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Le contentieux des clauses abusives I.- La magistrature du contentieux des clauses abusives A.- La magistrature du juge judiciaire a.- L’émancipation judiciaire du dispositif originaire b.- Les modalités de l’office du juge B.- La magistrature de la Commission des clauses abusives a.- Une magistrature de fait b.- Une magistrature complémentaire II.- L’action en justice dans le contentieux des clauses abusives A.- La recevabilité de l’action en justice a.- L’action en justice du « consommateur » b.- L’action en justice des associations B.- L’objet de la demande en justice a.- L’action en suppression de clause b.- La réparation du préjudice collectif

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Le contentieux des clauses abusives

I.- La magistrature du contentieux des clauses abusives A.- La magistrature du juge judiciaire a.- L’émancipation judiciaire du dispositif originaire b.- Les modalités de l’office du juge B.- La magistrature de la Commission des clauses abusives a.- Une magistrature de fait b.- Une magistrature complémentaire

II.- L’action en justice dans le contentieux des clauses abusives A.- La recevabilité de l’action en justice a.- L’action en justice du « consommateur » b.- L’action en justice des associations B.- L’objet de la demande en justice a.- L’action en suppression de clause b.- La réparation du préjudice collectif

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Introduction

Les rapports économiques, c’est aujourd’hui un constat d’évidence, présentent un visage nouveau depuis que le marché se caractérise par une production et une distribution de masse. Les aspects collectifs du processus économique de consommation1 se sont imposés d’eux-mêmes. En particulier l’instrument des rapports d’échange s’est standardisé, sous la forme de ce que SALEILLES appelait le « contrat d’adhésion »2. Indispensable pour les services qu’il rend à la distribution contemporaine, le contrat d’adhésion, accepté en bloc par le cocontractant de son rédacteur, porte en lui le risque d’un abus. Ce risque se matérialise par l’insertion de clauses plaçant l’instigateur du contrat dans une position avantageuse. Dans la plupart des pays européens s’est imposée l’idée qu’il fallait protéger l’adhérent de ces clauses imposées, parfois léonines; une protection toutefois sélective, puisqu’elle ne bénéficiera qu’au « consommateur ». Plusieurs méthodes étaient envisageables. La technique conventionnelle est une première piste pour régler préventivement le problème des clauses abusives3. La négociation entre les parties en cause est un moyen (*) La présente contribution constitue la reproduction d’un rapport de recherche réalisé sous la direction de M. Louis Coupet, dans le cadre du DEA de Droit privé de la Faculté de droit d’Aix-Marseille. Il a été présenté en Mars 1999. 1 Voir J.Calais-Auloy et L.Bihl, « Le consumérisme et ses aspects collectifs », J.C.P.1978 éd.CI, n°7004, p.157 2Sur l’analyse de Saleilles, voir F.X.Testu Le juge et le contrat d’adhésion, J.C.P.1993, éd.G, I, n°3673 3Signe que le contrat ne traverse pas la crise que l’on décrivait naguère, voir sur ce point Cadiet (L) Interrogations sur le droit contemporain des contrats in Le droit contemporain des contrats (Bilan et THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 1

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privilégié de prévenir le litige, comme en atteste le décret du 28 décembre 1998 qui prévoît que le juge peut conférer force exécutoire à la transaction qui lui est présentée (article 30) et une radiation conventionnelle de l’affaire (le retrait du rôle de l’article 10).

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perspectives), Economica, 1987 p.7 et s., spéc.n°10 et s..Adde F.Kernaleguen La solution conventionnelle des litiges civils, ibidem, p.65 et s..

La négociation est ici collective et réunit professionnels et associations de consommateurs pour la conclusion d’accords. Au niveau national, la technique contractuelle de règlement des litiges a été utilisée dès 1981, et au niveau départemental, la concertation s’organise au sein des comités de la consommation crées en 19864. La concertation présente nécessairement des limites, aussi a-t-on envisagé qu’au droit négocié se juxtaposerait un droit imposé, un droit « venu d’en haut ». Pour pallier les lacunes d’un Code civil accusé d’être imprégné d’un individualisme désuet5 et par là inadapté aux aspects collectifs du consumérisme, on a légiféré. C’est la loi du 10 janvier 1978, une des lois dites « Scrivener ». Le législateur a toutefois hésité entre deux méthodes: soit adapter les règles du procès aux nouvelles formes de litiges, soit consacrer une certaine forme de déjudiciarisation. C’est cette seconde voie qui fut adoptée en 1978, mais au terme d’une évolution sur laquelle il faudra que l’on s’attarde, c’est bien la première qui a finalement prévalu. Le parallèle avec la réforme du divorce par consentement mutuel ne peut manquer d’être fait. C’est que l’on retrouve dans ce type de litiges quelques uns des caractères particuliers du contentieux des clauses abusives. Tout d’abord, d’un point de vue de sociologie juridique, et l’on sait les efforts du législateur contemporain pour adapter le droit au fait, le contentieux des clauses abusives est un contentieux de masse. D’une part, parce que la large diffusion de contrats du même type a pour conséquence un foisonnement de situations individuelles certes distinctes mais toutes semblables, un même contrat pouvant entraîner de nombreux litiges identiques. D’autre part et corrélativement, parce que les intérêts en cause semblent dépasser le cadre du litige individuel. Ensuite, c’est un contentieux économique6 dont on souligne en doctrine le particularisme. Comme en matière de droit de la concurrence, de droit des sociétés ou de droit des procédures collectives7, le juge raisonnera en termes non plus seulement juridiques, mais aussi en termes économiques pour arbitrer les intérêts des plaignants: la diffusion d’un contrat-type relève souventd’une stratégie commerciale réfléchie qu’il faut apprécier, l’économie générale du contrat doit être soigneusement interrogée pour déceler l’avantage excessif 8... Enfin, le contentieux des clauses abusives est aussi un contentieux social, pourrait-on ajouter. Comme le droit substantiel dont il est la sanction, c’est un droit protecteur des 4Les accords nationaux n’étaient pas respectés et ne s’imposaient qu’à leur signataires, d’où la proposition de la Commission de refonte du droit de la consommation d’en étendre les effets. La concertation se manifeste aussi, dans le cadre national, au sein du Conseil national de la consommation. Sur l’ensemble de la question de la concertation, voir G.Paisant, Juris classeur Contrats Distribution, 1993, Fasc.1210, p.8

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5Sur ce reproche, voir J.Calais-Auloy et L.Bihl Le consumérisme et ses aspects collectifs, précité n°6. 6M.Putman le définit comme ‘‘l’étude des procédures de règlement des différends provoqués par l’activité économique de production, de distribution et de consommation de richesses’’, Contentieux économique, 1998, P.U.F., coll.Thémis n°1. 7Voir sur ces matières la magistrature économique du juge consulaire évoquée par C.Champaud, L’idée d’une magistrature économique, Bilan de deux décennies, Justices, Justice et économie n°1/1995, p.62 à 68. 8Sur la conception économique du déséquilibre des clauses voir Ph.Stoeffl-Munck L’abus dans le contrat, essai d’une théorie, th.Aix-en-Provence 1999 à paraître, n°405 et s.: ‘‘L’avantage excessif que procure une clause se traduit par une conséquence économique, soit qu’il permette au professionnel d’éviter un risque de perte, soit qu’il assure une maîtrise de l’exécution du contrat lui permettant de réaliser une économie de gestion. ’’ THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 2

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intérêts d’une catégorie 9 sociale: les consommateurs. On pourrait ici s’autoriser d’un coup d’oeil comparatif : le droit social lui a soufflé quelques unes de ses règles. Le particularisme des caractères du contentieux des clauses abusives pourrait s’analyser comme la conséquence de ce que le droit substantiel dont il est issu est lui même un droit dérogatoire, ne dit-on pas en doctrine que le droit de la consommation devient un droit ‘‘autonome’’ ? On ne sera pas surpris de constater que les contours du procès civil où le contentieux se règle, sont plutôt originaux. C’est, d’une part, l’exercice de la magistrature qui étonne, une magistrature partagée entre un juge qui conserve le rôle principal et une administration dont l’action est déterminante. C’est, d’autre part, la réglementation de l’action en justice qui surprend, elle porte en elle tout le particularisme du contentieux des clauses abusives. Peut-être ce particularisme n’est-il qu’apparent, c’est ce que l’on vérifiera au terme de l’étude de la magistrature du contentieux des clauses abusives (I) et de la réglementation de l’action en justice (II). I.- LA MAGISTRATURE DU CONTENTIEUX DES CLAUSES ABUSIVES Dans la plupart des contentieux économiques, l’exercice de la magistrature est comme partagé. Les juges consulaires agissent de concert, mais concurremment, avec des « quasi-juridictions de droitéconomique » comme le Conseil de la concurrence ou la Commission des opérations de bourse10. Dans le contentieux des clauses abusives, le partage de la magistrature n’est pas de la même nature et est moins apparent. L’interprétation que l’on donne aujourd’hui des textes du Code de laconsommation, donne l’impression que la magistrature du contentieux est exclusivement exercée par le juge judiciaire11(A). L’action de la Commission des clauses abusives présente toutefois des traits communs avec l’office du juge, et l’on pourrait parler d’une certaine forme de magistrature, une magistrature de facto. Sicette hypothèse était fondée, il y aurait bien partage de la magistrature, mais il prendrait moins la forme d’une concurrence que celle d’une complémentarité. Voilà beaucoup de conclusions hâtives qu’il nous faudra vérifier (B). A- La magistrature du juge judiciaire. Traiter de l’office du juge pourrait, à lire les dispositions du Code dela consommation relatives aux clauses abusives12, paraître surprenant. On y évoque des décrets pris en Conseil d’Etat, une commission administrative..., pas un mot du juge, qui semble bien être mis à l’écart du système. Ces textes sont le reflet de l’esprit du législateur 9On ose trop dire une ‘‘classe’’.

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10Voir C.Champaud L’idée d’une magistrature économique, Bilan de deux décennies, précité p.61 et s. ; La réaction de la Cour de cassation envers la procédure suivie devant la C.O.B.peut être regardée comme un aspect de cette concurrence, voir les deux arrêts rendus en assemblée plénière le 5/02/1999, D.Affaires 1999 n°152 p.410 La concurrence va souvent jusqu’à une déjudiciarisation: voir le rôle de la Commission de surendettement des particuliers. Si le contrôle du juge de l’exécution subsiste, les auteurs n’en ont pas moins remarqué qu’il y a bien déjudiciarisation: Voir E.Putman Contentieux économique, 1998, P.U.F., coll.Thémis n°263 et s. 11Il pourra s’agir du juge civil, du juge pénal ou du juge consulaire, le juge administratif est en principe étranger à la lutte contre les clauses abusives. 12articles L.132-1 à L.132-5. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 3

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de 1978, qui choisissait la voie administrative comme mode de gestion du problème des clauses abusives. Le juge était relégué à un rôle de relais des décisions du gouvernement, ce qui est une forme de « déjudiciarisation ». Cela s’inscrivait alors en faux du courant visant à souligner que, dans un contexte de crise économique, ce dont on avait besoin, c’était bien de véritables magistratures pour ‘‘réguler correctement tant l’intervention des pouvoirs publics dans l’économie que les effets dedomination des puissances privées au regard de l’intérêt public’’13. Le juge s’est alors progressivement émancipé du dispositif originaire. Il a aussi contribué à en définir le régime, comme le montrera l’exposé des modalités de son office. a - L’émancipation judiciaire du dispositif originaire. 1. Le dispositif originaire. La loi n°78-23 10 janvier1978 déléguait au gouvernement la tâche d’adopter en Conseil d’Etat des décrets visant à interdire, limiter ouréglementer les clauses répondant à des critères matériels (clauses imposées par un abus de puissance économique, conférant au professionnel un avantage excessif) lorsqu’elles étaient insérées dans des contrats passés entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur. Préalablement, la commission des clauses abusives, créée par la même loi devait donner son avis. La sanction de ces clauses était qu’elles devenaient réputées non écrites, et ce du seul fait de leur dénonciation par décret. Cette méthode singulière, ce ‘‘glissement’’ du pouvoir judiciaire vers le pouvoir administratif14, s’explique par la volonté du législateur d’élaborer une liste de clauses interdites, à l’image de celle instituée par la loi allemande du 9 décembre 197615. On avait pu, de même, invoquer les avantages de la méthode réglementaire : la généralité et le caractère préventif du décret étaient préférés à lalenteur de la jurisprudence pour se fixer16, et aux inconvénients de l’effet relatif de la chose jugée dans le cadre de ces litiges particuliers. Un décret ne tardait pas à être adopté par le gouvernement. Toutefois, ce premier élément de la liste attendue fut sa seule composante puisque aucun autre décret n’a été adopté depuis17. Ce décret du 24 mars 1978 sera, de plus, partiellement annulé par le Conseil d’Etat18. 13C.Champaud L’idée d’une magistrature économique, Bilan de deux décennies, précité, p.63. 14Calais-Auloy (J) et Bihl (L) La loi du 10/01/1978: un glissement du droit de la consommation vers l’élimination du juge, J.C.P. 1980 éd.C.I..n°8405 15Telle était, en tout cas l’intention du secretaire d’état à la consommation, Mme Scrivener. L’intention du président de la Commission des lois M. Jean Foyer était notablement différente. Réserver la sanction des clauses abusives aux textes règlementaires, c’est-à-dire rester assez prudent (voire restrictif), tendait à éviter un « saccage du Code civil », selon son mot. Sur cet aspect des travaux préparatoires, voir Ghestin (J) note sous Civ.1ère 14/06/1991, D.1991, Jur, p.449, spéc. p.451. Sur la loi allemande du 9/12/1976, voir Von Breitenstein, Gaz. Pal. 1978, I, Doctr., p.110

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16Une lenteur que l’on redoutait à l’origine d’incertitudes sur la validité des clauses concernées: voir J.Foyer, J.O.déb. Ass.nat., 12/12/1977 p.8591 17L’évolution de la conjoncture politique est en partie responsable de la carence règlementaire (mais seulement en partie).Voir sur ce point Ghestin (J) note sous Civ.1ère 6/12/1989 et TGI Paris 17/01/1990, D.1990, Jur.p.289 18L’article 1er du décret a été annulé car trop général. Seuls subsistent les articles 2 et 3 codifiés respectivement aux articles R.132-1 et R.132-2 du Code de la consommation. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 4

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A l’inverse du gouvernement, la Commission des clauses abusives ne restera pas sans agir. Elle utilise dès 1979 le pouvoir de recommandation qu’elle tient des articles 36 et 38 de la loi de 197819. Toutefois ces recommandations n’ont pas d’effet obligatoire,la lutte contre les clauses abusives semblait donc menacée d’ineffectivité. 2. La réaction du juge entérinée par le législateur. Dans ces conditions, a commencé à se poser en doctrine et en jurisprudence la question de savoir si le juge, malgré l’absence d’undécret réputant la clause non-écrite, avait le pouvoir d’annuler la clause qui répondrait aux critères matériels énoncés par le texte de l’article 35 de la loi de 1978. En d’autres termes, l’article 35 de la loi de 1978 avait-il « une teneur normative directe nulle »20 ? La question de l’étendue de l’office du juge se posait avec une acuité particulière qui suscita la controverse. La grande majorité de la doctrine considérait la rédaction de l’article 35 comme un argument de texte inébranlable contre le pouvoir judiciaire de contrôler les clauses en référence aux critères matériels posés par la loi de 197821. Cette interprétation était, de plus, corroborée par des travaux préparatoires sans équivoque. Les juridictions du fond déclaraient donc infondées les demandes de sanction des clauses qui n’étaient pas expressément visées par le décret du 24 mars 197822. D’autres auteurs, s’inquiétant du visage que prenait la lutte contre les clauses abusives, remarquaient que le juge conservait un rôle decontrôle: soit sur le fondement de l’article 35 de la loi de 1978 lui-même23, soit, en tout état de cause, sur le fondement du droit commun. On invoquait alors la théorie de l’abus de droit, inspiratrice de la loi de 197824, les articles 1134 et 1135 du Code civil25ou encore l’article 6 du Code civil26. Ce débat sur la légalité du contrôle judiciaire masquait en réalité une controverse plus fondamentale tenant à l’opportunité de l’intervention du juge dans ce domaine. On arguait de la nécessité de prévenir une croissance excessive du contentieux, de l’engorgement probable de la Cour de cassation27. Surtout on parlait de d’« une certaine inadaptation des structures judiciaires à la protection du consommateur28 ». Un contentieux de masse ne se satisfait pas de solutions individuelles, disait-on. 19Codifiés aux articles L.132-2 à L.132-5 du Code de la consommation. 20Selon l’expression de M.M.Borysewicz in Les protectrices du consommateur et le droit commun des contrats, Mélanges P.Kaiser, Aix 1979, t.1, p.91 21Voir les références citées par J.Ghestin dans sa note sous Civ.1ère 14/05/1991, D.1991, p.449, spéc.note 14. 22Voir Aix-en-Provence 20/03/1980 D.1980, Jur., p.131, note Ph.Delebecque. Voir aussi Paris 22/05/1986, R.T.D.Civ.1987, p.113, observ. Ph.Rémy. 23Voir Berlioz (G) Droit de la consommation et droit des contrats, J.C.P.1979, I, 2954, spéc.n° 24; Bilh (L) Clauses abusives, in Les contrats d’adhésion et la protection du consommateur, colloque des 3 et 4/06/1978 de l’association Droit et commerce E.N.A.J.1978 p.175. J.Ghestin, au départ plutôt nuancé, est celui qui a le mieux

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mis en forme cette argumentation qui consiste à dire que, bien que non prévu par les textes, le contrôle du juge n’y est pas exclu; ce qui suppose, en outre, de faire une lecture disjointe des différents alinéas de l’ancien article 35 de la loi de 1978. Voir sa note au D.1991 p.449 et spéc. p.451. 24Voir sur ce lien de filiation Delebecque (Ph) note au D.1980 p.131 spéc. n°16 et les références. Ce lien de filiation peut se discuter. On verrait derrière la loi de 1978, moins une consécration de la théorie de l’abus de droit, qu’une émanation de l’idée d’ordre public de protection: voir Ph.Stoeffl-Munck L’abus dans le contrat, essai d’une théorie, th.Aix-en-Provence 1999 à paraître, n°349 et s. 25Voir Ghestin (J) note au D.1990 p.289, 26Voir Rémy (Ph) observ. à la R.T.D.Civ.1987 p.115, c’est le concept d’ordre public virtuel. 27Voir les observations de M. J.L. Aubert in Rép.Defrenois 1991, art.34987, p.366 28Sinay-Cytermann (A) La Commission des clauses abusives et le droit commun des obligations, R.T.D.Civ.1985 p.471, spéc. n°5, c’est l’auteur qui souligne. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 5

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Pourtant la Cour de cassation, après s’être montrée réservée29, a progressivement admis le contrôle des juges du fond. A demi-mot tout d’abord, dans un arrêt du 16 juillet 198730 et dans deux arrêts de 198931. Plus explicitement ensuite dans le désormais fameux arrêt Lorthioir du 14 juin 199132. La Cour y déclare, sans toutefois viser l’article 35 de la loi de 1978, que les juges du fond ont décidé à bon droit que la clause revêtait un caractère abusif et devait donc être réputée non-écrite : elle procurait au professionnel un avantage excessif et avait été imposée par sa position économique. Telle référence aux critères matériels de l’article 35 a fait dire à unedoctrine unanime que la Cour reconnaissait un pouvoir autonome de contrôle aux juges du fond, puisque la clause litigieuse n’était pas visée par décret. « Coup de force »33 s’il en est, la position de la Cour de cassation apparaissait comme une anticipation de la réforme annoncée par l’article 9 d’un projet de loi déposé quelques mois auparavant qui devait consacrer une solution semblable. Le projet devînt la loi du 18 janvier 1992 mais l’article 9 n’avait pas été adopté, motif étant pris de l’existence d’une directive européenne devant réformer la matière. La Cour de cassation devra se contenter d’une confirmation implicite de sa solution. Confirmation par l’autorité publique qui se sera faite en deux temps: tout d’abord, le décret n° 93-314 du 10 mars 1993 réformantla Commission des clauses abusives donne au juge, en son article 4, la possibilité de saisir la Commission pour avis « lorsqu’à l’occasion d’une instance est soulevé le caractère abusif d’une clause (...) tel que défini à l’article 35 de la loi ». Le dispositif n’a de sens que si le juge peut supprimer des clauses pas encore visées par décret. Une autre confirmation a pu être déduite de la modification de l’article L.132-1 du Code de la consommation par la loi n° 95-96 du 1er

février 1995 : le nouvel alinéa 2 dispose que des décrets « peuvent déterminer des types de clauses qui doivent être regardées comme abusives ». Et la doctrine d’en déduire qu’à titre principal, la mission d’éliminer les clauses abusives est dévolue au juge34. Les travaux préparatoires sont d’ailleurs en ce sens35. On peut dès lors parler d’un véritable contentieux des clauses abusives, puisque ce sera désormais la voie juridictionnelle qui seraprivilégiée pour traiter le problème des clauses abusives. Si le juge est bien au centre du dispositif mis en place, s’il joue le « premier rôle », encore faut-il en déterminer la substance. Après avoir vérifié l’existence de l’office du juge dans le contentieux des clauses abusives, il faut donc étudier ses modalités. b- Les modalités de l’office du juge. La Cour de cassation et l’autorité publique sont les deux sources principales ayant contribué à la détermination des modalités de l’office du juge dans le contentieux des

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29Voir Civ.1ère 19/01/1982, D.1982, Jur., p.457, note Ch.Larroumet 30D.1987, Jur., p.49 note J.Calais-Auloy mais peut-être cet arrêt serait-il passé inaperçu sans le nom de son commentateur. 31Civ.1ère 25/01/1989, D.1989, Som.p.337, observ. J.L Aubert; Civ. 1ère 6/12/1989, D.1990, Jur.,p.289 note J.Ghestin 32D.1991, Som. p.320, observ.J.L. Aubert; R.T.D.Civ.1991 p.526, observ. J.Mestre. 33Selon le mot de D.Mazeaud in Le juge face aux clauses abusives, Le juge et l’exécution du contrat, colloque del’I..D.A, Aix-en-Provence du 28/05/1993, P.U.A.M. 1993 p.23 et spéc.p.34. 34Voir sur ce point Paisant (G) Les clauses abusives et la présentation des contrats dans la loi n°95-96 du 1er/02/1995, D.1995, Chronique, p.99. 35Voir la déclaration du ministre de l’économie, J.O.A.N.(CR), 11/01/1995, p.11 THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 6

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clauses abusives. Ces modalités accusent un certain particularisme au regard du droit commun. Ce particularisme (qui sera seul étudié ici) semble lié à deux idées complémentaires. L’office du juge présente, d’une part, un aspect protecteur des intérêts des consommateurs et la communauté de tendances entre le droit substantiel et le droit processuel doit être à nouveau remarquée. D’autre part, l’office du juge dans un contentieux de masse est nécessairement teinté d’un caractère collectif. 1. Le caractère protecteur de l’office du juge. Nombre de règles processuelles ont été aménagées à la mesure des intérêts des consommateurs. Certaines de ces règles associent directement le juge à la protectiondu consommateur partie au litige. Ainsi de l’application d’office du moyen tiré du caractère abusif de la clause. La Cour de cassation a pu décider que le juge peut soulever d’office le moyen tiré de l’article L.132-1 pourvu qu’il respecte le principe du contradictoire36. Certains justifient la solution par le fait que le juge est le gardien de la bonne foi et de la justice contractuelle, qu’il n’a pas pour mission d’entériner les rapports de force37. Ce moyen est mélangé de droit et de fait, puisque son application dépend d’une appréciation du déséquilibre entre les parties (question de fait). C’est dès lors en application du caractère d’ordre public de l’article L.132-1 du Code de la consommation et de l’article 12 du NCPC quele juge soulèvera le moyen38. Le moyen ne pourra cependant pas, et pour la même raison, être soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation39. Autre aménagement dérogatoire, dans le cas des actions des associations de consommateurs, l’article 7 de la loi du 5 janvier 1988 dispose que le ministère public « peut produire devant la juridiction saisie, nonobstant les dispositions législatives contraires,les procès-verbaux ou rapports d’enquête qu’il détient, dont la production est utile à la solution du litige »40. D’autres règles ont pour objet de faciliter le succès de la prétention du consommateur: d’une part l’existence de listes de clauses abusives41 a pour effet de dispenser le consommateur de la preuve du caractère abusif de la clause litigieuse, si la clause y est mentionnée42. D’autre part, le Code de la consommation impose uneinterprétation des clauses du contrat en faveur du consommateur (articles L.132-1 al. 5 et L.133-2 al. 2 issus de la loi du 1er février 1995). 2. Aspects collectifs de l’office du juge. 36Civ.1ère 16/02/1994 S.A.R.L. TAC n°295D, inédit, cité par G.Paisant in Les clauses abusives et la présentationdes contrats dans la loi du 1er/02/1995, préc.supra n°30. 37Biardeaud (G) et Flores (Ph) Le contentieux du droit de la consommation, Documents pratiques AER 1997, publications de l’ENM, p.227.

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38Et non en application de l’article 7 du NCPC. Voir sur ce point Biardeaud (G) et Flores (Ph) Le contentieux du droit de la consommation, précité, p.228. 39Civ.1ère 21/11/1995, Bull.inf.C.cass. du 16/01/1996 n°42, p.37. 40Sur le risque d’entorse au principe du secret de l’enquête susceptible d’en découler, voir les inquiétudes d’E.Putman in La loi du 5/01/1988 sur l’action en justice des associations agréées de consommateurs, R.R.J. 1988-2 p.341, spéc. n°8. 41Sur lesquelles nous nous arrêterons plus longuement infra. 42Sur les degrés de la force de la présomption selon la liste concernée, voir infra et Raymond (G) Commentaire de la loi n°95-96 du 1er/02/1995, Contrats, concurrence,consommation 03/1995, n°56, p.15. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 7

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- Le premier aspect collectif de l’office du juge a trait à l’un des instruments dont le juge dispose pour trancher les litiges qui lui sont soumis: il s’agît des listes de clauses suspectes, voire interdites, élaborées par voie administrative ou légale. Le caractère général et impersonnel des prescriptions contenues dans les listes «court-circuite » dans une certaine mesure l’appréciation judiciaire et manifeste une certaine défiance à son égard. Motif sera toutefois pris de la nécessité d’apporter une réponse collective à un problèmequi pourra se poser dans un grand nombre de litiges. Plusieurs listes sont à la disposition du juge43 : tout d’abord la liste des clauses interdites par décret pris en Conseil d’Etat après avis de la Commission des clauses abusives. Cette liste se limite depuis le décret du 24 mars 1978 à l’identification de seulement deux typesde clauses44. L’existence de cette liste n’a pas pour effet de supprimer tout raisonnement judiciaire45, mais elle a tout de même pour objet de systématiser une appréciation qui relèverait en principe de l’office du juge, l’appréciation est ici extérieure au juge et s’impose à lui. Le demandeur n’aura pas à prouver le caractère abusif de la clause. Le juge dispose ensuite d’une liste annexée par la loi du 1er février 1995 au Code de la consommation. L’article L.132-1 alinéa 3 du Code la qualifie d’indicative et de non exhaustive. Les clauses visées‘‘peuvent’’ être regardées comme abusives si elles satisfont aux critères matériels posés par le premier alinéa. Le demandeur n’est pas ici dispensé de prouver l’abus, l’appréciation judiciaire reste entière. Reste, enfin, la liste de clauses qu’élabore la Commission des clauses abusives, mais dans ce cas comme dans le précédent, l’appréciation judiciaire reste souveraine. - Lorsque la clause litigieuse n’est pas visée par une liste, l’appréciation du caractère abusif est laissée aux lumières du magistrat qui doit se référer au texte de l’article L.132-1 du Code dela consommation. L’aspect collectif de l’office du juge vient alors directement du type particulier de situation contractuelle qui lui estsoumis: le contrat passé entre le rédacteur d’un contrat (le plus souvent) d’adhésion et l’adhérent. La Cour de cassation s’efforce defaire respecter une juste mesure entre une appréciation subjective de l’abus qui menacerait l’unité de la jurisprudence et la sécurité juridique des cocontractants, et une appréciation « standardisée » d’une clause qui se retrouve dans un grand nombre de contrats identiques. Cet équilibre, qui est au fond au centre de la problématique du contentieux des clauses abusives, la Cour de cassation le recherche dans deux directions. Tout d’abord, elle impose aux juges du fond une recherche systématique du caractère abusif dans les circonstances de la

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cause46. L’abus doit être recherché et qualifié au regard des conditions légales, à défaut, la décision manque de base légale47. Ensuite, la Cour de cassation, répondant aux aspirations de certainsauteurs48, va plus loin et contrôle la qualification de clause abusive, ceci dans le souci d’assurer une 43Voir Calais-Auloy (J) et Steinmetz (F) Droit de la consommation, 4éd.1996, Dalloz coll.Précis n°168 44Visées aux articles R.132-1 et R.132-2 du Code de la consommation 45Il pourra être, par exemple, question de savoir si la stipulation contractuelle litigieuse est bien celle visée par ledécret. Voir sur ce point Raymond (G) Commentaire de la loi n°95-96 du 1er/02/1995, précité, p.15. 46Voir Civ.1ère 6/12/1989, D.1989, Jur., p.289, note J.Ghestin; Civ.1ère 31/01/1995, Bull.civ., I, n°64 p.45 47Ce qui traduit une insuffisance de motivation de la décision attaquée qui ne permet pas à la Cour de cassation de contrôler l’application correcte de la règle de droit; voir Jobard-Bachelier (M-N) et Bachelier (X) La technique de cassation, 3ème éd., Dalloz, coll.Méthodes du droit. 48Huet (J) Les hauts et les bas de la protection contre les clauses abusives, J.C.P.1992, I, 3592 n°1; Aubert (J-L), Rép.Defrénois 1991.366, art.34987. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 8

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certaine unité dans la compréhension de la notion49. La qualificationde clause abusive est donc une question de droit. C’est l’unification du droit des clauses abusives que promeut ainsi la Cour de cassation. L’activité de la Commission des clauses abusives va aussi dans ce sens, cela dans le cadre de l’exercice d’une certaine forme de magistrature. B - La magistrature de la Commission des clauses abusives. Assez peu connu des consommateurs50, le rôle de la Commission desclauses abusives est déterminant. Les textes du Code de la consommation la chargent 51: - de donner son avis au Gouvernement, avant que celui-ci n’adopte un décret d’interdiction de clauses répondant aux critères fixés par l’article L.132-1 du Code de la consommation52 ; - de proposer, dans son rapport annuel, les modifications législativesou réglementaires qui lui paraissent souhaitables53 ; - de recommander la suppression ou la modification des clauses qui présentent un caractère abusif54 ; - et depuis 1993, de donner des avis au juge lorsque celui-ci, à l’occasion d’un litige sur une clause, la saisit à cet effet55. De cet énoncé, il ressort que la Commission a deux visages. Le premier est issu de l’esprit de la législation de 1978: celui d’une gestion préventive du problème des clauses abusives par l’édiction de textes généraux et impersonnels détectant les clauses léonines. Cette mission pré-contentieuse, la Commission l’exerce d’une manière qui rappelle l’office du juge. Depuis 1993, il n’est pas abusif de dire que la Commission exerce une magistrature des intérêts sociaux56. Le second visage de la Commission vient de ce qu’elle participe trèsdirectement, depuis la réforme de 1993, à la mission contentieuse. Sa magistrature est ici complémentaire de celle du juge judiciaire. 49Paisant (G) note sous Civ.1ère 26/05/1993, D.1993, Jur., p.568; Adde Bazin (E), J.C.P.1993, II, 22158. 50Voir Genès (B) Le regard porté par les consommateurs sur la Commission, Rev. conc.conso. 1998 n°105 p.32. 51On a pu parler de ‘‘compréhension extensive’’ de ses attributions par la Commission en ce qu’elle n’a nullement restreint son domaine d’intervention malgré l’existence, soit d’une législation particulière détaillée(parexemple en matière de droit des assurances), soit de commissions spécialisées de même nature qu’elle (par exemple la Commission consultative de l’assurance ou la Commission relative à la copropriété). Voir O.Kuhnmunch, La Commission des clauses abusives et ses attributions, Rev.conc.conso.1998 n°105, p.9, spéc. p.11 52Le seul décret adopté est le décret n°78-464 du 24/03/1978. L’avis de la Commission a aussi été sollicité pour le décret n°87-1045 du 22/12/1987 relatif à la présentation des écrits constatant les contrats de garantie et de service après-vente. 53article L.132-5 du Code de la consommation. 54article L.132-4 du Code de la consommation. 55article R.132-6 du Code de la consommation issu du décret n°93-314 du 10/03/1994. Les limites de l’objet de notre étude nous invitent à négliger certains aspects de la mission de la Commission. Nous renverrons donc aux études Mme Sinay-Citermann et de M.Kuhnmunch précitées. Adde les articles parus àla Rev. conc. conso. 1998 n°105 (et spéc. MM. Ghestin (p.14) et Calais-Auloy (p.47)). Voir encore les actes de laJournée d’étude du 21/03/1997 sur Les clauses abusives dans les contrats de consommation, INC hebdo du

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12/12/1997 n°1015, spéc. l’article de M.Brasseur Le juge et la Commission des clauses abusives: une nouvelle articulation, p.44. 56Voir J.Chevallier Les AAI et la régulation des marchés, Justices n°1/1995, Justice et économie, p.81, pour qui ‘‘ l’arbitrage par les AAI des intérêts sociaux les rapprochent d’authentiques juridictions ’’. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 9

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La conjugaison de ces deux aspects rend délicate la définition de la nature réelle de la Commission et de son action : on a l’impression que les deux visages de la Commission se font parfois la grimace. a- La mission pré-contentieuse de la Commission. C’est dans le cadre de cette mission que le caractère hybride de la Commission des clauses abusives est le plus manifeste. La méthode de 1978 cohabite avec celle de 1993 pour assigner à la Commission la fonction de prévenir le contentieux (c’est l’esprit de 1978), et celadans une forme quasi-juridictionnelle (c’est l’esprit de 1993). La magistrature de la Commission apparaît dès lors comme une « magistrature pré-contentieuse ». 1. Prévenir les litiges. L’idée du législateur de 1978, était celle d’une élimination préventive des clauses abusives insérées dans les contrats de consommation57. Nous avons vu qu’elle l’avait conduit à préférer l’intervention de décrets du gouvernement à l’office du juge. Cette idée explique aussi certaines des attributions actuelles de la Commission. En cela l’esprit de 1978 est toujours présent. Outre la mission de conseiller du gouvernement, dont avons vu qu’elle était, depuis 1978, en veille, il faut citer ici deux attributions de la Commission: celle d’adopter des recommandations, et celle de donner des avis aux professionnels. - Les recommandations de la Commission ont un caractère incitatif, elles ne s’imposent pas aux professionnels. Toutefois, le but qui leurest assigné attire ces textes vers une certaine positivité: certains ont pu y voir de véritables sources du droit. Ainsi M. LEVENEUR58, a-t-il pu considérer, à la suite de Mme SINAY-CYTERMANN59, que, de facto, la Commission jouait un rôle «quasi-normatif ». Et M. le professeur GHESTIN d’ajouter que les recommandations sont des « normes non contraignantes mais qu’elles n’en sont pas moins des normes juridiques effectives »60. Ainsi ses textes sont généraux et impersonnels (article L.132-4 du Code de la consommation), ils sont publiés au Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, sont commentés par la doctrine. De plus, les professionnels s’y plient de leur propre chef ou en discutent avec les associations de consommateurs pour élaborer de nouveaux contrats conformes à leurs prescriptions. Le sentiment de l’obligatoire, l’opinio necessitatis qu’ils provoquent devrait conduire à reconnaître qu’ils ne sont pas seulement des sources d’inspiration mais devraient avoir pour effet de présumer abusives les clauses qu’ils visent 61. Dans un rapport du secrétaire d’Etat à la Consommation du mois demai 1991, il était ainsi souhaité qu’elles conduisent 57Voir sur ce point Sinay-Cietmann (A) La Commission des clauses abusives et le droit commun des obligations,R.T.D.Civ.1985 p.471, spéc. n°6.

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58L.Leveneur La Commission des clauses abusives et le renouvellement des sources du droit des obligations in Le renouvellement des sources du droit des obligations, Journées nationales de l’Association Henri Capitant, t.1, LGDJ 1997 p.155, spéc. p.163 et s. 59Op.cit. n°51 et 68 qui parle aussi de « pré-droit ». 60Les recommandations de la Commission, op.cit., p.18. Evoquant leur ‘‘quasi-normativité de fait’’, il poursuit: ‘‘Elles sont toutefois des normes pourvues d’une effectivité juridique incontestable en raison de leur application spontanée par les professionnels, de leur utilisation par les consommateurs et de leur consécration par les tribunaux’’ (p.20). 61Ces arguments sont développés par L.Leveneur, op.cit. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 10

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à « présumer abusives les clauses retenues par la CCA, sauf, en cas de litige, au professionnel à rapporter la preuve contraire en fonction d’éléments spécifiques62». Le droit positif n’est toutefois pas en ce sens. La Cour de cassation a pu rappeler, il y a peu, que les recommandations n’avaient aucun effet obligatoire et n’étaient pas source du droit63. - La Commission, lorsqu’elle donne des avis aux professionnels recherche aussi à prévenir le contentieux. La Commission peut être saisie par des professionnels, sur le fondement des articles L.132-2 et L.132-3 du Code de la consommation, pour apprécier si le contratou le projet de contrat64 qu’ils utilisent ne comporte pas, selon elle, de clause abusive. On peut noter ici un aspect d’une certaine « résurgence du rescrit »65. On soulignera aussi l’autorité de ces avis, homologations « quasi-jurictionnelles » de la convention-type, lorsqu’ils seront produits devant le juge si le contrat aboutit malgré tout à un contentieux. Le sentiment qui se répand en doctrine, est, en définitive, que la Commission dit le droit. Certains disent qu’elle serait un quasi-législateur, on la comparerait plus avantageusement à un juge car elle semble bien exercer une magistrature en tranchant les intérêts sociaux qui lui sont soumis. Elle serait une quasi-juridiction. 2. Une quasi-juridiction. On qualifie souvent la Commission comme étant l’une de ces autorités administratives indépendantes qui se multiplient aujourd’hui66. Cette prolifération est souvent analysée comme le signe d’une extension du domaine d’intervention de l’Etat qui, corrélativement67, doit déléguer certaines de ses compétences. La création d’une Commission des clauses abusives en est, a priori, une bonne illustration. On a toutefois du mal à la considérer commeune émanation de l’administration. Certes, elle est placée « auprès » d’un ministre de la Consommation (article L.132-2 du Code de la consommation), mais ce lien n’a rien de hiérarchique. De plus, depuis 1993, elle ne compte plus parmi ses membres de représentant de l’Etat. Depuis la réforme du décret du 10 mars 1993, la Commission subit la « contagion du processuel »68. Elle tend à revêtir les caractères d’une « quasi-juridiction ». - Dans sa composition, tout d’abord. Siègent à la Commission trois magistrats (dont le président), deux personnalités qualifiées en droit et technique des contrats, quatre représentants des consommateurs et quatre représentants des professionnels69. 62Cité par Brasseur (Ch) Le juge et la Commission des clauses abusives: une nouvelle articulation, article précitép.47. 63Civ.1ère 13/11/1996, R.T.D.Civ.1997, observ. J.Mestre p.424, et observ. R.Libchaber p.791, D.1997, Som.p.174, observ.Ph.Delebecque.

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64Le texte de l’article L.132-2 parle ‘‘des modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels’’, pourtant, la Commission a audacieusement accepté, en 1981, de contrôler des projets de contrats (qui ne sont donc pas encore habituellement proposés). Sur ce point, Sinay-Cytermann, op.cit. n°33. 65B.Oppetit La résurgence du rescrit, D.1991, Chr., p.105. 66En ce sens L.Leveneur,op.cit., p.158, et les références citées note 6 ; Simler (Ph) Le regard porté par la doctrine sur la Commission, Rev.conc.conso.1998 n°105 p.43. 67Voir Terré (F) Introduction générale au Droit, Dalloz, coll.Précis n°242. 68E.Putman, Cotentieux économique, précité, n°261. 69Article R.132-3 du Code de la consommation. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 11

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On note deux préoccupations. D’une part, la représentation des professionnels et des consommateurs est largement assurée70, ce qui reflète la volonté de promouvoir le règlement du problème des clauses abusives par la concertation71, la négociation entre les intéressés, signe du développement d’une « société contractuelle »72. D’autre part, le poids des magistrats est plus déterminant: le président a voix prépondérante et les représentants de l’administration ont disparu. En fait, sous l’autorité morale des magistrats et de deux « experts », les deux groupes sociaux défendront leurs intérêts, un peu à l’image du déroulement d’un procès. - Dans son fonctionnement, la Commission est influencée par le processuel: elle siège en formation plénière ou restreinte, le président répartit les ‘‘affaires’ ’entre les formations restreintes, lesparties intéressées peuvent être entendue avant le délibéré, les rapporteurs mènent de pseudo-investigations...73

Il y a bien du « juridictionnel » dans la composition et le fonctionnement de la Commission, mais on ne saurait aller trop loin dans la comparaison. Non seulement les règles de saisine n’ont riende commun avec celles relatives aux juridictions de droit commun, mais encore les décisions rendues ne peuvent être assimilées avec celles des tribunaux. La Commission serait tout au plus une juridiction incomplète74. L’évolution de la Commission depuis 1978 amène à cette idée que, dans le cadre de sa mission pré-contentieuse, la méthode juridictionnelle a pris le pas sur la méthode administrative. Une remarque semblable doit être faite au regard de la mission contentieuse de la Commission. b- La mission contentieuse de la Commission. La Commission est associée à la mission contentieuse de deux manières: la première résulte du fait que ses recommandations sontun important élément du débat judiciaire, la seconde résulte de la possibilité pour le juge de saisir la Commission pour avis. 1. Un élément du débat judiciaire. La complémentarité de la magistrature de la Commission des clauses abusives et de l’office du juge se manifeste le plus visiblement lorsque la clause querellée lors du litige a été ‘‘détectée’’ par l’une des 46 recommandations adoptées à ce jour. On sait que la Commission tient son pouvoir de recommandation de l’article L.132-4 du Code de la consommation. On sait aussi que ces textes n’ont pas de valeur contraignante. Pourtant, à regarder de près les jugements et arrêts des juges du fond, force est de constater que les recommandations sont un important élément du débat judiciaire. Elles sont de vraies références pour le juge et constituent un élément de motivation supplémentaire. Les motivations de la Commission seront, en outre, un modèle pour le

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70Sous l’empire de la règlementation de 1978, les deux catégories ne comptaient que trois membres. 71Sur ce point voir Sinay-Cytermann (A) op.cit. n°8. 72Sur elle, voir notamment Cadiet (L) Interrogations sur le droit contemporain des contrats, précité n°10 et s. 73Article R.132-5 du Code de la consommation. 74Danet (D) Le conseil de la concurrence, juridiction incomplète ou juridiction innommée ?, RID éco.1991, p.3. La controverse ne saurait être comparée à celle relative à la nature du Conseil de la concurrence: cette autorité ayant un pouvoir de sanction. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 12

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juge dans son opération de qualification. Plusieurs décisions font ainsi expressément référence à une recommandation alors que d’autres en soulignent le caractère indicatif75; mais ce qui est remarquable, c’est que chaque fois que la clause entre dans le champ de la recommandation, celle-ci est mentionnée, discutée et suivie la plupart du temps. La Cour de cassation a, d’ailleurs, récemment approuvé cette immixtion des actes de la Commission dans le débat judiciaire en remarquant que la Cour d’appel « rejoignant la recommandation n° 91-01 du 17/07/1989 de la Commission de clauses abusives, (a) légalement justifié sa décision »76. La Cour de cassation reconnaît ici la « magistrature d’influence »77 de la Commission. 2. La saisine judiciaire pour avis. - L’extension de la saisine au juge avait été demandée par la Commission lors de ses propositions de réforme78. L’idée était d’harmoniser ainsi la jurisprudence et, à terme, d’aboutir à l’adoption de décrets consacrant la convergence qui devait en résulter. Il s’agissait ainsi de prendre acte de l’arrêt Lorthioir de 1991 et d’éviter les conséquences néfastes qui auraient pu en résulter au niveau de l’unité de la jurisprudence79. L’article 4 du décret du 10 mars 199380 précise donc que « la Commission peut-être saisie pour avis lorsque à l’occasion d’une instance le caractère abusif d’une clause contractuelle est soulevé »(alinéa 1). L’alinéa 2 précise que l’avis, rendu dans un délai de trois mois, ne lie pas le juge. Ce dispositif fait immanquablement penser à celui qui existe devant le Conseil de la concurrence81, la Cour de cassation82, ou encore devant la Commission des opérations de Bourse83. Les résultats, dans la pratique judiciaire, ne sont pas satisfaisants: fin 1997 seulement 11 demandes d’avis ont été adressées à la Commission, dont 6 ont été considérées comme étant de nature à pouvoir donner lieu à avis84. Les tribunaux n’ont donc pas (encore ?)mis à profit la nouvelle procédure, peu disposés à partager leur office, même avec cet auxiliaire de choix85. - L’institution de cette sorte de « question préjudicielle » a fait dire àM. LEVENEUR que la Commission était devenue une source quasi-jurisprudentielle. La Commission, on l’a dit, n’est pas une juridiction, son avis ne lie pas le juge. Reste que l’autorité de ses membres s’imposera, l’issue du litige en sera le plus souvent scellée, et M. 75Pour un inventaire complet des décisions faisant référence à une recommandation, voir les actes de la Journée d’étude du 21/03/1997 sur Les clauses abusives dans les contrats de consommation, INC hebdo du 12/12/1997 n°1015, spéc. l’article de M.Brasseur Le juge et la Commission des clauses abusives: une nouvelle articulation, p.44 et spéc. p.47. 76Civ. 1ère 10/02/1998, Dalloz Affaires 1998, p.710. 77L’expression est de R.Libchaber dans ses observations sous Civ.1ère 13/11/1996 à la R.T.D.Civ.1997 p.791.

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78BOCCRF, 8/05/1991, p.121. 79Ibidem. 80Article R.132-6 Code de la consommation 81Ordonnance du 1er/12/1986, article 26, Voir Putman (E) Contentieux économique, 1ère éd.1998, PUF coll.Thémis n°174. 82Article L.151-1 du Code de l’organisation judiciaire. 83Ordonnance du 28/09/1967, article 12-1. 84Pour étude plus fouillée et un utile parallèle avec la procédure qui existe devant la Cour de cassation, voir Kuhnmunch (O) La Commission des clauses abusives et ses attributions, précité supra p.12 et 13. 85Pour une explication des débuts hésitants de la procédure, Voir Darrieux (Ph) Le regard des juges sur la Commission des clauses abusives, Rev.conc.,conso., 1998 n°105, p.39 et spéc.p.41. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 13

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LEVENEUR de réclamer que l’on respecte devant elle le principe ducontradictoire, que les parties puissent présenter leurs observationsavant le délibéré86. En conclusion, on dira que la Commission exerce une magistrature, mais qu’elle n’exerce qu’une magistrature de fait: tant au niveau de sa mission pré-contentieuse où ses décisions ne s’imposent pas de jure aux professionnels, qu’au niveau de sa mission contentieuse où ses recommandations et ses avis ne lient pas le juge. Pour autant, samagistrature a une efficacité que d’aucuns soulignent. D’ailleurs si la Cour de cassation ne reconnaît pas une valeur positive aux actes de la Commission, ce n’est pas tant parce qu’elle a une conception frileuse de la théorie des sources du droit, que parce qu’elle y décèle les signes d’une possible concurrence. En réalité, et la spécificité du contentieux des clauses abusives est remarquable au regard des autres contentieux économiques, la Commission exerce une magistrature complémentaire de celle du juge, un juge qui, sur le plan contentieux, garde le premier rôle. Au fond, l’évolution de l’office du juge et de l’office de la Commission ont été traversés par le même courant: dans les deux cas on a assisté à la prévalence du « juridictionnel » sur l’ « administratif », de l’exercice de la magistrature sur celui de la législature87. Le contentieux des clauses abusives se règlera dans le cadre du procès: c’est bien devant le juge que s’affronteront les intérêts sociaux. Le caractère collectif du contentieux des clauses abusives n’est pas pour autant négligé, c’est au moyen d’une réglementation spécifique de l’action en justice qu’il sera pris en compte. 86Op.cit. p.173. L’article R.132-5 alinéa 4 du Code de la consommation n’autorise pas les parties à présenter leurs observations avant le délibéré en cas de saisine judiciaire. 87Ne doit-on pas aussi y voir une preuve que, en ce qui concerne le juge, ‘‘ la juris-dictio ne saurait se borner à la legis-dictio’’?, voir S.Rials L’office du juge, Droits, n°9 La fonction de juger, p.3. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 14

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II.- L’ACTION EN JUSTICE DANS LE CONTENTIEUX DES CLAUSES ABUSIVES. Deux catégories de personnes sont titulaires du droit d’action en justice dans le contentieux des clauses abusives: les consommateurset les associations de consommateurs. L’attribution du droit d’action aux consommateurs souligne que la protection contre les clauses abusives est sélective. Ici, la bienveillance de la loi pour l’intérêt du consommateur se manifeste moins par l’attribution de ce droit que par le statut de faveur qu’il permet de faire respecter. En revanche, c’est bien l’attribution d’un droit d’action aux associations de consommateurs qui montre les préoccupations consuméristes du législateur. Admettre que les associations agissent en justice fait apparaître le droit d’action comme un moyende lutte. L’étude de la recevabilité de l’action montrera qui peut être l’acteur de cette lutte (A), l’analyse de l’objet de la demande permettra de mesurer l’efficacité des moyens de lutte (B). A- La recevabilité de l’action en justice La recevabilité de l’action en justice pose des problèmes différents selon qu’elle est exercée par le « consommateur » ou par une association; toutefois, dans les deux cas, c’est bien le particularismedu contentieux des clauses abusives88 qui est en cause. a- L’action en justice du « consommateur » Pour pouvoir contester la licéité d’une clause sur le fondement de l’article L.132-1 du Code de la consommation, le demandeur devra démontrer sa qualité de « consommateur ou non-professionnel ». Un débat pourra donc avoir lieu devant le juge quant à la qualité pour agir et l’on étudiera les deux questions qui lui posent visiblement le plus de difficultés: le consommateur peut-il être un professionnel ? Peut-il être une personne morale ? 1. « Le professionnel consommateur ». Voici un professionnel qui estime que le contrat dont on lui demande l’exécution contient des clauses répondant aux critères matériels de l’article L.132-1 du Code de la consommation. Pourra-t-il demander au juge de devenir l’un des acteurs du contentieux des clauses abusives ? Si l’on s’essayait à une théorie des divers sens de la notion de ‘‘consommateur’’, sans doute faudrait-il se représenter une variété de cercles concentriques. La qualité de consommateur semble en effet susceptible de degrés89. 88Et plus largement celui du droit de la consommation. 89Il s’agirait de tenter une théorie des théories du consommateur, notion peut-être envisageable au travers d’une ‘‘sédimentation’’, au sens que donne M.Atias à l’idée in Théorie contre arbitraire, PUF,1987, coll.Les voies du droit, p.171 et s. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 15

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Le « noyau dur » représente la conception restrictive de la notion: le consommateur est alors défini comme la personne qui se procure ou qui utilise des biens ou des services pour un usage non-professionnel90. Telle est la conception adoptée par certains auteurs91, par les instances communautaires92, par la Commission des clauses abusives93. La Cour de cassation a consacré cette définition stricte dans certains de ses arrêts94. La définition se rapproche ici du sens que la notion revêt en économie où prévaut l’idée de consommation finale, d’aboutissement du cycle économique. A s’en tenir à cette position, les juges refuseraient systématiquement au professionnel la qualité pour agir. Toutefois la Cour de cassation a pu consacrer d’autres approches. Le texte de l’article L.132-1 du Code de la consommation, qui n’a pas été modifié par la réforme de 199595, parle de consommateur ounon-professionnel: redondance ou possibilité d’extension de la protection à certains professionnels ?96

La Cour a pu estimer que lorsqu’il contractait en dehors de son domaine de compétence habituelle, le professionnel se trouvait dansle même état d’ignorance que n’importe quel consommateur, il devait donc bénéficier des dispositions protectrices97. Le critère était particulièrement extensif. La Cour semble aujourd’hui décidée à promouvoir un critère de distinction en fonction de la nature du lien unissant l’acte conclu à la profession exercée98. La voie « médiane » empruntée par la Cour 99 exclut de la protection les contrats qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle100. Ce critère suscite encore des interrogations et des critiques de la part de certains auteurs101. C’est en fait le principe même de la distinction entre professionnels et consommateurs qui est à l’origine de ces controverses. Le distinguo repose sur des fondements incertains102. De deux choses l’une : ou bien c’est la fonction de consommation que l’on protège etalors le juge doit refuser les demandes des professionnels, ou bien c’est de la puissance économique que l’on sauvegarde le 90C’est la définition que donne J.Calais-Auloy Propositions pour un code de la consommation, Documentation française, 1990, article 3. Voir aussi la définition de M.Cornu: ‘‘Tout acquéreur non professionnel de biens de consommation destinés à son usage personnel’’ in Vocabulaire juridique, PUF, 1987. 91MM.Calais-Auloy, Paisant, Leveneur. 92Voir par exemple la directive du 5/04/1993 sur les clauses abusives, article 2. 93Voir 14/09/1993 Société la Téléphonie centrale et Société SADAC, Contrats, concurrence, consommation 1992, n°92, note L.Leveneur. 94Voir Civ.1ère 24/11/1993, D.1994, Som.p.236, observ. G.Paisant; Com.10/05/1994, D.1995, Som. p.89, observ.D.Mazeaud; Civ.1ère 21/02/1995, J.C.P.1995, II, n°22502, note G.Paisant. 95Ce qui exprimerait la volonté du législateur d’adopter une conception extensive de la notion de consommateur selon Danglehant (C) Commentaire de la loi n°95-96 du 1er/02/1995 sur les clauses abusives et la présentation des contrats, A.L.D.1995, p.127. 96M.Th Feydeau La notion de consommateur: l’état de la jurisprudence, INC Hebdo du 12/12/1997, n°1015, p.13, où l’on apprend que la raison pour laquelle le texte parle de consommateur ou non-professionnel vient

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d’une mésentente entre le Sénat qui voulait employer la première notion et l’Assemblée qui tenait à la seconde. La Commission mixte paritaire a employé les deux notions, (pour ne fâcher personne !). 97Civ.1ère 28/04/1987, D.1987, Som., p.455, observ.J.L.Aubert ; RTDCiv.1987, p.537, observ.J.Mestre 98L’idée semble avoir été soutenue pour la première fois par M.O.Carmet Réflexions sur les clauses abusives au sens de la loi n°78-23 du 10/01/1978, RTDCom.1982, p.10 99M.Th Feydeau La notion de consommateur: l’état de la jurisprudence, précité, p.15. 100L’expression se retrouve dans tous les arrêts récents, voir en premier lieu Civ.1ère 24/01/1995, D.1995, Jur., p.327, note G.Paisant. 101Pour une approbation du critère, voir par exemple JP.Pizzio, Code de la consommation précité, pour une critique voir JP.Chazal Le consommateur existe-t-il, D.1997, Chr., p.260. 102Selon J.Mestre, la distinction est ‘‘trop manichéenne’’, Le consentement du professionnel contractant dans la jurisprudence, Mélanges Breton-Derrida, Dalloz 1991, p.252. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 16

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contractant supposé faible et il n’y a pas de raison de refuser aux professionnels les faveurs que l’on accorde aux consommateurs dans la même situation que lui103. La question se pose au juge dans des termes voisins lorsque c’est une personne morale qui réclame la protection contre les clauses abusives. 2. Le consommateur personne morale. De nombreuses personnes morales ne sont pas rompues à la vie desaffaires et n’exercent pas une activité professionnelle. Ne sont-elles pas dignes de la même protection que les consommateurs, d’autant plus que l’article L.132-1 du Code de la consommation ne les exclut pas de son domaine d’application ? Des juridictions du fond104, soutenues dans leur opinion par la meilleure doctrine105 ont ainsi accueilli favorablement la demande de personnes morales. Quant à la Cour de cassation, sa position peut se résumer ainsi : l’action de la personne morale sera recevable soit parce que son activité l’exclut du domaine professionnel et permet de la considérer comme un consommateur personne physique (associations, congrégations)106, soit parce qu’auvu du contrat conclu et de l’absence de rapport direct avec son activité professionnelle, elle peut être regardée comme un non-professionnel107. Lorsque l’association agît non plus dans son intérêt propre mais dans l’intérêt collectif des consommateurs dont elle a la charge, la recevabilité de l’action fait aussi difficulté. b- L’action en justice des associations. Dans le souci d’adapter le droit aux réalités de la société de consommation de masse, le législateur, dès 1973 a décidé d’habiliter les associations de consommateurs à exercer des actions en justice. Il a, en fait, tenté de créer le fait par le droit en favorisant ces actions108. C’est donc une action d’ « intérêt collectif » qu’il a consacrée, et c’est une action propre. En d’autres termes, il existerait un intérêt commun des consommateurs pris dans leur ensemble et cet intérêt est défendu par une association. En cela, l’action des associations n’est pas une action pour autrui : l’association ne défend pas une addition d’intérêts individuels de consommateurs identifiés mais un intérêt collectif. Il ne s’agît donc pas d’une action de groupe. Dans ce dernier type d’action, chaque personne lésée par le fait d’une même cause poursuit son intérêt propre, mais au lieu d’agir en ordre 103Le critère du rapport direct semble emprunter aux deux tendances, sous une apparence de rigueur, il peut donner lieu (et donne lieu) à de multiples interprétations. Autant dire que le contentieux des clauses abusives trouve, ici, la promesse d’un bel avenir. L’incertitude du fondement de la notion de consommateur, qui oscille entre une conception objective et une conception subjective, traverse tout le droit de la consommation. Voir sur ce point JP Pizzio L’introduction de la notion de consommateur en droit français, D.1982, Chr., p.91.

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104Voir CA Paris 4/07/1996, Dalloz Affaires 1996, n°33, p.1057, n°4 ; pour un parti politique CA Paris 5/07/1991, J.C.P.1991 éd.E, Pan., 988. 105J.Calais-Auloy et F.Steinmetz Droit de la consommation précité, n°4, Adde Propositions pour un code de la consommation, Documentation française 1990, article 3. 106Ainsi pourrait s’expliquer qu’elle ait rejeté l’action d’une S.C.I. (dont l’activité est lucrative) dans Civ.1ère 26/05/1993, Contrats, concurrence, consommation 1993, n°159, note G.Raymond ; et encore plus légitimement celle d’une société commerciale : Com.10/05/1994, D.1995, Som., p.89, observ.D.Mazeaud. 107Elle fait référence au critère du rapport direct dans Civ.1ère 10/07/1996, Contrats, concurrence, consommation1996, n°154, note G.Raymond. 108Sur cette idée voir Putman (E) La loi du 5/01/1988 sur l’action en justice des associations agréées de consommateurs, R.R.J.1988-2 p.341 n°1. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 17

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dispersé, elle agrège sa prétention à celle d’autres dans une action de groupe intentée par un seul109. Le législateur n’a suivi les propositions doctrinales110 l’invitant à consacrer une telle action qu’à demi-mot. Il a fait un pas vers la class-action111 en instituant en 1992 une nouvelle action : l’action en représentation conjointe, mais une réglementation trop lourde l’exclut pour l’instant des prétoires112. A la différence de l’action de groupe qui est une action pour autrui, l’action des associations, dans le contentieux des clauses abusives, est une action propre d’intérêt collectif. Comme dans d’autres domaines, le particularisme de ces actions rend délicate la définition de l’intérêt et de la qualité pour agir des associations. 1. L’intérêt pour agir. - La question est classique. Depuis 1913113, où la jurisprudence admit pour la première fois une personne morale privée à défendre un intérêt collectif, se pose la question de savoir ce qu’il est réellement. La question qui se posait pour l’action syndicale114 se pose pour l’action des associations de consommateurs ; le législateur, en accordant le droit d’action à ces associations, n’a pasdéfini l’intérêt qu’il défend. Une définition positive de cet intérêt est difficile115 et l’on a pu craindre que, par là, l’activité des associations ne soit pas maintenue dans de justes limites116. A tout prendre, les auteurs en donnent une définition négative. L’intérêt collectif se distingue, d’une part, de la somme des intérêts individuels des consommateurs. Il peut être lésé sans qu’aucun intérêt individuel ne soit atteint117, même si c’est souvent à l’occasion d’un fait qui porte atteinte à un consommateur que l’intérêt collectif subit par ricochet un préjudice distinct. L’intérêt collectif se distingue plus difficilement, d’autre part, de l’intérêt général118. Chacun d’entre nous n’est-il pas consommateur ? On aura dès lors tendance à estimer qu’il s’agît d’un intérêt général en quelque sorte « spécialisé »119 et que les associations jouent le rôle d’ « un ministère public à objet limité »120. L’imprécision en la matière est source de difficultés lorsque, comme nous le verrons plus loin, il s’agît d’évaluer le montant de la réparation due à l’association du fait de la lésion de l’intérêt collectif. Cette imprécision n’est toutefois pas fondamentale, dans lecontentieux des clauses abusives, pour l’appréciation de la recevabilité de l’action tant 109Pour une comparaison de l’action de groupe et de l’action collective, voir Kernaleguen (F) A propos du règlement des litiges de masse, Etudes offertes à H.Cosnard, Economica 1990, p.367. 110Voir Caballero (F) Plaidons par procureur !, de l’archaîsme procédural à l’action de groupe, R.T.D.Civ.1985, p.247 ; Martin (R) Le recours collectif au Québec et prospective pour la France, J.C.P.1986, I, 3255.

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111Voir Boré (L) L’action en représentation conjointe : class action française ou action mort-née ?, D.1995, Chr., p.267. 112Créée par la loi du 18/01/1992 (articles L.422-1 et s. du Code de la consommation), cette action n’intéresse pas directement le contentieux des clauses abusives: c’est une action en réparation. Nous n’y ferons que quelquesallusions en renvoyant pour le reste notamment à Calais-Auloy (J) et Steinmetz (F), op. cit. n°494. 113Réu. 5/04/1913, D.P.1914, I, p.165 note Nast ; Voir aussi L.Coupet L’action en justice des personnes morales de droit privé, thèse 1974, Faculté de Droit d’Aix-en-Provence, n°120 et s.. 114Reconnue par la jurisprudence de 1913 précitée et ensuite par la loi du 12/03/1920. 115Selon L.Coupet, ce sont ‘‘des intérêts de nature sociale, c’est-à-dire des intérêts partagés par un ensemble de personnes indéterminées au sein d’une Société donnée’’, th. précitée p.242 note 1. 116Calais-Auloy (J) Les actions en justice des associations de consommateurs, D.1988, Chr., p.194, 2ème col. 117L’article L.421-6 du Code de la Consommation sur lequel nous reviendrons autorise d’ailleurs une action préventive. 118Voir sur ce point Cadiet (L) Procédure civile, 2ème éd., Litec, n°860 et 863. 119Voir sur ce point L.Coupet, th. précitée n°135 et s. 120L’expression est de M.J.Héron Droit judiciaire privé, Montchrestien 1991, coll.Précis Domat, n°75. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 18

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les textes semblent peu exigeants. En effet, pour les actions exercées en dehors de toute infraction pénale, les articles de la loi du 5 janvier 1988 ne font pas allusion à cette condition de recevabilité121. On peut, sans doute, estimer avec un auteur122 que cette condition est nécessairement implicite pour l’exercice des actions en cessation. - C’est bien souvent, dans le même ordre d’idée, la question de l’actualité de l’intérêt qui est soulevée par les professionnels devantles tribunaux. Ils ont beau jeu de soutenir, dans certains cas, que lesassociations ne démontrent pas l’existence d’un préjudice subi par les consommateurs. Il faut en fait distinguer. Lorsque les associations agissent par voie d’intervention, selon les modalités que l’on examinera plus loin, la demande initiale du consommateur a bien pour objet un préjudice subi. L’association défend un intérêt collectif atteint par ricochet qui est distinct mais bien né et actuel. Quant elles agissent par voie de demande initiale (article L.421-6 duCode de la consommation), les associations exercent une action préventive : aucun consommateur n’a eu encore à subir les clauses contestées et pourtant l’action est recevable. La légitimité de l’intérêt prend alors le pas sur son actualité. Le caractère préventif de l’action fait alors obstacle, aux yeux de certains tribunaux123, à l’octroi de dommages/intérêts au profit de l’association. En réalité, il semble que le législateur ait fait dépendre l’intérêt à agir de la qualité à agir124. 2. La qualité à agir. Les associations défendent l’intérêt collectif des consommateurs, reste à savoir dans quelle mesure elles peuvent fonder une action pour le faire. - L’action suppose une investiture de l’autorité publique. Les articlesL.421-1 et R.411-1 du Code de la consommation précisent les conditions de cette investiture. Pour être agréée, l’association régulièrement déclarée doit avoir pour objet statutaire explicite la défense de l’intérêt des consommateurs et être représentative. L’association est donc déterminée par son objet. On passe, comme leremarque M. PUTMAN, d’une notion de « représentation en justice », à une notion plus large de « représentativité »125. Dans la pratique, ces habilitations sont assez largement octroyées, témoignage, de la part de l’Etat, d’un esprit accru de subsidiarité126.121Toutefois les articles concernés de la loi de 1988 sont insérés dans un Chapitre I du Titre II du Code de la consommation intitulé ‘‘Action exercée dans l’intérêt collectif des consommateurs ’’. Sur la valeur normative incertaine des titres du Code de la consommation, voir Bureau (D) Remarques sur la codification du droit de la consommation, D.1994, Chr., p.291 et spéc. n°14 et s. 122Pizzio (JP) Les nouvelles dispositions législative et règlementaire relatives à la prévention et au règlement deslitiges de consommation, ALD 1988, Comm. Légis., p.181 et spéc. n°23. 123Voir à cet égard la motivation de la CA Grenoble 3/06/1997: ‘‘Toute prévention est exclusive de tout préjudice’’, Contrats, concurrence, consommation 1997 n°139. Adde infra II/B/b

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124Selon le rapporteur du projet au Sénat (qui deviendra la loi du 5/01/1988), l’‘‘intérêt collectif est en réalité celui que les associations de consommateurs ont pour mission de défendre et c’est par rapport aux buts qu’elles poursuivent qu’il doit être défini’’ (doc.Sénat n°128, p.22); cité par JP Pizzio, commentaire précité p.184. 125La loi du 5/01/1988 sur l’action des associations agréées de consommateurs, précité p.360. 126Sur cette idée, E.Putman Contentieux économique, précité, n°351; voir aussi B.Oppetit Les modes alternatifs de règlement des différends de la vie économique, Justices n°1/1995, Justice et économie, p.53. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 19

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- L’investiture obtenue, l’association reçoit de la loi une qualité assez étendue pour agir. Pour ce qui concerne le contentieux des clauses abusives, le régime est assez complexe. La loi Royer du 27 décembre 1973 donnait une formulation large et compréhensive inspirée de l’article 5 de la loi du 12 mars 1920 relative à l’action syndicale: les associations pouvaient exercer « devant toutes les juridictions l’action civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs ». Les mots « action civile » donnèrent lieu à une difficulté dans la détermination du domaine d’application. Les plaideurs utilisèrent le texte pour fonder l’action civile accessoire à l’action publique devant le juge pénal; lorsque l’action était portée devant le juge civil, les magistrats du fond rendaient des décisions contradictoires. La Cour de cassation arbitra en ce sens que l’« action civile des associations doit s’entendre d’une action en réparation d’un dommage causé par une infraction pénale »127. C’esttoute la partie non-répressive qui échappait ainsi aux actions des associations (et le contentieux des clauses abusives en fait partie), et ce à une époque où on annonçait la dépénalisation du droit économique. La loi du 5 janvier 1988128 a, suivant sur ce point la Commission de refonte du droit de la consommation mise en place en 1982, aménagé l’action collective. Ses choix fondamentaux restaient assezclassiques: l’action de groupe espérée par la Commission n’est pas instaurée. C’est simplement le système de la loi Royer qui perdure, adapté aux potentialités de développement de l’action associative129.Toutefois, les auteurs ont rapidement remarqué un changement de perspective: l’orientation nouvelle est la recherche d’un assainissement des pratiques contractuelles130. Les actions en cessation abondent, notamment pour voir supprimer des clauses léonines. La loi invite à distinguer: . En cas d’infraction pénale, l’association s’est vue reconnaître un large droit d’agir (articles 1 et 2, devenus l’article L. 421-1 du Code de la consommation): en cas de préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs, elle a qualité pour demander une réparation pécuniaire ou la cessation des agissements illicites, voire la suppression d’une clause illicite (article 3 devenu l’article L.421-2 du Code) 131. On remarquera ici l’intention du législateur de suivre la jurisprudence de la Cour de cassation de 1985. . En l’absence d’infraction pénale, les associations peuvent agir sur deux fondements. D’une part, l’article 5 (article L. 421-7 du Code) leur permet d’intervenir à l’instance intentée initialement par un ou plusieurs consommateurs si l’action avait pour objet la réparation d’un préjudice. Elles ont alors qualité pour demander au juge,

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127Civ.1ère 16/01/1985, J.C.P.1985, II, 20484, note J.Calais-Auloy qui y voit le signe de la défiance des juges à l’égard des actions des associations ; Adde D.1985, Jur., p.317, note J.L.Aubert. 128Aux commentaires déjà cités Adde Viney (G) Un pas vers l’assainissement des pratiques contractuelles: la loi du 5/01/1988 relative aux actions en justice des associations agréées de consommateurs, J.C.P.1988, I, n°3355 ; Bihl (L) La loi du 5/01/1988 sur l’action collective des organisations de consommateurs, Gaz.Pal.du 17/05/1988,Doc.,p.268 ; Paisant (G) Les nouveaux aspects de la lutte contre les clauses abusives, D.1988, Chr., p.253. 129L’expression est d’E.Putman dans l’article précité, n°5. 130Voir Viney (G) Un pas vers l’assainissement des pratiques contractuelles: la loi du 5/01/1988 relative aux actions en justice des associations agréées de consommateurs, J.C.P.1988, I, n°3355, spéc. p.39 131Lorsque l’insertion dans le contrat d’un type de clause est pénalement sanctionné, l’association peut donc agirsur ce fondement. L’hypothèse est rare, nous n’y reviendrons pas. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 20

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notamment, des dommages/intérêts, la cessation d’un agissement ou la suppression d’une clause illicite. L’intervention est ici une intervention volontaire (article 66 du NCPC). D’autre part, l’article 6 (article L. 421-6 du Code) permet, cette fois par voie de demande initiale132, d’agir en suppression de clauses abusives stipulées dans les contrats types. C’est l’innovation majeure de la loi de 1988. La combinaison de ces deux derniers textes a pu soulever par la suite des difficultés. Dans les premiers temps de l’application des deux articles, les tribunaux se sont montrés assez conciliants avec les actions des associations133. S’est ensuite posée la question de savoir si l’article 6 permettait une intervention. L’intérêt résidait dans la possibilité d’éviter les conditions posées par l’article 5. Ainsi, il aurait été possible d’intervenir même quand la demande initiale n’était pas une action en responsabilité, et d’intervenir lorsque le consommateur est en position de défendeur. Certaines décisions, pour répondre par l’affirmative, arguaient de l’emploi du mot ‘‘demander’’ dans l’article 6, or, l’intervention est une demande incidente134. On pouvait à l’inverse faire valoir que le texte visait nécessairement une demande initiale car sinon, l’article 5 n’aurait plus aucune utilité135. La Cour de cassation, quand elle eût à se prononcer, reprit à son compte la première argumentation et dit que les associations sont recevables à agir en intervention sur le fondement de l’article L.421-6 du Code de la consommation136. Cette jurisprudence est favorable à une large recevabilité des actions des associations. Cette faveur se retrouve à l’étude de la réglementation de l’objet de la demande. B - L’objet de la demande en justice. Le consommateur peut exercer, individuellement, son droit d’action afin de demander l’éradication d’une stipulation contractuelle. Le particularisme du contentieux des clauses abusives vient ici du pouvoir de réfaction du contrat reconnu par la loi au juge. Toutefois,à dire le vrai, les exemples de réfaction du contrat par le juge abondent suffisamment dans la législation contemporaine137 pour que l’on n’y voie qu’une trace de l’air du temps. Plus originale semble la sanction que le demandeur peut requérir du juge: l’article L.132-1 du Code de la consommation dispose que les clauses abusives sont réputées non écrites. Beaucoup d’auteurs 138 soulignent qu’il ne s’agît pas de faire dire que la clause est nulle: la clause, selon une fiction de la loi, n’a jamais été stipulée et l’on demande alors au juge d’en tirer les conséquences nécessaires139. 132L’action sera ainsi recevable même en l’absence de toute action individuelle d’un consommateur. Voir par exemple TGI Albertville 17/01/1997, J.C.P.1997, IV, n°2501 ; CA Colmar 16/06/1995, J.C.P.1995, II, n°22932.

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133Voir la motivation de CA Paris 17/12/1990 qui est assez permissive commoe le remarque l’annotateur de l’arrêt. D.1991, Jur., p.350, note D.Martin. 134Voir en ce sens CA Grenoble 13/06/1991, UFC c/ DIAC, J.C.P.1991, II, n°21819, note G.Paisant. 135En ce sens CA Grenoble 6/10/1993 (rendu dans une autre formation que l’arrêt de 1991), J.C.P.1994, II, n°22237, note G.Paisant et son argumentation contre ce grief. 136Civ.1ère 6/01/1994, J.C.P.1994, II, n°22237 note G.Paisant.; Civ.1ère 13/03/1996, Dalloz Affaires 1996, p.610. 137Voir par exemple les articles 1152, 1644, 1722 du Code civil. 138Voir Kullmann (J) Remarques sur les clauses réputées non écrites, D.1993, Chr., p.59. 139La distinction entre clause nulle et clause réputée non écrite est séduidante. Plusieurs conséquences en découleraient : ainsi l’action pour faire constater le caractère non écrit d’une clause ne serait pas soumise à la THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 21prescription de l’action en nullité; de même, la clause réputée non écrite tomberait sans qu’il faille apprécier l’ indivisibilité du contrat; encore, l’office du juge se réduirait à une simple constatation. Voir Kullmann, op. cit., passim . Le législateur donne-t-il une telle portée aux mots qu’il emploie ? Comment expliquer l’article L.132-1 alinéa 8 qui dit que ‘‘le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses’’ ?

Lorsque la demande émane d’une association, le Code de la consommation prévoît un dispositif original. Il permet aux associations agréées d’intenter des actions en cessation pour voir les clauses querellées supprimées. Peuvent-elle aussi demander de dommages/intérêts ? a- L’action en suppression de clauses. 1. Objet de l’action en suppression. Plusieurs textes fondent 140 les associations à demander la suppression de clauses de contrats conclus entre professionnels et consommateurs. Par ‘‘ suppression’’ il faut entendre le fait de faire disparaître matériellement la clause du document contractuel. Le législateur a voulu renforcer les effets de l’éradication de la clause en l’effaçant, in concreto, des contrats proposés aux consommateurs. Ces derniers étaient en effet susceptibles d’exécuter le contrat, sans savoir que certaines de ses clauses étaient réputées non écrites, de même auraient-ils pu négliger d’invoquer la nullité d’une clause qu’ils pensaient s’imposer à eux141. Ainsi a-t-on prévu en 1988 que les associations pourraient désormais demander la suppression matérielle des clauses illicites par voie d’intervention (article 5) et des clauses abusives (article 6).Les premières sont celles visées par un texte législatif ou réglementaire, les secondes sont celles répondant aux critères matériels de l’article L.132-1 du Code de la consommation. Justement, l’article 5 parle de « clauses illicites » et l’article 6 de « clauses abusives ». Certains auteurs142 et tribunaux143 en ont déduit, au lendemain de l’adoption de la loi de 1988 que les clauses abusives se distinguaient des clauses visées par décret (= clauses illicites) et que les textes donnaient ainsi au juge un pouvoir autonome d’annulation des clauses répondant aux critères de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978. L’arrêt Lorthioir de 1991 a

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eu pour effet de faire droit à cette interprétation mais l’on néglige souvent de dire qu’il a aussi donné un nouveau visage à l’action en suppression de l’article 6: l’association pourra demander la suppression matérielle des clauses mais aussi leur nullité144. 140Voir supra II/A/b/2 141Sur ces arguments d’opportunité voir J.Calais-Auloy Les actions en justice des associations de consommateurs, précité, p.196, 2ème col. 142Voir J.Calais-Auloy Les actions en justice des associations de consommateurs, précité, loc. cit.. 143Voir les jugements reproduits dans l’article d’A.Morin Les actions en suppression de clauses abusives en France (Bilan d’application de l’article 6 de la loi du 5/01/1988), INC Hebdo du 25/06/1993, n°820 p.11, spéc. p.13, voir aussi la motivation explicite, quoique développée après l’arrêt Lorthioir, de CA Grenoble 13/06/1991, J.C.P.1992, II, 21819 et la note de M.Paisant. 144On doit préciser. Comme l’avait remarqué Mme Viney, l’action en nullité se distingue de l’action en suppression (commentaire précité p.42 1ère col.): en 1988, il n’était pas possible de demander au juge la nullité d’une clause puisqu’il n’en avait pas le pouvoir. Les associations ne pouvaient donc demander que la disparition matérielle des clauses visées par décret. Quand le pouvoir d’annulation du juge s’est affirmé, les associations ontété admises à demander, outre la suppression matérielle, la nullité de la clause. Sans doute a-t-on pensé que la possibilité de demander la suppression impliquait celle de demander la nullité. Reste que les textes n’autorisent que l’action en suppression. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 22

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2. Le domaine de l’action en suppression. Lorsque l’association agit par voie d’intervention sur le fondement de l’article L. 421-7 du Code de la consommation, elle peut demander la suppression, dans le contrat litigieux ayant donné lieu à la demande initiale, de la clause illicite145. Lorsque c’est sur le fondement de l’article L. 421-6 qu’agit l’association146, le texte lui permet de demander la suppression de clauses abusives « dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs et dans ceux destinés aux consommateurs et proposés par les organisations professionnelles à leur membres ». Ce texte pose un certain nombrede problèmes sur lesquels on doit s’arrêter. - Un problème d’interprétation du texte a tout d’abord concerné les contrats visés. Lorsque l’action est intentée par un consommateur, elle concerne un contrat déjà formé. A l’inverse, on déduit du caractère préventif de l’action en suppression de l’article L.421-6 du Code de la consommation et des termes employés par le texte147 que l’action intentée par les associations ne concernait que les contrats futurs, dont le modèle devrait être à l’avenir modifié. Certaines juridictionsdu fond, toutefois, ont considéré que l’action était recevable, même s’agissant de contrats en cours148. On a remarqué que la décision dujuge revêtait, dès lors, les caractères d’un arrêt de règlement puisqu’elle aurait pour conséquence d’atteindre des contrats conclus qui ne sont pas concernés par l’action149 ? Serait-ce un signede la résurgence des arrêts de règlement 150 ? Le problème a rebondi: il suffisait, en cours d’instance de retirer lescontrats litigieux qui, partant, n’étaient plus « habituellement » proposés, et les professionnels avaient prétendaient que l’action n’avait plus d’objet. La Cour de cassation a décidé qu’en effet l’action n’avait plus d’objet et donne le moyen au défendeur professionnel de court-circuiter l’action151. - Le texte a soulevé une autre difficulté. Il permettait, certes, d’atteindre les modèles de convention proposés par un professionnel, mais il ne permettait pas d’agir contre l’éditeur d’un modèle de contrat proposé par plusieurs professionnels. Ainsi par exemple, il n’était pas possible d’agir contre le franchiseur, éditeur d’un modèle de contrat largement diffusé: il fallait, dans ce cas, exercer autant d’action qu’il y avait de franchisés utilisateurs du modèle. C’est pourquoi l’article 4 de la loi du 1er février 1995 est venu modifier l’article L. 421-6 du Code de la consommation pour y intégrer le membre de phrase « et dans ceux 145Le texte renvoît à l’article L.421-2 qui permet aussi d’atteindre, et c’est plus remarquable, ‘‘ le type de contratproposé aux consommateurs’’. 146C’est-à-dire par demande initiale ou par voie d’intervention, cf. supra

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147Le texte ne parle pas de ‘‘contrats’’mais de ‘‘modèles de conventions’’, de même il emploie l’adverbe ‘‘habituellement’’. 148Voir CA Toulouse 6/12/1995, Dalloz Affaires 1996, p.386: ‘‘ (l’action) s’adresse non seulement aux futurs contrats, mais aux contrats en cours’’; TGI Toulouse 6/07/1993 cité par A.Morin Action d’intérêt collectif, les apports récents de la jurisprudence, INC Hebdo du 27/05/1994 n°860, p.6. 149Voir Pizzio (JP) Code de la consommation commenté, 1995, Montchrestien, p.411 et 412, qui remarque à juste titre que dans l’hypothèse où la clause a déjà été rendue illicite par un décret, rien ne s’oppose à ce que la décision du juge atteigne les contrats en cours. En effet, la clause est déjà réputée non écrite. 150Sinay (H) La résurgence des arrêts de règlement, D.1958, Chr., p.85 ; Beignier (B) Les arrêts de règlement, Droits 1989, n°9 La fonction de juger, p.45 qui parle d’un renouveau de fait (p.48). 151Voir Civ.1ère 13/03/1996, Dalloz Affaires 1996 n°20, p.610, RJDA 2/1997 n°284. La solution est-elle cohérente avec celle qui prévoît que l’action peut atteindre les contrats en cours ? On pourrait de plus observer avec M.Paisant (J.C.P.1994, II, 2237 n°8) que le contrat reste un ‘‘modèle’’ de convention. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 23

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destinés aux consommateurs et proposés par les organisations professionnelles à leurs membres »152. Telle précision avait été anticipée par les juridictions du fond153. La décision que rendra le juge a une portée dont la singularité ne laisse de surprendre: voici une décision qui concernera, le cas échéant, des contrats en cours ou à venir conclus entre des parties qui n’auront pas été appelées à l’instance. Si le principe de l’effet relatif de la chose jugée 154 est ainsi énervé, il faut y voir encore l’une des manifestations du caractère collectif du contentieux des clauses abusives, qui se fond mal dans le moule de notre droit judiciaire privé. Ce caractère collectif est à l’origine de difficultés lorsqu’il s’agît d’évaluer le montant de la réparation éventuellement due à l’association. b- La réparation du préjudice collectif. L’interprétation des textes pose deux sortes de problèmes: le premier porte sur le point de savoir s’ils autorisent l’association à réclamer une réparation pécuniaire pour la lésion de l’intérêt collectif des consommateurs, le second, à admettre le premier résolu, concerne l’évaluation de la réparation.

1. L’existence d’un droit à réparation.

Plusieurs arguments font douter de la possibilité pour les associations de réclamer des dommages/intérêts pour la lésion de l’intérêt collectif des consommateurs: - D’une part un argument de texte: l’article L. 421-6 du Code de la consommation ne prévoît pas une telle possibilité. Ainsi, plusieurs juridictions du fond ont refusé d’allouer des dommages/intérêts en vertu d’une interprétation restrictive du texte155. Notons toutefois qu’une telle demande est autorisée lorsque l’action est fondée sur l’article L. 421-7 (action par voie d’intervention) ou lorsqu’elle a pour objet la réparation du préjudice collectif subi par le fait d’une infraction pénale (article L. 421-2); et la doctrine de remarquer l’incohérence qu’il y aurait à refuser une réparation selon la nature de la sanction (civile ou pénale) ou selon la voie empruntée pour agir (demande initiale ou incidente)156. On pourrait aussi ajouter, pour refuser une indemnisation pécuniaire au profit des associations, que le texte de l’article L. 421-6 prévoît bien une réparation au préjudice 152Voir sur les travaux préparatoires Karimi (A) Les modifications des dispositiond du Code de la consommationconcernant les clauses abusives par la loi n°95-96 du 1er/02/1995, Petites affiches du 5/05/1995, sur les difficultés d’application Pizzio (JP) Les éditeurs de modèles de conventions et la protection contre les clauses abusives, INC Hebdo du 12/12/1997, n°1015, p.32, les limites de notre étude nous invitent à renvoyer à cette dernière étude. 153TGI Brest 21/12/1994, D.1994, Som., observ. JP.Pizzio, qui observe à juste titre que le principe de la relativitéde la chose jugée est quelque peu négligé !

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154M.Putman (commentaire précité n°33) a employé l’expresion , s’agissant de l’autorité de la chose jugée des décisions, d’une ‘‘autorité relative à effet collectif’’. 155Voir la motivation de CA Versailles 2/06/1994, BID 02/1995, p.19 ; CA Grenoble 3/06/1997: ‘‘l’article L.421-6 du Code de la consommation sur lequel est basée l’action de l’UFC 38 ne prévoît pas en faveur des associations habilitées à exercer une action en suppression des clauses abusives, un droit à réparation et donc l’octroi de dommages intérêts.’’ Contrats, concurrence, consommation 1997, p.14 ; voir aussi les jugements du premier degré reporoduits par A.Morin Les actions en suppression de clauses abusives en France (Bilan d’application de l’article 6 de la loi du 5/01/1988), précité, p.18. 156J.Calais-Auloy, commentaire de la loi de 1988 précité, p.197 ; Martin (R) Notes sur l’action associative en suppression des clauses abusives dans les contrats, Contrats, concurrence, consommation 1994, n°8, p.2 n°8. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 24

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causé, mais qu’il s’agît d’une réparation en nature consistant en la suppression des clauses querellées. - D’autre part, on invoque la nature de l’action en suppression de clauses abusives pour refuser une réparation. Dès lors, qu’en principe, l’action est préventive, c’est-à-dire qu’elle n’atteint que les« modèles de conventions » et non les contrats eux-mêmes, aucun préjudice n’a encore été subi par les consommateurs. N’y aurait-il pas, en outre, une contradiction à prétendre que, puisque l’action est préventive, elle est ouverte sans que l’association n’ait à démontrer l’existence d’un préjudice subi par un quelconque consommateur157, et dans le même temps, prétendre à des dommages/intérêts pour le préjudice subi par l’intérêt collectif des consommateurs ?158

A cette argumentation, on ne manque pas de répondre que le préjudice est bien réel: c’est l’existence même des clauses dans le modèle de contrats qui porte un préjudice, fût-il potentiel159, à l’intérêt collectif des consommateurs. C’est ainsi que nombre d’éminents auteurs160 et juridictions du fond161 vont dans le sens d’une indemnisation des associations pour la réparation, du fait de l’insertion de clauses abusives dans les contrats, du préjudice causéà l’intérêt dont elles ont la charge. On ajoute aussi généralement qu’une telle décision inciterait les associations à agir plus systématiquement162 et qu’il est légitime de récompenser leurs efforts. Il semble en réalité que les réticences à admettre un droit à indemnisation s’expliquent aussi par la difficulté d’en chiffrer le montant. 2. L’évaluation du préjudice collectif indemnisable163. Si l’on considère que l’habilitation des associations à agir s’analyse en la représentation de l’intérêt collectif164, il faudra attribuer à l’association la totalité des dommages/intérêts nécessaires. Il est déjà délicat de cerner la nature de l’intérêt lésé. Comment, en conséquence, lui donner une figure pécuniaire en déterminant la façon dont s’estime le préjudice que l’on lui cause ? Il n’est pas possible d’évaluer la réparation à la hauteur de la somme des préjudices subis par les consommateurs concernés car, d’une part l’action est préventive, et d’autre part, l’intérêt collectif se distingue de la somme des intérêts individuels. De plus, « ce que l’on entend (par intérêt collectif) c’est un intérêt non pas de la personne morale elle- 157Voir l’argumentation de Mme Viney au commentaire précité, p.43, et TGI Albertville 17/01/1997, J.C.P.1997, IV, 2501. 158Ainsi raisonne la CA Grenoble:‘‘toute prévention est exclusive de tout préjudice’’, Arrêt du 3/06/1997, précité.159Qui se distingue du préjudice éventuel: voir Req.1er/06/1932, D.1932, I, p.102 : ‘‘Si un préjudice éventuel ne peut donner lieu à l’allocation de dommages/intérêts, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur, apparaît aux juges du fait comme la prolongation certaine et directe d’un état de choses actuel et comme étant susceptible d’estimation immédiate’’.

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160J.Calais-Auloy Les clauses abusives: synthèse des travaux, INC Hebdo du 12/12/1997, n°1015, p.70 ; JP Pizzio, commentaire précité de la loi de 1988, n°46. 161CA Grenoble 13/06/1991, précité. Toutefois dans son arrêt du 3/06/1997 précité, la même Cour décide que la seule existence de clauses abusives dans le contrat ne dispense pas l’association de la preuve du préjudice collectif causé; voir la jurisprudence reproduite par A.Morin Les actions en suppression de clauses abusives en France (Bilan d’application de l’article 6 de la loi du 5/01/1988), précité, p.18. 162Ne risque-t-on pas de voir ici mis en doute le caractère désintéressé de leur action ? 163Le problème est indépendant de la question du remboursement des frais de l’instance engagés par l’association, qui est bien sûr légitime. 164Sur ce point, L.Coupet, thèse précitée, p.260 n°132. THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 25

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même, mais plus largement du groupe social dont elle est issue »165,c’est donc la réparation du préjudice subi par « un ensemble abstrait de consommateurs non individuellement désignés »166 que l’association réclame. On pourra estimer la réparation à hauteur de la faute commise ou du profit ainsi réalisé par le professionnel, mais moins que l’idée d’indemnité, c’est les aspects d’une peine privée que l’on surprend dans l’appréciation judiciaire167. Si l’on se tourne vers le préjudice et non plus vers la faute, l’insaisissabilité du concept d’« intérêt collectif » oriente les tribunaux dans deux directions. Ou bien ils accordent un franc symbolique et ordonnent une large publicité de la décision168, ou bien, ils accordent une somme qui est généralement comprise entre 5000 et 10000 francs169. Dans ce dernier cas, on ne peut manquer de critiquer un certain arbitraire170. Au terme de cette étude, on a l’impression que le juge exerce sa magistrature au sein d’un procès plutôt singulier. Il doit arbitrer, de concert avec une Commission qui participe aussi à la « mission contentieuse »171, entre l’intérêt d’un professionnel et peut-être derrière lui une multitude de professionnels utilisant le même contrat que lui, et celui d’un consommateur ou d’une association et derrière eux de nombreux consommateurs. Bref, c’est un peu comme si l’ensemble des professionnels et l’ensemble des consommateurs soumettaient au juge leurs intérêts contradictoires. Le procès reproduit en son sein l’ordre social général172. Mais, au vrai, est-ce si singulier ? Le procès n’est-il pas justement le« lieu du social », le dernier endroit où l’on discute de valeurs, de morale sociale173 ? Il ne s’agirait donc pas d’une nouveauté mais davantage d’une révélation, et sans doute faudra-t-il adapter notre procédure civile à cette mesure. Une réglementation de l’action de groupe plus audacieuse serait un élément de réponse. Le débat semble aujourd’hui hors de propos. Il sera nécessaire que le législateur s’en saisisse à nouveau174. Mars 1999 165J.Carbonnier, Droit civil, t.1, 8ème éd., p.288, n°82 166J.Calais-auloy, commentaire précité, p.195, 1ère col.. Le problème se pose ainsi dans des termes distincts lorsqu’il s’agît d’une action de groupe. Voir sur ce point Kernaleguen (F) A propos du règlement des litiges de masse, précité, n°26 et s. 167Sur cette idée voir L.Coupet, thèse précitée, p.260, n°132. Certains auteurs souhaitent d’ailleurs qu’un ‘‘véritable régime juridique de la peine privée soit mis en place en France ’’: Louis Boré Pour la recevabilité de l’action associative fondée sur la défense d’un intérêt altruiste, Rev. sc. crim.1997, p.751, spéc.n°21 ; Adde Carval (S) La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ 1995. 168Publicitée prévue par l’article L.421-9 du Code de la consommation. 169Selon l’étude de Mme Morin Les actions en suppression de clauses abusives en France (Bilan d’application del’article 6 de la loi du 5/01/1988), précité, p.18, certains pronocés atteignent 100000 francs. 170Les décisions ne s’expliquent généralement pas sur les motifs de leur évaluation, voir par exemple CA Grenoble 13/06/1991, J.C.P.1992, II, 21819.

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171E.Putman Contentieux économique, n°259; la Commission jouerait le rôle d’un expert, un ‘‘expert en abus’’, selon l’heureuse expression de M.Leveneur, op.cit., p.159. 172Sur cette idée, M-A Frison-Roche Le pouvoir processuel des associations et la perspective de la class-action, Petites affiches du 24/04/1996, n°50, spéc. n°21. 173Voir Zénati (F) Le procès, lieu du social, A.P.D.1995, tome 39 ‘‘Le procès’’, p.239, spéc.p.246. Adde C.Champaud L’idée d’une magistrature économique, précité, p.75 qui développe cette idée pour l’ensemble des magistratures économiques. 174M-A Frison-Roche Le pouvoir processuel des associations et la perspective de la class-action, précité, passim.THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 26THÉMIS U-III - www.themis.u-3mrs.fr 27