LE CHEMIN DE CROIX D’UNE RESTAURATION

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C Conservation par Isabelle Paradis E n 1907, l’abbé Elzéar DeLamarre fonde à Lac- Bouchette un ermitage de Capucins dédié à saint Antoine. Situé sur le bord d’un lac, l’ermitage possède plusieurs attraits dont des œuvres religieuses telles que la chapelle historique Notre- Dame de Lourdes, peinte par Charles Huot, une chapelle mariale de style moderne avec des reliefs en pierre de Marius Plamondon en façade, et un chemin de croix extérieur. Selon les écrits de l’abbé DeLamarre, c’est en 1917 que les sculpteurs Delwaide et Goffin réalisent leur première sculpture pour l’ermitage, un saint Michel en pierre. D’après la légende locale, c’est l’homme fort Victor DeLamarre, neveu de l’abbé, qui leva la sculpture de 545 kilos pour la poser sur un énorme rocher de granite. Par la suite, Delwaide et Goffin travaillèrent à la réalisation d’un imposant chemin de croix en pierre de 1919 à 1925. Ce chemin est composé de 43 personnages en calcaire qui illustrent les 14 stations de la Passion du Christ. Les princi- paux personnages, le Christ, Ponce Pilate, les soldats, les centurions, Marie Madeleine et Véronique, y sont représen- tés, grandeur nature, sur des socles de béton. Les sculp- teurs ont utilisé la montagne sur le site pour créer leur propre version de la montée du Golgotha. DES MARBRIERS-SCULPTEURS Les sculpteurs d’origine belge Anselme Delwaide et Rodol- phe Goffin ont quitté leur pays en 1914 pour s’installer à Chicoutimi. Sous l’enseigne « Delwaide-Goffin, marbriers- sculpteurs », ils réalisèrent de nombreuses commandes pour les églises et cimetières de la région ; leur atelier fut très prolifique dans les années 1920. Parmi leurs réalisations, on trouve le fronton de la cathédrale de Chicoutimi, qui représente saint François- Xavier baptisant des infidèles. Après la crise, dans les années LE CHEMIN DE CROIX D’UNE RESTAURATION Non loin du lac Saint-Jean se trouve l’Ermitage Saint-Antoine de Lac-Bouchette, un site magnifique où les pèlerins vont se recueillir en pleine nature. Pour accueillir leurs dévotions, un chemin de croix de pierre et de béton, érigé au début du XX e siècle, a récemment été ressuscité sous les bonnes œuvres du Centre de conservation du Québec. Créé à partir de 1917, le chemin de croix de l’Ermitage Saint-Antoine a subi au cours des ans les outrages du temps. Ici, un personnage en piètre état trouvé derrière une station. Photo : Martha Singer

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CC o n s e r v a t i o n

par Isabelle Paradis�

En 1907, l’abbé ElzéarDeLamarre fonde à Lac-Bouchette un ermitage deCapucins dédié à saintAntoine. Situé sur le bordd’un lac, l’ermitage possèdeplusieurs attraits dont desœuvres religieuses telles quela chapelle historique Notre-Dame de Lourdes, peinte parCharles Huot, une chapellemariale de style moderne avecdes reliefs en pierre de MariusPlamondon en façade, et unchemin de croix extérieur.Selon les écrits de l’abbéDeLamarre, c’est en 1917 queles sculpteurs Delwaide etGoffin réalisent leur premièresculpture pour l’ermitage, unsaint Michel en pierre.D’après la légende locale,c’est l’homme fort VictorDeLamarre, neveu de l’abbé,

qui leva la sculpture de 545 kilos pour la poser sur unénorme rocher de granite. Parla suite, Delwaide et Goffintravaillèrent à la réalisationd’un imposant chemin decroix en pierre de 1919 à 1925.Ce chemin est composé de 43 personnages en calcaire quiillustrent les 14 stations de laPassion du Christ. Les princi-paux personnages, le Christ,Ponce Pilate, les soldats, lescenturions, Marie Madeleineet Véronique, y sont représen-tés, grandeur nature, sur dessocles de béton. Les sculp-teurs ont utilisé la montagnesur le site pour créer leurpropre version de la montéedu Golgotha.

DES MARBRIERS-SCULPTEURS

Les sculpteurs d’origine belgeAnselme Delwaide et Rodol-phe Goffin ont quitté leur pays

en 1914 pour s’installer àChicoutimi. Sous l’enseigne« Delwaide-Goffin, marbriers-sculpteurs », ils réalisèrent denombreuses commandes pourles églises et cimetières de larégion ; leur atelier fut trèsprolifique dans les années1920. Parmi leurs réalisations,on trouve le fronton de lacathédrale de Chicoutimi, quireprésente saint François-Xavier baptisant des infidèles.Après la crise, dans les années

LE CHEMIN DE CROIXD’UNE RESTAURATION

Non loin du lac Saint-Jean se trouve

l’Ermitage Saint-Antoine de Lac-Bouchette,

un site magnifique où les pèlerins vont se

recueillir en pleine nature. Pour accueillir

leurs dévotions, un chemin de croix de pierre

et de béton, érigé au début du XXe siècle,

a récemment été ressuscité sous les bonnes

œuvres du Centre de conservation du Québec.

Créé à partir de 1917, le chemin de croix de l’ErmitageSaint-Antoine a subi au coursdes ans les outrages du temps.Ici, un personnage en piètreétat trouvé derrière une station.

Photo : Martha Singer

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1940, l’atelier déménagea àQuébec, rue Saint-Vallier, enface du cimetière Saint-Charles. L’atelier resta ouvertjusque dans les années 1960.L’enseigne « MonumentsDelwaide et Goffin » est tou-jours présente sur l’édifice du1105, rue Saint-Vallier, où unenouvelle compagnie de taillede pierres s’est établie depuis.

LA VOIE DOULOUREUSESUR LA MONTAGNE

Jusqu’aux années 1960, desfoules de pèlerins ont visité le chemin de croix. Sonimportance était telle qu’on ainstallé un haut-parleur à côtéde chaque station pour ampli-

fier le son de la prière récitéepar le prêtre. Au fil desannées, le chemin de croix aperdu de sa popularité pourêtre finalement victime desvandales. De nombreux per-sonnages ont ainsi été endom-magés ; certaines sculptures sesont même retrouvées en mor-ceaux derrière les stations.Plusieurs éléments, dont destêtes, des bras et des pieds,ont également disparu aucours des années. Le climat et certains pro-blèmes de conception ontcausé avec le temps des dom-mages que l’on a tenté deréparer. Les socles de bétonont ainsi été refaits mais, danscertains cas, le remède a étépire que le mal. Le niveau dessocles de quelques stations aété haussé, ce qui a eu pourconséquence de recouvrir lespieds de personnages et deprovoquer des fissures. Cesfissures ont par la suite étécolmatées avec un matériauinapproprié qui a changé decouleur et laissé l’eau s’infil-trer. Bref, ces interventionsont aggravé l’état des œuvreset, pour certaines d’entreelles, il n’était plus possible derevenir en arrière.

RESTAURATIONET PRATIQUE RELIGIEUSE

Afin de redonner vie au che-min de croix, l’ermitage a faitappel au Centre de conserva-tion du Québec et a profité duprogramme de subventions dela Fondation du patrimoinereligieux du Québec. Le che-min de croix étant toujoursutilisé, la restauration a étéabordée en tenant compte desbesoins de l’ermitage et del’exercice du culte. Les

Capucins voulaient que lechemin de croix soit remis envaleur tel qu’il était à l’origine,avec tous les personnages etleurs accessoires (croix, lanceen bois et chaîne). Cetteapproche, qui dépasse la res-tauration, a été retenue afinque les pèlerins puissent serecueillir devant un chemin decroix cohérent. Des facteurstels que l’environnement, leclimat et l’isolement desœuvres, qui sont sans sur-veillance, ont aussi été pris encompte.

UN CHANTIEREN PLEINE NATURE

Le chemin de croix est situé àl’orée d’une forêt où la végéta-tion est envahissante. Lesarbres très proches causantbeaucoup d’ombrage et d’hu-midité, les personnages depierre avaient tendance à secouvrir de mousse et delichens. Afin de ralentir la pro-lifération de la végétation, desarbres ont été coupés, d’autresont été élagués autour des sta-tions. Par la suite, on a nettoyéles sculptures afin de lesdébarrasser des débris végé-taux qui retenaient l’humidité.Dans certains cas, des com-presses chimiques de pulpe depapier ont servi à enlever destaches tenaces.Après avoir nettoyé les fis-sures présentes sur les person-nages et sur les socles, on ainjecté un coulis de chaux àl’aide de seringues. Cetteétape était très importante,car l’infiltration d’eau, sousl’effet du gel et du dégel,endommage gravement lapierre.Le sculpteur Gilles Miguel aété chargé de refaire les élé-ments disparus. À partir desphotographies anciennes con-servées par l’ermitage et desmoulages réalisés sur les per-sonnages complets, le sculp-teur a pu refaire les membresdisparus des statues. Le même

Le CCQ a fait appel au sculpteur Gilles Miguel pourremplacer les éléments disparussur plusieurs personnages. Les bras et la tête de cette statue ont été refaits.

Photo : Isabelle Paradis

La réinstallation des personnages s’est faite à l’aidede machinerie lourde, chaquestatue pesant plus de 300 kilos.

Photo : Isabelle Paradis

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type de pierre, du calcaire deSaint-Marc-des-Carrières, aété utilisé pour refaire les nou-veaux membres. Dans certainscas, un mortier de chaux a per-mis de refaire les petites par-ties de pierre manquantes.Les assemblages ont été réali-sés à l’aide de tiges d’acierinoxydable filetées et boulon-nées à l’intérieur de la pierre.De plus, un système d’ancrageavec des tiges filetées à l’inté-rieur des jambes a été installépour maintenir les person-nages sur leur socle de béton.La remise en place des sculp-tures de plus de 300 kilos n’apas été facile. Impossibled’installer des échafaudagesen raison de la dénivellationimportante du terrain et de laprésence d’arbres proches.Les personnages ont donc étéamenés sur place et installésavec de la machinerie lourde,qui a été manœuvrée avecfinesse par un employé del’ermitage. L’emplacement de chaque personnage a étédéterminé à partir des photo-graphies anciennes. Par ailleurs, un système derenfort a été ajouté derrière lessoldats en raison de la petitetaille de leurs jambes. Eneffet, lorsqu’un sculpteurtaille un personnage en pierre,les jambes sont toujours ren-forcées d’une masse de pierre

intégrée sous forme d’acces-soire, comme un rocher ou untronc d’arbre. Dans le cas dessoldats, le bas du personnageaurait dû être plus massif pourempêcher qu’il ne tombe.L’installation de renfortsd’acier inoxydable derrière cespersonnages était inévitablepour remédier à cette faibles-se. Ce choix de solidité aprimé l’esthétique pour desquestions de conservation etde sécurité.

L’ENTRETIEN COMMEMOYEN DE CONSERVATION

Afin d’aider l’ermitage àconserver le chemin de croix,

un plan d’entretien a étéconçu. Ce plan prévoit lespoints à surveiller lors des ins-pections et donne quelquesconseils sur les travaux d’en-tretien préventif. La conserva-tion à long terme de ce typed’œuvre dépend en grandepartie de l’entretien qu’on luiaccorde. C’est le moyen leplus simple et le plus efficacepour éviter des travaux de res-tauration importants.La restauration du chemin decroix de l’Ermitage Saint-Antoine s’est déroulée durantles étés 2000 et 2001 pour seterminer au printemps 2002.Trois restauratrices du Centre

de conservation du Québec etun sculpteur ont participé auprojet. Tous ont survécu auxmillions de brûlots de Lac-Bouchette !�

Isabelle Paradis est restauratricede sculptures au Centre de conser-vation du Québec.

Le chemin de croix tel qu’il étaitdans les années 1930.

Photo : ANQC, Fonds SHS, nég. 713