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Aurélie RESCH Nouvelles Le Bonheur est une couleur Extrait de la publication

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Aurélie Resch

N o u v e l l e s

Le Bonheur est une couleur

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Le Bonheur est une couleur

De la même auteure :

Chez le même éditeur :

Obsessions, nouvelles, 2005

Chez d’autres éditeurs :

Contes de la rivière Severn, Éditions du Vermillon, 2005Les yeux de l’exil, Éditions du Nordir, 2002

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Le Bonheur est une couleurEt autres variations sur le même thème

Nouvelles

Collection « Vertiges »

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Resch, Aurélie, 1971- Le Bonheur est une couleur : nouvelles / Aurélie Resch.

(« Vertiges ») ISBN 978-2-923274-19-5

I. Titre. II. Collection : « Vertiges » (Ottawa, Ont.)

PS8585.E79B66 2008 C843’.6 C2008-902434-6

Les Éditions L’Interligne261, chemin de Montréal, bureau 310

Ottawa (Ontario) K1L 8C7Tél. : 613-748-0850 / Téléc. : 613-748-0852

Adresse courriel : [email protected]

Distribution : Diffusion Prologue inc.

Papier ISBN : 978-2-923274-19-5PDF ISBN : 978-2-89699-107-5ePub ISBN : 978-2-89699-108-2

© Aurélie Resch et Les Éditions L’InterligneDépôt légal : deuxième trimestre 2008Bibliothèque nationale du CanadaTous droits réservés pour tous pays

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Le premier bonheur du jour, C’est un ruban de soleil qui s’enroule sur ta main et

caresse mon épaule,C’est le souffle de la mer,C’est la plage qui attend,

C’est l’oiseau qui a chanté sur la branche de figuier

— Françoise Hardy « Le premier bonheur du jour »

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Ouverture

C’est incroyable ce que la loge est calme. Il pourrait entendre les battements de son cœur. Là-bas, par delà

les couloirs et les escaliers, de l’autre côté de la scène, la salle se remplit, comme une grotte petit à petit envahie par l’eau. L’onde augmente et le souffle de l’écho enfle dans les parois avant d’éclater en une infinité de petites bulles de son diffracté qui se répercutent bien au-delà de l’antre. Il perçoit la rumeur dans toute sa complexité et il pour-rait s’amuser à dissocier chacun des bruits, les rangeant tous à leur place. L’habitude sans doute. Et la concentra-tion. Il aime l’animation. Pas l’agitation. S’il a besoin d’un mouvement humain autour de lui, c’est pour davantage se recentrer et s’isoler. Une discipline qu’il maîtrise parfai-tement. Depuis qu’il est tout petit. Sa loge est modeste et bien ordonnée. Le maquillage orne savamment sa petite table et ses costumes sont impeccablement rangés dans son armoire. Peu de décoration sur les murs, seulement quelques photos, un peu jaunies par le temps, de son père et de sa vie. Les bulbes de lumière qui encadrent le grand miroir devant lui dessinent son cadre. Son auréole. Il s’y sent protégé. L’éclat qu’ils lancent l’empêche toujours de se voir réellement. Comme au cirque, ils accentuent la

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caricature humaine et l’aident à souligner tel ou tel trait que le public voudra voir ou que la pièce requerra.

L’ouverture. C’est sans doute son moment préféré du spectacle. Le calme avant la tempête. Le repos avant le combat. Un instant magique qui donne l’occasion de se retrouver avec soi-même, de se recueillir avec ce qu’il y a de plus pur et de plus complexe en soi avant d’aller se perdre dans l’arène sous les feux de la rampe. C’est son père, un jour qu’il était tout petit, qui lui avait dit qu’il était fait pour la comédie. Il avait vu juste. Sa vie avait été une vaste farce et lui avait gagné ainsi toute sa célébrité. Il s’était souvent demandé quelle aurait été sa destinée si son vieux lui avait dit qu’un jour, il serait comme lui, chauffeur de taxi.

Derrière la porte, le rodéo a commencé avec les élec-triciens qui se parlent au talkie-walkie, l’accessoiriste et le chef décorateur qui s’engueulent et le reste de la distribu-tion qui continue à badiner, comme si elle s’apprêtait à aller prendre un café dans le bistrot du coin en attendant que la pluie cesse. Il est chanceux d’avoir sa loge au bas de l’esca-lier. C’est plus chaud. On se sent appartenir au mystère du monde souterrain. Et puis on y trouve la distance suffi-sante par rapport à cette fièvre excessive qui s’empare soir après de soir de tout un chacun. On peut y goûter. On peut la savourer mais on n’est pas forcé d’y adhérer. Juste là, en musique de fond pour vous bercer sans vous endormir.

Il se lave les mains, faisant toujours attention de bien regarder ces deux masses noueuses se frotter et se serrer avant de se lâcher d’un commun accord pour s’occuper d’une autre partie de son corps. Des mains d’ouvrier ? Pas vraiment. Des doigts de pianiste ? Pas tout à fait. Une histoire, certainement. Et de la grâce. Beaucoup de grâce, derrière ces os tordus et ces jointures blanches. Il revient

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vers son siège et s’installe devant son miroir. La transfor-mation va pouvoir commencer. Ce n’est pas de maquillage dont il est véritablement question, mais de l’impression que l’on veut donner. Quelle émotion l’accompagnera pendant une heure et vingt minutes sur les planches ? Quel homme le public voudra t-il voir ce soir ?

Marguerite est encore introuvable. C’est qu’ils ne cher-chent pas vraiment. Tout le monde sait que Marguerite a un faible pour le petit rouge du bistrot de la rue Saint-Jacques. Elle y est chaque après-midi précédant toute représenta-tion. C’est de notoriété publique et personne ne s’en plaint jamais vraiment. Simplement, on aime ajouter un peu de piquant à cette vie d’artiste et on entretient le suspens et l’énervement comme on peut, jusqu’à la dernière minute à laquelle, invariablement, Marguerite apparaît, pas vrai-ment soûle, juste un peu partie et contente de retrouver le monde familier du théâtre. Le gérant en profite pour lever les bras au ciel, l’assistant pour brailler et les autres pour se remettre à l’ouvrage. Des portes claquent, d’autres s’ouvrent et se referment sur la même phrase jetée sans se préoccuper de savoir s’il y a quelqu’un pour l’entendre : « Plus que trente minutes ».

Ses cheveux sont gris. Encore ondulés, mais indéniable-ment gris. Comme son teint. Et comme ses yeux. Quarante ans de métier, ça a quand même son impact sur la palette des couleurs. Un pigment qu’il laisse à chaque représen-tation. À chaque ovation. Dans le quartier de la gare, il y a des cabarets où les filles se dévêtent petit à petit, s’éplu-chant comme un oignon et laissant un petit tas de pelures à la fin de chaque numéro. Quel est l’équivalent pour la couleur ? À quel moment devra t-il se recomposer entiè-rement un arc-en-ciel sur le visage, le cou et les mains ? Sa robe de chambre est blanche, cela lui permet de faire

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encore la distinction entre l’éponge et sa peau. Ses doigts pianotent sur les pots et les produits devant lui. Par où commencer ? Se maquiller lui-même est sa particularité d’artiste. Il l’a imposée tout au long de sa carrière. Qu’est-ce qu’un comédien qui ne sait pas fabriquer sa propre peau ? Un texte est vide de texture. Ce sont le corps et l’âme qui lui donnent vie. Et personne ne saura jamais mieux que lui créer son unicité. À chaque représentation. Ce soir, la pièce parle du bonheur. Un sujet grave, rare et beau, mais aussi délicat. Comment créer dans toute sa justesse, sa pureté et sa complexité, le visage du bonheur ? Il repose ses mains sur sa table et regarde son image dans la glace. Le bonheur.

Cela ne lui prend pas longtemps. Des milliers de paillettes et de rêves venus du passé et du présent se rappel-lent à sa mémoire. La glace, face à lui, ne lui renvoie plus la fidèle image d’une chandelle qui se consume, mais des bribes de bonheur qui ont jalonné son existence et celle de proches. Il y a des rires et des sourires, du soleil et de la lumière, des visages qui se succèdent et des moments volés à l’enfance, à l’innocence et à la solitude, des rôles magiques qui ont jalonné sa carrière de comédien. Il est amusant de voir comment, d’un coup, toute une pluie d’instants joyeux, de poésie et de magie peut s’emparer du cœur et du cerveau de l’humain. Tels de petites étoiles, ces souvenirs de ce que l’on appelle communément « bonheur » vien-nent se déposer avec délicatesse sur son front, ses joues et ses lèvres, ses épaules et ses mains vieillissantes. Ses yeux s’emplissent d’un lustre autre et renvoient à un univers dont il est le seul à avoir l’accès mais qui ne demande qu’à être partagé. Chaque éclat provenant de cet éventail d’émotions anime indépendamment chacun de ses traits et bientôt la transformation est complète. Le maquillage est composé et appliqué. Pas de savants stratagèmes ou de

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techniques avancées, seulement la puissance des souve-nirs et la capacité infinie à revivre une multitude d’événe-ments heureux qui font goûter au bonheur. Pas de rictus ou de traits froncés, mais une palette de nuances dans lesquelles se reflètent les multiples subtilités du bonheur. Le bonheur ne se sculpte pas. Pas plus qu’il ne s’invente. Il se goûte, il se vit et il rayonne. Passé la soixantaine, se faire le miroir de la félicité pourrait paraître difficile. Pour lui, mieux qu’un exercice de style, c’est la possibilité d’ouvrir la porte au ludique et à la performance. C’est somme toute, une expérience très agréable. Une réserve de puissance et de confiance qui ne le quittera pas pendant une heure et vingt minutes et qui lui permettra d’incarner LE bonheur.

C’est l’heure. Il le sait. Personne n’est venu le lui rappeler. Tous connaissent son professionnalisme et respectent cet instant qu’il privilégie et savoure tellement : l’entrée en scène. Celle qui commence au moment où il s’installe dans sa loge pour se préparer et qui se poursuit avec sa présence dans le noir, sur scène, derrière le rideau qui va s’ouvrir. Il pousse la porte, se retourne et jette un dernier regard à sa loge pour s’assurer que tout est bien. Il referme la nuit sur sa retraite et se dirige à travers les corridors, les câbles et les escaliers vers son arène. Bien qu’il perçoive les mouvements et les chuchotements qui l’entourent, il est déjà loin, dans son rôle. Il pose les pieds sur les planches. Enfin ! Il pourrait presque percevoir le soupir langoureux de la scène sous la pression de ses chaussures. Le décor est nouveau. Cela lui convient. Il regarde devant lui. Il est le bonheur. Sa dernière touche de maquillage, c’est ainsi qu’il se l’applique. En respirant profondément l’atmosphère et la tension qui l’entoure, en écoutant la respiration retenue des spectateurs dans la salle et des artistes autour de lui. Dans une minute le rideau va se lever. Il entend déjà le

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message d’annonce et les coups de bâton qui marquent traditionnellement la levée du velours rouge sur le spec-tacle. C’est peut-être l’ultime parcelle de bonheur qui l’anime régulièrement et qui ce soir trouve toute sa signifi-cation, qu’il récoltera et ajoutera à son masque, avant d’in-carner devant un auditoire à conquérir, le bonheur dans toutes ses couleurs. Le bonheur dans toute sa splendeur.

Le dernier coup a retenti, le rideau se lève. Le souffle est suspendu. Dans la salle, les toussotements ont cessé. Le silence étend ses ailes. Lumières… En scène !

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Table des matières

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Ouverture · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 11Le Bonheur est une couleur · · · · · · · · · · · · · · · · · · 17Les chenilles papillons · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 29Les histoires ne s’écrivent-elles pas toutes seules ? · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 39Naissance · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 47Une vie de (pa) chat · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 53Le plaisir commence par un P · · · · · · · · · · · · · · · · · · 59La liberté au bout des sabots · · · · · · · · · · · · · · · · · 69Un soir de pluie et de brouillard · · · · · · · · · · · · · · 75Partie de pêche · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 83Rideau · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 87

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L’auteure tient à remercier le Conseil des Arts de l’Ontario pour sa confiance et pour son soutien à l’élaboration de ce recueil. Elle souhaite adresser une pensée à Monsieur Olyde-Nester Munihiri, dont les commentaires sur les Yeux de l’exil et les conseils lui ont été très précieux et qui lui a suggéré

d’écrire sur le bonheur.

Les Éditions L’Interligne261, chemin de Montréal, bureau 310

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Œuvre de la page couverture : HallgerdGraphisme : Estelle de la Chevrotière

Correction des épreuves : Guy ArchambaultDistribution : Diffusion Prologue inc.

Les Éditions L’Interligne bénéficient de l’appui financier du Conseil des Arts du Canada, de la Ville d’Ottawa, du Conseil des arts de l’Ontario et de la Fondation Trillium de l’Ontario. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Les Éditions L’Interligne sont membres du Regroupement des éditeurs canadiens-français (RECF).

Ce livre est publié aux Éditions L’Interligne à Ottawa (Ontario), Canada. Il est composé en caractère Minion, corps douze, et a été achevé d’imprimer sur du papier enviro 100% recyclé par les presses de Marquis imprimeur (Québec), en juin 2008.

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Photo de la couverture :Hallgerd

Le Bonheur est une couleur, Aurélie Resch

Écrire sur le bonheur, voilà un défi bien ardu à relever ! Pourtant Aurélie Resch nous emmène avec brio dans une temporalité suspendue où le bonheur se décline en diverses tonalités. Des petits bonheurs simples, comme une journée de pêche, aux plaisirs plus importants, comme celui d’une vie réussie, le trajet emprunté par l’auteure ne peut vous laisser indifférent. Des couleurs, des odeurs, des images éclatent à la lecture de ces onze nouvelles et vous font respirer une bouffée d’air pur.

Ce recueil démontre l’art bien maîtrisé de la nouvelle par son auteure. Chaque histoire arrive en quelques pages à toucher la profondeur de ce sentiment : nous sommes tous quelque part ce petit garçon émerveillé devant la Méditerranée ou cet enfant qui invente, avec l’aide de sa mère, des histoires heureuses. Mais, comme nous le rappelle l’auteure, le bonheur se montre également fragile et éphémère. Il est enfoui en nous et n’attend qu’une petite étincelle pour s’épanouir. Ce recueil, hymne au bonheur, ravit les sens et colore la vie de ceux et celles qui le lisent.

Aurélie Resch vit à Toronto où elle écrit et filme. Ses contes remportent un grand succès auprès des jeunes, et ses deux précédents recueils de nouvelles Les yeux de l’exil et Obsessions ont retenu l ’attention tant des critiques que des lecteurs et ont été finalistes au Prix des lecteurs de Radio-Canada et au Prix Christine Dumitriu Van Saanen.

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