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Jean eveny L’AFFAIRE DE NANCY AOÛT 1790

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L’Affaire de Nancy Août 1790 Jean Theveny

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Jean Theveny

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Abréviations

BV : Billaud-Varenne. Plus de ministres ou point de grâce. Avertissement donné aux patriotes français et justifié par quelques circonstances de l’affaire de Nancy.

Détail : Détail des évènements survenus à Nancy au régiment suisse de Lullin de Châteauvieux.

JEG : Journal des états généraux (Le Hodey de Sault Chevreuil).

MU : Moniteur universel.

PV AL : Procès verbal de l’Assemblée législative.

PV cons. : Procès verbal de l’Assemblée constituante.

RDC : Rapport des commissaires désignés par le roi (Duveyrier et Cahier de Gerville)

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Prolégomènes

Ceux qui pensent que l’histoire se résume en une suite de dates et d’évènements remarquables considèrent l’affaire de Nancy comme la mutinerie de trois régiments et d’une partie de la population qui s’achève dans le sang. C’est un peu court, aurait dit Cyrano.

Pour ma part, j’ai découvert l’affaire en étudiant les sources qui permettent d’aborder l’action de l’Assemblée nationale constituante, période révolutionnaire particulièrement intéressante car riche en énigmes sociales et humaines. Mais le premier obstacle à la compréhension d’une période éloignée, c’est avant tout l’historien. Pour être en mesure d’espérer saisir quelques bribes d’une civilisation disparue, il importe de faire abstraction de nos préjugés, de nos a priori, de nos certitudes, toutes fondées sur notre époque et notre environnement ; c’est là une prétention démesurée puisqu’il faut faire fi de tous nos acquis religieux, politiques et sociaux.

Illustrons ce propos avec deux exemples extrêmes qui constituent presque des caricatures. Dans un article publié par Le pays lorrain N° 4 d’avril 1924, Albert Troux traite l’affaire de Nancy. L’auteur, homme empreint d’une sensibilité de gauche, dénonce un infâme complot de la contre révolution, un marquis de Bouillé, « féodal endurci », jouissant de plonger ses mains dans le sang du peuple, et, bien entendu, évoque une révolte légitime des pauvres et des soldats contre un système oppressif et asocial. Charles Berlet, l’historien incontesté de l’affaire de Nancy qui a publié la révolte de la garnison de Nancy en 1790 (Nancy, 1943), homme qui affiche une sensibilité de droite, chante au contraire un complot

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maçonnique et jacobin destiné à briser les institutions nouvelles et toutes les valeurs chrétiennes qui fondent la société.

Ces deux approches ne sont pas pertinentes, au moins si on s’en tient aux sources. Les deux auteurs évoqués ont exprimé leurs convictions politiques en s’appuyant sur des éléments historiques ultérieurs. En août 1790, M. de Bouillé était encore fidèle au serment qu’il a prêté de servir « la nation, la loi et le roi » (c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le roi). De même, les tous récents Jacobins de l’époque étaient encore sensibles à l’établissement d’un état de droit. A la tribune de l’Assemblée, les interventions de Robespierre, certes engagées, demeurent généralement constructives ; de même, le 25 juin 1791 (après la fuite du roi), le marquis de Bonnay, député du Nivernais, officier aux gardes du corps et président de l’Assemblée le 5 juillet 1790, pouvait affirmer à la tribune que, si on l’avait sollicité pour accompagner le roi, il aurait obéi sans restriction et se serait fait tuer pour défendre son monarque. Le manichéisme simpliste, pas plus que les structures économiques, sociales et politiques de notre époque qui diffère totalement du XVIIIe siècle, ne peuvent expliquer l’affaire de Nancy.

Notons néanmoins qu’il existe évidemment quelques vérités qui se cachent derrière les simplifications outrancières. Il est vrai que M. de Bouillé et un grand nombre d’officiers regrettent l’Ancien Régime et ne s’en cachent pas ; il est également évident que les clubs des amis de la constitution qui se développent partout dans le royaume, veillent à la destruction des institutions royales et seigneuriales. N’oublions pas de signaler que l’Assemblée nationale, qui rassemble toutes les tendances, connaît quelques mémorables empoignades. Mais l’important est de comprendre que tous ces personnages, notables généralement cultivés, sont dépassés en permanence par des initiatives populaires aussi spontanées qu’irrationnelles, qui n’obéissent à aucun complot et à aucune directive.

L’affaire de Nancy est tout particulièrement remarquable dans la mesure où elle s’inscrit pleinement dans l’étrange évolution des esprits qui suit la révolte parisienne du 14 juillet 1789. Elle en constitue même une sorte d’apothéose. Elle marque également l’histoire de France dans la mesure où elle va être exploitée et déformée de façon outrancière par une

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faction politique dans le but de détruire l’œuvre de la Constituante et d’abolir définitivement le roi et son ministère, derniers vestiges de l’Ancien Régime.

C’est sur ce chemin nouveau que le lecteur est convié à s’engager afin de découvrir un autre monde et une approche différente de l’histoire.

Conformément à ma conception de l’enseignement de l’histoire, cette étude propose au lecteur la citation de sources de l’époque, afin que tous puissent exercer librement leur réflexion et, éventuellement, contester mes interprétations. Pour l’affaire de Nancy, les sources qui présentent les évènements sont cohérentes entre elles, ce qui impose un choix. J’ai décidé d’utiliser le rapport rédigé par les commissaires du roi Duveyrier et Cahier pour construire la trame du récit. Certes, ces commissaires n’étaient pas témoins des faits, mais leur enquête exhaustive, effectuée quelques jours après les évènements, couvre un champ plus large que celui des protagonistes qui ont laissé un témoignage toujours limité et parfois engagé. Comme nous pourrons le constater, ces commissaires sont également engagés, mais ils demeurent honnêtes et sincères ; la conclusion du rapport en témoigne : alors que leurs commanditaires de l’Assemblée nationale et leurs propres convictions attendaient les preuves d’un complot aristocratique, ils auront le courage d’affirmer que rien ne permet de formuler une telle hypothèse.

Chantraine le 6 mars 2014.

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Chapitre I Petite histoire de Nancy

Lorsqu’on prétend faire revivre un évènement du passé, il est nécessaire de peindre le cadre au sein duquel vont évoluer les personnages. C’est d’autant plus indispensable pour la ville de Nancy, qu’elle présente des particularités qu’on ne rencontre nulle part ailleurs et qui ne peuvent être imaginées par ceux qui n’ont pas eu encore la chance de la visiter.

Les premiers temps.

Nancy est une ville jeune, son site est ignoré des hommes jusqu’à la fin de l’époque gallo-romaine. Longtemps, le territoire qui s’étend entre les hauteurs de la forêt de Haye et la Meurthe, juste avant son confluent avec la Moselle, n’était qu’un plateau alluvial entouré de marécages ; sa forêt dense ne connaissait aucune piste praticable et ses frondaisons devaient probablement être fréquentées uniquement par des chasseurs. En ces temps là, la civilisation s’était fixée à Toul, à Scarpone et, beaucoup plus au nord, à Metz ; là étaient les routes, gauloises ou romaines, ouvertes aux échanges commerciaux et au passage des armées.

Les premiers occupants du site sont attestés par l’archéologie. A la fin du XIXe siècle, alors que Nancy prenait son essor moderne, les travaux de construction de la rue des Goncourt ont révélés un cimetière mérovingien daté du VIe siècle. Il s’agit bien d’un établissement durable de paysans guerriers germaniques, comme le prouve les différents niveaux d’enfouissement ; mais ces colons n’ont laissé aucune histoire. Il semble également que des monnaies mérovingiennes marquées « NANCIACO »

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pourraient provenir d’un atelier monétaire local.

Sans qu’il soit possible de la situer dans le temps, une communauté villageoise nommée Boudonville est installée au nord-est, là où on conserve son souvenir avec l’actuelle rue de Boudonville ; on suppose une villa appartenant à un sieur Boudon ou Bodon. Le village deviendra Saint-Dizier, avant d’être détruit lors de la construction de la Ville Neuve.

Beaucoup plus tard, autour de l’an mil, le territoire où se construira Nancy était, au moins en grande partie, propriété de religieuses messines établies à Arentières (La Neuveville-devant-Nancy). L’implantation d’un établissement religieux est toujours source d’activité, donc de peuplement. On dit également qu’il s’établit une route du sel qui passait par le gué de Tomblaine et permettait aux habitants du Barrois de s’approvisionner à Marsal. Citons également le transfert des reliques de l’évêque Saint Clou, fils du célèbre évêque de Metz Saint Arnould, à Lay Saint Christophe à la fin du Xe siècle. Enfin, citons la fondation de l’abbaye bénédictine de Bouxières-aux-Dames par l’évêque de Toul Gauzelin à la même époque. Le saint évêque reposera dans ce couvent après sa mort. Ce sont là les principales hypothèses qui expliquent un développement du pays de Nancy.

C’est une charte de l’abbaye de Bouxières, daté du 29 avril 1073, et concernant la construction d’un pont sur la Meurthe, qui cite pour la première fois le nom de Nancy (Nanciacum), ce qui prouve qu’à cette date, il existe un peuplement à l’emplacement de la future ville. La charte a pour objet de régler un conflit engagé entre les moines messins de Saint-Arnould, propriétaires de la portion du fleuve intéressée, et les bénédictines de Bouxières, issues de Toul. Nous sommes au début du moyen âge, et la fin des derniers rois carolingiens conduit à la création d’une multitude de micro états indépendants, qui relèvent de seigneurs laïcs et ecclésiastiques. Le pays de Nancy apparaît comme un pays neuf qui fait l’objet des convoitises des deux princes évêques locaux : Metz et Toul.

Ce nom de Nancy a déchaîné l’imagination des philologues, sans aucun résultat probant. André Hallays, dans son ouvrage sur Nancy, remarque avec pertinence que : « L’étymologie est une science respectable, mais pleine de précipices. » Nous nous contenterons d’observer qu’une dame

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séduisante doit conserver quelques mystères.

La féodalité attise les ambitions des puissants qui rêvent de se tailler un royaume en réunissant quelques seigneuries par la guerre, l’union matrimoniale ou la ruse. Gérard Ier (1048 – 1070), fils puîné du comte de Metz et cousin de l’Empereur est de ceux-là. Il reçoit de son oncle un titre de duc de Lorraine qui ne vaut pas cher sans apanages. Plus intéressant, l’Empereur, protecteur de nombreuses abbayes, lui délègue l’avouerie de l’abbaye messine de Saint Pierre aux Nonnains. Dans le but (ou sous le prétexte) de protéger Arentières, propriété de Saint Pierre aux Nonnains, il construit un château au lieu-dit de Nancy, en plein territoire monastique. Gérard 1er délègue le château et la surveillance de la Meurthe à un officier nommé Oldéric, dont le nom figure sur la charte de 1073 évoquée plus haut : « Olderici, advocatus in Nanceio. »

Nancy débute donc avec un château, probablement fort modeste. Imaginons une tour donjon avec quelques bâtiments entourés par une palissade, elle-même protégée par un fossé. Autour, les pauvres logis de paysans qui ont œuvré à la construction, certainement recrutés à Boudonville et à Arentières sous la contrainte. Nul ne sait exactement où était situé ce premier château et on doit préciser d’emblée que le Nancy médiéval demeure confidentiel. Les reliques sont rares (porte de la Craffe, tour de la commanderie). Cette ignorance procède des travaux gigantesques entrepris à la Renaissance et au XVIIIe siècle qui ont effacé le souvenir même de l’enceinte qui a résisté au Téméraire. Dans ces conditions, le premier château de Gérard d’Alsace, devenu inutile avec la fortification de la ville, ne peut faire l’objet que d’hypothèses bien fragiles.

Thierry II (1070 – 1115), fils de Gérard, établit un prieuré avec des moines issus de l’abbaye de Molesmes. Le nouvel établissement est dédié à Notre Dame et une église est construite, dédiée à Saint Evre, en 1095. Ainsi, les avoués ont annexé le territoire de Nancy à leur profit et créent une paroisse bien à eux. Simon Ier (1115 – 1139) octroie trois chartes à la communauté de Nancy, ce qui signifie qu’elle prend de l’ampleur mais également que le prince cherche à recruter des habitants en limitant son pouvoir absolu. Un peu à l’écart de l’agglomération, probablement déjà fortifiée, une commanderie des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem vient

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s’établir. Sa tour représente un des rares vestiges médiévaux de Nancy. Mathieu 1er (1139 – 1176), fils de Simon, dote largement la commanderie. Il épouse Berthe de Souabe, sœur de l’Empereur Frédéric Barberousse qui le nomme comte de Toul, afin de donner à son beau frère un pouvoir sur les évêques de Toul. Mathieu annexe Gondreville vers 1147, bravant l’excommunication. Simon II (1176 – 1206) doit lutter contre sa mère qui veut transmettre le duché à son cadet Ferri. Ferri II de Bitche (1206 – 1213), fils de Ferri Ier et neveu de Simon II succède à son oncle. Les limites du duché se transportent sur les rives de la Sarre.

Thiébaut Ier (1213 – 1220) succède à Ferri II. C’est le début d’erreurs politiques majeures. Allié à l’empereur Othon contre Frédéric II et Philippe Auguste, ses ardeurs auraient dû être apaisées après la défaire de son camp à Bouvines (1214). Il s’oppose pourtant à Blanche de Navarre, comtesse de Champagne, qui défend les droits de son fils et à Henri II, comte de Bar, lors de la succession de Champagne. Puis il lève une armée pour reprendre Rosheim, place prise par Frédéric II. L’agressé appelle à la rescousse ses alliés de Bar et de Champagne. Barrois et Champenois s’emparent de Nancy vide de troupes. Ils passent la nuit dans la ville et incendient en partant le château et les maisons (1218). Thiébaut est finalement pris et n’est libéré qu’après un an de captivité en Allemagne. Le traité d’Amance (1218) lie le duché de Lorraine à la Champagne. Pire encore, après la mort de Thiébaut, sa femme Gertrude de Dagsbourg, veuve joyeuse s’il en fut, offre la ville à peine reconstruite à son amant puis mari Thiébaut IV, comte de Champagne. Mathieu II (1220 – 1251), frère et successeur de Thiébaut Ier ne peut s’y opposer. Par bonheur, les débordements de Gertrude lassent rapidement Thiébaut IV de Champagne qui obtient l’annulation du mariage en 1222. Nancy revient ainsi au duc de Lorraine.

Notons au passage que la ville de Nancy du XIIIe siècle n’était que fort peu protégée puisque l’ennemi peut s’en emparer sans coup férir. Elle devait également être de peu d’importance, ainsi que le château des ducs. L’efficacité de l’incendie qui rase l’agglomération atteste également des constructions en bois.

Mathieu II fait construire un pont de pierre sur la Meurthe, pour joindre Nancy à Malzéville. Il marie son fils Ferri, 9 ans, à Marguerite de

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Champagne, fille de Thiébaut IV, qui n’en a que 6 (1249). Les engagements matrimoniaux et politiques sont tenus par les jeunes gens, malgré le décès de leurs pères respectifs, puisque Ferri III majeur épouse Marguerite le 10 juillet 1255.

Le 25 mars 1266, Ferry III (1255 – 1303) octroie une charte à la ville de Nancy. Compte tenu de quelques similitudes avec la loi de Beaumont qui constitue une sorte de modèle champenois des chartes de l’époque, des historiens ont imaginé une emprise champenoise qui n’existait peut-être pas. Au XIIIe siècle, la féodalité évolue partout sous la pression des nécessités. Selon le principe féodal, le seigneur est seul maître en son domaine et possède les terres, les biens et les personnes. Mais cette loi extrême, applicable aux paysans, repoussait les artistes, artisans, commerçants et scientifiques indispensables à la prospérité d’un seigneur. Pour développer les villes, il fut donc nécessaire de reconnaître quelques droits à ces catégories qui constituaient la bourgeoisie d’une cité. Le principe de la charte consiste à fixer des limites aux droits absolus d’un seigneur, par exemple au plan fiscal ou militaire ; quelques notables peuvent être élus par la communauté pour exercer des charges d’administration ou de justice, déléguées par le seigneur. A Nancy, la charte apparaît bien modeste. Deux « ambedeux » pourvus de responsabilités administratives sont désignés par les bourgeois mais l’essentiel de la justice est conservée par le duc. Le servage est aboli avec la corvée, mais la taille est maintenue avec les impôts indirects. Les bourgeois doivent le service du guet et de la chevauchée limitée à 24 heures.

Ferry III érige également un nouveau palais, probablement dans le cadre de la reconstruction de la ville. Il est possible que son règne corresponde à la construction de fortifications maçonnées autour de la nouvelle cité, ce qui permet de remplacer le château fort de ses ancêtres par un bâtiment plus agréable. Le duc guerroie contre Bar et contre Metz, ses voisins. Prisant fort les dames et les jouissances amoureuses, on lui attribue une détention de cinq ans dans le donjon de Maxéville pour avoir séduit la jeune femme du seigneur local. Si ce conte est légendaire, souvenons-nous qu’on ne prête qu’aux riches.

L’an 1301, le traité de Bruges fixe la Meuse comme frontière entre le

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royaume de France et l’Empire. Cette décision fait tomber tous les territoires du duché de Bar situés à l’ouest de la Meuse sous la suzeraineté des rois de France. Ceci n’intéresse pas encore les ducs de Lorraine, mais les conséquences seront lourdes après la réunion des deux duchés.

L’entente est parfaite avec les Français. En 1302, Thiébaut II (1303 – 1312) participe à la bataille de Courtray, où il est capturé. Ferri IV (1312 – 1328), fils de Thiébaut II, remporte la bataille de Frouard contre les messins et leurs alliés. Il est tué en allié du roi de France à la bataille de Cassel. Son fils Raoul (1328 – 1346) fonde la collégiale Saint Georges. Il importe ici de comprendre que les princes évêques possédaient des biens temporels pour lesquels ils exerçaient pleinement les droits seigneuriaux et qu’ils dirigeaient au plan spirituel le clergé séculier de leur diocèse, en nommant les prélats et en gérant les dîmes. Le territoire de Nancy appartient au diocèse de Toul, ce qui peut devenir délicat en cas d’opposition temporelle entre duc et évêque. Avec la collégiale, les ducs de Lorraine possèdent un clergé séculier qui ne dépend que d’eux. Isabelle, mère de Raoul et fille de l’Empereur Albert Ier, avait ramené d’Allemagne la relique du bras de Saint Georges, d’où la titulature de l’église collégiale. Le duc retire aux bénédictins de Notre Dame la cure de Saint Evre qu’il attribue à la collégiale. Les chanoines désignent parmi eux le vicaire perpétuel de Saint Evre. Le prévôt des chanoines, issu d’une famille illustre de Lorraine, s’attribue un rang d’évêque. Philippe VI de Valois fait don au duc Raoul d’une épine de la couronne du Christ, attestant ainsi d’excellentes relations qui se concrétisent lorsque le duc épouse en secondes noces Marie de Blois, nièce du roi de France. Le duc Raoul est un preux chevalier qui combat sans cesse sous tous les cieux. Il est occis par Anglois et Gallois à la bataille de Crécy (1346).

Jean Ier (1346 – 1390) est un enfant qui n’atteint sa majorité qu’en 1360. La minorité du prince est l’occasion de guerres locales interminables. Le fléau de la peste touche durement Nancy en 1349. Jean Ier est lui aussi un preux chevalier qui porte ses armes en Lituanie, avec les Teutoniques. Il assiste le roi Charles V en 1369. Les joutes données à Nancy en avril 1382 demeurent dans les mémoires par leur magnificence. Ce prince achève l’église Saint Georges et c’est lui qui inaugure le Saint-Denis lorrain.

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Charles II (1390 – 1431) est le beau fils du comte palatin Robert, élu roi des romains après la déposition de Winceslas l’ivrogne. Le duc soutien son beau père alors que Metz et Toul sont pour Winceslas, ainsi que le duc d’Orléans, frère de Charles VI, et le duc de Bar. La bataille a lieu à Champigneulles et les coalisés sont écrasés. En 1391, une délibération des bourgeois de Nancy nous informe du projet de recul des remparts, ce qui correspond probablement à l’édification définitive de l’enceinte médiévale dont nous ignorons le détail.

La défaite française d’Azincourt (25 octobre 1415) coûte la vie au duc de Bar Edouard III, ainsi qu’à son frère et à son neveu. Le seul successeur possible est le cardinal Louis de Bar, évêque de Châlons. La sœur du prélat, Yolande, épouse de Jean, roi d’Aragon, lui fait adopter René, fils puîné de sa fille et du duc d’Anjou Louis II. La succession au duché est donc assurée.

Il se trouve que le duc de Lorraine Charles II n’a que des filles et que son aînée Isabelle doit hériter du duché. C’est l’occasion d’une décision historique : le mariage de René d’Anjou et d’Isabelle, béni à la collégiale Saint Georges par l’évêque de Toul Henri de Ville le 24 octobre 1420, allait associer les deux duchés. Charles II aurait convoqué Jeanne d’Arc en janvier 1429, peut-être en qualité de guérisseuse.

René d’Anjou devient duc de Bar à la mort du cardinal le 23 juin 1430. A la mort de Charles II, le 21 janvier 1431, la Lorraine revient à son épouse Isabelle. Immédiatement, Antoine de Vaudémont conteste la transmission à une femme et revendique la succession en qualité de plus proche héritier mâle. Au printemps 1431, il tente en vain de s’emparer de Nancy. Antoine s’allie alors à Philippe le Bon, duc de Bourgogne et René est battu à Bulgnéville le 2 juillet 1431 et fait prisonnier. Isabelle gouverne alors et réussit à briser les prétentions de son rival. Si la France était déchirée par la guerre de cent ans, Lorraine et Bar n’échappent pas au désastre en menant une guerre de succession spécifique. René est libéré en 1437, contre une forte rançon financière et politique. En 1435, meurt Jeanne II de Sicile, qui laisse à René l’héritage de l’Anjou, de la Provence et du royaume de Naples. C’est l’occasion pour ce prince de disparaître vers les mirages ensoleillés jusqu’en 1444, année où il revient à Nancy avec le roi Charles VII, à peu près ruiné. Durant un peu moins d’un an (septembre 1444 – avril 1445),

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Nancy devient la résidence de la cour de France. C’est l’occasion de mener une guerre contre Metz qui capitule en février 1445, après avoir perdu Epinal qui fait hommage au roi de France. Cette période est également celle des arts et des libertinages puisque c’est à Nancy que Charles VII, qui n’était plus le gentil dauphin de Jeanne, s’affiche avec Agnès Sorel. Lors de nombreuses joutes, les lances sont rompues sur une place, devant le palais des ducs, ou devant l’église Saint Evre. René marie sa fille Marguerite avec Henri VI, roi d’Angleterre représenté à la cérémonie par le marquis de Suffolk.

On estime la population de Nancy à quelques 5000 habitants. La ville, qui doit accueillir au moins autant de chevaliers, de soldats et de gens de maison, doit se serrer au maximum et écouter teinter les écus largement dispensés par une noblesse dispendieuse.

Le bon roi René marie également sa fille aînée, Yolande, à Ferri, fils aîné du comte de Vaudémont, afin de garantir l’alliance. Ce couple allait donner naissance au futur duc René II. Charles VII n’est pas en reste puisqu’il négocie la soumission de Verdun et de Toul. N’oublions pas que le roi de France est suzerain de toutes les terres situées à l’ouest de la Meuse, ce qui signifie que le duc de Bar est dans sa mouvance, doit lui prêter hommage et le servir en loyal féal. Le rouleau compresseur français était déjà bien engagé en Lorraine au milieu du XVe siècle.

Après ces fastes, le vide. Charles VII quitte la Lorraine suivi du bon roi René qui a décidé de se consacrer au Maine et à l’Anjou. L’administration de la Lorraine est confiée à son fils Jean de Calabre qui n’est malheureusement pas plus stable que son père et part guerroyer au loin. Une guerre est menée par les Lorrains contre Thiébaut de Neuchâtel qui tente de se constituer une principauté à partir de Toul où son fils est nommé évêque.

C’est en 1467 que la porte de la Craffe prend l’aspect que nous lui connaissons avec ses tours jumelles. Ceci prouve que les fortifications médiévales sont réalisées sur une longue période et devaient par conséquent être de valeur inégale.

C’est le fils de Jean II, le duc Nicolas Ier (1470 – 1473) qui reprend la dernière possession de Thiébaut de Neuchâtel : Châtel dur Moselle.

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Nicolas Ier fut dupé par Charles le Téméraire qui lui promet sa fille. Il se ridiculise contre Metz et, finalement, décède brusquement et sans descendance. Le roi René, toujours vivant, ne quitte plus la Provence. Les états de Lorraine offrent la couronne à Yolande, fille de René et veuve de Ferri de Vaudémont, pour qu’elle la transmette à son fils René II (1473 – 1508).

Le règne de René II débute sous de périlleux auspices, entre la France de Louis XI qui dispense sa fourberie légendaire pour s’agrandir et la Bourgogne du Téméraire qui travaillait à la restauration de l’Austrasie. Le duc René signe un traité d’alliance avec la Bourgogne le 15 octobre 1573 et, le 16 décembre de la même année, Charles le Téméraire est reçu à Nancy. Mais les exactions permanentes commises par les soudards bourguignons en Lorraine poussent le duc à signer une trêve de neuf ans avec le roi de France. Fidèle à ses principes, Louis XI se garde d’assister son nouvel allié qui ne peut s’opposer seul à l’immense armée du Téméraire. Les Lorrains s’enferment dans Nancy et Épinal. Épinal capitule sans combat le 17 octobre 1475. Nancy, commandée par le bâtard de Lorraine résiste jusqu’au 26 novembre. Le Téméraire accorde grâce à la ville et autorise les troupes étrangères à se retirer. Mieux encore, il fait répandre des pièces dans les rues et annonce que Nancy sera capitale de Lotharingie. Charles quitte Nancy le 11 janvier avec son armée pour châtier les Suisses. Le 2 Mars 1476, il est écrasé par les montagnards des cantons à Grandson. En Lorraine, une partie de la noblesse, notamment « allemande », en profite pour reconquérir le pays. René II quitte Joinville pour combattre aux côtés des Suisses. Il se distingue à la bataille de Morat le 22 juin. Il engage des mercenaires et entreprend la reconquête de son duché. Le 22 juillet, il est devant Épinal où les bourgeois contraignent la garnison à capituler. Il assiège ensuite Nancy défendue par Jean de Rubempré qui attend vainement du secours et doit capituler le 7 octobre, menacé par ses propres mercenaires.

Le Téméraire se précipite à Nancy, furieux, et René, privé de ses mercenaires allemands, doit repartir en Alsace lever de nouvelles troupes. Nancy est confiée au bâtard de Vaudémont et à Jean de Bron, ancien maître d’hôtel de René, tous deux libérateurs de la montagne de Sion. Rapidement, la famine s’installe chez l’assiégé et l’assiégeant ; l’armée du Téméraire était alors fort amoindrie et se trouvait en pays ennemi, avec un

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ravitaillement intercepté.

René rassemble son armée à Saint Nicolas le 4 janvier 1477. Follement, le Téméraire s’obstine en clamant hautement le mépris que lui inspire son adversaire qu’il nomme « l’enfant ». Le dimanche 5 janvier, veille de l’Épiphanie, René II lance ses hommes à l’assaut. Le Téméraire rassemble son armée au gué de Tomblaine, sur la rive gauche de la Meurthe. Mais le duc René ne laisse qu’un rideau de cavalerie face au gué et fait traverser le fleuve gelé au sud, ce qui lui permet un regroupement à Jarville ignoré de l’adversaire. Conseillé par ses alliés Suisses, il mène un fort contingent qui effectue un long détour par le bois de Saurupt et survient sur les arrières de l’armée bourguignonne sans être repéré. L’assaut, appuyé par les trompes des Suisses, déclanche immédiatement la panique dans les rangs adverses qui tentent de fuir dans toutes les directions et sont massacrés sans merci. Le duc Charles reflue vers le nord, entouré d’un fort contingent de fidèles. Il est rejoint sur les rives de l’étang Saint Jean où il est tué avec, dit-on, plus de six cents chevaliers et soldats. La disparition de l’étang et les modifications considérables imposées par le développement de la ville moderne ne permettent pas une identification précise de ce site historique qui se trouve au sud de l’actuelle place de la Commanderie. En chevalier, René tente de retrouver les restes de son adversaire qui serait tombé « non loin de la commanderie ». Quatre jours après la bataille, sur le rapport d’un page, on retrouve un corps nu avec une partie du visage dévoré par les loups. Ce corps sera formellement identifié puis inhumé à la collégiale Saint Georges.

A quoi ressemblait la ville fortifiée de Nancy assiégée par le Téméraire ? Difficile n’être précis, faute de sources incontestables. On peut supposer que les murailles étaient établies au niveau des éléments modernes suivants :

– Au nord à la porte de la Craffe ; – A l’ouest au bras oriental du cours Léopold ; – Au sud à la rue Gustave Simon ; – A l’est à la bordure occidentale de la place Carrière, prolongée par

l’actuel palais ducal.

Ceci correspond à un rectangle qui mesure à peu près 350 m sur 650 m. La distribution intérieure est encore plus complexe à définir puisque nous ne

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pouvons nous fier qu’aux rues de la Ville Vieille, telles qu’elles existaient au XVIe siècle. Il ne fait aucun doute que la Grande Rue actuelle constituait l’axe nord-sud qui permettait de joindre les portes de la ville. A cet égard, on ne peut attester que la porte de la Craffe. La porte Saint Nicolas, au sud, la poterne de la Commanderie à l’ouest et la poterne du gué de Tomblaine à l’est ne sont formellement attestés que sous René II. Cet axe est décalé vers l’est, probablement pour desservir l’ancien palais ducal. Mais cet ancien palais était-il à l’emplacement actuel qui l’accolerait aux murailles ? Les rues transversales de l’actuelle Ville Vieille, entre celle du Haut Bourgeois et la rue de la Monnaie correspondent probablement à la disposition médiévale, mais il est impossible de l’assurer. René II débute la reconstruction du palais ducal en 1502, probablement sur les ruines de l’ancien.

Une reconstitution présente Nancy en 1477. Les murailles sont renforcées de douze tours, dont une « grande tour » élevée à l’angle sud ouest. Le château de type château fort est inclus dans la muraille est ; c’est un rectangle avec quatre tours d’angles. Les portes de la Craffe et Saint Nicolas sont reliées par un axe nord-sud qui ressemble à la Grande Rue, mais le château est en retrait vers l’est par rapport à cette rue. Seul, le faubourg Saint Nicolas existe modestement, au sud de la porte Saint Nicolas. Une poterne, dite « du vieil aître » (entendre cimetière) aboutit à un chemin qui rejoint une chapelle Saint Thiébaut, non loin de l’étang Saint Jean. Une autre poterne, dite « de la cour » permet de quitter le château vers l’est sans passer par la ville. Les murailles sont entourées d’un large fossé et la ville fortifiée apparaît comme bâtie au milieu d’un lac.

René II fait construire l’église des Cordeliers en 1482, pour commémorer sa victoire ; la congrégation prendra rapidement de l’importance et la collégiale Saint Georges sera bientôt détrônée comme sanctuaire ducal. Il exempte les habitants de Nancy de tout impôt direct, ce qui attire rapidement un repeuplement de la capitale.

A la mort de René qui est inhumé aux Cordeliers, son fils Antoine (1508 – 1544) lui succède à vingt ans. Les états généraux de Lorraine en décident ainsi, repoussant la régence de Philippe de Gueldre, seconde épouse du défunt. Antoine a combattu à Marignan avec François Ier. Son palais, encore en travaux lors de son couronnement, constitue un des rares

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témoignages de ce passé lointain puisqu’il est appelé à devenir le musée lorrain. Les baies du rez-de-chaussée sont ouvertes au XIXe siècle ; auparavant, des boutiques étaient accolées aux murailles. C’est encore un palais forteresse qui est éclairé par les lumières de la renaissance avec Mansuy-Gauvin, créateur de la porterie. On retrouve ce goût nouveau en Lorraine avec la tour du Paradis (tour de l’horloge), ainsi qu’avec la galerie des cerfs qui servait de salle de réunion pour les états généraux.

Avec René II, mais surtout avec son fils Antoine, le duché de Lorraine entre dans l’époque de la renaissance.

Nancy renaissance.

Le duc Antoine préside à la renaissance qui touche la Lorraine tardivement ; il doit également assumer les premiers soubresauts de la Réforme. Alors que Metz et l’Alsace entretiennent des foyers luthériens importants, Nancy et la Lorraine résistent farouchement. En Mai 1525, Antoine effectue un raid en Alsace qui lui permet de briser la révolte des Rustauds, paysans peu catholiques qui contestent l’ordre seigneurial.

Toujours pour des raisons religieuses, Antoine se rapproche de l’Empire. Son fils, François Ier (1544 – 1545) épouse Chrétienne de Danemark, nièce de Charles Quint. Il meurt après un an de règne. Chrétienne exerce alors une corégence avec Nicolas, frère cadet d’Antoine ; mais la dame est dotée d’une forte personnalité qui lui permet de mener les affaires. Le roi de France Henri II, allié aux princes allemands contre l’Empereur, s’empare des trois évêchés et, le 14 avril 1552, exige que Nicolas soit seul régent et que le futur Charles III, fils de Chrétienne et de François, soit élevé à la cour de France.

Cette période est riche en modifications pour la ville de Nancy. Les progrès de l’artillerie annulent le bénéfice des remparts médiévaux et la poliorcétique s’améliore avec un nouveau système de défenses constitué de bastions, petites forteresses triangulaires qui autorisent les tirs latéraux et dont les murs inclinés dévient les boulets. Dès 1545, Catherine engage des ingénieurs italiens, un nouvel arsenal voit le jour et Antonio de Bergamo renforce les défenses en créant trois bastions : Danemark au nord ouest (nord du cours Léopold), des Dames à l’est, derrière le palais ducal, et