Le Bayt al-ḥikma de Baghdad

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LE BA YT AL-HIKMA DE BAGHDAD*

PAR

M.-G. BALTY-GUESDON

TE NOM DE Bayt al-hikma est familier a tous ceux qui s'interessent 'a 1'histoire des sciences en langue arabe. Pourtant, cette institu-

tion est peu connue. Elle a surtout ete etudiee sous I'angle de la transmission des institutions et decrite comme un heritage des civi- lisations anterieures. L'ouvrage le plus documente sur le sujet, celui de Y. Eche, Les bibliotheques publiques et semi-publiques en Misopo- tamie, en Syrie et en Egypte au Moyen-Agel, trace une histoire des biblio- theques en s' attachant a ce qui persiste d'un modele 'a l'autre, le Musee d'Alexandrie etant considere comme le modele des Bayt al- hikma. D'autres ont cherche 'a retrouver dans le Bayt al-hikma l'ori- gine des bibliotheques actuelles2. Les etudes sur la vie culturelle et les sciences au IXe s. ont aussi ete le lieu d'une polemique sur le role des diff6rentes communautes et confessions dans le mouvement de traductions3. Ces problematiques ont souvent abouti 'a des con- clusions qui tendaient 'a minimiser l'originalite de l'apport de la civilisation arabo-islamique, ou au contraire voulaient trouver dans cette civilisation l'origine de toutes les institutions. L'absence d'etudes sur les raisons du de'veloppement des traductions d'ouvra-

* Communication presentee au Colloque International d'Histoire des Sciences et de la Philosophie arabes. Paris, Institut du Monde Arabe, 22-24 novembre 1989.

1 Y. Eche, Les bibliotheques publiques et semi-publiques en Mesopotamie, en Syrie et en Egypte au Moyen Age, Damas, 1967.

2 S. T. at-Takriti (Bayt al-hikma f- Bagdad ... Al-Mawrid, VIII, 1979, p. 197- 221); S. Diwah'i, (Bayt al-hikma. Mossoul. 2eme ed. 1972) voient dans le Bayt al- hikma une bibliotheque populaire out regnait la liberte d'expression (p. 38), les bibliotheques auraient pour origine la volonte des califes de diffuser les sciences et la connaissance dans toutes les classes sociales (p. 95).

3 P. Tarrazi, dans Hazad'in al-kutub al-qadzma ft 1-hafiqayn (Beyrouth, 1947), met en valeur le role des chretiens. Le sixieme colloque annuel de l'Institut d'Histoire des Sciences arabes d'Alep, tenu en 1982 et consacre aux traductions, contient un certain nombre de communications evoquant le role des diverses communautes religieuses ou ethniques dans le mouvement de traductions (Alep, 1984)

Arabica, tome XXXIX, 1992

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ges scientifiques et philosophiques au IXe s., dans une problemati- que autre que celle de la transmission passive des sciences et de la philosophie grecques, est actuellement assez souvent soulignee4. Ce travail tend 'a rechercher 'a quel besoin repondait le Bayt al-hikma au moment oiu il s'est developpe, c'est-'a-dire sous les califats de Haruin al-Ra'sid et al-Ma'muin.

Pour resituer l'institution dans son contexte, il fallait tout d'abord etablir quand elle apparut, ce qu'elle fut, ce qu'elle ne fut pas, qui y travailla, et ceci 'a partir des sources que sont les biogra- phies d'hommes de sciences comme les cUyuin al-anbd'fjt abaqdt al- atibbd' de Ibn Abi Usaybica5, le Ti'rfh al-Izkamd' de al-Qifti6; des ouvrages de Tabaqdt plus generaux comme les Wafayat al-a'yan de Ibn Hallikan7 ou le MuC'am al-udabd' de Yaqiit l'ouvrage bio- bibliographique qu'est le Fihrist de al-Nadim9; ou encore la Risdla que le traducteur Hunayn ibn Ishaq ecrivit 'a cAll ibn Yahya ibn Abi Mansur, enumerant les ouvrages de Galien traduits en syria- que ou en arabe par Hunayn, ses eleves et ses predecesseurs'0.

Souvent appele Hizdnat al-hikma, une fois meme Hizdnat kutub al- hikmal1, le Bayt al-hikma etait d'abord une bibliotheque. Les indica- tions precises concernant les livres qu'on y trouvait sont rares. Outre une mention du Kitdb Siyar al-muluk dans Nihdyat al-arab ft ahbadr al-Furs wa l-cArab, un Kitdb sifdt al-hulafd'12, le Filrist signale des exemples d'ecriture himyarite et ethiopienne, un catalogue relatif aux Livres re'vele's, ainsi qu'un autographe de cAbd al- Muttalib ibn Hasim'3. Le nom de Bayt al-hikma apparait pour desi-

4 A. I. Sabra, "The Appropriation and Subsequent Naturalization of Greek Science in Medieval Islam", History of Science, XXV, 1987, p. 223-243 et R. Ras- hed, "Transmission of Greek Scientific Thought into Arabic", History of Science, XXVII, 1989, p. 199-209.

5 Ed. N. Rida, Beyrouth, 1965. 6 Ed. J. Lippert, Leipzig, 1903. 7 M. CAbd al-Hamid, Le Caire, 1948-49. 8 Ed. A. F. Rif'i-, Le Caire, 1936-38. 9 Beyrouth, s.d. 10 Risdla ild cAlf ibn Yahyd, editee et traduite en allemand par G. Bergstriisser,

dans Hunain ibn Ishadq fiber die syrischen und arabischen Galenuibersetzungen. Leipzig, 1925.

11 Al-Qifti, p. 255. 12 Gawad cAll, Mawarid Ta'rih al-Tabari, dans Magallat alAg.amac al-cilmf 1-

cirdqf, II, 1952, p. 143; Al-Hatib al-Bagdadl, Td-rih Bagddd, Le Caire, 1931, X, p. 291; Y. Eche, p. 37.

13 Fihrist, p. 7-8, 29, 32.

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gner la bibliothZeque qui fonctionnait sous Haruin al-Rasid, au moment oCu les sciences philosophiques acquierent une grande importance'4. Deux passages du Fihrist de al-Nadim le confirment: le premier concerne CAllan al-SuCiub1, qui copiait au Bayt al-hikma pour Haruin al-RasId, al-Ma'mu-n et les Baramika; le deuxieme concerne l'astroloque al-Fadl ibn Nawbaht, qui etait au Hizanat al- hikma de Haruin al-Rasid et traduisait pour lui du persan en arabe15. Al-Qifti nous rapporte aussi que Yahya ibn Halid ibn Bar- mak, mecontent d'un commentaire de l'Almageste, se fit expliquer l'ouvrage par Abui Hassan et Salm, directeur du Bayt al-hikma'6. C'est encore pour Yahya ibn Halid que Salm al-Harrani, adizb Bayt al-hikma, traduisit des ouvrages d'Aristote'7. Sous Harufn al-Rasid, le Bayt al-hikma apparait comme une bibliotheque reservee -a l'usage du calife et de ses proches, toujours mentionnes comme beneficiai- res des travaux effectues, alors que sous al-Ma'mu-n, des savants l'utilisent pour leurs travaux, et l'institution connait un developpe- ment que nous essaierons de preciser. Les dates de 830 et 832, don- nees pour celles de sa fondation, apparaissent pour la premiere fois chez Max Meyerhof, dans l'introduction aux Dix traites sur l'cil de Hunayn. Elles ne sont justifiees que par le fait que al-Ma'mu-n avait charge Hunayn de traductions quelques annees apres son pre- mier travail pour Gibril ibn Bahtis'u-', date de 82618. Ceux qui ont affirme que le Bayt al-hikma avait ete fonde par al-Ma'mun, s' appuyaient sur des passages qui, dans les sources, soulignent sim- plement la politique de traductions de al-Ma'mu-n, ou ses recher- ches d'ouvrages grecs, l'installation des Banul Mu-sa avec Yahya ibn

1 Y. Eche (p. 11-12) signale d'aprZes Al-Darimi (Kitdb radd al-ima-m ad-Darfmf cUtmjn ibn SaCfd Cald 1-Marzsi al-canid, ed. dans CAqa'id as-salaf, Alexandrie, 1971, p. 492) l'existence d'un Bayt al-hikma sous Mu'awiya, oiu celui-ci deposait les hadft- s qu'il trouvait. Le terme de hikma renvoie a la philosophie. Nous ne pensons pas que la bibliotheque de Mu'awiya ait pu porter ce nom, encore moins un endroit reserve a l collecte des 4adis-s. L'auteur, qui polemique avec Bisr al-Marisi, est contemporain du Bayt al-hikma de Baghdad et peut projeter dans le passe un nom connu.

15 Fihrist, P. 153-154; 382. 16 Al-Qifti, p. 87. 17 Passage relev6 par P. Kraus ("Zu Ibn al-Muqaffac", Rivista degli Studi Orien-

tali, XIV, p. 11) dans une traduction de Porphyre et Aristote. 18 M. Meyerhof, Kitdb al cAsfr maqdldt al-mansu-b li-Hunayn ibn Isha-q, Le Caire,

1928, p. XVIII, puis Von Alexandrien nach Baghdad, Sitzungsberichte der preussis- cherAkademie der Wissenschaft, Berlin, XXIII, 1930, p. 403; "On the Transmission of Greek and Indian Science to the Arabs", Islamic culture, II, 1937, p. 23.

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Abi Mansu-r au Bayt al-hikma, la nomination de Hunayn comme traducteurl9.

La provenance des livres du Bayt al-hikma a ete souvent evoquee. Nos sources nous laissent entendre que certains avaient ete acquis de differentes manieres dans 1'empire byzantin. Ibn Abi UsaybiCa, Ibn Gulgul et al-Qifti mentionnent la prise de livres lors d'expedi- tions militaires20. La pratique de prendre des livres comme butin lors des batailles est egalement attestee par al-MasCiidi, qui dit avoir utilise la traduction d'un ouvrage historique pris dans la bibliothZeque des rois persans en Gumddd II 113/731, et traduit en arabe pour Hisam ibn CAbd al-Malik ibn Marwan21. L'attitude a observer en face des livres etrangers faisant partie du butin a ete discutee par les juristes musulmans. Si les ouvrages religieux sont rejetes, al-Awza i recommandant de les enterrer, al-Safia de les dechirer, les ouvrages scientifiques, d'apres al-Safic1, peuvent etre vendus et doivent etre consideres comme toute autre partie du butin, qu'il s'agisse de medecine ou de toute autre science. Il ne faut, en aucun cas, detruire des livres sans savoir ce qu'ils contiennent22. La remise d'ouvrages aurait fait partie des condi- tions de paix entre musulmans et byzantins. D'aprZes Ibn Nubata, la remise d'une bibliotheque d'ouvrages grecs 'a al-Ma'muin faisait partie des clauses d'un traite avec le gouverneur de Chypre23. Mais cet auteur ecrivait au XIVe s. Il faudrait disposer de plus d'infor- mations sur les traites etablis entre musulmans et byzantins pour affirmer que tel ou tel ensemble de livres a pu arriver par ce moyen 'a Baghdad. Sacid al-Andalusi signale un echange de presents entre al-Ma'mu- n et l'empereur des Ruilm, 'a la suite duquel le calife aurait requ des ouvrages de Platon, Aristote, Hippocrate, Galien, Euclide et Ptolemee24. Al-Nadim et Ibn Abil Usaybica nous disent qu'al- Ma'mu-n envoya une mission dans l'empire byzantin. Al-Maqrlzi

19 R. Nicholson, A Litterary History of the Arabs. Londres, 1902, p. 359; G. Sar- ton, Introduction to the History of Science, I, p. 544, 557; E. D. O'Leary, How Greek Science passed to the Arabs. Londres, 1949, p. 116.

20 Ibn Abi Usaybi'a, p. 246; Ibn Gulgul, Tabaqdt al-atibba' wa l-hukama', ed. F. Sayyid, Le Caire, 1955, p. 65; Al-Qift1, p. 380.

21 Al-Tanbfh wal-ilrdf, e'd. de Goeje, Leyde, 1894, p. 106. 22 Al-Tabari, Ihtilaf al-fuqaha', ed. J. Schacht, Leyde, 1933, p. 177-178. 23 Ibn Nubata, Sarh al-cuyunJistarh risdlat Ibn Zayduin. Le Caire, 1957, p. 137;

A. F. Rifacl, (I, p. 375), sans mentionner sa source, rapporte le meme fait au sujet de la Sicile.

24 Sacid al-Andalusi, ed. Beyrouth, 1912, p. 48.

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date cet evenement de quelques annees avant 210/81525. Ibn Gul- gul rapporte encore un recit attribue au traducteur Yahya ibn al- Bitriq, qui aurait trouve dans un temple un exemplaire de la Politi- que d'Aristote, que le calife lui avait demande de rapporter26.

Mais une part tres importante des livres etait disponible a l'inte- rieur du Ddr al-isldm. Ceux qui se trouverent confrontes 'a la neces- site de trouver un ouvrage pour le traduire, en syriaque ou en arabe, nous font savoir que c'est d'abord dans les centres de culture chretienne integres 'a l'empire musulman qu'ils recherchaient leurs copies. La Risdla de Hunayn contient des informations sur les demarches que celui-ci effectuait pour se procurer les ouvrages grecs qu'il traduisait. Quand il chercha un ouvrage de Galien sur le pouls, on l'informa qu'on en avait vu une copie 'a Alep, quand il voulut une copie de la Demonstration, il se rendit en Gazira, en Syrie, en Palestine, en Egypte (a' Alexandrie). Ce fut finalement 'a Damas qu'il trouva la moitie de l'ouvrage qu'il cherchait27. Pour obtenir une copie des Topiques d'Aristote, le calife al-Mahdi s'adressa au catholicos Timothee, qui, souhaitant se procurer un commentaire de cet ouvrage, demanda 'a son tour qu'on cherche au couvent de Mar Mattai, prZes de Mossoul28.

S'il est probable que la plupart des livres qui parvinrent au Bayt al-hikma provenaient de l'interieur du Ddr al-isldm, on peut se demander pourquoi les historiens de langue arabe ont surtout mis sur le compte de relations avec l'empire des Rum le mouvement de recherche d'ouvrages grecs. On peut l'expliquer par le fait que la societe musulmane avait tendance 'a se representer elle-meme comme la veritable heritiere de la science antique, qui redecouvrait ce que les byzantins avaient oublie depuis l'avZenement du christia- nisme. On peut citer al-Mascuddi 'a ce propos29:

((Les sciences etaient en honneur et jouissaient d'un credit universel: assises sur des bases solides et grandioses, elles s'e'levaient chaque jour davantage, lorsque la religion chretienne fit son apparition chez les Rum: ce fut alors un

25 Fihrist, p. 583; Ibn Abi UsaybiCa, p. 260; al-Maqriz4, Kitdb al-mawa-ciz ... II, p. 357.

26 Ibn Gulgul, p. 67. 27 Hunayn ibn Ishaq, Risala ild cAll ibn Yahya, p. 33, 47. 28 J. M. Fiey, Chritiens syriaques sous les abbassides, Louvain, 1980, p. 38; Timo-

thee, lettres 43 et 48, analyse de R. J. Bidawid, Les Lettres du patriarche nestorien Timothe/e jer, Rome, 1956, p. 35, 38.

29 Trad. par A. Miquel, La g6ographie humaine du monde musulmanjusqu 'au milieu du XIe s. Paris, 1967, I, p. 469.

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coup fatal pour l'6edifice scientifique: ses vestiges disparurent et ses chemins s'effacerent. Tout ce que les auteurs grecs avaient mis en lumiere s'evanouit et les decouvertes dues au genie antique s'altererent>>.

Les anecdotes 'a caractere legendaire racontant la decouverte de livres montrent bien qu'il ne s'agit pas d'une valorisation du r6le des byzantins. Al-Qifti rapporte que lorsque al-Ma'mu-n voulut se mettre en quete des ouvrages d'Aristote, il ne les trouva pas et ecri- vit 'a l'empereur byzantin qui lui-meme ne les trouva pas. I1 fit venir un moine qui lui revela que dans un batiment, que tous les rois verrouillaient 'a leur avenement sans savoir ce qu'il contenait, se trouvaient les livres de philosophie, qui, 'a 1'epoque de Constan- tin, avaient ete confisques et rassembles Ia30. Le thZeme des livres enfermes dans un temple est present aussi quelquefois chez Ibn Gulgul ou al-Nadim31. On verra apparaitre chez des auteurs beau- coup plus tardifs l'idee que ces livres, a l'origine d'<dnventions>> comme le muctazilisme ou lafalsafa, mirent en danger la commu- naute musulmane, et que les Byzantins qui les avaient ecartes n 'avaient pas eu tout "a fait tort. C'est al-Ma'mu-n qui est generale- ment considere comme le fauteur de troubles. Chez al-Suyutlt, Yahya ibn HIlid ibn Barmak est presente comme etant 'a l'origine d'un veritable complot etranger32. Pour cet auteur, ce qui dominait chez les abbassides appuyes sur la Perse etait l'incroyance, la haine des Arabes et de l'Etat musulman. Le roi des Ru-m, qui craignait que ses sujets, en les lisant, n'abandonnassent la religion chre- tienne, avait fait emmurer les livres de philosophie. Lorsque Yahya ibn Halid ibn Barmak les lui demanda, il bondit de joie, reunit les eveques, les patrices et les moines, et proposa d'envoyer des livres, sans demander qu'on les lui rende. C'est ainsi que la pluralite cul- turelle de la societe, la presence en territoire musulman de commu- nautes chretiennes, avec leur culture et leur structure (6coles, lan- gue, livres ...), l'existence de debats 'a l'interieur meme de la Communaute musulmane, la possibilite de relations de type diplo- matique avec le monde byzantin sont niees, la responsabilite des ((innovations>> est rejetee sur l'exterieur: les Persans et les Byzantins.

30 Al-Qiftf, p. 29-30. 31 Ibn Gulgul, p. 67; Fihrist, p. 340. 32 Al-.ugafr tarik al-mahaga, cite par M. M. Hammada, al-Maktabdt fr 1-isldm.

Beyrouth, 2me e6d. 1978, p. 60.

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Les traductions etaient-elles realisees au Bayt al-hikma? C 'est dans ce domaine qu'on a le plus tente de combler le manque d'informa- tions en attribuant au Bayt al-hikma l'organisation d'une activite qui fut certainement beaucoup moins centralisee qu'on ne l'a dit. Des traducteurs etaient employes au Bayt al-hikma sous le rZegne de Harutn al-Rasid. C'etait le cas de Salm, cite par al-Nadim dans sa liste des traducteurs, qui etait directeur du Bayt al-hikma, ainsi que celui d'al-Fadl ibn Nawbaht astrologue charge par Harun al-Rasid de la Hizdnat kutub al-kikma, qui traduisait du persan en arabe33. Mais sous al-Ma'muin, les traductions sont de moins en moins limi- tees "a un centre unique. Des commanditaires prives prennent peu a peu le relais. Ce sont des hommes d'Etat, comme Yahya ibn Halid ibn Barmak, Tahir ibn al-Husayn, Ishaq ibn Sulayman; des savants comme cUmar ibn al-Farruhan al-Tabari, les Banui Musa, al-Kindi; ou encore des lettres et mecenes comme cAll ibn Yahya ibn Abi Mansuir34. Le mouvement qui avait pris son essor au Bayt al-hikma reposait alors sur une base plus large et un plus grand nom- bre de savants et de traducteurs. Les califes continuaient cependant d'intervenir. C'est ainsi que Hunayn ibn Ishaq fut nomme par al- Mutawakkil amFn cald 1-targ'ama, et charge de corriger les traductions des autres35. L'expression amfn cald 1-targ'ama avait deja e6te employee 'a propos de Yuhanna ibn Masawayh, pour qui ar-Rasid retribuait des kuttdb36. II s'agit la de groupes de travail dont il ne faudrait pas exagerer le caractere <<institutionnel>). La prise en charge de traductions rejoignait globalement dans ses objectifs et ses resultats la politique qui consistait "a developper le Bayt al-hikma, mais "a vouloir rattacher institutionnellement ces groupes "a la bibliotheque, on perdrait de vue 'a la fois ses buts specifiques et l'extension du mouvement de traductions. Les grands traducteurs ne sont jamais mentionnes en relation avec le Bayt al-hikma. Des auteurs modernes ont voulu voir en Hunayn ibn Ishaq un directeur du Bayt al-hikma, mais les sources auxquelles ils renvoient ne per- mettent pas cette extrapolation37. La plus grande partie de la car-

33 Fihrist, p. 174; Al-Qifti, p. 255. 34 Ces informations proviennent de la Risdla ild YaWya ibn Abi-Mansur de Hunayn

ibn Ishaq et du chapitre IX des CUyun al-anba' de Ibn Abi UsaybiCa consacre aux traducteurs.

35 Ibn Gulgul, p. 65; Ibn Abi UsaybiCa, p. 262; Al-Qifti, p. 171. 36 Ibn Gulgul, p. 75; Al-Qifti, p. 370. 3 P. Hitti, History of the Arabs, 4eme ed. Londres, 1949, p. 212-3; O'Leary, p.

166, L. M. Sacdi, A bio-bibliographical study of Hunayn ibn Ishaq. Bulletin of the

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riere de traducteur de Hunayn, qui commenSa en 826, alors qu'il avait 17 ans, se deroula sous al-Mutawakkil et ses successeurs. D'autre part, le fait que le Bayt al-hikma ne soit pas mentionne dans sa Risdla comme un endroit oiu il ait consulte un seul ouvrage de Galien nous permet d'exclure toute activite de Hunayn au Bayt al- hikma pour la traduction ou l'utilisation d'ouvrages medicaux. II en va de meme pour Yuhanna ibn Masawayh. S'il a dirige un groupe de traducteurs, rien ne permet d'affirmer qu'il ait frequente le Bayt al-hikma38.

En ce qui concerne les traductions, le Bayt al-hikma fut le point de depart d'un phenomene qui depassa rapidement le cadre d'une seule institution.

L'une des fonctions essentielles du Bayt al-hikma sous al-Ma'mu-n fut d'etre aussi un lieu de reunions et de discussions. Hunayn ibn Ishaq, dans les Nawddir al-faldsifa, emploie l'expression Buydt al- hikma 'a propos du lieu oiu se tenaient des reunions des philosophes anciens. L'un des chapitres de cet ouvrage est intitule Igtima'dt al-

faldsifa ft buydt al-hikma Jf 1-a5dyd wa tafdwud al-hikma baynahum39. Cette fonction apparait nettement sous al-Ma'mu-n, et il semble qu 'a ce moment le Bayt al-hikma ait joue un role dans les discussions prealables 'a la diffusion du mu'tazilisme. D'apres le Kitab al-hayda de 'Abd al-'Azlz al-Kinani, une reunion eut lieu en presence du calife au Bayt al-hikma entre des traditionnistes, des juristes, des lexicographes, des theologiens rationalistes, au sujet de la creation du Coran40. Bisr ibn Giyat al-Marisi joua un role important dans l'organisation de cette reunion. CAbd al-'Aziz al-Kinani mourut en 240/854. Y. Eche evoque des doutes quant a l'authenticite du Kitdb al-hayda, mais pense qu'il ne peut etre posterieur au debut du Xe s., et que la relation des circonstances au moins de cette rencon-

Institute of History of Medicine, II, 1934, p. 409-446 d'apres le Fihrist, et Ibn Abi Usaybi'a, qui ne parlent pas du Bayt al-hikma a ce propos.

38 I aurait dirige le Bayt al-hikma d'apres M. Meyerhof, Von Alexandrien nach Baghdad et On the Transmission of Greek and Indian Science to the Arabs; P. Sbath (Kitdb al-Azmina. Bulletin de l'Institut dEgypte, XV, 1932, p. 235-6). G. Troupeau et J. Sournia, dans leur article sur la biographie de ce medecin, n'evoquent pas sa pre- sence au Bayt al-hikma (Medecine arabe: biographies critiques de Jean Mesue (VIlle s.) et du pre'tendu "Mesue le jeune, (Xe s.). Clio medica, III, 1968, p. 109-117).

39 Hunayn ibn Ishaq, Addb al-faldsifa, ed. 'A. Badawi. Koweit, 1985, p. 48. 40 Kitdb al-.Hayda, ed. G. Saliba, Damas, 1964, p. 149.

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tre renvoie 'a une procedure d'usage4 . Sacid al-AndalusI, sans par- ler du Bayt al-hikma, enumere les traditionnistes, les theologiens, les lexicographes, les juristes comme participants 'a des controverses en presence du calife42. Dans son ouvrage biographique sur les mu'tazilites, 'Abd al-Gabbar43 evoque des rencontres et des discus- sions entre al-Ma'muin et Tumama ibn Asras, Bisr al-Marisi, Abuf l-Hudayl. Tumama ibn Asras, qui etait muCtazilite, insistait parti- culierement dans sa doctrine sur la creation du Coran. Bisr al- Marisi n'etait pas lui-meme muctazilite, mais il partageait avec les muctazilites le dogme de la creation du Coran.

Doit-on attribuer au Bayt al-hikma d'autres activites que celles que nous venons d'evoquer?

Parce que al-QiftI et Ibn al-clbri nous disent que les trois fils de Muisa ibn Sakir furent installes avec Yahya ibn Abi Mansur au Bayt al-hikma44, on a considere le Bayt al-hikma comme un centre d'ensei- gnement, allant parfois jusqu'a y voir un ((vrai college)) avec un principal, Salm, et un bibliothecaire, Muhammad ibn Muisa al- Hwarizmi45. Cependant, cet aspect educatif de l'institution semble reserve a ces trois individus confies au calife a mort de leur pere de maniere exceptionnelle. Une autre source suggere l'existence d'un enseignement au Bayt al-hikma: Ibn Abi Usaybica, citant Hunayn ibn Ishaq, emploie ce terme pour designer un lieu d'ensei- gnement destine aux fils de rois dans la Grece antique. Aristote y ecouta clandestinement Platon46. Mais 1'enseignement des sciences philosophiques ne semble institutionnalise que dans les ecoles chre- tiennes (uskuil-s), auxquelles echappe cependant l'enseignement de haut niveau. A l'exception de quelques centres comme Gundisapiur ou Dayr Qunna, il se pratique dans des cercles reunis 'a l'initiative d'un enseignant. Le pouvoir politique n'intervient pas dans l'ensei- gnement des sciences profanes. D'apres G. Makdisi, celui-ci pou- vait etre assure dans les hopitaux pour la medecine ou dans les bibliotheques, mais cet auteur renvoie a une bibliotheque de Basra

41 Y. Eche, p. 49-51. 42 S'id al-Andalusi, p. 100. 43 'Abd al-Gabbar, Fadl al-iCtizdl wa tabaqdt al-muctazila, ed. F. Sayyid, Tunis,

1974, p. 261, 272-275, 259, et index. 44 Al-Qifti, p. 444, Ibn al-cIbri, Td'rih muhtasar al-duwal, ed. Salhani. Beyrouth,

1890, p. 264. 45 K. A. Totah, The Contribution of the Arabs to Education. Columbia, 1926, p. 16. 46 Ibn Abi Usaybica, p. 96.

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qui fonctionnait au Xe S.47. Pour la periode et le milieu qui nous concernent, les enseignants donnent leurs cours chez eux. Le mede- cin Yuhannd ibn Masawayh enseigne chez lui: il fait sortir de sa mai- son Hunayn ibn Ishaq qui posait trop de questions48. A. Dietrich decrit la journee du jeune Ishaq ibn Ibrahim al-Mawsill, qui appar- tient au milieu qui aurait pu frequenter le Bayt al-hikma: on le voit aller de la maison d'un maltre 'a celle d'un autre pour etudier telle ou telle discipline49. Les quelques indications dont nous disposons sur la presence des Banui Muisa lorsqu'ils etaient encore enfants au Bayt al-hikma evoquent plus un mode d'enseignement qui consistait en une sorte d'apprentissage, l'eleve allant vivre chez un maitre 'a qui il rendait des services. Que des savants aient enseigne au Bayt al-hikma n'est pas exclu; mais ce fait ne saurait faire de la bibliothe- que une institution dont l'enseignement aurait ete l'une des fonctions.

On a rattache aussi au Bayt al-hikma les observatoires de Samma- siyya au nord-est de Baghdad et du mont Qasyufn pres de Damas50. Or, le seul argument en faveur de ce rattachement est la presence au Bayt al-hikma de Yahya ibn Abi Mansuir, d'apres le passage de al-Qifti disant que al-Ma'mu-n y installa avec lui les Banui Muisa, et le fait que al-Ma'muin ait charge ce meme savant d'obervations astronomiques51:

<(Lorsque al-Ma'muin resolut d'observer les astres, il presenta (ce pro- gramme) 'a Yahya- et 'a un groupe dont les membres apparaitront 'a leur place alphabetique, puis il leur ordonna de pratiquer des observations et d'amelio- rer des instruments. Ils firent cela a Samm-asiyya 'a Baghdad et au mont Qasyuin 'a Damas en 215, 216 et 217. Les choses cesserent 'a la mort de al- Ma'mu-n au cours de l'annee 218&.

A. Sayili, dans son etude sur les observatoires dans l'islam, n'a pas trouve de raisons de rattacher au Bayt al-hikma ces programmes d'observations qui devaient aboutir 'a la redaction d'une table astronomique52 .

4 G. Makdisi, The Rise of Colleges: institutions of learning in Islam and the West. Edinburg, 1981, p. 24.

48 Ibn Abi Usaybica, p. 185. 49 A. Dietrich, Quelques aspects de l'education princiere 'a la cour abbasside.

Revue des Etudes Islamiques, XLIV, 1976, p. 89-104. 50 D. Sourdel, EI2, article Bayt al-hikma; G. Sarton, I, p. 557. 51 Al-Qifti, p. 357. 52 A. Sayili, The Observatory in Islam, p. 53-55.

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A travers ce que nous pouvons connaitre des activites pratiquees au Bayt al-hikma, et parmi lesquelles nous avons retenu une biblio- theque, un centre de traductions et un centre de reunions, nous pouvons determiner une evolution de cette institution. Sous Haruin al-Rasid, l'ensemble constitue par les livres accumules par les cali- fes pr&cedents, rapportes des campagnes en territoire byzantin, les ouvrages traduits, les ouvrages composes pour le calife, prit le nom de Bayt al-hikma du fait de l'importance croissante des ouvrages de philosophie, au sens large de sciences anciennes. Ces ouvrages y etaient traduits pour le benefice du calife et de quelques proches, comme les Baramika, et de ceux qui travaillaient pour une com- mande de ceux-ci. Sous al-Ma'mu-n, de plus en plus discret comme centre de traductions devant I'ampleur prise par le phenomene, le Bayt al-hikma se developpa comme une bibliotheque, dont ne benefi- cia plus seulement le cercle entourant immediatement le calife, mais de nombreux hommes de sciences. Il devint un lieu de rappro- chement entre la philosophie et les sciences religieuses, dans la mesure ou s'y reunissaient des hommes de religion. C'est sous al- Ma'muin qu'il quitte le cadre de la bibliotheque califale pour deve- nir une institution interessant l'ensemble de la societe. C'est l'etude des personnes en rapport avec cette institution qui permet le mieux de deceler la nature de l'elargissement qu'elle connut sous al- Ma'muin et la politique culturelle dans laquelle elle s'inserait.

Parmi les hommes mentionnes par nos sources comme etant en rapport avec le Bayt al-hikma, certains y occupent une fonction, directeurs, ou employes 'a telle ou telle tache, d'autres y effectuent des travaux d'ordre scientifique, et sont dans un premier temps des traducteurs, dans un second temps des mathetmaticiens- astronomes. La fonction de Sadhib bayt al-hikma passe sous al- Ma'muin d'une tache technique confiee a un savant traducteur, a une tache plus administrative, confiee 'a des kuttdb, eventuellement associes 'a un specialiste, ce qui denote un degre superieur d'organi- sation.

SALM53 est le seul .Sadhib bayt al-hikma du regne de Haru-n al- RasId dont nous connaissions le nom. Il traduisit des ouvrages d'Aristote et commenta l'Almageste pour Yahya ibn Halid ibn Bar- mak. D'apres al-Nadim, il traduisait du persan en arabe. Sous al-

53 Fihrist, p. 174, 340, 374; Al-Qifti, p. 97-98; Ibn cAbd Rabbih, al-Iqdal-farfd. Le Caire, 1948-49. II, p. 127.

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Ma'muin, il fit partie d'un mission en pays de Ruim. Si, dans une anecdote, Ibn 'Abd Rabbih nous le presente fre;quentant Tumama ibn Asras, courtisan lie aux Barmekides qui sera sous al-Ma'miun l'un des principaux soutiens de la politique mu'tazilite, il ne semble avoir lui-meme joue aucun role politique. Sous al-Ma'muin, il est, d'apres al-Nadim, associe 'a Sahl ibn Haru-n comme Sadhib bayt al- hikma. De lui, nous ne savons rien de plus: F. Sezgin54 l'identifie a l'alchimiste Salim al-Harrani, d'apres un article de P. Kraus qui cite une traduction de textes d'Aristote dans laquelle on mentionne que Salm al-Harran1, Sd4ib bayt al-hikma, avait aussi traduit ces tex- tes. C'est le seul endroit oiu Salm soit appele al-Harran1. M. Ull- mann met en doute cette identification: un certain Salim al- Harrani est l'auteur de plusieurs ouvrages alchimiques, et un ouvrage traduit en grec ayant pour auteur un certain Salmanas serait son ceuvre55. D'apres P. Kraus, la tradition attribue 'a Salm des travaux alchimiques. C'est ce que fait d'aprZes lui al-Tugra'i dans son Kitdb mafdtih al-rahma. Mais cet ouvrage mentionne Salim al-Harrani et non Salm .Sadhib bayt al-hikma. M. Steinschneider l'identifie au traducteur Sallam al-Abras56.

SAHL IBN HARUN57, secretaire de famille persane, fut nomme par al-Ma'muin Sadhib bayt al-hikma. II mourut, selon Yaqut, en 215/830. Ses ceuvres peuvent eclairer sa personnalite. Elles com- prennent un Di-wdn al-rasa-'il, un Kitdb TaCld wa cAfrd, sur le mod'ele de Kalfla wa Dimna, deux ecrits d'ordre politique: un Kitdb tadbfr al- mulk wa l-sijydsa et une epitre sur la fonction de qdaP, une cinquan- taine de feuillets de poesie. Deux textes sont conserves: sa Lettre sur l'Avarice, citee par al-Gahiz, qui fut interpretee comme une attaque sucuCibite contre la liberalite, vertu nationale des Arabes58 et un Kitdb al-Nimr wa 1-Taclab, fable politique mettant en scene un loup, un renard et une panthere. Ce texte a ete edite par A. Mehiri59, qui

54 GAS, IV, p. 271 . P. Kraus, Zu Ibn al-Muqaffa', p. 10- 1. 55 M. Ullmann, Die Natur und Gehzeimwissenschaften in Islam. Leyde, 1972, p.

216-2 17. 56 M. Steinschneider, Arabische Ubersetzungen. Centralblatt fur Bibliothekwesen

12. Beiheft, p. 50. Anm. 240b. 5 Fihrist, p. 15, 174, 182; Yaquit al-Riimi, Irsdd al-arzb..., ed. A. F. Rifaci, Le

Caire, 1936-38, IV, p. 258-9. 58 Kramers, EII, article Sahl ibn Hdru,n. 59 A. Mehiri: Sahl ibn Haru-n, Al-Namir wa t-TaClab = La Panthere et le Renard.

Tunis, 1973.

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s'interroge sur la tradition qui fait de Sahl ibn Haruin un s'uuibf. En effet, l'ouvrage se revele une tentative de synthese entre formes lit- teraires arabes et iraniennes: citations coraniques, vers anteislami- ques, proverbes, sont integres 'a la fable. A. Mehiri y voit oune transition entre l'adab d'origine sassanide tel qu'il a ete mis en hon- neur par Ibn al-Muqaffa'>>, et ol'adab arabo-islamique tel qu'il se definit d'apres l'ceuvre de Gahiz>>. Ce dernier lui vouait d'ailleurs une grande admiration. N'etant pas traducteur, n'ayant pas la reputation de rechercher des livres, Sahl ibn Haruin representait au Bayt al-hikma une autre tendance de la culture des debuts de l'epo- que abbasside. Peut-etre son role etait-il plus politique que techni- que, dans un Bayt al-hikma integre lui-meme dans une politique cul- turelle.

SA'ID IBN HURAYM60 etait associe 'a Sahl ibn Harutn au Bayt al-hikma. Cite par al-Nadim avec ce dernier parmi les bulagd', il est l'auteur d'un recueil de correspondances, et d'un ouvrage dont le contenu nous est inconnu: al-IHikma wa mandfiCuhd-. II s'agirait donc d'un ka-tib representant la meme tendance culturelle que Sahl ibn Haruin. II est cite comme associe de Sahl ibn Haruin au Bayt al- hikma, mais pas de Salm. Peut-etre l'a-t-il remplace?

Y. Eche a releve deux autres noms cites comme ceux de ,Shib-s: AL-SANAWBAR61, dont Y. Eche et A. Rifacl ont releve le nom

dans le Td'riih Dimasvq de Ibn cAsakir. Ce personnage aurait ete .Sadhib bayt al-hikma min buydt hikam al-Ma'muin. Cette formulation curieuse: buydt hikam nous invite 'a beaucoup de prudence quant "a l'utilisation de ce passage.

AHMAD IBN MUHAMMAD62, un traditionniste egalement cite par Y. Eche d'apres plusieurs auteurs. Nous ne savons rien de ses autres activites.

Nous en retiendrons que le Bayt al-hikma connut des directeurs plus obscurs que ceux que nous avons cites.

Trois noms ont encore ete signales comme ceux d'employes au Bayt al-hikma:

IBN ABI L-HARIS63, qui d'apres al-Nadim, etait relieur "a la Hizdnat al-hikma d'al-Ma'mufn.

60 Fihrist, p. 174, 182. 61 Y. Eche, p. 40; A. F. Rifacl, p. 375. 62 Y. Eche, p. 39-40. Nous avons consulte Al-Dahabi, Mfzdn, I, p. 252 et Ibn

Hagar, Lisdn, I, p. 296. 63 Fihrist, p. 14.

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HABIB64, un moine, avait chez lui en 265, d'apres la Chronique de Seert, une copie apocryphe du pacte passe entre le Prophete et les chretiens de Nagran. La copie provenait du Bayt al-hikma, ou il etait employe (kdnayatawalla hifz madfhi) avant de devenir moine. II ne semble pas qu'il ait dirige l'institution.

cALLAN IBN HASAN AL-WARRAQ AL-SUCUBI6s etait copiste au Bayt al-hikma. De sa presence ainsi que de celle de Sahl ibn Harin, on a parfois conclu que le Bayt al-hikma aurait pu etre un centre suCfibite66. cAllan ibn Hasan etait d'apres al-Nadim un genealogiste auteur d'un Kitdb al-Mayddn ft 1-matdlib, decrivant les defauts de 80 tribus et fractions de tribus enumerees par al-Nadim qui signale "a ce propos qu'il haissait les Arabes. Le genre matdlib etait pratique bien avant cAllan par Ziyad ibn Abihi (1-53/622- 673). Il connut un developpement particulier "a la fin du IJeme sie- cle de l'hegire avec cAllan, Haytam ibn cAdi, Hisam ibn al-Kalbi (m. 204/800). Cet auteur ecrivit aussi d'autres ouvrages: l'un traite des qualites des Kinana et des Rabica, les autres des genealogies de Namir b Qasit et Taglib ibn Wa'il. Un Kitdb al-mundfara semble appartenir egalement au genre genealogique, qui releve de la tradi- tion arabe, telle qu'on l'oppose 'a ce moment "a la tradition persane. Les defauts reproches aux Baniu Minkar dans le Kitdb al-Mayddn fl- matdlib sont l'avarice et la deloyaute d'apres un passage cite par I. Goldziher qui, plus loin, considZere l'apologie de l'avarice comme l'un des signes de la s'ucibiyya67. Des vers anteislamiques sont cites par cAllan a l'appui de son opinion. Les valeurs et les references de cAllan al-Warraq semblent bien arabes et non persanes. Il semble qu'il ne doive sa nisba qu''a son ouvrage du genre matdlib, qui se situe pourtant dans une tradition culturelle arabe.

Ni la presence de Sahl ibn Harufn ni celle de cAllan ne sauraient donc avoir fait du Bayt al-hikma un centre de diffusion des idees sucuibites, en tant que choix culturel, et encore moins en tant qu'ideologie hostile a l'islam. Au contraire, le Bayt al-hikma faisait une large place au muctazilisme, oriente vers la defense et la propa- gation de l'islam, la lutte contre les idees dualistes. Sur le plan cul- turel, la promotion d'un precurseur de l'adab comme Sahl ibn

64 Chronique de Seert. Patrologia Orientalis, XIII, p. 601. 65 Fihrist, p. 154. 66 Y. Eche, p. 55. 67 I. Goldziher, Muhammedanische Studien. Halle, 1888-90, p. 206-207.

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Harutn souligne une volonte de synthese plus qu'une orientation vers la culture persane.

Employe's a des traductions au service du calife ou de ses proches sous Hariun al-Rasld, les savants devinrent sous al-Ma'miun les uti- lisateurs du Bayt al-hikma. Un plus grand nombre d'entre eux le fre- quenta. C 'etaient essentiellement des astronomes chez qui l'astro- nomie etait associee aux mathematiques plutot qu'a l'astrologie.

AL-FADL IBN NAWBAHT68, d'apres al-Qifti, vivait au temps de Haruin al-Rasid qui le chargea de s'occuper de la ((bibliotheque des livres de philosophie>>. Al-Nadim se contente de nous dire qu'il <<etait au Bayt al-hikma de Haruin al-Rasld, pour qui il traduisait du persan en arabe>>. La notice de al-Qifti etant largement inspiree de celle de al-Nadim, malgre une redaction diff6rente, il semble plus prudent de s'en tenir 'a l'information donnee par le Fihrist.

MUHAMMAD IBN MUSA AL-HWARIZMI69 frequentait le Bayt al-hikma sous al-Ma'mu-n. C'est sous son regne qu'il aurait compose ses ouvrages qui couvrent plusieurs disciplines: l'astrono- mie (tables, cadran solaire, fabrication et usage de l'astrolabe), le calendrier, la geographie, les mathematiques. Il n'est pas indiff6- rent de savoir qu'il laissa le souvenir d'un piZetre astrologue, qui predit une longue vie 'a al-Watiq quelque temps avant sa mort.

YAHYA IBN ABI MANSUR70 etait egalement un astronome. Al-Ma'mu-n s'adressa 'a lui pour le programme d'observations de al-Sammasiyya, et lui demanda d'ameliorer les instruments astro- nomiques. Il participa 'a la mesure du degre terrestre. Comme Muhammad ibn Miusa al-Hwarizml, il occupait vraisemblable- ment une fonction d'astrologue de cour: al-Qifti raconte une de ses consultations en tant que tel. Mais les ouvrages qu'il a laisses sont de type astronomique. Son fils cAll, qui organisa la bibliothZeque du ministre al-Fath ibn Haqan, et en possedait lui-meme une qu'il appela Hizdnat al-hikma, fut l'un des commanditaires de Hunayn ibn Ishlq, HIubays et Ishlaq ibn Hunayn.

LES BANU MUSA7' ont ete associes tres jeunes, comme nous

68 Al-Qifti, p. 255; Fihrist, p. 382. 69 Fihrist, p. 383: wa kdna munqati-an ild hizdnat al-hikma; al-Qifti, p. 386; Dun-

lop, Muhammad ibn Muisa al-Hwarizml, JRAS, 1943, p. 248-250. 70 Al-Qifti, p. 331; Ibn al-CIbri, p. 264; Ibn Hallikan, Le Caire, 1949. V, p.

167-8. 71 D. R. Hill, The Banu Musa and the Book of Ingenious Devices. History of

Technology, II, 1977, p. 39-76.

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l'avons vu, au Bayt al-IHikma. Leur activite est egalement de type astronomique et mathematique: Muhammad s'occupe de geome- trie et d'astronomie, Ahmad de mecanique et al-Hasan de geome- trie. Ils participerent tous trois a la mesure du degre terrestre, au creusement de canaux, et sous al-Mutawakkil, a la construction du palais al-Ga!farf. Appartenant a la meme generation que le fils de Yahya ibn Abi Mansuir, ils eurent comme lui apres le califat d'al- Ma'mufn une activite de mecenat qui fut l'une des consequences de I'etat d'esprit qui s'etait developpe sous ce calife, et dont le Bayt al- hikma etait une expression.

SALIH IBN AL-WAGIH72 est signale par Y. Eche parmi les savants ayant frequente le Bayt al-hikma, pour une mention dans le Td'rzh Bagddd, d'apres lequel il aurait lu un Kitdb sifdt al-hulafd' a la bibliotheque d'al-Ma'mu-n. Nous ne disposons pas d'autres infor- mations sur lui.

Parmi le grand nombre de medecins exercant a 1'epoque de Haruin al-Rasid et al-Ma'mun, nous n' en rencontrons aucun dont le nom soit mis en relation avec le Bayt al-hikma. Nous avons vu qu'il n'y avait pas lieu d'associer le bayt al-hikma et l'ecole de traduc- tion dirigee par Hunayn ibn Ishlaq. De meme, l'affirmation selon laquelle Yuhanna ibn Masawayh aurait dirige la bibliothZeque ne repose sur aucune source. Si on ne rencontre pas de medecins au Bayt al-hikma, c'est a notre avis pour deux raisons:

De par la pratique que requerait leur discipline, les medecins menaient une activite relativement independante de celle des autres hommes de sciences. Ils disposaient de leurs propres circuits d'enseignement et d'un lieu d'echanges: l'hopital, fonde par Haru-n al-Ra'sid et dirige par Gibrl- ibn Bahtisu-c, puis Yuhanna ibn Masa- wayh. On y effectuait des traductions. - Les medecins a Baghdad etaient alors en general de confession chretienne, et assez longtemps, la medecine resta une prerogative des milieux chretiens. Or, ceux-ci, qui disposaient de circuits scien- tifiques, de moyens d'expression individuels et communautaires aupres du pouvoir, etaient peu concernes par une institution dont les buts etaient avant tout lies au devenir de l'islam. Ceci ne signifie pas qu'ils aient ete separes du monde intellectuel musulman: l'inte- ret de celui-ci pour les traductions medicales realisees par ces mede- cins chretiens est une preuve suffisante du contraire, de meme que

72 Y. Eche; Td'rzh Bagddd, X, p. 391.

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la discussion religieuse entre 'All ibn Yahya ibn Abi Mansir et des savants chretiens 'a qui il avait suggere de se convertir 'a l'islam73.

Le travail des astronomes est bien celui qui semble le plus lie au Bayt al-hikma 'a partir du regne de al-Ma'mun. En meme temps que des ouvrages originaux en mathematiques et en astronomie, appa- rait la discussion de l'astrologie comme moyen de pr6diction de l'avenir. Le theologien Abii 1-Hudayl refute les astrologues en pre- sence de al-Ma'mu-n. Al-Nazzm, un autre philosophe et theolo- gien muctazilite, la defend en ce qu'elle temoigne de ce que Dieu connait les choses cachees; al-Kindi y croit, mais pas al-Gahiz74. L 'evocation de l'incompetence de al-Hwarizmi en ce domaine prend ici toute sa signification: il s'agit de montrer que ce n'est pas par cette activite qu'il se manifeste comme un savant. L'astronomie que nous qualifierions aujourd'hui de rationnelle et qui se caracte- rise par la recherche de la connaissance du monde, par contre, s'accorde avec les conceptions philosophiques mises en valeur sous al-Ma'muin. R. Walzer remarquait a propos de la philosophie grecque75:

((Cette religion philosophique grecque et la theorie sur laquelle elle repose sont intimement liees a l'astronomie, c'est-a-dire l'ordre eternel des astres. Cela s'applique 'a Aristote, comme aux neo-platoniciens, qui transmirent aux arabes l'image du monde qui etait la leur 'a tous. La cause premiere dont l'existence est prouvee de cette maniere est identifiee avec Dieu,,.

Philosophie et theologie se rejoignaient: la question toujours discu- tee etait celle de l'unicite de Dieu, qui entralnait celles des attributs de Dieu, de la creation du Coran, de I'eternite du monde, celle de la toute puissance de Dieu par rapport au libre arbitre de l'homme, qui implique un pouvoir createur de ses actes. L'astronomie et la philosophie furent particulierement cultivees dans le sens d'une reponse a ces questions religieuses. Le theologien muctazilite al- Nazzam, considere par ses contemporains comme un philosophe, et al-Kindi, qui utilisait la philosophie grecque pour parvenir "a des conclusions differentes sur la creation du monde, sont reprtesenta- tifs de 1'esprit de ce mouvement. En 827, certaines positions

73 R. Haddad, Hunayn, apologiste chretien. Arabica, XXI, 1974, p. 292-302, evoque ce debat.

74 cAbd al-6abbar, p. 259; J. van Ess, REI, 1978-1979, p. 222; M. Ullmann, Natur und Geheimwissenschaften..., p. 273.

75 G. Walzer, Greek into Arabic: Essays on Islamic Philosophy. Oxford, 1962, p. 8-9.

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mu'tazilites furent declarees doctrine officielle76, et il s'ensuivit la campagne appelee mihna dont le but paralt avoir ete la propagation des idees muctazilites par une pression sur ceux qui, par leur ensei- gnement, leur activite juridique, leurs preches, etaient en contact avec le peuple. Parall'element, des muctazilites comme Ahmad ibn Abi Du'ad accedaient 'a des postes d'Etat. Le muctazilisme semblait pouvoir rassembler l'ensemble des musulmans, quelles que soient leurs origines religieuses ou ethniques. Ayant consacre dans ses debuts une bonne part de son activite 'a la conversion et l'education religieuse de nouveaux convertis, il avait eu besoin de polemiquer avec des personnes habituees 'a des modes de raisonnement diffe- rents de ceux des musulmans de longue date, et trouve dans la logi- que et la philosophie grecques les moyens de developper sa doctrine et la propager. Les chretiens, partie prenante de la culture de la region, avaient dej"a confronte monotheisme et philosophie grec- que. A l'epoque de al-Ma'mun, parmi les cinq usuil muctazilites, l'accent est mis surtout sur l'unicite divine, le tawh4d, entrainant la notion de Coran incree, la negation des attributs de Dieu, auxquel- les se rattachent les murgi'ites et Bisr al-Marisi, et la negation de la vision de Dieu dans l'au-dela. Dans la mesure oCu ce mouvement prenait en compte les apports culturels non musulmans, et luttait contre les opposants 'a l'islam, en particulier contre les dualistes, il pouvait apparaltre comme une solution possible au probleme de l'unite culturelle d'une communaute qui s'accroissait et se recen- trait dans une region oiu dominaient les idees dualistes. Le Bayt al- 4ikma, dont le developpement coincidait avec la mise en avant de cette doctrine religieuse lie'e 'a la philosophie qui devait realiser une synthese culturelle entre les differentes composantes de la societe musulmane, devait jouer un r6le specifique dans une politique cul- turelle.

Le Bayt al-hikma put etre sous al-Ma'muin le lieu privilegie d'une rencontre entre philosophie et religion. Sur le plan de la pensee, la rencontre avait eu lieu avant al-Ma'mu-n. Mais le Bayt al-hikma mit la philosophie a meme de jouer un role dans la societe, en elargis- sant l'acces aux ouvrages philosophiques, notamment aux ouvrages

76 Sur le mu'tazilisme, voir A. Nader, Le systeme philosophique des muctazila, Bey- routh, 1956 et J. van Ess, Une lecture 'a rebours de l'histoire du muctazilisme. Revue des Etudes Islamiques, 1978-1979. Sur la politique d'al-Ma'muin, voir M. Rekaya, EF, article Al-Ma 'mun.

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traduits en arabe, en favorisant l'ecriture d'oeuvres originales, en mettant en contact philosophie et hommes de religion. Nous n'avons pas de temoignages de rencontres au Bayt al-hikma entre hommes de sciences et religieux. Mais meme si materiellement, elles pouvaient avoir lieu ailleurs, le Bayt al-hikma etait un lieu oiu, a travers les livres, ces hommes retrouvaient des preoccupations communes. Le role specifique du Bayt al-hikma dans la politique muctazilite aurait donc ete d'assurer une base de diffusion aux idees philosophiques parmi les musulmans.

Des auteurs se sont efforces de dater la disparition du Bayt al- 4ikma, mais les sources sur lesquelles ils s'appuient ne sont guere eloquentes. Pour D. Sourdel77, il aurait disparu avec (da reaction orthodoxe de al-Mutawakkil>, pour M. Meyerhof et O'Leary7 8, al- Mutawakkil aurait reouvert le Bayt al-hikma. D'autres79 affirment qu'il fut detruit par les Mongols en 656/1258, s'appuyant sur al- Qalqasandi, qui parle de la destruction de la bibliotheque des abba- sides. S. Diwahgi, 0. Pinto et Y. Eche80 en relevent les dernieres mentions. Le Bayt al-hikma semble avoir subsiste au moins jusqu'au Xe s. Dans les mentions les plus tardives de son existence, il n'est plus designe sous ce nom, mais sous celui de Hizanat al-Ma'mu-n. C'est ainsi que l'appelle al-Nadim qui dit I'avoir frequente "a plu- sieurs reprises8t. C'est esgalement ce nom qu'emploie Hamza al- Isfahani (280/893-avant 360/970) qui dit avoir utilise huit copies du TJrFh muluk al-Furs dont une se trouvait "a la bibliotheque d'al- Ma'miin82. Si on designe ainsi le Bayt al-hikma, c'est d'une part qu'il est separe de la bibliotheque califale et reste attache au nom du calife sous lequel il connut son plein developpement, d'autre part qu'il est redevenu une simple bibliotheque. Si l'on en croit la nature des documents signales par al-Nadim, il s'agit presque d'un simple depot. Des projets faisant double emploi avec le Bayt al-hikma voient le jour: celui d'un nouveau palais 'a Baghdad, sous al-

EP, article Bayt al-hikma. 78 M. Meyerhof, Alexandrien, p. 403; O'Leary, p. 168. 79 Krenkow, EIl, article Kitdbkhana; P. Tarrazi, I, p. 107; Inayatullah, "Biblio-

philism in medieval Islam", Islamic Culture, XII, 1938, p. 154-159; al-Qalqasandi, Kitdb Subh al-acid, Le Caire, 1913-19, p. 466-67.

80 S. Diwahgi, p. 36; 0. Pinto, La Biblioteche degli'arabi nell'eta degli abbassidi. Flo- rence, 1928, p. 14, d'apres Ibn Hallikan, I, p. 549.

81 Fihrist, p. 8-29. 82 S. Diwahgi, p. 36, d'aprZes Hamza al-Isfahani, Kitdb ta-'r-h sini-mulzik al-ard wa

l-anbiya', Leipzig, 1844-48, I, p. 8.

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Mu'tadid (279/892-290/902), comprenant une annexe avec possibi- lite pour les hommes de sciences et de lettres d'etudier et de resider; la fondation 'a Baghdad un an apres la mort d'al-Nadim, en 381/991, par Sabuhr ibn Ardasir, d'un bibliotheque appelee Ddr al- C'ilm83. Le premier evenement qui put affecter le Bayt al-hikma fut peut-etre l'installation du calife "a Samarra. Mais plus fondamenta- lement, le changement politico-religieux qui se produisit sous le califat de al-Mutawakkil, consacrant l'echec de la diffusion de la doctrine muctazilite, a pu l'affecter dans les raisons memes qui avaient provoque son developpement. Avec l'interdiction de discu- ter de la creation du Coran, le Bayt al-hikma n'a plus sa place dans la vie intellectuelle. Le mouvement scientifique et philosophique avait neanmoins pris une autonomie suffisante pour ne pas en souf- frir outre mesure.

Le Bayt al-hikma fut peut-etre, ou peut-etre pas, un heritier de la bibliotheque d'Alexandrie, ou l'ancetre des bibliotheZques publi- ques actuelles. Mais, appuye sur la culture des communautes en presence plus que sur un modele ancien, il fut un element d'une reponse au probleme d'integration culturelle de la societe musul- mane du IXe s., l'un des elements d'une politique tendant 'a la dif- fusion et la defense de l'islam. Quel que fuit l'avenir de la politique dans laquelle s'inscrivait le Bayt al-hikma, le mouvement philosophi- que et scientifique du IXe s. ne fut pas une prise de connaissance passive de productions intellectuelles etrangZeres, ni un engouement soudain de quelques califes et vizirs aux motivations plus ou moins obscures, mais une appropriation active, donnant lieu a une crea- tion originale, dont les raisons tenaient tant a la continuite humaine et culturelle d'une region qu'aux problemes poses par l'islamisation de la societe.

83 J. Pedersen, The Arabic Book, p. 115. Pour cet auteur, il s'agit du Bayt al-hikma agrandi.