L’essentiel de l’information scientifique et me´dicale  · 1 Institut d'études politiques de...

8
Montrouge, le 22/08/2013 Sylvia Becerra Vous trouverez ci-apre `s le tire ´a ` part de votre article au format e ´lectronique (pdf) : Le risque sanitaire lie ´ aux activite ´s pe ´trolie `res en Amazonie e ´quatorienne : des alertes aux de ´cisions paru dans Environnement, Risques & Sante ´, 2013, Volume 12, Nume ´ro 4 John Libbey Eurotext Ce tire ´a ` part nume ´rique vous est de´livre ´ pour votre propre usage et ne peut eˆtre transmis a ` des tiers qu’a ` des fins de recherches personnelles ou scientifiques. En aucun cas, il ne doit faire l’objet d’une distribution ou d’une utilisation promotionnelle, commerciale ou publicitaire. Tous droits de reproduction, d’adaptation, de traduction et de diffusion re ´serve ´s pour tous pays. # John Libbey Eurotext, 2013 L’essentiel de l’information scientifique et me ´dicale www.jle.com Le sommaire de ce nume ´ro http://www.john-libbey-eurotext.fr/fr/ revues/sante_pub/ers/sommaire.md?type= text.html

Transcript of L’essentiel de l’information scientifique et me´dicale  · 1 Institut d'études politiques de...

Page 1: L’essentiel de l’information scientifique et me´dicale  · 1 Institut d'études politiques de Toulouse (IEP) 2 ter, rue des puits-creusés 31000 Toulouse France

Montrouge, le 22/08/2013

Sylvia Becerra

Vous trouverez ci-apres le tire a part de votre article au format electronique (pdf) :Le risque sanitaire lie aux activites petrolieres en Amazonie equatorienne : des alertes auxdecisions

paru dansEnvironnement, Risques & Sante, 2013, Volume 12, Numero 4

John Libbey Eurotext

Ce tire a partnumeriquevous estdelivrepourvotre propreusage etnepeut etre transmis a des tiersqu’a desfinsde recherches personnellesou scientifiques. Enaucun cas, il ne doit faire l’objet d’une distribution ou d’une utilisation promotionnelle, commerciale ou publicitaire.

Tous droits de reproduction, d’adaptation, de traduction et de diffusion reserves pour tous pays.# John Libbey Eurotext, 2013

L’essentiel de l’informationscientifique et medicale

www.jle.com

Le sommaire de ce numero

http://www.john-libbey-eurotext.fr/fr/revues/sante_pub/ers/sommaire.md?type=

text.html

Page 2: L’essentiel de l’information scientifique et me´dicale  · 1 Institut d'études politiques de Toulouse (IEP) 2 ter, rue des puits-creusés 31000 Toulouse France

Le risque sanitaire lié aux activitéspétrolières en Amazonie équatorienne :

des alertes aux décisionsRésumé.Cet article retrace le long et difficile processus demise en évidence des impactssanitaires des contaminations environnementales liées à l'exploitation pétrolière enAmazonie équatorienne depuis une quarantaine d'années. Dans les zones concernées, lacontamination est à la fois accidentelle et chronique, cette dernière étant parfoisbeaucoup plus difficile à percevoir et à démontrer, en raison du manque d'évidencevisuelle de la présence de produits pétroliers. À l'heure actuelle, les conséquencessanitaires des expositions environnementales sur les populations locales ne sont nidécrites précisément, ni prises en charge par les autorités politiques. L'histoire de lagouvernance en Amazonie permet de comprendre le cheminement dans l'espace publicdes signaux faibles de la contamination et de ses conséquences sanitaires, ainsi que lesconditions politiques qui en expliquent la faible portée. Nous montrons que l'actionpublique se limite à réparer les impacts socio-environnementaux des contaminationspétrolières et que le risque sanitaire n'a pas encore étémis à l'agenda politiquemalgré sarécente reconnaissance juridique.

Mots clés : alerte ; Équateur ; pollution pétrolière ; risque ; santé publique.

AbstractThe health risk linked to oil activities in the Ecuadorian Amazon: From alerts todecisionsThis article traces the long and difficult process of demonstrating the health impactassociated with environmental contamination caused by the oil exploration andproduction underway in the Ecuadorian Amazon for the past 40 years. Contaminationin the areas affected by oil activities is both accidental and chronic. The latter is morecomplex to perceive and demonstrate, due to the lack of visual evidence of oil products.Currently, the health consequences to local populations of environmental exposures haveneither been described with precision, nor managed by public authorities. The history ofgovernance in the Ecuadorian Amazon helps to illuminate the pathway that weak signalsof environmental contamination and their health consequences have travelled throughthe public space, as well as the political conditions which explain the negligible impact.We demonstrate that public policy remains limited to repairing the social andenvironmental impact of oil contamination and that the health risks have not yetreached the political agenda despite their recent legal recognition.

Key words: alert; Ecuador; health; petroleum pollution; risk.

PAULINE BISSARDON1

SYLVIA BECERRA2,3

LAURENCE MAURICE2,4

1 Institut d'étudespolitiques de Toulouse

(IEP)2 ter, rue des puits-creusés

31000 ToulouseFrance

<[email protected]>

2 GéosciencesEnvironnement Toulouse

(GET)/ Université PaulSabatier de Toulouse-IRD-CNRS-Observatoire Midi-

Pyrénées14, avenue E. Belin

31400 ToulouseFrance

<[email protected]>

<[email protected]>3 CNRS/GET

31400 ToulouseFrance

4 IRD/GET31400 Toulouse

France

Tirés à part :S. Becerra

Pour citer cet article : Bissardon P, Becerra S, Maurice L. Le risque sanitaire li�e aux activit�es p�etroli�eres enAmazonie �equatorienne : des alertes aux d�ecisions. Environ Risque Sante 2013 ; 12 : 338-44.doi : 10.1684/ers.2013.0627

Article reçu le 10 avril 2013,accepté le 30 mai 2013

338 Environ Risque Sante – Vol. 12, n8 4, juillet-août 2013

Article originaldoi:10.1684/ers.2013.0627

© John Libbey Eurotext, 2013

Tiré

à par

t au

teur

Page 3: L’essentiel de l’information scientifique et me´dicale  · 1 Institut d'études politiques de Toulouse (IEP) 2 ter, rue des puits-creusés 31000 Toulouse France

L'Équateur est le quatrième producteur d'hydro-carbures en Amérique latine. Il tire une grande

partie de sa richesse économique de l'exploitation desressources de la « région amazonienne équatorienne »(ci-après RAE). Pour le seul mois de janvier 2013,l'Équateur a produit 15,6 millions de barils dont il aexporté la majeure partie (11,5 millions de barils) pour unrevenu d'un peu plus d'un milliard de dollars (BancoCentral del Ecuador, 2013). Paradoxalement, si la régionamazonienne est la « vache à lait » du pays, occupant prèsde la moitié de la surface territoriale du pays, elle neréunit que 5 % de la population équatorienne, dont 71 %vivant en situation de pauvreté contre 45 % au niveaunational1. C'est la compagnie pétrolière américaineTexaco qui a commencé l'exploitation à Lago Agrio(Sucumbíos) en 1967, activité qui s'est développée jusqu'àla province voisine d'Orellana. Ensuite, d'autres multi-nationales sont arrivées en Amazonie en réponse à lapremière ronde d'appels d'offres de 1985. La proximitéentre infrastructures pétrolières et populations [1],d'abord acceptée, a progressivement été mise en causedans les problèmes sanitaires soulevés par les popula-tions. Malgré cela, aujourd'hui les conséquences sanitai-res des expositions environnementales sur lespopulations locales ne sont ni précisément décrites, niprises en charge par les autorités politiques. Comment,par qui et dans quels contextes les impacts des activitéspétrolières ont-ils été dénoncés et exposés sur la scènepublique ? Pourquoi les impacts sanitaires ne font-ils pasl'objet d'une politique publique constituée ? À partir del'analyse de la littérature scientifique et administrativeexistante sur le sujet ainsi que d'une cinquantained'entretiens semi-directifs réalisés en 2012 dans le cadredu projet MONOIL2, nous expliquons d'abord lesspécificités de la contamination pétrolière et ses signauxfaibles. Nous faisons ensuite état du cheminement et dutraitement des signaux faibles des années 1960 àaujourd'hui. Enfin, nous décrivons la régulation publiquedu problème notamment sanitaire.

La contaminationenvironnementaleet ses signaux faibles

Si un des premiers impacts des activités pétrolières estla déforestation3, celles-ci génèrent également une conta-mination4 chimique généralisée de différents comparti-ments de l'environnement (air, sols, eau et chaînetrophique). Le pétrole contient de nombreux composéschimiques, notamment des hydrocarbures aromatiquesmonocycliques (benzène, toluène) et certains polycycli-ques (HAP), dont le benzo[a]pyrèneclassé cancérogènedetype 1 (avéré) par le Centre international de recherchecontre le cancer (Circ). Parmi les HAP, 16 ont été classés àrisque cancérigène par l'Agence de protection environne-mentale américaine (US-EPA). Certains de ces composéssont également suspectés d'etre des perturbateurs endo-criniens et d'avoir des effets reprotoxiques. L'industriepétrolière utilise parallèlement des solvants et agentsanticorrosifsqui contiennentdesmétaux lourdségalementconnuspour leurs effets toxiques sur la santé, enparticuliersur le développement neurologique.

Les HAP peuvent également etre appréhendés commedes signaux faibles de la contamination pétrolière à diverstitres : d'abord, ils représentent une fraction mineure desproduits pétroliers, fraction toutefois persistante dansl'environnement. Ils sont également hydrophobes : prèsde 90 %desHAP présents dans les rivières sont sorbés surles particules, surtout ceux de haut poids moléculaire ; ilen est de meme pour certains métaux lourds toxiquescomme le mercure en raison de leur affinité pour lesparticules fines, en particulier les argiles, et sont ainsitransportés ou déposés dans les sédiments. Or lalégislation en vigueur n'oblige pas à analyser, dans lesétudes d'impact, les éléments chimiques sous formeparticulaire. Enfin, les HAP ne sont pas directementtoxiques pour la santé : ils sont transformés en métabo-lites toxiques par les organismes vivants eux-memes,processus qui reste difficile à évaluer.

1 Données de Instituto nacional de estadstica y censo ecuato-riano : l'Institut national de statistiques équatorien (recensementde la population de 2010 : cf. http://www.inec.gob.ec/cpv/).2 MONOIL : monitoring environnemental, santé, société etpétrole en Équateur (projet interdisciplinaire financé par diffé-rentes sources depuis 2011 (Bureau Amérique latine del'université Paul Sabatier, Maison des sciences de l'homme etde la société de Toulouse, Institut de recherche pour ledéveloppement [IRD] et Observatoire Midi-Pyrénées et labora-toire Géosciences Environnement Toulouse) et ayant obtenu en2013 un financement de l'Agence nationale de la recherche pourla période 2014-2016 (42 mois). Cf. notamment la thèse de P.Bissardon [2].

3 Toutefois si celle-ci touche près de 95 % des territoires enAmazonie équatorienne d'après les données du Systèmed'information sur les passifs environnementaux et sociaux[SIPAS], en ligne sur http://www.sipas-pras.gob.ec/sipasweb/, onne peut pas l'imputer totalement aux activités pétrolières :l'exploitation du palmier africain pour la production d'huile depalme en est un autre facteur.4 La contamination est l'introduction d'un polluant dans unorganisme vivant, un écosystème ou un compartiment del'écosystème (air, eau, sol, sédiment, etc.) qui peut nuire à lasanté, à la sécurité ou au bien-etre d'une population. Le degréauquel une substance est toxique et peut causer un dommage à lasanté humaine, animale ou végétale dépend principalement de laforme de l'élément chimique en cause, de la dose, de la duréed'exposition et des voies d'exposition (inhalation, ingestion oucontact à travers la peau ou les muqueuses).

Environ Risque Sante – Vol. 12, n8 4, juillet-août 2013 339

Le risque sanitaire lié aux activités pétrolières en Amazonie équatorienne : des alertes aux décisions

© John Libbey Eurotext, 2013

Tiré

à par

t au

teur

Page 4: L’essentiel de l’information scientifique et me´dicale  · 1 Institut d'études politiques de Toulouse (IEP) 2 ter, rue des puits-creusés 31000 Toulouse France

Les principales sources de cette pollution chimiquesont les rejets d'hydrocarbures liquides, de bouestoxiques et d'eaux de formation dans les sols, les eauxde surface et souterraines ainsi que les rejets gazeux dansl'atmosphère. Cette contamination est à la fois chronique,du fait des pratiques d'exploitation menées depuis lesannées 1960, et accidentelle, due aux fuites de puits depétrole et ruptures d'oléoducs. La contamination chi-mique par les HAP et les métaux lourds est doncpermanente et cumulative dans les différents comparti-ments environnementaux et peut se transmettre àl'homme. Mais si le risque sanitaire semble bien établidans le contexte d'expositions professionnelles, lesconséquences des expositions environnementales sontdifficiles à décrire et ont fait l'objet de nombreusespolémiques scientifiques reprises et instrumentaliséesdans le domaine juridique comme le montre ci-aprèsl'analyse rétrospective des dynamiques sociales etpolitiques de l'alerte et du processus de « mise enrisques » [3] des activités pétrolières en Équateur.

Des signaux faibles aux décisionspolitiques et juridiques

L'inertie des premières décennies(1967-1989)Dans les premiers temps de l'exploitation pétrolière

dans la RAE, il n'existait aucune information, ni aucunmoyen de prévention des risques liés à l'exposition aupétrole brut. Si parfois l'eau était odorante ou huileuse, lamajorité des habitants, non informés, conservait seshabitudes. Des témoignages évoquaient pourtant déjàdes signes préoccupants comme l'amenuisement desrendements agricoles, ou le rapetissement et le noir-cissement des fruits, notamment les bananes. Danscertaines communautés, fait exceptionnel, certainsimpacts environnementaux et sanitaires de l'activitépétrolière ont meme été officiellement dénoncés commetels. Ainsi, une lettre datant du 3 juin 1985, adressée augérant de la compagnie pétrolière américaine Texaco parle député de la province de Napo, notifie que les citoyensse plaignent de la pollution générée par l'entreprise etl'accusent d'etre responsable de la mortalité animale. Demanière plus générale, à cette époque, l'absence devétérinaire, de dispositifs ou d'instances de régulationenvironnementale, ou de contrôle des activités del'entreprise ne permettait pas de percevoir et de décoderde tels signaux [4]. Ce décodage est d'autant plus difficileque les communautés ne disposent pas de la connais-sance nécessaire pour s'en alarmer et que Texacopratique la désinformation : des témoignages5 indiquent

que l'entreprise affirmait aux populations que l'utilisationdes résidus d'exploitation était bénéfique pour lescultures, et meme pour la peau et la santé.

L'activisme de groupes de la société civileet d'experts (1989-2003)À la fin des années 1980, débute un certain activisme,

certains acteurs extérieurs à la RAE faisant figure de« lanceurs d'alerte » [5]. À partir de 1989, la campagne desensibilisation « Amazonia por la vida », orchestrée parl'organisation Acción Ecológica, puis la publication deCrudo Amazonico par l'avocate américaine J. Kimerling,et le début du procès « Texaco » à New York en1993 constituent les premières actions de mise envisibilité des problèmes environnementaux liés auxactivités pétrolières. Le procès est historique : il opposeà Texaco 30 000 plaignants habitant la RAE. Arguant desdommages corporels et de ceux causés à la propriété parles opérations du consortium depuis 1972, les plaignantsl'accusent d'avoir voulu réduire ses coûts d'exploitationau détriment de l'entretien des infrastructures et del'élimination des résidus d'exploitation6.

Au plan réglementaire, en 2001, le règlement envi-ronnemental sur les activités pétrolières en Équateur estpublié au Journal officiel (RAHOE : Journal officiel no 265du 13 février 2001), premier signe d'un effort de l'Étatdans la régulation des activités industrielles : il définit lesnormes environnementales pour les activités d'explora-tion, de développement, de production, de stockage, detransport, d'industrialisation et de commercialisation dupétrole brut et du gaz exploitable.

Au plan épidémiologique, de nombreuses études etarticles scientifiques sont publiés parallèlement [1, 6-8]. Ils'agit pour la plupart d'études « écologiques » quiétudient l'exposition humaine et montrent la prévalenceélevée ou l'augmentation d'incidence de différentesaffections, en particulier de cancers, sur des sites polluéslocalisés dans la zone pétrolière [8]. Parmi les pathologiesidentifiées, sont citées desmaladies de peau, des troublesrespiratoires, des infections des voies urinaires, desanémies, des céphalées, des atteintes rénales, destroubles neurologiques, et des dysfonctionnementsdigestifs graves. Ces publications, financées pour laplupart par des fonds issus de la coopération interna-tionale, vont largement contribuer à faire connaître lesimpacts des activités pétrolières à l'extérieur du pays et àles déplacer hors de la sphère industrielle, vers la sphèrepublique. Leurs auteurs jouent en fait le rôle de lanceursd'alerte extérieurs à la RAE, en collaboration avec desgroupes de la société civile locale.

5 Notamment retranscrits dans deux documentaires : CRUDE etTexaco Toxico.

6 C'est en particulier à l'occasion du « retour » du procès enÉquateur au début 2000 que le procès et la problématique desimpacts pétroliers vont etre publicisés dans le pays.

340 Environ Risque Sante – Vol. 12, n8 4, juillet-août 2013

P. Bissardon, et al.

© John Libbey Eurotext, 2013

Tiré

à par

t au

teur

Page 5: L’essentiel de l’information scientifique et me´dicale  · 1 Institut d'études politiques de Toulouse (IEP) 2 ter, rue des puits-creusés 31000 Toulouse France

Expertises et controverses scientifiques(2003-2011), instruments de la décision

Durant le procès Texaco, les controverses scientifi-ques sur les impacts sanitaires des activités pétrolièress'intensifient. Dans la province de Sucumbíos, SanSebastián et al. [8] ont étudié l'exposition des populationsaux contaminations pétrolières. Ils ont observé desconcentrations totales en hydrocarbures élevées dansl'eau de surface dans 18 cas sur 20, parfois 10 000 foissupérieures aux limites fixées par les agences internatio-nales. Les prévalences de plusieurs affections bénignes,dermiques ou des voies aéro-digestives supérieures,apparaissent aussi significativement plus élevées quedans les zones témoins. D'autres observations concer-nent l'augmentation de l'incidence des avortementsspontanés [9] et une augmentation globale de l'incidencedes cancers chez l'adulte et des leucémies chez l'enfantdans les régions les plus exposées à ces pollutions[7, 10, 11]. Dans tous les cas, ces observations sont baséessur des études de type « écologique » qui ne permettentpas de mettre en évidence de relation causale entre lapollution pétrolière et les pathologies identifiées chez lespopulations. Cette démonstration est impossible du faitdu manque de connaissance sur les impacts potentielsdes cocktails de HAP et métaux lourds sur l'organisme àfaibles doses, sur les mécanismes de transfert et leur cyclebiogéochimique dans l'environnement, sur la durée desexpositions, mais aussi du fait de la multiplicité des voiesd'exposition (inhalation, dermique, ingestion) et du délaitrès long entre le début de l'exposition et la survenue desévénements morbides. De meme, la faible densité et ladispersion des populations dans l'espace amazonien,ajoutées à des conditions socio-économiques défavora-bles ne facilitent pas l'établissement de diagnosticsrigoureux. En outre, en Amazonie, les infrastructuresmédicales sont rares, difficilement accessibles et faible-ment dotées, rendant difficile l'accès aux soins etl'enregistrement des pathologies.

Au cours de cette période, Texaco change progressi-vement de stratégie. Après s'etre employée durantplusieurs années à contester la validité juridique durecours des plaignants, la compagnie fait appel à desmédecins pour produire des contre-expertises, dontcertaines vont etre utilisées comme pièces à charge dansle processus judiciaire. Ainsi le docteur Sever [12],consultant en épidémiologie, produit un rapport en2005 dont la finalité meme est d'identifier les problèmesdans l'élaboration et la réalisation des études précédentesqui concluent à la nocivité de l'exploitation pétrolière surla santé des populations. Il parle de « biais » dans lasélection des individus étudiés, de parti-pris dansl'interprétation des résultats, et de faiblesses méthodo-logiques en général. La meme année, les épidémiolo-gistes F. Arellano et K. Rothman soulignent dans plusieursjournaux équatoriens une « absence notable de senscritique équilibré auquel on s'attendrait dans une

évaluation scientifique raisonnée » et accusent SanSebastián d'etre un militant plus qu'un « scientifiquesceptique » jetant ainsi le discrédit sur ses résultats derecherche. Pour Bustamante [13], sociologue équatorien,certaines statistiques sanitaires en RAE peuvent s'expli-quer, non par l'absence de risques mais par la mauvaisecouverture de santé et l'absence conséquente de fiabilitéet d'exhaustivité des données. Si, pour lui, des profilsépidémiologiques de la population dans les zonespétrolières restent à établir, notamment pour évaluer lerisque de cancer, pour d'autres, l'incidence des cancersest plus faible dans les zones pétrolières que dans lesautres provinces du pays [14].

Finalement, pour rendre son jugement dans le cadredu procès Texaco, la Cour de Lago Agrio s'appuie sur lesrésultats d'expertises qu'elle a elle-mememandatées. Ellenote en outre que meme les prélèvements de Chevron-Texaco révèlent des taux alarmants de substancestoxiques comme le benzène, le toluène, le mercure oule baryum. La Cour estimant qu'il existe une concordanceentre les faits décrits par les lanceurs d'alerte et lemanque de témoignages contradictoires conclut qu'ilexiste une « probabilité médicale raisonnable » que lesproblèmes de santé des populations plaignantes aient étécausés par une pollution liée au pétrole et en particulieraux activités de Texaco. Le 14 février 2011, Chevron-Texaco7 est donc condamné à verser 9,5 milliards dedollars à l'État équatorien au titre de réparations despréjudices causés (dépollution des sols et des nappesphréatiques, restauration de la faune et de la flore,traitement des pathologies causées par l'exposition à lacontamination) et 9,5 milliards au titre des dommages etintérets. La compagnie fait appel, mais le jugement estconfirmé en janvier 2012.

Comprendre les obstaclesà l'alerte sanitaire

Les temporalités entre les premières alertes dans lesannées 1970 et la reconnaissance juridique récente desimpacts des activités pétrolières s'expliquent par diffé-rents éléments de contexte.

L'Amazonie équatorienne :un espace marginaliséHistoriquement et géographiquement, l'Amazonie

équatorienne est un espacemarginalisé, l'environnementy étant relativement hostile et le déploiement de laprésence étatique y est relativement récent. L'État et lasociété civile la considèrent comme une « colonie

7 Qui a racheté Texaco en 2001.

Environ Risque Sante – Vol. 12, n8 4, juillet-août 2013 341

Le risque sanitaire lié aux activités pétrolières en Amazonie équatorienne : des alertes aux décisions

© John Libbey Eurotext, 2013

Tiré

à par

t au

teur

Page 6: L’essentiel de l’information scientifique et me´dicale  · 1 Institut d'études politiques de Toulouse (IEP) 2 ter, rue des puits-creusés 31000 Toulouse France

interne » destinée à l'approvisionnement en matièrespremières [15]. Longtemps habitée exclusivement par despeuples indigènes, la RAE fait l'objet d'un plan decolonisation agricole initié par l'État en 1964 puis s'ouvreà l'exploitation pétrolière en 1967. Compte tenu de sadémographie, elle n'a pourtant jamais vraiment repré-senté un enjeu électoral pour le pouvoir central et,parallèlement, la force de contestation de la société localeest restée longtemps relativement faible, manquant derelais vers les centres de pouvoir et de décision.

Le caractère stratégiquede la ressource pétrolièreLe caractère stratégique de la ressource pétrolière en

fait un enjeu national, géré depuis Quito. Or, l'État centralest à la fois « juge et partie » dans cette question. D'uncôté, il dépend des revenus de l'exploitation, donc ilpoursuit le développement pétrolier, octroie des conces-sions, contribue à défendre les intérets des entreprisesen leur fournissant par exemple l'appui de l'armée. Del'autre côté, il est responsable de la protection del'environnement, de la santé, et des droits des popula-tions. Dans ce contexte schizophrénique, l'absence del'État en Amazonie jusqu'à une période récente n'est pasune surprise8.

Les conditions socio-économiques de viedans la région amazonienne équatorienneLes conditions socio-économiques de vie dans la RAE

couplées aux opportunités de travail offertes par l'activitépétrolière ont également affaibli le processus d'alerte. Lesplus forts niveaux de pauvreté du pays se trouventprécisément dans les deux provinces pétrolières deSucumbíos et Orellana, avec respectivement des tauxde 80 et 86 %. La pollution entraîne, outre la mauvaisequalité des terres, des pertes dans les récoltes et lescheptels, ce qui impacte les ressources alimentaires et lesrevenus des familles9. Dans ce contexte, l'exploitation

pétrolière, au travers des emplois qu'elle offre, représentepour les communautés une source importante derevenus. Par la suite, la loyauté ou la peur de perdreces emplois limitent leur engagement dans un pro-cessus de dénonciation. Mues par les nécessités de lavie quotidienne, les communautés tendent à devenir« captives » de l'exploitation pétrolière et, paradoxale-ment, à hypothéquer elles-memes leur capacité àdénoncer ses impacts10. Les stratégies des entreprisespétrolières ont renforcé cette dépendance : les relationsétablies avec ces communautés ont été structurées pardes pratiques de domination des autorités publiqueslocales et des leaders communautaires (chantage, mani-pulation, clientélisme, corruption) dont de nombreuxtémoignages font état [3].

La régulation publiquedes risques : l'évacuationde la question sanitaire

La « normalisation » des risques sanitaires est relati-vement limitée en Équateur. Ce travail réglementaire et/ou législatif visant à déterminer une gestion publique desobjets en cause [4] a rencontré de nombreuses difficultés.N'ayant pas fait l'objet d'une politique nationale spéci-fique, la question sanitaire reste principalement unproblème interne aux entreprises. Le processus dedéfinition d'une gestion publique des impacts et risquesliés au pétrole s'est en effet centré sur les enjeuxenvironnementaux et sociaux. Elle s'est concrétiséedans l'élaboration et la mise en œuvre récente d'unPlan de réparation intégrale des « passifs socio-envi-ronnementaux »11 coordonné par le ministère de l'Envi-ronnement équatorien et en partie mis en œuvre par EPPetroecuador. Le RAHOE (2001) a été, durant plusieursannées, le seul texte contraignant les activités indus-trielles, en dehors de toute politique réelle de prise encharge publique des pratiques et impacts de ces activités.La Constitution de 2008 marque un réel tournant nonseulement dans l'institutionnalisation des enjeux socio-environnementaux mais également dans la reconnais-sance des enjeux sanitaires en proclamant l'engagementde l'État à intervenir de manière immédiate pour garantirla santé et l'environnement (art. 397). Pourtant, alorsque la mise en place du Programme de réparation

8 La constitution de l'Assemblé bi-provinciale entre les provincesde Sucumbíos et Orellana en 1998 change la donnée enattribuant un poids plus important à des revendicationsdésormais formulées en commun et en organisant les actionscontestataires. Rassemblant organisations indigènes et paysan-nes, juntes paroissiales, municipalités et conseils provinciaux,missions catholiques, partis politiques de gauche, cette assem-blée devient le symbole de l'émergence d'une identité communeentre indigènes et colons, construite autour de la vulnérabilité àla contamination et aux pratiques sociales des entreprises (cf. lemémoire de fin d'études de G. Juteau à l'IEP de Toulouse [16]).9 Ces impacts n'ont jamais été réellement quantifiés ; ce résultatest issu de l'analyse des entretiens qualitatifs. Une analyseéconomique est prévue dans le cadre du projet MONOIL.

10 Cf. à ce sujet le mémoire de fin d'études de E. Paichard à l'IEPde Toulouse [17].11 Un « passif socio-environnemental » est un impact ou undommage causé par les activités pétrolières sur les écosystèmeset sur la société qui en vit ou en dépend, impacts ou dommagesqui n'ont pas été réparés ou mal réparés et qui restent doncprésents dans l'environnement durant une ou plusieurs années,voire décennies.

342 Environ Risque Sante – Vol. 12, n8 4, juillet-août 2013

P. Bissardon, et al.

© John Libbey Eurotext, 2013

Tiré

à par

t au

teur

Page 7: L’essentiel de l’information scientifique et me´dicale  · 1 Institut d'études politiques de Toulouse (IEP) 2 ter, rue des puits-creusés 31000 Toulouse France

environnementale et sociale (PRAS)12, la meme année,représente un premier acte politique fort, aucune actionphare n'est lancée sur le plan sanitaire par le gouverne-ment. Malgré l'action du PRAS pour reloger des famillesvivant sur des propriétés contaminées, l'action publiquedans le domaine sanitaire reste le parent pauvre del'intervention de l'État dans la régulation et a fortiori laprévention des conséquences des activités pétrolièressur les populations de la RAE. Cette prise en charge estd'autant plus difficile que l'absence d'études épidémio-logiques menées sur le long terme et actualisées nepermet pas la définition de solutions normatives per-tinentes. En outre, sans doute en écho à l'enjeuéconomique que représente le pétrole pour le pays,l'inexistence et/ou l'inapplicabilité de la réglementationen vigueur a freiné la qualification des problèmessanitaires en conséquences des risques liés aux conta-minations environnementales et leur mise en agendapolitique. Un des verrousmajeurs de la problématique esten effet la permissivité des normes environnementalesactuelles, comparées à celles qui sont en vigueur dansd'autres pays ainsi que leur inadéquation avec les risquesde contamination chimique :– elles ne prennent pas en considération tous leséléments chimiques à risque pour le contrôle desHAP13 ou des métaux lourds14 ;– les analyses sont obligatoires sur les formes dissoutesdes contaminants alors que les principaux élémentstoxiques sont hydrophobes et s'adsorbent préférentiel-lement sur les particules fines et dans les sédiments, et parailleurs, aucune analyse n'est exigée dans l'air ;– les valeurs seuils de concentration autorisées sont bienplus élevées que les normes nord-américaines oueuropéennes.

Conclusions

L'analyse diachronique des dynamiques de l'alerte surles impacts des activités pétrolières en Équateur a permis

d'expliquer le long processus de construction du risquesanitaire, depuis les premiers signaux jusqu'à la récentereconnaissance du risque lié aux activités, et auxdécisions politiques et juridiques associées. Faibles parnature, les signaux de la contamination environnemen-tale chronique ont été difficilement et tardivement reliésaux problèmes sanitaires de la région. La marginalité duterritoire amazonien, la posture schizophrénique de l'Étatet des populations dans la régulation des activitéspétrolières, ainsi que les stratégies de domination desentreprises sur les autorités locales ont contrarié ladiffusion de l'alerte sur les impacts sanitaires et leurnormalisation.

Dans ce contexte, la question sanitaire s'exprimemoins comme un problème public que comme le vécuquotidien des populations. D'une part, la vulnérabilité despopulations locales exposées et la difficulté à diagnosti-quer les pathologies, font que les populations mécon-naissent la nocivité des substances en cause. D'autre part,les enjeux économiques et leurs pratiques rendentdifficile la réduction des expositions. L'étendue de lacontamination, dans l'espace et dans le temps, le faibleéquipement local en services de base (eau, assainisse-ment) mais également le manque de ressources oud'alternatives des populations exposées les conduisentnotamment à consommer et à utiliser régulièrement del'eau contaminée. La victoire des populations dans leprocès Texaco ouvre sans doute une brèche pour unemeilleure prise en charge de la problématique sanitairedans le futur, à la fois par les politiques publiques et parles entreprises pétrolières. &

Remerciements et autres mentions

Financement : Observatoire Midi-Pyrénées (actiontransverse Environnement Santé et Société) et Institutde recherche pour le développement ([IRD] (Actionponctuelle Incitative MONOIL) ; conflits d'intérets :aucun.

12 Pilote en Amérique latine, le PRAS recense, organise et diffuse les données sur les passifs liés à l'activité pétrolière de l'État dans lesprovinces de Sucumbios et Orellana. Il identifie des zones prioritaires d'intervention en formulant un indice synthétique devulnérabilité à partir de quatre catégories d'indicateurs : vulnérabilité environnementale, vulnérabilité sociale, infrastructurespétrolières et sources de contamination (eaux, fuites de pétrole et piscines). Il a ainsi identifié des zones d'intervention prioritaire pourla remédiation des passifs sociaux et environnementaux. Se référer au SIPAS : système d'information sur les passifs environnementauxet sociaux, en ligne sur http://www.sipas-pras.gob.ec/sipasweb/.

13 Par exemple, elles obligent à mesurer les HAP totaux au lieu de mesurer les HAP par molécule et en particulier les 16 HAP classés àrisque cancérigène par l'US-EPA.

14 Le mercure et le plomb identifiés comme neurotoxiques ne sont pas considérés dans les contrôles d'effluents industriels.

Environ Risque Sante – Vol. 12, n8 4, juillet-août 2013 343

Le risque sanitaire lié aux activités pétrolières en Amazonie équatorienne : des alertes aux décisions

© John Libbey Eurotext, 2013

Tiré

à par

t au

teur

Page 8: L’essentiel de l’information scientifique et me´dicale  · 1 Institut d'études politiques de Toulouse (IEP) 2 ter, rue des puits-creusés 31000 Toulouse France

Références

1. Maldonado A, Narváez A. Ecuador ni es, ni será ya, paísamazónico. Inventario de impactos petroleros I. Quito : AcciónEcológica, 2003.

2. Bissardon P. Alerte sanitaire-environnementale et mobilisa-tions sociales face aux impacts des activités pétrolières enAmazonie équatorienne. Mémoire de fin d'études de l'IEP deToulouse, 2012 (S. Becerra, dir).

3. Borraz O. Les politiques du risque. Paris : Presses de SciencesPo Académique, 2008.

4. Martin Beristain C, Paez D, Fernandez I. Las palabras de laselva : Estudio psicosocial del impacto de las explotacionespetroleras de Texaco en las comunidades amazónicas deEcuador. Bilbao : Hegoa, 2009.

5. Chateauraynaud F, Torny D. Les sombres précurseurs : unesociologie pragmatique de l'alerte et du risque. Paris : EHESS,1999.

6. UPPSAE (Unión de Promotores Populares de Salud de laAmazonía Ecuatoriana). Culturas bañadas en petróleo. Diag-nóstico de salud realizado por promotores. Lago Agrio : AbyaYala, 1993.

7. Hurtig AK, San Sebastian M. Geographical differences incancer incidence in the Amazon basin of Ecuador in relation toresidence near oil fields. Int J Epidemiol 2002 ; 31 : 1021-7.

8. San Sebastián M, Armstrong BY, Stephens C. La salud demujeres que viven cerca de pozos y estaciones de petróleo en laAmazonía ecuatoriana. Revista Pan Salud Publica/Pan Am JPublic Health 2001 ; 9 : 375-84.

9. San Sebastián M, Armstrong B, Stephens C. Outcomes ofpregnancy among women living in the proximity of oil fields inthe Amazon basin of Ecuador. Int J Occup Environ Health 2002 ;8 : 312-9.

10. San Sebastián M, Armstrong B, Cordoba JA, Stephens C.Exposures and cancer incidence near oil fields in theAmazon basin of Ecuador. Occup Environ Med 2001 ; 58 :517-522.

11. Hurtig AK, San Sebastian M. Incidence of childhoodleukemia and oil exploitation in the Amazon basin of Ecuador.Int J Occup Environ Health 2004 ; 10 : 245-50.

12. Sever LE. Contaminación Petrolera y Efectos sobre la Saluden la Cuenca Amazonica del Ecuador : un análisis de informes ypublicaciones recientes. Texaco, 2005. www.juiciocrudo.com/documentos/Contaminacion_Petrolera_y_Efectos_sobre_la_Salud_en_la_Cuenca_Amazonica_de_Ecuador-_Doctor_Lowell_Sever.pdf

13. Bustamante T. Detrás de la cortina de humo, dinámicassociales y petróleo en Ecuador. Quito : FLACSO–Petroecuador,2007.

14. Kelsh MA, Morimoto L, Lau E. Cancer mortality and oilproduction in the Amazon Region of Ecuador, 1990-2005. IntArch Occup Environ Health 2009 ; 82 : 381-95.

15. Diaz A, Bolívar N. La comuna kichwa de San Carlos y laactividad petrolera. Quito : editorial FLACSO - sede Ecuador,2005.

16. Juteau G. L'exploitation du pétrole en Équateur : à larecherche d'un nouveau modèle de développement, entreenjeux économiques et conflits socio-environnementaux.Toulouse : IEP de Toulouse ; GET/OMP, 2012.

17. Paichard E. Faire face aux activités pétrolières en Amazonieéquatorienne, des représentations aux stratégies. Le cas deshabitants de la parroquia Dayuma. Toulouse : IEP de Toulouse ;GET/Observatoire Midi-Pyrénées, 2012.

344 Environ Risque Sante – Vol. 12, n8 4, juillet-août 2013

P. Bissardon, et al.

© John Libbey Eurotext, 2013

Tiré

à par

t au

teur