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L'art du psychanalyste

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textes de base

en psychanalyse

L'art du psychanalyste Autour de l'œuvre de Michel de M'Uzan

sous la direction de

F r a n ç o i s D u p a r c

M.Aisenstein B. Chervet

A. Deburge J. Dufour F. Duparc

M. Gagnebin A. Gibeault

M. de M'Uzan A. Thomé

delachaux et niestlé

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collection

textes de base en psychanalyse

dirigée par

Elsa Schmid-Kitsikis

ISBN 2-603-01127-8

Cet ouvrage ne peut être reproduit, même partiellement et sous quelque forme que ce soit (photocopie, décalque, microfilm, duplicateur ou tout autre procédé analogique ou numérique) sans une autorisation de l'éditeur.

Composition: Montserrat Acarin Maquette: K@

© Delachaux et Niestlé S. A., Lausanne (Switzerland) Paris 1998. 79, route d'Oron - 1000 Lausanne 21 - Switzerland. Tous droits d'adaptation, de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.

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LES AUTEURS

Présidente de la Société Psychanalytique de Paris, Paris

Membre de la Société Psychanalytique de Paris, Lyon

Membre de la Société Psychanalytique de Paris, Paris

Membre de la Société Psychanalytique de Paris, Chambéry

Membre de la Société Psychanalytique de Paris, Annecy

Membre de la Société Psychanalytique de Paris, Paris

Membre de la Société Psychanalytique de Paris, Président de la Fédération Européenne de Psychanalyse

Membre de la Société

psychanalytique de Paris, Paris Psychanalyste, Psychiatre, Grenoble

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Préface

François Duparc

Le 5 avril 1996, un colloque a été organisé à Annecy

sur l 'œuvre de Michel de M'Uzan par le Cercle

d'Études Psychanalytiques des Savoie en sa présence

et avec sa participation active. J'étais particulièrement

heureux de pouvoir l'accueillir, car il constitue une

référence clinique et théorique pour toute une généra-

tion de psychanalystes français à laquelle j'appartiens,

qui ont le sentiment de lui devoir beaucoup pour leur

apprentissage de la psychanalyse. De plus, c'était la

première fois qu'un colloque de ce type était ainsi consacré en France à l'ensemble de son œuvre. La

journée s'est déroulée en trois parties, ou trois thèmes

principaux. En premier lieu deux exposés sur les

travaux psychosomatiques de M. de M'Uzan, qui a,

1. Association d'une quinzaine de collègues de Savoie et de Haute- Savoie, dont les membres appartiennent pour la plupart au Groupe Lyonnais de la Société Psychanalytique de Paris. Le colloque fut animé et soutenu par la participation de ces membres, auxquels se joignirent amicalement des membres grenoblois de la S.P.P. et des analystes de la Société Suisse de Psychanalyse.

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comme on le sait, fait partie des fondateurs de l'École

de Psychosomatique de Paris (avec P. Marty et M. Fain), et sur son approche originale des fins de vie,

pour laquelle il constitue un précurseur. Ensuite, deux exposés sur le cœur de la démarche analytique, à savoir le processus de la cure et le contre-transfert, sur lesquels il a beaucoup insisté. Enfin, pour terminer (avant la table ronde finale), deux exposés l'ont inter- rogé sur le thème de la création littéraire et sur son

parallèle avec le fonctionnement du psychanalyste. Après chaque exposé, Michel de M'Uzan avait le champ libre pour discuter et enrichir les auditeurs du

colloque et les intervenants de ses réflexions les plus récentes sur les thèmes ainsi abordés, un exercice sans

filet auquel il s'est prêté de très bonne grâce, avec son humour habituel.

J'ai choisi de donner L'art du psychanalyste comme titre à cet ouvrage, qui reprend les actes du colloque, ainsi que les textes qui ont servi de référence aux conférenciers qui l'ont présenté (avec de surcroît quelques textes introuvables ou inédits). Pourquoi ce titre? Sans doute parce que je n'ai jamais eu autant

qu'avec Michel de M'Uzan la certitude que le métier de psychanalyste est un métier d'artisan, qui nécessite un minimum de qualités humaines et artistiques véritables - tout autant, sinon plus, que des qualités de rigueur, de patience et de bonnes aptitudes théoriques, dont il nous donne par ailleurs l'exemple manifeste - pour pouvoir assurer cet extraordinaire travail de porteur d'eau, de portance du vivant et de l'espoir que nous demandent les analysants.

Artisan, le psychanalyste l'est car il fabrique ses outils sur mesure, à sa main, à partir des matériaux théo-

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riques dont il dispose. Et chacun sait que M. de M'Uzan

n'en a pas été avare, allant dans sa générosité jusqu'à en faire abondamment profiter les autres. Ces outils

doivent être souples et variés, pour s'adapter à l'infini-

té des structures qui viennent s'offrir à l'analyste pour

leur réparation, ou leur consolidation. Chez de M'Uzan, ce sont de petits chefs d'oeuvre de

concision poétique: chez lui la chimère naît comme dans un conte, de la bouche de l'inconscient, dans le

silence fondamental où le temps tourne à l'envers,

pour récupérer les trésors de la régression. Tolérant au

flottement des limites du moi, l'analyste prête son espa-

ce psychique au patient pour des fantasmes de ponte, d'où naissent des pensées paradoxales, dont on ne sait

qui est le créateur. Le public intérieur du psychanalys- te, comme celui de l'artiste, lui permet d'accepter de se

dissoudre presque dans son œuvre, le processus psy-

chanalytique. Aussi, quand le sourire de l'avocat vient à

paraître, le pire pervers, le plus esclave de la quantité, en quête d'une dose de narcissine, peut y trouver son continent noir et parvenir à rassembler sa personnalité

en archipel. Alors, voici que la quantité se trouve contrainte à la qualité, et que le même et l'identique ne

se confondent plus. Une mutation énergétique se pro-

duit, grâce à la sélection darwinienne appliquée aux

interprétations: le sexuel triomphe sur l'opératoire, la libido sur la désorganisation; la pulsion de mort n'est

plus qu'une simple pirouette verbale pour ranimer les conversations de salon moribondes, et les mourants

même voient leur âme transférée avant leur mort, ou

presque... Heureusement que l'on guérit de tout, même de l'idéal!

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Voici, en survol rapide, une partie de la philosophie généreuse, modeste et humaniste de Michel de

M'Uzan: du grand art de psychanalyste. Sans aucun doute aussi, son écriture artistique personnelle l'a-t-elle aidé et préparé à cette capacité de transmission de la psychanalyse dont témoignent ses écrits et son lan-

gage. J'espère que ce livre donnera à ceux qui ne le

connaissent pas encore le plaisir de s'y plonger, et à ceux qui le connaissent déjà celui de le relire, comme je l'ai eu moi-même.

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Première partie

Le colloque sur l'oeuvre,

exposés et discussions | L'oeuvre psychosomatique

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Chapitre 1

Pensée o p é r a t o i r e e t t r a i t e m e n t de la réali té

Marilia Aisenstein

Comme j'en avais déjà averti Michel de M'Uzan et

François Duparc, je vous demanderai de me pardonner une présentation peu construite et peu élaborée. Cela me faisait extrêmement plaisir d'être ici parmi vous, mais je ne vous lirai pas de texte, je me contenterai de poser quelques questions à Michel de M'Uzan et de dialoguer avec lui une fois encore. Lorsque nous nous étions rencontrés voici à peu près un an à Genève, Michel de M'Uzan, je vous avais fait la confidence

publique d'un très long dialogue intérieur avec vous, depuis une époque où je ne vous connaissais pas encore. Vos textes sur le travail du trépas avaient été

pour moi plus qu'une découverte, une véritable ren- contre avec un psychanalyste et un auteur: je ne l'étais

pas à l'époque et je ne pensais même pas encore le devenir.

Mais ce n'est pas à ce sujet que j'avais choisi de vous

questionner ce matin. Je voulais revenir sur une question

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qui reste tout à fait ouverte pour moi, qui est celle de la réalité dans la pensée opératoire, ou dans la vie

opératoire. Je ne vais pas retracer votre œuvre car je

sais que tout le monde ici en connaît l'essentiel. Je ne

rappellerai donc pas l'histoire des quatre mousque-

taires, comme on appelait Michel Fain, Christian David,

Pierre Marty et vous-même. Cette collaboration devait

vous amener à l'écriture en commun de L'investigation

psychosomatique. Christian David nous avait raconté

que vous vous rencontriez les dimanches matins

autour d'une table en buvant une potion étrange,

mélange de rhum et de coca-cola qu'on appelle "Cuba

libre"; pendant ce temps-là, vous collectionniez les

observations de patients somatiques, ce qui a donné

ce livre tout à fait fondamental pour l'avenir de l'École Psychosomatique de Paris.

Les premières descriptions de la pensée opératoire

(qui allait devenir la vie opératoire) sont connues de

tous. Je crois d'ailleurs que ce concept est entré dans

le domaine public de l'analyse, jusque dans le bagage des analystes non-psychosomaticiens. Dans les même

années, bien qu'un peu plus tard, outre-Atlantique,

Nemiah et Sifnéos ont décrit le syndrome de l'alexithy-

mie, très connu aux Etats-Unis, qui ressemble beau- coup à celui de la vie opératoire. Je trouve très intéres-

sant qu'en des lieux complètement différents, des

chercheurs tournent autour d'une même idée qui surgit sans doute parce qu'elle est devenue nécessaire. Il faut

noter toutefois que ce qu'en a fait Sifnéos depuis a pris un sens quelque peu différent.

Des "patients opératoires", je dirais plutôt des "pas- sages opératoires" - car au fond chacun d'entre nous

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fait l'expérience de passages opératoires à un moment o u à u n a u t r e d e s a v i e - n o u s e n r e n c o n t r o n s t o u s ,

même en dehors du champ de la psychosomatique psychanalytique. Pierre Marty, lui, y voyait l'aboutisse- ment d'un moment de dépression essentielle, et l'ins- tallation d'un mode de fonctionnement où la voie est

ouverte à la désorganisation progressive et à la désor-

ganisation somatique. Il me semble que jusque-là vous étiez tout à fait d'accord avec lui, et qu'on peut parler d'une co-création.

Mais je crois que vos idées accordent un statut un peu plus complexe non à la phénoménologie de la chose, mais à sa contrepartie économique et à sa fonctionnali- té. Je crois comme vous, car c'est vous qui nous l'avez

appris, que l'appareil psychique dispose pour sa survie d'une infinité de palettes de fonctionnement, et qu'il

n'y a pas de hiérarchie d'un fonctionnement à l'autre. On fait comme on peut au moment où l'on peut. C'est

ici que vous divergez, et que vous enrichissez peut- être le modèle de l'IPSO' dans lequel j'ai été élevée, en

gardant ouverte la question de la contrepartie écono- mique. C'est sur ce point-là que j'ai envie de dialoguer avec vous, car plus j'avance en âge et en expérience

de ce type de patient, plus mes idées s'embrouillent, curieusement. J'ai appris un modèle qui m'est absolu-

ment indispensable pour penser, mais qui ne me paraît

plus recouvrir toutes les gammes de moments ou de patients opératoires, ou prétendus opératoires. Tous ces passages opératoires ne me semblent pas faits du

1 L'IPSO, abréviation pour désigner l'Institut Psychosomatique de Paris, centre de consultation et de traitement où ont travaillé es fondateurs de L'École psychosomatique de Paris; P.Marty, M. de M 'Uzan, M. Fain, C.David, Sami-Ali, etc., tous membres de la Société Psychanalytique de Paris.

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même bois, même si phénoménologiquement ils se ressemblent.

J'avais pensé reprendre ici les cas princeps que vous

avez décrits avec Pierre Marty pour en discuter et y tra-

vailler ensemble (ou plutôt pour vous faire travailler à

nouveau dessus) mais j'ai finalement préféré vous pro-

poser deux autres brèves histoires. La première est une

petite histoire. La seconde est un moment d'une

consultation que j'ai eue à l'IPSO cette semaine.

La première histoire se situe vers les années 79-80, à

peine deux ou trois ans après que l'IPSO se soit dépla-

cé de la rue Falguière vers un terrain vague un peu

sinistre à la porte de Gentilly. J'arrive pour ma supervi-

sion avec Pierre Marty. Il est debout, et il me dit de prendre un manteau car nous allons aller sur le terrain

vague à côté. Il m'explique qu'il va me montrer quelque chose, et qu'il va faire un diagnostic in vivo.

Je suis un peu interdite mais on ne discutait guère

quand il avait de telles idées. Je me souviens que je

n'avais aucune envie de sortir, car il pleuvait des cordes, mais j'obtempérai. Dans les couloirs, Pierre

Marty se met à héler toute personne qu'il rencontre, d'autres thérapeutes, les secrétaires, en disant: "Vous

allez venir avec nous", ce qui fait qu'une véritable peti-

te troupe finit par suivre notre médecin-chef jusque sur un terrain vague à 500m de là, sous la pluie. Une fois

arrivés, nous découvrons le spectacle suivant: une

carcasse de voiture, quatre draps étalés par terre, un

moteur complètement démonté et les pièces jetées sur les draps pour qu'elles ne soient pas à même la boue. Un asiatique est accroupi là, très calmement, très minutieusement occupé à remonter toute sa voiture,

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qu'il avait complètement démontée la veille. Pierre

Marty me demande: "Alors qu'est-ce-que vous voyez

là?" Je lui réponds: "Je vois un Chinois complètement

fou". Il me dit que ce n'est pas du tout cela, que je n'y

suis pas du tout, que je n'ai rien compris, bien que je

sois pourtant depuis plus d'un an dans cet hôpital! "C'est un moment de vie opératoire in vivo." Je n'étais

pas très convaincue et je lui dit que je trouve cela très, très fou. Il me dit "Non madame, car si cet asiatique

était dérangé par une quelconque vie fantasmatique, il

ne pourrait pas démonter toute une voiture vis par vis et la remonter tranquillement comme ça. Et aucun

d'entre nous, dérangés que nous sommes par notre

inconscient, ne pourrait faire ce genre de travail". Là,

j'étais complètement d'accord car je ne me sentais pas du tout capable de démonter et de remonter une voi- ture, mais quant à la finalité de la chose, je continuais

de trouver qu'il y avait là quelque chose de l'ordre de la folie.

Je dois ajouter que si je n'étais pas convaincue alors, devant ce comportement tout à fait étrange, je conti-

nue aujourd'hui à penser que derrière ces modalités en effet totalement opératoires, il y a souvent un traite-

ment complètement délirant de la réalité, assez proche

de certaines psychoses froides que j'ai eu l'habitude de voir au Centre de Psychanalyse du XIIIe; je suis d'ac-

cord en ce qui concerne l'écrasement de tout le systè-

me représentatif, ainsi que sur la mise en route d 'un fonctionnement fragile de survie. Donc je suis d 'accord

sur la phénoménologie et la sémiologie. Mais pour moi, la question de la contrepartie économique ou défensive reste encore ouverte. Or je sais que vous

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parlez de surinvestissement de la réalité et que vous lui accordez une valeur défensive, même si je ne vous

ai jamais entendu parler de traitement délirant de la réalité. J'avais donc envie de vous poser la question de

savoir si vous seriez d'accord avec mon impression

qu'il existe non seulement, très probablement, une

valeur défensive dans ce type de comportements, mais

aussi peut-être un traitement délirant de la réalité. Car

comme je vous l'ai dit, et ce n'est peut-être pas très

bon signe, plus j'avance et moins j'ai de certitudes.

La deuxième histoire que je vais vous proposer est un entretien tout récent, de mardi dernier à l'IPSO, dans le

cadre d'une consultation enregistrée au magnétoscope

que nous faisons avec Claude Smadja. La patiente est

une très jeune femme, martiniquaise, qui a vraiment

l'air d'une gamine. Je la prends pour une adolescente,

mais elle n'a pas quinze ans comme je le croyais au

départ, puisqu'elle est mère de quatre enfants (de

quatre pères différents d'ailleurs). Elle a beaucoup de charme; quelque chose en elle d'accrocheur; et elle est dans une situation extrêmement difficile. Elle annonce

d'entrée qu'elle vient pour des crises de tétanie, mais

en guise de crises de tétanie, nous décrit de façon pré-

cise ce qu'on inclinerait plutôt à appeler des syn- dromes de panique.

Une première demi-heure de consultation se passe,

pendant laquelle cette jeune femme parle de façon tout à fait associative, intéressante et riche. Elle me

semble, malgré des traits caractériels certains, extrê-

mement proche d'une névrose hystérophobique; il y a des associations, des inhibitions, des brusques arrêts, un matériel onirique récent qui lui ramène un matériel

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onirique ancien, tous signes qui en général ne trom-

pent pas, d'autant qu'il s'agit d'une fille extrêmement simple, passée par les foyers de la DASS et qui n'a

fait aucunes études. En dépit de cela, elle me décrit d'une façon très émouvante son grand plaisir à lire des

romans - n'importe quel roman, "mais aussi Racine". Au bout d'un moment je lui demande: "Racine?" Elle

me répond: "Oui, Racine, c'est Les racines, Roots, le roman américain". On voit qu'elle cherche quelque chose car ce roman américain Roots, est quand même

une saga africaine.

La demi-heure est passée et je suis en train de me dire

que je vais l'envoyer rue Saint-Jacques au CCTP pour une analyse. Elle est égarée à l'IPSO. Soudain, au détour d'une question, elle s'arrête et se met à décrire une matinée récente. Elle commence en disant que

c'était rue de la Santé, sur le trottoir de gauche si on sort du métro en venant de la Glacière. Étant donné

qu'il y a deux sorties de métro, c'est bien celle de gauche qu'il faut prendre pour remonter. Elle entre-

prend alors de raconter une interpellation par la poli- ce, d'une façon extrêmement longue et descriptive. Le récit dure, et dure. Elle est manifestement entrée, de

façon soudaine, dans un moment totalement opératoi-

re. Si j'avais été seule avec elle, je l'aurais sans doute fait bifurquer plus tôt, et orientée. Mais là, comme je

2. DASS abréviation désignant les centres de placements familiaux de la Direction de l'Action Sanitaire et Sociale, où sont placés les enfants abandonnés ou retirés à la garde de leurs parents. 3. CCTP, abréviation pour désigner le Centre de Consultation et de Traitement Psychanalytique de la rue Saint-Jacques à Paris, administré par la Société Psychanalytique de Paris. On y reçoit des consultants qui sont dirigés après un ou plusieurs entretiens, soit vers des collègues pri- vés soit, le cas échéant, vers une prise en charge de psychothérapie, de psychodrame analytique, ou encore en cures analytiques gratuites dans le centre lui-même.

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devais tenir compte de ce qu'il y aurait des jeunes col-

lègues devant le magnétoscope, j'ai laissé la séquence

se développer davantage. Et heureusement, car cette

consultation, qui durera finalement une heure et quart

(ce qui est très long), m'a tout à fait passionnée, et

amenée à voir une fois de plus toute la complexité de

ces passages opératoires.

Elle va parler comme cela pendant vingt minutes, sur

le mode d'une description minutieuse, monocorde. Elle en arrive à raconter son entrée dans un café de la

rue de la Santé, et à relater avec une extrême minutie

l'assiette servie à son voisin, qui absorbe alors tout son

intérêt. Un élément extrêmement visuel apparaît donc.

Je me dis alors que c'est autre chose qu'un fonctionne- ment opératoire, car le visuel est souvent absent du

discours opératoire, et il est rare que subsiste un élé-

ment visuel vivant, quand il y a écrasement fantasma-

tique. Elle reste cinq bonnes minutes sur la description

de cette assiette pendant lesquelles elle va parler du

vert clair de la feuille de salade, du rouge de la tomate à côté de la feuille de salade, de la lumière absolument

blafarde du néon dans le bistrot. Et je suis prise d'un

fantasme de salle d'opération; je me dis qu'on n'est

plus dans l'opératoire, mais qu'il s'agit d'un vrai

moment traumatique. Il doit y avoir quelque chose derrière cette obligation à décrire des couleurs et der- rière cet aspect visuel.

Je ne vous raconterai pas tout l'entretien, mais je vous

dirai juste qu'à ce moment, par curiosité, et voyant arriver la fin de la consultation, je lui demande si elle

n'a pas d'autres maladies somatiques que les crises de tétanie pour lesquelles elle semble être venue. Elle me

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dit alors qu'effectivement, elle va être opérée dans

quinze jours d'un cancer de la thyroïde, très probable-

ment; on lui fera une biopsie extemporannée. De plus,

elle a un souffle au cœur. En fait, ce n'est pas un souffle au cœur de naissance, mais une véritable

décompensation mitrale qui s'est installée il y a deux

ans. Et en poursuivant l'entretien, je retrouverai de

nombreux éléments extrêmement traumatiques dans la vie de cette jeune femme.

Là aussi, je voulais votre avis, Michel de M'Uzan, car je

me disais à cette occasion que ces passages opéra- toires continuaient pour moi à être quelque chose de

très proche de la psychose, quand bien même ils sont très "vrais", et qu'il y a beaucoup de réalité dedans. A

cet égard on ne voit plus très bien les limites entre la

réalité et le récit d'un rêve, car on pourrait raconter un rêve comme cela, avec une feuille de salade, un rouge

sanglant. Un passage entre rêve et réalité; un passage,

me disais-je, où oubliant d'être sujet, (et peut-être, là, vous me répondrez: pour cesser de l'être), on s'engage tout entier dans un étroit passage. Dans ce trauma-

tique, les limites du rêve et de l'hyperréalisme se rejoi- gnent. Et effectivement, quand cette patiente me décri- vait l'assiette du voisin, j'avais l'impression qu'elle s'y

était engouffrée toute entière.

Pour terminer, je ne résisterai pas à l'envie d'évoquer un de vos livres. Je m'était amusée à comparer dans un

article les maîtres de la psychanalyse avec les archers

de l'ancien Japon. Mais le problème avec vous, Michel de M'Uzan, c'est que vous avez plus d'une corde à

votre arc, puisque vous êtes aussi un vrai homme de

lettres et que vous excellez dans l'art de la nouvelle -

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meilleurs écrivains de nouvelles sont plutôt anglo-

saxons ou italiens. Alors que j'étais en train de prendre

des notes sur l'engagement de ma patiente dans l'as-

siette de salade, cela m'a étrangement rappelé un pas-

sage que je ne résiste pas à vous lire et qui se trouve dans la dernière nouvelle de votre livre "Celui-là".

Dans la nouvelle précisément intitulée: "Celui-là", où

vous racontez l'histoire d'une petite cicatrice sur le

front, et comment le sujet peut s'engager dedans.

"Un pas avait cependant été franchi, rendant impos-

sible tout retour en arrière. Il ne me restait plus qu'à

assurer davantage mes observations, c'était inéluctable.

A cet effet, j'ai utilisé une petite loupe pour l'interposer

entre le miroir et mon front. Et comme les caractéris-

tiques optiques du foyer de la lentille exigeaient que

glace, loupe et front fussent presque au contact les uns

des autres, il s'en est suivi un trouble visuel accompa-

gné d'un léger vertige, cependant que rien de précis ne

se laissait encore découvrir. Mais en déplaçant un peu

ma loupe, et saisi d'une certaine allégresse, j'ai soudain vu apparaître l'image attendue dans toute sa netteté.

Une image que malencontreusement j'ai perdu presque

aussitôt. Car à la faveur d'un mouvement des plus

infimes, ce n'était plus mon front mais seulement l'arête de mon nez qui se représentait dans l'axe de vision.

Cela se comprend puisque le regard en filtrant sous la paupière supérieure tend naturellement à se diriger vers le bas. "

Vous continuez dans le style très incisif et très beau qui est le vôtre et vous montrez extrêmement bien

comment vous êtes engagé! Je pense que tout le

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monde ici a lu cette nouvelle, que je trouve tout à fait remarquable, et c'est pourquoi je ne vais pas lire les quatre pages qui la terminent, où vous racontez cette entrée dans l'image. Derrière la sublimation de la nou- velle, mais uniquement parce que nous connaissons

par ailleurs votre œuvre et que nous vous connaissons, je voyais surgir tout ce qui tourne autour de la ques- tion du sujet, de la perte du sujet, de l'engagement

dans le sujet, et même du traumatisme de la naissance. Je sais que récemment vous en avez parlé, et j'aurais eu envie que vous nous en disiez un petit peu plus aujourd'hui. Je vous remercie.

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Chapitre 2

Réponse à l'exposé de Marilia Aisenstein

Michel de M'Uzan

Je veux d'abord remercier François Duparc, et remer- cier les collègues qui ont participé avec lui à l'organi- sation de cette journée. Je suis bien sûr également très touché, comment ne le serait-on pas? Mais je ne sais pas s'il se souvient que, lorsqu'il m'en a parlé pour la première fois il y a quelque temps de cela, j'avais mar- qué ma réticence en lui disant d'attendre plutôt que je sois mort. Auquel cas, évidemment, réagir à chaud aurait été difficile! Quoique, comme dirait Devos, quoique... Finalement, j'ai accepté, puisque je suis là (du moins je l'imagine), et je vais essayer de prendre la chose par ses bons côtés. Car d'une part il y a ce qui va se dire dans l'échange, et qui pourra m'aider si j'ai

encore quelques disponibilités à poursuivre plus avant mes modestes réflexions; et d'autre part il y a cet orga-

ne que rappelait François Duparc, et dont j'ai pu constater la présence dans l'organisme humain: le nar- cisson, organe extrêmement sensible chez l'analyste.

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Le narcisson, comme vous le savez, les analystes en

ont un énorme, et il est toujours bon de le soigner un

peu et de ne pas se contenter de dix gouttes de narcis- sine le matin à jeun. Il me faudra cependant essayer d'aller au-delà de cette chose essentielle qu'était le

"cuba libre" que nous avons bu pendant quelques années avec Christian David et Pierre Marty, en réflé-

chissant sur le matériel clinique dont nous disposions.

Mais vous vous souvenez que Christian David a ajouté

que nous ne faisions pas que boire du "cuba libre";

sans quoi, nous ne ne serions plus là.

La première question que vous avez posée de façon

un peu indirecte, me semble-t-il, est celle qui concerne

la vie opératoire et la pensée opératoire. Vous savez

qu'au départ, il a essentiellement été question de pen-

sée opératoire car la grande innovation des psychoso-

maticiens que nous étions alors, est d'avoir considéré

comme un élément sémiologique l'absence de quelque

chose. C'était l'absence de ce avec quoi nous étions

confrontés en tant qu'analystes, à savoir le jeu des fan-

tasmes, des rêveries et des images, qui avait retenu

notre attention au point d'en faire un élément sémiolo-

gique. Au passage, je dirai que c'est de la même manière que j'ai considéré notre contre-attitude au

cours d'un entretien comme faisant partie de la sémio-

logie, ce qui est évidemment un petit peu audacieux. Nous étions donc partis de la notion d'une caractéris-

tique particulière du fonctionnement mental que l'on

rencontrait chez certains patients présentant des patho-

logies somatiques. Ensuite, je ne sais pas si c'est à cause du transfert sur le terrain vague dont vous avez

parlé, mais peu à peu, la pensée opératoire est deve-

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nue vie opératoire. Tout en respectant infiniment les

raisons qui ont poussé Marty a orienter les choses dans

cette direction, je dois dire que je ne partage pas cette

manière de voir et que je tiens à garder le phénomène

dans son cadre strict - la caractéristique d'un fonction-

nement mental - pour la raison simple que cela nous

conduit à tenir le cap analytique beaucoup plus long-

temps, beaucoup plus loin, sans risquer une dérive

excessivement phénoménologique. Je ne conçois en

effet ce point de vue phénoménologique que comme

point de départ d'une réflexion, qui nous a amené à

rencontrer Jackson. Il y a là un jeu très difficile à

mener, entre l'énorme intérêt de poursuivre la phéno-

ménologie du phénomène en question, et d'en étendre

l'influence sur toute la vie, avec d'un autre côté celui

de maintenir au contraire le phénomène dans son plus

strict territoire. Mais petit à petit, je tâcherai d'éclairer

les raisons qui me poussent à cela.

Vous avez aussi rappelé l'alexithymie de Nemiah et

Sifnéos. Cette histoire est intéressante à plus d'un titre.

D'abord elle me permet d'avoir un argument supplé-

mentaire, un avantage sur ceux qui m'attaqueraient sur

la pensée opératoire. Tout se passe autour de l'année

1968; nous avions déjà publié L'investigation psychoso-

matique. Je reçois un jour un courrier de l'illustre Université de Harvard. Nemiah me disait avoir reçu la

visite d'un professeur de Louvain, Mertens de Vilmar,

auquel il avait parlé des travaux qu'il poursuivait et des découvertes sémiologiques qu'ils avaient faites, lui

et Sifnéos. Il raconte quelque chose qui ressemble

beaucoup aux descriptions de la pensée opératoire dont il n'avait bien entendu jamais entendu parler

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puisque les auteurs anglo-saxons ne lisent jamais les travaux français. Mertens répond à Nemiah: "Mais vous

savez, en France, il y a longtemps que ces remarques

ont été faites, elles ont même été formalisées et les tra-

vaux sur ce qu'ils ont appelé la pensée opératoire sont maintenant bien connus". Il faut reconnaître aux

Américains que quand on leur donne un élément de

réalité, ils sont beaucoup plus sérieux que nous. Il

m'écrit donc pour me demander mon document, et je

le lui envoie. Dans le mois qui suit, ce qui montre à

quel point ils étaient courageux et diligents, il me

répond que cela correspond très exactement à ce qu'ils

ont observé, qu'ils ont repris leurs observations qui confirment entièrement notre manière de voir. Ainsi

deux équipes complètement étrangères l'une à l'autre

avaient fait les mêmes remarques sur le plan sémiolo- gique et en avaient relevé le lien avec l'évolution des somatoses.

Par la suite, cela a un peu "dérapé". En 1973, au deuxième Congrès International de Psychosomatique

qui s'est tenu à Amsterdam, Melitta Sperling et moi fai- sions chacun une communication, bien entendu dia-

métralement opposées. Le débat a été assez vif, et

Nemiah a dû se lever pour venir soutenir mon déve-

loppement sur la pensée opératoire. Nos relations se

sont arrêtées ce jour-là mais j'ai vu Sifnéos par la suite

à Paris, lorsqu'il a commencé à évoquer la notion d'alexithymie, une notion qui n'est pas à mettre sur le

même plan, puisqu'elle est intervenue beaucoup plus

tard. Il s'agit en fait d'un autre mot qui a été donné à une sémiologie identique mais interprétée très diffé-

remment. Car Sifnéos, le jour où je l'ai entendu,

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des défenses contraignantes. Précédant immédiatement l'éclosion d'une somatose jusque-là latente, un état de

détresse et de désespérance se développe plus ou moins sourdement. Si discret soit-il parfois, ce phéno- mène a pourtant retenu l'attention, tellement même

qu'on en a fait un vrai syndrome. Le sujet peut ne se plaindre que d'un trouble vague et indicible, on le sent désemparé et l'on commence à percevoir des carences très anciennes. Les déficiences affectent de multiples fonctions, psychiques en particulier; on constate par exemple une atteinte des capacités de symbolisation

qui, normalement, jouent un rôle essentiel dans l'éco- nomie du sujet. Telles qu'on les observe dans les somatoses les plus représentatives, ces déficiences de la symbolisation sont directement reliées à la prévalen-

ce d'une technique défensive, le rejet ( Verwerfung) auquel j'ai fait allusion plus haut. Le mécanisme est sans doute très archaïque, mais l'essentiel à mon sens, c'est qu'il est lui-même la conséquence économique d'une situation traumatique catastrophique, première responsable d'une évolution dans laquelle l'état de détresse sera prêt à se reproduire à n'importe quel moment. Par la suite, le rejet primitif aboutira à une

relation d'allure obsessionnelle avec une réalité exté- rieure, qui elle est surinvestie. On reconnaîtra là l'une des caractéristiques de la pensée opératoire - je ne m'y appesantirai pas ici, mais je rappellerai seulement com- bien, chez le malade psychosomatique, une activité psychique apparemment normale et ordonnée renvoie en fait à l'anarchie profonde qui envahit l'organisme Chez le violent ou le pervers sexuel, la détresse peut

12. P. Marty et M. de M'Uzan, La pensée opératoire (1963).

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être masquée ou au contraire éclater au grand jour. De

toute façon, elle traduit l'incapacité foncière du sujet de se soustraire à la loi de l'excitation, qui le contraint d'expulser la quantité à l'extérieur. Prisonnier de son

inferno intérieur, entièrement au pouvoir des forces

explosives qui l'assaillent, le sujet passe à l'acte, exac-

tement comme s'il était un autre agissant à sa place et dont il attendrait l'apaisement. Epuisé, sans conscience

des suites de son acte, il peut enfin s'endormir. La

décharge a été totale, c'est un retour au degré zéro de

l'excitation, à aucun moment le principe de plaisir n'est intervenu. Rien d'étonnant si ce mouvement

rétrograde absolu, vers un moment où n'existe aucune

excitation, donc aucune vie, a été mis au compte d'un instinct de mort, ou tout au moins d'une tendance

conservatrice de tout instinct. Ce qui est certain, c'est que, dans ces conditions, l'instinct biologique, si tant

est qu'on retienne cette notion, est hors d'état d'être

pris en charge par l'appareil psychique pour devenir pulsion. Seule demeure l'excitation. Il est rarement donné d'assister à un tel anéantissement

de toute liberté. Bien que son devenir semble être déjà

assez largement déterminé par le conflit, le névrotique peut tout de même enregistrer de l'information,

comme dirait le physicien, et cela grâce aux transferts et aux symbolisations. Rien de tel chez l'esclave de la

quantité. En dépit des limites incertaines de son être,

qui laisseraient penser à des capacités infinies d'englo- bement, il est inaccessible à l'information. Rien ne peut enrichir son Préconscient, et si d'aventure il entreprend

une analyse, ses chances sont sensiblement réduites, puisque là, la quantité, prévalant sur tout autre facteur,

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entrave le développement d'une véritable névrose de

transfert. Dans cette situation analytique particulière que du reste on n'est pas toujours à même d'apprécier sur-le-champ, le sujet devient comparable à une enceinte fermée, et pour un peu on le croirait au pou- voir d'une entropie maligne. Ainsi, tant que l'organisme possède encore des forces vives, l'afflux massif de l'ex-

citation revient inéluctablement, tout espoir d'en maîtri- ser la charge est vain. Pour employer une autre image, on pourrait dire que les énergies, comme retournées sur elles-mêmes, deviennent l'objet de leur propre investissement et augmentent leur propre charge. Une détresse qui laisse la personne pareillement impuissante en face du retour répétitif des mêmes

charges traumatiques ne peut manquer d'avoir une ori- gine très lointaine, plus lointaine encore, bien entendu, que celle des états névrotiques; elle doit dater d'un temps où l'être humain est physiologiquement très mal armé. Freud en a trouvé le modèle dans la situation du

nourrisson confronté avec toutes sortes d'agressions, provenant tant du monde extérieur que du monde

intérieur On notera néanmoins que le cri, la gesticu- lation du nourrisson avec leur violence, ont une réelle

efficacité en une phase de son développement où la décharge brutale possède encore une valeur adaptati- ve. Sans compter que ces manifestations véhémentes provoquent une intervention de l'entourage, éventuel- lement bénéfique, qui, comparable à l'événement déclenchant lui-même, peut être ressentie comme venant aussi bien du dehors que du dedans. Quoi qu'il en soit, et si sévère puisse être à certains moments la

13. S. Freud, Inhibition, symptôme et angoisse (1929).

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détresse du nourrisson, que dire de celle que le fœtus endure pendant l'accouchement? Même si l'être

humain est programmé pour la supporter, l'expérience est d'une violence sans exemple et elle est imparable. C'est dans une passivité totale que le petit être subit

sur son corps tout entier des pressions considérables

qui se reproduisent pendant un temps, qui peut être très long. Des excitations de tout ordre l'assaillent et

ne prennent fin que grâce à une décharge d'une extrê-

me brutalité, quand survient une nouvelle agression et

que l'air déplie les alvéoles pulmonaires. Freud ajoute que cet acte de violence constitue pour le "fœtus une perturbation considérable dans l'économie de sa libido

narcissique ", ce qui entre précisément dans les fac- teurs du destin tel que je l'envisage ici.

On objectera que chaque individu traversant la même épreuve, il n'y aurait plus sur terre que des esclaves de la quantité. C'est faux, si on entend par là qu'aucune

liberté n'existerait pour quiconque. Mais ce pourrait être exact, en un sens restrictif, si l'on considère qu'il y

a en chacun comme un germe, une virtualité intrin- sèque d'asservissement aux excitations puissantes. Cette virtualité serait tout à fait comparable au noyau

de névrose actuelle qui, d'après Freud, existe au fond de toute psychonévrose

Il va de soi que la naissance ne peut être identifiée avec le traumatisme que lorsqu'elle déclenche un afflux d'excitation débordant radicalement les capacités

de tolérance programmées. C'est dans ce cas que l'on rencontre soit de ces issues fatales que les circons-

14. Ibid. 15. S. Freud, Introduction à la psychanalyse (1916).

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tances extérieures de l'accouchement ne suffisent pas à

expliquer, soit de ces détériorations psychophysiolo-

giques qui hypothèquent plus ou moins gravement

l'avenir du sujet (notons toutefois en passant qu'un facteur socioculturel défavorable - misère, sous-déve-

loppement, etc.- peut aussi conférer à la quantité un

rôle prééminent). Comme je l'ai fait pour le cas du

masochisme pervers, je suis donc amené à rapprocher,

du point de vue de leur influence sur le déroulement

d'un processus, ici la naissance, deux choses situées

dans des espaces différents: les facteurs purement extérieurs et la constitution. Il est en effet probable

que, lors de la naissance, les caractéristiques de l'éner-

gie dépendent essentiellement de données biolo-

giques, autrement dit de la constitution. Et cela de

façon d'autant plus complexe qu'en l'occurrence,

l'énergie procède à la fois de la mère et de l'enfant,

deux êtres en un, mais non pas identiques, distincts et

cependant imbriqués.

Dans leur appareil théorique, Otto Rank et Freud ont accordé au traumatisme de la naissance la place que

l'on sait: marginale pour l'un, centrale pour l'autre. Ils

aboutissent ainsi à une conception du trauma, de ses origines et de ses conséquences, qui diffère quelque

peu de celle que je présente ici. "Après avoir exploré dans tous les sens et dans toutes les directions l'incons-

cient - écrit Rank -, on se trouve en présence, tant chez

l'homme normal que chez les sujets anormaux, de la source dernière de l'inconscient psychique, et on

constate que cette source est située dans la région du

psychophysique et peut être définie ou décrite dans des termes biologiques: c'est ce que nous appelons le trau-

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matisme de la naissance [...], source d'effets psychiques

d'une-importance incalculable pour l'évolution de l'hu-

manité, en nous faisant voir dans ce traumatisme le

dernier substrat biologique concevable de la vie psy- chique, le noyau même de l'inconscient

Dès 1909, Freud lui-même avait pressenti le rôle de la

naissance comme première expérience de l'anxiété Il

y revient en 1925, dans une critique de l'ouvrage en question, où il relève toutefois "le mérite indiscutable

de la construction de Rank" Freud reproche d'abord à l'auteur d'avoir trop mis l'accent sur l'intensité et l'in- tensité variable du traumatisme de la naissance, tout en

négligeant le rôle des facteurs constitutionnels et phy-

logénétiques De plus, il n'accepte pas que la force du

traumatisme de la naissance soit telle qu'elle en

empêche l'abréaction et fasse en quelque sorte le lit de

la névrose ultérieure. A mesure que progresse sa

réflexion sur la notion d'angoisse - réflexion entrete-

nue justement par le souci de récuser la thèse de Rank,

sur laquelle il revient à plusieurs reprises -, Freud

cherche à évacuer peu à peu, et aussi largement que possible, le rôle du trauma de la naissance dont il avait

pourtant reconnu l'importance majeure, en tant que

prototype de l'état d'angoisse. En poursuivant sa réfuta- tion, il est conduit à mettre l'accent sur la situation de

16. O. Rank, Le traumatisme de la naissance (1924), Payot. 17. S. Freud, La science des rêves (1900), P.U.F 18. S Freud, Inhibition, symptôme et angoisse 19. Le reproche ne parait pas trop bien fondé, car il est vrai que le traumatisme de la naissance est susceptible d'intensités variables, et d'autre part, on ne peut pas dire que Rank néglige la constitution, bien qu'il n'emploie pas le mot, puisqu'il fait du traumatisme le dernier sub- strat biologique concevable de la vie psychique 20. S. Freud, Inhibition, symptôme et angoisse (1929).

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danger, qui certes est toujours liée à la répétition du

vécu de la naissance, mais bien davantage encore à la

perturbation économique résultant d'un accroissement

considérable de quantités d'excitation non déchargées.

Enfin, dans le complément de l'ouvrage relatif à l'an-

goisse 20, il n'est plus du tout question de la naissan-

ce, mais d'une distinction entre situation traumatique

et situation de danger. La situation traumatique ne sus- cite que détresse. En revanche, la situation de danger

comporte une position d'attente propre à déclencher le

signal d'angoisse, en vue d'une reproduction active et

atténuée d'un trauma initial. De fait, quand tout est dit,

il n'y a plus de pont possible entre les deux façons de

voir. Pour ce qui est de Rank, je dirais qu'il a voulu

trop faire dire à sa découverte (ce qui est souvent le

cas chez les dissidents). En outre, il n'a pas vu que

dans certains cas, dominés précisément par l'excès de

quantité, son trauma conduisait non pas à du sens et à de la névrose, mais au contraire à une carence du sens

et à des entités morbides non névrotiques. Quant à

Freud, s'il distingue bien tout d'abord entre situation

traumatique et situation de danger, il en vient pour finir à faire dériver l'une de l'autre, puisqu'il affirme

que "l'angoisse, réaction originaire à la détresse dans le

trauma, est reproduite ensuite dans la situation de

danger comme signal d'alarme". Or pour moi, la

détresse est précisément ce qui s'oppose au dévelop- pement de l'angoisse au sens plein du terme. Quand

l'accident traumatique met en jeu des quantités d'exci- tation qui, vu leur énormité, sont impossibles à inté- grer, à élaborer et hors de l'état de se décharger phy-

siologiquement, la situation devient littéralement sidé-

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rante. La détresse l'emporte alors sur le danger, et les

bases ,du dégagement ultérieur de l'angoisse, donc d'un signal d'alarme, font défaut. Si le trauma doit se

répéter, le sujet non averti par l'angoisse et de ce fait

désarmé, en prendra la charge de plein fouet.

Désormais le processus de répétition compulsive est engagé, il est même la seule "solution": toute excita-

tion, quelle qu'en soit l'origine, pourvu qu'elle atteigne un certain niveau, reproduira inéluctablement la situa-

tion originelle.

La notion psychanalytique de traumatisme de la nais-

sance doit donc être démembrée. D'un côté, il y a

effectivement les cas où le processus, en dépit de la

violence qu'il exerce sur le fœtus, ne produit que des

quantités d'excitation physiologiquement tolérables,

compatibles avec le programme biologique. Il peut s'ensuivre un émoi véritable, parfaitement apte à deve-

nir la matrice de ce qui sera vécu plus tard comme

angoisse, lors de toute séparation d'avec la mère, puis

à l'occasion d'une perte quelconque, enfin quand vient le moment d'affronter la menace de castration. D'un

autre côté, il y a ces situations dans lesquelles le pro-

cessus fait déferler des quantités d'excitation telles qu'elles ne laissent aucune place à un émoi propre-

ment dit, j'entends par là quelque chose qui laisse un souvenir à retravailler qui puisse entrer comme modèle dans une histoire et fournir dans l'avenir le noyau

d'une activité fantasmatique. C'est seulement dans ce

dernier cas que le destin de la personne est décisive- ment arrêté par le pouvoir de la quantité. On a pu voir tout au long de cette discussion que la figure du Destin n'a pas pour moi la forme certes terri-

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fiante, mais poétique, que les Grecs ont su lui donner.

Elle court-circuite toute histoire et n'a donc pas de sens édifiant, étant hors du domaine de la tragédie. Elle a néanmoins quelque chose de la Moire, dans la mesure où, en deçà d'un jeu mettant en scène des

conflits et des passions, elle représente l'arrêt absolu que certaines vies doivent subir avant même d'avoir commencé. Peut-être d'ailleurs la Moire des Grecs, la

seule divinité avec laquelle on ne puisse pas compo- ser, est-elle née elle-aussi d'une intuition profonde de cet inéluctable que nous mettons maintenant dans la biologie.

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Chapi t re 19

Le s o u r i r e d e l 'avocat1

(1994)

Il ne faut pas mésestimer le rôle de la robe de l'avocat. Chacun devine le sort lamentable d'un accusé dont le

défenseur plaiderait en costume de ville; de misérables

haillons seraient à tout prendre préférables. Cette robe traditionnelle, les jurés la découvrent de leur place. Elle se dresse devant eux, si convaincante que certains reculent sur leur siège, avec le sentiment que l'étoffe souple et douce vient de frôler leur visage, tandis que d'autres éprouvent seulement l'air qu'elle déplace, un souffle qui tourne autour d'eux, en portant des paroles imprécises, parfois de courts sanglots. Néanmoins la robe du procureur et celle du président s'offrent également aux jurés, qui en viennent à se détourner de ces assemblages de chiffons; et leur regard devient hésitant, avant de s'attacher aux bustes

de plâtre disposés contre les murs de la salle pour les

1. In: Celui-là, Grasset, 1994.

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décorer. La poussière, qu'il est par décret interdit d'es-

suyer, s'est déposée au long des ans sur ces figures,

elle en accuse les reliefs et leur donne des expressions

nouvelles qui évoluent lentement, imperceptiblement. Il arrive toutefois que la poussière accumulée sur le

tranchant d'une paupière ou dans l'angle d'une bouche

s'échappe comme spontanément, tout d'un coup, et l'avalanche dérisoire glisse sur les méplats d'une

mâchoire illustre, puis rebondit plus bas en soulevant

un nuage léger autour du visage sur lequel on peut lire que l'ironie a succédé à l'amertume. Ainsi, par-delà

l'anéantissement des corps, les têtes véritables des

grands juristes poursuivent une existence lente, gar-

dienne subsidiaire d'un savoir déposé dans les livres dont les générations nouvelles tournent les pages,

inlassablement, comme pour asseoir leur exercice diffi-

cile. Mais rares sont les avocats qui, après avoir long- temps interrogé l'art de leurs aînés, ont enfin compris

que leur science se mesurait en premier lieu à une

faculté de discerner dès son début un léger mouve-

ment qui vient parfois animer les yeux des jurés. Ceux- là devinent, dans l'instant, la vanité d'autres efforts: la

plaidoirie la plus habile, les arguments les plus

convaincants et même le recours perfide à la manifes- tation contenue d'une vive émotion restent sans effet

lorsque les jurés commencent à considérer les figures

de plâtre auxquelles ils ressemblent toujours plus à

mesure que le procès va vers son issue hasardeuse et presque sans lien avec la culpabilité éventuelle de l'ac-

cusé. Quelle somme d'expérience ne faut-il pas avoir acquise pour pressentir alors ce qui va se conclure

entre les jurés et les bustes grisâtres, une manière de

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pacte, décisif quant au sort de l'accusé. Et s'il veut infléchir le cours des événements, le défenseur ne dis-

pose plus que d'une dernière arme, dont il hésite à se

servir, car, dans la moitié des cas ou plus, les consé- quences de son emploi sont funestes. Ce serait une

sorte de manœuvre, propre, dit-on, à ramener l'atten-

tion du jury vers l'accusé et son défenseur, et qui pro- cède d'une tradition très ancienne. Son rituel, contrai-

rement à d'autres dispositions relatives aux procès

d'assises, n'a jamais changé et il est très simple: avant l'audience critique, l'avocat et son client sont convenus

que ce dernier, sur un signe discret, interpellera vio- lemment son défenseur en criant son nom, c'est tout.

Alors, dans la grande salle, chacun frémit, le public et

les journalistes, le procureur aussi, en entendant reten-

tir la voix pleine d'épouvante de l'accusé, qui appelle et soutient de son souffle haletant les syllabes sonores

où les jurés reconnaissent le pseudonyme que l'avocat s'est obligatoirement choisi dès l'instruction, et dont

l'usage veut qu'il ait une consonance romaine. Maître César, ou Maître Justinien, des noms qui peuvent arra-

cher le jury à son rêve et même retenir son intérêt

lorsque la voix est belle ou émouvante. Or, une voix

est toujours perfectible. C'est pourquoi l'avocat, en plus de toutes ses tâches harassantes, doit encore assu- mer celle de donner des leçons de chant à son client.

L'entraînement a lieu dans la prison même, plus préci- sément, dans l'une de ces petites pièces où les détenus rencontrent leur défenseur. Divers procédés révélant

l'habileté de la défense permettent de retarder le pro- cès d'un homme dont la voix est encore mal posée.

Cependant, gardiens et détenus suivent, depuis les

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couloirs et les cellules, les progrès de l'inculpé, et, en

écoutant son chant qui résonne dans les cours, ils éva-

luent ses chances et engagent des paris.

Si bien qu'au jour du jugement, l'accusé possède au

moins la maîtrise de cette brusque contraction du dia-

phragme dont il s'aide pour lancer du fond de la poi-

trine son cri unique, adressé certes à son avocat, mais

plus encore aux jurés, qui hochent la tête en entendant vibrer le nom d'un sénateur, ou même celui d'un

empereur, et daignent considérer de nouveau l'avocat et son client, tous deux debout, immobiles. Une situa-

tion nouvelle a été créée, ultime tentative pour inflé-

chir le déroulement des faits, sur lequel les très grands

maîtres du barreau savent qu'ils n'auront plus désor-

mais aucun pouvoir. On considère que cette articula-

tion des procès constitue, en matière de justice, une

question infiniment mystérieuse, fascinante aussi, celle

à laquelle une recherche scientifique aurait dû s'atta-

cher méthodiquement, alors qu'il n'y eut pendant long- temps que de rares chercheurs isolés pour consacrer

quelque effort à l'élucidation du tournant des

audiences, que l'on nomme le Moment. Et il faut bien

dire que si les esprits les plus profonds ne se sont pas

tenus à l'impression initiale que suscite le Moment, la grande majorité des avocats et des gens de justice a

mal reconnu le phénomène et, à plus forte raison, en a

ignoré la singularité: une sorte de lacune dans une

suite d'événements, une soudaine rupture avec ce qui

précède - et avec quoi le Moment semble n'avoir

aucun lien organique -, une étrange suspension du cours naturel des choses, propre à engendrer chez

l'observateur averti et inquiet un malaise diffus.

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comme s'il flottait ou que, sous ses pieds, le sol fût en

train de changer. Mais, pareils aux fidèles d'une église,

ceux-là étaient pleins d'assurance qui voulaient regar-

der le Moment comme un simple intervalle de temps,

nécessaire pour reprendre souffle et inviter le jury à méditer les arguments de la plaidoirie, car ils se sen-

taient plus forts d'être nombreux à partager une même

opinion. A coup sûr, c'est parmi eux qu'on viendrait choisir les têtes dignes d'orner les murs du Palais, car

les figures scandaleuses des hommes égoïstes et ridi- cules qui vont leur chemin tout seuls sont à jamais

exclues des édifices publics. Ainsi les autorités refusè-

rent-elles toujours de commander au sculpteur officiel

le buste du plus célèbre des avocats, celui dont la

science devint si grande qu'on envisagea sa radiation,

celui que les présidents et les procureurs ne désignè-

rent plus un jour que par un sobriquet infamant.

Pendant longtemps, il avait été la risée de tout le

monde quand il s'arrêtait dans les couloirs et les esca-

liers, parlant à voix haute pour défier quelque interlo-

cuteur imaginaire, ou même une simple colonne,

disait-on. Mais à la moquerie devait succéder naturelle-

ment la méfiance, puis la haine, un sentiment que le

public vint à partager, car le maître, dominé seulement

par son appétit de connaissance, sacrifiait tous ceux qu'il défendait en leur faisant systématiquement affron-

ter le Moment. C'est que le grand avocat voulait saisir

sur la face des jurés leurs subtiles variations d'expres- sion, à l'instant où la voix prodigieusement élaborée de ses clients montait dans la salle. On lit dans ses

Mémoires quelle rage le gagnait lorsque son regard avide découvrait l'enchaînement fatal: une légère cris-

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pation des traits, presque un sursaut du visage, qui s'adoucissait très vite, une retombée - aucun autre

terme ne pourrait mieux décrire ce déplacement de la prunelle vers l'angle de l'œil qui était une invitation -,

enfin la beauté fugitive d'une tête qui se relève et se

tourne vers les bustes de plâtre. C'était l'échec. Un

innocent allait connaître bientôt l'horreur de la poten-

ce. Pourtant, dans cet instant de désespoir, l'avocat

cherchait obstinément à percer le secret des jurés, en

les observant à la dérobée, tandis qu'il se conformait à

la coutume selon laquelle accusé et défenseur doivent

se prendre à bras-le-corps, en mêlant leurs chevelures et leurs larmes.

Des années durant, les habitués du Palais purent donc

entendre les appels les plus vibrants et les plus déses-

pérés. Des voix coupables ou innocentes, mais tou-

jours mélodieuses, et portées au plus haut point de

perfection, clamaient le pseudonyme célèbre, Maître

Carolus, auquel l'avocat maudit s'était un jour définiti-

vement arrêté pour simplifier la préparation vocale de

ses clients. La longue quête, expression par laquelle il

rappelait ses efforts, trouvait presque en elle-même sa

justification, bien que chaque procès, dont l'issue heu- reuse ou funeste restait incompréhensible, ne fût pour

lui qu'une étape prophétisant la dernière, celle où sa patience serait enfin récompensée. Et les saisons se

succédaient, repassaient devant lui, impitoyables,

quand, lors des suspensions d'audience, il allait et venait dans les jardins aménagés entre le Palais et le

fleuve. C'est qu'il aimait à se promener au plus près

des berges, pour voir l'eau paisible embrasser molle- ment les piliers de deux ponts qui s'offraient à sa vue,

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pour distinguer dans le courant des faisceaux qui s'en-

trecroisaient parfois en faisant tressauter une brindille

qu'il avait lancée sans intention et dont il suivait la course dans ses boucles tendres en direction du cou- chant.

La longue quête des mots qui désignaient aussi l'alter-

nance monotone d'espoir et de découragement ryth-

mait l'existence du Maître, mieux que l'horloge du

Palais avec sa sonnerie grêle. Mais c'est précisément

lorsque les forces engagées dans un combat incertain

commencent à vous quitter, la défaite et l'humiliation

paraissant alors moins redoutables, ou même plus sou- haitables que la moindre contention d'esprit, que, dans

une extrême fatigue des facultés, on aperçoit soudain en pleine lumière le déterminant radical d'un change-

ment de compréhension, un fait dont on n'aurait jamais osé concevoir la simplicité et l'évidence. C'est

en ces termes, précisément, que l'avocat introduisit le récit de sa découverte.

Dans le courant d'un mois de juin, alors que la saison judiciaire s'achevait, la chaleur dominait la ville et l'iso-

lait du reste du monde. Des rais poussiéreux de soleil traversaient les déchirures des stores et faisaient reluire

des visages couverts de sueur, qui exprimaient de la

lassitude, presque du dégoût. Malgré ces circonstances, et pour ne pas déroger à sa rigueur habituelle, l'avocat avait convaincu son client de braver les incertitudes du

Moment. A certains, le risque avait paru plus grand

encore que d'ordinaire, car l'accusé, réellement cou- pable d'un crime des plus abjects, laissait voir sous des traits pourtant juvéniles toutes les marques du plus extrême avilissement. La plaidoirie s'achevant, l'instant

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vint, pour lui aussi, de jeter le classique appel. Portés par une voix légère et cristalline, les accents harmo-

nieux montèrent vers les bustes et vers les Titans qui s'affrontaient autour du lustre. Les syllabes célèbres

retentirent, plus belles que jamais, sans émouvoir tou-

tefois l'avocat qui, presque désabusé et requis par les

bruits de son estomac, avait relevé un pan de sa robe

et faisait machinalement tinter des pièces de monnaie

au fond d'une poche de son pantalon. Il aurait pu se

faire un mérite d'être parvenu à recouvrer la mémoire

pour les faits les plus infimes d'avant la minute où il

lui fut donné de déchiffrer brusquement le secret qui

se dérobait à lui depuis si longtemps, la vérité du Moment, dont la connaissance devait lui assurer désor-

mais la haute main dans les procès.

En face de lui, par-delà deux petites estrades réservées aux témoins, les jurés étaient entassés dans leur espace

étroit. L'avocat envisageait distraitement leur groupe,

d'un regard un peu brouillé par la sueur qui lui gagnait le coin des yeux. Comme à travers un brouillard, il

voyait les têtes et les épaules distribuées à des hau- teurs différentes, se recouvrant et s'entremêlant pour

ne plus former qu'un corps unique, couché, et qui tra- çait une courbe molle au-dessus de la barre d'appui;

un grand corps un peu arrondi, qui se soulevait et

retombait presque régulièrement, animé d'un seul souffle et offert sans réserve au Maître, tout surpris

cependant de s'entendre chantonner: "J'ai perdu mon Eurydice", un air où sa cantatrice favorite triomphait toujours.

Les dernières phrases aimées se pressaient encore sur

ses lèvres que, prêt à s'abandonner à la fatigue - par la

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suite il s'est plu à le rappeler -, et acceptant la défaite,

il éprouva soudain une douleur violente: un coup le frappe au milieu du corps, son ventre tournoie et se

creuse tel un tourbillon infernal, de plus en plus large-

ment, de plus en plus profondément, aspirant toute la

masse de son sang qui afflue, sans qu'aucune barrière puisse la retenir; un ventre devenu immense et à

même de comprendre bien plus que le Palais et la ville

par cet après-midi d'été, alors qu'une chaleur démente

chassait des rues les passants et tous les êtres: son

ventre, un gouffre au bord duquel il se tenait et où il

allait basculer pour s'y abîmer indéfiniment. Mais tout

en haut, pourtant encore à sa portée, son front étroit

continuait de veiller pour le garder de se retourner et de tomber; pour lui offrir une souffrance nouvelle et

salvatrice qui traversa ses poings crispés. La lumière

excessive qui l'avait aveuglé se mit à décroître, et il comprit que l'épouvante de la chute lui était épargnée.

Une faveur insigne allait maintenant récompenser ses

efforts, sa patience et son orgueil. A quelques pas de

distance, il se fit dans l'espace encore tout vibrant et poussiéreux comme une déchirure cruciforme qui

s'élargissait peu à peu et au fond de laquelle, mieux que sur une banderole tendue à son intention par une

main alliée, il lut: Le jury est une femme. Dans l'instant,

s'il avait cédé à son impulsion, il se serait précipité hors du barreau, d'un bond puissant animé par les

forces neuves qui déferlaient soudain en lui; courant en tout sens dans le prétoire, il aurait renversé au pas- sage gardes, confrères et magistrats, qui seraient partis

comme des toupies en bousculant à leur tour le reste de l'assistance, la foule épuisée par cette audience trop

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longue pour un étouffant après-midi d'été. Mais, à la manière des rois et des ministres, il sut contenir son

élan généreux, n'accordant à son esprit que le droit de

suivre le rythme nouveau qui s'imposait à lui, sans

gêner la mise en ordre des faits dont l'éparpillement

l'avait si longtemps dérouté. Presque amusé cette fois,

l'avocat repensait à l'inutilité d'une argumentation bien

construite, à la colère qui gagnait parfois ses confrères

les plus calmes et à leurs paroles pleines d'humeur

lancées à la face d'un jury qui semblait y prendre un

plaisir trouble. Quel avocat ne s'est pas arrêté un jour

au beau milieu de sa plaidoirie, en voyant tel juré se

pencher vers l'oreille de son voisin, ses lèvres agiles

remuant à une allure prodigieuse. Personnages éton-

nants, les jurés viennent aux audiences avec des sacs

pleins de friandises, qu'ils défont à grand peine de

leurs enveloppes crissantes, ils essuient leurs doigts sur

la balustrade, qui au long des années est devenue gra- nuleuse et collante tout à la fois; ils ont de la tendresse

pour cette pièce de bois, et il faut croire que ce pen- chant les embellit, car ils sont les favoris du président

et du procureur, qui aspirent à leur adresser des billets

et ne s'en privent pas toujours. Les accusés eux-mêmes

ne resteraient pas indifférents à leur charme, on les

verrait parfois se dresser et faire des signes de la main. Mais, dit-on, les jurés, jaloux de la plus infime marque

d'amour, feignent d'ignorer tous ces gestes, par tac-

tique. Ils ont besoin d'être aimés passionnément, et leur apparente indifférence n'est en vérité qu'une

manœuvre destinée à provoquer des manifestations de

plus en plus nombreuses d'attachement, peut-être aussi à dissimuler une capacité de haïr non moins

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incontrôlée que leur soif d'amour, et encore exaltée

par la détresse de l'accusé, principalement quand il n'est pas coupable. Leur cruauté même n'irritait jamais

le public, fasciné sans doute par le spectacle sans

pareil de ces hommes aux bouches humides, aux yeux

presque violets attachés sur les regards affolés des

seuls innocents écoutant la sentence qui les dépêche

au bourreau. Cette scène était reproduite sur les murs

de la salle des Pas perdus, au milieu d'une fresque illustrant les différentes phases des procès que les habitués découvraient ainsi dès l'entrée. L'artiste avait

peint les titres de sa main, on lisait ici: "LA SPLEN- DEUR DES JURES", là: "LA PEUR DE L'INNOCENT".

Puis il y avait encore, gravées au-dessus des portes, mais difficiles à déchiffrer à cause de la distance, des

paroles de grand sens prononcées jadis par ceux dont les bustes donnaient de l'éclat au tribunal. Pour les

pensées du Maître, en revanche, on ne devait jamais

trouver de place sur les murs du Palais, bien que les portes y fussent nombreuses. Cet honneur aurait pour- tant dû revenir au moins à une de ses maximes, qu'on

découvre dans ses écrits, et qui s'était imposée à lui

quand il avait franchi une étape décisive dans la maî- trise de son art. "Les jurés abominent l'innocence et chérissent le crime", des mots inscrits dans ses

Mémoires et qu'il avait repris inlassablement ce jour-là lorsqu'un jury sans vergogne s'était mis à aduler son client, ce criminel infâme dont la voix aux accents

mélodieux venait de se taire. Les jurés lui faisaient des

sourires ambigus; sur leurs lèvres, on pouvait lire comme des mots d'amour, une invitation équivoque, et

ce n'était pas à la chaleur seulement qu'il fallait attri-

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buer le débraillé auquel ils se laissaient aller. Voici que

leurs cous roses se balançaient gracieusement pour l'accusé qui, ne se maîtrisant plus, leur répondait en

passant des gestes menaçants aux attitudes les plus obscènes. L'impudicité du dialogue devenait si grande

que l'avocat, gêné, rajusta sa robe. Pourtant, dans la

salle, on ne remarquait rien. Le président tournait la tête de droite et de gauche, tout à son rôle d'établir un

lien entre ceux qui devaient se prononcer et celui qui

les affrontait. Chacun paraissait suivre, dans leur

enchaînement simple, les divers stades d'un grand pro- cès d'assises destiné à clore une liste très longue de

forfaits. Mais le dénouement de cette dernière journée

devait surprendre l'assistance tout entière, à l'exception

du Maître, que son prochain triomphe transfigurait. Il

avait prévu l'acquittement de son client. Et quand le verdict fut proclamé, un grand silence se fit d'abord

dans la salle; le silence des défaites, puis un tollé s'éle-

va contre le jugement. On criait, on tapait du pied, et

la sonnette du président tintait au milieu de l'éclat des

chaises qui se brisaient contre le sol. Ce tapage, toute- fois, ne put retenir ni les jurés de s'abandonner à un

sommeil profond, ni l'avocat de prendre fébrilement

des notes pour consigner dans l'instant le fruit de ses observations. Au reste, c'est en partant de ce relevé, dont la trace est conservée dans ses carnets, qu'il éla-

bora le soir même, en quelques heures, sa théorie de

la défense, premier écrit de portée vraiment scienti- fique en matière de justice. Pour lui, l'année se terminait sur une victoire, plus

chère à ses yeux que tous ses succès passés, et à laquelle il se reportait volontiers, au matin surtout,

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quand on rangeait sa chambre et qu'il apercevait son visage dans un miroir. Un premier carnet, dont

quelques pages restèrent blanches, relatait ces événe- ments qui devaient faire date. Chacun peut, en effet,

consulter les chroniques judiciaires de l'époque, où le

début d'une ère nouvelle est clairement annoncé. Il y

est dit que l'impopularité du Maître, déjà grande, tant avaient été nombreuses les victimes de ses travaux,

s'aggrava tellement qu'il fallait lui donner une escorte quand il quittait le Palais. Jalousé par ses confrères,

abhorré des présidents et des procureurs, il était enco-

re maudit par le public, un public alors incapable de

comprendre son intérêt pour les seuls criminels dont la culpabilité était indiscutable, voire confirmée par les

aveux les plus circonstanciés. Mais, tout à sa passion,

le Maître, comme le joueur ou l'artiste, semble avoir

ignoré la haine qu'on avait pour lui. Et quand il allait à

petits pas dans les rues, s'arrêtant parfois devant une

vitrine, sans rien y voir, son esprit n'était empli que du développement de son œuvre. Un souci de perfection

auquel il était incapable de résister et dont il se plai-

gnait dans mainte page lui causait une insatisfaction continuelle. Certes il ne mettait pas en question ce

qu'il avait acquis, mais un sentiment d'inachèvement s'imposait à lui, très fort, plus précis et plus torturant pendant les nuits d'insomnie. Alors il se relevait et,

sans même passer une robe de chambre par-dessus sa chemise, courait à sa table pour écrire fébrilement ce

qui lui venait, ou simplement pour recopier ses car- nets, car il fondait beaucoup sur la répétition et la cal-

ligraphie. Une idée nouvelle, pour commencer, le désolait toujours. Il lui fallait s'y habituer. Il lisait donc,

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et relisait à voix haute, son espoir de découvrir enfin

cette pièce manquante qui, portée par les facteurs de

sa découverte, en aurait exprimé le principe, et à force

de les redire les mots le dégoûtaient moins. Sans répit,

pendant ses promenades ou dans le tournoiement qui

précède le sommeil, lui revenaient dans leur enchaîne-

ment nécessaire le penchant des jurés pour les stig-

mates les plus visibles du crime, leur disposition à la

haine, leur soif d'amour. Ainsi, lorsque, fidèle à son

projet, il inscrivait dans ses Mémoires toute la matière

de ses jours, les jurés, ces syllabes exigeantes, retom-

baient sous sa plume presque à chaque ligne. D'abord

ce défaut le désola, puis, un jour qu'il peinait à corri-

ger la redite maladroite, il éprouva un allégement subit

de son corps, avec une envie de se mouvoir à laquelle il reconnut l'imminence d'une intuition. Il courut vers

la cuisine afin d'y trouver un témoin et de lui annoncer

la nouvelle. Pour un peu, la redite lui aurait échappé,

et de longs mois se seraient écoulés avant qu'une autre

occasion lui fût fournie de constater qu'il ne se sépa-

rait jamais des jurés, même en esprit. Sans doute

l'avait-il obscurément pressenti depuis longtemps: les

jurés réclamaient que non seulement l'accusé, mais l'avocat aussi s'engageât à eux sans réserve. Maintenant il découvrait la nécessité de leur donner

une passion exclusive; la nécessité de leur prouver

que son être entier était occupé d'eux, que toutes ses pensées allaient vers eux. Une pareille exigence révé-

lait bien l'immense vanité des jurés, dont chacun pou- vait aisément se convaincre en les voyant dans les anti- chambres du Palais s'arracher mutuellement les

comptes rendus d'audience où l'on parlait d'eux et de

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leur belle allure. Mais les termes les plus flatteurs les

décevaient toujours, et les journalistes qui, pour s'en

vanter, briguaient quelque sourire de leur part, en fai-

saient chaque fois l'expérience. On ne pouvait donc fonder sur la rhétorique, fût-elle la plus retorse,

puisque chaque parole, en glorifiant d'abord celui qui

la prononçait, risquait de blesser la suffisance des jurés. Seule une attitude, ou mieux encore, une

expression du visage, qui se constituerait presque d'el-

le-même et traduirait le vide le plus total de l'esprit,

avait une chance de suggérer aux jurés que, ne pen-

sant à rien ni à personne, on pensait nécessairement à

eux, et de les convaincre ainsi qu'ils étaient aimés sans partage.

Comme la science de l'avocat était grande, et parfaite

sa connaissance des sagesses, il sut inventer, pour

atteindre ce but, un exercice simple, quoique difficile à exécuter en cours d'audience. On en a retrouvé une

illustration; c'est un dessin maladroit, au-dessous

duquel on lit, écrite en majuscules, la consigne qui définit l'exercice: se tenir sur un pied. On raillerait volontiers. Mais vient-on à considérer la situation réel-

le: une salle mal aérée, un vêtement bien peu commo-

de, et on comprend qu'un homme d'un certain âge, au terme d'une longue plaidoirie, ne trouvât pas facile de

se tenir sur un pied. A vrai dire, la tâche devait être périlleuse pour le Maître des maîtres, comme certains l'ont appelé, maladif, légèrement obèse, grisâtre de

teint, et qui de prime abord portait mal son pseudony- me impérial. Les hasards de l'entreprise ne l'arrêtèrent pourtant jamais, car, ayant défini le rapport juste entre les forces dont il disposait et l'exercice où elles

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devaient trouver leur emploi, il avait compris qu'en se

tenant sur un pied, à la recherche d'un équilibre sans

cesse compromis, évitant la chute, il donnait à ses

lèvres le moyen de faire un sourire. Un sourire qui semblait se former de lui-même, comme s'il avait été

réservé aux seuls muscles de la bouche d'apprendre,

seconde après seconde, que le corps ne tombait pas.

Un sourire aveugle, libre de toute pensée et de tout

souvenir, offert aux jurés juste avant l'appel de l'accu-

sé, pour leur donner cette preuve qu'ils déchiffraient

avidement. Cependant, dissimulé par une robe d'une

ampleur exceptionnelle et qui traînait à terre, l'exercice

fut toujours ignoré des jurés, des magistrats et même

des accusés. Le sourire seulement était visible; léger, il

ne découvrait pas les dents. Les commissures un peu

relevées, symétriquement, dépassaient à peine le ren-

flement des lèvres, et personne n'aurait su préciser si

leur message appartenait à un homme ou à une

femme. A ce qu'on disait, ceux qui le surprenaient imaginaient, étalé en contre-bas pour lui servir de

fond, quelque large paysage aux couleurs délicates,

des bruns et des verts pâles, qui, en s'éteignant vers le

lointain, laissaient croire qu'il y avait place là-bas pour des brumes et des montagnes. Mais les présidents et

les procureurs, jaloux ou mieux placés, dénonçaient surtout l'indécence des jurés, béats, devant ce sourire;

ils s'irritaient aussi en les voyant donner à leur tour des sourires lascifs, de lents clins d'œil, et tendre enfin les

bras vers celui qui hurlait le pseudonyme exécré. Comme la même scène se reproduisait à chaque pro-

cès, les quotidiens s'emplirent bientôt des triomphes

constants du Maître. On y apprend que l'ambiance

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devenait finalement si choquante que les présidents devaient prononcer le huis clos, lorsque les jurés,

amoureux de la bassesse, montraient qu'ils avaient

succombé au pouvoir de la défense et au charme de

l'accusé en leur lançant des petits mots par-dessus la

barre des témoins. L'indignation avait même gagné les journalistes qui, toujours déçus dans leur attente d'un

échec, ne manquaient jamais de souligner l'insuffisan-

ce des plaidoiries. Ils insistaient avec complaisance sur

l'apparence terne et figée de l'avocat, mais ils furent

parmi les premiers à reconnaître le Sourire, et à applaudir quand on en fit un thème de recherche,

presque un sujet de thèse. A cette époque, quelques

juristes parmi les plus illustres filmèrent chaque fois

l'apparition du Sourire sur le visage de leur confrère, et

les images considérablement agrandies furent projetées à leur intention dans les sous-sols du Palais. La bouche

de l'avocat occupait tout l'écran, et comme chaque

ligne, chaque pore de sa peau leur devint plus familier

que leurs propres traits, ils devinèrent bientôt les sai- sons sur ces lèvres immenses, depuis les craquelures

de l'hiver jusqu'à l'automne humide. On espérait alors

que l'intelligence et la patience allaient trouver leur récompense; il n'en fut rien. Les efforts les plus coû-

teux furent prodigués en vain, on ne déchiffra jamais l'énigme du Sourire. Certains, pourtant, se sont plu à dire que le résultat eût été autre si les juristes avaient

su interpréter ce qu'ils avaient tout de même découvert et qui leur paraissait aussi étonnant que décevant: le

Sourire n'exprimait rien que la plus profonde stupidité. Ils en avaient fait le masque de qualités exception- nelles; ils reconnurent, sans toutefois pousser plus loin

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leur avantage, que le visage souriant ne traduisait que

l'hébétude la plus parfaite. Des recherches entreprises

avec tant de méthode ne pouvaient certes pas être

abandonnées, mais, le découragement venant après la

déception, on continua à observer seulement l'avocat,

par routine et sans plus rien espérer. Contrairement à

ce qu'on croyait, toutefois, le désintérêt progressif du

Maître pour des procès dans lesquels il triomphait tou-

jours n'était dû ni à la lassitude de ses adversaires, ni à

sa propre fatigue. Sans doute il fallait lui proposer une

affaire exceptionnelle pour qu'il acceptât de plaider,

mais - ses Carnets, qu'il tint jusqu'au bout, en font foi

- s'il parut se lasser de la lutte quand elle devint trop

prévisible, c'est qu'en vérité sa passion première pour

la victoire était passée tout entière à la recherche indé- pendante du Sourire parfait. Ainsi, il en allait de lui

comme de ces athlètes qui omettent de se présenter au

départ des compétitions tant ils sont requis par la pré-

paration qu'ils poursuivent obstinément derrière les tri- bunes. L'entraînement au Sourire était devenu une fin.

C'est alors que ceux qui, de moins en moins nom- breux, s'intéressaient encore à la science du Maître

relevèrent un changement dans sa conduite. Bien

qu'ils ne fussent pas sans s'interroger sur ses longues

absences, personne ne sut tirer parti de la situation

nouvelle. Paresse ou négligence, dira-t-on, en tout cas on avait gâché une dernière chance lorsque, voyant

l'avocat quitter la capitale, on s'était contenté d'affirmer

qu'il cherchait le repos pour éviter une défaillance pro-

chaine. On sait maintenant qu'il avait choisi une petite

station balnéaire où il pensait trouver, avec la tran- quillité, les meilleures conditions pour se perfectionner

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dans l'exécution de son exercice, auquel il s'était voué

entièrement. Sa virtuosité était le fruit d'un travail opi-

niâtre, on ne s'en avisa jamais. Et comme on avait tout

attendu du seul examen des films pris en cours d'au-

dience, le problème de son entraînement ne fut même

pas envisagé. Pourtant, un juriste perspicace qui l'au-

rait suivi dans sa retraite aurait pu, mieux que les

quelques témoins indifférents qui ont raconté plus tard

ses séjours au bord de la mer, déchiffrer le sens de son

comportement singulier. Là-bas, à peine en retard sur

le jour, l'avocat rejoignait la plage étroite, presque

déserte, et les rares passants, le voyant en culotte de

bain, le prenaient pour un homme âgé qui cherchait

par l'exercice à se maintenir en bonne condition. Ils

s'arrêtaient un instant à le regarder sautiller sur place

devant ses vêtements en tas, au-dessus desquels les

puces de mer bondissaient. Un chien, qui éparpillait

les ordures d'un seau renversé, levait la tête lorsqu'il

cessait de sauter; oreilles dressées, la bête observait

l'homme qui, après s'être tenu un peu immobile, écar-

tait doucement les bras, puis levait un pied. Alors, le

corps épais oscillait d'avant en arrière, de droite et de

gauche, prêt à tomber, mais se rattrapant toujours. Et

tandis que le pied planté dans le sable tremblait

comme une machine sur le point de partir, une trans-

formation du visage s'opérait, émanée du plein de l'ef- fort. Les coins de la bouche se relevaient et rentraient.

Attirées par tous les muscles du corps qui luttaient, les

lèvres trouvaient presque d'emblée une position

immuable jusqu'à la fin de l'exercice: celle du Sourire.

Des jeunes gens qui se tenaient par la main, pour

nager ensemble au petit matin, dépassaient, avant de

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plonger, un homme d'allure débonnaire qui se balan- çait interminablement sur un pied, face à la mer étale,

étincelante aussi, car les premiers rayons du soleil glis- saient sur l'eau jusqu'à la plage.

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B i b l i o g r a p h i e d e M . d e M ' U z a n

Livres 1954; Les chiens des rois (nouvelles); Gallimard, Paris.

"Métamorphoses". 128 p. (épuisé).

1956; Anthologie du délire (anthologie littéraire); Éditions du

Rocher. Monaco. 327 p. (épuisé).

1962; Le rire et la poussière (nouvelles); Gallimard, Paris.

185 p.

1983; De l 'a r t à la mort. I t inéraires psychanalyt iques;

Gallimard, Paris. 204 p.

[Recueil d'articles: Aperçus sur le processus de création litté- raire (1964); Transferts et névroses de transfert (1966);

Expérience de l'inconscient (1967); Acting out direct et

acting out indirect (1967); Freud et la mort (1968); Le

même et l'identique (1969); Affect et processus d'affecta-

tion (1970); Un cas de masochisme pervers, esquisse

d'une théorie (1972); Note sur l'évolution et la nature de

l'Idéal du Moi (1973); S.j.e.m. (1974); Trajectoire de la

bisexualité (1975); Contre-transfert et système paradoxal

(1976); Le travail du trépas (1976)].

1994; La bouche de l'inconscient, Gallimard, Paris. 205 p.

[Recueil d'articles: La bouche de l ' inconscient (1978);

Dernières paroles (1981); Misère de l'Idéal du Moi

(1983); La personne de moi-même (1983); Interpréter:

pour qui? pourquoi? (1983); Les esclaves de la quantité

(1984); Trajectoire du mensonge (1988); L'extermination

des rats (1988); Stratégie et tactique à propos des inter-

prétations freudiennes et kleiniennes (1988); Pendant la

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séance (1989); Du dérangement au changement (1991);

Interprétation et mémoire (1993); L'indice de certitude (1993)].

1994; L'investigation psychosomatique; en coll.avec P. Marty

& Ch. David; P.U.F. Paris (1ère éd. 1963; 2ème éd. 1994).

253 p.

1994; Celui-là (nouvelles); Grasset, Paris, 125 p.

Choix d'articles non publiés en recueil 1954; Adaptation théâtrale de la tragédie de Ch-R. Maturin:

"Bertram"; Théâtre populaire n° 9, p. 66-95.

1958; Etude psychosomatique de 18 cas de rectocolite

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1958; Une observation d'un cas d'association ulcus gastrique

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1958; A propos de deux cas d'association ulcère-psoriasis.en

collab. avec S. Bonfils; La Semaine des Hôpitaux, 33 n° 65.

1958; Etude psychosomatique des affections du tube digestif

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1961; Implications thérapeutiques de la conception psycho-

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S. Bonfils; La Vie Médicale, 43, p. 53-55.

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1964; Intervention sur le rapport d'Angel Garma "L'intégra-

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