L’Europe du droit · primauté du droit européen, qui ne constitue pas une primauté sur les...

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Dossier réalisé en partenariat avec BFM Business L’Europe du droit est-elle possible ? Brexit, élections européennes, question des souverainetés, mobilité grandissante des citoyens : l’Europe déchaîne les passions sur tous les plans. À l’aube de leur 115 e congrès international, qui se tiendra pour la première fois à l’étranger, les notaires explorent la question juridique et philosophique de la place de l’Europe dans le droit international Témoins historiques de la construction européenne et garants de la sécurité juridique des citoyens, les notaires défendent la dimension protectrice du droit européen C ’est un projet qui a réussi au-delà de toutes les espérances, et s’il faut inventer une autre Europe, nous partons d’un succès, non pas d’un échec. » La vision de Jean- Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, est plus que rafraîchissante dans une société qui a tendance à mettre en doute la puissance de l’Union euro- péenne sur l’échiquier international, à l’heure du Brexit et de la montée des nationalismes. Il faut selon lui laisser les souve- rainetés s’exprimer, tout en recon- naissant une globalisation du droit, qui suit celle de l’économie et d’une partie de l’opinion. Cet européaniste convaincu cite en exemple l’actualité récente de Boeing, dont l’interdic- tion de vol des 737 Max a été impo- sée aux États-Unis et à un Donald Trump réticent sous pression des États européens et de l’opinion publique, portée par des consom- mateurs anxieux et en colère. Une forme d’hommage rendu aux pères fondateurs de l’Europe, inventeurs du processus de fabrication du droit européen, mû par l’interdépendance entre États, le développement des échanges et la création progressive d’une opinion internationale. Le droit comme instrument de souveraineté Avec ses 11 traités et sa cascade de règlements, le droit européen vient compléter le droit national : s’il y a conflit entre un règlement européen et une loi, la loi n’est pas annulée, elle est simplement sus- pendue en vertu de la règle de la primauté du droit européen, qui ne constitue pas une primauté sur les Constitutions. Le droit européen est donc un bonus générateur de droit pour les citoyens, et non une contrainte supplémentaire. Jean- Dominique Giuliani insiste sur cette diversification juridique salutaire : « Les sources du droit ne sont plus seulement nationales, mais inter- nationales, et aussi européennes. » Faut-il cette harmonisation tant réclamée à l’échelle euro- péenne dans le domaine fiscal ou politique afin de faire du droit un instrument de souveraineté ? Non, répond fermement François Heisbourg, président de l’Interna- tional Institute for Strategic Studies de Londres, qui s’appuie sur les exemples de grands ensembles fédéraux comme les États-Unis, l’Inde ou le Brésil pour démon- trer que l’incomplétude juridique européenne n’est pas rédhibitoire pour avancer. La Commission euro- péenne est l’un des marqueurs de la puissance de frappe juridique de l’Europe à l’international, notamment en droit des affaires : aujourd’hui, une fusion-acquisition entre deux sociétés américaines doit passer entre ses mains avant d’être approuvée, comme, à l’inverse, une opération entre deux entreprises européennes sera vérifiée par les procédures américaines. L’Europe est désormais aussi puissante que les États-Unis dans ce domaine. Mais nos cousins outre-Atlantique ont un avantage sur nous : leur droit intérieur prime sur le droit inter- national et il est utilisé légalement comme un moyen de projections extraterritoriales, via notamment ce que les banquiers centraux appellent le droit de seigneuriage, lié au fait que les États-Unis sont les possesseurs physiques du dollar et que dès qu’une société utilise cette monnaie, elle tombe sous le coup de la loi américaine. L’Europe a du mal à faire face à cette vision uni- latérale, particulièrement depuis l’élection de Donald Trump, qui exprime clairement sa volonté de mener une guerre économique et commerciale aux entités qu’il juge être des concurrents déloyaux des États-Unis, dont l’Europe fait partie. Comment résister à cette extraterritorialité ? L’une des pistes évoquées par François Heisbourg est d’utiliser avec plus de dureté les instruments juridiques dont l’Union européenne dispose déjà. Un pro- cessus en cours avec par exemple la manière dont l’Union européenne taxe les Gafa en matière de viola- tion du droit de la concurrence, ou encore le règlement général sur la protection des données (RGPD), l’une des récentes réussites légis- latives de l’Union européenne qui atteint même le puissant PDG d’Apple, dont l’appel à la création d’un système similaire aux États- Unis a surpris la sphère économique mondiale et flatté l’ego de l’Europe. Pour François Heisbourg, Tim Cook ne fait qu’anticiper la volonté de protection du peuple américain, qui devrait suivre celle des citoyens européens. Cette faculté de tenir compte du droit des consomma- teurs est unique, propre à l’Europe, et il s’agit désormais de mieux la valoriser au niveau mondial. L’euro, une arme extraterritoriale efficace Le symbole ultime d’une Europe du droit est la monnaie unique, qui s’est imposée en dix ans comme la deu- xième monnaie mondiale, un défi pour les Américains. « Nous sommes des ennemis et nous n’en avons pas conscience », explique Jean- Dominique Giuliani, qui affirme que l’euro s’est imposé dans les caisses de la Réserve fédérale américaine, raison pour laquelle économistes, banquiers et journalistes financiers américains font tout pour l’affaiblir. Mais l’euro subsiste en vertu de sa nature politique, et aucun euroscep- ticisme – qu’il soit grec, italien ou français – ne parvient à avoir raison de ce qui est désormais considéré comme un acquis par les citoyens européens. L’Europe est donc capable d’imposer sa vision sur la scène internationale et son droit est protecteur. Les notaires y croient, et participent activement à cette construction perpétuelle au quotidien, aussi bien dans leurs études que dans leur corporation : le prochain congrès, qui a pour thème l’international, se déroulera en juin pour la première fois depuis sa création hors des frontières hexa- gonales, à Bruxelles. y CHLOÉ ROSSIGNOL À RETROUVER SUR WWW.BFMBUSINESS.COM Le Club du droit est né d’une double ambition : démocratiser la connaissance et l’accès au droit, anticiper et débattre de ses évolutions. Aux côtés de notaires qui partageront leur expertise, le JDD tentera de répondre aux questions juridiques que se posent les Français, des plus classiques aux plus inattendues. Alliant cas pratiques et sujets de fond et de prospective, ces rendez-vous sont déclinés dans nos colonnes et sur BFM Business. Rendez-vous Les notaires se mobilisent pour valoriser le droit européen Source : https://www.notaires.fr/fr LES FRANÇAIS À L’ÉTRANGER 40 % des expatriés payent des impôts à l’État français + de 2 millions de citoyens français vivent à l’étranger 11 % des français ont au moins un parent d’origine étrangère +28% en 10 ans 1 mariage sur 7 est mixte 1 retraité français sur 10 vit à l’étranger LES ÉTRANGERS EN FRANCE 6 % des transactions immobilières en France sont effectuées par des étrangers +28% en 10 ans + de 300 000 étudiants dans les universités françaises, Droit civil Common law Droit musulman Common law et droit civil DIFFÉRENTS SYSTÈMES JURIDIQUES Droit coutumier Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:CarteSystemesJuridiquesFR.png

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Dossier réalisé en partenariat avec BFM Business

L’Europe du droit est-elle possible ?Brexit, élections européennes, question des souverainetés, mobilité grandissante des citoyens : l’Europe déchaîne les passions sur tous les plans. À l’aube de leur 115e congrès

international, qui se tiendra pour la première fois à l’étranger, les notaires explorent la question juridique et philosophique de la place de l’Europe dans le droit international

Témoins historiques de la construction européenne et garants de la sécurité juridique des citoyens, les notaires défendent la dimension protectrice du droit européen

C’est un projet qui a réussi au-delà de toutes les espérances, et s’il faut inventer une autre Europe,

nous partons d’un succès, non pas d’un échec. » La vision de Jean- Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, est plus que rafraîchissante dans une société qui a tendance à mettre en doute la puissance de l’Union euro-péenne sur l’échiquier international, à l’heure du Brexit et de la montée des nationalismes.

Il faut selon lui laisser les souve-rainetés s’exprimer, tout en recon-naissant une globalisation du droit, qui suit celle de l’économie et d’une partie de l’opinion. Cet européaniste convaincu cite en exemple l’actualité récente de Boeing, dont l’interdic-tion de vol des 737 Max a été impo-sée aux États-Unis et à un Donald Trump réticent sous pression des États européens et de l’opinion publique, portée par des consom-mateurs anxieux et en colère. Une forme d’hommage rendu aux pères fondateurs de l’Europe, inventeurs du processus de fabrication du droit européen, mû par l’interdépendance entre États, le développement des échanges et la création progressive d’une opinion internationale.

Le droit comme instrument de souverainetéAvec ses 11 traités et sa cascade de règlements, le droit européen vient compléter le droit national : s’il y a conflit entre un règlement européen et une loi, la loi n’est pas annulée, elle est simplement sus-pendue en vertu de la règle de la primauté du droit européen, qui ne constitue pas une primauté sur les Constitutions. Le droit européen est donc un bonus générateur de droit pour les citoyens, et non une contrainte supplémentaire. Jean-Dominique Giuliani insiste sur cette diversification juridique salutaire : « Les sources du droit ne sont plus seulement nationales, mais inter-nationales, et aussi européennes. »

Faut-il cette harmonisation tant réclamée à l’échelle euro-péenne dans le domaine fiscal ou politique afin de faire du droit un instrument de souveraineté ?

Non, répond fermement François Heisbourg, président de l’Interna-tional Institute for Strategic Studies de Londres, qui s’appuie sur les exemples de grands ensembles fédéraux comme les États-Unis, l’Inde ou le Brésil pour démon-trer que l’incomplétude juridique européenne n’est pas rédhibitoire pour avancer. La Commission euro-péenne est l’un des marqueurs de la puissance de frappe juridique de l’Europe à l’international, notamment en droit des affaires : aujourd’hui, une fusion-acquisition entre deux sociétés américaines doit passer entre ses mains avant d’être approuvée, comme, à l’inverse, une opération entre deux entreprises européennes sera vérifiée par les procédures américaines. L’Europe est désormais aussi puissante que les États-Unis dans ce domaine. Mais nos cousins outre- Atlantique ont un avantage sur nous : leur droit intérieur prime sur le droit inter-national et il est utilisé légalement comme un moyen de projections extraterritoriales, via notamment ce que les banquiers centraux appellent le droit de seigneuriage, lié au fait que les États-Unis sont les possesseurs physiques du dollar et que dès qu’une société utilise cette monnaie, elle tombe sous le coup de la loi américaine. L’Europe a du mal à faire face à cette vision uni-latérale, particulièrement depuis l’élection de Donald Trump, qui exprime clairement sa volonté de mener une guerre économique et commerciale aux entités qu’il juge

être des concurrents déloyaux des États-Unis, dont l’Europe fait partie.

Comment résister à cette extraterritorialité ? L’une des pistes évoquées par François Heisbourg est d’utiliser avec plus de dureté les instruments juridiques dont l’Union européenne dispose déjà. Un pro-cessus en cours avec par exemple la manière dont l’Union européenne taxe les Gafa en matière de viola-tion du droit de la concurrence, ou encore le règlement général sur la protection des données (RGPD), l’une des récentes réussites légis-latives de l’Union européenne qui atteint même le puissant PDG d’Apple, dont l’appel à la création d’un système similaire aux États-Unis a surpris la sphère économique mondiale et flatté l’ego de l’Europe. Pour François Heisbourg, Tim Cook ne fait qu’anticiper la volonté de protection du peuple américain, qui devrait suivre celle des citoyens européens. Cette faculté de tenir compte du droit des consomma-teurs est unique, propre à l’Europe, et il s’agit désormais de mieux la valoriser au niveau mondial.

L’euro, une arme extraterritoriale efficaceLe symbole ultime d’une Europe du droit est la monnaie unique, qui s’est imposée en dix ans comme la deu-xième monnaie mondiale, un défi pour les Américains. « Nous sommes des ennemis et nous n’en avons pas conscience », explique Jean- Dominique Giuliani, qui affirme que l’euro s’est imposé dans les caisses de la Réserve fédérale américaine, raison pour laquelle économistes, banquiers et journalistes financiers américains font tout pour l’affaiblir. Mais l’euro subsiste en vertu de sa nature politique, et aucun euroscep-ticisme – qu’il soit grec, italien ou français – ne parvient à avoir raison de ce qui est désormais considéré comme un acquis par les citoyens européens.

L’Europe est donc capable d’imposer sa vision sur la scène internationale et son droit est protecteur. Les notaires y croient, et participent activement à cette construction perpétuelle au quotidien, aussi bien dans leurs études que dans leur corporation : le prochain congrès, qui a pour thème l’international, se déroulera en juin pour la première fois depuis sa création hors des frontières hexa-gonales, à Bruxelles. y

CHLOÉ ROSSIGNOL

À RETROUVER SUR WWW.BFMBUSINESS.COMLe Club du droit est né d’une double ambition : démocratiser la connaissance et l’accès au droit, anticiper et débattre de ses évolutions. Aux côtés de notaires qui partageront leur expertise, le JDD tentera de répondre aux questions juridiques que se posent les Français, des plus classiques aux plus inattendues. Alliant cas pratiques et sujets de fond et de prospective, ces rendez-vous sont déclinés dans nos colonnes et sur BFM Business.

Rendez-vous

Les notaires se mobilisent pour valoriser le droit européen

Source : https://www.notaires.fr/fr

LES FRANÇAIS À L’ÉTRANGER

40 % des expatriés payent des impôts à l’État français

+ de 2 millions de citoyens français vivent à l’étranger

11 % des français ont au moins un parent d’origine étrangère

+28% en 10 ans

1 mariage sur 7 est mixte

1 retraité français sur 10 vit à l’étranger

LES ÉTRANGERS EN FRANCE

6 % des transactions immobilières en France sont e�ectuées par des étrangers

+28% en 10 ans

+ de 300 000 étudiants dans les universités françaises,

Droit civil Common law

Droit musulman Common law et droit civil

DIFFÉRENTS SYSTÈMES JURIDIQUES

Droit coutumier

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:CarteSystemesJuridiquesFR.png

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«« La France est très convoitée par les étrangers »

Les notaires et le droit international

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Me Marc Cagniart, notaire à Paris et président du 115e congrès des notaires de France

Me Edmond Gresser, notaire à La Wantzenau, spécialiste en droit comparé franco-allemand

« La France est un porte-étendard dans le paysage notarial mondial »

«Votre étude est située à la frontière allemande ; qui sont vos clients ?Une clientèle internationale, en majorité. L’extranéité est au cœur de notre activité, d’autant que la France est très convoitée par les étrangers, notamment sur le plan immo-bilier. Cela implique une bonne connais-sance du droit étranger, c’est ce qui a changé avec le déploiement du droit européen. Par exemple, traditionnellement, l’article 3 du Code civil ramenait au droit français en matière de succession. Mais depuis 2015 et l’entrée en application du règlement européen sur les successions internatio-nales, ce n’est plus le lieu de situation d’un bien mais les critères de résidence et de nationalité qui prévalent. C’est une révolution de la pratique notariale française. Pour les Allemands, le changement est moins drastique car le critère était déjà la nationalité et les notaires s’intéressaient déjà au droit français, qui faisait référence.

Ces nouveaux règlements compliquent-ils la tâche des notaires français ?Non, le droit européen est plus simple à appréhender, mais les notaires, qui étaient peu habitués à appliquer le droit étranger, ont dû s’adapter. Nous avons à notre disposition des plateformes d’échange et des réseaux d’entraide.

Quels sont à vos yeux les grands marqueurs législatifs du droit européen ?Le règlement européen sur les régimes matrimoniaux a ouvert des perspectives et rendu le droit de la famille moins figé. Le règlement Rome III sur la loi applicable au divorce a permis de laisser une grande flexibilité aux époux en leur donnant plus d’autonomie dans le choix de la loi

applicable à leur divorce ou séparation de corps. Idem pour le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité. Le citoyen a désormais conscience d’un espace juri-dique qui s’applique à lui, c’est très positif. Le notaire joue un rôle pédagogique fort : le client étranger arrive chez un notaire français avec sa propre conception du droit. Nous devons lui expliquer ce droit à la lumière de celui de son pays d’origine, et le rassurer.

Peut-on parler d’une Europe du droit ?Le droit n’est pas unifié en Europe, chaque pays conserve ses spécificités. Ce qui change, c’est la libre circulation de l’acte

notarial. Je compare souvent le notariat à un arbre : nous avons des racines communes, et des branches de formes dif-férentes qui portent le même fruit, l’acte notarié. L’Europe du droit se fait à la racine, chez chaque notaire, qui, en l’appli-quant, fait avancer le droit.

Il n’y a qu’en matière de fiscalité que c’est plus compliqué pour les citoyens européens ?On peut choisir son droit civil, mais pas fiscal. Par exemple, dans le cas d’une transmis-sion parents-enfants, l’abat-tement s’élève à 100 000 euros en France contre 400 000 en Allemagne, mais c’est bien sûr

le droit français qui sera appliqué. Le droit fiscal est égoïste !

Qu’est ce qui peut être amélioré en matière de droit européen ?Il faut encore unifier et simplifier les procédures, et que l’acte notarié conti-nue à représenter une sécurité pour les citoyens. y

PROPOS RECUEILLIS PAR C.R.

« Nous devons respecter

les cultures juridiques

de tous les pays de l’Union »

En quoi le 115e congrès des notaires de France marque-t-il une rupture dans l’histoire de la corporation ?Il entérine l’internationalisation de la profession, et se tiendra pour la première fois hors de nos frontières, dans la ville symbole de Bruxelles. C’est le plus vieux congrès profession-nel au monde, sa première édition datant de 1891, et il nous paraissait évident de le délocaliser dans la capitale européenne. Pendant quatre jours, tous les travaux seront consacrés au droit internatio-nal privé, et le livre blanc de près de 1 400 pages qui y sera présenté sera intégralement traduit en anglais et édité en version numérique, c’est là aussi inédit. Aujourd’hui, la France est un porte-étendard dans le paysage notarial mon-dial, du fait de son ancienneté et de sa capacité d’adaptation.

Quels sont les grands enjeux de ce congrès ?Il y a aujourd’hui une compétition mondiale entre les systèmes économiques, politiques et juridiques, qui repose notamment sur la façon de régler le problème du droit immobilier, de la famille et des sociétés. Les pays de droit anglo-saxon tentent de faire pencher la balance en leur faveur, et notre enjeu est de faire la promotion de notre droit, le droit latin, continental, qui est intrinsèquement lié à l’existence du notaire. Le système notarial français fonctionne, les Chinois l’ont même adopté ! Un centre notarial a ouvert à Shanghai et on compte 20 000 notaires en Chine. L’Asie entière bascule peu à peu vers le droit continental, les pays de l’Est l’ont adopté après la chute du mur de Berlin, et tout le monde regarde vers l’Afrique. Tous les notaires de la planète sont conviés à Bruxelles, où nous allons montrer que la profession a un rôle à jouer dans le monde de demain, aussi bien dans l’intérêt du citoyen que dans celui des États. Le notaire a une place à part dans la société : il conseille les clients et préserve les droits de l’État en collectant l’impôt juste. Il est à la jonction des sphères privée et publique, son avis est important.

Qu’a changé l’extranéité dans le monde juridique et notarial ?C’est une révolution. On compte au-jourd’hui plus de 2 millions de Français expatriés à l’étranger, un chiffre qui a bondi de 28 % en dix ans. Un mariage sur sept est mixte, 40 000 jeunes font des études à l’étranger, un retraité sur dix vit en dehors de nos frontières… La matière juridique a forcément évolué au fil des changements sociétaux profonds. Il a fallu tout revoir, la base et les méthodes. Pas facile quand on sait que l’âge moyen des notaires est de 47 ans ! Le travail du notaire est triple : il faut qualifier, rattacher et authentifier. Avant, le droit international privé était considéré comme savant, élitiste, chantre de la jurisprudentialité. Aujourd’hui, il fait partie du quotidien des notaires, tout comme les règlements de l’Union européenne.

Quelles sont les grandes évolutions du droit international et plus précisément du droit européen ces dernières années ?On peut citer en exemple l’entrée en appli-cation en janvier du règlement européen

sur les régimes matrimoniaux, signé par 18 pays de l’Union. C’est un règlement qui s’ins-pire des règles existantes de nationalité et de résidence. Ce qui change, c’est la liberté de choix : si un Français épouse une Grecque à Bruxelles, le couple a le choix entre trois lois. Le notaire doit avoir la capacité de présenter les différentes options. Il faut qualifier chaque situation puis s’appuyer sur les outils que sont les textes, souvent rattachés à des conventions bilatérales. Autre exemple, en matière de droit de succes-sion : un Finlandais décide de prendre sa retraite en Paca et y

décède : la succession est réglée par le droit finlandais. Grâce à l’Union européenne, la matière est simplifiée. Avant, on s’appuyait sur la jurisprudence, c’était compliqué, on appelait ça le « droit des broussailles » !

Y a-t-il un effet Brexit sur le droit européen ?Il est limité, car les Britanniques étaient déjà en dehors des règlements, en vertu du droit anglo-saxon. Le vrai changement se constate en matière de mobilité : on table sur 20 000 familles qui vont rentrer en France, ce qui peut jouer sur une hausse des prix immobiliers.

Quelles conséquences a l’internationalisation du droit sur la fiscalité ?C’est l’un des thèmes phares du congrès, et une préoccupation majeure pour les citoyens confrontés à l’investissement immobilier ou à la donation. Le maître mot du côté des notaires est l’anticipation ! Nous devons jouer avec de multiples conventions fiscales internationales, et les situations d’extranéité apportent de la complication. Par exemple, si un père envisage de léguer sa maison de l’île de Ré à ses trois enfants et que l’un d’eux vit en Australie, le notaire a pour rôle d’enjoindre au fils de se rensei-gner dans son pays de résidence. Certains droits s’appliquent aussi conjointement, comme dans le cas d’un Allemand qui vit en France et qui hérite d’une cousine allemande : les deux codes fiscaux seront appliqués. L’un des enjeux du congrès est aussi la formation et l’éclairage sur les solu-tions sur mesure que doivent apporter les notaires aux citoyens.

L’Europe du droit existe-t-elle, à vos yeux ?Je parlerais plus d’une Europe d’harmoni-sation du droit, et surtout pas d’uniformi-sation. La matière est riche, et nous devons respecter les cultures juridiques de tous les pays de l’Union. Je ne crois pas à un Code civil européen, le Vieux Continent est chargé d’une histoire forte dont on ne peut s’affranchir. Je rêve que la devise de l’Europe soit respectée : « Unis dans la diversité ». y

PROPOS RECUEILLIS PAR C.R.

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« Il faut continuer à unifier

et simplifier les procédures »

LE 115E CONGRÈS DES NOTAIRES DE FRANCEIl se tiendra du 2 au 5 juin 2019 à Bruxelles et aura pour thème : « L’international – Qualifier, rattacher, authentifier ». Les propositions du livre blanc de 1 344 pages qui paraît mi-avril seront à l’étude pendant les quatre jours. C’est Koen Lenaerts, le président de la Cour de justice de l’Union européenne, qui ouvrira le congrès. Depuis 1953, les propositions du congrès ont contribué à la création de 87 lois, 17 décrets et 8 ordonnances. Retrouvez toutes les informations sur congresdesnotaires.fr/fr