Le Chat Qui Aimait La Brocante - Braun, Lilian Jackson

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Braun, Lilian Jackson

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  • LE CHAT QUI AIMAIT LA BROCANTE

    PARLILIAN JACKSON BRAUN

    Traduit de langlais

    par Marie-Louise NAVARRO

    10-18INDIT

    Grands Dtectives dirige par Jean Claude Zylberstein

  • Titre original :

    The Cat who turned on and off Lilian Jackson Braun 1968

    U. G. E. 10/18 1992, pour la traduction franaiseISBN 2-264-01731-7

    Ne en 1916, Lilian Jackson Braun qui partage aujourdhui sa vie entre le Michigan et la

    Caroline du Nord, fut journaliste pendant toute sa carrire active. Entre 1966 et 1968, ellepublie les trois premiers livres de la srie qui met en scne Qwilleran et ses trangeschats-dtectives. Bien que le New York Times en ait vivement lou la qualit, elleinterrompit la srie jusquen 1986, anniversaire de ses soixante-dix ans ; parat alors, avecun succs retentissant, Le chat qui voyait rouge. Les livres suivants connaissent le mmesort si bien que Putnam, son diteur, qui envisage de rditer lensemble de la srie endition relie, a sign un contrat pour les dix prochains livres.

  • CHAPITRE PREMIER Le mauvais temps avait lanc ses premires offensives dbut dcembre. Dabord, la

    ville avait t noye sous des pluies diluviennes, puis un vent glac stait mis souffleret maintenant la neige tombait en abondance. Le blizzard sengouffra dans Canard Streetet parut se renforcer, en passant devant le Club de la Presse, comme sil nourrissait unerancune particulire envers les journalistes. Avec une prcision malicieuse, les plus grosflocons vinrent atterrir dans le cou de lhomme qui attendait un taxi, devant lentre duClub.

    Dune main, il releva maladroitement le col de son pardessus en tweed et sefforadenfoncer son chapeau jusquaux oreilles. Il tenait sa main gauche plonge au fond de sapoche. Il ny avait rien en lui de bien remarquable, en dehors de lexubrance de samoustache et de sa sobrit : il tait plus de minuit, neuf jours avant Nol, et cethomme, sortant du bar du Club de la Presse, ntait pas ivre.

    Un taxi sarrta au bord du trottoir. La main toujours dans sa poche, il monta envoiture et donna ladresse dun htel de troisime ordre.

    Medford Manor ? Voyons, je peux prendre Zwinger Street et la voie express, dit lechauffeur, en baissant son drapeau, ou bien je peux emprunter les boulevardspriphriques ?

    Zwinger Street, rpondit lhomme.Habituellement, il prfrait les boulevards priphriques qui revenaient moins cher,

    mais Zwinger Street tait plus rapide. Vous tes journaliste, nest-ce pas ? demanda le chauffeur.Lautre fit oui de la tte. Jai vu a tout de suite la faon dont vous tes habill. Ce nest pas que les

    journalistes soient de mauvais bougres. Jen ramne souvent de leur Club. Ils ne sont pasgnreux pour le pourboire, mais ce sont de braves types et on ne sait jamais si, un jour,on naura pas besoin dun ami dans la presse, pas vrai ? dit-il, en se retournant, avec unsourire complice.

    Attention ! cria le passager, tandis que le taxi faisait une embarde sur la chausseglissante.

    tes-vous au Daily Fluxion ou au Morning Rampage ? demanda le chauffeur. Au Fluxion.Un feu rouge arrta la circulation et le chauffeur en profita pour jeter un nouveau coup

    dil vers le sige arrire. Jai vu votre photo dans le journal. Je me souviens de la moustache. tes-vous

    chroniqueur ?Lhomme acquiesa silencieusement. Ils se trouvaient dans un quartier populeux.

  • Logements bon march et bars installs dans des demeures qui avaient, autrefois, abritllite de la cit.

    Fermez votre portire, reprit le chauffeur, vous navez aucune ide de la racaille quicircule par ici, aprs la tombe de la nuit : ivrognes, drogus, trafiquants de coco et autresstupfiants. Ctait nagure un quartier chic. Aujourdhui on lappelle Came-Village.

    Came-Village ? rpta lhomme, en montrant le premier signe dintrt. Vous tes journaliste et vous ne connaissez pas Came-Village ? Je ne suis pas ici depuis longtemps, dit-il, en tirant sur sa moustache avec sa main

    droite.La gauche tait toujours dans sa poche, quand il descendit lautre bout de la ville. Il

    entra dans le hall dsert de Medford Manor et passa rapidement devant le bureau de larception o un vieil employ somnolait, prs du standard tlphonique. Il pritlascenseur jusquau sixime tage, longea le corridor et sarrta devant la porte 606. Desa main droite il tira une clef de la poche de son pantalon, ouvrit et entra.

    Il referma doucement la porte, avant dallumer le plafonnier. Puis il resta un momentimmobile, examinant les lieux dun il attentif : le grand lit, le fauteuil, la commodeencombre, la porte de la salle de bains grande ouverte.

    a va bien, tous les deux, vous pouvez sortir, dit-il, en retirant la main de sa pocheavec prcaution. Je sais que vous tes l. Venez.

    Il y eut un craquement dans les ressorts du lit, suivi par le crissement dun tissu qui sedchirait et un bruit feutr sur le sol. Entre les franges souples du dessus-de-lit, deuxttes surgirent.

    Petits imbciles ! Vous tes encore alls vous fourrer dans les ressorts du sommier !Deux chats siamois sextirprent de sous le lit. On vit dabord deux ttes brunes, lune

    plus triangulaire que lautre, puis deux souples corps beiges, lun plus mince que lautre,et enfin deux longues queues sombres, lune termine par une nodosit. Lhomme tenaitun paquet envelopp dune serviette en papier dtrempe.

    Regardez ce que je vous ai apport : de la dinde !Deux nez de velours noirs humrent lair, deux paires de moustaches se dressrent et

    les chats poussrent un miaulement lunisson. Chut ! La vieille sorcire de la chambre voisine va encore se plaindre, dit-il, en se

    mettant dcouper les morceaux de volaille laide dun canif, pendant que les siamoisarpentaient la pice, queues dresses, en poussant leur duo discordant.

    Taisez-vous, dit-il, ce qui eut pour rsultat de faire amplifier les miaulements, je nesais vraiment pas pourquoi je me donne tout ce mal ! Il est contre les rglements de fairemain basse sur le buffet du Club, sans parler des inconvnients de transport : jai la pochepleine de jus !

    Sa voix fut couverte par un concert de clameurs indignes. Voulez-vous bien vous taire, tous les deux ! dit-il, au moment o le tlphone se

  • mettait sonner. L, quest-ce que je vous disais !Il se hta de poser terre le cendrier en verre rempli de dinde et alla dcrocher. Mr. Qwilleran, dit la voix chevrotante de lemploy de la rception. Excusez-moi de

    vous dranger encore, mais Mrs. Mason, au 604, dit que vos chats Je sais. Ils avaient faim. Ils vont se tenir tranquilles, maintenant. Si vous acceptiez de prendre une chambre sur cour le 619 est vacant, vous pourriez

    demander la rception, demain matin Ce ne sera pas ncessaire. Nous partirons ds que jaurai trouv un appartement. Jespre que vous ntes pas fch, Mr. Qwilleran, le directeur Vous tes tout excus, Mr. McIldoony, une chambre dhtel nest pas un logement

    convenable pour des chats. Nous nous en irons avant Nol du moins je lespre, ajouta-t-il, en regardant, autour de lui, la pice triste.

    Il avait connu des gtes plus fastueux au temps o il tait jeune, clbre et mari.Beaucoup deau avait pass sous les ponts depuis ses dbuts de reporter criminel NewYork. lheure actuelle, compte tenu de limportance de ses dettes et du montant de sesappointements dans un journal du Middle West, Medford Manor tait ce quil pouvaitsoffrir de mieux. Son seul luxe tait ces deux petits compagnons dont les gots onreuxgrevaient lourdement son budget. Les chats staient calms. Le plus gros dgustait ladinde, tte baisse, les yeux mi-clos. La petite femelle, assise un peu plus loin, attendaitrespectueusement son tour.

    Le journaliste enleva son veston, dfit sa cravate et rampa sous le lit pour essayer decolmater le trou fait dans la toile du sommier. Il y avait une modeste dchirure, aumoment o il tait venu sinstaller l, quinze jours plus tt, et elle navait cess deslargir. Il avait crit un essai, moiti srieux, sur le sujet pour la page humoristique duFluxion : Toute ouverture est un dfi la sensibilit fline ; pour un chat, cest unequestion dhonneur que dagrandir un trou et de se glisser travers, pour voir ce qui sepasse de lautre ct

    Ayant, tant bien que mal, rpar les dgts, Qwilleran palpa ses poches la recherchede sa pipe et sortit un paquet denveloppes. La premire portait la marque postale duConnecticut et navait pas t ouverte, il ne savait que trop bien ce quelle contenait :encore une de ces maudites demandes dargent ! La seconde crite lencre noire, avecdes fioritures fminines , il lavait lue plusieurs reprises. regret, Elle dcommandaitleur rendez-vous pour la soire de Nol. Avec tact, Elle expliquait que cet ami uningnieur ctait si soudain Qwill comprendrait.

    Il froissa la missive et en fit une boule, avant de la jeter dans la corbeille papier. Ilstait attendu cette nouvelle : sa correspondante tait jeune, les tempes et la moustachede Qwilleran grisonnaient de faon perceptible. Nanmoins, il tait du. Il navait plus decavalire emmener la soire de rveillon du Club de la Presse, seule clbration deNol laquelle il comptait participer.

    La troisime lettre tait une note du rdacteur en chef rappelant ses collaborateurs le

  • concours annuel. En dehors des trois mille dollars en espces, des prix viendraientrcompenser les mentions honorables sous forme de vingt-cinq dindes surgelesoffertes par la Cybernetic Poultry Farm Inc.

    Qui sattend tre ensuite aime, choye et clbre par les rdacteurs du Fluxionjusqu ce que la mort nous spare, dit Qwilleran, haute voix.

    Ya ! lana Koko, tout en continuant sa toilette.La chatte prenait maintenant sa part du festin. Koko lui abandonnait toujours la moiti

    de la nourriture ou au moins un bon quarante pour cent.Qwilleran caressa la fourrure de Koko, douce comme de lhermine, et smerveilla de sa

    nuance du beige ple au brun sombre , lune des russites les plus spectaculaires deDame Nature. Il alluma sa pipe et se laissa aller dans son fauteuil. Il aurait grand besoinde lun de ces prix en espces sonnantes. Il pourrait envoyer deux cents dollars dans leConnecticut et acheter des meubles. En disposant dun mobilier, il serait plus facile detrouver un logement o lon accepterait les chats.

    Il lui restait assez de temps pour crire un article susceptible de gagner le prix et de lefaire publier avant la fin de lanne, car le rdacteur en chef tait toujours court depapier pendant la priode des ftes. Arch Riker avait runi son quipe, la veille, en disant : Je compte sur vous pour trouver des ides, les gars. Mais il stait heurt lexpression morne des vtrans qui en ont trop vu.

    Il saperut que Koko le dvisageait avec attention. Pour gagner le prix, lui dit-il, il suffit dexploiter une bonne ide. Ya ! approuva Koko.Le chat sauta sur le lit, en regardant son ami de ses yeux brillants de sympathie. Ils

    taient bleu saphir en plein jour, mais dans cette pice mal claire, ils paraissaient tredonyx noir avec des clats de diamant et de rubis.

    Ce quil me faut, cest une histoire spectaculaire, sans vulgarit.Les sourcils froncs, Qwilleran lissait sa moustache avec le tuyau de sa pipe. Il pensait

    non sans irritation Jack Jaunti, un blanc-bec prtentieux qui tenait la rubriquedominicale. Il stait fait engager comme valet de chambre par Percival Duxbury, seulefin de pouvoir crire un article sur la vie prive de lhomme le plus riche de lacommunaut. Cet exploit lui avait alin la sympathie des premires familles de la ville,mais la vente du journal avait sensiblement augment pendant deux semaines et le bruitcourait que Jaunti allait se voir attribuer le premier prix. Qwilleran napprciait gure cesjeunes qui confondent toupet et savoir-faire.

    Enfin quoi, ce type ne sait mme pas crire ! dit-il son auditoire attentif.Koko le contemplait sans broncher. La chatte se mit rder en qute dun jouet. Elle se

    dressa sur ses pattes de derrire pour examiner le contenu de la corbeille papier et ypuisa la lettre que le journaliste avait jete, un moment plus tt. Elle la prit entre sesdents et la lui porta sur les genoux.

    Merci, mais je lai dj lue, dit-il, inutile de remuer le fer dans la plaie.

  • Il se pencha pour ouvrir le tiroir de la table de nuit et trouva une souris en caoutchoucquil lana travers la pice. La chatte bondit en avant, la renifla, fit le gros dos etretourna la corbeille do elle retira une enveloppe froisse quelle porta Qwilleran.

    Pourquoi vas-tu toujours farfouiller dans des ordures tout juste bonnes pour Came-Village, tu as de jolis jouets Came-Village, dit-il en se tournant vers Koko, voil unebonne ide : Nol Came-Village, je vais crire un article poignant sur ce sujet. Qui sait,avec un peu de chance, cela nous sortira peut-tre de cette mouise.

    Sa situation au journal tait considre comme confortable, pour un homme de plus dequarante-cinq ans, mais interroger des artistes ou des divinateurs sur lart de composerun bouquet japonais ne correspondait pas sa conception du mtier de journaliste. Ilbrlait du dsir dcrire des reportages sur des escrocs, des voleurs, des trafiquants dedrogue.

    Nol Came-Village Il avait dj procd des enqutes dans des quartiers malfamset savait comment sy prendre. Il suffisait dun vieux costume et dune barbe mal rasepour sintroduire dans les tripots. Ensuite, il ny avait qu couter parler les gens.Lastuce serait de mettre une note de compassion dans larticle, pour relater les tragdiescaches derrire ces rebuts de la socit et faire vibrer la corde sensible.

    Koko, dit-il, avant Nol, jaurai fait pleurer toute la ville !Le siamois fixait toujours Qwilleran en clignant des yeux. Celui-ci lui demanda dune

    voix grave et imprative : Quest-ce que tu veux enfin ?Il savait que le bol tait rempli deau froide et que la sciure, dans le plat de la salle de

    bains, tait propre. Koko se leva, gagna le bout du lit pour se frotter le menton, seretourna, fixant lhomme par-dessus son paule. Puis, nouveau, il se frotta le menton etses crocs firent un bruit mtallique sur la barre en cuivre.

    Quy a-t-il, Koko, que veux-tu ?Le chat billa, stira et sauta sur la barre en se balanant, tel un quilibriste. Il

    remonta, ensuite, la tte du lit, se dressa sur ses pattes, allongea le cou et appuya samchoire sur linterrupteur. Celui-ci cliqueta et la lumire steignit. Alors, avec ungrognement satisfait, Koko se mit en boule sur le lit et se prpara dormir.

  • CHAPITRE DEUX Nol Came-Village, dit Qwilleran au rdacteur en chef, quen pensez-vous ?Assis son bureau, Arch Riker dpouillait le courrier du vendredi et en cartait la plus

    grande partie. Perch au coin de la table, Qwilleran attendait la raction de son vieil ami,sachant quil ne pourrait rien dceler sur son visage impassible.

    Came-Village, dit-il enfin, il y a peut-tre quelque chose en tirer. Comment vous yprendriez-vous ?

    Jirais me promener dans Zwinger Street et me mlerais aux gens pour les amener parler.

    Et ensuite ? demanda le rdacteur en chef, en se balanant sur son sige. Cest un sujet brlant, jy mettrais beaucoup de cur.Le cur tait le mot clef du Daily Fluxion. De frquents rappels invitaient les diffrents

    rdacteurs mettre du sentiment dans leurs rubriques, y compris celle de lamtorologie. Riker approuva.

    Cela plaira au patron et a devrait nous attirer des lecteurs. Ma femme seraintresse, cest une cliente assidue de Came-Village.

    Qwilleran sursauta : Rosie ? Vous voulez direRiker continuait se balancer, avec insouciance, dans son fauteuil. Oui, elle y a pris got, il y a environ deux ans, et Dieu seul sait ce que cela me cote !Qwilleran mordit sa moustache pour dissimuler son dsarroi. Il connaissait Rosie

    depuis des annes, alors que Arch et lui dbutaient dans le mtier, Chicago.Comment est-ce arriv, Arch ? demanda-t-il avec douceur.Une amie la entrane, un jour, Came-Village et cela a suffi. Je commence moi-mme

    partager son vice. Figurez-vous que jai pay vingt-huit dollars une vieille thire entain. Cest le genre de choses auxquelles je ne rsiste pas : botes en tain, lanternes entain travaill

    Hein ! De quoi diable parlez-vous ? De quoi parlez-vous vous-mme, Qwill ? Il sagit de la camelote, de la brocante,

    quimaginiez-vous ? Je pensais la came, la drogue, si vous prfrez. Nest-ce pas ce que vous aviez en

    tte ? Pour votre information, Came-Village est le quartier o tous les brocanteurs de la

    ville se trouvent runis pour vendre leur camelote. Mais le chauffeur de taxi ma dit que lon y trouvait des trafiquants de drogue !

  • Bah ! Vous savez ce quil faut penser des propos dun chauffeur de taxi. Bien sr,cest un quartier en plein dclin et je ne nie pas quil puisse sy drouler certains trafics, lanuit venue, mais pendant la journe on y rencontre de nombreux amateurs dantiquits,comme Rosie et ses amies. Votre ex-femme ne vous a-t-elle jamais emmen chez unbrocanteur ?

    Je lai accompagne, une fois, chez un antiquaire de New York, mais je naime pas lesvieilleries.

    Cest dommage. Nol Came-Village me parat une bonne ide, mais il faut secantonner la brocante, le patron ne voudra jamais entendre parler dun ventuel traficde drogue.

    Pourquoi pas ? Je pourrais en tirer une mouvante histoire de Nol. Non, dclara catgoriquement Riker, ce nest pas le genre de la maison. Pourquoi ne

    pas approfondir cette ide, Qwill, et crire une srie darticles sur le monde de labrocante ?

    Je naime pas a, je vous lai dj dit. Vous changerez davis quand vous serez Came-Village. Vous vous laisserez prendre,

    comme les autres.Tout en parlant, il sortit son portefeuille et en tira une petite carte jaune. Tenez, voici une liste des brocanteurs intressants de Came-Village. Noubliez pas de

    me la rendre.Qwilleran jeta un coup dil sur quelques noms : Came-Lot, Les Trois Parques, La

    Belle Occase, Le Roi Lear, Au Bric--brac. Il eut une moue ddaigneuse. coutez, Arch, jai lintention dcrire quelque chose pour le concours, un papier qui

    prendra les lecteurs aux tripes. Que pourrais-je tirer dun pareil sujet ? Jaurais de lachance en gagnant la vingt-cinquime dinde surgele !

    Vous serez peut-tre surpris. Came-Village regorge de pittoresque. Il y a justementune vente aux enchres, cet aprs-midi.

    Je dteste a. Celle-ci promet dtre intressante. On liquide tout le stock dun brocanteur qui sest

    tu, il y a deux mois. Les ventes aux enchres sont des attrape-nigauds, si vous voulez mon opinion.On trouve beaucoup de femmes seules, parmi les brocanteurs, veuves ou divorces,

    cest un point qui devrait retenir votre attention. coutez, mon vieux, je nai pas de temps perdre pour vous vanter les perspectives dun tel reportage. Vous en tes officiellementcharg. Au travail.

    Trs bien. Donnez-moi un bon pour un taxi. Allez et retour, dit Qwilleran, dun airsombre.

    Il prit le temps de se faire couper les cheveux et tailler la moustache, puis il appela untaxi qui le conduisit Zwinger Street.

  • De jour, la rue offrait un aspect encore plus misrable. La plupart des vieilles demeuresvictoriennes et des htels particuliers taient abandonns. Certains avaient ttransforms en maisons meubles, tandis que dautres taient dfigurs par ladjonctiondune devanture de magasin. Des dtritus mls de la neige sale bouchaient lescaniveaux et des botes de conserve vides encombraient la chausse.

    Ce quartier est une honte pour la ville, on devrait le raser, grommela le chauffeur detaxi.

    Soyez tranquille, cela ne tardera gure, rpondit Qwilleran.Il contempla la rue, sans enthousiasme excessif. Ainsi, tel tait Nol Came-Village !

    lencontre des autres artres commerantes de la ville, Zwinger Street noffrait aucunedcoration de circonstance. Ni clairage spcial, ni guirlandes. Les pitons taient rares etles voitures circulaient rapidement, dans leur hte sloigner de ce quartier.

    Une brusque bourrasque lui fit presser le pas. Le premier magasin qui se prsenta taitsombre et la porte ferme clef. Sefforant de regarder lintrieur, travers la vitre, lejournaliste aperut une gigantesque sculpture en bois, reprsentant un arbre noueux surles branches duquel se balanaient des singes grandeur nature. Il recula. ct setrouvait la boutique baptise Les Trois Parques. Elle tait ferme, bien quune carte sur laporte invitt entrer.

    Le journaliste releva le col de son pardessus, en songeant quil avait eu tort de se fairecouper les cheveux. Sans plus de succs, il essaya dentrer La Belle Occase. Le magasinappe l Came-Lot semblait navoir jamais t ouvert. Entre deux boutiques debrocanteurs, il dcouvrit une sorte de bazar aux vitres sales. Lune delles portaitlinscription POPOPOPOULOS Fruits, tabac, articles divers.

    Il y entra pour acheter un paquet de tabac qui savra tristement sec. De plus en plusmorose, il passa devant un magasin de coiffure dlabr et un dispensaire minable, avantdatteindre une grande boutique dantiquits langle de la rue. Les scells avaient tapposs sur la porte et une affiche annonait la vente aux enchres. En regardant travers la vitre, Qwilleran distingua des meubles poussireux, des pendules anciennes,des miroirs et des statues en marbre. Il vit aussi se reflter la silhouette dun homme quiapprochait en clopinant. Une voix grave dit sur un ton aimable :

    Cette boutique vous plat-elle ?En se retournant, il se trouva en face dun ivrogne loqueteux et dbonnaire, une

    couverture de cheval jete sur le dos. Lhomme reprit : Savez-vous ce que cest ? De la crotte ! Oui, monsieur, de la crotte !Il rpta le mot plusieurs reprises en soufflant son haleine avine sur le journaliste

    qui recula avec dgot. Vous ne pouvez pas entrer, poursuivit livrogne, la porte est ferme, depuis le

    meurtre.Il dut lire une lueur dintrt dans les yeux de son interlocuteur, car il ajouta, en faisant

    le geste de plonger une arme imaginaire dans la poitrine de son vis--vis :

  • Poignard, monsieur ! Allez-vous-en, murmura Qwilleran, en sloignant.Un peu plus loin, il aperut danciennes curies transformes en atelier de rparation.

    Sans grand espoir, il essaya douvrir la porte. Ses pressentiments ne lavaient pas tromp.Il commenait prouver une impression de malaise, dans cette rue o tous les magasinsparaissaient ntre l que pour servir de dcor. O pouvaient bien se trouver lescommerants ? O taient ces collectionneurs prts payer vingt-huit dollars pour unevieille thire en tain ? Les seuls tres vivants en vue taient deux enfants qui jouaientdans la neige, une vieille femme en noir, tenant un filet provisions, et livrogne,maintenant assis sur le bord du trottoir gel.

    Au mme instant, Qwilleran leva les yeux et crut percevoir un mouvement derrire lavitrine bombe dun petit immeuble la faade frachement repeinte, dont la porte taitorne dun bel heurtoir en cuivre. La maison avait un aspect rsidentiel, mais uneenseigne discrte indiquait : Le Dragon bleu.

    Il gravit huit marches de pierre et essaya de tourner la poigne de la porte. sasurprise, elle souvrit et il entra dans un magasin dune lgance raffine. Un tapis persancouvrait le parquet cir, les murs taient garnis de tapisseries chinoises. Un miroir dor,surmont de trois plumes sculptes, tait pendu au-dessus dune table en acajou verni,portant un vase de porcelaine rempli de chrysanthmes. Un parfum de bois exotique et decire remplissait la pice, et le silence environnant ntait coup que par le tic tac dunependule.

    Stupfait, Qwilleran se tenait immobile, lorsquil eut limpression dtre pi. Il seretourna, mais ce ntait quune statue en bne, reprsentant un esclave nubien, coiffdun turban, un clair diabolique dans ses yeux de pierreries. Le journaliste avaitmaintenant conscience de lirralit de Came-Village. Il se trouvait dans un palaisenchant, au cur dune sombre fort.

    Une corde recouverte de velours bleu dfendait laccs dun escalier, mais au fond de lapice les portes taient ouvertes, comme pour vous inviter entrer, et Qwilleran pntra,prudemment, dans une salle haut plafond, remplie de meubles, de tableaux, dargenterieet de porcelaine de Chine. Des lustres de cristal pendaient du plafond travaill, le parquetcraquait sous ses pas et il toussa, intimid. Puis son regard fut attir par une note decouleur, la fentre. Il y vit un dragon en porcelaine bleue ; comme il sen approchait, ilbuta sur ce qui lui parut tre un pied dans une pantoufle brode. Il reculaprcipitamment. Une silhouette fminine, enveloppe dun long kimono de satinturquoise, se dtachait sur un fauteuil haut dossier sculpt ; le coude pos sur le bras dufauteuil, une main fine tenait un long fume-cigarette. Le visage semblait tre fait deporcelaine opalescente et la tte portait une perruque dun noir bleut. Qwilleran poussaun soupir de soulagement en se flicitant de ne pas avoir renvers ce ravissantmannequin, lorsquil remarqua la fume qui montait de la cigarette.

    Recherchez-vous quelque chose en particulier ? dit lapparition.Seules les lvres remuaient, dans son masque impassible ; les grands yeux sombres,

  • frangs de longs cils souligns dun trait noir, fixaient le nouveau venu sans rienexprimer.

    Non je regardais seulement, dit-il avec gaucherie. Il y a deux autres pices derrire et des peintures du XVIIIe sicle la cave, indiqua-

    t-elle, dune voix cultive.Il tudia son visage, en prenant mentalement des notes pour son article. Pommettes

    hautes, joues creuses, teint sans dfaut, cheveux de jais coiffs lorientale, regardobsdant, boucles doreilles en jade. Elle pouvait avoir trente ans.

    Je suis rdacteur au Daily Fluxion, dit-il, en se ressaisissant. Je me propose dcrireun reportage sur Came-Village.

    Je prfre ne pas mexposer la publicit, rpliqua-t-elle, dun ton glacial.Trois fois seulement, au cours de ses vingt-cinq annes de journalisme, il avait entendu

    quelquun dcliner lhonneur dtre cit dans la presse, et les trois personnes avaient pourcela une bonne raison : peur de la loi, du chantage, dune pouse acaritre. Mais quelcommerant a jamais refus le bnfice dune publicit gratuite ?

    Tous les autres magasins sont-ils ferms ? En principe, ils ouvrent onze heures, mais les brocanteurs ne sont jamais

    ponctuels. Combien vaut ce dragon, en vitrine ? Il nest pas vendre. Vous intressez-vous aux porcelaines chinoises ? Jai une tasse

    bleu et blanc de lpoque Hsuan-Te. Non, je cherche seulement une histoire. Savez-vous quelque chose sur la vente aux

    enchres qui doit avoir lieu aujourdhui ? Qui tait le propritaire de cette boutique ? Andrew Glanz, une autorit unanimement respecte en matire dantiquits, dit-elle,

    dune voix soudain plus basse. Quand est-il mort ? Le seize octobre dernier. A-t-il t tu au cours dun cambriolage ? Quest-ce qui vous fait penser quil sagit dun meurtre ? Je lai entendu dire et dans ce quartier vous comprenez Il a trouv la mort au cours dun accident. En voiture ? Non. Il est tomb dune chelle, affirma-t-elle, en teignant sa cigarette. Je prfre

    ne pas en parler. Cest encore trop trop tait ce un de vos amis ? dit-il, en sefforant dexprimer sa sympathie. Oui, mais si cela ne vous ennuie pas, MrMr

  • Qwilleran. Un nom irlandais ? demanda-t-elle, en changeant dlibrment de conversation. Non, cossais. Il scrit QW. Puis-je vous demander votre nom ? Duckworth. Miss Mary Duckworth, soupira-t-elle. Jai des antiquits cossaises

    ct. Voulez-vous les voir ?Elle se leva pour lui montrer le chemin. Grande et mince, le kimono lui confrait une

    sorte de grce tranquille. Ces chenets sont cossais, dit-elle, ainsi que ce plateau en cuivre. Aimez-vous le

    cuivre ? En gnral, les hommes lapprcient.Lattention de Qwilleran se porta sur un objet plac contre le mur, extrmit de la

    pice. Quest-ce que cest ? senquit-il, en dsignant un cusson en fer forg denviron un

    mtre de diamtre, surmont par trois chats en colre. Je pense quil sagit dun dtail ornemental dune grille de fer. Il provient, sans

    doute, de la porte dentre dun chteau et reprsente les armoiries de la famille. Mais cest lemblme des Mackintosh ! sexclama Qwilleran, je reconnais la devise :

    Ne touchez pas le chat sans mettre de gants. Ma mre tait une Mackintosh, ajouta-t-il, en tirant complaisamment sur sa moustache.

    Vous devriez lacheter, suggra Miss Duckworth. Quen ferais-je ? Je nai mme pas dappartement. Combien vaut-il ? Deux cents dollars, mais sil vous plat, je vous le laisserai pour cent vingt-cinq

    dollars. En fait, cest ce que je lai pay.Elle souleva la pice pour la prsenter sous un meilleur clairage. Vous feriez une excellente affaire. Si vous le revendez un jour, vous en obtiendrez

    toujours au moins ce prix et peut-tre plus. Cest le bon ct des antiquits. Celaconviendrait parfaitement au-dessus dune chemine. Regardez, il reste des traces dunedcoration en mail.

    Les yeux brillants, elle stait anime pour vanter sa marchandise. Qwilleran se sentitmollir.

    Il commenait considrer cette sduisante crature comme une cavalire possiblepour la soire de rveillon au Club de la Presse.

    Je vais rflchir, dit-il, en se dtournant regret. Entre-temps, je dois assister cettevente aux enchres. Savez-vous o je pourrais me procurer une photographie dAndrewGlanz ?

    Quel genre darticle comptez-vous crire ? demanda-t-elle, sa rserve premiresoudain revenue.

    Je dcrirai seulement la vente, en donnant un aperu sur la personnalit du dfunt. Silsagit dune autorit respecte

  • Jai quelques photographies, dans mon appartement, au-dessus. Voulez-vous les voir ?dit-elle, aprs une courte hsitation.

    Elle dcrocha la corde en velours qui barrait lescalier. Un berger allemand montait lagarde et grondait dun ton hostile, en haut du palier. Miss Duckworth lenferma avant deconduire Qwilleran travers un long couloir aux murs garnis de photographies. Ilreconnut des notabilits. Elle lui tendit trois photos de Glanz. Qwilleran en choisit une,montrant un homme jeune, au menton volontaire, avec une bouche ferme et des yeuxintelligents. Un visage honnte et sympathique.

    Puis-je vous emprunter celle-ci ? Je la ferai reproduire et vous la rendrai aussitt.Elle acquiesa, dun air triste. Vous avez un bel appartement, dit-il, en jetant un coup dil sur le salon tout en

    velours vieil or et soie bleue qui constituait un dcor romantique. Je ne mattendais pas trouver un endroit pareil Came-Village.

    Il serait souhaitable que des gens comptents achtent ces vieilles maisons et lesrestaurent. Jusqu prsent, les seuls suivre cette voie sont les Cobb. Ils ont un htelparticulier prs dici. Leur magasin est au rez-de-chausse et les tages ont t diviss enappartements.

    Savez-vous sils en ont un louer ? Oui, dit-elle, en baissant les yeux. Il y en a un de vacant. Je vais me renseigner, je cherche justement un logement. Mrs. Cobb est une femme charmante. Ne vous laissez pas impressionner par son

    mari. On ne mintimide pas facilement.Miss Duckworth se tourna vers lescalier. Des clientes venaient dentrer dans le

    magasin. Descendez, dit-elle, je fais sortir le chien et je vous rejoins.En bas, deux femmes lgantes se promenaient parmi les meubles. Quelle ravissante boutique, smerveilla lune. Il parat quon y trouve danciennes verreries Steuben, ajouta lautre. Oh ! Freda, regardez cette cafetire, ma grand-mre a exactement la mme. Je me

    demande ce quelle cote. Ici, ce nest pas donn, mais il y a toujours des pices de qualit. Ne vous montrez

    pas trop enthousiaste, vous y gagnerez sur le prix. On raconte que la propritaire taitlamie dAndy, murmura-t-elle.

    Vous voulez dire Andy celui qui ? Oui. Vous savez comment il est mort ? Chut ! la voici, fit lautre, avec un petit signe de tte.Pendant que Mrs. Duckworth entrait, Qwilleran se dirigea vers le fond du magasin pour

  • examiner de plus prs cusson des Mackintosh.Il tait massif et grossirement travaill. Il voulut le dplacer et fit la grimace. Lobjet

    pesait au moins cinquante kilos. Et cependant, il se souvenait que la dlicate Mrs.Duckworth lavait soulev sans effort apparent.

  • CHAPITRE TROIS Vers midi, Zwinger Street montra quelques signes danimation. Un ple soleil hivernal

    avait perc les nuages et donnait un aspect plus souriant au quartier. Les rues taientmaintenant frquentes. On y voyait un grand nombre de femmes et quelques hommesappartenant, manifestement, la population locale. Qwilleran dcida de prendre unrapide repas. Il dut se contenter dun sandwich et dun breuvage innommable quiprtendait tre du caf. Il en profita pour tlphoner au journal et demander quon luienvoie un photographe.

    Surtout pas Ptit Spooner, prcisa-t-il, il est maladroit et il y a beaucoup dobjetsfragiles ici.

    Vous me prenez au dpourvu, rpondit Riker, il faudra vous contenter de celui quisera disponible. Avez-vous achet quelque chose ?

    Non, dit Qwilleran, en raccrochant avec brusquerie, adressant toutefois une pensemue lcusson des Mackintosh.

    Vers une heure, la foule commena se rassembler. Andrew Glanz stait tabli dansun grand immeuble datant des annes vingt, alors que le quartier commenait devenirplus commercial. Du plafond de la boutique pendaient des chaises, des pots en cuivre etune grande quantit de lustres. Le magasin regorgeait de meubles entasss dans unfouillis htroclite pour laisser la place des ranges de chaises pliantes. Un escaliertroit conduisait une loggia do retombaient des tapis persans et des tapisseriesanciennes. Partout des panonceaux rappelaient : Si vous cassez quelque chose, vousdevrez lacheter.

    Des amateurs circulaient, examinaient la marchandise, soulevant un plat ou faisantsonner le cristal dun verre. Qwilleran se fraya un passage, en coutant dune oreilleattentive des bribes de conversation :

    Regardez ce cheval bascule, javais le mme au grenier et mon mari la brl dansla cuisinire !

    Si le petit homme est sur le pont, avec une ombrelle, cest de la porcelaine de Canton,mais sil est assis, dans une maison de th, cest du Nankin moins que ce ne soit lecontraire ?

    Je ne vois lpi nulle part, Dieu merci ! Voici lchelle dAndy. Ma grand-mre avait une aiguire de Meissen, mais la sienne tait bleue. Croyez-vous que lpi sera mis en vente ? mesure que lheure approchait, les gens prenaient place en face de lestrade qui avait

    t dresse. Qwilleran trouva une chaise libre, lextrmit dune range do il pouvaitsurveiller larrive du photographe. Une femme bien en chair, portant autour du cou deux

  • paires de lunettes attaches des rubans, vint sasseoir prs de lui. Cest ma premire vente aux enchres, lui confia-t-il, consentiriez-vous venir en

    aide un dbutant ?Elle semblait avoir t dessine au compas : gros yeux en boule de loto, dans un visage

    lunaire. Elle sourit, en arrondissant la bouche : Ne vous grattez pas loreille pendant les enchres, ou vous vous retrouverez

    propritaire dun trumeau que vous ne comptiez pas acheter. Jai bien cru que jallaisrater la vente. Javais rendez-vous chez lophtalmo et jai d attendre. Il ma mis desgouttes dans les yeux, je ny vois plus rien.

    Quest-ce que cet pi dont tout le monde parle ? Vous tes au courant de laccident dAndy ? Jai cru comprendre quil tait tomb dune chelle. Cest pire que cela, dit-elle avec une expression chagrine, pardonnez-moi, mais cette

    histoire me rend malade. Je prfre ne pas entrer dans les dtails. Je vous ai pris, toutdabord, pour un antiquaire.

    Je suis rdacteur au Daily Fluxion. Oh ! vraiment ? dit-elle, en secouant ses courts cheveux blancs et en levant sur lui

    un regard merveill. Allez-vous crire un article sur cette vente ? Je suis Iris Cobb. Monmari est le propritaire du Bric--Brac.

    Oh ! nest-ce pas vous qui avez un appartement louer ? En cherchez-vous un ? Le mien vous plaira srement. Il est meubl en ancien.Elle tourna les yeux vers la porte, en ajoutant : Je me demande si mon mari est l. Jy vois comme travers un brouillard. Comment est-il ? Grand et bel homme, probablement mal ras. Il porte une chemise en flanelle rouge. Il est au fond, prs dune vieille horloge. Je suis contente quil soit venu, il pourra pousser les enchres sans que jaie men

    occuper.Il parle un homme habill en Pre Nol. Cest Ben Nicholas, un brocanteur qui occupe un appartement dans notre maison et

    qui est propritaire du magasin appel Le Roi Lear. (Avec un sourire affectueux, elleconclut :) Cest un vieil idiot.

    Y a-t-il quelquun dautre que je devrais connatre ? Je vois un garon blond, avec desbquilles. Il est tout de blanc vtu.

    Russel Patch, le rparateur. Il ne porte que du blanc. Et cet homme maigre, devantnous, cest Hollis Prantz, murmura-t-elle. Il a ouvert une nouvelle boutique nomm Tech-Tiques. Celui qui tient une serviette en cuir, cest Robert Maus, lattorney du district.

    Qwilleran fut impressionn. La firme Hansblow, Maus et Castle tait lune des plus

  • prestigieuses de la ville. Trois coups de marteau vinrent interrompre les conversations. Lecommissaire-priseur savana sur lestrade et prit la parole :

    Nous avons l un lot de belles marchandises et des acheteurs aviss, aussi je vousdemande de formuler rapidement vos enchres. vitez de jacasser, afin que jentende lesoffres. Commenons. Voici un pichet de Bonnington, rve de tout collectionneur. Un peubrch, mais quimporte ! Qui men donne cinq ? Lenchre est cinq. Six ma gauche,lenchre est six. Nai-je pas entendu sept ? Sept au fond, huit ma droite, personnenoffre neuf ? Nous disons huit. Adjug !

    Des protestations slevrent dans la salle. Trop rapides pour vous, braves gens. Allons, rveillez-vous, nous avons beaucoup de

    marchandises liquider cet aprs-midi.Toutes les soixante secondes, un nouvel article passait sous le marteau. Encrier

    dargent, pot dtain, figurines en biscuit, bote priser. Trois assistants saffairaient surles cts, pendant que des porteurs allaient et venaient sur lestrade.

    Voici un beau pole en fonte maille, nous ne le porterons pas sur lestrade, vosyeux de lynx lauront dnich sur les marches de lescalier. Qui men donne cinquante ?

    Toutes les ttes se tournrent vers le monstre ventru sur ses pieds arqus. Jai cinquante. Qui dit soixante-quinze ? Cest une petite merveille. Lenchre est

    cent dix. Cela vaut le double. Lenchre est cent vingt. Encore un effort, cent trente ici.Un beau pole comme a ! Lenchre est cent quarante. Nous disons cent cinquante.Adjug cent cinquante.

    Le commissaire se pencha vers lassistant qui inscrivait les ventes pour dire : Vendu C. C. Cobb.

    Il est fou ! sexclama Mrs. Cobb, nous ne retrouverons jamais notre argent. Je parieque Ben poussait les enchres pour samuser. Il le fait tout le temps mme quand il saitque C. C. ne lchera pas.

    Avec votre permission, reprit le commissaire-priseur, nous allons procder la ventede quelques articles de bureau.

    Il y avait l des classeurs, un magntophone portatif, une machine crire, objetsoffrant peu dintrt pour les acheteurs prsents. Mrs. Cobb fit une enchre hsitante surle magntophone et lobtint pour une bouche de pain.

    Voici une machine crire, vendue dans ltat o elle se trouve. Il manque unelettre, je pense que cest le Z. Qui moffre cinquante ? Ai-je entendu cinquante ? Jepropose quarante ? Jattends quarante ? Trente ? Qui dit trente ?

    Vingt, cria Qwilleran, surpris lui-mme de son audace. Adjug cet astucieux gentleman la grosse moustache pour vingt dollars. Nous

    prendrons maintenant un petit repos de vingt minutes. Allons nous dgourdir les jambes, proposa Mrs. Cobb, en tirant familirement le

    journaliste par la manche.

  • Comme ils se levaient, lhomme la chemise rouge sapprocha. Pourquoi diable as-tu achet ce stupide magntophone ? demanda-t-il. Attends et tu verras, rpondit sa femme, avec un lger sourire. Je te prsente un

    rdacteur du Fluxion, il serait dsireux de louer notre appartement. Je naime pas les journalistes, grommela Cobb, en sloignant. Mon mari est le brocanteur le plus dsagrable de Came-Village, dclara Mrs. Cobb,

    avec fiert. Nest-ce pas quil est bel homme ?Qwilleran cherchait une rponse pleine de tact, quand un remue-mnage se produisit,

    prs de la porte. Le photographe du Fluxion venait darriver. Ptit Spooner mesurait unmtre quatre-vingt-dix et pesait prs de cent quatre-vingts kilos, harnachementprofessionnel compris.

    Oh ! quel dommage, sexclama Mrs. Cobb, ce doit tre le vase de Svres qui sestbris, en tombant du pidestal Empire.

    Est-ce un objet de grande valeur ? Huit cents dollars environ. Gardez-moi cette chaise, dit Qwilleran, je reviens.Ptit Spooner se tenait debout, visiblement mal laise. Je ny suis pour rien, affirma-t-il au journaliste, je me suis tenu distance de cet

    idiot de vase.Tout en parlant, il se retourna en accrochant un buste de Marie-Antoinette en marbre

    que Qwilleran rattrapa de justesse. Je vais monter en haut de lescalier pour avoir une vue densemble, dit le

    photographe. Faites attention, recommanda Qwilleran, si vous cassez quelque chose, vous devrez

    le payer.Ayant repris sa place prs de Mrs. Cobb, il lui expliqua : Cest le seul photographe de presse que je connaisse qui soit galement agrg de

    mathmatiques, mais il est maladroit.Le marteau rsonna et la vente reprit, avec les articles les plus convoits : une

    bibliothque anglaise, une commode Boule, une icne du XVIIe sicle, des candlabresflorentins en bronze dor. De temps autre, le flash du photographe crpitait.

    Et maintenant, voici deux magnifiques chaises Louis XV dorigineIl y eut un bruit. Quelquun cria : Prenez garde ! Lun des porteurs slana les bras

    tendus, juste temps pour redresser un trumeau dont le sommet atteignait le plafond.Une seconde de plus et le miroir se serait cras sur lassistance. Ptit Spooner se penchaitpar-dessus le balcon de la loggia. Rencontrant le regard inquiet de Qwilleran, il haussa lespaules, dans un geste dimpuissance.

    Je nai jamais vu autant dincidents une vente, dit Mrs. Cobb, cela me donne la

  • chair de poule. Croyez-vous aux esprits ?La salle tait nerveuse et bruyante. Le commissaire-priseur leva la voix en accentuant

    le rythme, agitant la main, le doigt tendu vers les acheteurs. Combien pour ce guridon ? Jai cinq cents ici. Ai-je entendu six cents ? Que vous

    arrive-t-il ? Ne voyez-vous pas quil a deux sicles ? Jen veux sept. Nous disons septAdjug sept cents dollars.

    Le marteau frappa sur la table, tandis que lexcitation de la foule allait crescendo. Leguridon fut prestement escamot et le public attendit avec impatience larticle suivant. Ily eut une pause, tandis que le commissaire-priseur sadressait lattorney dans unemuette pantomime. Les deux hommes stant apparemment mis daccord, un porteur vintposer un objet curieux sur lestrade. Dune hauteur dun mtre environ, il se composaitdune base carre surmonte par une boule en cuivre, elle-mme coiffe dune pointe enacier ayant la forme dun fer de lance.

    Le voil, murmura une voix derrire Qwilleran, voil lpi.Prs de lui, Mrs. Cobb se couvrit le visage des deux mains, en gmissant : Ils nauraient pas d faire cela ! Nous avons ici un pi ornemental provenant, sans doute, du toit dune des vieilles

    maisons de Zwinger Street, annona le commissaire. La boule est en cuivre massif.Combien men offre-t-on ?

    Un silence lui rpondit. Puis toute la salle se mit chuchoter : a me donne froid dans le dos. Je naurais jamais cru quils auraient le front de le mettre en vente ! Qui me propose une enchre ? insista le commissaire. Cest de trs mauvais got ! Est-ce quAndy est vraiment tomb dessus ? Comment, vous ne le saviez pas ? Il a t positivement empal. Adjug, lana le commissaire-priseur, vendu C. C. Cobb. Oh non ! scria Mrs. Cobb. cet instant, on entendit un fracas pouvantable. Un lustre en bronze stait dtach

    du plafond et venait de scraser sur le sol, manquant de peu Mr. Maus, lattorney dudistrict.

  • CHAPITRE QUATRE Autrefois, cela avait t une splendide demeure victorienne en briques rouges, avec des

    colonnes blanches dcorant le fronton. Aujourdhui, les peintures avaient besoin dtrerefaites et les marches scroulaient. Ctait l que se trouvait la boutique des Cobb. Lesbaies vitres de part et dautre de lentre taient garnies dobjets en verre de couleur etde tout un bric--brac. Aprs la vente, Qwilleran accompagna Mrs. Cobb chez elle.

    Jetez un coup dil dans notre magasin, pendant que je monte voir si lappartementest prsentable. Nous y avons entass tant de meubles au cours des deux derniers mois !

    Il est donc vacant depuis octobre ? Qui tait le dernier locataire ? Andy Glanz, dit-elle, dun ton dexcuse. Jespre que vous ne voyez pas

    dinconvnient prendre sa suite.Elle disparut dans lescalier et Qwilleran entra dans une pice de belles proportions,

    remplie dobjets varis, en plus ou moins bon tat. La pice suivante tait encombre : defragments architecturaux, chemines et : colonnes de marbre, vitraux, grilles en fer forg,rampes descalier. Enfin, il se trouva dans une salle pleine de lits en cuivre, de berceauxanciens, de vieilles malles. Il y avait mme un bar en acajou, avec une rampe en cuivre,provenant, de toute vidence dun saloon du dbut du sicle. Derrire ce bar se tenaitun homme en chemise rouge, mal ras et beau garon, qui se mit surveiller lejournaliste avec hostilit. Celui-ci lignora et prit un livre sur lune des tables. Les lettresdores de la couverture de cuir avaient t effaces par le temps. Il louvrit pour lire letitre.

    Ne touchez pas ce livre, grommela Cobb, ou alors achetez-le. Comment saurais-je si je veux lacheter, sans mme en avoir vu le titre ? Au diable le titre. Si le livre vous convient, prenez-le. Autrement, gardez les mains

    dans vos poches. Combien de temps croyez-vous que cette reliure ancienne rsistera sitous les curieux se permettent de la tripoter ?

    Combien en voulez-vous ? Je ne crois pas que je sois dcid le vendre. Pas vous, en tout cas.Des clients taient entrs et coutaient, amuss par la mine dconfite du journaliste

    qui sentit la colre le gagner. Quest-ce que cela signifie ? scria-t-il. Je suis un client comme un autre. Vous

    navez pas le droit de faire de discrimination. Je pourrais signaler le fait, on vousenlverait votre patente. Cet endroit est un vritable nid rats et la ville devrait le fairedmolir. Et maintenant, combien voulez-vous pour ce vieux bouquin ?

    Quatre dollars, juste pour que vous fermiez votre grande gueule. Je vous en donne trois, rpliqua Qwilleran, en posant les billets sur la table.Cobb les ramassa, les rangea dans son portefeuille et remarqua la cantonade :

  • Il y a plus dune faon de plumer un pigeon.Qwilleran ouvrit le livre quil venait dacheter. Ctait Les uvres du Rvrend Dr.

    Ishamael Higginbotham, sur limportance de la doctrine divine, explique avec clart etune extrme brivet.

    Mrs. Cobb fit irruption dans la pice. Jespre que ce vieux sacripant ne vous a pas embobin pour vous forcer la main,

    sinquita-t-elle. Taisez-vous, madame, lui ordonna son mari dignement. Venez prendre une tasse de caf, pendant que Cornball Cobb se consume de jalousie,

    proposa lpouse.Elle montra le chemin, montant lescalier en ondulant de ses hanches rondes. Ne faites pas attention C. C., dit-elle, par-dessus son paule. Cest un petit

    plaisantin, mais il nest pas mchant.Le palier spacieux du premier tage tait encombr dun amoncellement de vieilles

    chaises, tables, buffets et armoires. Plusieurs portes donnaient accs aux logementsprivs.

    Notre appartement est de ce ct, indiqua Mrs. Cobb, en dsignant une porte ouvertedo parvenait la musique dun poste de radio. Par ici, nous avons deux appartements pluspetits. Ben Nicholas habite celui du devant. Pour lui, cest pratique, car de sa fentre ilpeut surveiller son magasin. Lautre est plus tranquille parce quil donne sur la cour.

    Qwilleran suivit Mrs. Cobb et entra dans une grande pice carre, avec quatre hautesfentres et une effarante collection de vieux meubles. Son regard alla dun ancien orguede salon une paire de chaises dores, sattarda sur une table ronde lquilibre instable,drape dun chle brod, supportant une lampe huile.

    Vous aimez les antiquits, jespre ? demanda lhtesse, avec anxit. Pas prcisment, rpondit-il, dans un lan de sincrit. Quest-ce que cela

    reprsente ?Il dsignait un fauteuil quip dune armature mtallique et dun appui-tte en cuir. Cest un vieux fauteuil de dentiste, vraiment trs confortable pour lire. On peut le

    manuvrer avec les pieds. Le tableau au-dessus de la chemine est un bon primitifamricain.

    Avec une expression admirablement contrle, Qwilleran tudia le portrait dunearrire-grand-mre vtue de noir, aux lvres minces et dont les yeux gris contemplaient lemonde avec dsapprobation.

    Vous avez remarqu le lit ? senquit Mrs. Cobb, enthousiaste. Il est vraiment unique.Il vient du New Jersey.

    Le journaliste se retourna et resta sans parole. Le lit plac contre le mur avait la formedun cygne, une extrmit portait le cou et la tte sculpte de lanimal, et lautre seterminait par une queue.

  • Sybaritique, dclara-t-il avec froideur, et son htesse clata de rire.Une seconde pice avait t divise en cuisine, vestiaire et salle de bains. C. C. a install la salle de bains lui-mme, dit-elle. Il est adroit de ses mains. Aimez-

    vous faire la cuisine ? Non. Je prends la plupart de mes repas au Club de la Presse. La chemine tire bien et vous pourrez brler le bois qui est dans la remise. Est-ce

    que cela vous plat ? Je loue gnralement cent dix dollars par mois, mais pour vous cesera quatre-vingt-cinq dollars.

    Qwilleran regarda autour de lui et mordit sa moustache, en rflchissant. Ce mobilierlui soulevait le cur, mais le montant du loyer convenait parfaitement sa situationconomique.

    Jaurais besoin dune table pour crire, dune bonne lampe de bureau et dun endroitpour ranger mes livres.

    Cest facile. Je peux vous procurer tout cela.Il essaya le lit et le trouva suffisamment confortable. Le chssis reposant sur le sol

    noffrirait aucune tentation deux chats fureteurs. Jai oubli de vous en informer, jai deux chats siamois. Tant mieux. Ils nous dbarrasseront de nos souris. Hum, je crains quils ne les apprcient que sautes aux petits oignons ! Comment sappellent-ils ? demanda-t-elle, en riant de sa boutade. Koko et Yom-Yom. Le vritable nom de Koko est Kao KO Kung. Oh ! excusez-moi une minute, dit-elle, en sortant de la pice en courant.Elle revint quelques instants plus tard, en expliquant quelle avait un gteau dans le

    four. Une bonne odeur de pommes cuites et de vanille vint, du reste, confirmer ses dires.Pendant que Mrs. Cobb redressait les tableaux et essuyait la poussire, Qwilleran

    examina linstallation sanitaire. La salle de bains avait une baignoire archaque, avec despieds en forme de serres, des robinets dsuets et quantit de tuyaux. Toutefois, dans lacuisine le rfrigrateur tait neuf. Le vestiaire lui plut, car lun des murs tait entirementrevtu dtagres encastres, garnies de volumes relis en vieux cuir.

    Si vous dsirez utiliser ces tagres pour un autre usage, nous enlverons ces livres,promit Mrs. Cobb. Nous les avons trouvs au grenier. Ils appartenaient lhomme qui afait construire cette maison, il y a plus de cent ans. Ctait un directeur de journal, bienconnu pour ses ides abolitionnistes. Cette maison est historique.

    Qwilleran nota quelques noms : Dostoevski, Chersterfield, Emerson. Inutile de dmnager ces livres, Mrs. Cobb. Jaimerai peut-tre les parcourir. Alors, vous prenez lappartement ? dit-elle, en souriant gaiement. Bravo ! Nous

    allons clbrer cela en buvant une tasse de caf.Un moment plus tard, Qwilleran tait assis sur une chaise dore, devant une table

  • bancale, plongeant, avec dlices, sa fourchette dans un gros gteau recouvert de raisinssecs. Mrs. Cobb regardait dun air satisfait son futur locataire dvorer sa ptisserie jusqula dernire miette.

    Un peu plus ? Je ne devrais pas, dit-il, en considrant sa ceinture avec inquitude. Oh ! vous navez pas de souci vous faire pour votre ligne. Sans plus de manire, il attaqua la seconde portion de gteau, pendant que Mrs.

    Cobb lui expliquait les joies de vivre dans une vieille maison. Nous avons un fantme, annona-t-elle gaiement. Une jeune femme aveugle qui a

    vcu dans cette maison et sest tue en tombant dans lescalier. C. C. prtend quelle estfascine par mes lunettes. Quand je vais me coucher, je les pose sur la table de chevet et,le matin, je les retrouve sur la commode ou sur le bord de la fentre. Un peu plus decaf ?

    Merci. Il est trs bon. Est-ce que vos lunettes se dplacent toutes les nuits ? Seulement quand la lune est pleine.Elle parut songeuse et reprit : Avez-vous remarqu tous ces phnomnes qui se sont produits la vente, cet aprs-

    midi ? Le vase de Svres, le lustre et ce trumeau Je me demande Quoi donc ? On aurait dit que lesprit dAndy protestait Croyez-vous ce genre de choses ? Je ne sais pas. Oui et non. Quest-ce quAndy pourrait essayer de nous communiquer ?Qwilleran avait une expression damicale sympathie. Il possdait le don de sattirer les

    confidences des personnes les plus rticentes. Mrs. Cobb gloussa : Il protestait probablement parce que le commissaire-priseur ne faisait pas assez

    monter les enchres ! Tous les brocanteurs ont lair de penser que la mort dAndy est due un accident,

    mais ce matin, jai rencontr quelquun qui prtendait que ctait un meurtre. Non. Ctait bien un accident. La police la reconnu. Et cependant Oui ? Eh bien, il est trange quAndy ait t aussi distrait pour glisser et tomber sur cet pi.

    Ctait un homme trs prudent. Jaimerais en apprendre davantage sur lui, mais il faut que jaille chercher mes

    bagages et les chats. Je suis bien contente que vous vous soyez dcid. Ce sera chic davoir un journaliste

    chez nous.

  • Elle lui remit la clef de la porte dentre et accepta un mois de loyer. Personne ne ferme les portes de ltage, mais si vous dsirez une clef, je vous en

    trouverai une. Aucune importance, je ne possde pas le moindre objet de valeur. De toute faon, Mathilda traverse les murs. Qui cela ? Mathilda, notre fantme, dit-elle, en lui jetant un regard malicieux.

  • CHAPITRE CINQ Les chats savaient quil allait se passer quelque chose. Quand Qwilleran revint

    Medford Manor, tous deux taient assis, lun prs de lautre, lair inquiets. Eh bien, mes enfants, nous allons changer de crmerie, annona-t-il.Du haut de larmoire, il sortit la bote en carton, avec des trous daration sur le ct,

    que Koko connaissait bien, pour lavoir dj utilise deux fois. Il sauta, dailleurs, aussittdedans sans se faire prier, mais Yom-Yom refusa dapprocher.

    Viens, ma jolie.Transforme en morceau de plomb, elle saplatit sur le tapis, solidement ancre par

    vingt petits crochets efficaces. Elle ne consentit relcher ses griffes quen voyantapparatre une bote de conserve portant une tiquette bleue. Avec un miaulementgourmand, elle grimpa sur la commode.

    Cest un coup en tratre, mais tu my as contraint. Nous ouvrirons le poulet une foisarrivs Came-Village.

    Lorsquil dbarqua chez Mrs. Cobb, avec ses deux valises, ses quatre caisses de livres etsa bote chats, Qwilleran reconnut peine lappartement. Le fauteuil de dentiste etlorgue de salon avaient disparu. Le pole ventru, achet la vente, trnait dans un angle.Deux lampes avaient t ajoutes, lune au chevet du lit, lautre sur le bureau. La vieillefemme rbarbative ornait toujours le dessus de la chemine, mais un bureau ministre rideau mobile, un grand bahut ouvert pour les livres et un fauteuil Morris dmod, dossier inclinable, avec des coussins en cuir noir et souple, changeaient laspect de lapice.

    Ds quil eut ouvert la bote en carton, Yom-Yom sauta dehors et entama une coursefolle dans toutes les directions, pour finalement atterrir sur le haut du bahut. Kokomergea avec lenteur et circonspection. Il se mit explorer lappartementsystmatiquement et en dtail, jetant un regard approbatif sur le velours rouge des deuxchaises dores, contournant trois fois le pole, sans en dcouvrir lutilit, montant sur lachemine pour flairer le portrait primitif. Layant bien senti dans tous les sens, il sedressa et fit ses griffes sur un coin de la toile. Le tableau remua et glissa de travers.Satisfait, Koko adopta une pose avantageuse entre les deux chandeliers.

    Oh ! Quil est beau ! sexclama Mrs. Cobb qui entrait avec une pile de serviettes detoilette. Cest Koko, nest-ce pas ? Bonjour, Koko. Comment trouves-tu la maison, Koko ?

    Elle sapprocha de lui, en agitant un doigt sous son nez et en parlant dune voix defausset, comme le font beaucoup de personnes en sadressant aux animaux, ce quidplaisait toujours Koko. Il recula en la toisant avec mfiance.

    Vos chats vont se plaire ici, affirma-t-elle, en redressant le tableau. Ils pourrontsurveiller les pigeons de la cour.

  • Elle se dirigea vers la salle de bains pour y porter les serviettes et, ds quelle eut le dostourn, Koko en profita pour faire ses griffes dans un coin du cadre, lui donnant uneinclinaison quarante-cinq degrs.

    Je vois que vous avez procd des changements, Mrs. Cobb, remarqua lejournaliste.

    Juste aprs votre dpart, un client est venu acheter le fauteuil de dentiste. Jesprequil ne vous manquera pas. Jai mis le pole pour garnir ce coin. propos, que faites-vous pour votre linge ? Je peux men charger, si vous le dsirez.

    Je ne voudrais pas vous donner de mal, chre madame. Pas du tout et, je vous en prie, appelez-moi Iris, dit-elle, en redressant lembrasse des

    rideaux de velours vieil or. Voici ce que jai tir dun rideau de scne que C. C. a rcuprdans un thtre en dmolition, expliqua-t-elle.

    Est-ce vous qui avez dcor ce mur, derrire le lit ?Le panneau tait entirement tapiss avec des pages jaunies de vieux livres. Non. Cest une ide dAndy. Il tait grand amateur de livres. Venez donc bavarder

    avec moi, ds que vous serez install. Je vais faire du repassage. C. C. est parti expertiserune salle manger.

    Qwilleran rangea ses affaires, mit ses livres dans le bahut, plaa le coussin bleu deschats en haut du rfrigrateur leur place favorite et attira leur attention sur le nouveau dictionnaire non abrg qui leur servait faire leurs griffes. Puis il traversale palier pour se rendre chez Mrs. Cobb. La premire chose quil remarqua fut lesnumros colls sur tous les meubles. Mrs. Cobb repassait dans une cuisine spacieuse. Ellelinvita sasseoir sur une chaise en paille (A 573-091), prs dune table en pitchpin (D522-001).

    Vendez-vous les meubles de votre appartement ? Tout le temps. Mardi dernier, nous avons pris notre petit djeuner sur une table

    ronde en chne, le djeuner sur un guridon en citronnier et le dner sur cette table enpitchpin.

    Cela doit poser problme de dmnager en permanence. On sy habitue. Pour le moment, on minterdit de rien soulever. Je me suis fait un

    tour de reins, il y a deux mois. Comment avez-vous pu arranger si vite mon appartement ? Mon mari sest fait aider par Mike Lombardo, le fils de lpicier, un gentil garon. Il

    pense que les brocanteurs sont un peu timbrs et il na pas tout fait tort, naturellement. Mrs. Cobb Vous pouvez mappeler Iris. Moi, cest Qwill. Oh ! cest gentil, cela me plat, dit-elle, en souriant au pyjama quelle pliait.

  • Iris, jaimerais que vous me parliez dAndy. Cela maiderait pour crire mon histoiresur la vente aux enchres.

    Elle posa le fer lectrique sur son socle et regarda devant elle. Andy tait beau garon. Il avait de la personnalit. Il tait honnte et intelligent.

    Comme vous, il crivait. Jai toujours admir les crivains. Vous ne lauriez jamais devin,mais jai une licence danglais.

    Qucrivait Andy ? Surtout des articles pour les journaux spcialiss, mais il aurait pu crire un roman.

    Jen crirai un moi-mme, un jour. On rencontre de tels phnomnes, dans ce mtier. Que savez-vous de cet accident ? Comment est-ce arriv ? Un soir doctobre. Il avait dn avec le Dragon Sagit-il de Mrs. Duckworth ? Nous lappelons le Dragon. Donc Andy avait dn chez elle et il tait retourn son

    magasin. Ne le voyant pas revenir, elle est alle le chercher et la trouv dans une mare desang.

    A-t-elle appel la police ? Non. Elle est monte ici, affole, et C. C. a tlphon la police. Ils ont conclu

    quAndy tait tomb de lchelle, en essayant de dcrocher un lustre en cristal du plafond.Lobjet gisait sur le sol, en morceaux.

    Est-il exact quil soit tomb sur cet pi ? Oui. Cest incomprhensible. Andy tait si soigneux, tatillon mme ! Je ne parviens

    pas croire que cet pi se soit trouv l par hasard. Les brocanteurs se blessent parfois,mais cela narrivait jamais Andy. Il se montrait toujours trs prudent.

    Il avait peut-tre bu un verre de trop avec Mrs. Duckworth. Il ne buvait pas. Il tait assez collet mont. Jai souvent pens quil aurait fait un bon

    pasteur sil ne stait occup dantiquits, mais il sy consacrait entirement. Il taitvraiment n pour a.

    Ne pouvait-il sagir dun suicide ? Oh non ! Ce ntait pas son genre.Qwilleran fuma sa pipe un moment, en silence, puis il demanda : Croyez-vous quil aurait pu tre tu par un rdeur ? Je lignore. Verriez-vous un motif ce meurtre ? son tour, elle demeura silencieuse, en continuant repasser. Je vais vous confier quelque chose, si vous me promettez de ne pas le rpter C. C.

    Il se moquerait de moi Cest au sujet de lhoroscope dAndy. Je lavais lu dans le journal.Il tait n sous le signe du Verseau et lon disait quil devait se mfier dune tromperie. Jene men suis avise que le lendemain de sa mort.

  • Ce nest pas ce que lon peut appeler une preuve vidente. Andy tait-il fianc avecMrs. Duckworth ?

    Pas officiellement, mais ils se frquentaient depuis longtemps, dit Iris, les yeuxbaisss.

    Elle est sduisante, reconnut Qwilleran, en pensant aux yeux du Dragon. Commenta-t-elle ragi aprs sa mort ?

    Elle a t trs abattue et cela ma surprise, car cest un tel glaon ! C. C. pensaitquAndy lavait peut-tre laisse dans une situation intressante, mais cela mtonnerait.Andy tait trop bien lev.

    La chair est faible. En tout cas, il est mort avant la Toussaint, nous sommes presque Nol, et elle est

    toujours aussi plate quune planche repasser. Que va-t-on faire des biens dAndy ? Je pense que Mr. Maus sen occupe. Les parents dAndy vivent quelque part dans le

    Nord. Quels taient les sentiments des autres brocanteurs pour Andy ? tait-il aim ? Tout le monde le respectait, mais certains pensaient quil poussait lhonntet trop

    loin. Que voulez-vous dire ? Cest difficile expliquer. Dans ce milieu, il faut saisir toutes les occasions qui se

    prsentent. On travaille dur et on nest jamais sr du lendemain. Il nous arrive davoir desdifficults pour payer les traites sur lachat de cette maison parce que C. C. a utilis sonargent liquide pour acqurir un objet qui sera difficile vendre, comme ce pole, parexemple. Alors, le jour o lon a la chance de tomber sur une bonne affaire, on ne la laissepas chapper. Mais Andy trouvait ces pratiques immorales et il condamnait ceux qui entiraient un profit exagr. Il navait pas tort, sans doute, mais il allait trop loin. Cest laseule chose que lon pouvait lui reprocher. Ne parlez pas de cela dans votre article. Aufond, ctait un tre merveilleux, si plein de considration pour les autres, parfois de faoninattendue.

    Comment cela ? Eh bien, il tait toujours trs aimable avec Papa Popopopoulos, le marchand de

    fruits. La plupart dentre nous ignorent ce vieil homme. Et puis, il y a Ann Peabody.Quand les brocanteurs avaient une runion, Andy sarrangeait pour quelle ft prsente,au besoin il allait la chercher. Elle a quatre-vingt-dix ans et tient toujours sa boutique.

    Andy russissait-il sur le plan financier ? Il se dbrouillait, je suppose. Ses articles dans les journaux lui taient pays et il

    donnait des cours sur les antiquits et lhistoire de lart lAssociation des jeunes femmeschrtiennes. Dans ce mtier, chacun doit avoir une autre corde son arc ou un oncleriche. C. C. est jalonneur. Il a travaill ce matin, de bonne heure, malgr le froid. Il va o

  • lagence lenvoie. Il aime ce travail et cela nous aide souvent joindre les deux bouts. Miss Duckworth a-t-elle aussi un autre mtier ? Je doute quelle en ait besoin. Elle est riche. Son magasin renferme de trs belles

    pices et sa clientle est choisie. Elle possde une table jouer Sheraton pour laquelle jevendrais mon me.

    Je dois avouer que jai t surpris de trouver une telle boutique Came-Village. Je suppose quelle voulait tre prs de son amoureux. Mais nest-il pas dangereux davoir des objets de prix dans un pareil quartier ? Vous tes bien comme les autres ! Vous vous imaginez que Came-Village est mal

    frquent. Cest faux. Nous navons jamais dennuis. Il faut que jaille travailler, soupira Qwilleran, en se levant.En rentrant chez lui, il tourna linterrupteur et chercha les chats des yeux, comme il le

    faisait toujours. Ils taient l, chacun install sur une chaise dore, comme deux princessur leur trne, leurs pattes brunes replies sous leur poitrine claire, les oreilles noiresdresses, comme deux petites couronnes.

    Eh bien, vous semblez vous plaire ici, tous les deux. Il ne vous a pas fallu longtempspour vous sentir chez vous.

    Koko se mit sur son sant en disant : Ya ! et Yom-Yom, qui louchait un peu, toisaQwilleran de son air dtach, en murmurant quelque chose entre ses dents. Le journalisteouvrit la machine crire pour essayer les touches de sa nouvelle acquisition. Le rubantait us et la lettre manquante ntait pas le Z, mais le E. Il commena crire :

    L-sprit d-f-u Andr-w Glanz planait sur Cam--Villag-quand l-s trsors d- c-connais-urunanim-m-nt r-sp-ct fur-nt disp-rss la v-nt-aux -nchr-s qui a -u li-u c-t aprs-midi.

    Il se lana dans une description de ce quil avait vu et travailla un bon moment, en seconcentrant et en sefforant de ne pas penser deux yeux sombres qui sobstinaient lehanter. Puis une protestation sleva de la gorge de Koko et presque aussitt des pasretentirent dans lescalier. Pouss par la curiosit, Qwilleran ouvrit la porte, ensattendant voir lhomme habill en Pre Nol. sa place, il se trouva en face dunvisage sans sourcils, coiff dun bicorne napolonien.

    Bonjour. Je suis le nouveau locataire. Mon nom est Jim Qwilleran. Soyez le bienvenu dans notre humble demeure, dit lhomme, en faisant un salut

    profond. Mais que voyons-nous l ? ajouta-t-il, en regardant ses pieds.Koko avait suivi le journaliste dans le vestibule et se frottait affectueusement sur les

    bottes de ltranger. Je ne lai jamais vu se conduire ainsi, dit Qwilleran. Il nest pas familier, quand il ne

    connat pas son monde. Ils savent ! Ils savent ! Ben Nicholas est lami des oiseaux et des animaux. Je crois que vous avez un magasin prs dici. Jcris une srie darticles sur Came-

    Village, pour le Daily Fluxion.

  • Faites-nous la grce de nous rendre visite. Nous avons bien besoin dun peu depublicit.

    Je viendrai ds demain. Au plaisir de vous revoir. Un client nous attend, nous devons nous hter.Mrs. Cobb a raison, se dit Qwilleran, Ben Nicholas est un vieux fou ; mais cet homme

    excentrique plaisait, de toute vidence, Koko. La maison ayant retrouv son calme, Jimretourna sa machine et fut de nouveau obsd par les grands yeux noirs de Mrs.Duckworth.

    Elle est myope, ou elle a peur, pensa-t-il soudain.Un moment plus tard, il eut limpression quun mouvement se produisait derrire lui.

    Tournant la tte, il aperut la porte entrebille. Qui est l ? demanda-t-il.Nobtenant pas de rponse, il se leva et tira le battant. Il ny avait personne, mais

    lextrmit du palier, au milieu de lamoncellement de meubles divers, il y eut unfrmissement. Il se frotta les yeux et distingua le bout dune queue noire.

    Koko, polisson ! Veux-tu sortir de l !Il savait que ctait Koko, car la queue navait pas de nodosit. Le chat ignora

    linjonction, comme il le faisait toujours, quand il estimait devoir soccuper dune affaireimportante.

    Qwilleran traversa le palier et vit disparatre le chat derrire lorgue de salon. Ilcomprenait comment Koko tait sorti. Ces vieilles maisons avaient des poignes de portequi jouaient facilement et le chat navait eu qu sauter en saccrochant, comme il en avaitlhabitude, pour faire fonctionner le pne. Le journaliste se pencha au-dessus dunecommode tablette de marbre.

    Koko, viens, tu nas rien faire l, tu nes pas chez toi !Le chat stait juch sur un tabouret de piano et respirait bruyamment. Les moustaches

    en arrire, il flairait un objet mtallique orn dune boule de cuivre surmonte dun fer delance. Qwilleran tressaillit : Koko tait sorti de lappartement pour aller directement lpi. Il linspectait de haut en bas, bouche ouverte, les crocs nu, signe de rpugnance.

    Jim se baissa et saisit le chat qui se mit hurler comme si on ltranglait. Mrs. Cobb, cria Qwilleran travers la porte ouverte de lappartement voisin, jai

    chang davis. Je voudrais une clef.Pendant quelle fouillait dans un tiroir, Qwilleran lissa ses moustaches. Il prouvait

    une bizarre sensation quil avait dj ressentie lorsquil y avait du meurtre dans lair.

  • CHAPITRE SIX Ce soir-l, Qwilleran se pencha sur la bibliothque de labolitionniste et, fascin par un

    volume reli des numros du Librateur, il en oublia lheure. Vers minuit, il se renditcompte quil navait rien pour le petit djeuner du lendemain. Ayant remarqu undrugstore ouvert toute la nuit, non loin de l, il dcida daller sy ravitailler.

    La neige tombait doucement et il se tint quelques minutes sur le pas de la porte, pouradmirer le dcor. La circulation tait rare ; dans la pnombre, les vieilles maisonsretrouvaient un charme dsuet. La poudre blanche qui couvrait les portails faisait surgirdes arabesques. Au premier carrefour, la rue tait claire par la devanture dune picerie,du drugstore et dun bar appel La queue du Lion, do un homme sortit, dun pasincertain. Ben Nicholas mergea de sa boutique et se dirigea lentement vers le bar, enremuant les lvres. Remontant son col, Qwilleran entra dans lpicerie Lombardo. Ctaitune vieille boutique, avec des arbres de Nol quatre dollars quatre-vingt-quinze,entasss dans un coin, et une odeur de cornichon, de saucisse et de fromage trop fait. Ilacheta du caf en poudre et des biscottes pour lui, de la viande hache pour les chats. Ilchoisit aussi du fromage. Du cheddar pour lui, une crme de gruyre pour Yom-Yom etune petite portion dun fromage bleu inconnu pour Koko, en se demandant si ce produitlocal serait acceptable. Koko tait habitu au roquefort authentique.

    Au moment o il sortait du magasin, les yeux qui avaient hant ses penses toute lasoire se matrialisrent devant lui. Le teint de porcelaine paraissait encore plustransparent et des flocons de neige perlaient au bout des longs cils. La jeune femme leregarda sans rien dire.

    Comme vous le voyez, je suis toujours l, dit-il, pour rompre le silence, je me suisinstall chez les Cobb.

    Oh ! Vraiment, sexclama-t-elle, dun ton joyeux, comme si le fait de sinstaller Came-Village constituait une preuve de caractre.

    La vente a t pour moi une exprience intressante. Il y avait beaucoup debrocanteurs, mais vous ntes pas venue.

    Jen avais lintention. Au dernier moment, le courage ma manqu. Miss Duckworth, commena Qwilleran, mettant les pieds dans le plat, je voudrais

    rendre hommage Andrew Glanz, mais jai besoin dinformations. Voulez-vous maider ?Je sais que cest un sujet pnible pour vous, cependant, sa mmoire mrite ce tribut.

    Si vous ne citez pas mon nom dit-elle, en hsitant. Je vous le promets. Dans ce cas Quand cela vous arrangerait-il ? Le plus tt possible. Pouvez-vous venir chez moi, ce soir ? Je me couche toujours tard.

  • Entendu. Je porte mes achats la maison et je vous rejoins.Un moment aprs, Qwilleran tait assis sur un divan de velours dans le salon bleu et

    or, savourant larme de la cire, ml celui du bois de santal. Le chien tait enfermdans la cuisine.

    Ma famille dsapprouve mon installation dans ce quartier et a insist pour que jeconserve Hepplewhite comme gardien, dit-elle. Il lui arrive de prendre son rle trop ausrieux.

    Les avis semblent partags au sujet de Came-Village. Est-ce vraiment un quartiermalfam ?

    Je nai jamais eu dennuis. Naturellement, je prends des prcautions lmentaires,comme toute femme qui vit seule.

    Elle apporta une cafetire sur un plateau dargent. Qwilleran suivait ses gestesharmonieux avec admiration. Elle avait de longues jambes et la grce fline quil admiraitchez Koko. Quelle sensation elle produirait au Club de la Presse ! Elle portait un pantalontroit et bien coup, dun joli ton de bleu, et un chemisier assorti, en cachemire.

    Avez-vous t mannequin ? demanda-t-il, tout coup. Non, mais jai fait beaucoup de danse, classique et moderne.Elle servit une seule tasse de caf puis, au grand tonnement de Qwilleran, elle prit un

    flacon en cristal et se versa un verre de whisky. Jai lou lappartement cet aprs-midi et je me suis install aussitt, avec mes deux

    chats siamois, annona-t-il. Rellement ? Vous navez pas lair dun homme chats. Ils taient orphelins. Je les ai adopts. Le mle dabord, et la femelle ensuite. Jaimerais avoir un chat. Ils vont bien avec les antiquits. Ils sont si doux. Vous ne connaissez pas les siamois. Quand ils commencent jouer, vous avez

    limpression dtre pris dans un tourbillon. Maintenant que vous avez un appartement, vous devriez acheter lcusson des

    Mackintosh. Il serait parfait au-dessus de la chemine. Aime-riez-vous le prendre lessai ?

    Il est bien lourd transporter. Je dois mme dire que jai t surpris de voir avecquelle facilit vous lavez manipul ce matin.

    Je suis forte, cest ncessaire dans ce mtier. Que faites-vous pour vous distraire ? Des poids et haltres ? Je lis des livres sur les antiquits, dit-elle avec un petit rire, je vais des confrences

    et des expositions. Votre mtier vous tient vraiment cur. Il y a quelque chose de mystique dans les antiquits. Cela va plus loin que la valeur

    intrinsque dun objet, sa beaut et son ge. Il a travers des sicles au cours desquels des

  • tres humains lont aim. Il acquiert ainsi une personnalit qui vous touche. Cest commeun vieil ami. Comprenez-vous ?

    Vous expliquez trs bien, Miss Duckworth. Je mappelle Mary. Si vous aimez autant votre domaine, Mary, pourquoi refusez-vous de faire partager

    votre passion nos lecteurs ? Je vais vous le dire, reprit-elle, aprs une courte pause. Ma famille napprouve pas ce

    que je fais, ni surtout que je vive ici. Mon pre est banquier. En outre, il est anglais, vousvoyez la combinaison ? Il a financ cette affaire, condition que je ne provoque pas descandale. Cest pourquoi je refuse toute publicit.

    Elle servit une autre tasse de caf Qwilleran et se versa un second scotch. Offrez-vous toujours du caf vos invits, pendant que vous buvez du whisky

    millsim ? demanda-t-il, dun ton moqueur. Seulement lorsque ceux-ci sont des abstentionnistes intgraux, rpondit-elle, avec

    un sourire ambigu. Comment savez-vous que jen suis un ?Elle plongea le nez dans son verre, avant de rpondre : Parce que jai tlphon mon pre cet aprs-midi, en lui demandant de contrler

    vos lettres de crance. Jai appris, ainsi, que vous avez t chroniqueur judiciaire NewYork et Los Angeles et que vous avez crit un important ouvrage sur la criminalit dansles villes.

    Est-ce l tout ? Non. Je sais aussi que vous avez eu des annes difficiles, conscutives un mariage

    malheureux, que vous vous tes adonn la boisson, pendant un certain temps, mais quevous en tes guri et enfin que vous travaillez au Daily Fluxion o vous russissez fortbien.

    Qwilleran rougit. Il avait lhabitude de se pencher sur la vie des autres. Voir sa propreexistence mise nu le dconcertait.

    Qui est votre pre ? Puis-je vous faire confiance ? dit-elle, en croisant ses longues jambes.Sans attendre sa rponse, elle dclara : Cest Percival Duxbury, de la Midwest National Bank. Duxbury ? Mais, alors, Duckworth nest pas votre vritable nom ? Je lai pris des fins professionnelles. Une Duxbury Came-Village, dit-il mi-voix, quel article cela ferait ! Vous mavez promis le silence ! Soyez tranquille. Je nai quune parole. Mais, dites-moi, pourquoi Zwinger Street ?

    Vous pourriez aussi bien installer un magasin comme celui-ci en ville ?

  • Je me suis prise de ces vieilles demeures. Elles ont tant de caractre ! Dabord, jait sensible ce quartier qui rsiste la modernisation, mais aprs avoir vcu quelquesmois ici, je me suis attache aux gens qui le peuplent.

    Les brocanteurs ? Pas exactement. Les brocanteurs font ce mtier avec passion et je les admire pour

    cela, bien quavec certaines rserves. Non, je parle des gens de la rue. Mon cur va verseux, les vieux, les solitaires, les trangers, les illettrs Est-ce que je vous choque ?

    Non. Vous me surprenez agrablement. Mais je crois comprendre. Les petites genssont si humains !

    Ils sont authentiques et profondment individualistes ! Ma vie passe parattellement superficielle et vaine par comparaison ! Jaimerais faire quelque chose pour cequartier, mais je ne sais pas si ce sera possible. Je ne possde pas de fortune personnelleet mon pre ne se laissera pas convaincre aisment Avez-vous faim ? demanda-t-elle, enchangeant de ton.

    Sans attendre de rponse, elle se leva et revint avec une assiette de canaps de caviar etde saumon.

    Si nous parlions dAndy Glanz, reprit-il, quand ils se furent restaurs. Quel genredhomme tait-il ?

    Andy a beaucoup fait pour Came-Village. Il a donn des confrences et a amen lesconservateurs de muses et les collectionneurs srieux saventurer dans Zwinger Street.

    Peut-on le considrer comme le chef de Came-Village ? votre place, jviterais dcrire cela. C. C. Cobb estime quil est le leader du quartier.

    Cest lui qui a ouvert la premire boutique. Il a t, en quelque sorte, le promoteur deCame-Village.

    Comment dcririez-vous le caractre dAndy ? Il tait dune honntet scrupuleuse. Nous avons tous de menues fautes nous

    reprocher sur ce plan, mais pas Andy. Il avait le sens des responsabilits et le courage deses opinions. Un soir, nous passions en voiture, prs dune maison abandonne, et il a vude la lumire. Il est descendu et il a trouv un homme en train de sapproprier des tuyauxde plomb.

    Cest illgal, je crois ? Les maisons promises la dmolition sont proprit de la ville. Nimporte qui

    dautre ne sen serait pas ml, mais Andy na jamais craint de prendre position. Les autres brocanteurs partagent-ils votre admiration pour Andy ? Oui et non. Il existe toujours une certaine rivalit entre eux, mme quand ils sont en

    bons termes. Andy avait-il dautres amis que je pourrais interroger ? Mrs. McGuffey. Cest une institutrice en retraite. Andy la aide installer sa

    boutique.

  • Andy sentendait-il bien avec Cobb ? Il tait diplomate et savait sy prendre avec C. C. Mrs. Cobb laimait beaucoup. Du

    reste, Andy tait ador des femmes. Et Ben Nicholas ? Leurs relations taient amicales, bien quAndy reprocht Ben de passer trop de

    temps La Queue du Lion. Ben boit-il ? Il aime le cognac, mais il ne dpasse jamais une certaine mesure. Cest un ancien

    acteur et il met un point dhonneur ce que nul ne lignore. Que savez-vous du garon blond qui marche avec des bquilles ? Russel Patch travaillait pour Andy et ils taient grands amis. Brusquement ils se sont

    spars et Russel sest install son compte. Je nai jamais bien su la cause de leurquerelle.

    Pourtant vous tiez lamie intime dAndy ? lana-t-il, brusquement.Mary se leva et traversa la pice, en qute de cigarettes. Elle trouva un paquet, revint

    sasseoir et alluma sa cigarette au briquet tendu de Qwilleran. Aprs avoir tir deux outrois bouffes, elle soupira :

    Andy me manque tellement ! Vous avez eu un choc et vous vivez replie sur vous-mme, avec votre chagrin. Vous

    devriez vous extrioriser. Pourquoi ne pas me raconter ce qui sest pass cette nuit-l ?Cela vous ferait du bien.

    la chaleur de cette voix, les yeux sombres de Mary semburent. Au bout dunmoment, elle parla :

    Ce qui est terrible, cest que nous nous tions querells. Andy avait fait quelquechose qui mavait irrite. Il sefforait de me calmer, mais jai continu lui adresser desreproches pendant tout le repas.

    O avez-vous dn ? Ici, javais prpar du buf bourguignon et le plat tait rat. Nous avons eu cette

    discussion et, neuf heures, il est retourn son magasin. Il attendait une cliente quidevait revenir avec son mari pour voir un lustre. Il ma quitte assez froidement. Aprsson dpart, je me suis sentie malheureuse. Au bout dune heure environ, jai voulu aller levoir. Cest alors que je lai trouv

    La boutique tait-elle ouverte ? La porte de derrire ntait pas ferme, cest par l que je suis passe. Ne me

    demandez pas de vous dcrire ce que jai vu Quavez-vous fait ? Je ne men souviens pas. Iris prtend que je suis arrive chez elle en courant. C. C. a

    appel la police. Il parat quelle ma ramene la maison et mise au lit.

  • Pris par leur conversation, ni lun ni lautre ne prtrent attention au grognementsourd venant de la cuisine au dbut peine un rle, manant de la gorge du chien.

    Je ne sais pas pourquoi je vous ai racont tout cela, reprit-elle, mais vous avezraison, je me sens mieux. Pendant des semaines, jai eu un horrible cauchemar, le mmetoutes les nuits. Ctait si terrifiant que javais limpression que ctait rel. Jen aipresque perdu la raison. Je pensais

    Ce fut alors que le chien se mit aboyer furieusement. Que se passe-t-il ? sinquita Mary, en sautant sur ses pieds.Son regard avait repris son expression traque. Qwilleran ouvrit la fentre et se pencha

    pour regarder dehors. Il y a une voiture de police, en haut de la rue. Je vais me renseigner, attendez-moi.Quand il arriva sur les lieux, une ambulance tait l, ainsi que deux voitures de police

    dont les phares clairaient quelques rares curieux et une silhouette tendue sur le sol.Qwilleran sortit sa carte de presse et se prsenta lun des officiers de police pour luidemander de quoi il sagissait.

    Un ivrogne qui a pris trop dantigel. Il ne boira plus maintenant.Le journaliste sapprocha du corps et reconnut la couverture de cheval quil avait vue

    au dbut de la matine. Il remonta chez Mary qui lattendait, penche la fentre. Elletremblait.

    Quy a-t-il ? Ce nest quun ivrogne, dit-il, ne restez pas l, il fait froid. Vous devriez prendre du

    caf bien chaud.Il tudia son visage en silence, tandis quelle buvait le liquide brlant. Vous me parliez dun rve obsdant, juste avant que le chien naboie. Ctait un cauchemar atroce, murmura-t-elle, en frissonnant. Je suppose que

    jprouvais un sentiment de culpabilit, parce que je mtais montre dsagrable avecAndy.

    Que rviez-vous ? Eh bien Je rvais que javais pouss Andy sur cet pi. Il y a peut-tre l un lment de vrit. Que voulez-vous dire ? Je souponne la mort dAndy de ne pas tre accidentelle. Pourtant, la police A-t-on fait une enqute ? Avez-vous t interroge ? Laccident semblait si vident, dit-elle, aprs avoir secou ngativement la tte. O

    avez-vous pris cette ide saugrenue ? Un passant bavard a prtendu quil sagissait dun meurtre.

  • Cest ridicule ! Pourquoi raconter une histoire pareille ? Je lignore, reconnut Qwilleran, qui vit les yeux de Mary sagrandir, mais, par une

    trange concidence, lhomme qui ma racont cela est maintenant en route pour lamorgue.

    Fut-ce cette dclaration ou la brusque sonnerie du tlphone ? mais Mary se figea sursa chaise.

    Voulez-vous que je rponde ? proposa-t-il, en consultant sa montre.Elle acquiesa lentement de la tte. Il trouva lappareil dans la bibliothque. All ? All ? On a raccroch, dit-il, en revenant au salon.Puis, remarquant la pleur de la jeune femme, il senquit : Avez-vous dj reu de semblables appels o personne ne rpond ? Est-ce pour cette

    raison que vous vous couchez tard ? Non, jai toujours vcu la nuit, expliqua-t-elle, en sortant de sa torpeur. Mes amis le

    savent et lun deux a d mappeler pour discuter du dernier film. Cela arrive souvent,mais voyant que je ne rpondais pas, on na pas insist.

    Elle parlait trop vite et donnait trop de dtails. Qwilleran restait sur ses doutes.

  • CHAPITRE SEPT Tout en rflchissant, Qwilleran senfona jusquaux chevilles dans la neige molle pour

    regagner son logis. La mort du clochard pouvait navoir aucune signification particulire,mais la peur se refltant dans les yeux de Mary tait indiscutable, et son insistance affirmer que la mort dAndy tait accidentelle laissait place de multiples conjectures. Silsagissait dun meurtre, il fallait un mobile, et Qwilleran prouvait une curiositgrandissante pour cet homme, dune intgrit telle quil srigeait en redresseur de torts.Il connaissait ce type dhommes. Sous leur apparence de moralistes, ctaient, en ralit,des brandons de discorde.

    Il grimpa lescalier des Cobb sur la pointe des pieds, ouvrit la porte avec sa grosse clefet se mit la recherche des chats. Ils dormaient sur leur coussin bleu, en haut durfrigrateur, enrouls en une seule boule do mergeaient un nez, une queue et troisoreilles. Un il souvrit et le regarda. Il ne put rsister la tentation de caresser lesanimaux. Leur fourrure tait incroyablement soyeuse, surtout quand ils somnolaient, etle sommeil semblait assombrir leur pelage.

    Peu aprs, il se glissa dans son propre lit, en esprant que ses confrresnapprendraient jamais quil dormait dans un lit en forme de cygne. Il entendit, alors, unbruit sourd ressemblant au ronronnement dun chat, mais plus fort, ou au roucoulementdun pigeon, en plus guttural. Le bruit avait une rgularit mcanique et semblaitprovenir de la cloison derrire son lit, celle que tapissaient des pages de vieux livres. Ilcouta, attentivement dabord, puis il sassoupit, la monotonie du son finit par le bercer etil sombra dans un profond sommeil.

    Il dormit bien, cette nuit-l. Il rva de lcusson des Mackintosh avec ses trois chats encolre et sa peinture rouge et bleu caille. Ses rves agrables se droulaient toujours encouleurs.

    Le samedi matin, quand il commena merger la ralit, il sentit un poids gnant sarespiration. Encore mal veill, il eut la vision dun cusson qui tombait lourdement surlui et le clouait sur son lit. Il se dbattit et parvint soulever les paupires. Son regardplongea dans deux yeux dun bleu tirant sur le violet qui le considraient en louchant unpeu. Yom-Yom tait installe sur sa poitrine. Il poussa un soupir de soulagement et lemouvement dut plaire la petite chatte car elle se mit ronronner. Sortant une patte develours noir, elle toucha tendrement sa moustache et se frotta la tte sur son mentonrugueux.

    Soudain un ordre impratif retentit. Assis sur la queue du cygne, Koko mettait un avis haute et intelligible voix. Ou il rclamait son petit djeuner, ou il dplorait lesfamiliarits de Yom-Yom avec le matre de maison. Koko avait un sens aigu de lahirarchie.

    Leau gargouillait dans les radiateurs et, quand ils furent bien chauds, une odeur depommes de terre se rpandit dans toute la maison. Qwilleran se leva et prpara le bifteck

  • hach des chats, Koko supervisant lopration, du haut du rfrigrateur, tandis que Yom-Yom courait dans lappartement pour chapper quelque invisible poursuivant. Comme ilposait par terre lassiette avec la viande, il entendit frapper la porte. Toute souriante, IrisCobb se tenait sur le seuil :

    Jespre que je ne vous ai pas tir du lit, dit-elle, en considrant la robe de chambrerouge sombre, je vous ai entendu parler aux chats et jai pens que vous tiez lev. Avez-vous bien dormi ?

    Oui, le lit est excellent. C. C. a ronfl comme un soufflet de forge, je nai pas ferm lil de la nuit. Navez-

    vous besoin de rien ? Non. Tout va bien, sauf que ma brosse dents a disparu. Je lai pose sur le lavabo,

    hier soir, elle ny est plus ce matin. Cest Mathilda ! scria Iris, elle laura cache quelque part, vous la retrouverez. Il faut que je fasse installer le tlphone le plus vite possible. Vous pouvez appeler la compagnie de notre appartement. Voulez-vous que je vous

    prpare le petit djeuner ? Jai fait des pains au lait pour C. C. avant quil ne sorte, il enreste encore.

    Qwilleran accepta sans faon. Cinq minutes plus tard, il attaquait des ufs au bacon, encoutant Iris bavarder.

    Vous rappelez-vous le fauteuil de dentiste qui tait chez vous ? lorigine, C. C. latrouv dans la clinique dun immeuble en dmolition et Ben le lui a achet pourcinquante dollars. Puis Ben la vendu Andy soixante dollars. Ensuite, Russ en a donnsoixante-quinze Andy et a recouvert le sige. Quand C. C. la vu, il lui en a offert centvingt-cinq dollars et, hier, nous lavons vendu deux cent vingt dollars !

    Est-ce que les brocanteurs sentendent bien entre eux ? Oh oui ! De temps en temps, il y a bien quelques petites discussions, comme le jour

    o Andy a renvoy Russ parce quil stait enivr, mais cest vite oubli. Russ est ce