des hommes courageux (12). La gens est le peuple en armes dominé par une étonnante mobilité sociale. Quiconque avait du succès dans l'armée, obtenait d'y prendre part, et cela sans préjudice de son origine ethnique et aussi, souvent, sociale (13).

Les vieilles structures polyethniques des peuples gothiques se maintinrent à l'intérieur de l'Empire romain (14). Les Bavarois, par exemple, sont issus

(10) Herwig Wolfram, Fortuna in mittelalterlichen Stammesgeschichten, dans MIÖG 72, 1964, p. 1 sqq. et 4 sq. ; Anecdoton Holderii p. 4 ; Cassiodore, Variae IX 25, 5 (p. 2292).

(11) C'est la tradition lombarde qui fournit le meilleur exemple, à savoir l'avant- propos de YEdictus Rothari contenant l'ensemble des noms de YOrigo gentis Lan- gobardorum : voir Herwig Wolfram, Intitulatio I. Lateinische Königs- und Fürstentitel bis zum Ende des 8. Jahrhunderts (MIÖG Ergänzungsband 21). Vienne, 1967, p. 90 sqq., et Wilhelm Wattenbach/ Wilhelm Levison/ Heinz Löwe, Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter. Vorzeit und Karolinger 1 et 2 (Weimar, 1952/53) 1, 207. À propos du parallélisme et de l'entéléchie de l'histoire, voir la raison que donne Eusèbe pour le début de sa chronique au temps d'Abraham : il est vrai que l'histoire sainte, l'histoire du peuple juif remonte, par delà Abraham et le déluge, jusqu'à Adam, mais à cette époque nulla penitus nec Graeca nec barbara et, ut loquar in commune, gentilis invenitur historia : voir Eusebius-Hieronymus, Chronica (éd. Rudolf Helm, Eusebius- Werke 7. Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte 47, Ost-Berlin 1956) Chronicon, Praefatio p. 15.

(12) Iordanes, Getica 315 ; p. 138. (13) Procopius, De bello Gothico I-IV (V-VIII) (ed. Otto Veh, Prokop. Werke

1, 1966) III (VII) 2, 1 sq. Cfr. Rudolph Kopke, Die Anfänge des Königthums bei den Gothen, Berlin, 1859, p. 198 sq. ; Herwig Wolfram, Gotische Studien II. Die terwingische Stammesverfassung und das Bibelgotische (I), dans MIÖG, 83, 1975, p. 289 sq., 311 sq. avec n. 101.

(14) Herwig Wolfram, Die Goten. Von den Anfingen bis zur Mitte des sechsten Jahrhunderts. Entwurf einer historischen Ethnographie. München, 3e éd., 1990, p. 234 sqq. et 300 sqq, ou Id., History of the Goths, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1988, 231 sqq. et 300 sqq.

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de plusieurs peuples, de groupes d'origine germanique tout autant que non germanique, d'immigrants de Rétie, tout comme d'indigènes germano-romains. Il y eut aussi des Bavarois romains, qui s'établirent principalement dans la région des Alpes intérieures, mais également dans la région danubienne (15). À partir du vine siècle, les sources font mention de Bavarois slaves, c'est- à-dire de ressortissants slaves appartenant à la communauté de droit bavaroise (16), dont pouvait même faire partie un Irlandais comme Virgile. Très tôt après son intronisation comme évêque-abbé de Salzbourg, celui-ci se faisait «tirer par les oreilles» (testis per aures tractus), à l'instar des autres Bavarois, si il témoignait dans les questions de droit (17).

De la même façon les Saxons, pour ne citer qu'une tribu extérieure à l'Empire romain, se composaient de plusieurs peuples. Très longtemps, les recherches ont tendu à placer l'ethnogenèse saxonne sous le signe de l'alternative (à vrai dire, de l'antithèse) confrontant le regroupement volontaire à la violence de la conquête. Déjà en 1961, Reinhard Wenskus reconnaissait qu'une pareille opposition était en réalité anhistorique et ne pouvait être structurel- lement constitutive d'une formation tribale des débuts du Moyen Âge. Bien plus tôt, une minorité de voyageurs nordalbingiens avait pénétré dans la région sud de l'Elbe, où vivait déjà une majorité d'autochtones. Les Saxons originaires possédaient un très haut prestige, c'est-à-dire de meilleurs dieux et un meilleur commandement militaire que leurs vis-à-vis. La formation tribale des Saxons est inégalement plus homogène que celle de la région méditerranéenne. Malgré cela, la présence, à côté des hommes du Nord, de Lombards, de Souabes du Nord, de Thuringiens et peut-être même des Harudes Scandinaves, tout comme d'émigrants anglo-saxons est dûment attestée (18).

La constitution de peuples barbares est avant tout une affaire de prestige militaire, de divinités meilleures et de formes d'organisation plus efficaces. L'institution qui donna forme à ces convictions et réalités, fut la royauté armée des Goths, des Francs, des Burgondes, des Vandales et des Anglo-Saxons. En dépit de tous les revers et des catastrophes qu'ils durent affronter, les

(15) Herwig Wolfram, Die Geburt Mitteleuropas. Geschichte Österreichs vor seiner Entstehung (378-907), Vienne-Berlin, 1987, p. 322, et Id., Ethnogenesen, p. 105 sqq. et 121 sqq.

(16) Wolfram, Ethnogenesen, p. 137 sqq. et 145 sqq., et Id., Mitteleuropa, p. 379 n. 2.

(17) Wolfram, Mitteleuropa, p. 497 n. 43. (18) Reinhard Wenskus, Stammesbildung, p. 541 sqq., surtout 544, et Id., Sachsen-

Angelsachsen-Thüringer. Entstehung und Verfassung des Sachsenstammes (Wege der Forschung 50). Darmstadt, 1967, p. 483-545, 484 et 492. Martin Last, Niedersachsen in der Merowinger- et Karolinger zeit, dans Geschichte Niedersachsens, I : Grundlagen und frühes Mittelalter, ed. Hans Patze (Veröffentlichungen der Historischen Kommission für Niedersachsen und Bremen 36). Hildesheim, 2e ed., 1985, p. 543 sqq. et 553 sqq.

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rois de ces peuples réussirent progressivement à être considérés comme faisant partie de la lignée des dieux et des héros (19), et ceci malgré, ou plutôt grâce à leur conversion au christianisme. Lorsque les Vandales hasdingiens, les «Cheveux Longs», furent connus des Romains, la gens disposait de traditions antiques et d'institutions remontant en fait à leur origine pré-germano-celtique. Ainsi les trois premières générations d'une lignée de rois vandales, quoique non sans problèmes, seront régies selon le modèle des paires dioscures : Ambri et Assi résistent aux Lombards ; Raus et Rapt, «Poutre et Poteau», sont accueillis dans la Dacie trajane en 171, et encore un siècle plus tard les guerriers hasdingiens combattent les Romains sous les ordres de deux rois inconnus. Avec l'unification des deux peuples vandales, l'appellation hasdingienne s'applique à la famille royale. Les Hasdingi se font ainsi comparer aux Amals gothiques, qui, de leur côté, sont considérés comme des Anses divins. L'appellation des Anses amaliens pourrait avoir signifié la même chose que les noms des rois vandales Raus et Rapt, à savoir «Poutre et Poteau», à partir desquels on fabriquait des idoles (20).

Au quatrième siècle les Burgondes avaient deux formes de royauté : une majeure partie de princes du type hendinos qui furent détrônés, peut-être même assassinés, au hasard des guerres et au fil des mauvaises récoltes ; puis un unique sinistus, Ancien, qui n'exerçait encore que des fonctions de Grand- prêtre, en tant que Rex Sacrorum. Vraisemblablement, les deux types de dignitaires incarnent les représentants de divers types royaux se relayant : l'Ancien était bien le roi sacré d'un petit groupe primitif et relativement stable, alors que les princes du type hendinos, représentant le peuple en armes, appartenaient sans doute à un plus récent développement de la royauté. En tant que rois d'une armée en migration, ils avaient sûrement pris à leur compte les tâches et la responsabilité sacrée de l'ancien roi du peuple. C'est pourquoi un observateur romain compare le hendinos au pharaon d'Egypte (21).

En ce qui concerne la plupart des rois anglo-saxons, ils descendaient de Wodan ou de Géat. Les Goths faisaient remonter leurs origines, par delà le

(19) Iordanes, Getica 78 sq. ; p. 76 (Amaliens). Merobaudes, Carmina (éd. Friedrich Vollmer, MGH Auctores antiquissimi 14, 1905, 1 sqq.) IV w. 16 sqq. ; p. 5 (Balthes).

(20) Herwig Wolfram, Gotische Studien I. Das Richtertum Athanarichs, dans MIÖG, 83, 1975, p. 1 sqq. et 6 sq. avec η. 30 ; Wenskus, Stammesbildung, p. 321 et 504 ; Franz Miltner, Vandalen, dans Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft II 15 (1955), col. 298 sqq., col. 300 sqq. ; Hans Kuhn, Äsen, dans Reallexikon der germanischen Altertumskunde 1 (2e ed., 1973) 457 sqq., 458. Sur l'origine prégermanique, c'est-à-dire lugique, des Vandales voir Wolfram, Goten, p. 50 sq. (40 sq.).

(21) Wenskus, Stammesbildung, p. 575 sqq., sur Ammien Marcellin, Rerum gestarum libri XXXI (éd. Wolfgang Seyferth, Leipzig, 1978), XXVIII 5, 9-14 ; Wolfram, Gotische Studien Π, p. 306 sq.

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héros éponyme Amal, à Gaut (22). Une généalogie des Ynglingiens suédois comportant une trentaine de membres, débute avec Njörd et son plus brillant fils Yngvi-Frey. Cette Ynglingatal rapporte, à travers les trente générations, pour chaque roi, comment il mourut et où il fut enseveli. Dans YOrigo gothica nous trouvons déjà un passage annonçant un plan semblable, qui toutefois n'a pas été développé jusqu'au bout au cours de l'œuvre (23).

Quels que soient les génies ou les groupes ethniques, les rois obtinrent finalement le succès, parce qu'ils s'adaptèrent mieux aux circonstances que leurs concurrents nobles et obtinrent la reconnaissance impériale, les Anglo- Saxons compris. Les Saxons du continent accomplirent ce passage sans roi et sans reconnaissance impériale. Selon toute probabilité, ils avaient perdu leur royauté au profit de ces voyageurs qui établirent en Bretagne le royaume anglo-saxon. Bède le Vénérable est de cet avis lorsqu'il écrit «que les anciens Saxons n'ont pas de roi». Le savant anglo-saxon ne voulait cependant pas par là célébrer de façon romantique une démocratie saxonne continentale, mais considérait cette absence de monarchie comme une menace constante à la liberté des anciens Saxons. Bède s'accorde à cet égard à tous les autres auteurs de l'histoire des origines barbares pour qui la grandeur, la stabilité et l'indépendance d'un peuple étaient fondées sur le fait qu'il possédait son propre roi (24). Les anciens Saxons réussirent tout de même à ordonner leur diversité ethnique et sociale, en une organisation étatique, juridique et sociale très rigoureuse, et à façonner cette organisation pour une durée relativement longue.

Il n'est pas contestable que la tradition des trois strates sociales — ou quatre d'après Widukind de Corvey — a fortement simplifié la constitution effective des Saxons et ait accentué les différences. Cela relève plutôt de la signification du système lui-même. Les trois premiers états sociaux des nobles (Edelinge), des hommes libres (Frilinge) et des serfs (Liten) avaient part à l'action politique et étaient à même de porter les armes. La constitution saxonne se distinguait en cela systématiquement de celle des autres tribus qui, en général, ne connaissaient pas la participation des serfs à la vie publique. En revanche,

(22) Hermann Moisl, Anglo-Saxon royal genealogies and Germanie oral tradition, dans Journal of Medieval History, 1 , 1981, p. 115 sqq., 219 sqq. ; Herwig Wolfram, Theogonie, Ethnogenese und ein kompromittierter Großvater im Stammbaum Theoderichs des Großen, dans Festschrift für Helmut Beumann, Sigmaringen, 1977, p. 80- 97, 90 sqq. (le héros éponyme saxon Hathugaut-Hathagat porte un nom, dont Gaut est le radical) et 94 sq. (Audoin et Alboin ainsi que leur lignée passaient pour des Gausi).

(23) Snorri Sturlason, Heimskringla, préface et c. 10 ; Jordanes, Getica 1, 78 et 80 ; p. 53, 76 et 78.

(24) Beda Venerabilis, Historia ecclesiastica gentis Anglorum I-V (éd. Charles Plummer, Oxford, 1956, 1-360) V 10 : non habent enim regem iidem Antiqui Saxones ; Wenskus, Sachsen- Angehachsen-Thüringer, p. 535.

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une interdiction de connubium, assortie de la peine de mort, séparait les trois groupes saxons. En outre un noble obtenait huit fois le prix du sang d'un serf, et six fois le prix du sang d'un homme libre. Les nobles manifestaient ainsi clairement qu'ils représentaient une classe privilégiée au sein de l'union tribale, tandis que les serfs comme demi-libres venaient juste après les hommes libres. De façon caractéristique, ces différences fortement marquées au sein de la tribu et des états sociaux ne valaient pas pour la région au nord de l'Elbe, la terre saxonne d'origine. L'interdiction de connubium, qui instituait une différence de rang implacable entre les Edelinge et les deux autres groupes, tout comme le fait que le premier état était relativement nombreux, «pétrifièrent» en différenciations sociales les distinctions ethniques au début de la formation tribale. Widukind de Corvey parle d'une annexion volontaire des hommes libres et d'un assujettissement, à tout le moins partiel, des serfs. Sa démonstration abrégée donne les lignes de développement à moyen et long termes, typiques des formations tribales (25).

En général, c'était la royauté qui pouvait produire de telles stratifications sociales et les préserver comme différenciations sociales. À côté de l'exemple saxon, l'aristocratie wisigothique, qui régna de la fin du 111e siècle jusqu'à la fin du IVe siècle sur le sol de la Roumanie actuelle, fait montre également d'une stratification sociale bien définie, assurément en tout cas sous deux présuppositions : premièrement, en cas de guerre, il fallait développer une structure de commandement monarchique ; deuxièmement, une telle entreprise ne devait pas durer trop longtemps et trop s'éloigner de la base, pour éviter de faire un roi d'armée permanent d'un monarque temporaire et provisoire qui la dirigeait (26). Les guerres de frontières et de défense ou la conquête de régions immédiatement voisines, tout comme l'attaque gothique de 330 en Transsylvanie et la conquête saxonne du pays des Bructeri en 700, étaient ainsi rendues possibles (27). Par contre l'aristocratie wisigothique ne survécut à la perte de sa patrie que le temps d'une demi-génération (28). Et les Saxons qui ne restèrent pas chez eux, ne purent s'en tirer sans roi, et cela ni en Angleterre, ni en France.

(25) Wenskus, Sachsen-Angelsachsen-Thüringer, p. 543-545, par ex. sur Martin Lintzel, Der sächsische Stammesstaat und seine Eroberung durch die Franken (Wege der Forschung 50), Darmstadt, 1967, p. 149 sqq. et 160 sqq. ; Last, Niedersachen, p. 577 sqq.

(26) Wolfram, Goten, p. 102-104 (94-96). Voir les remarques de Bède {supra, n. 24) sur le rôle des «satrapes» pendant la paix et l'élection par tirage au sort de l'un d'eux comme monarque militaire pour la durée de la guerre.

(27) Wolfram, Goten, p. 70 sq. (61 sq.) ; Reinhard Wenskus, Die deutschen Stämme im Reich Karls des Großen, dans Karl der Große. Lebenswerk und Nachleben, Bd. 1 (Düsseldorf, 3e ed., 1967), p. 178 sqq. et 190 sq. ; Widukind, Res gestae Saxonicae (ed. Paul Hirsch, MGH SS rerum Germanicarum, 5e ed., 1935) I 14.

(28) Wolfram, Goten, p. 34 sqq. et 150 sq. (24 sq. et 144 sq.).

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Quatre cents ans séparent Widukind de Corvey des auteurs de l'histoire tribale gothique. Cependant l'histoire des Saxons est comparable à celle des Goths. Cassiodore, un haut fonctionnaire de Théodoric le Grand et des rois qui lui succédèrent en Italie, commença vers l'an 519 une histoire des Goths, qu'il présente comme la tradition du clan royal ostrogothique (29). Cette œuvre fournit au Goth byzantin Jordanes l'inspiration et le matériel d'un écrit, que l'auteur présentait comme un abrégé de Cassiodore. Le travail vit le jour à Constantinople au cours de l'hiver 551 et resta conservé à la différence de son modèle (30).

Cassiodore voulait élever l'histoire des Goths, YOrigo gothica, au rang de l'histoire romaine, de Yhistoria romana (31). Pour cette raison, l'auteur essaie de procéder à une unification des deux traditions et esquisse une construction imposante : les Goths auraient voyagé par bateau de Scandinavie, sous la direction royale, jusqu'à l'embouchure de la Vistule et ceci exactement 2030 ans avant que le roi Vitigis ne capitule en 540 devant Belisaire (32). Tôt après le débarquement sur le Continent, survint un combat avec les Rugiens et les Vandales qui durent évacuer le littoral gothico-scandinave (33). Les Goths restèrent quelque temps dans cette Gothiscandza, jusqu'à ce que leur roi, probablement le cinquième, les conduise en Scythie (34). Ils durent alors traverser plusieurs épreuves, ce qui donne à Cassiodore l'opportunité de les plonger dans l'ethnographie antique. L'auteur présente notamment son «Histoire des Goths» — et sur ce point aussi, Jordanes ne modifie rien — comme Getica, c'est-à-dire comme l'histoire des Gètes. Cela signifie que Cassiodore revendiquait pour les Goths l'histoire entière des Gètes, apparentés aux Scythes, qu'il associait aux Goths en raison de l'assonance très proche de leurs noms. L'auteur n'a sans doute pas inventé ce lien étymologique ; il fut cependant le premier à utiliser la Getica de Dion Chrysostomos dans le but d'ébaucher une histoire des Goths sans lacune et s'étendant sur plus de 2000 ans (35).

Il sépara cette histoire en deux sections ou grands chapitres : la plus récente (et la plus courte) s'étend du règne de l'empereur Domitien jusqu'en 540 et

(29) James J. OT)onnell, Cassiodorus, Berkeley-Los Angeles, 1979, p. 45 ; Johann Weissensteiner, Quellenkundliche Abhandlungen zu Jordanes (Maschinenschriftliche Hausarbeit am Institut für Österreichische Geschichtsforschung, Wien). Vienne, 1980, p. 8 sqq. ; Anecdoton Holderii, p. 4 sqq.

(30) Wattenbach-Levison-Löwe, Geschichtsquellen 1, 79. (31) Cassiodore, Variae IX 25, 5 ; p. 292. (32) Cette chronologie résulte de Jordanes, Getica 25 ; p. 60, 94 sq. ; p. 82, et 313 ;

p. 138. (33) Jordanes, Getica 25 sq. ; p. 60 ; cf. 94 ; p. 82 : ad ripam Oceani citerions,

id est Gothiscandza. (34) Jordanes, Getica 26-29 ; p. 60 sq. (35) Jordanes, Getica 29-75 ; p. 60-75. Sur l'identification des Goths et Gètes voir

ibid. surtout 40 ; p. 64, et 58 ; p. 70, et Wolfram, Goten, p. 39 sq. (28 sq.).

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est présentée comme la période amalienne de l'histoire des Goths. Un fait primordial préside à son origine : la victoire sur les Romains, c'est-à-dire la défaite d'un général de l'Empereur Domitien contre les Gètes. Bien que Cassiodore fasse ainsi reposer l'histoire de la dynastie gothique sur un événement non-gothique et considérer des rois gètes comme des rois goths, il remplit les dix-sept générations de victoires des Gètes sur les Romains, jusqu'au petit- fils de Théodoric, Athalaric, exclusivement avec les noms de la tradition amalienne (36). Puis Cassiodore, dans la deuxième section, replonge loin en arrière, bien avant Domitien, pour établir l'année du débarquement gothique sur le Continent en l'an 1490 avant J.-C. (37), c'est-à-dire, à peu près à l'époque à laquelle Moïse donna la loi au peuple dans le désert. L'histoire des Goths commença en tout cas avant la guerre de Troie, placée en 1180 avant J.- C, à laquelle les Romains font remonter leurs origines (38). Même les Amazones sont «gothicisées» (39).

En dépit de cette participation quelque peu forcée à la tradition antique, l'œuvre entière de Cassiodore témoigne de la vitalité de la tradition gothique. La tradition de la tribu en tant que tradition amalienne (carmina, notitia, cantus maiorum, fabufoë) s'étend effectivement loin de la Méditerranée et remonte à l'époque préromaine (?°). Assurément on se gardera de synchroniser cette memoria avec les rapports des ethnographes anciens du ier siècle après Jésus-Christ. En particulier, ces passages, qui contiennent l'ajout «aujourd'hui encore» (41), sont utilisés de préférence avec une démarche critique. Ainsi chaque affirmation s'y rapportant, datée du Ve ou du vie siècle, échappe à l'ethnographie de l'époque impériale. Là où il manque à Cassiodore les noms des rois gothiques, des héros et des divinités (c'est-à-dire pour toute l'époque allant de l'an 100 après Jésus-Christ à 1490 avant Jésus-Christ), l'auteur se

(36) Jordanes, Getica 76-81 ; p. 76-78. Cf. Cassiodore, Variae IX 25, 4 ; p. 291 sq., et Wolfram, Intitulatio I, p. 99 sqq. ; Herwig Wolfram, Donau, dans Reallexikon der Germanischen Altertumskunde 6 (Berlin, 2e ed., 1985), 26 sqq. («primordiale Tat»).

(37) Supra, n. 32. (38) EusEBius-HiERONYMUs, ChronicoH, Praefatio ; p. 17 sq. ; a. 1512 ante Christum

natum ; p. 43a, et a. : 1180 ante Christum natum ; p. 60ab sq. (39) Jordanes, Getica 44-57 ; p. 65-70 ; Wolfram, Goten, p. 39 avec n. 8 et 394 sq.

avec η. 55 (28 et 390 η. 87, 56 sq. et 400 n. 104). (40) Wolfram, Goten, p. 41 sq., 335 avec η. 28 et 343 avec n. 14 (29 sqq., 335

et 523 η. 540, 343 et 527 η. 615). Voir surtout Jordanes, Getica 28 ; p. 61 : l'entrée des Goths-Filimer in terras Oium (Ukraine) ... inpriscis eorum carminibus paene storico ritu in commune recolitur.

(41) Jordanes, Getica 25 ; p. 60 : nam odieque illic, utfertur, Gothiscandza vocatur. Ibid. 96 ; p. 83 : nie de la Vistule Gepedoios — nun earn, ut fertur, insulam gens Vividaria (i. e. Vidivaria, cf. ibid. 36 ; p. 63) incolit. Ibid. 24 ; p. 60 : remarque sur les Scandiae nationes ... quibus non ante multos annos Roduulf rex fuit, qui contempto proprio regno ad Theodorici Gothorum regis gremio convolavit et, ut desiderabat, invenit.

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contente de la remarque soulignant qu'il y eut déjà avant les Amaliens une histoire des Goths (42).

On pourrait croire que Widukind n'a pas pu développer une pareille construction pour ses Saxons. L'auteur de l'histoire des Saxons n'a effectivement pas réalisé la construction classique de Cassiodore, mais il ne renonce pas pour autant à la tradition antique : Widukind écrivait que, d'après des auteurs anciens, les Saxons étaient venus, eux aussi, par la mer. Au sujet de l'origine de ces marins, le Saxon connaissait deux théories : la première affirmait que les Saxons provenaient des Normands et des Danois, la seconde, que privilégiait nettement Widukind, soutenait qu'ils étaient les descendants de l'armée d'Alexandre le Grand (43). L'Histoire des Goths de Cassiodore avait déjà réuni cette combinaison de voyages maritimes, d'origine Scandinave et de tradition antique ; c'est ainsi que le savant Saxon Widukind put se servir de ce triple motif. L'origine Scandinave des peuples germaniques (que les Lombards revendiquaient aussi avec énergie) était en quelque sorte devenue la thèse commune des savants dans le royaume carolingien. Ainsi, vers 830, Fréchulf de Lisieux affirmait que les Francs, les Goths et tous les autres peuples qui parlaient la lingua theodisca, provenaient de Scandinavie (M).

L'historien positiviste d'aujourd'hui, qui s'interroge sur l'origine véritable d'un peuple, doit être horrifié par un tel «bricolage» historique. Il néglige cependant plusieurs choses : d'abord, la question de l'origine véritable d'une gens, comme telle, est mal posée, parce que fondamentalement nous ne pourrons jamais y répondre. Il existe par ailleurs une gentilis memoria, qui peut remonter à plusieurs générations et qui peut comprendre un ensemble de noms authentiques dont on ne connaîtrait rien sans elle. La généalogie de Γ Ynglingatal suédois comporte une trentaine de générations. Cassiodore connaît dix-sept générations de rois gothiques, et a établi ce nombre d'après les dix-sept rois romains entre Énée et Romulus, mais il tira leurs noms de la tradition gothique. De même, le roi Athalaric pouvait se souvenir des noms des dix-sept générations d'ancêtres royaux ; tout comme le Harude Rothari se considérait comme le dix-septième roi lombard (45). D'autre part, les traditions amalienne et harudienne possèdent également des origines Scandinaves (46). Tandis que

(42) Jordanes, Getica 42 sqq. ; p. 64 sq., expose la division des Goths en Visigoths balthiques et Ostrogoths amaliens. Puis l'auteur dit à propos des Amaliens ante quos etiam cantu maiorum facta modulationibus citharisque canebant. Ces paroles sont suivies des noms de quatre héros gothiques d'origine non amalienne (cf. Wolfram, Goten, p. 30 (34 sq.)) et l'histoire scytho-amazonique. Cf. infra, η. 49, η. 54 et η. 56.

(43) Widukind, Gesta Saxonica ce. 2 sq. ; Wenskus, Sachsen-Angelsachsen-Thüringer, p. 502 et 514 sq.

(44) Wenskus, Sachsen- Angelsachsen-Thüringer, p. 514 sq. (45) Voir infra n. 53 et 36. (46) Wolfram, Goten, p. 47 sq. (36 sq.) ; Wenskus, Stammesbildung, p. 486, et

Id., Sachsen-Angelsachsen-Thüringer, p. 492 sq.

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Théodoric le Grand prétendait avoir quatorze ancêtres (47), Mérovée, le héros éponyme des Mérovingiens, appartenait déjà à la deuxième génération avant Clovis, qu'il soit son grand-père ou non. L'arrière-grand-père de Clovis (réel ou prétendu) portait des cornes, soit qu'il fût un dieu sous forme de taureau, soit qu'un tel dieu lui eût fait présent de cette parure de tête (48).

À cela encore, s'ajoute une quadruple constatation qui devrait donner à réfléchir aux critiques trop tranchants. Nous connaissons des Histoires des origines uniquement pour des peuples germaniques du Nord et de l'Est. Premièrement, ils apparurent au début de l'époque impériale. Deuxièmement, en ce temps-là, ils apparurent comme de «petits» peuples possédants. Troisièmement, leurs noms, combinés avec la racine *theudo/ peuple, sont quelque chose comme Gutthiuda pour la patrie des Goths du Danube ou Saexthéod pour l'Angleterre (49). Quatrièmement, tous ces peuples devaient avoir possédé des rois, dont les traditions familiales subsistent encore dans la Heldensage, la tradition épique germanique. Cet élément tragique, qui a rendu possible la naissance des légendes, devenait notoire lors du déclin des tribus royales. Inversement, les Alamans et les Bavarois, par exemple, qui étaient sans rois, ne produisirent aucune tradition épique propre ; ils chantaient plutôt les légendes royales étrangères, comme celle du roi lombard Alboin (50).

Les ethnogenèses ne sont pas l'affaire du 'sang', même si les Anglo-Saxons ont dit à propos des Saxons continentaux «nous sommes des mêmes os et du même sang» (51), mais reposent plutôt sur la constitution politique. Ce qui implique en premier lieu la réunion de tous les groupes hétérogènes qui composaient une armée barbare en migration. Les chefs et les représentants de familles connues (c'est-à-dire des clans qui tiraient leur origine des dieux et dont le succès prouvait le charisme) forment le noyau traditionnel (52), à partir duquel les groupes ethniques se séparèrent et se transformèrent et autour

(47) Voir supra, n. 36. (48) Grégoire de Tours, Historia Francorum (éd. Bruno Krusch/ Wilhelm

Levison, MGH SS rerum Merovingicarum 1, 2e ed., 1951) II 9, et Fredegaire, Chronicae (éd. Bruno Krusch, MGH SS rerum Merowingicarum 2, Hannover, 1888, 1 sqq.) Ill 9.

(49) Cf. Wenskus, Stammesbildung, p. 49. (50) L'observation faite par Wenskus, Stammesbildung, p. 69 n. 343 est particu

lièrement importante et a sûrement sa place dans ce contexte. Paulus Diaconus, Historia Langobardorum (ed. Georg Waitz, MGH SS rerum Langobardicarum, 1878, 12 sqq.) I 27 (Alboin).

(51) Bonifatius, Epistolae (ed. Michael Tangl, MGH Epistolae selectae 1, 1916), n. 46 ; p. 76. Cf. Wenskus, Sachsen- Angelsachsen-Thüringer, p. 527.

(52) Wenskus, Stammesbildung, p. 653 s. v.

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duquel se sont constitués de nouveaux peuples. Quiconque se reconnaît dans cette tradition — qu'il en provienne par la naissance ou qu'il soit admis et reconnu par l'épreuve — fait partie de la gens ; il ne s'agit pas des membres d'une souche biologique commune, mais bien plutôt d'une communauté d'origine tissée par la tradition orale (53). La diversité et l'ampleur des traditions ethniques permirent la coexistence des phénomènes apparemment radicalement contradictoires que sont les traditions classiques et barbares ou la conquête et la libre fédération. Les deux types d'éthogenèse ne s'excluent aucunement l'un et l'autre. Ils sont coordonnées par le contrat inique, le foedus iniquum, entre les groupes de rang élevé et ceux de rang bas (54). La memoria gentilis 'pense' la tradition de manière «télescopique», c'est-à-dire qu'elle la concentre et la présente en un style accéléré. Les événements dignes de souvenirs sont mis en séquence de façon relativement chronologique et correspondent ainsi aux traditions (55), auxquelles on peut assigner un triple motif. Premièrement, il existait un petit peuple dénommé, par exemple Goths, Saxons ou Lombards. Comme ceux-ci ne pouvaient pas entretenir et faire vivre la patrie (56), ils s'arrachèrent à la tutelle des dieux. Le fait primordial (57), la première épreuve — que ce soit la traversée d'une mer ou d'un fleuve comme le Rhin, l'Elbe ou le Danube, que ce soit une bataille victorieuse contre des ennemis tout- puissants, ou ces deux faits ensemble — crée la condition nécessaire à la légitimation d'un noyau de tradition et la formation d'une nouvelle gens, à croissance numérique forte parce qu'attractive. Par là s'établit le haut rang, la nobilitas, de ce peuple par rapport à ses voisins. Le petit nombre peut anoblir une gens, ce que révèle une formule de Tacite, apparemment paradoxale : paucitas nobilitat Langobardos (58).

Deuxièmement, comme l'attestent les Lombards et les Francs de Clovis, un changement de religion et de culte succède à ce fait primordial ; un modèle est également présenté comme un événement ponctuel. Chez les Lombards, l'allégeance au dieu Wodan ou Odin vient remplacer celle portée à l'égard des dieux jumeaux dioscures (59). Clovis, après sa victoire décisive sur les Alamans, reçut le baptême avec ses hommes les plus importants (ω).

(53) Wolfram, Goten, p. 17 avec n. 34 (5 sq. et 378 n. 34). (54) Wenskus, Sachsen- Angelsachsen- Thüringer, p. 544. (55) Cf. par exemple Wenskus, Stammesbildung, p. 489 avec n. 391. (56) Wolfram, Goten, p. 19 et 24 (7 et 12 sq.). (57) Wolfram, Donau, p. 27. (58) Tacitus, Germania c. 40. (59) Paulus Diaconus, Historia Langobardorum I 7-9. (60) Grégoire de Tours, Historia Francorum II 30 sq. Le baptême de Clovis passe

pour être motivé par la bataille, contre toute attente victorieuse, que le roi livra contre les Alamans. L'événement eut lieu soit en 496 soit en 497. En supposant la première date on obtient la chronologie proposée ici ; dans le cas contraire, tout se passa une année plus tôt. L'expérience spirituelle de la conversion peut correspondre à une réalité

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Troisièmement, si le fait primordial était une bataille contre un ennemi tout- puissant, alors celui-ci demeurait l'ennemi héréditaire numéro un, à la fois en vérité historique et hors d'événements historiques vérifiables (61). Les Vandales jouaient ce rôle pour les Goths (62), les Thuringiens pour les Saxons (63), les Hérules et les Gépides pour les Lombards C64). Dans les histoires de ce type, subsiste le souvenir selon lequel la gens fut autrefois un sous-groupe dépendant de grandes unions tribales, dont elle s'est séparée avec violence en précipitant ainsi leur déclin (65).

historique. La conversion effective fut cependant précédée de longues négociations avec les évêques et les grands laïques des Francs. En même temps Clovis se soumit comme catéchumène (prétendant au baptême) à une instruction convenable d'une certaine durée. Probablement au champ de Mars de 498 l'assemblée des guerriers approuva par acclamation l'intention du roi. L'été suivant, les Francs franchissant la Loire avancèrent jusqu'au cœur du Midi aquitain. Avant la contre-attaque des Wisigoths les envahisseurs se retirèrent. Pourtant Clovis put encore faire son serment baptismal en territoire gothique à Tours le 1 1 novembre, jour de la Saint Martin. À Noel 498, Clovis fut baptisé à Reims. Avec Clovis furent baptisés : sa sœur aînée, encore païenne, ainsi qu'un autre roi salien nommé Chararich avec son fils. Par ailleurs 3000 ou 6000 Francs suivirent l'exemple de leur roi. En rapport avec le baptême le nombre 3000 a un modèle prestigieux : 3000 juifs se firent baptiser à la suite du sermon de Pentecôte des apôtres ; dans les textes profanes, ce nombre équivaut à une armée tribale entière. Enfin une sœur de Clovis, arienne, passa à la foi catholique. Voir Erich Zöllner, Geschichte der Franken bis zur Mitte des 6. Jahrhunderts. München, 1970, p. 57 sqq. ; Adolf Lippold, Chlodovechus, dans Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, suppl. 13 (1973) vol. 139 sqq., col. 151 sqq. ; Karl Ferdinand Werner, Les origines {Histoire de France, 1). Paris, 1984, p. 306 sqq.

(61) Cf. par exemple Wenskus, Sachsen- Angelsachsen-Thüringer, p. 518 sq. (62) Wolfram, Goten, p. 50 sq. (40 sq.). (63) Wenskus, Sachsen- Angelsachsen-Thüringer, p. 518 sq. (64) Pohl, Gepiden, p. 299 sq. (65) Wolfram, Goten, p. 50 sq. (40 sq.).