Law Abiding Citizen et Harry Brown
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8/7/2019 Law Abiding Citizen et Harry Brown
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Law Abiding Citizen, Harry Brown
Anomie contre dviance sous-culturelle
Le vigilante movie, et plus largement le film de vengeance, semblent bien se porter depuis le dbut des
annes 2000, poque police et culturellement hypogonadique qui, dans son dsir de chtier tout ce quien dpasse, voit souvent ses agents en proie la tentation de lexpditif, voire de la barbarie usage
personnel parce que je le vaux bien en oubliant le principe de monopole de la violence lgitime
la base des systmes rpublicains, lorsque quune tragdie (ou un simple inconfort) les touche
personnellement. Le genre se tenait en effet en hibernation depuis le milieu des annes 80, aprs avoir
connu un ge de grande popularit dans les annes 70, dabord dans lItalie des annes de plomb puis
plus largement dans un occident effray par linscurit domestique, qui passait du statut de sentiment
celui de fait social par la grce conjointe de lhorreur conomique et de la surmdiatisation de la
violence. Cest ainsi que sur le terreau redevenu fcond des Deathwish de la grande poque, fleurissent
dsormais diverses tentatives plus ou moins concluantes. Des peu convaincants (et manquant
clairement de recul sur leur sujet) Plus Jamais ou The Brave One, au plus intressant Death
Sentence qui avait le mrite dinterroger la pulsion de belligrance, mais aussi avec les adaptationsrisibles du Punisher, la trilogie de Park Chan Wook et bien des charretes de DTV post-Saw, la
vengeance personnelle se porte beau. Pour preuve ces deux nouveaux venus qui sortent quasiment
coup sur coup, alors quils ont t produits en 2009 pour lun et en 2008 pour lautre (merci les
politiques de distribution, chapeau les mecs) : le thriller pur jus Harry Brown et lactioner assez
conventionnel Law Abiding Citizen (titr Que Justice Soit Faite de par chez nous, cest dire si la
com du film se met au diapason du climat ambiant).
Mine de rien, le motif de la vengeance de lindividu envers la socit (ou envers des occurrences
corrlables ltat de ladite socit) irrigue toute la culture populaire depuis le dbut dune pensesociale articule, cest--dire dconnecte de la politique ou des notions de gouvernance.
Schmatiquement, depuis les prmices de la sociologie moderne. Est-ce penser que dans des
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systmes qui tendent prendre en charge leurs ressortissants dans toujours plus de domaines de la vie
intellectuelle voire mtaphysique, lirruption de lenvers du dcor, ou simplement du monde rel, est
vcue par ces derniers comme un affront personnel quil convient de laver, l o la culture classique
mettait plus volontiers en scne des individus occups affronter directement ledit monde rel ? Il
sagirait dun jugement de valeur qui na pas sa place ici, dautant que les jugement moraux ou
politiques forment trs vite une piste merveilleusement glissante quand on prtend traiter du sujet du
vigilante, fut-ce au sens large. On peut nanmoins esquisser, peut-tre, un parallle flou mais
intressant entre le phnomne de gnralisation et de sacralisation grandissante de la propritindividuelle, de la tertiarisation et de la monte des classes dites moyennes, et la rsurgence de
lantique peur du loup, un loup nouveau, tte dhomme (dlinquant, nomade, marginal,
lumpenproltaire, forat vad), qui rderait dans des zones de non-droit ayant avantageusement
remplac les bois dantan. Et qui attaquerait, plus ou moins gratuitement, les croquantes et les
croquants forcment innocents, eux comme un mauvais souvenir des ges farouches, appelant
supposment des rponses drastiques la mesure de leurs incartades.
Le comic book (dun bon vieux Judex Batman en passant par des palanques de Punishers plus ou
moins chamarrs), le slasher (le plus souvent bas sur un ancien trauma du tueur), tout un pan dupolar, du krimi et du film de gangster fondent sur la vengeance (ou sur une justice dbarrasse du droit
commun) leurs principes moteurs, sans parler de la ractivation des antiques fantmes asiatiques
aveuglment vindicatifs. Pour ce qui est des deux films qui nous occupent, la manire dont cette
vengeance est pose, son objet, son contexte et ses consquences immdiates posent mchamment
problme. De fait, la question de ladhsion au propos dun ouvrage de fiction pour en valuer la
qualit et lagrment devient la seule rellement valide, et rend dautant plus intressante la vision des
deux films dos dos. Car bien entendu on va en entendre des vertes et des pas mres, notamment
concernant Harry Brown et ses partis-pris politiques partouzeurs de droite, de la part de critiques
parlant plus de morale et de politique que du contenu rel des films. Ce qui est intressant ici, cest que
le meilleur film des deux est aussi le moins valide politiquement, alors que le plus acceptable sous
nos latitudes est aussi assez faible dun point de vue cinmatographique. Esspicassion.
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Dans le coin de gauche (haheum) on trouve donc Law Abiding Citizen, qui mise sur les qualits
(relatives) demballeur de grands spectacles de F. Gary Gray (Italian Job, Negociator, A Man Apart,
bref des divertissements honntes mais pas de quoi se la prendre et se la mordre non plus) et sur son
casting qui ratisse large : Jamie Foxx, la version K-Mart de Denzel Washington, et surtout Gerard
Butler quon va tous voir chaque fois, mme dans deffrayants films pour lectrices de Biba, tirs en
avant quon est par le souvenir mu de Leonidas. Quelques vieilles ganaches et une Leslie Bibb
toujours plus transparente de film en film compltent le tableau, pas dsagrable mais peu folichon
donc. Partant dun home invasion totalement gratuit o un bon pre de famille (qui est ingnieur degnie dans le domaine des machines de mort, so they fucked with the wrong guy and this time its
personal, tout a) perd sa femme et sa fille avant de voir lun des mchants viter les sanctions lgales
via un arrangement la NYPD Blue, le film nous narre donc une vengeance du papounet envers les
deux tueurs, puis lavocat responsable de larrangement honni, puis le cabinet davocats, le juge,
ladministration de la ville Une joute sengage alors entre lavocat, qui dfend entre autres sa
famille lui (o ne manque plus que le gentil labrador), et lhomme de la rue devenu mchant qui a
ourdi un plan de ouf pour se faire justice. Bref, si une ou deux petites pripties ont le mrite de
surprendre (le coup du portable, les circonvolutions carcrales), on se retrouve dans une version light
de Die Hard With a Vengeance, notamment dans le crescendo proclam des exactions et de leur
ingniosit, mais McTiernan en moins, notamment dans la mise en scne trs tl de lensemble.
Amusant, le film reprend en fait dans son principe le libell de Saw 3, le plus intressant de la srie caril posait Jigsaw en pdagogue hardcore plutt quen tueur en srie, avec un jeu de piste bas sur la
vengeance contre une dcision de justice. Ici, le but ultime de Clyde nest pas tant de faire pleuvoir
son courroux (coucou) sur les criminels et le systme qui les a trop mal sanctionns, que dduquer
son alter ego et nanmoins adversaire quant sa politique : il lenjoint donc choisir labsolu de
lesprit de la loi plutt que les magouilles ayant cours dans les arcanes de la justice effective. Il le fait
en se posant lui-mme en mchant, en poussant jusqu labsurde la logique des arrangements avec
des coupables avrs, cest--dire lui-mme dans une dmonstration ab absurdo. Cest de loin lide la
plus intrigante, car elle est tout de mme fort discutable derrire son aspect simplificateur, et le film ne
dcolle logiquement que dans les squences centres sur Butler. Manifestement le seul y croire
mort, il samuse visiblement beaucoup et on retrouve enfin la lueur de folie dans son il quon attend
de revoir depuis les Thermopiles. a permet de tromper un ennui qui ne se dment que dans des
squences joyeusement nimpeuses, dont une de torture dont la retransmission arrache un sourire. Mais
tout ceci est, on laura compris, hautement inoffensif mis part lvocation des injections ltales :
quelques boum-boum-pan-pan-ouais-jl'ai-eu plus tard, chacun rentrera chez soi la conscience dans les
pantoufles, le mal mordant la poussire et les gentilles familles souriant de toutes leurs dents blanches.
Il va sans dire que Harry Brown possde une tout autre carrure cinmatographique, et ce dabord
parce quil a compris un principe de base : l o un bon vigilante movie est forcment un peu malsain,
un grand vigilante movie senvisage comme un film dhorreur pur et simple.
Ancien militaire tendance Orwell dans Burmese Days, Mr Brown vit dans une crasse cit londonienne
marque par le dlitement social et conomique, sans mme le passage occasionnel dune Rolls Royce
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princire saccager pour se dfouler. Alors on fait comme on peut, quitte taper sur lensemble des
petites gens du coin. Dont le meilleur ami de Harry, qui meurt sous les coups de divers sauvageons
pires que les autres alors quil allait innocemment les menacer dune baonnette. Qui plus est
nouvellement veuf, Harry pte les plombs et part en croisade contre la racaille, troquant sa vie
tranquille contre des armes feu et ses vieux reflexes de commando mdaill jusquaux chaussures.
Du point de vue strictement cingnique, Harry Brown est un fist avec une mitaine cloute. Sans la
moindre trace dhumour ou de distanciation avec son sujet, le film vogue bille en tte du cafardeux au
glaant pour mieux revenir vers le cafardeux. Londres, ce propos, continue de remplir son rle de
ville officielle des fins du monde dans le cinoche rcent, sans doute pour sa personnalit fin-de-sicle,
sa part victorienne qui reste prpondrante. Harry Brown volue dans un monde daprs
lapocalypse, une apocalypse qui a eu lieu non dans une explosion mais dans un soupir. Lanomie
totale y est accomplie. Les agresseurs, dlinquants et sauvageons acculturs qui tiennent les quartiers y
sont dune certaine manire dj retourns lanimalit, vivant un prsent perptuel fait de
consommations (drogues, artefacts du consumrisme, autres tres humains) desprit de meute et de
dominance purement gratuite, avec la procration comme seule perspective mtaphysique (voir la
trajectoire dcrite par Noel Winters, la plus saillante des petites frappes : le pre tait une petite frappe,flambeau quil a depuis repris et risque de repasser aux rsidus de ses putatives grossesses
adolescentes). Un monde en apparence intact mais peupl de fantmes qui sentredchirent par la
griffe et la dent. La mise en scne, au 2.35 trs statique, semble attester de ce monde spirituellement
mort. Dans cet univers, Harry oppose le pass, les vieilles thiques (on le voit tantt exhumer des
souvenirs, tantt inhumer des proches, ce quil est le seul faire, ses victimes crevant littralement
comme des chiens, mme le sol et sans spulture), un sens presque anachronique de la responsabilit
dans un tel contexte. Ayant tout perdu, il se permet de ractiver le pass pour se changer en spectre et
hanter les fautifs. Il suffit de voir le gunfight dans le passage souterrain, o il se cache dans lombre et
frappe de l, ou les divers surgissements et ouvertures de champs dans le dos de protagonistes pour
voir dfinitivement le personnage comme un croquemitaine. Lambigut du traitement de Harry se
situe l : plac demble comme seul tre humain part entire (avec une histoire, un discoursprminent laction, etc.) du mtrage avec la jeune inspectrice, il est aussi pos comme une force
primaire qui sabat sur les coquins de manire quasi-surnaturelle (voir la rapidit de ses reflexes, ou
ses rsurrections successives). Le jeu incroyablement nuanc de Caine, qui passe de lmotion la plus
empathique une froideur de machine tuer parfois dans le mme plan, brouille encore un peu les
pistes.
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La police ? elle joue strictement un rle de choeur antique, montre comme presque parfaitement
impuissante faire voluer la situation, que ce soit dans les enqutes successives (sur la mort de Len
puis celles des voyous) ou lopration arme de dmantlement de la criminalit dans la cit, qui se
solde sur une meute grande chelle. Le bon ne peut donc compter que sur lui-mme contre les
mauvais , dans un systme strictement binaire qui pose un gros problme. Impossible de cautionner
le discours du film, qui tend justifier les milices de proximit et lautodfense : Harry ne sera jamaispuni de son hubris (il nest frapp ni de mort ni de folie il aura tout de mme commis quelques
homicides en chemin) et est mme valid in extremis dans ses actes par la voix off qui en fait
carrment un porte-parole de la majorit silencieuse qui aurait lav le monde plus blanc par ses
exactions ! La trop grande volont de boucler le rcit sur lui-mme, en entretenant des relations qui
confinent au deus ex machina entre les persos principaux, implique la thorie de lhrdit des
caractres, le criminel nengendrant, ici, que le criminel Cette manire de subvertir la construction
du vigilante interroge. On finit le film avec un got mtallique dans la bouche, mais qui nest pas d
qu cette vision, disons, peu nette des enjeux politiques du rcit. Car cest avant tout la qualit de ce
quon pourrait appeler un film dpouvante sociale qui fait cet effet. Caine est majestueux comme
son habitude et le lien quon dveloppe avec son personnage dans certaines squences rsulte dune
caractrisation solide et dune mise en valeur de lunivers trs opratique et maitrise : la longue scnedes trafiquants darmes est dun putride quon ne voit pas si souvent. On sy sent presque poisseux, on
y sent presque les odeurs, et cest tout le prix de ce film, dont limplacabilit force ladmiration que
salinent les thses quil dveloppe.
Bien entendu, sil faut nen choisir quun, ce sera Harry Brown haut la main. Nombre de
spectateurs, perdus devant un discours pas assez liss pour eux, traiteront le film de rac et par
consquent de navet. Si le premier argument peut la rigueur sentendre, sen servir pour
justifier le second sera la marque dimbciles, ni plus ni moins. Doit-on adhrer pleinement au
discours dun film pour en apprcier les qualits ? Ou ne va t-on au cinoche que pour se voirremettre des certificats de bonne pense citoyenne ? Your Call.
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