Le dyidé chéron georges.

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Georges Chéron

Le Dyidé.In: Journal de la Société des Africanistes. 1931, tome 1 fascicule 2. pp. 285-289.

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Chéron Georges. Le Dyidé. In: Journal de la Société des Africanistes. 1931, tome 1 fascicule 2. pp. 285-289.

doi : 10.3406/jafr.1931.1513

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0037-9166_1931_num_1_2_1513

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LE DYIDÉ,

Georges CHÉRON, Administrateur en chef des colonies

Les Malinké croient à l'existence ďun bon génie, le dyidé^, qui réside près des cours d'eau 2 et qui a pour animal favori un caïman, lequel serait, en quelque sorte, son effigie.

Le dyidé a le pouvoir de guérir toutes les maladies infligées aux humains par les nombreux djinns malfaisants qui hantent la brousse et qui, bien que dépourvus de toute matérialité, n'en ont pas moins un sexe, un nom, un prénom, un métier, une condition sociale et même un roi, Oudé, et une souveraine, Fatoumata. Ce sont Hidjou Kassé, père de Fatoumata et grand marabout ayant fait le pèlerinage de la Mecque, Samba le griot, Suleymane Boundaouda le chasseur, Tamba le pauvre hère, Kabassa, Sidi, Kissima, Barourou, Bouba kar, Sidiki et Borodian, parmi les hommes, qui tous répondent au nom de Kéïta (excepté Hidjou Kassé qui s'appelle Haïdara et Samba qui se nomme Diarra), Diabo et Diorobo, parmi les femmes, dont le nom est Souko (sauf Fatoumata qui s'appelle Haïdara, comme son père).

Le dyidé s'est, dit-on, manifesté pour la première fois, il y a de cela fort longtemps, aux abords des chutes du Félou, près de Médine (Cercle de Kayes), a des Khassonké, riverains du haut Sénégal. Il leur fît comprendre qu'il voulait les prendre sous sa protection et leur accorder la faculté de l'évoquer pour lui faire opérer des cures merveilleuses. Bien entendu les visionnaires ne manquèrent pas d'user de ce pouvoir et les miraculés furent nombreux. Ceux-ci, par la suite, fondèrent une Société 3 d'actions de grâces qui essaima un peu partout dans le Soudan et plus particulièrement dans le Kaarta.

1. Littéralement : enfant (dé-) de l'eau (djé). 2. A Kita, il se trouve dans une cuvette intarissable formée par le Talako, marigot

affluent du Bakhoy, et située près de Kandiaoura, village de culture de Kita, distant de 3 km. environ delà ville. C'est le lieu de réunion des adeptes.

3. Appelée ton, en malinké. %

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La secte du dvidé comprend : le chef (dyidé-Kountigui) *, des membres élevés (tondémi na yèlèna)2 et des membres ordinaires (tonde mi ma layèlè) 3.

Le chef, qui peut être un homme ou une femme4, est un ancien adepte élevé que le chef précédent s'est, de son vivant, choisi comme successeur et a initié en conséquence. Il n'est intronisé qu'après avoir passé une sorte d'examen (soumounou) et avoir donné pour être offerts au dyidé, deux béliers blancs, deux poulets blancs et une cinquantaine de kilogrammes de mil. A l'issue du tam-tam qui suit ce sacrifice il est autorisé à aller prendre le gouffa, fétiche de la Société, grâce auquel il pourra élever les membres ordinaires, (Nous ne savons rien de ce fétiche que personne ne peut voir, pas même les adeptes.)

Les membres élevés sont des individus, hommes ou femmes 5, guéris par le dyidé qui leur a révélé le nom du djinn qui les affligeait de façon qu'ils s'unissent à lui et fassent ainsi sûrement cesser ses maléfices.

Quant aux membres ordinaires, ce sont tous ceux, hommes, femmes ou enfants des deux sexes, qui se sont affiliés à la secte pour être guéris, et qui, de ce fait, l'ont été, mais qui n'ont pas épousé ensuite leur génie malfaisant.

Pour faire partie de la Société, il suffit d'avoir une maladie incurable causée par un -djinn, ce que le féticheur reconnaît à la température du corps du postulant. Le droit d'entrée est fixé à vingt kolas et à deux poulets qui sont sacrifiés sur le gouffa au bord de l'eau, près de l'endroit où se tient le dyidé. Ce tribut une fois versé, le grand maître de la secte va dans la brousse de grand matin un lundi (téné), un jeudi (alamissa) ou un vendredi (gédyouma), jours néfastes (logho dyougou) où les djinns parcourent la campagne. Il cueille avant le lever du soleil, des feuilles de dyou [Milragyne a f ricana) et rentre chez lui en préparer une décoction .

Le néophyte, après s'être, au préalable, savonné minutieusement tout le corps, se rend alors chez le kountigui, vêtu d'un simple pagne. Il se couche à terre dans la cour, à un endroit bien propre. Aussitôt le chef, assisté d'un membre qu'il a désigné à cet effet, l'asperge de la tête aux pieds avec la décoction, puis le masse fortement et lui fait boire quelques gorgées de liquide, cependant que les adeptes mangent les poulets et les kolas versés comme droit d'entrée.

4. Littéralement : chef du dyidé. 2. Littéralement : membres qui sont montés. 3. Littéralement : membres qui ne sont pas montés. 4. A Toukoto, c'est le nommé Fili, ancien paralytique; à Kita, c'est la nommée

Kandia Nomogo, également ancienne paralytique. 5. Dans la Société \es hommes sont, en général, moins nombreux que les femmes.

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A la nuit tombante, les membres se réunissent à nouveau pour danser au son du dyidounou ', instrument composé d'un récipient, cuvette, bassine ou plat, rempli d'eau et recouvert d'une calebasse sur le dos de laquelle on frappe avec deux baguettes. A un moment donné, le nouvel adepte est invité à faire un tour de danse au cours duquel il est pris de tremblements (yéréyéréli) et de vertiges (nyanamini). Il crie, il gesticule, il profère des paroles incohérentes et tombe à terre. Quand il revient à lui, il est guéri. Le dyidé a, en effet, obligé son génie malfaisant à le posséder, pour le délivrer du maléfice qu'il lui causait. Le novice est ains1 devenu membre ordinaire et il est, de ce fait, tenu de verser par la suite, pour être répartie entre tous les adeptes, une somme de dix francs au grand maître de la Société.

S'il veut accéder à l'échelon supérieur, il doit, en outre, donner une chèvre, deux poulets blancs, deux noix de kolas et du lait qui sont destinés à la communauté, ainsi que des calebasses et des pochons (galama) neufs, du savon et des fibres d'écorce (founyé) servanta la fois d'épongé, de lavette et de cureur. La nuit venue, il est alors procédé à son union (fourou) avec son génie. Pour cela, on le savonne en faisant usage des objets de toilette qu'il a apportés, on lui fait un nouveau lavage à la décoction de feuilles de dyou, dont il boit encore une rasade, puis on l'enferme, paré d'un voile blanc, dans une case où se trouve une natte recouverte d'une pièce de cotonnade blanche. C'est là que se consomme le mariage pendant que dehors les adeptes dansent, chantent et font ripaille. Le reclus ne tarde pas, en effet, à vociférer. A ses cris, le chef, suivi de quelques membres, pénètre dans la pièce pour le réconforter et le complimenter et surtout pour lui recommander de ne pas prononcer le nom du génie qui vient de se faire connaître à lui.

On peut également faire partie de la secte quand, assistant à un tam- tam de la Société, on se trouve subitement possédé par un djinn, c'est-à- dire pris de vertiges, de tremblements et de syncope. C'est ce qui arrive fréquemment à de jeunes enfants à califourchon sur le dos de leur mère, elle-même membre de la confrérie. Il convient de remarquer que, lorsqu'il s'agit de grandes personnes, ces démoniaques sont souvent des simulateurs auxquels leur bon état de santé interdisait autrement l'accès de la Société à laquelle ils tiennent à appartenir.

Enfin sont considérés comme adeptes de droit les enfants bien portants que leur mère a voués au dyidé pour les préserver des djinns.

En dehors des réunions en vue de l'admission des nouveaux membres, les adeptes de la secte se rassemblent pour danser le lundi, le jeudi et le vendredi soir ; ils doivent alors apporter quelques victuailles pour en

1. Littéralement : tambour à eau.

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faire aumône à Tamba. Ils se réunissent encore avant le commencement du ramadan, ledernierjour du jeûne (salinintyéni) *, le jour de la tabaski2, et dans certaines grandes circonstances (Fêtes nationales, etc.).

Les danses sont toujours accompagnées par un ou deux dyidounou battus par une femme, la dyidounou folas, des chants soutiennent cette musique, l'air et les paroles en sont donnés (donkili la) par une musicienne, puis répétés en chœur par l'assistance. Chaque danseur exécute des pas et des gestes, consistant le plus souvent en mouvements rapides des jambes, des bras et de la tête.

Les membres ordinaires dansent plus fréquemment que les autres ; ils entrent dans le cercle quand la chanteuse entonne l'air propre à leur génie particulier qui, aussitôt, les rend convulsionnaires. Ils exécutent alors la danse de leur djinn, danse spéciale qui n'est qu'une mimique des actes habituels de ce dernier ; chanson et danse sont apprises à l'adepte parle chef qui, seul, étant donné son pouvoir infaillible d'identification, connaît le génie des membres ordinaires.

Quant aux membres élevés, ils dansent le moins possible et cela par précaution, car s'il leur arrivait de choir au milieu de leurs ébats, ce serait le signe delà mort prochaine d'un adepte. Ils ne peuvent toutefois s'abstenir complètement de danser, de peur que leur génie, les considérant comme rebelles, ne lesy oblige. Ils se font alors assister pendant leur tour de danse, de membres ordinaires chargés de veiller sur eux et de les retenir en cas de chute. Si cependant, malgré cette mesure, il arrivait que l'un d'eux tombât, on lui attacherait aussitôt les deux pieds avec un mouchoir et quatre membres le porteraient sur la tête comme s'il était mort. Ce simulacre de convoi funèbre conjurerait immédiatement le mauvais sort.

Les danses ont lieu en public et tout le monde peut y assister, à l'exception toutefois des sorciers que le dyidé démasque tout de suite, car il a la faculté d'annihiler leurs maléfices.

Sa puissance d'ailleurs est telle qu'il peut tirer d'affaire tout membre qui sollicite ses bons offices pour le débarrasser d'un ennemi sérieux . Dans ce cas, le postulant doit faire un vœu et ne doit jamais oublier d'accomplir sa promesse, car le dyidé, mécontent, se vengerait cruellement.

Les adeptes du dyidé ont, comme signe de reconnaissance, un mot de passe qui est « Koïta ». Les membres élevés portent en outre autour de la taille, une ceinture longue de 1 m. 75 à 2 mètres et large de IS cen-

1. C'est la fête de la rupture du jeûne. 2. On appelle ainsi au Soudan la fête par laquelle on célèbre la fin du pèlerinage. 3. A Kita cette fonction est remplie par la nommée Ourokia Taraoré, jadis atteinte

de folie du fait du Kabassa.

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timètres environ, et autour de la tête un bandeau de même largeur mais de longueur variable. Ce sont de simples bandes de cotonnade, pliées en trois, dont la couleur diffère suivant le djinn. Les tissus les plus communément employés à cet effet, en dehors de l'étoffe de couleur naturelle, sont le nyoronkai, qui est bleu rayé blanc, et le ouoro, qui est kaki avec rayures également blanches.

1. Littéralement : individu deNioro, c'est-à-dire : tissu de Nioro.