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304 Le droit international public par Alain Pellet Le droit international public occupe une place un peu à part au sein des disciplines juridiques. Du droit public, il a certaines caractéristiques essentielles: il concerne au premier chef les Etats, qui sont à la fois les agents les plus efficaces de son élabo· ration et les principaux destinataires de ses normes; il est fondé sur le postulat de l'existence d'Etats bénéficiant d'une compé. tence à peu près exclusive sur leur territoire; il constitue un exemple particulièrement remarquable d'enchevêtrement entre le politique et le juridique. A certains égards, il peut aussi être rapproché du droit privé: il est en effet un droit entre égaux; comme les individus devant la loi, les Etats sont égaux devant le droit international. Mais, à la différence de ce qui se passe en droit interne, il n'existe pas d'autorité supérieure susceptible d'édicter une réglementation, d'arbitrer les différends, de sanctionner les manquements . Ce caractère à la fois fortement individualiste et peu contraignant du droit international public a conduit certains auteurs à mettre en doute son caractère juridique. Cette position ne résiste pas à un examen objectif de la réalité. De multiples indices prouvent l'attachement des Etats au droit international et le souci qu'ils ont de le respecter. Partout, au sein des ministères des Affaires étrangères, dans les organisa· tions internationales, existent des services juridiques chargés d'étudier les problèmes au point de vue du droit; l'Assemblée générale de l'O.N.V. a créé une commission juridique qui examine les problèmes sous l'angle juridique, en liaison avec la Commission du droit international (C.D.I.), organe subsidiaire -- - ., ... Alain Pellet Agé de 26 ans, il est assistant à l'université de Paris II et maître de conférences â l'Institut d'études politiques de Paris. Il collabore à l'Annuaire français de droit international depuis 1%9. II prépare une thèse intitulêe: • Recherches sur les pri ncipes de droit cn droit international publio. · r , , , f ç " .' r 1 l i ( 1 i , , f , .. 1 , ; f,

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Le droit international public par Alain Pellet

Le droit international public occupe une place un peu à part au sein des disciplines juridiques. Du droit public, il a certaines caractéristiques essentielles: il concerne au premier chef les Etats, qui sont à la fois les agents les plus efficaces de son élabo· ration et les principaux destinataires de ses normes; il est fondé sur le postulat de l'existence d'Etats bénéficiant d'une compé. tence à peu près exclusive sur leur territoire; il constitue un exemple particulièrement remarquable d'enchevêtrement entre le politique et le juridique. A certains égards, il peut aussi être rapproché du droit privé: il est en effet un droit entre égaux; comme les individus devant la loi, les Etats sont égaux devant le droit international. Mais, à la différence de ce qui se passe en droit interne, il n'existe pas d'autorité supérieure susceptible d'édicter une réglementation, d'arbitrer les différends, de sanctionner les manquements. Ce caractère à la fois fortement individualiste et peu contraignant du droit international public a conduit certains auteurs à mettre en doute son caractère juridique. Cette position ne résiste pas à un examen objectif de la réalité. De multiples indices prouvent l'attachement des Etats au droit international et le souci qu'ils ont de le respecter. Partout, au sein des ministères des Affaires étrangères, dans les organisa· tions internationales, existent des services juridiques chargés d'étudier les problèmes au point de vue du droit; l'Assemblée générale de l'O.N.V. a créé une commission juridique qui examine les problèmes sous l'angle juridique, en liaison avec la Commission du droit international (C.D.I.), organe subsidiaire

---., ... Alain Pellet Agé de 26 ans, il est assistant à l'université de Paris II et maître de conférences â l'Institut d'études politiques de Paris. Il collabore à l'Annuaire français de droit international depuis 1%9. II prépare une thèse intitulêe: • Recherches sur les princ ipes g~néraux de droit cn droit international publio.

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de l'Assemblée, chargée par l'article 13 de la charte des Nations unies «d'encourager le développement du droit international et » sa codification »,

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Une menace pesant sur l'action des Etats et une justification

Certes, le droit international est parfois violé; mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de normes. Pas plus qu'on ne peut affir-mer que sous prétexte que les meurtres, les vols et les viols sont fréquents et demeurent souvent impunis, le droit pénal n'existe pas, on ne peut nier l'existence du droit international sous pré-texte qu'il n'est pas toujours respecté. Dans l'immense majorité des hypothèses, il est considéré comme contraignant et respecté tout naturellement dans les relations entre Etats. La meilleure preuve en est que ceux-ci, même lorsqu'ils commettent des actions qu'il interdit, s'efforcent d'en démon­trer la licéité •. Souvent, les Etats, aussi puissants soient-ils, sont conduits à reconnaître qu'ils ont violé une règle de droit et à présenter des excuses, voire à verser des réparations •. Cependant, cette réalité indiscutable du droit international tient du miracle: l'Etat qui, selon l'expression de Beaumanoir, se veut « souverain par-dessus tout », accepte de voir son champ d'activité limité, sa liberté d'action restreinte, son pouvoir sou­mis à une réglementation. Cette énigme n'est, du reste, pas propre au droit international et se pose dans toutes les branches du droit public, constitutionnel, administratif, etc., mais elle est spécialement aiguë dans cette discipline, étant donné que les Etats sont particulièrement jaloux de leur liberté de mouve­ment dans le domaine des relations internationales. Aussi le problème du fondement du droit international fait-il l'objet de controverses passionnées entre spécialis tes qui se divisent en écoles de pensées irréconciliables.

Volonté de l'Etat et droit naturel

A cet égard, la summa divisio tient au rôle accordée par les uns et les autres à la volonté de l'Etat dans l'élaboration du droit international. Pour certains auteurs, que l'on appelle «volonta­ristes ", elle serait le fondement même de la force obligatoire du droit international •. Attachés au dogme de la souveraineté, ils estiment que l'Etat ne peut être lié par une règle de droit s'il n'a pas reconnu son existence. Mais cette théorie se heurte à plusieurs objections. Poussée jusqu'à ses conséquences extrêmes, elle aboutit à la m'gation du droit international; ainsi, Georges lellinek a été jusqu'à

• M. Brejnev. après l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie en 1968, a inventé la doctrine, qui porte son nom, dite de la 41 souveraineté limitée» pour tenter d'en fournir une justification juridique a posteriori.

• Ainsi, les Etats,Unis eux-mèmes, en 1960, ont dû présenter des excuses à l'Union soviétique à la suite de l'incident de l'avion­espion 02. Voir W. Friedmann: De ['efficacité des institutions internationales (Paris, Armand Colin, 1970).

• Les représent,mts les plus célèbres de cette école sont Jellinek. TriepeI, Anzilotti et les auteurs d~s pays de l'Est, en particulier G.!. Tunkin (voir Droit international puhlic. problèmes théoriques, Paris, Pédone, 1965). Il existe des nuances entre leurs théor1es.

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écrire: « Tout acte illicite international [ ... ] pourrait être élevé » au rang de droit si l'on en faisait le contenu d'un traité •. » Le volontarisme a également en pratique un grave inconvénient: tout Etat nouveau, en accédant à l'indépendance, se trouverait libre d'accepter ou de rejetel chaque règle du droit international, s'opposant ainsi à son universalité et taisant peser une menace sur la sécurité souhaitable des rapporls internationaux. Cette doctrine, enfin, n'explique pas pourquoi les volontés des Etats les engagent. Pour réfuter cette objection, ses tenants affirment l'existence d'un principe fondamental hypothétique: Pacta sunt servanda ( « il faut respecter la parole donnée») ; du mém;: coup, ils admettent qu'au·dessus des Etats existe une règle qu'ils n'ont pas posée et se contredisent eux-mêmes.

Pour découvrir le véritable fondement du droit international, le juriste doit faire preuve de modestie et chercher en dehors de celui-ci les fondements qu'il ne peut fournir; deux directions de recherche sont envisageables: la morale et la science politi­que. C'est à la première tendance que se rattache l'école du droit naturel, qui part de l'idée qu'au-dessus des hommes et des insti­tutions existe un droit juste et nécessaire que révèle la saine raison •. L'idée de droit naturel a l'avantage de tendre à morali­ser les relations internationales. Son caractère très subjectif -il n'existe pas de « juste» absolu et éternel - pousse à lui préfé­rer les thèses sociologiques avec lesquelles elle peut, du reste, être combinée. S'inspirant des théories de Léon Dugui.!., Georges Scelle. a affir­mé qu'il n'existait aucune différence entre société nationale et société internationale, l'une et l'autre étant composées d'indi­vidus. Dès lors, les règles du droit international ont les mêmes fondements et découlent des mêmes impératifs que celles du droit interne: le droit trouve sa justification et ses fins dans les nécessités sociales, qui exigent une solidarité croissante entre individus. Si le postulat du « monisme inlersocial. » peut prêter à discussion, l'idée que les forces sociales et politiques expliquent la formation des règles de droit à un moment donné, leur res­pect et leur évolution, doit certainement être retenue. Le droit international a d'ailleurs suivi l'évolution de la société interna­tionale.

• G. lellinek: Die rec1ltliche Nalllr der Staaten l:ertragc (Vie nne. 1880).

• A l'époque contemporaine. les principaux représen tants de l'e:colC' du d roit naturel ont été les Français Pillet ( 1857· 1926) el Le Fur (187019431.

• Georges Scelle (1878-1961) est con~idér~ comme le chef de }'êcole «objectivîstc sociologique" ou ~solidaris ten.

• On appeHc 1nOllistc,\' les j héuries qui postulen t l'unité des ordres juridiques, ct dualistes celles qui cn admettent la séparation.

Le droit international est né avec "Etat moderne A la fin du Moyen Age, au moment où naissaient les Etats modernes, il devint nécessaire de déterminer à quelles règles juridiques seraient soumis leurs rapports. C'est tout naturelle-ment le droit appliqué au sein de la plupart des Etats que l'on transposa dans le domaine international, en l'occurrence le droit

romain, considéré comme la raison écrite, l'expression la plus parfaite du droit naturel • . Grotius lui-même, auquel son influence a valu le surnom de « père du droit international» (1583-1645), bien qu'il ait eu des précurseurs - notamment Victoria (1480-1546) et Suarez (1548-1617) - , a fait une large application du droit privé aux rapports interétatiques. A un degré moindre, ses épigones utiliseront le même procédé au nom de l'unité du droit naturel. Sans rejeter complètement cette idée, Vattel (1714-1767), dans son principal ouvrage, « le Droit des gens ou Principes de la loi naturelle appli­quée à la conduite et aux affaires des nations et des souve­rains », distingue clairement le droit naturel , qu'il appelle « nécessaire », du droit « volontaire ». Pour lui, le second l'em­porte sur le premier, car il appartient aux seuls Etats d 'inter­préter le droit naturel et de l'appliquer.

Derrière le naturalisme de façade point le volontarisme. C'est que, depuis Grotius, le monde a changé, le pouvoir des Etats s'est considérablement affermi , tant à l'intérieur (monar­chie absolue) qu'à l'extérieur. Les traités de Westphalie (1648), qui mirent fin à la guerre de Trente Ans, constituent la première charte de la société européenne et consacrent les principes de la souveraineté et de l'égalité des Etats. En même temps prend corps l'idée d'équilibre européen, mais la notion demeure essen­tiellement politique et repose sur les rapports de force plus que sur la conscience d'une obligation . Cependant, après les menaces que le bouleversement révolutionnaire et les desseins napoléo­niens ont fait peser sur cet ordre précaire, le congrès de Vienne (1815) et le concert des pays européens vont s'efforcer de régle­menter les rapports internationaux. « Tandis que l'expérience »de l'anarchie des souverainetés incite à rechercher les bases » d'une organisation internationale, on voit se dessiner dans ce » c1imat nouveau les premiers linéaments d'un droit interna­» tional extérieur aux intérêts proprement politiques des Etats, »inspirés des principes de civilisation comme des besoins de »relations commerciales entre les peuples • . » C'est ainsi que la période de calme relatif du XIX· siècle voit se multiplier les trai­tés entre Etélts et s'allirmer certains principes fondamentaux comme la condamnation de la traite des Noirs, les bases d 'un régime des voies d'eau internationales, les règles de la neutra­lité, etc. Malgré les hésitations des Etats à s'engager trop avant dans cette voie, l'arbitrage international prend un essor consi­dérable. Le droit étant spontanément respecté, le problème de ses fondements ne se pose plus avec la même acuité, et le cynisme positiviste. peut triompher sans danger.

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• l'expression jus gentimn , tradui te plus tard pa r " droit des gen~». es t empruntée nux IJ/sfifllles. Elle est aujoul'd'hu i synonyme de cdroit international».

• C. de Visscher : Théories et réalités ell

droit imemational public (Paris , Pédone. 1970). Dans cet ouvrage fondamental, le grand spécialis te belge montrl! bIen les rapports du droit. de la politique et de la morale, tout en se gardant de Ioule conslruclion lhl!orique éloignt!e de la "ie concrète .

• Le posilivisme entend décrire le d roit tcl qu'il est. par opposition notamment au naturalisme accusé de le présenter comme il devrait être .

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Les menaces impérialistes et les ripostes du droit

La « veillée d'armes » de 1879-1914 est marquée par un mouve­ment contradictoire. D'une part, les Etats enserrés dans un sys­tème d'alliances de plus en plus rigide s'égarent dans une folle course aux armements, d'autre part, et en sens contraire, cette époque est marquée par les grandes conférences de La Haye, dites « conférences de la paix », de 1899 et 1907, qui s'efforcent à la fois de préserver - mais trop tard - la paix et de régle­menter la guerre. Mais les visées impérialistes accentuent les rivalités et mènent inéluctablement, par crises successive~ sui­vies d'accalmies trompeuses, à l'affrontement armé.

La S.D.N. garantit le règlement de La tourmente de la Première Guerre mondiale passée, les Etats,

la paix

comme en 1815, comprennent la nécessité d'une organisation in­ternatÎCmale garantissant le règlement de la paix intervenu en 1919; ils établissent la Société des Nations (S.D.N.), l'Organisa-tion internationale du travail (O.I.T.) et proclament leur foi dans les progrès du droit. Parallèlement, la doctrine (Scelle, Kelsen+) s'efforce d'expliquer de façon rationnelle les fondements du droit international sans succomber à la tentation de l'amoralismeJ

mais sans résister à celle de l'abstraction. Moral et détaché des réalités, tel apparaît parfois, en effet, le droit de cette époque qui néglige les mécontentements engendrés par les traités de paix, sous-estime le puissant facteur de changement que constitue l'édification en U.R.S.S. du premier Etat socialiste et se montre finalement incapable de résister aux coups que lui portent la grande crise de 1929 et l'avènement des régimes totalitaires nationalistes, qui prétendent construire un monde nouveau en niant les valeurs libérales que le droit international avait fini par incarner dans l'ordre des relations entre Etats. Les vainqueurs de 1945 ont essayé de garantir la paix du monde par une vue plus réaliste des relations entre le droit et les rap­ports de force. Tout en s'efforçant d'empêcher le renouvelle­ment d'une déflagration mondiale, ils ont élaboré les cadres d'une coopération possible en multipliant les occasions de ren­contres et en renforçant les solidarités malgré les différences idéologiques. Ils ont admis, après un long apprentissage marqué par la période de la guerre froide, la nécessité d'une coexistence pacifique et reconnu la variété des réseaux d'intérêts souvent divergents que la menace de la guerre totale oblige à concilier+. Si le monde de l'immédiat apri:s-guerre peut assez facilement être décrit comme un système bipolaire au sein duquel les Etats occidentaux, sur la défensive, essaient de contenir l'expansion communiste (doctrine Truman du « containment »), avec la troi-

• Voir notamment H. Kelsen: Théorie pure du droit (Paris, Dalloz, 1962).

• Voir R. Aron: Paix et guerre entre les nations (Paris, Calmann-Lévy, 1968), ouvrage discutable mais essentiel pour comprendre les jeux subtils des puissances depuis 1945.

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sieme vague de décolonisation., véritable raz de marée après 1960, l'accession au rang de troisième grande puissance de la Chine populaire et les signes d 'un nouveau partage de la puis­sance économique au sein des pays industrialisés, les choses se compliquent grand",ment. La relative désagrégation des blocs, la prise de conscience de sa force par un Tiers Monde encore très divisé constituent des facteurs nouveaux dont le désarroi du droit international d'aujourd'hui, contesté par les uns, méprisé par d'autres, porte la marque. Le temps n 'est plus aux constructions abstraites. Avec des au­teurs comme Myres McDougaU+, le droit est mis au service d'une idéologie libérale et devient un instrument de combat (la même remarque peut être faite, pour l'autre « camp », de la doctrine communiste dans son ensemble ) ; l'autre tendance, totalement opposée, et très répandue parmi les spécialistes fran­çais du droit international, est de s'en tenir à une description le plus neutre possible du droit international, en évitant surtout de prendre parti dans les querelles d'école. Militant ou descrip­tif, le droit international de notre époque est marqué par le réa­lisme et la prudence. Peu enclins aux généralisations abstraites, les auteurs s'efforcent de faciliter les terrains d'entente concrète. Ni pessimiste ni exagérément optimiste, la doctrine actuelle essaie de maintenir la balance égale entre l'ordre et le mouve­ment, la coordination et la coopération, l'indépendance et l'in­terdépendance. Ces deux thèmes sont en effet au centre du débat juridique international. Incapable de briser le cadre de l'idée nationale, le droit international contourne l'obstacle: il renforce l'interdépendance en s'appuyant sur le pouvoir de l'Etat que, loin de nier, il permet de garantir.

LE THEME DE L'INDEPENDANCE

S'il paraît impossible de soutenir que l'Etat e~t aujourd'hui le seul sujet du droit international, force est d'admettre qu'il en est le principal, et surtout qu'il est le seul dont les compétences soient générales. Aussi le phénomène étatique est-il au centre des problèmes juridiques internationaux: le droit international apparaît à la fois comme la conséquence et la garantie de l'indé­pendance de l'Etat.

Le phénomène étatique

L'Etat, noyau du droit international La question de savoir ~i une entité a ou non la qualité d'Etat a une extrême importance pratique: sujets du droit internatio-

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• On peut admet tre que la p remière vague de décolonisaI ion es t celle de l 'accession à l ' indépenda nce des Etats d'Amér iq ue la tine ct la de uxième celle de 1945-1950 (anciens mandats , Inde ).

• Voir la bonne analyse de l'œuvre de cet auteur diffic ile par Bent Rosenthal: Etude de l'œuvre de Myres M cDougall en matière de droit international public (Paris , Lib rairie générale de droit e t de jurisprudence , 1970) .

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nal, les Etats sont titulaires de certains droits et obligations que ce droit leur reconnaît. Traditionnellement, on admet que pour constituer un Etat trois éléments - présentant certaines carac­téristiques - sont nécessaires et suffisants: un territoire, une population et un gouvernement. Le dernier de ces éléments permet de distinguer l'Etat d'autres collectivités humaines, comme le département ou le pays membre d'un Etat fédéral, qui ont une personnalité juridique mais ne sont pas sujets du droit international, car leur «exécutif» n'exerce pas directement de compétence internationale: c'est ce que l'on appelle l'immédiateté. Par ailleurs, ce gouvernement doit être effectif, c'est-à-dire contrôler effectivement la popula­tion et le territoire de l'Etat. Le nombre des nationaux importe peu: certains Etats ont une population très réduite (Saint-Marin n'a que 14000 habitants et fait encore figure de géant à côté de l'île Pitcairn qui n'en compte qu'une centaine!). Il en va de même de la taille du territoire. Toutefois, ics Etats très petits, tant par le nombre de leurs ressortissants que par leur superficie, posent certains problèmes en droit international, car ils n'ont pas la possibilité d'exercer effectivement les compétences qui leur son t reconnues et d'assu-mer les obligations qui leur incombent.. ~ Le problème

des «micro-Etats» es t Le territoire, support indispensable de l'Etat, comprend, outre pé riodiquement posé

1 1 t 1 1 l, , . 1 . t' . (fi dans les rappons e 50 e e sous-so, espace aenen, es eaux m eneures euves annuels des secrétaires et rivières qui le traversent, lacs, mers enfermés dans le terri- générnux des Na.ions

. . 1) 1 . . 1 Il d '1' . , unies en ce quI concerne tOlre natlOna et a mer terntona e. est e ImIte par une leur représen.alion dans frontière qui constitue la limite des compétences étatiques.. l'Organisation .

La perte de tout ou partie du territoire donne lieu au phén(}- + Les zones lronl.Iières posent parfois de

mène de la succession d'Etats. Aujourd'hui, le problème se pose délicats problèmes surtout lorsqu'un peuple anciennement colonisé accède à l'indé- juridiques: voir C. de Visschcr : pendance. Parmi les nombreuses difficultés que suscite l'appa- Problèmes de confin, en

droit inte rnational rition d'un Etat nouveau dans l'ordre international, on peut citer f,/lblic (Paris , Pédone.

celle du maintien de la législation antérieure, celle de la nati(}- 969).

nalité des habitants du territoire concerné, celle du sort des dettes contractées par l'Etat antérieur, celles, surtout, de la suc-cession aux traités passés par l'Etat d'origine (ou Etat cédant) et des droits acquis par des particuliers sous l'empire de la législation antérieure. Il est très difficile de dégager de la pra-tique des règles générales tant les solutions retenues et appli-quées diffèrent. On peut constater que, généralement, dans les cas où la décoloni­sation s'est faite sans trop de heurts (par exemple en ce qui concerne la plupart des dominions britanniques), la continuité est assez largement admise aussi bien en ce qui concerne les droits acquis que les traités; au contraire, lorsque l'accession

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à l'indépendance s'est faite dans des conditions difficiles, la rupture est beaucoup plus radicale • . Le maintien des droits acquis pose des problèmes particuliè­rement graves: deux principes s'opposent. Si l'on prend, par exemple, le cas d'une concession minière, d 'un côté, il paraît anormal que le particulier, individu ou société, qui a parfois investi des sommes énormes, soit privé du fruit de ses efforts •. Mais, d'un autre côté, le maintien de tels contrats peut hypo­théquer gravement la politique économique du nouveau gouver­nement qui y voit souvent une atteinte à sa « souveraineté ».

La fiction de la souveraineté Ce mot, dont personne n'a jamais réussi à donner une définition satisfaisante., est l'ultime justification des causes indéfendables, le dernier recours des orateurs à bout d'arguments, la raison péremptoire ou la réplique finale. Pourtant, ce mythe de la sou­veraineté, sur lequel les Etats modernes se sont édifiés et qui reste aujourd'hui invoqué à tort et à travers, n'est pas de nature juridique. Comme l'idée de nation, celle de souveraineté est, par nature, politique. , Dire qu'un pouvoir est souverain, cela veut dire qu'il est sans limites et sans bornes. En fait, la « souveraineté» de chaque Etat se heurte à celle de tous les autres et la résultante de ces forces contraires est précisément le droit international. A ce titre, la souveraineté apparaît comme une des bases politiques du droit international. Pour compenser les inégalités de fait entre les Etats et aussi pour limiter l'appétit concurrent des grandes puissances, la fiction politique de l'égalité souveraine de tous les Etats présente d'indéniables vertus apaisantes. Aussi les juristes, au prix d'une modification du sens originaire du mot « souveraineté », ont-ils tenté d'enfermer ce concept politique dans un carcan juridique, de façon à neutraliser les menaces qu'il contient et à utiliser son dynamisme. La souve­raineté, dans ce second sens, devient la faculté pour l'Etat d'exercer les compétences qui lui sont reconnues par le droit international.

Traditionnellement, les compétences que l'Etat exerce en vertu de sa souveraineté ainsi entendue sont divisées en trois caté­gories correspondant aux trois « éléments constitutifs»: terri­toire, population, gouvernement. A la notion de gouvernement correspond la compétence relative aux services pubiics, c'est-à-dire que l'Etat est libre d'organiser comme il l'entend son régime po.Jitique+1 Cette liberté d'organi­sation s'étend à toutes les administrat ions: défense nationale,

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~ Sur la succession d'E tats , voir M. Bedjaoui: c. Problèmes récents de succession d'Etats dans les Etats nouveaux., in R .C.A.D.I . , 1970·11 ; pour une vue plu:. traditionnelle : D.P. O'Connel! : Stale Succession in Municipal and InfertiatioPlal Law. 2 vol. (Cambridge , Univer sity Press, 1967).

• D'assez nombreuses dccisions juridiction nelles internati onale~ et divers traités (no tamme nt les a ccords d ' Ev ian de 1962) ont reconnu le principe du re spect des droits acquis.

• Le Dicliomzaire de la termiJ lOlogie du ci rait iII/ crlla/ ional publi eS sous la dir ec tion de Jules Basdcvant ( 1960 ) donne neuf sens diO"érc nls au mot Cl sou\icraineté», qui peut ê tre copsideSrc comme synonyme d'. indépendance • .

• La c légitimité,. du go~vcr~ement parfOls pnse en considération dans lè passé (lcgitimité monarchique au temps de la Sainte· Alliance, légitimité démocratique ), ne l'es t plus aujou rd 'hui que dans des cadres )"~giommx. VOÎr les diJlicultés de la Greee avec le Conseil de l'Europe, de Cuba uvee J'O.E.A., de l'Afrique du Sud avec l'O.U .A.

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relations diplomatiques, etc. De même, la compétence de l'Etat relative aux services publics explique que l'Etat peut réprimer les atteintes à sa sûreté même si elles sont commises par des étrangers hors de son territoire+.

La compétence personnelle repose sur un lien d'allégeance entre l'Etat et l'individu, constitué par la nationalité, dont la déter­mination est laissée exclusivement à l'Etat; cependant, le droit international ne reconnaît la nationalité d'un individu que si ses liens avec le pays la lui ayant accordée sont effectifs; dans le cas contraire, elle ne saurait être opposée aux autres Etats •. La compétence personnelle s'exerce sans aucune difficulté lorsque les ressortissants d'un Etat se trouvent sur son territoire ou sur des espaces ne relevant d'aucun Etat, mais, lorqu'ils sont à l'étranger, la compétence personnelle se heurte à la compétence territoriale devant laquelle, en générale, clle cède •. Cette der­nière est donc la forme la plus absolue des compétences éta­tiques: l'Etat peut faire sur son territoire tout ce qui ne lui est pas interdit par le droit international, et cette compétence est exclusive; seul il a le monopole de la contrainte et les autres Etats sont tenus par une obligation absolue de non-intervention. L'exercice par l'Etat de ses compétences dans le cadre tracé par le droit international est considéré comme le reflet de sa souve­raineté. Et l'on peut dire que, par un jeu dialectique subtil, le droit international apparaît à la fois comme la conséquence et la garantie de cette indépendance.

Le droit international, conséquence de la souveraineté étatique

Le corollaire de la notion de souveraineté des Etats est leur égalité devant le droit. Il y a peut-être une certaine hypocrisie à considérer que les Etats-Unis et Monaco, l'U.R.S.S. et le Bots­wana doivent être traités de la même manière; mais le droit est réducteur de différences. Les Etats sont souverains, la notion est unique, elle doit s'appliquer uniformément à tous: ils ont les mêmes droits et les mêmes obligations, ils sont soumis aux mêmes règles, bénéficient des mêmes privilèges. Cela est parti­culièrement remarquable en ce qui concerne, d'une part, leurs relations mutuelles et, d'autre part, l'importance accordée à leur volonté dans la formation du droit international.

Les relations interétatiques du temps de paix S'il y eut une certaine part d'affectation et un goût marqué pour le symbole de la part des dirigeants chinois à rendre au régent de Saint-Marin, lors de sa visite à PéKin en 1972, les mêmes

• De tels)ugement s sont possI bles en cas de piraterie, de délournemcm d'avion ct, ct 'une manière générale, pour tous les crimes qui intércSS~'l 11 la société i ntcrn~tior:.a lc lout entière.

• Les individus auxquels aucune nationalité n 'est reconnue sont appelés capatridesn. Voir affaire No ttebohm. C. U. (6 avril 1955).

• Cet o rdre des prêscanccs des compélences est cependant loin d'être absolu. Il es t limité pa r, notamment, l 'inst itution de la prol C'c lion diplomalique ct la pratique de l'extradition .

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honneurs qu'au président Nixon, il n'en reste pas moins que cette anecdote est révélatrice de l'existence d'une règle de droit: tous les Etats, grands ou petits, faibles ou puissants, ont droit aux mêmes égards et peuvent prétendre au même traitement. Au sein des org3nisations internationales de caractère politique,

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chaque Etat dispose d'une voix •. Tous le~ délégués ont un droit. Le princi pe cst b<J,tlu en br\.' c h r.: dans égal à faire valoir leur point de vue, à être inforMés, et bénéfi- les organisaUon,

cient du même statut (qui est en général fixé par des « conven- internationales il vocation (.'collomlquc (B.I.R.D"

tions sur les privilèges et immunités,,: celle concernant F.M.I.. e,c .).

l'O.N.U. est de 1946). Le droit traditionnel assure l'égalité entre tous les Etats

Les règles du droit diplomatique traditionnel sont, elles aussi, dictées par le souci d'assurer une égalité parfaite entre les représentants de tous les Etats. Malgré l'existence de réglemen-tations partielles, ce n'est qu'en 1961 qu'une conférence inter-nationalt:, réunie à Vienne sous les auspices des Nations unies, réglementa les relations diplomatiques de manière complète •. L'article 2 de la convention qui y tut adoptée dispose: «L'éta­"blissement des relations diplomatiques entre les Etats et »l'envoi de missions diplomatiques permanentes se font par »consentement mutuel.» De même, la désignation du chef de la mission ne peut se faire qu'après l'agrément de l'Etat auprès duquel il est envoyé; une fois cet agrément reçu, il remet Sb

lettres de créance. L'Etat d'envoi est appelé Etat «accréditant ", et l'Etat de réception «accréditai.·e ». Les fonctions des agents diplomatiques sont de représenter l'Etat accréditant, de s'in· former sur la situation du pays d'accueil et d'y promouvoir l'« image de marque» de leur pays, de défendre ses droits et intérêts, et, éventuellement, de négocier les accords que les deux Etats désirent conclure. Pour accomplir sa mission, le personnel diplomatique jouit de certaines immunités qui lui sont reconnues en vertu du principe de l'indépendance de l'Etat accréditant dont il est le représen­tant. La personne des agents diplomatiques est inviolable, de même que les locaux diplomatiques; le droit de correspondre sans contrôle avec l'Etat d'eI}voi leur est reconnu et ils béné­ficient de certains privilèges, notamment d'ordre fiscal; enfin, ils sont protégés par l'immunité de juridiction qui ne peut être levée qu'avec le consentement de l'Etat qu'ils représentent, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent être jugés par l'Etat accréditaire sans l'accord du pays d'envoi. D'une manière générale, on admet que l'Etal ne peut être attrait devant les tribunaux d'un Etat étrangerl qu'il bénéficie des immunités de juridiction et d'exécution forcée, conséquences de l'indépendance et de l'égalité des Etats .

• Les relations consulaires sont rcgies par la convention de Vienne du 24 avril 1~63 . Les consuls sont des agents officiels d'un Etat envoyés à l'étranger afin de protéger ses nationaux; ils remplissent également des fonctions ..:ommcrciales ec économiques.

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314 Le droit international public

Mais si l'immunité d'exécution a une portée tout à fait géné­rale, il n'en va pas de même de l'immunité de juridiction: d'une part, l'Etat peut toujours y renoncer, d'autre part, l'intervention croissante des Etats dans tous les domaines d'activité a conduit les Etats occidentaux (à la différence des pays de l'Est et des Etats en voie de développement) à abandonner la théorie absolue et à n'admettre l'immunité que lorsque l'Etat agit comme puissance publique (acta jure imperii) et non lorsqu'il se comporte comme pourrait le faire un simple particulier (acta jure gestionis).

La volonté de l'Etat, source du droit international La marque la plus éclatante de l'indépendance des Etats dans l'ordre interna tional tient à ce que ceux-ci créent, dans une large mesure, eux-mêmes les règles qui leur sont appliquées. En effet, malgré les excès certains de l'école volontariste, il faut bien reconnaître que, pour être trop rigides , ses analyses reposent sur un fait indéniable: l'Etat est et demeure le noyau du droit international, et, s'il doit le respecter même lorsqu'il n'est pas créé par lui, c'est, dans l'immense majorité des cas, parce que deux Etats, ou plusieurs, ou tous les Etats du mondé se sont entendus pour se considérer liés par une norme, que celle-ci acquiert son caractère ohligatoire. Ainsi, la volonté de l'Etat apparaît-elle bien comme une des sources, sans doute la plus importante Quantitativement, du droit international.

Cette volonté peut se manifester à l'égard de deux catégories de situations: d'une part, celles qu'il a lui-même créées, soit seul soit conjointement avec d'autres sujets du droit interna­tional; d'autre part, celles qui se présentent à lui comme des données objectives et qu'il est appelé à reconnaître. Dans de nombreuses hypothèses, tant qu'une situation n'a pas été reconnue par un Etat, elle demeure pour lui un fait . Quand • -(> Vuir J . Charpentier : Il l'a reconnue, elle lui devient opposable, ce qui entraîne d'im- la Recollllui, sallce

Porlantes conséquences J·uridiques+. illtcmationale et l'évoluricm du droit des gens

D'une manière générale, toute situation nouvelle peut faire (Paris, Pedone, 1956).

l'objet d'une reconnaissance par un Etat tiers; il ne peut ensuite + Le pe tit livre de

la remettre en question, la bonne foi le lui interdisant, confor- Jean Salmo n: la Recunnaisscmce

mément au principe selon lequel « on ne peut souffler à la fois d'Etat.. (Paris. Armond

1 h d 1 f 'd Colin, 1972 ), étudie » e c au et e rOI ». quatre exemples Les formes les plus frappantes de reconnaissance sont celles caractéris tiques: .

, Mandchou kouo. Blafr~ , de gouvernement et d Etat. Pour s'en tenir à ce dernier cas., Katanga. Rhodésie du Sud.

on peut dire que, comme tout acte de r<>col}naissance, elle est ~ Voir C. Chaumont:

un acte volontaire (donc facultatif) et unilatéral. On a soutenu .Dro it international PI ' . . d' d public_, in R.C.A.D.l. qu 1 s agIssaIt un accor entre Etats., mais cette vue est très (1970·1).

discutable. Tout ce que l'on peut dire est que, comme la Légion d'honneur, la reconnaissance ne se refuse pas et que des contacts préalables sont pris pour que J'Etat qui l'effectue ne subisse pas J'affront d'un refus. Cette hypothèse est du reste peu vraisem­blable: politiquement, en effet, la reconnaissance est extrême­ment importante, surtout pour les nouveaux Etats issus de la décolonisation. Elle constitue pour eux la consécration dont ils ont besoin pour affermir leur autorité à l'intérieur et participer réellemen t à la vie in terna tionale •.

Dans de nombreux cas, la volonté de l'Etat intervient non pas simplement pour reconnaître J'existence d'une situation mais pour créer un acte juridique. C'est en participant à l'élaboration des règles qui sont destinées à régir son activité que l'Etat affirme le mieux son indépendance; dès son premier arrêt, rendu en 1923, la Cour permanente de justice internationale s'est refu· sée « à voir dans la conclusion d'un traité quelconque, par l:"fjuel »un Etat s'engage à faire ou à ne pas faire quelque chose, un » abandon de sa souveraineté. ».

Dans certaines hypothèses, J'Etat crée des normes en manifes­tant seul sa volonté: il s'agi t a lors d'actes unilatéraux (don t la reconnaissance constitue un exemple) ; dans d'autres cas, les droits et obligations sont issus de la rencontre des volontés de deux ou plusieurs Etats: on parle dans ce cas de traités. bila­téraux ou multilatéraux. De toute manière, l'acte juridique inter­national apparaît comme « une d~cIaration de volonté destinée »à créer une norme exprimée dans les formes prévues par le » droit international lorsque celui-ci contient des règles relatives » à la forme+ ». Les vices susceptibles d'entacher de nugité la déclaration de volonté sont la violence (exercée soit à J'égard de l'Etat lui­même, soit sur ses représentants), le dol et J'erreur. Ces condi­tions coutumières de validité sont reprises à propos des traités dans la convention de Vienne de 1969 •. Quant aux exigences de forme prévues par le droit international, elles varient beaucoup selon le type d'acte concerné, mais, d'une manière générale, on peut remarquer que, très formaliste à ses débuts, le droit des gens tend aujourd'hui à J'être beaucoup moins.

Parmi les actes juridiques, il convient de faire une place à part aux traités qui sont conclus toujours en plus grand nombre, et J'on peut voir dans le développement du droit international conventionnel une des marques de la vitalité du phénomène étatique. L'élaboration des traités peut revêtir des formes multiples. Le

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• On disi i ngue rcconnaissaIlCt! de jure (qui s'accompagne cn g~nàal de l'..!tahlissemcnl de re lations diplomatiques) et reconnaissance de facto.

• Recueil de publicntions de la c.p .1.1.. série A. nO l. p. 25.

• _Trait é» ou " convention" ou caccont., ces tennes, quoique comportant ries nuances, sont synonymes.

<> J.-P. Jacqué: ElémeH( S pour une théorie de l'acte juridique en droiT ÎHr t:n la(wnol fJulJlic (P,lrIS, Libra irie gén~;rn le de droit cl de jurispnldencc, 1972),

• La convention de Vienne du 23 m<lj 1969 que l'on a npPc.:déc le «Irai lé des trailés" conslilue la ch.nrte du <troit des traités. Elle est prcsenlcc avec brio par Paul Reuter drlns son llJlruducrioll al! droit des traiTés (Paris, ArmaI'ct Colin, 1972).

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316 le droit international public

processus type peut être décrit ainsi: dans un premier temps, des négociations sont engarrées entre les représentants des Etats •• c~s représentanls,

• 0 • mums de • plems qUI se mettent d'accord 5ur un texte au bas duquel Ils apposent pouvoirs. ou'ils échan."nl 1 · l' h 'fi Cd" 1 sont appelés . . eur sIgnature pour aut entI er, e texte compren en genera .plénipolenlioi"éS •. des clauses finales dans lesquelles sont spécifiées les formalités qui devront ensuite intervenir avant son entrée en vigueur. Par la ratification, les Etats s'engagent solennellement à appliquer le traité selon les formes qui sont prévues par leur droit interne. Pour la France, la Constitution de 1958 prévoit que les traités sont ratifiés par le président de la République qui, dans certaines matières (traités de paix, de commerce, relatifs à l'état des per-sonnes, etc. [art. 53]), doit r~cevoir une autorisation législative préalable. A côté des traités, l'article 52 de la Constitution admet la validité d'accords non soumis à ratification qui font l'objet d'une simple approbation, procédure moins solennelle qui peut émaner du ministre des Affaires étrangères •. Même lorsque les dispositions constitutionnelles ne le prévoient pas, la pratique des accords en forme simplifiée connaît un développement croissant •. Ainsi, les traités n'entrent en vigueur que si le consentement de l'Etat a été exprimé selon les formes prévues par sa Consti­tution; ils sont en quelque sorte « digérés» par le droit interne. Une fois effe.:tuées ces opérations, qui sont rendues nécessaires par l'indépendance de l'Etat, celui-ci est tenu d'appliquer ces traités tant sur le plan international que dans son ordre interne •. Dans le cas contraire, sa responsabilité internationale serait engagée.

Le droit international, garantie de l'indépendance de l'Etat

Paraphrasant l'expression célèbre de Thomas Hobbes, on pour­rait dire que, sans le droit international, l'Etat serait un loup pour l'Etat, alors que, lorsque les relations interétatiques sont régies par le droit, l'indépendance de l'Etat est certes limitée par le respect des autres souverainetés, mais elle est du même coup garantie par des institutions commt' la responsabilité inter­nationale des Etats commettant dt's actes illicites ou l'interdic­tion du recours à la force. La réalité est, bien sûr, plus nuancée, car les Etat~ répugnent à être soumis à un contrôle quelconque. Néanmoins, de réels progrès ont été accomplis depuis le début du siècle.

Responsabilité intemfltionale de l'Etat et règlement paeffique des différends Pour que la responsabilité d'un Etat soit engagée sur le plan

~ Sur le régime institué par la Constitution de 1958. voir Nguyen Quoc Dinh: _la ConstiTutÎon de 1958 et le droit intcrnatîon<tl". in Revlle du droie pu blic (1959).

• Voir aux Etats·Unis les exccutive agreements.

• L'article 55 de la Constitution de 1958 prévoit que _les traités ou accords régulièrement ratilit!s ou approuvés ont. dès leur publication. une autorité supérieure à celle des lois. sous réserve, pour chnqlll' accord ou traitê, de son application par l'autl c partie •.

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international, un certain nombre de conditions doivent être réunies : - une règle ùe droit international doit avoir été violée ; - cette violation doit pouvoir être imputée à l'Etat; - porter atteinte à des droits appartenant à un autre Etat., sans qu'existent des causes d'exonération (force majeure, acquiescement) •. La deuxième condition pose de sérieux problèmes pratiques. On peut se demander, en effet, comment ce principe peut être étendu aux actes commis par les personnes privées ayant la nationalité de l'Etat en cause. La base sur laquelle est établie cette extension réside dans les compétences que l'Etat exerce sur son territoire et à l'égard de ses ressortissants . Si l'Etat n'a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher l'acte illicite ou punir ses auteurs, il doit être réputé internationalement responsable. Le problème symétrique se pose lorsque le dommage n 'est pas subi directement par l'Etat, mais par ses nationaux. Dans ce cas, la responsabilité internationale de l'Etat auteur de l'acte illicite ne pourra être mise en jeu que si l'Etat national exerce sa protection diplomatique en faveur de son ressortissant •.

Lorsque toutes ces conditions sont réunies, il y a lieu à répa­ration. C'est ainsi que l'on appelle les « mesures tendant à réta­»blir - soit en nature, soit par équivalent - la situation qui » existerait si [les] événements dommageables ne s'étaient pas » produits. ». La réparation doit donc effacer le dommage; si cela n'est pas possible, une somme pécuniaire équivalant au préjudice subi doit être versée. Si aucun intérêt concret n'est lésé et si seuls l'honneur ou le prestige national sont atteints, une satisfaction morale pourra être demandée à titre de répa­ration. Ces principes, s'ils posent parfois de délicats problèmes d'appré­ciation, n'en apparaissent pas moins, dans l'ensemble, assez satisfaisants et de nature à garantir l'application effective du droit international. Mais, pour ne pas rester lettre morte, pour que les puissants ne soient pas à même de les violer, des pro­cédures doivent être mises en place, qui permettent à chaque Etat d'actionner la responsabilité internationale d'un autre Etat lui ayant causé un dommage illicite • .

Les Etats sont tenus de régler pacifiquement leru;:s différends, mais aucune procédure ne leur est imposée. Fort h!!ureusement , il arrive très souvent que les deux Etats qu'oppose un différend acceptent de le soumettre à un tiers impartial auquel ils donnent le pouvoir de prendre une décision qu'ils s'engagent par avance

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• Ou à un autre sujet du droit international. notamment une organisation internationale. Voir l'avis rendu le 11 avril 1949 par la Cour internationale de ius tiœ à la suite de l 'assass inat du comte Bernado tte. méd ia teur dt.!s Nation s unies en Pales tine .

• On s'est demandê s 'il ne fallait pas ajoute r à celle ~ n unl\.:rat i on la nOlion de fau te , mais la iurisp rucll!ncc inlcrnalionale ne 1'1..'xigc pas .

• L'exercice de cette pro tec tion es t un acte di scré tionnaire et ne peut être aceord~e que lorsque la pe.rsonne ll!sée a épuisJ toutes les voies de recours internes qui lui sont o[Tertes par le pays don t la rcspon s ahilit~ est invoquêe.

• B. Bollecker : la Répartition du dommage et la théorie de la responsahilité internat ionale (Paris, Pêdo ne , l973) . Dans J'affa ire de l'usine de Chorzow (fon d ), la C.P.J .1 a déclarc : III C'cst un principe de droit int ernational que la violation d'un eng",~ement entraîne l'obhgation de réparer dans une Conne adéquate" (arrêt nO 17, 26 juillet 1927, série At p. 21) .

.. Les moyens de r~glement pacifique des différends ne concernent bien entendu pas seulement les cas où la responsa bilité inl t' rna lÎonalc est direc tement mise en cause, mais tous les litiges entre Etats .

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318 Le droit international public

à respecter.. A cet égard on peut noter, depuis le début du XJX· siècle, de réels progrès qui peuvent être attribués à la faculté de plus en plus souvent utilisée par les Etats de s'engager par avance à faire trancher un litige éventuel par un tel organe. Il est moins difficile de consentir à 'être jugé avant la naissance d'un différend qu'au plus fort de la contestation.

~ Il n'y a guère d'exemple de sentences arbitrales ou de dêcisions iuridic tionnelles inle rnat ionales qui n'aient pas élt> respcc lee::.

La CJ.J. est une juridiction permanente Cette acceptation a priori de faIre regier le dJ.ttérend par des moyens juridictionnels ou quasi juridictIOnnels est éVidemment grandement facilitée si des organes permanents sont constitués et dotés de règles de procédure fixes. Un premier effort en ce sens a été fait avec la conclUsion de la convention pour le règle-ment pacifique des contlits internationaux, de 1907, qui créait la Cour permanente d'arbitrage (C.P.A.) ; cependant, il ne s'agissait pas vraiment d'une institution internationale, mais plutôt de mécanismes facilitant la constitution de tribunaux arbitraux •. Un pas décisif a été franchi lorsque a été créée, sous les aus­pices de la S.D.N., la Cour permanente de justice internationale (C.P.l.!.), devenue la Cour internationaie de justice (C.l.l.) après la Seconde Guerre mondiale, qui siège à La Haye: cette fois, une véritable juridiction internationale permanente était créée, pouvant rendre des arrêts sur tous les différends juridiques •. Mais son intervention ne peut jamais être imposée aux Etats sans leur ·consentement. Toutefois, l'article 36 de ses statuts dispose que les Etats peuvent s'engager par avance, sous réserve de réciprocité, à « reconnaître de plein droit et sans convention » spéciale» sa juridiction. Si les Etats n'ont pas souscrit cette clause facultative d'accep­tation de la juridiction obligatoire de la Cour de La Haye, et s'ils ne peuvent se mettre d'accord sur les termes d'un compro­mis (accord entre Etats prévoyant un arbitrage ou le recours à la C.Ll.), ils peuvent néanmoins tenter de régler leur différend par des moyens diplomatiques •. Il est important de noter que le consentement de l'Etat est toujours nécessaire pour que jouent ces mécanismes: dans le cas du règlement arbitral ou juridictionnel, il doit être donné une seule fois, au moment du déclenchement de la procédure­la sentence ou l'arrêt est obligatoire -, tandis que, pour les moyens diplomatiques de règlement, la volonté de l'Etat inter­vient également dans l'application qui est toujours facultative.

Le droit international offre aux Etats des moyens pour régler leurs différends, il ne les impose pas. C'est peut-être sa faiblesse , mais le réalisme l'exige; .Ja notion de souveraineté est trop vivace pour pouvoir être négligée.

• L'article 37 de la convention de La Haye de 1907 pn~cise : c L'arbitrage interna tiona l a P O U l obje t le règlement de li tiges entre Elal s par dt! s juges de leur choix e t sur la base du respect du droit. Le recours à l'arbitcaol' implique l 'engagcmer it de se soumettre de bonne fo i à la sentence_ .

• Elle peut aussi donner des avis à la demande de certaine!. organisations iilterna tionalcs.

.. Outre les négociation :-. directes, il faut men tionner les (1 bons offices », par lesquels un Etat tie rs s'ofTr~ à racil iter Ics pou rpa rlers entre les pa rties (par cxemplt:, l'U.R.S.S . pour le compromis de Tachkent entre l'Inde et le Pa ki s tan en 1966). la médiation (dans ce cas, l'Elat tiers propose une base d'accord), la conciliation (qui correspond à la même idee mais la proposition émane d'une commission de pcrsonnal ilês ) el l'enquê te internationaJ~ des tinée à permettre une connaissance imp3rtialt: des faits.

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Le problème du recours à la force: d'un droit sanctionné et peu respecté à l'interdiction du recours à la force Aussi est-ce par un autre biais que le droit international s'efforce le plus efficacemen t de garan tir le respect de l'indépendance de tous les Etats: en réglementant le recours à la force. Ceci a toujours été un souci fondamental des spécialistes du droit inter­national. Les juristes du Moyen Age s'étaient déjà préoccupés de limiter le droit de faire la guerre et d'en réglementer l'exer­cice (problème de la « guerre juste »). Le droit de faire la guerre a longtemps été considéré comme une compétence discrétionnaire de l'Etat, qui pouvait en user quand bon lui semblait. Mais les juristes se sont efforcés de dégager des règles dont le respect fût obligatoire dans la conduite des opérations. D'abord coutumières, ces règles ont, au cours des âges, été précisées dans des conventions multilatérales: décla­ration de Paris de 1856, conventions de La Haye de 1899 et 1907, protocole de Genève de 1925 (interdisant l'usage des gaz asphyxiants et toxiques, et étendu par une convention de 1971 J, conventiom de Genève de 1949. En même temps était élaborée la réglementation de la neutralité+. Cependant, la règle à peu près absolue de l'interdiction du recours à la force a été posée à la suite d'une évolution assez rapide. Avant 1919, le droit à la guerre était illimité; le pacte de la S.D.N. l'a sérieusement restreint en obligeant les adver­saires à essayer de se mettre d'accord avant de recourir à la force et en faisant intervenir le Conseil de cette organisation. Mais si une unanimité ne se dégageait pas en faveur d'une solu­tion, la guerre était licite; c'est ce que l'on a appelé les « fissures du Pacte ». Le Traité général de renonciation à la guerre, plus fréquemment appelé pacte Briand-Kellogg, du 27 août 1928, était plus radical et mettait la guerre « hors la loi », mais il ne pré­voyait aucun mécanisme d'application et restait assez restrictif dans la mesure où il ne visait que la guelTe au sens formel du terme. L'article 2, paragraphe 4, de la Charte, pour sa part, dispose: « Les membres de l'organisation s'abstiennent, dans leurs rela­»tions internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi » de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance » politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible »avec les buts des Nations unies.» Il s'agit "cette fois d'une interdiction très générale. Et force est d'admehre que, en dépit de l'éclatement de certains conflits internationaux, dont les plus douloureux sont la guerre du Viêt-nam et celle qui, plus ou moins larvée, dure toujours au Proche-Orient, cette disposition est très largement respectée.

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• Sur Je droit de la guerre en général, le petit livre de Philippe Bretton , le Droit de la guerre (Paris, Annand Colin , 1970), donne des indications concises.

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320 Le droit international public

D'un droit dont la sanction pouvait être trouvée dans le recours à la guerre « juste» et qui, t'n fait, avait beaucoup de mal à s'affirmer, on est ainsi passé, paradoxalement, à un droit beau­coup mieux respecté, alors que le moyen de contrainte essentiel, la guerre, dont le monopole appartenait aux Etats, était sup­primé. Ce paradoxe ne s'explique que par le contexte historique et politique dans lequel il convient de le replacer: épuisés par la Seconde Guerre mondiale, enfermés dans l'équilibre de la terreur, aspirant à la paix et au bien-être matériel, les Etats ont été conduits à mettre en sourdine le thème de l'indépendance et à développer le sentiment de l'interdépendance.

LE THEME DE L'INTERDEPENDANCE

Constater l'interdépendance croissante des peuples du monde est devenu un lieu commun: le progrès des techniques, la rapi­dité des transports, l'universalisation de l'information ont rétréci la planète. Le droit international a tenu compte de cette évo­lution à trois points de vue: d'une part, on s'est efforcé d'établir « la paix par le droit. »; d'autre part, on a jeté les fondements d'une « organisation mondiale.»; enfin, et de manière sans doute plus efficace, une coopération fonctionnelle s'est instau­rée entre les différents membres de la communauté interna­tionale.

La paix par le droit

L'expression « la paix par le droit» peut surprendre: la paix, à première vue, est avant tout l'affaire des hommes politiques, et il est vrai que les textes ne sont rien sans un fondement poli­tique et social favorable. C'est parce que les rédacteurs de la charte des Nations unies n'en ont pas suffisamment tenu compte qu'une partie des dispositions de ce texte sont restées lettre morte et qu'il a été nécessaire de mettre au point des succédanés permettant d'assurer la paix en dépit des « grippages» du sys­tème.

Le système de la Charte En créant la S.D.N. en 1919, les signataires du tra~ de Ver­sailles avaient pour objectif essentiel la prévention de la guerre par l'établi~sement d'un système universel de sécurité collec­tive •. Les causes de l'échec du système qu'instaurait le pacte sont multiples et complexes. On peut cependant en dégager quatre: le manque d'universalité de la S.D.N. (les Etats-Unis n'en ont jamais fait partie, l'U.R.S.S. n'y fut admise que tardi­vement, l'Allemagne, le Japon, l'Italie s'en retirèrent), la règle

• G. Clark et L.-B. Sohn: World Peace Through World Law (Cambridge, Harvard University Press, 1960 ); c'est au%i le nom d'un groupement international de juristes.

• Tel est le titre du bel ouvrage de Michel Virally (Paris. Armand Colin, 1972) auquel les lignes qui suivent doivent beaucoup.

• L'article 16 du pacte prévoyait des sanctions automatiques, économiques et même militaires. Mais celles-ci n'ont jamais été appliquées; quant aux sanctions économiques, elles ne furent utilisées qu'une seule fois, lors du conflit italo-éthiopien en 1935-1936, et se révélèrent fort peu efficaces.

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de l'unanimité, qui rendait pratiquement impossible toute prise de décision, l'automatisme des sanctions el' l'absence de force internationak. Les fondateurs de l'O.N.U. se sont efforcés de ne pas retomber dans les mêmes ornières. Evitant d'instituer tout automatisme dans le mécanisme des sanctions, ils ont confié au Conseil de sécurité, organe restreint de quinze membres dont cinq perma-

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nents., la « responsabilité principale» du maintien de la paix. ~ Chine, Eta,,·Unis, France. Royaume-Uni.

L'Assemblée générale, où siègent tous les Etats membres, ne joue U.R.S.S. le texte inilial h h ~ . . de la Charte qu'un rôle subsidiaire et ne peut, en toute ypot ese, Jamais prévoyait un nombre

prendre de décision. lolal de onze membres. li a été porte à quinze

Le Conseil de sécurité statue à la majorité de neuf voix dont en 1%3 pour lenil" celles des cinq membres permanents Dans le cadre du cha- cumpte de l'.o,'olution . de la composltlon pitre VI de la Charte, il peut enquêter sur tout différend ou toute des !"embres. ,. 'bl dl" dl' t d de lorgantsallon. situatIOn susceptl e e menacer e mamtlen e a paix e e

la sécurié internationale, recommander des procédures de règle-ment appropriées ou proposer les termes d'un règlement. S'il « constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rup· »ture de la paix ou d'un acte d'agression» (art. 39), il peut, conformément au chapitre VII, prendre toutes mesures utiles et décider d'appliquer à l'Etat coupable des sanctions qui seront obligatoires pour les Etats membres de l'organisation. Ces sanc· tians peuvent être économiques. ou militaires. A cet effet, l'ar- + Embargo sur t · 1 43 d' d •. IlE b sur le pétrole lC e Ispose QUe, par accor SpeCla, es tats mem res en direction s'engagent « à mettre à la disposition du Conseil de sécurité [ ... ] dde Isa Rdhodésie 1 • . 1 u U • par ex.emp e. » les forces armées, l'assistance et les facilites, y compns e » droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la » sécurité internationale », et l'article 47 prévoit la création d'un comité d'état-maïor chargé de conseiller le Conseil de sécurité en matière militaire.

Ce système, universel (peu d'Etats sont restés en dehors de l'organisation), réaliste (du fait du droit de veto accordé aux cinq grands), relativement soupl~ (les sanctions peuvent être modulées) et couronné par un mécanisme militaire, semblait satisfaisant. Mais sa pièce maîtresse, les accords prévus par l'ar· ticle 43, a fait défaut; la guerre froide a empêché leur conclusion. C'est pourquoi il est devenu nécessaire de recheJi:her la sécurité par d'autres voies rattachées plus ou moins artiffeiellement à la Charte.

En quête d'un système efficace de sécurité Dès la fin de la guerre de 1939-1945, l'U,R.S.S. conclut avec les pays de l'Europe de l'Est tout un réseau de traités d'alliance. Les Etats occidentaux y répondirent d'abord par la signature

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322 Le droit international public

des traités de Dunkerque (1947) et de Bruxelles (1948), embryon de la future Union de l'Europe occidentale (U.E.O.), et surtout par la conclusion, le 4 avril 1949, du traité de l'Atlantique Nord qui allait servir de cadre à l'O.T.A.N., à laquelle le pacte de Varsovie (14 mai 1955) constitue la réplique tardive. Ces alliances défensives peuvent être considérées comme conformes à la lettre du chapitre VUI de la Charte, relatif aux «accords régionaux », et de l'article 51 qui évoque le « droit de légitime défense in di­»viduelle ou collective». «Fondamentalement, le système des » alliances n'en est pas moins aux antipodes de la sécurité col­» lective, dont il empêche pratiquement le fonctionnement •. »

Du fait de leur conclusion, les risques de paralysie du Conseil de sécurité par suite du veto d'un des membres permanents deviennent très grands. Pour tenter d'y parer, les Etats-Unis firent adopter le 3 novembre 1950 une résolution, appelée « union pour le maintien de la paix », par laquelle l'Assemblée générale se reconnaissait le droit d'agir en cas de carence du Conseil de sécurité. Dans la pratique, le système, contraire à la Charte, se révéla lui aussi inopérant, du moins en ce qui concerne les actions coercitives, mais il servit de point de départ à un mécanisme tout en nuances quI, en marge de la Charte, mais dans le cadre des Nations unies, allait à plusieurs reprises démontrer sa vitalité. Il s'agit des opérations de maintien de la paix que l'on a définies comme des « opérations »conservatoires et non coercitives menées par l'Organisation

~ M. Virally: l'Organisation mondiale (Paris. Armand Colin. 19721.

» des Nations unies sur une base consensuelle+ ». • Idem, p. 486; la meilleure étude portant sur ces probl l!m~s

Ces opératiuns de police internationale sont menées par de est celle de Philippe Manin: l'Organisa/ion

simples observateurs (au Liban en 1958, au Yémen en 1963, au des Nations ",Jie.,

C h . . . ( et le ma;'1tien ac emIre en 1965) ou par de véritables forces milItaIres ce de la paix-

fut le cas dans les affaires de Suez en 1956, du Congo en 1960 ~~ ~';;,fs~~:temellt et de Chypre en 1964). Mais celles-ci n'utilisent leurs armes que de l'Etat

d ' (Paris. Librairil.:: pour se efendre •. Elles sont composées de continl?:ents envoyés générale de droit volontairement par des Etats membres à la suite d'une décision ct de jurisprudence. 19711.

d'un organe (Assemblée ou Conseil de sécurité) de l'organisation, • Ce principe . n'a toutefois mais toujours en accord avec le gouvernement de l'Etat hôte. pas été entièrement

Le secrétaire aénéral a toujours été chargé de mettJe en œuvre ,·especté dans le ca.s , ..:;" • , • o. , de la force des NatIOns

les resolutlOns decldant leur creatIOn, ce qUI lUI _donne un unies au Congo. ..

d 'd l't' . l' f . 'à t' Et t qUI a compté Ju ' qu a gran pOl S pO 1 Ique mais a par OIS oppose cel' ams a s vingt mille hommes.

membres. En particulier, l'action de Dag Hammarskjold lors de l'affaire congolaise a été violemment contestée par l'U.R.S.S. et, dans une mesure moindre, par la France, qui ont refusé de payer leur quote-part du budget de ces opérations, précipitant ainsi la crise financière des Nations unies . Malgré la situation préoccupante qui en est résultée, et qui est

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loin d'être réglée, ces opérations de maintien de la paix consti­tuent certainement une réussite. Ce jugement doit cependant être nuancé: d'une part, elles sont fondées sur le consentement des Etats qui peuvent toujours le retirer., d'autre part, elles ne peuvent être utilisées lorsqu'une des grandes puissances est directement impliquée: c'est ce qui explique par exemple que les Nations unies ne soient jamais intervenues au cours de la guerre du Viêt-nam, si ce n'est, avec un rôle très secondaire, au moment de la conclusion des accords de Paris, en 1973. C'est pourquoi il est apparu indispensable aux Etats-Unis et à l'U.R.S.S. de tenter de prévenir tout risque d 'affrontement direct entre eux. Ces accords constituent sinon des étapes vers un désarmement qui demeure hypothétique, du moins des coups de freln dans la course aux armements. Le 10 octobre 1963, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Union soviétique ont signé, à Moscou, le traité portant interdiction des expériences des armes nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace et dans l'eau; les mêmes Etats ont signé, le 11 juillet 1968, le traité sur la non­prolifération des armes nucléaires •. Le 26 mai 1972, enfin, les deux Grands, seuls, ont signé, à l'issue des S.A.L.T .• , un traité limitant la construction du système de missiles antibalistiques. Ces traités restent cependant limités et se contentent de conso­lider un équilibre précaire de la terreur. Conscients de cette précarité, les Etats ont été conduits à créer une organisation mondiale.

Communauté internationale et organisation mondiale

INT

• Le retrait de la Force d'urgence des Nations unies (F.U.N.V.) des régions de Gaza et Charm el· Cheikh il la demande de la R .A. U .• en 1967, est à l'ori~in e de la guerre des S I X Jours.

• Tous les pays du monde étaient invitês à s'y aSSOCIer; seuks . parmi les grands Etats , la Chine et la France les ont rejetês. Ces conventions ont été complétées par d 'autres, de moindre portée: trait é su r l'espace m terdisan t la mise sur orbite d'objets porteurs d 'armes nucléaires (27 janvier 1967); traité sur la dénuckariS'\Iion des fonds marins ( 11 févr ie r 1971). Voir D. Culard : le DesarmemclJl (Paris , Armand Coli n.l972 ).

~ Strategie Arms Limitatio/l Talks (pourparler s pour la limitation des armes s trat egiques),

L'interdépendance croissante de tous les hommes est un fait dif­ficilement contestable. C'est en partant de cette constatation que Georges Scelle a élaboré, dans le deuxième quart du xX" siècle, sa doctrine du « solidarisme ». Mais cette intuition géniale était très en avance sur son temps et anticipe encore nettement sur la réalité sociopolitique d'aujourd'hui. Le droit international demeure encore avant tout le « droit de la société relationnelle ».

Néanmoins, la société « institutionnelle» prend corps petit à petit •.

\ .. Voir R.-J. Dupuy: le Droit ÏrlternatiŒlal

,. (Paris. P.U.F.,

L'organisation mondiale Si les Etats forment le noyau central du droit international, la société internationale actuelle comporte sans aucun doute de multiples autres composantes. A cet égard, on peut distinguer, d'une part, celles qui, en quelque sorte « en aval ", émanent des Etats qui les créent et les contrôlent, d'autre part, « en amont »,

les individus, les personnes morales et les groupements inter-

- Que sais-je?, nO 1(60).

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324 Le droit international public

nationaux non étatiques. Les juristes traditionnels font remar­quer que prendre ces derniers en considération revient à trans­former la nature même du droit international qui, par essence, serait interétatique , Mais à partir du moment où ces entités sont soumises au droit des gens ou contribuent à son élaboration, il n'y a aucune raison de les en exclure •. Dès lors, on peut admettre qu'il y a trois catégories de sujets du droit international: les Etats, les organisations intergouver­nementales (O.I.G.) et les personnes privées. Seuls les premiers ont un statut juridique bien établi. Les O.LG. bénéficient d'un statut relativement récent; cependant, à la suite d'un avis rendu en 1949 par la C.Ll. ( << Réparation des dommages subis au service des Nations unies »), on s'accorde en général à leur reconnaître la personnalité juridique inler· nationale et la capacité d'agir dans l'ordre international pour atteindre les buts qui leur sont assignés. Ces organisations sont extrêmement nombreuses. Certaines ont une vocation universelle; c'est avant tout le cas des institutions de la «famille» des Nations unies. L'O.N.U. a une compétence générale et une structure assez complexe; outre l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité, elle compte quatre organes principaux: le Conseil économique et social (Ecosoc) dont le nom indique bien les fonctions extrêmement importantes, le Conseil de tutelle. , le Secrétariat, chargé de l'exécution des déci­sions des autres organes et de permettre leur bon fonctionne­ment, et la CJ.l. , qui «constitue l'organe judiciaire principal »des Nations unies » (art. 92). Certains de ces rouages de l'orga­nisation peuvent créer des organes subsidiaires, dont quelques­uns ont une grande importance et déploient un grande activité : Conférence des Nations unies pour le commerce et le dévelop­pement (C.N .V.C.E.D.), Organisation des Nations unies pour le développement industriel (O.N.U.D.L), Commission du droit international (C.D.I.), etc. Les institutions spécialisées, au nombre de treize (auxquelles il faut ajouter l'Accord général sur les tarifs et le commerce, connu sous le sigle anglais G.A.T.T., et l'Agence internationale de l'énergie atomique - A.LE.A.), sont rattachées à l'O.N.V. par des accords; elles ont une activité sectorielle. Parmi les plus importantes, on peut citer l'O.I.T., l'Organisation pouy l'agri­culture et l'alimentation (O.A.A. ou F.A.O .), l'Unesco, la 'Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BJ.R.D.) et le Fonds monétaire international (F.M.I.). En dehors des institutions spécialisées, il existe de très nombreuses orga­nisations internationales dont la plupart ont une vocation tech­nique encore plus poussée.

• On préfère parfois parler de droit • transnational~. expression inventée en 1956 par le professeur nméricain Philip Jessup. Voir aussi C. Wi lfr~d Jenks: «Multina tiona l BntHies in rhe Law of Nations)!!, in Mélanges Jessup (1972. p . 70·83),

• La .tutellel> est le fait pour un Etat d'avoir été chargé par les Nations unies d'administrer un territoire moins développé en attendant son accession à l'indépendance. Le Conseil de tutelle est chargé de su rveill er cette admi n is trat ion . L'idée des mandais de la S.D.N. était la même.

Par ailleurs, les Etats ont créé des organisations régionales dont les buts et les caractéristiques sont très divers. Certaines ont une compétence générale: Organisation de l'Unité africaine (O.U.A.), Organisation des Etats américains (O.E.A.) , Conseil de l'Europe; d'autres sont plus spécialisées. Elles sont plus ou moins intégrées •.

Toutes les O.T.G. bénéficient de certains privilèges et immuni­tés; elles concluent en général avec l'Etat qui les accueille un « accord de siège» assurant leur liberté d'action. Leur personnel est composé de fonctionnaires internationaux, indépendants des Etats dont ils sont ressortissants et protégés par un statut dont l'application leur est, en général, garantie par l'existence de tri­bunaux administratifs ou de commissions de recours devant lesquels ils peuvent porter les litiges les opposant à l'organi­sation •. Cela constitue déjà un indice de l'accession directe de l'individu à la vie juridique internationale. On en cite traditonnellement d'autres: les criminels de guerre nazis et japonais ont été jugés à Nuremberg et Tokyo par des tribunaLL'l internationaux; les habitants des territoires sous tutelle peuvent adresser des péti­tions à l'Assemblée générale des Nations unies; dans le cadre de la Convention européenne des droits de l'homme, les individus peuvent, dans certains cas, saisir la Commission de plaintes dirigées contre un Etat; l'Organisation internationale de la Croix-Rouge, personne morale de droit suisse, a des compétences internationales étendues, etc. Mais en fait, l'intervention des personnes privées dans la vie internationale est beaucoup plus importante; c'est notamment le cas de nombreuses organisa­tions non gouvernementales (O.N.G.) qui regroupent des per­sonnes privées de nationalités diverses et agissent de façon non négligeable sur les rapports internationaux. Certaines bénéfi­cient d'un statut consultatif auprès de quelques O.l.G., mais il est fâcheux que, pour l'essentiel, le droit international laisse aux Etats le soin de réglementt:r leur action. Il est encore beau­coup plus regrettable que les activités des organismes interna­tionaux à but lucratif échappent, elles aussi, à l'emprise du droit des gens: le caractère international de la structure et des acti­vités des firmes multinationales empêche qu'elles puissent être efficacement contrôlées par l'Etat auquel elles sont ar9ficielle­ment rattachées •.

INT

• A cet égard, les Communautés européennes conSlituent l 'exemple le plus frappant d'organisation international!! dans laquelle l ' intégration est particulièrement poussée. Voir 1'artic1e Le droit des organi~ations européennes .

• Voir D. Ruzie: les Fonctionnaires întern.at;onaux (Paris, Armand Colin, 1970).

• Fort heureusement, on a!':sis le aujourd 'hui à des tentatives doctrinales Qui s 'appuit'nt , il es t vrai , sur une ,iurisprudence arb it rale rare et assez ambigu~ pour soumettre les contrats que passent ces sociétés avec les Eta ts au droi t internalional pub lic. Voir P. Wei!: • Pro blèmes relatifs aux contrats passés entre un Etat et un particuliera, in R.C.A.D.l. (1969·111).

Existe-t-il une communauté internationale? Ce réseau très serré d'intérêts enjambant les frontières permet-il de parler d'une communauté internationale? Ceci supposerait que les intérêts communs de l'humanité soient plus forts que

1

, .

326 Le droit international public

ce qui la divise, que le sentiment de l'interdépendance soit plus puissant que les aspirations à l'indépendance. Le droit, pour sa part, ne peut répondre que très partiellement à cette question, et sa réponse ne peut, en tout cas, qu'être très nuancée. Tous les Etats admettent qu'ils sont soumis à un droit unique, même s'ils en contestent certains aspects et s'ils veulent en obtenir la révision, et ce droit mondial couvre des aspects tou· jours plus nombreux de leurs activités •.

Le droit international s'impose aux Etats en dehors même de leur volonté. Certes, dans toute la mesure possible, ils préfèrent conclure des traités auxquels ils adhèrent librement plutôt que d'être soumis à des coutumes. ou aux « principes généraux de » droit reconnus par les nations civilisées» dont parle le statut de la C.!.J. (art. 38), et qui constituent, en quelque sorte, le fonds commun des droits internes de tous les pays. Mais force est de reconnaître que « le droit de formation spontanée n'est ni moins » réellement existant, ni moins certain, ni moins valable, ni moins »observé, ni moins efficacement garanti que celui qui est créé »par des faits normatifs spécifiques; au contraire, justement, »la spontanéité de son origine est plutôt la cause d'une obser· » vation plus spontan~e et par conséquent plus réelle. ». De plus, au sein des Nations unies, dont l'universalité est main· tenant acquise (avec l'admission des représentants de Pékin comme délégués de la Chine et l'entrée probable des deux Alle· magne), s'élabore une importante œuvre quasi législative. D'une part, les résolutions de l'Assemblée générale, du Conseil de sécu· rité et de l'Ecosoc commencent à former un corps de doctrine cohérent, portant la marque d'une idéologie mondiale naissante; d'autre part, l'œuvre de codification permet à tous les Etats de donner leur point de vue sur les coutumes existantes et de contribuer à leur modification.

• NotamlT'ent dans le domaine économique; voir le très intéressant colloque de la Société françai se pour le droit international: Aspects du droit international économiqtte (Paris. Pédone, 1972 ). fI n'y a pas de domaine du droit interne .par nature", toul sujet peut être absorbé par le droit interna tional ; le droit interne appara ît en quelque sorte comme résiduel.

• Une coutume est une pratique générale considérée cQmme étant le droit.

• R. Aga : _Droit p,0sitif et drQit . nternatlOnal», ln

Annuaire français de droit inlernQIÎo,w! (1957).

La création d'un gouvernement mondial reste hypothétique Un autre indice important de cette «mondialisation» du droit des gens est l'apparition récente de la notion de jus cogens que la convention de Vienne ~ur le droit des traités définit comme les normes « acceptées et reconnues par la communauté »internationale dans son ensèmble en tant que normes aUf· »quelles aucune dérogation n'est permise» (art. 53)+. ./' Malgré cela, l'idée de communauté internationale reste floue et peu opératoire en droit international. En effet, « dans l'Etat, ce »sont les intérêts vitaux les plus hautement politiques qui » déclenchent les solidarités suprêmes. C'est l'inverse qui se pro· » duit pour la communauté internationale. On y relève des soli· »darités mineures, dans l'ordre économique ou technique, par

• S'îI est assez difficile de dire avec précision quelles règles entrent dans cette calégoric. il parait nonnal d 'y inclure certains principes de la Charte ou leurs prolongt.ments. comme l'obligation d'accorder l'indépendance aux peuples colonisés ou l' intt' rdictlOll du recours à la furce. De nombreux principt5 humanitaires en fon l aussi partie.

» exemple; mais plus on se rapproche des questions vitales »comme le maintien de la paix et la guerre, moins la commu­»nauté exerce d'action sur ses membres; les solidarités fai­» blissent à mesure que grandissent les périls qui la menacent; »celles qui s'affirment alors refluent vers leur foyer traditionnel, » la nation, Les hommes ne contestent pas, en raison, l'existence »de valeurs supranationales; dans l'ordre de l'action, ils

INT

»n'obéissent guère qu'aux impératifs nationaux. ». • C. de Visscher: Théories et réalités C'est pourquoi il est apparu qu'avant de s'attaquer aux pro- en droit international

blèmes fondamentaux du maintien de la paix ou de la création public (Paris, Pédone, , . .., d 1970, p. 112). hypothetlque d'un gouvernement mondIal, Il convenaIt e ren-forcer les « solidarités mineures » dans le cadre des institutions existantes, en promouvant une coopération fonctionnelle pour tous les problèmes qui ne peuvent être résolus par l'action ponctuelle des Etats agissant isolément.

Le renforcement des solidarités

Certaines matières, par leur nature même, appellent une coopé­ration internationale assez poussée. Pour celles-ci, la coopération est ancienne mais les règles qui la régissent sont en évolution; c'est le cas surtout pour tous les problèmes concernant le « domaine international », c'est-à-dire les espaces non soumis à la compétence exclusive d'un Etat.

Le domaine international Au début du XVIIIe siècle, les Etats européens commencèrent à s'entendre pour internationaliser le régime des voies d'eau intéressant plusieurs pays: fleuves, détroits, canaux; dans de nombreux cas, un régime spécial fut prévu et des commissions de contrôle furent établies. En ce qui concerne les espaces maritimes, dès 1604, Grotius, dans un chapitre de son « De jure praedae », plaidait en faveur de la mare liberum, de la mer libre, sur laquelle tous les Etats auraient le droit de faire naviguer leur flotte. Cette idée s'est assez vite imposée comme une règle de droit international coutu­mier : la haute mer était désormais une res nullius non suscep­tible d'appropriation nationale. Néanmoins, une fois le principe de la liberté de la haute mer posé, il a fallu en réglefnenter l'exercice et en déterminer le champ d'application. Couronnant une lente évolution coutumière, les quatre conventions de Genève de 1958 ont précisé les règles applicables: la frange qui borde les côtes d'un Etat constitue sa mer territoriale sur laquelle il exerce sa souveraineté. Sa largeur n'a pu être précisée par suite du désaccord des Etats; traditionnellement fixée à

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328 Le droit international public

trois milles marins, elle peut certainement aujourd'hui être étendue à douze milles •. La troisième conférence sur le droit de la mer, qui doit se réunir en 1973, admettra sans doute une solution moyenne: la limite de la mer territoriale serait de douze milles, tandis que, dans une zone dite « patrimoniale », l'Etat riverain jouirait de droits exclusifs d'exploitation des res­sources de la mer, de son sol et de son sous-sol. En haute mer, les libertés de navigation, de pêche, de survol, de pose de câbles et pipe-lines sous-marins sont expressément reconnues par l'article 2 de la convention de 1958 sur la haute mer, ainsi que « les autres libertés reconnues par les principes »généraux du droit international ». Les Etats y exercent une compétence exclusive sur les navires battant leur pavillon. Mais la catastrophe du « Torrey Canyon », les nombreuses

• La largeur de la mer te rricoriale française a été fixée à douze mi1les marins par la loi du 24 décembre 1971. Certains Etats, en Amérique latine notamment. ont cru pouvo ir la fixer à cent ou deux cents mil1es.

affaires de pollution, comme celle dite des « boues rouges» qui, ~g~.p~~sdé~~~~~ ·l 972, en février 1973, a susci té un émoi considérable en Corse, la dis- a pour obiet de nrévenir

. . d . . , la pollution résultant pantlon e certames especes de poissons, ont montre que de l'immersion ces libertés doivent être exercées avec discernement et u_u'un de dechets ; eUe organise

une sUI\'cillaneç contrôle international est nécessaire. C'est pour répondre à ces internationale assez

, . , .. 1 . poussée . De même. preoccupatIons qu ont ete conc ues de nombreuses conventIOns pour préserver la faune régionales ou générales visant à prévenir la pollution des mer~. marine, la pêche

est de plus en plus De la notion de res nullius, on est passé à celle de res communis, soumise à une d b- d l'h . , réglementation e len commun e umamte. in«rn.tionale. La même évolution s'est produite en ce qui concerne le fond • Des solutions des océans. A partir de 1945, une coutume s'est rapidement audacieuses ont été dé 1 é E

. proposées pour ve Opp e, autorisant les tats à exercer des droits souverams la gestion et l'exploitat ion

en vue de l'exploitation et de l'exploration de la plate-forme â:scf~~ed~%~~ins . continentale jouxtant leur territoire. En 1958, une des conven- On a notammenl

. proposé de confier tlOns de Genève, relative au « plateau continental », consacra l'exploi tation du sol cette coutume en voie de formation mais, là encore, ne délimita et du sous-sol

des océans à un organisme qu'assez vaguement cette zone. C'est pourquoi, par une réso- international qui

distribuc railles bénéfices lution du 17 décembre 1970, l'Assemblée générale des Nations déga~éS aux pays en voie unies a tenu à réaffirmer que le fond des mers était « l'héritage e~i~ r~gJ'::,'~;L » commun de l'humanité » et, pour une partie au moi Qs, n'était Tnternational Law and

. / tlll! Re~'ources of Ih(' pas susceptible d'appropriation nationale.. Sea (New York, Si l'espace aérien surplombant le territoire des Etats est Columbia Universitv

. . l ' 1"1 ' d A Press, 1970); et C.A~ soumIs a eur competence exc uSlve •. 1 n en va pas e mem\! Colliard, R.1. Dupuy d l, h ' . 1 1 . . 1 et autres: le Fond e espace extra-atmosp, enque, pour eque un statut ongma des mers (Paris. Armand et fortement fondé sur l'interdépendance des Etats est en voie Colin . 1971).

d'élaboration. Toute limite stricte entre l'air et l'espace étant • De nombreuses . 'bl' fix ' l' ~ d'" f convent ions ont dû ImpOSSI e a er, mIeux vaut sen temr a une IstmctlOn one- être signées pour tionnelle entre activités aériennes - celles qui utilisent l'air pe<;IDettre la navigation

1 1 · d' . . , . 1 C II . aérIenne mternatlOnak; pour a propu SIon es engms - et actlvItes spatra es. e es-cl les plus récentes . à . . è . l' fix' . ms laurcnt une sont soumises un reglme tr s partlcu 1er e par trOIS conven- coopération internationale

tions de base: le traité du 27 janvier 1967 fixe les principes pour Julter contre , . 1 . . • dE" d' l' les detournements reglssant es actlvltes es tats en matlere exp oratlOn et d'avions.

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d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes; il interdit toute appropriation natio­nale, prévoit la liberté des activités spatiales et encourage la coopération et l'assistance mutuelle. Le traité du 22 avril 1968 précise ce dernier aspect en prévoyant des règles relatives au sauvetage des astronautes, appelés cc envoyés de l'humanité », et des véhicules spatiaux en détresse. La convention du 29 mai 1971 enfin, sur la responsabilité internationale pour les dom­mages causés par les objets spatiaux, institue un régime original de responsabilité en partie fondée sur le risque. La gestion du cc domaine international» constitue un cadre pri­vilégié du droit international de l'interdépendance. Cependant, cette idée tend aujourd'hui à être étendue à de multiples autres matières, au point que l'on peut se demander s'il n'existe pas une véritable « idéologie» universelle •.

Les nouvelles solidarités Pour rudimentaire qu'elle demeure à l'heure actuelle, tant les facteurs de division restent puissants, cette idéologie unitaire s'articule autour de deux idées: les droits de l'homme et le droit au développement, à partir desquelles une coopération internationale assez poussée s'est instaurée.

INT

9 Voir M. Virally: l'Organisation mondiale (Paris, Armand Colin. 19721.

Les pactes internationaux: une protection des droits de J'homme?

Depuis assez longtemps, les Etats essaient de jeter les fon­dements d'une protection internationale des droits de l'homme. Le 10 décembre 1948, l'Assemblée générale des Nations unies adopta une Déclaration universelle des droits de l'homme, pro­gramme ambitieux qui constitue un catalogue des libertés à protéger mais ne prévoit aucun moyen de mise en œuvre. Pour y reJI1édier, deux pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme furent adoptés en 1966; l'un porte sur les droits civils et politiques, l'autre sur le droits économiques, sociaux et cul­turels. Ils contiennent des dispositions, encore timides, ~rmet­tant de soumettre à une surveillance internationale l'application des règles qu'ils édictent (système de rapports et mécanisme facultatif de conciliation).

Ces pactes mentionnent le « droit des peuples à disposer d'eux­mêmes »: les droits reconnus à tous les peuples de la terre forment en effet la base essentielle de l'idéologie mondiale nais­sante. Le « droit à l'autodétermination» constitue le fondement de multiples règles de droit international qui en découlent et l'amplifient. Les Nations unies ont établi de nombreux organismes chargés d'en surveiller l'application. dont le plus célèbre est le Comité

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330 Le droit international public

de la décolonisation (ou Comité des 24) créé en 1961. Le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes .. est aujourd'hui reconnu par la quasi-totalité des Etats. Son prolongement logique est le droit au développement, à la richesse el au bien-être. A cet égard, et malgré les réels efforts de certains Etats qui accordent aux Etats en voie de développement une aide assez généreuse, malgré la proclamation du droit des peuples à dis­poser de leurs ressources naturelles, malgré la création de mul­tiples organismes dont l'aide aux pays du Tiers Monde constitue la vocation essentielle., les résultats sont assez décevants et le décalage économique s'accroît entre Etats développés et pays pauvres. Pourtant, l'aide au développement est un des domaines dans lesquels un effort a été fait pour dépasser la conception purement fonctionnelle et élaborer une véritable stratégie. En 1961, l'Assemblée générale avait proclamé les années 1960 « décennie des Nations unies pour le développement ... Devant son demi-échec, la résolution 2626 (XXV) lance une deuxième décennie en prenant soin de fixer les objectifs avec plus de précision, de prévoir une évaluation des résultats, et, dans la mesure du possible, d'indiquer les moyens de les atteindre.

La coopération économique n'est d'ailleurs pas limitée à l'aide au développement, elle intéresse aussi au premier chef les pays

• Au sein de J'O.N.U., ~e principal organe chargé de J'aide technique au développeme.lt ost le P.N.U.D. (Programme des Nations unies pour le déveJoppement); la C.N.U.C.E.D. et l'O.N.U.D.I., organes subsidiaires de l'Assemblée génêrale, ont également comme vocation, essentielle d 'accorder une assistance technique aux pays pauvres, de même que de nombreuses institutions sp'écialisees. L'aide financière multilatérale transite principalement par les canaux de la S . loR.D., de la Société financière internationale (S.F.I,) et de l'Association internationale pour le développement (A.J.D.)

• Voir D. Carreau: le Système monétaire international: aspects juridiques (Paris. Armand Colin, 1972).

riches qui se sont donné les moyens de s'entraider, souvent en • L'ouvrage de Marcel utilisant les mêmes institutions, dans les domaines financier Merle, la Vie

(BJKD" Banque des règlements internationaux [BK!.]), moné- ~~~::Jt~ïf~(~%\~' taire (F.M.!., où l'on connaît l'importance de ce «club de f~;:'~~~'::~i~~ebien faite riches Il qu'est le « Groupe des Dix », dont le nombre de membres à l'étude des problème>

internationaux. En est d'ailleurs fluctuant.) ou commercial (G.A.T.T.). Cette coopé- français, les manuels de ration est particulièrement poussée au niveau régI'onal, que ce droit international public

les plus utilisés sont soit dans les pays de l'Est (Comecon) ou entre pays à économie ceux de Paul Reuter de marché (Organisation pour la coopération et le développe- i Paris , P.U.F., .Thémis., ....., _ _ _ _ 1968), Charles Rousseau ment économiques [O.C.D.E.], communautés européennes). Ain- (Paris, Dalloz, 19701 et

- celui, très récent, si l'entraide internationale n'est plus seulement une nécessité de Roger Pinto, le Droit

pratique, elle est devenue une obligation juridi,.que fondée sur l.:,se;!~;~';;';;es l'idée de coexistence pacifique. C'est dans ce domaine que l'on (Paris. Payot. 1972).

Les nouvelles éditions peut parler avec le plus de raison de droit de l'interdépendance. des traités de Paul Gouggenheim et Charles Rousseau, en voie

Mais on ne saurait terminer une étude consacrée au droit inter- de parution, sont

t · 1 bl' , . .. F ' des instruments na !Ona pu IC sur une note exagerement optimiste.. onde sur de travail plus

l'état actuel de la société internationale, le droit des gens n'est fo~iIJés·tEn anl, glais,

• .. . vOir sur out ouvrage que le reflet de l'eqUllIbre entre le mouvement qUI pousse les colleclif édité sous

E 'ffi 1 . d' dl' '1 f ' la direction de Max ta ts a a lrmer eur In epen ance et ce UI qUI es oree a Sorensen: Manuul enregistrer leur interdépendance; il peut contribuer à la conso- 01 Public [nternatiollal

l'd'l . ffi 'l" bl' Il d ' f . 1 d Law (Londres, Macmillan 1 er, 1 ne saurait su re a eta Ir. Olt ournlr es ca l'es 1968). '

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que l'évolution de la vie internationale exige er se garder de tout effet sclérosant, mais il ne peut prétendre dicter cette évolution. Superstructure, il répercute les changements, consolide les muta­tions. Là se borne son rôle. Le reste est du domaine de la poli­tique et il est bon qu'il en soit ainsi: en l'absence d'un gouver­nement mondial, le droit international incite, infléchit, puis s'in­cline. Il empêche une évolution anarchique et sans frein, il ne doit pas gêner le progrès vers plus de justice et plus de sécurité entre les Etats et entre les hommes. Contrairement à une opi­nion répandue, sa souplesse, dans l'état actuel des relations inter­nationales, est sa plus grande force.

Alain Pellet.

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