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L’Esprit du Capitalisme · stratégie du choc et de la monté du capitalisme du désastre décrit...
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L’Esprit du Capitalisme
1. Première trace sur la piste : LafargeHolcim 2. Le Capitalisme du désastre 3. « Messieurs… ce ne sont pas des Américains mais des Orientaux… » 4. « Big Business avec Hitler »
5. « De quoi Total est-elle la somme ? »
6. Le Big Bang Atomique père de l’Apartheid 7. Epilogue, déjà un mini-führer pour un nouveau cycle
1. Première trace sur la piste : LafargeHolcim « Fichier javellisés », esprit du capitalisme es-tu là ?
Tout est allé très vite pour le poids lourd du
béton, LafargeHolcim, ses tractations avec le
groupe islamique en Syrie ont fini par paraître
suspectes et le cimentier s’est retrouvé trainé
devant les juges en France… Chose pour le
moins étrange, l’entreprise a semble-t-il été
prise par surprise dans cette procédure
judiciaire. A-t-elle était trahie ? L’enquête le
révélera, peut-être…
La première ligne de défense du cimentier
franco-suisse est rapidement tombée.
LafargeHolcim n’est pas une entreprise
philanthropique. Mais qui l’ignorait ? Ce n’est
pas par souci éthique envers ses employés que
ce géant du ciment est resté en territoire occupé
par l’organisation de l’Etat Islamiste…
La seconde ligne de défense improvisée dans
l’urgence avec la reconnaissance volontaire
express de fautes - « erreur de jugement » ou
« erreurs inacceptables » - commises localement
par sa filiale syrienne n’a pas mieux résisté. Les
juges n’ont pas été sensibles aux circonstances
atténuantes de négociations difficiles sous la
contrainte en situation hautement conflictuelle.
Prise de vitesse, l’entreprise, n’a pas eu le temps
suffisant pour bétonner de nouvelles lignes de
défense. Elle a dû prendre les devants, brûler les
étapes et passer rapidement au stade de faire
disparaître des documents compromettants.
Mais en s’engageant précipitamment dans cette
voie, au vu et au su de la presse, elle n’a fait
qu’aggraver sa position vis-à-vis du droit. Bref,
avec cette posture « d’obstruction » à la justice
entreprise dans l’urgence, la firme s’accuse elle-
même. La presse nous apprend en effet que
« des fichiers manquent », et qu’« ils ont été
passés à l’eau de javel ». LafargeHolcim a
quelque-chose d’éminemment répréhensible à
cacher. Pire encore, l’entreprise aurait agi en
concertation avec le pouvoir politique à Paris :
des ramifications au sein de l’appareil d’Etat
français sont possibles. On apprend par voie de
presse que « D'anciens employés de la firme
implantée en Syrie ont demandé à ce que
l'ancien locataire du Quai d'Orsay soit entendu
dans ce dossier (1). » En portant plainte contre ce mastodonte du
béton et donc de la destruction de la planète,
l’ONG Sherpa s’en tenait strictement au droit
international. Fort probablement, elle ne pouvait
soupçonner que d’éventuelles ramifications
puissent aller jusqu’au Quai d’Orsay. En
automne 2017, les ingrédients politico-
économiques, militaro-diplomatiques se
coalisent pour que les compromissions ou
crimes possibles de l’entreprise atteignent la
carrure républicaine bien française de l’affaire
Elf. On se souvient peut-être encore que, selon
l’ancien pensionnaire du « ministère des
Affaires Etrangères » du quinquennat Hollande,
certaines factions islamistes « faisaient du bon
boulot » en Syrie. Pour le Quai d’Orsay d’alors,
comme pour le Pentagone, l’homme à abattre
était Bachar Al Assad, y compris en soutenant
en sous-main des organisations criminelles…
Au final, rien ne s’est passé comme prévu.
Selon les plans du « Monde libre » piloté par
l’OTAN, le régime alaouite de Damas aurait dû
tomber rapidement. Personne n’aurait parié sur
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la survie du clan Assad : maudit des pays
occidentaux et de leur vassaux moyen-
orientaux, encerclé par l’opprobre de la presse
occidentale et assiégé de toutes parts par des
groupes de la mouvance islamistes -« rebelles
modérés » ou fanatiques sanguinaires- le tout
abondamment financés et armés par les
pétromonarchies du Golfe amies de l’Occident
avec en plus au nord le soutien de la Turquie,
rien ne manquait pour précipiter la chute du
leader Alaouite. C’était sans compter sur
l’arrivée cuirassée de Poutine. Après la prise de
la Crimée, il venait à travers les âges inscrire ses
pas dans ceux de l’Ancien Empire tsariste.
Longtemps absente de la région depuis sa
défaite dans la Guerre de Crimée (1853-1856),
la Russie vient de rappeler qu’elle a encore une
carte à jouer au Moyen-Orient, histoire de se
désenclaver et ainsi de riposter à son récent
encerclement européen par l’omniprésente
Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
Pour mémoire, rappelons que « L’Homme
malade de l’Europe », l’Empire Ottoman en
déliquescence, faisait les délices de la finance
française et britannique. L’affreuse Guerre
(moderne) de Crimée avait pour mission de faire
barrage à la progression vers l’Anatolie de
l’Empire Russe et ainsi préserver le gâteau
créancier des banquiers occidentaux.
L’irruption du cuirassé volant Poutinkine en Syrie met fin à la longue éclipse de l’ex-Empire soviétique
dans la région.
Ainsi le régime Alaouite n’était pas tout à fait
isolé. En plus du providentiel allié russe, il faut
signaler l’Iran et ses dévoués Gardiens de la
Révolution. Après six ans de guerre infernale et
d’autodestruction de la Syrie, Bachar Al Assad
est toujours là et engrange à tour de bras les
victoires sur l’organisation criminelle Daech. Le
Capitole est parfois aussi proche de la roche
Tarpéienne que celle-ci l’est souvent de lui.
Sans conteste, avant cette tournure imprévue de
la guerre, LafargeHolcim était l’entreprise de la
situation pour la Reconstruction. La récente
unité de production de Jalabiya, inaugurée en
2010 dans le nord-est de la Syrie, était une pièce
stratégique bien placée et devait rester en parfait
état de fonctionnement pour l’après-guerre. Le
cimentier avait misé gros avec un
investissement de 600 millions d’euros pour
moderniser l’usine. Il semble que la décision
des négociations avec Daech pour préserver ce
site intact ait reçu non seulement l’aval mais le
soutien appuyé du Quai d’Orsay.
Dans le scénario hollywoodien du « Monde-
libre-piloté-par-l’OTAN », les différents temps
du drame se suivent ainsi : la guerre d’abord, le
tyran sanguinaire de Damas enterre son peuple
sous les décombres des villes antiques de la
Syrie, les victimes soufrent dans leur chair mais
résistent et combattent courageusement ; ensuite
la lutte victorieuse entraine la chutes du régime
honni, le peuple syrien enfin libre exprime sa
joie mais constate l’étendue du désastre. Enfin
arrivent les bons samaritains occidentaux pour
reconstruire le pays meurtri ». Le savoir-faire
incontestable de LafargeHolcim n’était donc pas
de trop dans cet immense champ de ruines. Par
l’entremise de cette entreprise performante et du
BTP français, la Syrie aurait pu en un temps
record accéder aux fastes du « Stade Dubaï du
Capitalisme (2) » qui caractérise aujourd’hui
l’urbanisme ubuesque des Etats Islamistes de la
péninsule arabique.
En suivant un scénario moins idyllique pour
décrire les péripéties syriennes, on débouche plutôt sur un modèle économique désormais
habituel dans le monde actuel : celui de la
stratégie du choc et de la monté du capitalisme
du désastre décrit par Naomi Klein en 2008 : en
surface la catastrophe infernale, le drame
humanitaire, la sidération du choc traumatique,
l’enfer des tapis de bombes, la fuite désespérée
de Syrie, largement mis en scène dans la presse
occidentale. Mais, en coulisse, dans les
chancelleries ou les Salons Eurosatory,
l’éminence grise, l’esprit du capitalisme, la
main invisible, le partage négocié du pouvoir politique à Damas et du juteux marché de la
Reconstruction des villes en ruine.
Fin 2017, la donne changeait radicalement, le
scénario hollywoodien n’était plus de mise.
Bachar Al Assad roule les mécaniques aux côtés
de Vladimir Poutine. Vainqueur contre le crime
organisé de Daech, il peut s’afficher comme le
libérateur de la Syrie. Et à ce titre, comme de
Gaulle et le Conseil de la Résistance en France
face à l’entreprise collaborationniste Renault, le
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leader alaouite peut statuer sur le sort à réserver
à LafargeHolcim. Il peut la condamner pour
« complicité de crime contre l’humanité » selon
le droit international, la nationaliser et créer La
Régie LafargeHolcim. De tout temps ce sont les
vainqueurs qui écrivent l’Histoire. Cependant il
faut signaler une différence de taille entre le
cimentier et le constructeur automobile
collaborationnistes. LafargeHolcim est une
transnationale déjà métastasée partout sur la
Terre ce qui n’était pas le cas de Renault en
1945. Dans l’hypothèse d’une nationalisation,
l’Etat syrien sera contraint de rebaptiser l’unité
présente sur son territoire.
Nous nous sommes contentés d’explorer une
hypothèse minimaliste : LafargeHolcim en
réserve de la Reconstruction heureuse de la
Syrie dans le cadre d’un plan Marshall assuré
par l’Etat islamiste d’Arabie Saoudite, ami
fidèle de la France et des Etats-Unis. Mais on
peut aussi évoquer une autre hypothèse que
l’enquête révélera, peut-être. Les séquelles
historiques indélébiles laissées sur le littoral
français par les cimentiers de l’armée nazie, les
fameux « blockhaus », nous autorisent à
imaginer qu’une cimenterie flambant-neuve
peut bien servir les besoins logistiques de
l’organisation criminelle, fut-elle purement
religieuse. LafargeHolcim aurait-elle permis de
bunkeriser le Califat ? Dans cette hypothèse, le
motif d’inculpation - « complicité de crime
contre l’humanité » - devient parfaitement
recevable non seulement à Damas mais aussi à
Nuremberg ou La Haye…
Restons-en là pour ce qui concerne la dimension
juridique… En France, l’entreprise n’est visée
que pour « financement d’entreprise terroriste »
et « mise en danger de la vie d’autrui ». Bref, il
n’y a pas mort d’homme ! Et de plus, par sa
taille, le mastodonte du béton entre dans la
catégorie super-lourd des « too big to fail ».
Même s’il n’est pas « too big to jail », pour
échapper aux tracasseries juridiques il n’a rien à
craindre face à la justice bananière et dilatoire
française…
Mais notre propos est ailleurs. Il nous faut
maintenant aborder la banale normalité
guerrière des temps actuels : l’esprit du
capitalisme, la Main invisible à l’ère de la
stratégie du choc et de la monté du capitalisme
du désastre.
Si du point de vue du bon père de famille, le
comportement de LafargeHolcim est au plus
haut point déplorable et si, en référence à la
Déclaration universelle des Droits de l’Homme,
les agissements de l’entreprise sont parfaitement
condamnables, il faut savoir cependant que du
point de vue économique les faits et gestes du
numéro 1 du béton restent dans la stricte
normalité. Les arrangements sordides de
LafargeHolcim ne doivent pas être considérés
comme une exception. Les Etats-Unis ont bien
traité pendant 10 ans avec les Talibans après
leur arrivée au pouvoir en Afghanistan. Nul
n’ignorait les rituels cruels de leur haut degré de
spiritualité. On baigne en plein dans l’esprit du capitalisme. Comme le disent si bien les
dignitaires d’une autre grande transnationale
d’origine française : « Total ne fait pas de
politique… elle fait de la géopolitique » ; en
clair, le bas peuple s’entretue pour des idées
politiques ou religieuses, nous on tire les
marrons du feu. Dans ce modèle qui est celui du
capitalisme du désastre dominé par les
transnationales, la question se pose de savoir qui
(en coulisse) attise le feu.
Il fait donc raison garder et regarder plus loin le
mobile des incendiaires et partir à la recherche
de l’esprit du capitalisme. Car toutes les
entreprises transnationales collaborent sans
mauvaise conscience avec les dictatures
sanguinaires et les régimes des plus crapuleux et
corrompus de la planète. La dénonciation de cet
état de fait, caractéristique des nouvelles
pratiques du capitalisme mondialisé, est
désormais la raison d’être d’ONG spécialisées
dans surveillance des multinationales.
Mais avant l’aller plus avant dans l’analyse
historique des origines de la criminalité foncière
des transnationales de la carrure de
LafargeHolcim, une précision s’impose. Dans la conjoncture actuelle d’effondrement de la
biodiversité, ce n’est pas tellement par ses
arrangements secrets avec un gang islamiste que
l’entreprise est la plus coupable de crime contre
l’humanité mais bien par son activité de routine
au service du bétonnage de la planète. Combien
d’écosystèmes et de lieux de vie pour des
populations autochtones ont été anéantis à
jamais à travers le monde par l’activité ordinaire
« légale » du numéro 1 mondial du béton -
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LafargeHolcim ? Là où l’entreprise passe les écosystèmes trépassent !
Même si ce sont les vainqueurs militaires contre
les peuples qui écrivent l’histoire, il ne s’agit
que d’une version officielle, celle que les
programmes scolaires enseignent aux enfants.
Cependant la vérité des faits se sait et elle est
disponible pour quiconque veut bien s’informer.
Au cours des deux décennies écoulées où l’on
nous avait annoncé la fin de l’Histoire, de plus
en plus d’ouvrages nous instruisent sur l’esprit
d’entreprise du capitalisme. En France on
dispose déjà de deux sommes totalisant les faits
et gestes de nos saints patrons et de notre bonne
mère la 5e République : « Histoire secrète du
Patronat, de 1945 à nos jours. Le vrai visage du
capitalisme français (3)» paru en 2009,
« Histoire secrète de la 5e République (4) » paru
en 2006. Les deux groupes d’auteurs convergent
pour constater que la vraie histoire de France ne
se découvre pas dans les manuels scolaires,
surtout quand il s’agit de révéler la face
honteuse des bonnes œuvres de l’Etat
providence de la Finance et du saint Patronat.
Sous le style de l’enquête ils traitent des petits
secrets de fabrication et des méthodes
redoutables qui assurent à la fois « la richesse de
la nations » et le rayonnement de la France et
l’harmonie dans la Francophonies. La masse
d’informations déjà disponibles est édifiante,
pour nous faire comprendre que Saint-Esprit
d’entreprise n’est pas tout à fait celui dont
parlent les économistes médiatiques. Rappelons
quelques-uns des ingrédients indispensables qui
fond que la France est une grande Nation
démocratique : agent secrets, « barbouzes »,
opération militaires clandestines et souvent
sanglante, assassinat, torture, disparition,
suicide commandité, manipulation en tous
genres, corruption, scandale financiers, réseaux
occultes lobbies puissant et invisibles. Bref le
miracle de l’extorsion de la plus-value
n’implique pas que des agents économiques
dans une concurrence libre et non faussée.
Mais nous sommes à la recherche de l’esprit du capitalisme bien au-delà des faits et gestes accablant
susceptibles de mener devant les juges tel ou tel hommes politiques, patrons d’entreprise, d’officine
occulte ou services secret.
Citons d’emblée ici, dans l’ordre de leur
parution, les ouvrage qui nous serviront à pister
l’esprit pas très philanthropique du capitalisme :
« Une histoire populaire des Etats-Unis » de
l’historien Howard Zinn, traduction française
2002 ; « La Stratégie du Choc, la Montée du
Capitalisme du Désastre » de la journaliste
nord-américaine Naomi Klein, 2008 ; « Big
Business avec Hitler » de l’historien Jacques R.
Pauwels, 2013 ; « Minerais stratégiques, Enjeux
Africains » du politologue franco-africain Apoli
Bertrand Kameni, 2013 ; et, tout frais sorti en
2017, « De quoi Total est-elle la somme ? » du
philosophe Alain Deneault. Cela représente près
de 3000 pages de lecture pour une plongée dans la criminalité foncière du capitalisme.
Une page de l’Histoire et de son écriture est en
train d’être tournée. Dans la vieille tradition
marxiste, on regardait le capitalisme comme un
système d’exploitation subtil de la force de
travail mais aussi comme une étape majeure et
nécessaire du développement des forces
productives avant le Grand Soir de
l’émancipation du genre humain… Ce n’est
désormais plus possible. Aujourd’hui le désastre
et la criminalité de capitalisme apparaissent au
premier plan. Et, comble de l’absurde, ce double
aspect relève justement du développement et de
l’excellence des sciences et techniques et, en
plus, tombe sous la loi édictée par ce même
système économique. Autre caractéristique de
notre temps, l’Histoire s’écrit en temps réel et ce
sont désormais des journalistes d’investigation
qui l’écrivent.
Dans notre liste d’auteurs sélectionnés pour
notre recherche, sauf peut-être l’historien
Jacques R. Pauwels, aucun ne s’inscrit dans la tradition de la critique marxiste du capitalisme,
tous fondent leur analyse sur les faits et gestes
des grandes entreprises et des Etats qui font le
capitalisme de notre temps et qui défigurent la
surface de la Terre depuis un siècle. Tous
dressent le même tableau de ce qu’est devenu
« Le Capital au 21e siècle ».
(1) « Lafarge en Syrie : l'ex-ministre Laurent Fabius prochainement entendu ? » Par LEXPRESS.fr ,
publié le 13/10/2017
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https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/lafarge-en-syrie-l-ex-ministre-laurent-fabius-
prochainement-entendu_1951965.html
(2) Mike Davis « Le stade Dubaï du Capitalisme » Ed Prairies ordinaire 2007
(3) Benoît Collombat, David Servenay, Frédéric Charpier, martine Orange Erwan Seznec « Histoire
secrète du Patronat, de 1945 à nos jours » « Le vrai visage du capitalisme français » Ed. La Découvert
2009.
(4) Roger Faligot, Jean Guisnel, Rémi Kauffer, Renaud Le cadre, François Malye, Martine Orange,
Francis Zamponi « Histoire secrète de la 5e République » Ed. La Découverte 2006
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2. Le Capitalisme du désastre
Nous sommes à la recherche de l’esprit du
capitalisme pour montrer qu’en définitive le
choix de LafargeHolcim de traiter avec une
entreprise criminelle, loin d’être une aberration,
relève plutôt de la normalité dans le cadre des
lois économiques du libéralisme fut-il devenu
scientifique, néo- ou ultra-libéral. La France et
les Etats-Unis, deux « grandes démocraties »
vendent bien, sans mauvaise conscience, des
armes redoutables aux Etats Islamistes et
esclavagistes de la péninsule arabique et nul
n’ignore l’usage qui en est fait au Yémen. Au
vu et au su de tout le monde comme aux yeux
officiels de l’ONU, le pays s’enfonce dans
« terrible crise humanitaire ». Des populations
civiles, des femmes et des enfants périssent sous
des bombes « Made in France » ou « Made in
USA » négociées au Salon Eurosatory, mais
localement labélisées « halal » par un Etat
islamiste… Le crime contre l’humanité ne
semble pas perturber les acteurs officiels du
commerce militaire et la presse en France s’en
tient à la doctrine présentée par l’état-major. On
ne voit pas quand ce massacre high-tech peut
finir puisque l’affairisme ordinaire des
marchands d’armes ne sort pas des principes
économiques du libéralisme. Téléguidé du
Pentagone, le roi d’Arabie Saoudite a revêtu les
habits neufs d’un mini-führer moyen-oriental.
Et comme chef suprême d’un Etat islamiste
disposant d’un arsenal high-tech d’armement il
s’offre un Guernica à Sanaa - la capitale du
Yémen inscrite au patrimoine de l’humanité. En
diminuant la focale pour un grand angle, on peut
aussi voir dans ce divertissement ubuesque d’un
monarque un lot de consolation en offrande à
ceux qui s’étaient positionné sur le marché de la
reconstruction en Syrie. On baigne en plein dans
l’esprit du capitalisme du désastre comme va
nous le monter Naomi Klein.
A sa mesure, la transnationale LafargeHolcim
pouvait donc bien faire de même avec un autre
Etat arborant les mêmes convictions religieuses.
Mais voyons plus loin que l’exception culturelle
française.
Après les ravages en Asie du tsunami de
décembre 2004, un haut responsable de
l’administration américaine a exprimé en public
sa grande satisfaction, deux mots seulement :
« merveilleuse opportunité ». L’Esprit du
capitalisme est bien là. Deux cent cinquante
mille personnes périrent, mais, aux yeux des
décideurs politiques à Washington, le désastre
humanitaire du raz de marée s’annonçait
d’emblée comme une chance pour les milieux
d’affaires étasuniens.
Piqué au vif par le cynisme tranquille de
l’administration Bush, le sang de Naomi Klein
ne fit qu’un tour et elle vit rouge. Dans un
article de The Nation paru en mai 2005, la
journaliste définissait l’émergence d’un
nouveau type de capitalisme. « The Rise of
Disaster Capitalism ». Quelques deux années
plus tard, reprenant ses esprits à froid, elle
faisait paraître son opus magnum « La Stratégie
du Choc, la montée d’un capitalisme du
désastre (1) » où l’on découvrait que depuis le
11 septembre 1973, date du coup d’Etat de la CIA au Chili, la stratégie des Etats-Unis se
fonde sur la terreur systématique et que les
affaires pouvaient prospérer idéalement dans la
sidération générale des désastres de tout type :
guerres, coups d’Etat militaire, ou même
catastrophes naturels. Le Chili était un cas
d’école planifié comme à la parade. En quelques
semaines, le pays, sous la houlette de Pinochet,
agent local des basses besognes de Washington,
se transforma en camp de concentration. Sous la
terreur militaire, des centaines de milliers de
Chiliens durent prendre le chemin de l’exil
tandis que, sous la logique économique
implacable de Milton Friedman et des Chicago-
boys de son Ecole, la population chilienne était
précipitée dans une misère noire pour de
longues décennies. Le tableau était caricatural et
le journaliste essayiste et dramaturge Sud-
Américain Eduardo Galeano croqua d’un trait la
mise en pratique au Chili de la théorie
économique mûrie à la prestigieuse Ecole de
Chicago : « pour la « liberté des prix » il fallait mettre les chiliens en prison » ; ce qui fut fait
par l’armée avec une célérité inouïe. De quel
sacrilège s’était rendu coupable Salvador
Allende, aux yeux de Washington et des
économistes américains ? Il était bien arrivé à la
présidence du pays par la voie légale avec un
processus électoral du même type qu’aux Etats-
Unis, mais il avait eu l’idée, effectivement
hétérodoxe, d’honorer l’une de ses promesses,
la nationalisation des mines de cuivre. Sur le
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papier, dans les cours de géographie destinés
aux enfants, le Chili était le premier producteur
exportateur mondial de ce métal stratégique.
Mais sur le terrain, les compagnies étasuniennes
en étaient les réels propriétaires.
Sur ce modèle du choc, le livre proposait un tour du monde bien documenté pour montrer comment le
complexe militaro-industriel étasunien procédait pour arriver à ses fins.
Dans les années 2000 l’actualité internationale
était particulièrement riche en désastres
humanitaires et par conséquent en
« merveilleuses opportunités » pour les milieux
d’affaires américains. Coup sur coup et encore
sur coup : « Shock & Awe », « choc et effroi »,
2003 invasion de l’Irak, 2004 tsunami au Sri
Lanka, 2005 ouragan Katrina à La Nouvelle-
Orléans... Et à chaque fois le même cri de joie,
sans retenu, sans décence, l’expression explicite
enthousiaste de l’esprit du capitalisme se faisait
entendre comme une bénédiction :
« merveilleuse opportunité », « occasion en
or », « de superbes occasions s’offrent à nous » ;
dans le même temps les investisseurs étasuniens
survoltés s’abattaient comme des bandes de
pillards sur les pays et régions dévastés. Sous la
fausse bannière de « La Reconstruction », les
engins de chantiers déferlaient comme des chars
pour parachever les dévastations de la
catastrophe primitive et crée ainsi sur la table
rase une « Nouvelle Jérusalem » terrestre des
temps capitalistes aux profits des entreprises
nord-américaines.
Dans le cadre de la théorie économique de
Milton Friedman, la chute des Tours jumelles, le
spectaculaire évènement Hollywoodien du 11
septembre 2001, doit lui aussi être mis dans la
liste des « merveilleuses opportunités ». Mais en
plus, il faut le considéré dans sa spécificité
véritablement providentielle. Et pour le coup il
est bien venu du ciel. Il y a eu le « choc et
l’effroi » puis « La Reconstruction », mais en
plus, bonté divine, s’enclencha la réaction en
chaine sans fin de la « guerre (sainte) contre le
terrorisme ». L’Amérique affairiste redécouvrait
l’Amérique, le filon prolifique et le cycle
perpétuel du World-War-Web-Business pour le
nouveau siècle.
Des esprits critiques ont pu faire remarquer (à
juste titre) que l’assemblage « capitalisme du
désastre » est un « pléonasme (2) ». Mais dans
la Société du Spectacle dessinée, animée et
scénarisée par Hollywood et Walt Disney, où le
mensonge est devenu une immense industrie
affichant un chiffre d’affaire à plusieurs dizaines
de milliards de dollars (3), il n’est peut-être pas
tout à fait inutile d’expliciter la nature foncière
du capitalisme : un désastre.
Là où Naomi se trompe quelque peu c’est dans
sa date de début pour définir ce nouvel ordre
économique. Il faudrait au moins le faire
remonter à la boucherie de la Grande Guerre qui
fut pour les milieux d’affaires, la haute finance,
la grande industrie et les compagnies pétrolières
l’une des plus « merveilleuse opportunité » de
l’histoire contemporaine.
Mais pour quiconque connaît l’histoire du
monde occidental, il est clair que, dès la montée
en puissance des marchands banquiers vers la
fin du Moyen Age, le capitalisme était déjà un
désastre total, à la fois humanitaire et
environnemental. Dès cette époque en effet les
activités minières sous le contrôle des riches
marchands rencontraient les besoins militaires
insatiables des Etats pour la plus grande
prospérité des affaires.
Rappelons en passant que le bon vieux Karl Marx avait indirectement décrit et conceptualisé
la stratégie du choc et le désastre organisé en
révélant « le secret de l’accumulation primitive
du capital (4) ». L’expropriation féroce des
paysans dans l’Angleterre des 15-16e siècles fut
en l’occurrence par ses conséquences humaines
dans les campagnes un véritable tsunami et un
tremblement de terre. Des milliers de fermes,
bourgs et villages furent rayés de la carte
d’Angleterre sous la déferlante des moutons,
tandis que les paysans chassés de leur terre se transformaient en vagabonds, premiers migrants
économiques de l’ère moderne. Peu avant ces
temps de misère et de terreur sanguinaire,
l’Angleterre était une petite nation de paysans
libres et prospères. Moins de cinq millions
d’âmes peuplaient le royaume, pour la plupart
invisibles, dispersés dans l’espace rural… Puis
survint comme un cataclysme le début du
capitalisme. L’élite anglaise venait de décider
son entrée dans le marché commun européen de
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la laine et des draps dominé en ce temps-là sur
le continent par les manufactures de Flandre. Il
fallut pour cela anéantir les terres arables,
chasser les paysans pour faire le maximum de la
place aux pacages. Face aux conséquences
humanitaires et environnementales de cette
première stratégie du choc, les chroniqueurs de
l’époque exprimèrent leur effroi. Thomas More,
l’auteur de « L’Utopie », témoin oculaire de la
réaction en chaine du désastre exprima la
situation par un paradoxe : « les moutons
dévoraient les hommes ». Mais aussi dès cette
époque il en comprit la nature et la décrivit dans
sa brutale logique mercantile.
Ce qui change radicalement aux 20e et 21e
siècles c’est l’avènement des sciences et
techniques à l’origine de la seconde révolution
industrielle. Depuis, en effet, le désastre de
l’accumulation du capital est devenu
véritablement spectaculaire, planétaire,
irrésistiblement mené sur un train d’enfer.
Désormais visible dans sa réalité irréversible à
la surface de la Terre, les scientifiques désignent
ce nouveau déluge sous le terme savant
d’Anthropocène.
(1) Naomi Klein « Stratégie du Choc, la montée d’un capitalisme du désastre » Ed. Actes Sud 2008
(2) René Riesel, Jaime Semprun « Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable »
Ed. Encyclopédie des Nuisances, 2008
(3) Sheldon Rampton, John Stauber, « L’Industrie du mensonge. Relations publiques, lobbying &
démocratie » Éd. Agone, 2012.
(4) Karl Marx, « Le Capital » Livre 1er, 8e section : l’accumulation primitive, chapitre 26 et 27
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3. « Messieurs… ce ne sont pas des Américains mais des Orientaux… »
Au cours de son enquête à travers le monde, la
journaliste Naomi Klein engageait un effort
louable de conceptualisation pour faire
découvrir la pensée profonde de l’élite
dirigeante de la première puissance économique
militaro-industrielle du 20e siècle. Elle nous
menait vers l’école de Chicago et ses bonnes
œuvres universitaires envers la jeunesse dorée
du pays puis nous montrait la mise en pratique
de la stratégie du choc par les Chicago-boys. Au
moment de l’effondrement de l’Empire
soviétique, Naomi Klein nous révélait le
spectacle des nouveaux Einsatzgruppen en col
blanc de Milton Friedmann se ruant comme une
bande de pillards sur l’ex-Europe de l’Est.
Pour continuer à sa suite la recherche sur la
piste de l’esprit du capitalisme et son affinité
élective avec le crime, rien de tel qu’une
plongée dans l’Histoire des Etats-Unis. De ce
point de vue, le livre d’Howard Zinn, « Une
Histoire Populaire des Etats-Unis », est un
véritable saut dans l’horreur absolue. On pénètre
dans le Pandémonium où en décide l’histoire
sordide du monde des affaires. La piste est
quasi-continue, jalonnée de traces de meurtres
de masse avec un mobile des crimes unique
parfaitement identifiable : l’esprit de capitalisme
est bien là dans son jus, ses cris et ses jets rubis.
La première impression du lecteur de ce livre
est en effet l’immersion dans l’horreur et, dès
qu’il reprend ses esprits, il découvre immensité
de son ignorance sur ce qui s’est passé dans ce
pays. Il nous faut remonter vers les origines.
Arrêtons-nous à une date charnière, l’An 1900
de l’Histoire des Etats-Unis, peu connue du
grand public. En Europe c’est la Belle Epoque
que ce passe-t-il de l’autre côté de l’Atlantique
mais aussi au-delà des Etats-Unis dans le
Pacifique?
Dix ans plus tôt, « La Guerre (ou le génocide)
des Indiens » vient d’être parachevée par le
massacre de Wounded Knee dans le Dakota du
Sud. Howard Zinn rapporte l’évènement en ces
termes : « Le 29 décembre 1890, l’armée
fédérale encercle un campement d’environ 300
Indiens Sioux, en majeure partie composé de
femmes, enfants et de vieillards. Pendant que les
soldats fouillent le camp et récupèrent les armes
des indiens, un coup de feu éclate. Aussitôt
l’armée ouvre le feu avec les mitrailleuses
Hotchkiss installées tout autour du campement.
Environ 300 cadavres d’indiens furent jetés,
quelques jours plus tard, dans une fosse
commune. » Signalons pour comparaison qu’ici
ce ne sont pas des barbares Orientaux islamistes
qui furent au premier chef responsables de ce
crime mais bien les soldats de la première
« grande démocratie ».
Le territoire des Etats-Unis est donc en totalité
pacifiée d’Est en Ouest, une pause dans le
programme militaire des conquêtes aurait été
bienvenue pour les hommes de troupe, mais
l’élite n’a pas de temps à perdre. La boussole de
la Doctrine Monroe s’affole et s’anime comme
aiguillon impitoyable : après avoir indiqué le
Sud et l’Amérique latine elle pointe plein Ouest.
Alors le Congrès à Washington regarde
intensément de l’autre côté du Pacifique.
Comme Christophe Colomb dans les Antilles,
l’Amérique découvre un archipel magnifique :
les Philippines.
Bref, allons droit au but : l’esprit du capitalisme.
En L’An 1900, la guerre des Etats-Unis aux
Philippines est terminée. Au prix de cruautés militaires confinant au génocide que nul
n’ignore en Amérique, le territoire est conquis.
Le 9 janvier 1900, le Sénateur (et historien)
Albert Beveridge s’exprime devant le Sénat :
« Monsieur le Président, la franchise est
maintenant de mise. Les Philippines sont à nous
pour toujours […] Et à quelques encablures des
Philippines se trouve l’inépuisable marché
chinois. Nous ne nous retirerons pas de cette
région […] Nous ne renoncerons pas à jouer
notre rôle dans la mission civilisatrice à l’égard
du monde que Dieu lui-même a confié à notre
race. Le Pacifique est notre océan […] Vers où devons-nous nous tourner pour trouver des
consommateurs à nos excédents ? La
géographie répond à cette question. La Chine
est notre client naturel […] Les Philippines
nous fournissent une base aux portes de
l’Orient. Nulle terre en Amérique ne peut
surpasser en fertilité les plaines et les vallées de
Luson […] Le bois des Philippines peut fournir
le monde entier pour le siècle à venir. A Cebu,
l’homme le mieux informé de l’île m’a dit que
10
sur une soixantaine de kilomètres la chaine de
montagneuse de Cebu était pratiquement une
montagne de charbon. J’ai ici une pépite d’or
trouvée sur les rives d’une rivière des
Philippines. Pour ma part, je suis sûr qu’il n’y a
pas parmi les Philippins plus de cent personnes
qui sachent ce que l’autonomie à l’anglo-
saxonne signifie et il y a là-bas quelques cinq
millions de gens à gouverner. Nous avons été
accusés d’avoir mené au Philippines une guerre
cruelle. Messieurs les sénateurs, c’est tout le
contraire. […] Les sénateurs doivent se
souvenir que nous n’avons pas affaire à des
Américain ou des Européens mais à des
Orientaux (). »
Dans notre quête sur l’esprit du capitalisme à la
suite de l’affaire LafargeHolcim au Moyen
Orient, nous voici nettement mieux éclairé par
l’éloquence de l’orateur. Le discours est on ne
peut plus limpide.
Autorisons-nous quelques brefs commentaires
pour relier au travers du 20e siècle l’invariant
spirituel du libéralisme.
D’abord remarquons que ce n’est pas un miteux
islamiste fanatique recruté dans les milieux
défavorisés du monde arabo-musulman ou de la
vieille Europe qui parle mission au nom de Dieu
mais bien un membre éminemment cultivé de
l’élite politique américaine : l’historien et
sénateur Albert Beveridge (1862-1927).
Ensuite constatons la clairvoyance fulgurante de
l’historien ; elle nous annonce le programme
économique du libéralisme ou l’œuvre
dévastatrice du capitalisme durant 20e siècle :
déforestation, marchandisation du bois et
utilisation massive du charbon… En effet, en
l’An 1900, l’expansionnisme est à un moment
charnière, celui du vieux capitalisme industriel
du 19e siècle était en recherche de « marchés
pour ses excédents », celui de la seconde
révolution industrielle du 20e siècle est en
recherche dévastatrices de matières premières.
Mais, pour notre quête sur l’esprit d’entreprise
notons que, pour l’élite étasunienne la guerre ne
peut en aucun cas être déclarée « cruelle » si elle
se limite au massacre d’Orientaux ou, plus
généralement, comme on le sait, si elle recrute
ses victimes parmi les peuples autochtones (non
civilisés, cela va de soi !), comme cela se passe
encore aujourd’hui avec les Indiens
d’Amérique.
On ignore si, un siècle plus tard, Madeleine
Albright, ambassadrice américaine aux Nations
Unies puis secrétaire d’Etat durant le mandat de
Bill Clinton, était tout imprégnée des
lumineuses pensées de cet historien américain
visionnaire. On connaît en tout cas le froid
glacial de son commentaire quand on
l’interrogea sur les conséquences sanitaires
désastreuses sur les enfants iraquiens du
« régime des sanctions de Nations-Unies » pour
le soi-disant « désarmement de l’Irak ». Alors
que le monde s’émouvait face à l’hécatombe,
Madame Madeleine Albright déclara en langage
comptable : « Je pense que c'est un choix très
dur, mais le prix - nous pensons que ça vaut le prix. ». Au cours de ces années terribles, 1990-
2003, quelques 500 000 enfants en bas-âge
périrent par manque de soins élémentaires. Mais
il est vrai, en toute franchise, « messieurs les
sénateurs », « qu’on n’a pas à faire à des
Américains ni à des Européens mais bien à des
Orientaux ». Le régime des sanctions fut
maintenu jusqu’à l’invasion de l’Irak décidé en
2003 sous le fallacieux prétexte des « armes de
destruction massive ». Comble du
machiavélisme, on peut se demander a
posteriori si cette catastrophe sanitaire
maintenue à coup de véto des Etats-Unis et de
l’Angleterre, n’était pas le long temps
préparatoire de la Guerre d’Irak. Esprit du
capitalisme es-tu là ?
Nous laissons au lecteur la liberté de partir lui-même vers les origines à la recherche des milles et une
autres manifestations de cet esprit au travers du livre d’Howard Zinn - « une Histoire populaire des
Etats-Unis » - : la piste est balisée.
(1) Howard Zinn, Une Histoire populaire des Etats-Unis, de 1942 à nos jours Ed Agone 2002. Chapitre
12 : L’Empire et le Peuple
11
4. « Big Business avec Hitler »
La collaboration d’une transnationale
occidentale avec une entreprise criminelle
reconnue comme telle par les dites « grandes
démocraties du monde libre » est-elle une
exception confirmant la règle ou au contraire la
règle avec de rares exceptions ?
Y-a-t-il des antécédents dans l’histoire ? Et
sont-ils suffisamment démonstratifs pour écarter
les hypothèses de l’exception, de l’égarement ou
l’accident ? La réponse est oui au deux
questions.
Une des énigmes du 20e siècle qui mobilisa les
sommités universitaires et fit couler beaucoup
d’encre savante fut l’ascension au pouvoir en
Allemagne d’un groupuscule criminel qui mit à
feu et à sang l’Europe entière et organisa à
l’échelle industrielle un holocauste. Comment
dans ce pays au centre de la grande civilisation
européenne qui donna naissance à d’illustres
artistes, grands compositeurs et musiciens et
brillants hommes de lettres et poètes, qui éleva
la philosophe jusqu’à un très haut niveau de
réflexion et d’abstraction dans tous les
domaines : histoire, politique et esthétique et
qui donna au monde les plus grands esprits
scientifiques, comment dont dans ce creusé de
la très haute culture, un vulgaire politicien de
basse extraction a pu mettre à ses ordres toute
une nation ? Non seulement la populace ignare,
la foule inculte, mais aussi les élites cultivés et
les plus brillants scientifiques du temps furent
mobilisés et se laissèrent entrainer dans la furie
collective.
En fait d’énigme, il n’y en a pas vraiment eu.
Elle fut essentiellement savante, construite à
posteriori par les sommités des diverses
spécialités universitaires pour faire disparaître
dans les brumes fumeuses de la recherche les
fées qui œuvrèrent à l’ascension de l’enfant
prodige du totalitarisme. Bref le mystère fut
post-partum, né de l’effacement des traces de
collaborations des grandes firmes industrielles
et de la haute finance avec le futur Führer. Elles
furent en effet nombreuses les grandes
entreprises à voir Hitler en homme providentiel
du capitalisme, non seulement en Allemagne
mais aussi ailleurs en Europe et outre-
Atlantique. En post-partum les études
universitaires s’efforcèrent de produire une sorte
d’immaculée conception à l’avènement de
l’irrésistible Führer. Le bagou d’Hitler
expliquait tout. Entre autres choses, et
recherches savantes, on étudia avec détail la
psychologie de masse du fascisme…
Mais l’effort maïeutique du l’historien Jacques
R. Pauwells fait accoucher une vérité plus
tellurique et permet ainsi de dissiper les brumes
universitaires du conte de fée. Dans son livre
« Big Business avec Hitler », il nous fait
découvrir sans détour la dure réalité matérielle
de l’accouchement du nazisme. Comme pour le
travail d’Howard Zinn on plonge dans l’horreur
glaciale tout en découvrant l’étendue immense
de notre ignorance. Là il n’y a pas une seule
mais une multitude de puissantes transnationales
qui collaborèrent avec une organisation
criminelle. Non seulement elles collaborèrent mais aussi la favorisèrent, voire la créèrent.
Sans le « Big Business » germanique mais aussi
étasunien et international animé unanimement
par l’esprit du capitalisme, l’enfant prodige du
totalitarisme n’aurait rien pu entreprendre et, en
définitive il n’aurait été que le personnage
grotesque du dictateur représenté par Charlie
Chaplin.
Aux sources de la Blitzkrieg se pressent les
transnationales étasuniennes. L’innovation
militaire de l’état-major allemand, la nouvelle
« guerre éclair » d’Hitler est en effet une œuvre
collégiale scientifique et technique, industrielle
et transnationale. Jacques R. Pauwells signale à
ce propos « l’interpénétration des capitaux
allemands et américains ».
Notre recherche est celle de la réglé ou de
l’exception dans la collaboration des
transnationales au crime organisé haute intensité
comme dans la Seconde Guerre mondiale ou
basse intensité comme aujourd’hui avec les
régimes dictatoriaux gardiens des mines et puits
pétroliers. Voyons par étape les fées préparatrices de la
Blitzkrieg. On sait déjà trop bien que l’argent
est le nerf de la guerre. Dès les années 1920 de
bonnes fées surent subvenir à l’argent de poche
du jeune futur Führer, elles furent bien sûr
germaniques, mais pas seulement. Venus
d’outre-Atlantique, de généreux Rois mages
croyant en la bonne étoile du jeune prodige
firent parvenir des dons somptueux et
contribuèrent à son ascension politique. Des
12
grands noms comme Henry Ford et le clan
Rockefeller pouponnèrent la phalange
germanique en herbe et apportèrent leur pierre
pour l’édifice totalitaire.
On sait aussi depuis la Grande Guerre qu’en
plus de l’argent il faut du carburant, absolument
beaucoup de carburant pour avoir une chance de
triompher dans un conflit moderne.
L’Allemagne, territoire sans gisement pétrolier,
n’en manqua pas. Là aussi de généreux donateur
venus d’Amérique s’assurèrent qu’au moment
du choc suprême dans sa guerre éclair à l’Est la
Wehrmacht ne souffre d’aucune faiblesse ou
perte de vitesse par pénurie d’essence. La
Standard Oil of New Jersey et Texaco, donc les
firmes pétrolières américaines, honorèrent leur
livraison mortifère.
Mais pour entreprendre une guerre ultra-
moderne - la Blitzkrieg envisagée par Hitler - il
faut des technologies à la pointe des sciences et
techniques. Et là c’est la ruée générale, toutes
les grandes industries étasuniennes ou presque
se solidarisèrent avec le chef suprême de la
Wehrmacht. En vrac on peut citer, Ford et
General Motors pour le matériel roulant et
volant, ITT pour les télécommunications, IBM
pour l’organisation logistique et rationaliste du
crime de masse, Alcoa pour l’aluminium
Monsanto, Dow Chemical et Du Pont en
coopération technico-commerciale avec IG
Farben dans le secteur de la chimie, Pratt
&Whitney, US Steel, Singer, Union Carbide,
Kodak, Westinghouse, sans oublier Coca-Cola.
Bien évidement cette mobilisation des grandes
firmes américaines n’était pas faite pour les
beaux yeux du Führer, mais répondait
aveuglément à l’esprit du capitalisme, les profits
qui pouvait être retiré ce titanesque effort de
guerre du 3e Reich. « Au début des années 1930
toutes ces firmes avaient leur tête de pont en
Allemagne ».
Devant cet impressionnant raz de marée de
bonnes volontés, cette déferlante technologique
étasunien au service de l’effort de guerre du 3e
Reich, Jacques Pauwells parle de « Blitzkrieg
« Made in USA » ». Parmi les firmes qui avaient
des filiales installées en Allemagne comme
General Motors et Ford il faut rappeler qu’elles
bénéficièrent aussi de la « Loi Travail »
particulièrement chiadée du 3e Reich. Et puisque
l’on découvre les bonnes grâces du 3e Reich
pour la grande industrie automobile, il est
important de remettre les choses dans leur ordre
historique et rendre à César ce qui est à César...
D’abord Henry Ford est le père spirituel
d’Hitler, le futur Führer était un admirateur du
grand patron américain mais aussi grand
penseur, auteur de « The International Jew »
« Le Juif International », livre où son esprit très
visionnaire identifie la menace du « judéo-
bolchévisme » pour « le monde libre ». En suite quand Hitler est devenu Führer c’est au tour du
grand constructeur automobile de devenir
admirateur du dictateur germanique. Et pour
couronner le tout, après la Guerre, la CIA
consciente de « ce qui est bon pour
l’Amérique » importa tel quel en Amérique du
Sud la Loi Travail du 3e Reich pour le plus
grand bénéfice de Ford et de General Motors,
comme le rappelait Naomi Klein et comme on
le redécouvre aujourd’hui avec des procès
instruits contre les constructeurs automobiles
étasunien (2). Quelle drôle d’idée, en effet, que
d’aménager des salles de torture dans des usines
automobiles. Mais on le sait, « ce qui était bon
pour General Motors et Ford (sous le 3e Reich)
est bon l’Amérique »
D’autres industries en Europe faisaient de
juteuses affaires avec le 3e Reich. La Suède se
déclarait « pays neutre », mais comment faire
des chars allemands sans le minerai de fer
suédois ? En toute logique économique, sa
neutralité lui permettait de commercer en toute
bonne conscience… avec le crime organisé.
Comment faire mouvoir les chars de la
Wehrmacht sans les roulements à billes SKF suédois ? Arrêtons là la liste des entreprises
collaborationnistes, épargnons la Suisse, autre
« pays neutre » mais surtout plaque-tournante
du blanchiment de « l’or nazi ».
Aujourd’hui on a le plus grand mal à imaginer que l’élite scientifique américaine et les ingénieurs de
multiples firmes étatsuniennes donnèrent le meilleur d’eux-mêmes et mirent au point des systèmes
d’armement hautement sophistiqués livrés à la Wehrmacht. Il est vraiment difficile de saisir la
13
monstruosité totalitaire de réalité : des dizaines de millions d’Européens et quelques 400 000 soldats US
périrent sous le feu infernal d’une Guerre-éclair d’Hitler « Made in USA ».
(1) Jacques R. Pauwell « Big Business avec Hitler » Ed. Aden, 2013
(2) « Argentine : d’ex-dirigeants de Ford jugés pour complicité avec la dictature militaire »
LE MONDE | 29.12.2017 | Par Christine Legrand (Buenos Aires, correspondante)
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/12/29/argentine-d-ex-dirigeants-de-ford-juges-pour-
complicite-avec-la-dictature-militaire_5235652_3222.html?xtmc=ford_argentine&xtcr=1
14
5. « De quoi Total est-elle la somme ? »
Nous avons suffisamment avancé dans notre
recherche historique sur l’esprit du capitalisme
et son affinité élective avec les régimes
autoritaires et organisations sanguinaires. A ce
stade et pour ne point être accusé de nous
complaire dans la torture psychologique en
remuant le couteau dans la blessure narcissique
du « monde libre », il nous était possible
d’abréger les souffrances en passant directement
à la conclusion avec les analyses précises
d’Apoli Bertrand Kameni sur les origines de
l’Apartheid comme « fille du de la révolution
atomique ».
Malheureusement pour nous un improbable
concours de circonstance nous oblige à ne pas
faire l’impasse sur le livre d’Alain Deneault
« De quoi Total est-elle la somme ? ». Il est en
effet paru en 2017, l’année même où éclate et
s’aggrave l’affaire LafargeHolcim.
Il se trouve qu’avec la procédure lancée contre
le cimentier l’on apprend que d’autres grandes
entreprises françaises étaient présentes en Syrie
au temps de la gloire du Califat. A cette
occasion, la presse nous informe qu’elles
décidèrent de partir ; parmi elles : Total, notre
grand fleuron national.
L’histoire ne nous dit pas si leur départ est le
résultat de l’échec de négociations secrètes avec
Daech. Mais peu importe, dans le contexte et en
contraste avec LafargeHolcim, leur choix le
quitter la Syrie a été considéré et même salué
comme un acte vertueux. Circonstance improbable et divine surprise, par
ricochet Total se retrouve encensée et sacrée
entreprise vertueuse de l’année 2017 ! Bien
évidemment en France, le cocorico est possible car
pour l’heureux automobiliste téléspectateur, Total
c’est un ensemble de stations essence où selon la
devise de la firme «Vous ne viendrez plus chez nous
par hasard» ; ou encore, en plus jeune et dynamique
mais moins subtile : «Énergisons la vie chaque
jour».
Avant de suivre les analyses iconoclastes d’Alain
Deneault, on peut dire, pour le départ de Syrie de
Total, que l’entreprise avait d’autres chats à fouetter
et beaucoup mieux à faire ailleurs. D’abord, au
moment des faits, Total s’était inscrite sur l’axe
Moscou-Téhéran avec deux méga projets gaziers.
Ensuite la chute de Kadhafi en 2011 lui a ouvert un
pont d’or noir en Lybie. Et surtout la carrure
transnationale de Total et sa place respectable au
sein des big five, l’empêche d’entrer dans de
miteuses tractations de marchands de tapis avec une
un gang autoproclamé Califat.
Mais revenons à la somme d’Alain Deneault
puisque nous sommes sur la piste de l’esprit du
capitalisme. Pourquoi un respectable philosophe
est-il allé fourrer son nez dans un réseau hexagonal
de pompe à essence ? Restons simple, la réponse
tient peut-être dans l’étymologie ou l’une des
missions premières de la philosophie : l’amour de
sagesse et la recherche de la vérité. Signe des temps
techniques et technologiques triomphants, il ne
semble plus possible aujourd’hui de faire de la
philosophie sans mettre les mains dans le cambouis.
La vérité se cache dans la graisse noircie des
engrenages et des roulements à billes et dans les
forages pétroliers comme a pu le constater
l’historien Jacques R Pauwells dans ses recherches
sur la Blitzkrieg.
Si un philosophe trempe sa plume dans le pétrole,
s’abaisse à nous faire découvrir les basses besognes
et les mauvaises fréquentations d’une grande firme
pétrolière, c’est que Total est emblématique du
« Capital au 21e siècle » De ce point de vue,
l’ouvrage d’Alain Deneault comme celui de Naomi
Klein sont en effet doublement éclairant et
énergisant car ce n’est pas dans l’assommoir de
Thomas Piketty que l’on découvrira ce qu’est
justement « Le Capital au 21e siècle ».
Il est vrai que, depuis son ascension au sein des
« big five » mondial du pétrole, l’entreprise
préoccupe et inspire au plus haut point les essayistes
de toutes spécialités. Par ses agissements et ses
mauvaises fréquentations assidus depuis l’après-
guerre, Total, en plus de ses propres marées noires,
fait couler beaucoup d’encre liée aux à-côtés de son
corps de métier.
Alain Deneault nous remet en effet en mémoire
quelques titres de livres et d’articles hautement
suggestifs sur le passif de l’entreprise : « Total : le
carburant de l’apartheid, 1986 », « Pipe-line secret,
« apartheid, anatomie d’un crime d’Etat, 1989 »,
« Totale(e) impunité, les dessous d’une
multinationale au-dessus de tout soupçon, 2010 ».
Ainsi, en plus des standards universitaire, « La
France et le Pétrole » de l’historien André Nouschi,
de nombreux auteurs s’intéressent de près au passé
et au présent peu glorieux du cas Total, une
transnationale au-dessus des lois et qui selon Alain
Deneault fait la loi deux fois : de fait et la fait écrire.
La vérité se cache dans un magma de boue de sang
et de cambouis, ce que Juan Pablo Pérez Alfonso,
ministre des mines du Venezuela, nomma en son
temps « l’excrément du diable ».
15
La somme du philosophe est monumentale, le procès
à charge est instruit, les preuves sont accablantes,
inscrites dans l’histoire : Total et l’apartheid, Total
et ses travailleurs esclaves au Myanmar, Total et les
crimes de la Françafrique, Total et la pollution dans
le delta du Niger, Total et les paradis fiscaux, Total
et les officines paramilitaires, Total en Alberta, Total
dans l’Arctique à Yamal… mais Total totalement
innocent ! Total plus blanc que blanc !
Après la reprise de l’épais dossier à charge, que peut
bien dire de plus un philosophe sur la totale impunité
de Total ? Catégoriser les méfaits, les classer :
« Comploter, coloniser, collaborer, corrompre,
conquérir, délocaliser, pressurer, polluer,
vassaliser, nier, asservir et régir. Douze verbes
permettent de résumer la façon qu’ont eue, au 20
siècle, des multinationales telles que Total de
s’affranchir des régimes contraignants des Etats de
droit afin de les contraindre, eux à leur tour, à un
univers commercial les liant à l’échelle mondiale -
page 413 ». Certes, mais encore ? Mettre un peu
d’ordre dans les méandres magmatiques des méfaits
de tout ordres permet de comprendre la complexe et
fatale gravité ou perversité de la situation ; mais
encore ? On approche de la structure du « Capital au
21e siècle ». Transnationales et Etats sont les deux
faces et angles d’attaque du capital. Car dès le départ
il n’y a jamais eu de confrontation mais
collaboration. La complicité des Etats concerne
aussi et avant tout lesdits « Etats de droit » avec,
comme caricature de la transgression du droit, la 5e
République et la Françafrique. La diplomatie secrète
française et la prospection pétrolière se sont servies
et construites mutuellement en Afrique puis ont
grandi ensemble pour le rayonnement international
de la France et de Total…
Mais en tant que philosophe, Alain Deneault ne peut
pas se défausser derrière l’exubérance de son
exposé. Il doit au moins satisfaire à la 11e thèse sur
Feuerbach : « interpréter le monde » ; ne pas
abandonner le lecteur complétement désorienté et
submergé par le rouge sang et le noir pétrole de
Total. Rappelons pour mémoire la dernière
proposition programmatique de Karl Marx : « Les
philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de
diverses manières, il s'agit maintenant de le
transformer ». Après avoir classé et systématisé les
pratiques condamnables de Total en regard sinon du
droit international du moins de la morale, le
philosophe s’autorise enfin un grand point d’orgue
dans son domaine de compétence sous le titre : « Le
totalitarisme pervers ». Le mot est lâché, les
transnationales seraient au final la quintessence d’un
totalitarisme qu’aucun tribunal de Nuremberg ou
aucune Cour pénale internationale de La Haye ne
pourrait condamner.
Nous n’avons pas le bagage culturel suffisant pour
convoquer Hannah Arendt et juger de l’utilité
philosophique ou historique à définir un nouveau
stade ou type de totalitarisme qu’incarnerait
l’inattaquable Total avec sa morgue internationale
bourrée de cadavres. Contentons-nous à notre
humble niveau, puisque le mot est lâché par une
autorité universitaire, de mettre un contenu technico-
anthropologique à ce « totalitarisme pervers ». Si
Total trône au-dessus de tout, « über alles », dans
une totale impunité, c’est que l’entreprise dispose à
son service de ce que la civilisation industrielle
produit de mieux dans ses universités et grandes
écoles. Les sciences et les élites à haut niveau
d’études sont l’élixir de jouvence pour le
renforcement et le renouvellement perpétuel du
Capitale au 21e siècle. La maxime chère à
Christophe de Margerie, l’ex-patron très médiatique
de Total, décédé ou suicidé dans un accident d’avion
en 2014, exprime une vérité historique sur la monté
en puissance des transnationales « Total ne fait pas
de politique »
En effet, à chacun son job, Total pompe du pétrole,
arrose et corrompt ses collaborateurs locaux pour
pomper en paix encore plus le pétrole. Dans ce
cycle, les décideurs et cadres supérieurs de
l’entreprise se consacrent à leur strict domaine de
compétence universitaire et professionnelle, l’élite
s’exprime dans le meilleur des monde possible, tout
le monde à son poste : les dirigeants dirigent, les
géologues font de la géologie, prospectent et forent,
les chimistes de la chimie, les ingénieurs de
l’ingénierie, les commerciaux du commerce, les
économistes des statistiques, les avocats du droit,
les fabriquant d’image édulcorent des images
d’Epinal… Des dizaines de compétences
scientifiques, techniques et artistiques s’unissent
pour que Total soit Total. Rien de tout cela n’entre
dans la catégorie politique et encore moins du crime.
Les bons élèves des grandes écoles ont un bon job
chez Total. Par contre reste la lutte des classes mais,
par l’énormité même des transnationales, elle est
devenue quantité négligeable. Le conflit social lui
aussi est technicisé, la gestion musclée de la
ressource humaine locale ou la chasse à l’homme sur
les populations autochtones, bref la stratégie du
choc est laissée en sous-traitance aux juntes et clans
familiaux censés représenter l’autorité étatique
reconnue par la communauté internationale. Ainsi,
comme les autres grandes transnationales, Total
reste (presque) totalement immaculé trônant au-
dessus de la mêlée. C’est la structure autoritaire
16
hiérarchisée et géo-localisée de la division du travail
caractérisant Le Capital au 21e siècle. Les Etats ne
sont là que pour ça. Ils votent des lois ad hoc,
multiplient les « états d’urgences », peaufinent des
« lois-travail » et parfois comme en France cassent,
si nécessaire, le code du travail, pour atteindre
l’idéal de la République bananière. Ils délivrent des
permis à la demande et par ce fait circonscrivent
dans le droit les activités extractives. Pour le grand
domaine de déploiement de la « Françafrique » on
sait avec les recherches et les « dossiers noirs » de
l’association Survie que les chefs d’Etat africains
doivent régulièrement montrer patte blanche à Paris-
Total pour perpétuer leur règne et palper les
royalties du pétrole… Signe des temps, en France,
on a pu voir en 2008 - 2010 un ministre de
l’écologie distribuer à tour de bras des concessions
et permis de forer pour les gaz de schiste, sans se
soucier le moins du monde des conséquences
humaines et environnementales de ses paraphes.
Ainsi libéré par cette sous-traitance expéditive
faisant fi du droit, l’esprit du capitalisme devient pur
esprit d’entreprise planant très haut au-dessus des
vivants.
Pour Le Capital au 21e siècle, dopé en salves aux
sciences et techniques, les autorités publiques se
réduisent pour le pire à n’être plus que des Etats
compradores des transnationales. Désormais ces dits
Etats souverains (de droit ou de non-droit) excellent
dans les fonctions de garde-chiourme sur les
populations locales et de gardiennage des sites
miniers et pétroliers pour la liberté des
transnationales. Sans le moindre sens des réalités, ils
votent sur demande les lois ad hoc pour que les
activités extractives se fassent dans la stricte légalité.
Qu’ils se déclarent de droit ou pas, les Etats, et
même les assemblages d’Etats comme la
Communauté européenne, n’échappent pas à ce
rapport de vassalité face au fantastique concentré
d’expertises scientifiques et techniques représenté
aujourd’hui par les multinationales. Pour ce
microcosme oligarchique la bonne santé instantanée
du monde se mesure aux cotations en bourse des
transnationales. En regard de ce pôle d’excellence
universel, le reste se réduit à pas grand-chose et les
Etats s’en chargent : le résidu de lutte des classes,
les chasses à l’homme dans les populations
autochtones, la mise à disposition d’une main
d’œuvre précarisée, laminée et soumise, les états
d’urgence, les lois-travails voire les codes noirs sur
le modèle du 3e Reich ou de l’apartheid, relèvent
effectivement de la souveraineté des Etats. Quelle
que soit la situation, la confrontation entre le pôle
d’expertises scientifiques représenté par les
transnationales et le monde réel des peuples
autochtones est rarement idyllique. On retrouve
toujours le modèle économique de l’école de
Chicago croqué par Eduardo Galeano : pour la
liberté des transnationales il faut aplanir le résidu
de lutte des classes ou mettre en fuite les populations
locales.
17
6. Le Big Bang Atomique père de l’Apartheid
En 1948, l’année même de la Déclaration
universelle des Droits de l’Homme, un régime
de type nazi avec les mêmes standards
idéologiques raciste et ségrégationniste se met
en place en Afrique du Sud. Le politologue
Franco-Africain Apoli Bertrand Kameni, mène
l’enquête et pose une question simple :
« Pourquoi le régime de l’Apartheid naît-il en
Afrique du Sud en 1948 ? »
Le régime dura près d’un demi-siècle et
intensifia ses violences policières au cours des
décennies. Face à une telle endurance, Kameni
se propose de répondre à une autre
interrogation : « Pourquoi le relatif silence de la
« Communauté internationale » (1) ? »
Le 21 mars 1960 eut lieu le massacre de
Sharpeville. Dans un township (banlieue noire)
plutôt paisible de la ville de Vereeniging de la
région du Transvaal, l’évènement marque une
rupture historique. On est bien face à une
stratégie de terreur qui peut aller jusqu’au
meurtre de masse. Le bilan de la répression
policière mettant fin à la manifestation pacifiste
contre le « pass » (passeport intérieur) attestait
sans conteste la détermination criminelle du
système de l’apartheid. Il y eut 69 morts et près
de 200 blessés, mais l’autopsie des cadavres et
l’examen des blessés révélèrent en plus une
claire volonté de tuer. Les tirs ne relevaient ni
de la légitime défense ni du simple maintien de
l’ordre. Un trop grand nombre de balles en effet
atteignirent leurs victimes à la tête ou à la
poitrine avec leurs points de pénétration
constatés dans le dos.
A la suite de cette stratégie du choc, le régime
de l’apartheid se renforça dans sa logique
totalitaire répressive. Un grand nombre de
militants noirs furent emprisonnés, Nelson
Mandela fit parti du lot pour une durée de trois
décennies. D’autre prirent le chemin de l’exil.
Vu d’aujourd’hui, avec l’aura d’un saint qui
s’associa à l’image de Nelson Mandela, une
question supplémentaire se pose : comment la
communauté internationale a-t-elle pu accepter
qu’un militant politique contre le racisme et
pour l’égalité ait pu être enfermé autant de
temps en prison pour un simple délit d’opinion ?
L’esprit du capitalisme est-il une explication
suffisante en regard de cette si longue
transgression de la Déclaration universelle des
droits de l’homme ?
Les réponses qu’apporte Apoli Bertrand Kameni
sont proprement minérales et limpides comme
de l’eau de roche. Elles s’enracinent dans la
terre et pour le coup, elles sont strictement
fondées sur les sciences pures et dures. On
quitte définitivement les obscures nébuleuses
idéologiques pour étayer l’analyse politique
dans la composition élémentaire de la Terre. La
classification périodique des éléments s’impose
comme le point de départ de la réaction en
chaine des conflits à l’époque contemporaine.
Ensuite arrivent l’étude des propriétés physico-
chimiques des minéraux et métaux et leurs
applications militaro-industrielles. L’analyse
pour comprendre la guerre perpétuelle de notre
temps et la plupart des situations conflictuelles à
la surface de la terre doit constamment avoir en
toile de fond ce fameux Tableau de Mendeleïev
mis en forme au début des années 1920.
Vu de France, « grande démocratie », ce
paradigme est pour le moins surprenant pour ne
pas dire iconoclaste. Kameni en est conscient. Il
a trouvé dans le filon minier pour le fil
conducteur de l’histoire contemporaine à
l’origine du cycle sans fin des conflits et crimes
contre l’humanité. Son argumentation est telle
qu’elle nous fait immédiatement découvrir
l’étendue de notre ignorance ou plutôt nous fait
mesurer l’efficacité redoutable de la
désinformation.
Pourquoi le peuple Sahraoui a été dépossédé de
ses terres et vit aujourd’hui enfermé dans des
camps de réfugié hors de son pays ? Regardez
au croisement de la 3e ligne et de la 15e colonne
du tableau de Mendeleïev et vous aurez la
réponse : le Phosphore. Ses sels sont l’une des
matières premières indispensables pour que le
« monde libre » puisse industrialiser son
agriculture et l’offrir à une oligarchie de
transnationales. Pour ne rien arranger au sort du
peuple Sahraoui, l’industrie agroalimentaire est,
elle-aussi, boulimique en phosphate pour doper
sa « malbouffe ». Et pour ce succulent trafic
chimique sur la marchandise soit légal, la bonne
Commission Européenne (compradore à la botte
du complexe agroalimentaire) autorise pas
moins de huit additifs alimentaires à base de
18
phosphate... Tandis qu’au Sahara Occidental, la
terreur militaire pour la mise en fuite des
populations autochtones est assurée en sous-
traitance à la monarchie marocaine…Il en va de
même en Tunisie à Gafsa avec sa mine de
phosphate. Mais là aucune monarchie ne peut
organiser manu militari la déportation des
populations locales qui croupissent dans la
misère et la pollution. En conséquences
techniques et logiques, pour assurer le
monopole du phosphate aux puissances
occidentales le laminage du confit social par la
répression est permanent.
Pourquoi, le 11 septembre 1973, il y a eu un coup d’état de la CIA au Chili : 4e ligne 11e colonne le
Cuivre.
Pourquoi au Zaïre-Congo-Kinshasa la terreur est
interminable : 4e ligne 9e colonne entre le Fer et
le Ni se trouve le fameux Cobalt. Les
technologies innovantes pour verdir Le Capital
au 21e siècle dépendent de ce métal de
transition. Sans Cobalt et sans terreur
perpétuelle au Congo, pas de batterie pour
lancer la déferlante des voitures électriques...
Comble de malchance et de guerre perpétuelle
c’est encore dans ce pays qu’on trouve le
Tantale, autre métal de transition indispensable
au développement de la microélectronique de
masse.
Apoli Bertrand Kameni va jusqu’à dresser un
tableau des conflits et crimes depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale et le met en
correspondance avec la classification périodique
des éléments. Ainsi, il balaye d’un coup toutes
les hypothèses socio-ethno-culturo-religieuses
qui font toujours en boucle les explications
habituelles dans la presse officielle.
Mais revenons à l’institution du régime de
l’Apartheid ; elle fait l’objet de la première
partie du livre de Kameni : « Du Big Bang
Atomique aux conflits pour l’Uranium en
Afrique du Sud ». Le titre du premier chapitre
en encore plus explicite : L’apartheid, fille de la
révolution atomique et de la politique minière.
Trois années décisives 1947-1948-1949 scellent
le sort tragique de millions d’Africains dans tout
le pôle sud de l’Afrique. Le rayonnement
répressif du régime de l’Apartheid s’étendait, en
effet bien au-delà des frontières de l’Afrique du
Sud. Les chars déferlaient sur la Namibie,
Rhodésie et sévissaient jusqu’en Angola et au
Mozambique.
En ces temps-là, les puissances occidentales se
définissaient comme « grandes démocraties » et
formaient le « monde libre » par opposition au
monde soviétique. Mais ce sont bien elles qui
président à cette funeste destiné de l’Afrique
australe pour près d’un demi-siècle. Première
année fatidique, 1947, début de la Guerre froide,
seconde année, 1948, institution du régime de
l’Apartheid et bien sûr « Déclaration universelle
des droit de l’homme », puis 1949 création de
l’OTAN, le sort de l’Afrique Australe est
verrouillé par pour un demi-siècle.
A ce moment de l’histoire, les états-majors des puissances occidentales estiment qu’ils doivent
agir dans une situation de quasi-urgence
militaro-industrielle. Une question simple se
pose alors : comment assurer et sécuriser l’accès
et le monopole des immenses ressources
minérales stratégiques déjà connue qui se trouve
précisément dans le pôle sud de l’Afrique ? En
langage plus prosaïque de l’Amérique blanche
bienpensante : « Peut-on faire confiance à des
chefs d’Etats de race noire ? » Ou en plus cru –
façon sergent-chef : peut-on confier le
gardiennage des richesses minières à des nègres
? Aujourd’hui la longue expérience de la
Françafrique permet de répondre par
l’affirmative, sauf qu’il a fallu en passer d’abord
par la stratégie du choc pour annihiler toute
velléité de liberté. Mais, à l’époque, en situation
d’urgence, dans l’ambiance historique
enthousiaste en Afrique animée des
revendications d’émancipation, de libération et
d’indépendance, le Monde libre a joué la
prudence, la réponse fut celle brutale de
l’Apartheid. Derrière le Parti National (blanc) qui instaure et assure pleinement la
responsabilité de ce régime de terreur raciste, il
faut voir la communauté internationale, le dit
« Monde libre ». « L’apartheid n’était que
l’institutionnalisation la plus radicale de
l’idéologie ethnique et culturelle pour le
contrôle exclusif du panthéon minier mondial
subitement valorisé et convoité par toute les
Grandes Puissances. Le segregatio nigritarum
n’était qu’un partage léonin détourné et imposé
19
par les protagonistes les plus puissants du plus
fabuleux trésor découvert par les hommes. (…)
Les accès de violences [du régime] coïncidaient
en effet avec ceux des crises des matières
premières sur la scène internationale…
L’explosion des besoins en Uranium au Nord, à
la suite du choc pétrolier de 1973, s’irradie au
Sud en explosion de violences répressives non
seulement en Afrique du Sud mais davantage
encore en Namibie, siège de la mine majeure
d’uranium de Rössing »
Ainsi tout s’explique de manière parfaitement
technique, technologique et scientifique. Inutile
de recourir aux nébuleuses idéologiques sur les
régimes totalitaires. « La monté radicale de la
violence intercommunautaire en Afrique du Sud
à partir de 1945 n’est pas la résultante des
différences ethnoculturelles » (…) L’érection
subite de la ségrégation en système unique au
monde (…) doit être confronté au vivier minier
tout aussi unique sur l’échiquier géologique des
Etats de la planète, nouvellement mis au jour :
avant 1945, l’Afrique du Sud connaissait l’or, le
diamant, le platine et le charbon. » Puis les
ressources minières se multiplièrent. « Le pays
apparut comme le détenteur de la quasi-totalité
des minerais : fer, cuivre, zinc, nickel, cobalt,
étain, phosphate (…), argent uranium… Aussi,
mieux vaut-il relever ceux qui n’y ont pas
encore été découverts : le pétrole et la bauxite »
Si au pôle sud de l’Afrique dans le panthéon minier, l’apartheid se durci au début des années 1960 puis
se fanatise dans les années 1970, c’est qu’au Nord, dans le monde blanc des « nations civilisées et
civilisatrices », la Guerre froide se réchauffe avec l’affaire des missiles à Cuba (1962), les préparatifs
militaires de la guerre du Vietnam suivies de la ruée occidentale épidémique vers le « tout nucléaire ».
On comprend aussi pourquoi durant son demi-
siècle d’existence le régime de l’Apartheid n’a
manqué de rien. Malgré toutes les protestations
et les embargos lancés par les Nations Unies,
Pretoria n’a jamais souffert de pénurie de
pétrole. Grâce à la Compagnie Française des
Pétroles (Total), l’appareil militaire de
l’Apartheid n’a jamais connu de panne sèche et
pouvait rayonner dans tout son immense secteur
de gendarmerie. A la suite de Sophie Passebois,
auteure de « Total : le carburant de
l’Apartheid », Alain Deneault rappel dans tous
ses aspects les différentes activités de la
compagnie pétrolier durant ledit embargo. Rien
ne manquait, toute la panoplie du parfait
pétrolier était déployée pour servir le régime :
distribution, prospection offshore, raffinage...
Grâce aux industries de l’armement des
puissances occidentales, le régime a disposé de
tout le matériel militaire nécessaire pour sa perpétuation et surtout sa mission de
gardiennage du vivier minier au profit des
transnationales du « monde libre ». Un article de
Ivan du Roy exhume le rayonnement de la
France en Afrique Australe : « Hommage à
Mandela : quand la France et ses grandes
entreprises investissaient dans l’apartheid ».
L’auteur dénombre quelques 85 entreprises
françaises aux petits soins pour le régime de
Pretoria (2). Mais le régime de l’Apartheid en
tant que garde-chiourme raciste fournissait en
échange à ces entreprises une main d’œuvre
passée sous la thérapie du choc et donc soumise
et à très bas salaire. On retrouve dans son
principe économique la loi-travail du 3e Reich.
L’article ne dit pas si le fleuron national
français, Lafarge, a proposé ses services à
Pretoria, mais rappelle que les grands de
l’armement étaient présents avec
l’incontournable Dassault, le BTP la Banque les
constructeurs automobiles sans oublié le fleuron atomique tricolore.
Ainsi, ce qui nous dit Apoli Bertrand Kameni
est proprement sidérant : la barbarie, les crimes
contre l’humanité du type apartheid ne relèvent
ni de l’idéologie ni de fantasmagorie
ethnoculturelle mais des salves successives
d’innovations scientifiques et techniques du Big
Bang atomique dont le point d’origine se trouve
dans la Classification périodique des éléments.
Les racines de l’Apartheid ne sont pas à
chercher dans la cruauté du Parti Nation Sud-
Africain mais dans une décision collégiale tacite
et secrète des « grandes démocraties » de
sécuriser le « vivier minier » Sud-Africain et
d’en assurer le libre et plein accès au profit
exclusif des complexes militaro-industriels
occidentaux. Ainsi, dans l’immensité encore
20
vierge et paradisiaque de l’Afrique Australe, des
millions d’africains subirent sur leur propre
terre le joug d’une tyrannie raciste et
ségrégationniste décidée par l’élite civilisatrice
du Monde libre. Sous le régime de l’Apartheid,
des milliers de personnes passèrent leur vie en
prison et des centaines périrent dans leur jeune
âge sous feu de la répression pour qu’au Nord
les savants du « monde libre » allument, attisent
et propage du feu atomique et pour que les
grandes entreprises puissent disposer à très bas
prix des métaux stratégiques révélés par la
Classification périodique des éléments. Bien
évidemment, pendant ce temps, la presse
officielle, consciente de sa mission
d’information, nous révélait les horreurs du
Goulag en URSS.
(1) Apoli Bertrand Kameni « Minéraux Stratégique, Enjeux africain » Ed. PUF 2013
(2) Ivan du Roy « Hommage à Mandela : quand la France et ses grandes entreprises investissaient dans
l’apartheid » Basta le 10 décembre 2013
https://www.bastamag.net/Hommage-a-Mandela-quand-la-France
21
7. Epilogue, déjà un mini-führer pour un nouveau cycle
Ainsi va le Capitalisme depuis la seconde révolution industrielle et le verdissage du Capital au 21e siècle
n’annonce rien de bon. Il faut s’attendre au pire avec l’intensification de sa dépendance aux terres rares
et métaux stratégiques. Sur les fronts humanitaires et environnementaux la situation ne peut
qu’empirer…
Nous étions partis sur la piste de l’esprit du
capitalisme à partir de la mise en examen d’une
grande entreprise, puis, pour l’éclaircir dans sa
stricte logique économique nous avons suivi les
analyses de Naomi Klein. En chemin, nous
avons remonté le temps jusqu’aux origines du
capitalisme pour retrouver une stratégie du choc
primordiale dans l’accumulation primitive du
capital. Ainsi par des allers-retours dans le
temps et dans l’espace on a pu unifier les
diverses et très hétéroclites manifestations du
capitalisme. Avec Howard Zinn on s’est
intéressé à un moment charnière
significativement sanguinaire de
l’expansionnisme des Etats-Unis : ce fut l’acte
de naissance du futur leader toujours incontesté
du « Monde libre ». Avec Jacques Pauwell, on a
découvert l’utilité primordiale des führers dans
l’accumulation du Capital au 20e siècle. Les
décennies d’après-guerre les ont vu se multiplier
à travers le monde, semés par les soins d’une
Main invisible experte. Avec Alain Denault,
pour le cas emblématique de Total, on a
constaté à nouveau dans les faits que la
collaboration des transnationales avec des
régimes et organisation criminelle était plutôt la
règle.
Mais surtout avec Apoli Bertrand Kameni, on a
découvert le creuset du crime dans lequel le
monde du capitalisme a été unifié : la
Classification périodique des éléments.
Dans ses multiples et déroutantes
manifestations, Le Capital au 21e siècle est donc
unique et parfaitement hiérarchisé, avec une
division du travail technique et politique
standardisée. Les transnationales en tant que
concentré de sciences et techniques en action
dominent et mènent de très haut ce bas monde.
Au-dessous, des Etats compradores carburent
aux royalties, aux commissions et rétro-
commissions et assurent en sous-traitance les
basses besognes indispensables au Capital. Au
Nord comme au Sud, ils excellent dans les
fonctions de gardiennage des sites miniers de
gardes-chiourme. A la commande ou
spontanément, par oukases ou ordonnances, ils
décrètent les lois-travail ad hoc et rêvent en
permanence d’état d’urgence. Leur ministères
de l’écologie ou de l’industrie encensent les
activités extractives et accordent les concessions
et permis miniers. Pour plaire aux grandes
entreprises et absoudre leurs nuisances sociales
et environnementales, ils distribuent les
indulgences …
Loin d’être fini ou dématérialisée, l’histoire
foncièrement tellurique du capitalisme continue.
Dans cette dynamique technico-scientifique et
militaro-industrielle toujours plus performante
et innovante, Le Capital au 21e n’a désormais
plus une minute à perdre. Plus que jamais fidèle
à son esprit d’origine, il est reparti à plein
régime pour un nouveau cycle prolifique avec
un mini-führer providentiel mis en service dans
la péninsule Arabique. Et, combe de
l’excellence, l’émir choisi peut être piloté au
millimètre comme un drone du Pentagone. Par
ses tapis de bombes incessants au Yémen, il fait
régal permanent des grands marchands d’armes
occidentaux et assure sa future place d’invité
vedette pour les prochains Salon Eurosatory.
Puis cerise sur le gâteau, il y aura bientôt le
« Stade Dubaï du capitalisme » avec « La
Reconstruction ».
Espérons que la fameuse « Fin de l’Histoire » dont on parle tant ne se réduise pas à l’épuisement des
métaux stratégiques dans les cycles interminables du capitalisme du désastre.
Un article de Jean Marc Sérékian ; janvier 2018