Lacan Hamlet(Ornicar24)

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Jacques Lacan

a consacre a Hamlet

sept lecons

de son seminaire « le Desir et son interpretation » .

« Ornicar ? »

commence ici lapublication de ce fragment.

Texte etabli par Jacques-Alain Miller.

I

LE CANEVAS

Hamlet et OEdipe.

Il savait qu'il etait mort.

Le crime d'exister.

Le reve du patient d'Ella Sharp, j'en ai pousse assez loin l'ana-

lyse structurale pour vous donner la derniere fois une double regle

de trois.

J'attire votre attention sur ce qui figurait en bas a droite - le

grand I, a savoir l'identification ideale, primitive, l'identification a lamere. Vous remarquerez que dans l'equation qui se rapporte aux la-

nieres des sandales de la seeur,j'ai seulement inscrit a cette place un

x. Cet x est, comme de bien entendu, le phallus. Mais l'important,

c'est la place ou il est - celie de 1.

En effet, que veut-il, ce sujet ? 11veut, comme la doctrine l'en-

seigne depuis toujours, maintenir le phallus de la mere. 11denie, ilrefuse la castration de l'Autre, ce que j'exprime en disant qu'il ne

veut pas perdre sa dame. En l'occasion, il met Elia Sharp dans la po-

sition de phallus idealise, et c'est de cela qu'ill'avertit par une petite

toux avant d'entrer dans la piece - qu'elie fasse disparaitre les traces.

A propos du phallus idealise, nous aurons peut-etre l'occasion

cette annee de revenir a Lewis Caroll, et vous vous apercevrez que les

deux grandes Alice, Alice in Wonderland et Journey in the looking

glass, forment un grand poeme des avatars phalliques. Vous pouvez

d'ores et deja les bouquiner un peu. Mais c'est autre chose qui va,

tout de suite, nous servir.

Dans ce que je vous ai dit du patient d'Ella Sharp, concernant

saposition par rapport au phallus, j 'ai souligne l'opposition entre etre

et avoir. Et je vous ai fait remarquer que c'etait la question de I'etre

qui se posait a lui, celie de l' etre ou ne pas etre le phallus, et qu'il eut

fallu l'etre sans l'avoir - ce par quoi j'ai defini laposition feminine. 11

ne se peut pas que ne se soit pas alors eleve en vous I'echo, qui s'im-

pose d'ailleurs a propos de l'ensemble de cette observation, I'echo du

to be or not to be. Cette formule, qui nous donne le style de la posi-

tion d'Hamlet est presque devenue un canular. Elle n'en demeure pas

moins enigmatique, et nous ramene, sinous nous engageons dans son

ouverture, a un des themes les plus primitifs de la pensee de Freud.

Le theme d'Hamlet, en effet, a ete d'emblee promu par Freud a

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t1.AML.t.l

un rang equivalent au theme cedipien.

Le complexe d'CEdipe apparait dans son oeuvreavec la premiere

edition de la Traum deutung, en 1900 ~ sans doute Freud pensait-il

depuis un bout de temps a I'CEdipe comme au lieu ou, par excel-

Ience.zs'organise la position du desir, nous le savons par ses lettres,

mais elles n'etaient pas destinees a la publication. Or, des cette pre-

miere edition, figurent des remarques sur Hamlet - elles sont en note,

elles passeront dans le corps du texte, sans modification, en 1910-

1914.

Le theme d'Hamlet a ete maintes fois repris apres Freud. Jonesfut le premier. Ella Sharp s'y est aussi essayee et avance des choses

qui ne sont pas sans interet, la pratique de Shakespeare ayant ete au

centre de sa formation.

Eh bien, a mon tour j 'y viens, parce que je crois pouvoir par

l'analyse d'Hamlet renforcer notre elaboration du complexe de cas-

tration, et saisir comment celui-ci s'articule dans Ie concret de notre

experience.

1

Qu'est-ce que Freud a voulu dire en nous amenantHamlet? Ses

remarques valent d'etre lues au debut de notre recherche. J e vous lessitue a grands traits.

Freud vient juste de parler, pour la premiere fois, du complexe

d'CEdipe, et il n'est pas vain de remarquer a quel propos ill'introduit- il l'introduit a propos des reves de mort des personnes qui nous

sont cheres. Or, c'est un de ces reves, choisi par moi pour etre des

plus simples, qui nous a permis, vous vous en souvenez, d'illustrer Ie

rapport du sujet a son inconscient.Notre schema figurait deux lignes d'intersubjectivite superpo-

sees. Le il ne saoait pas, nous l'avons place sur la ligne de la position

du sujet, pour autant que le pere, evoque comme inconscient par Ie

reveur, incarne l'inconscient meme du sujet. Du sujet inconscient de

quoi ? - de son vceucedipien, de son vceude mort contre le pere. Le

vceu qu'il se corinait, c'en est un autre, bienveillant celui-la, qui ap-

pelle sur son pere une mort consolatrice. L'inconscience qui est celle

du sujet concernant son vceucedipien, est Ia presentifiee dans l'image

du reve, sous cette forme que Ie pere ne sait pas - il ne sait pas, dit

absurdement le reve, qu'i l e tait mort. La s'arrete le texte du reve. Ce

qui n'est pas formule par Ie sujet, mais qui n'est pas ignore du pere

fantasmatique, c'est Ie selon son Va?U, que Freud restitue en nous di-

sant que c'est la le signifiant que nous devons considerer comme

refoule,

Une autre de nos grandes c euu r e s tragiques, nous dit Freud, le

I

hAlvlLLl

Hamlet de Shakespeare, a les memes racines qu 'CEdipe roi. Mais la

mise en ceuure toute differente d'une matiere identique montre

quelles differences il y a dans lavie intel lectuel le de ces deux epoques,

et quels progres le refoulement a fait dans la vie sentimentale - le

mot sentimental est approximatif. Dans CEdipe, les desirs de l'enfant

apparaissent et sont realises comme dans le reoe.

Freud, en effet, a beaucoup insiste sur le fait que les reves cedi-

piens sont comme les rejetons de desirs inconscients qui reapparais-

sent toujours, et il a toujours tenu I'CEdipe - je parle de I'CEdipe de

Sophocle ou de la tragedie grecque - pour l'affabulation de ce quisurgit de ces desirs.

Dans Hamlet, ces memes des i rs de l'enfant sont refoules, et nous

n 'apprenons leur existence, tout comme dans les neuroses, que par

leur action. Fait singulier, tandis que ce drame a toujours exerce une

action considerable, on n'a jamais pu se mettre d'accord sur le carac-

tere de son heros. La piece est [ondee sur les hesitations d'Hamlet a

accomplir la vengeance dont il est charge. Le texte ne dit pas quelles

sont les raisons et les moti fs de ces hesi tations.

Les nombreux essais d'explication n 'ont pu les decouurir. Selon

Goethe - et c 'est maintenant encore la conception dominante -

Hamlet representerait l'homme dont l'actioite est dominee par un

deoeloppement excessif de la pensee, dont la force d'action est para-

lysee : il se ressent de la paleur de la pensee. Selon d'autres, le poete

aurait voulu representer un caractere maladif, irresolu et neurasthe-

nique. Mais nous voyons dans la piece qu'Hamlet n'est pas incapable

d'agir. Il agit par deux fois, d'abord dans un mouvement de passion

oiolente, quand il tue l'homme qui ecoute derriere la tapisserie.

Vous savez qu'il s'agit de Polonius, et qu'Hamlet le tue au cours

d'un entretien avec sa mere, qui est loin d'etre crucial, puisque rien

dans cette piece ne l'estjamais - sauf saterminaison, ou, en quelques

instants, s'accumule sous forme de cadavres tout ce qui fut jusqu'alors,

des nceudsde l'action, retarde

Ensuite d'une maniere reflechie et astucieuse, quand, avec I'm-

difference totale d'un prince de laRenaissance, illivre les deux cour-

tisans - il s'agit de Rosencrantz et de Guildenstern qui represententdes sortes de faux-freres - a la mort qu 'on lui avait dest inee. Qy, 'est-

ce qui l'empeche done d'accomplir la tache que lui a donnee le f an-

tome de son pere ?

Il faut bien convenir que c 'es t lanature de cette tache d'Hamlet.

Hamlet peut agir, mais il ne saurait se venger d'un homme qui a ecarte

son pere et pris lap lace de celui-ci aupres de sa mere. En realite, c'est

l'horreur qui devrait le pousser a la vengeance, mats cela est remplace

par des remords, des scrupules de conscience. Je viens de traduire en

termes conscients ce qui demeure inconscient dans l'iime du heros.

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HAMLET

C'est a cet abord sijuste, si equilibre, a ce premier jet si clair de

la perception de Freud, qu'il nous faudra referer par la suite tout ce

qui s'imposera a nous comme excursions et broderies. Vous verrez

qu'elles en seront quelquefois assez distantes, mais que nous veille-

rons a toujours maintenir Hamlet a la place ou Freud l'a mis.

Les auteurs ont derive apres Freud au gre de l'avancement de

l'exploration analytique. Ils ont diversement centre I'interet sur des

points qu'on arrive parfois a retrouver dans Hamlet, mais au detri-

ment de la rigueur avec laquelle Freud d'emblee situe la question.

En effet, tout est la situe par lui - et c'est le trait le moins ex-ploite, le moins interroge de ses remarques - sur Ieplan des scrupules

de conscience. II s'agit done d'une construction, de l'expression sur le

plan conscient de ce qui demeure inconscient dans l'arne du heros.

Par consequent, c'est a juste titre, il me semble, que nous pouvons

nous demander comment cela est articule dans l'inconscient.

Vous me suivez ? Une chose est certaine, c'est qu'une elabora-

tion symptomatique comme un scrupule de conscience n'est pas dans

l'inconscient. S'il est done dans le conscient, construit en quelque fa-

con par les moyens de la defense, il y a bien lieu de s'interroger sur ce

qui en repond dans l'inconscient.

J e termine Ie peu qui reste du paragraphe de la Traumdeutung.

II n'en faut pas long a Freud pour jeter ce qui, de toute facon, aura

ete Iepremier pont jete sur I'ahime d'Hamlet. Jusqu'a lui,Hamlet est

reste une enigme litteraire totale. Ce n'est pas dire qu'il ne l'est plus

- mais il y a eu ce pont. II y a d'autres enigmes -Ie Misanthrope en

est une du meme genre.

L 'aversion pour les actes sexuels concorde avec ce symptome.

Ce degout devait grandir toujours davantage chez le poete, et jusqu'a

ce qui l'exprima completement dans Timon d'Athenes,

Je vous ai lu ce passage jusqu'au bout car, en deux lignes, il

ouvre la voie a ceux qui ont essaye par la suite d'ordonner l'ensemble

de l'ceuvre de Shakespeare autour de ce qui serait un refoulement

personnel de l'auteur. C'est effectivement ce qu'a voulu faire Ella

Sharp, comme on le voit dans son Hamlet, publie apres samort, par-

mi ses Unfinished papers, mais qui avait pam d'abord dans l'Interna-tional Journal. Elle tente, dirait-on, de donner un schema de I'evolu-

tion de I'ceuvre de Shakespeare dans son ensemble. Tentative certai-

nement imprudente, criticable en tout cas du point devuemethodique,

ce qui n'exclut pas qu'elle ait effectivement trouve quelque chose de

valable.

Georg Brandes indique que Hamlet fut ecrit par Shakespeare

aussitot apres la mort de son pere en 1601. Sinous pouvons admettre

qu'a ce moment les impressions d'enfance qui serapportaient au de-

funt etaient particulierement vives - on sait par ailleurs que le fils de

11

Shakespeare, mort de bonne heure, s'appelait Hamlet - il ne me pa-

rait pas que le poete n'ait exprime dans son oeuvre que ses propres

sentiments.

Terminons-en ici avec ce passage qui nous montre a quel point

Freud, par de simples indications, laisse loin derriere lui les choses

dans lesquelles les auteurs se sont engages depuis.

2

Je voudrais maintenant aborder le probleme comme nous pou-vons Ie faire a partir des donnees que je me trouve devant vous avoir

produites depuis Ie debut de cette annee.

Ces donnees permettent de rassembler de facon plus syntheti-

que et plus saisissante les differents ressorts de ce qui se passe dans

Hamlet. Elles simplifient en quelque sorte cette multiplicite d'instan-

ces a laquelle nous nous trouvons souvent confrontes dans les commen-taires analytiques, et qui leur donne je ne saisquel caractere de republi-

cation. Sur quelque observation que ce soit, nous voyons souvent repris

simultanement l'opposition de l'inconscient et de la defense, celle du

moi et du ca, et on y ajoute encore l'instance du surmoi, sans que

jamais soient unifies ces differents points de vue - d'ou un flou, une

surcharge, qui rendent ces travaux inutilisables pour nous, dans notre

experience.

Nous essayons ici de saisir des guides qui nous permettent d'or-

donner les differentes etapes des appareils mentaux que nous a don-

nes Freud, en tenant compte du fait qu'ils ne se superposent seman-

tiquement que d'une facon partielle. Ce n'est pas en les additonnant

les uns aux autres qu'on peut faire fonctionner normalement ces di-

vers organes. Pour notre part, nous les reportons sur un canevas que

nous essayons de produire, plus fondamental, de facon a savoir ce

que nous faisons de chacun de ces ordres de reference quand nous les

mettons enjeu.

Commencons done d'epeler ce grand drame d'Hamlet.

Si evocateur qu'ait ete le texte de Freud, il faut neanmoins que

je vous rappelle de quoi il s'agit.

II s'agit d'une piece qui s'ouvre peu apres la mort d'un roi qui

fut, nous dit Hamlet son fils, un roi tres admirable, I'ideal du roi

comme du pere, et qui est mort mysterieusement. La version qui a

ete donnee de sa mort est qu'un serpent l'a pique dans un verger, cet

orchard qu'ont interprete les analystes. Puis tres vite, quelques mois

apres sa mort, la mere d'Hamlet a epouse celui qui est son beau-frere,

Claudius. Ce Claudius est l 'objet de toutes les execrations du heros

central, motivees par les sentiments de rivalite qu'il peut eprouver ason egard, puisqu'il a ete ecarte du trone, et plus encore par tout ce

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HAMLET

qu'il entrevoit du caractere scandaleux de cette substitution.

Le pere apparait alors comme ghost, fantome, pour reveler a

son fils les conditions de sa mort, qui a bel et bien ete un attentat.

C'est a savoir - texte qui n'a pas manque non plus d'exercer la curio-

site des analystes - qu'on a verse dans son oreille durant son som-

meil, un poison nomme mysterieusement hebona. C'est une sorte de

mot forge dont je ne sais s'il se retrouve dans un autre texte. On en

donne comme equivalent un mot proche, par lequel on le traduit or-

dinairement, la jusquiame. Il est certain que cet attentat par l'oreille

ne saurait de tou te facon satisfaire un toxicologue, et donne par ail-leurs a l'analyste matiere a beaucoup dinterpretations.

Quelque chose nous saisit tout de suite a partir des articulations

que nous avons mises en valeur. Servons-nous de ces cles, Elles ont

ete faites par nous a des occasions tres particulieres, mais cela n'ex-

clut pas qu'elles nous servent a d'autres propos. C'est unedes lecons

les plus claires de I'experience analytique - le particulier est ce qui a

la valeur la plus universelle.

Ce que nous avons mis en evidence avec le il ne savait pas qu'il

etait mort, l'ignorance de l'Autre, est assurement un trait fondamen-

tal. C'est meme, nous apprend la doctrine, l'une des revolutions de

I'ame enfantine que le moment ou l'enfant, apres avoir cru que tou-

tes ses pensees sont connues de ses parents, s'apercoit qu'il n'en est

rien. Ses pensees, c'est la, certes, une expression qui doit nous inciter

a une grande reserve, car c'est nous qui les appelons ainsi. Pour le

sujet, pour ce qu'il vit, ses pensees c'est tout ce qui est, et tout ce qui

est est connu de ses parents, y compris ses moindres mouvements

interieurs, D''ou l'importance du moment ou il decouvre que l'Autre

ne peut pas savoir. II y a correlation entre ce ne pas savoir chez

l'Autre, et la constitution de l'inconscient. L'un est en quelque sorte

l'envers de l'autre. Dans le drame d'Hamlet nous allons essayer de

donner corps a cette conception de l'histoire du sujet.

Est-ce que nous pouvons nous contenter de la remarque de

Freud, que Hamlet, fabulation moderne, met en scene des gens qui,

par rapport a la stature des anciens, seraient en quelque sorte de

pauvres degeneres ? Nous sommes la dans le style du dix-neuvieme

siecle, Ce n'est pas pour rien que Georg Brandes est cite a ce propos.

Et nous ne saurons jamais, encore que ce soit probable, si Freud a

cette epoque connaissait Nietzsche. Cette reference aux modemes,

doit-elle nous suffire ? Pourquoi les modemes seraient-ils plus nevro-

ses que les anciens? C'est certainement une petition de principe -

ca va mal parce que ca va mal. Essayons d'aller plus loin. Ce que nous

avons devant nous, c'est une eeuvre. Nous allons essayer d'en separer

les fibres grace aux appareils que nous avons forges.

Premiere fibre. Ici le pere sait tres bien qu'il est mort, mort

j

IIIIJ

I

I!

I

nAML.t.l

selon le vceu de celui qui voulait prendre sa place, a savoir Claudius,

son frere. Mais le crime meme est cache pour le monde de la scene.

C'est la un point capital, sans lequelle drame n'aurait pas lieu d'etre.

Jones l'a mis en relief dans son article The death of Hamlet's

father - dans la saga primitive, le roi est bien massacre par son frere,

sous un pretexte qui regarde ses relations a son epouse, mais tout le

monde le sait, le massacre a lieu devant tous. Dans Hamlet au con-

traire, la chose est cachee , mais - c'est le point important -Ie pere ,

lui, la connait, et vient la devoiler. There needs no ghost, my lord.

Freud cite a plusieurs reprises la replique d'Horatio, qui fait pro-verbe - Il n'y apas besoin de [aniome, man bon seigneur, il n'y a pas

besoin de fantome pour nous dire cela. Et en effet, s'il s'agit du

theme cedipien, nous en savons, nous, deja long. Mais dans la cons-

truction de la fable d'Hamlet, nous n'en sommes pas encore a le

savoir, et il est hautement significatif que ce soit le pere qui sache et

vienne le dire.

C'est la une premiere difference dans la fibre avec la fabulation

fondamentale du drame d'CEdipe. Car CEdipe, lui, ne sait pas. Et

quand ilvient a savoir, le drame sedechaine, qui va jusqu'a son auto-

chatiment, C'est dans l'inconscience que le crime cedipien est commis

par CEdipe, alors qu'ici lecrime oedipien est suoEt de qui? De l'autre,

de celui qui en est la victime, et qui surgit pour le porter a la connais-

sance du sujet.

Vous voyez dans quel chemin nous avancons. Notre methode

consiste a comparer les fibres homologues de la structure dans les

deux phases, celle d'CEdipe et celle d'Hamlet. C'est une methode

classique, dont la reference est un tout articule. Cette methode s'im-

pose s'agissant du signifiant, puisque l'articulation, je le souligne sans

cesse, lui est en somme consubstantielle - on ne parle d'articulation

dans le monde que parce qu'il yale signifiant. Sans le signifiant, il

n'y a que continu ou discontinu, mais non point articulation. Nous

supposons done que si une touche du clavier fondamental se trouve

dans l'un des deux drames sous un signe oppose a celui sous lequel

elle figure dans l'autre, il seproduit une modification correlative. Ces

correlations doivent nous mettre au joint de la sorte de causalite dont

il s'agit. Nous pourrons ainsi rassembler les ressorts du signifiant

d'une maniere utilisable, et les noter finalement d'une facon quasi-

algebrique.

Sur la ligne du haut, a la place de il ne savait pas, mettons - il

savait qu' il etait mort. 11etait mort selon le vceu meurtrier qui l'a

pousse dans la tombe, celui de son frere, dont nous allons voir les

relations avecle heros du drame.

On se lance toujours, de facon un peu precipitee, dans l'entre-

prise de superposer des identifications. II faut l'avouer, c'est dans la

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tradition - les concepts les plus commodes sont les moins elabores,

et Dieu sait ce qu'on ne fait pas avec des identifications. On dira des

lors que Claudius est une forme d'Hamlet, que ce qu'il accomplit,

c'est le desir d'Hamlet. Cela est vite dit, puisque, pour situer la posi-

tion d'Hamlet vis-a-vis de ce desir, nous nous trouvons devoir faire

intervenir les scrupules de conscience. Or, c'est bien la quelque chose

qui introduit dans les rapports d'Hamlet a . Claudius une profonde

ambivalence. Claudius est son rival, mais cette rivalite est singuliere

- ce rival a fait ce que lui n'a pas ose faire. Dans ces conditions, je-

ne-sais quelle mysterieuse protection l'environne, qu'il s'agit de defi-

nIT.

Scrupules de conscience, dit-on. Mais mesure-t-on bien ce qui

s'impose a . Hamlet? Tous les sentiments le poussent a . agir contre lemeurtrier de son pere - sentiment d'usurpation, il a ete depossede

- sentiment de rivalite - sentiment de vengeance. Bien plus, il en a

recu l'ordre expres de son pere, admire par-dessus tout. Surement,

tout s'accorde pour qu'il agisse.Et iln'agit pas.

C'est ici que commence le probleme, Progressons arme de la

plus grande simplicite, Toujours, ce qui nous perd, c'est de substituer

au franchissement de la question des des toutes faites. Freud nous

dit qu'il s'agit la de la representation consciente de quelque chose,

qui doit done s'articuler dans l'inconscient. Ce que nous essayons de

situer dans l'inconscient, c'est ce que veut dire un desir. Eh bien,disons avec Freud qu'il y a dans le desir d'Harnlet, quelque chose qui

ne va pas. Et choisissons notre chemin. Car nous ne sommes pas pour

l'instant beaucoup plus avances qu'on ne l'a toujours ete.

3

Puisque nous avons parle du desir d'Hamlet, il nous faut situer

- et cela n'a pas echappe aux analystes - ce qui est pour nous I'ame,

la pierre de touche du desir, a savoir l'objet.Quel est l'objet conscient du desir d'Hamlet ? La-dessus, rien

ne nous est, par l'auteur, refuse. Nous avons dans la piece comme le

barometre de la position d'Hamlet par rapport au desir, nous l'avonsde la facon la plus evidente sous la forme du personnage d'Ophelie,

Ophelie est une des creations les plus fascinantes qui aient ete

proposees a l 'imagination humaine. Le drame de l'objet feminin qui

apparait a I'oree d'une civilisation sous la forme dHelene, est peut-

etre porte a . son sommet avec lemalheur d'Ophelie. Vous savez qu'il

a ete repris sous maintes formes par les poetes et par les peintres,

tout au moins a . I'epoque preraphaelique, qui nous a donne des ta-

bleaux fignoles ou se retrouvent les termes memes de la description

shakespearienne d'Ophelie, flottant dans sa robe au fil de l'eau ou

II

!I1I1

!I

IIi

I

I

1!1!

elle s'est ~ais~eedans sa folie glisser - car son suicide est ambigu.

Correlativement au drame, Freud nous l'indique, nous voyons

dans la piece s'exprimer l'horreur de la feminite comme telle. Hamlet

fait jouer devant les yeux d'Ophelie toutes les possibilites de degrada-

tion, de corruption, liees a la vie rnerne de la femme pour autant

qu'elle se laisse entrainer aux actes qui peu a peu font d'elle une

mere. Au nom de quoi il repousse cette fille de la facon la plus sarcas-

tique, la plus cruelle.

Remarquez que nous nous trouvons confrontes au passage avec

le psychanalyste sauvage. Polonius, le pere d'Ophelie a tout de suite

mis le doigt dessus - si Hamlet est melancolique, c'est parce qu'il a

ecrit des lettres d'amour a . sa fille, et que lui Polonius, conformernenta son devoir de pere, a enjoint a celle-ci de repondre vertement. Au-

trement dit, notre Hamlet est malade d'amour.

Le personnage caricatural de Polonius est Ia pour nous represen-

ter l'accompagnement ironique de ce qui s'offre toujours de pente

facile a l'interpretation externe des evenements. Les choses se struc-

turent un tant soit peu autrement, personne n'en doute. II s'agit

avant tout des rapports d'Hamlet avec quoi ? - avec son acte essen-

tiellement. Le changement profond de sa position sexuelle est bien

sur capital, mais il est a articuler autrement.II s'agit d'un acte a faire, et Hamlet en depend dans saposition

d'ensemb~e: Or, ce qui se manifeste tout au long de cette piece, c'estcette pOSItIOn.fondamentale par rapport a l'acte qui s'appelle en

anglais, d'un mot d'usage beaucoup plus courant qu'en francais,

procrastination, le fait de renvoyer au lendemain. .

C'est en effet de cela qu'il s'agit. Chaque fois que l'occasion se

presente pour lui d'effectuer son acte, Hamlet le renvoie a plus tard.Qu'est-ce que c;aveut dire? Et qu'est-ce qui Ie determine a la fin a .franchir ce pas? Pour le savoir, il faut se demander d'abord ce que

signifie l'acte qui se propose a lui.

Cet acte n'a rien a faire, en fin de compte, avec l'acte cedipien,

avec la revolte contre Ie pere, au sens OU,dans Ie psychisme, elle est

creatrice. L'acte d'Hamlet n'est pas l'acte d'CEdipe, pour autant que

l'acte d'CEdipe soutient la vie d'CEdipe, et fait de lui ce heros qu'ilest avant sa chute, tant qu'il ne sait rien. Hamlet, lui, est d'cntree de

jeu coupable d'etre. II lui est insupportable d'etre. Le problerne, Ie

crim: d'exister, se pose pour lui dans les termes qui sont les siens, asaVOITce to be or not to be, qui l'engage irremediab lement dans

I'etre, comme ill'articule fort bien.

C'est precisernent parce que le drame cedipien est ici ouvert au

commencement et non pas a la fin, que Iechoix sepropose a . Hamletentre etre et ne pas etre. Mais par cet ou bien ... ou bien ... , il s'avere

qu'il est de toute facon pris dans la chaine du signifiant. De ce choix

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il est de toute facon la victime.

J e vous donne Ia traduction de Letourneur qui me semble Ia .

meil leure. -

Etre ou ne pas etre, c'est liL l aquestion. C'est une noble alarme

de souffr£r les traits poignants de l'injuste fortune, ou se reuoltant

contre cette multitude de maux. Mourir, dormir, rien de plus. C'est

par ce sommeil dire que nous mettons un terme aux angoisses du

cceur et iL cette foule deplaies et de douleurs. Et aces milliers de

choses naturel les dont la chair est l'heritiere.

Je pense que ces mots ne sont pas faits pour nous etre indiffe-rents.- Mourir, dormir, rever peut-etre, uoila le grand obstacle. Car

de savoir quels songes peuvent suruenir dans ce sommeil de la mort

apres que nous sommes depouilles de cette enveloppe mortelle ...

This mortal coil, ce n'est pas tout a fait I'enveloppe, c'est cette

espece de torsion de quelque chose d'enroule qu'il y a autour de

nous ( .. . ).

Quel est Ie probleme d'Hamlet, celui qu'il exprime par son to

be or not ... ? C'est de rencontrer Ia place prise par ce que lui a dit son

pere. Ce que son pere lui a dit en tant que fantom e, c'est qu'il a ete

surpris par la mort dans la [leur de ses peches. II s'agit pour lui de

rencontrer la place prise par le peche de I'Autre, le peche non paye.

Celui qui sait est, contrairement a CEdipe, quelqu'un qui n'a pas paye

Ie crime d 'exister. Les consequences a la generation suivante n'en

sont pas legeres. Les deux fils d 'CEdipe ne songent qu'a se massacrer

entre eux avec toute la vigueur et Ia conviction desirables. Pour

Hamlet, il en va autrement. Hamlet ne peut ni payer Iui-meme , ni

Iaisser Ia dette ouverte. En fin de compte, il doit la faire payer. Mais,

dans les conditions oii il est place, Ie coup passe a travers lui-meme,

S'il frappe enfin Ie criminel, c'est de l'arme meme qui vient, lui, de le

toucher a mort.

Le pere et le fils, l'un et I'autre, savent. Cette comrnunaute du

decillement est precisernent le ressort qui fait Ia difficulte de I'as-

somption par Hamlet de son acte . QueUes sont les voies par lesquelles

il pourra rejoindre son acte, accomplir ce qui doit etre accompli ?

Quels detours rendront possible cet acte, en lui-merne impossibledans Ia mesure rneme ou l'Autre sait ? C'est ce detour, ce sont ces

voies qui doivent faire l'objet de notre interet, ce sont elles qui vont

nous instruire. Voila le ver itable prob leme, qu'i l s 'agissait aujourd'hui

d'introduire.Hamlet arrive a accomplir son acte. Mais n'oublions pas que si

Claudius a la fin tombe frappe, c'est tout de meme du boulot bousil-

le. Hamlet ne porte son coup qu'apres avoir fait un certain nombre

de victimes, apres etre passe au travers du corps de l'ami, du compa-

gnon, Laertes, apres que sa mere aussi, par suite d'une meprise, s'est

ernpoisonnee , e t pas avant d'avoir lu i-rneme frappe a mort.

Si effectivement l'acte s'accomplit, s'il y a in extremis une recti-

fica tion du desir qui rend l'ac te possible, par quelles voies ? La porte

Ia cleo Et la glt Ia raison qui fait que cette piece geniale n'ajamais ete

remplacee par une autre mieux faite ,

Que sont done ces grands themes mythiques sur lesquels s'es-

saient au cours des ages les creations des poetes, sinon de longues

approximations par quoi ils fin issent par entrer dans la subjec tivite ,

dans Ia psychologie ? Je soutiens sans arnbigurte - et, ce faisant, je

pense etre dans Ia ligne de Freud - que les creations poetiques en-

gendrent, plus qu'elles ne refle tent, Ies crea tions psychologiques.

La piece d'Hamlet narre comment quelque chose vient a equiva-

loir a ce qui a manque - a ce qui a manque en raison meme de la

situation initiale en tant que distincte de celle de l'CEdipe - a savoir,

Ia castra tion . L'ac tion de la piece suit un canevas diffus, un chemine-

ment flottant, en zig-zag, qui est I'accouchement lent et detourne de

Ia castration necessaire, Et c'est dans la mesure oii cela est realise au

dernier terme, qu'Hamlet fa it a lors ja illir I'ac tion terminale ou il sue-

combe.

Surgissent alors, comme toujours, les Fortimbras, prets a re-

cueillir I'heritage,

4 Mars 1959

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II

LE CANEVAS

(fin)

Le recensement de Jones.

Hamlet et les acteurs.

Le filet a desirs.Deroulement de la piece.

Un tableau a faire.

Hamlet ne vient pas la par hasard, encore que je vous ai dit qu'il

etait arnene a cette place par la formule du hre ou ne pas etre qui

s'etait imposee a moi a propos du reve d'Ella Sharp.

Ce dont il s'agit est de redonner son sens ala fonction du desir

dans l'interpretation analytique. Cela ne devrait pas etre trop difficile

pour autant que, j'espere vous Ie faire sentir, ce qui distingue la tra-

gedie d'Hamlet, prince de Danemark, c'est d'etre la tragedie du desir.

Sans qu'on en soit absolument sur, mais selon les recoupements

les plus rigoureux, on peut dire qu'Hamlet a ete joue a Londres pour

la premiere fois pendant la saison d'hiver 1601. La premiere edition

in-quarto - une edition pirate, point faite sous Ie controle de l'au-

teur, mais empruntee a ce que l'on appelait les prompt-books, les

livrets a usage du souffleur - a He inconnue jusqu'en 1823, lors-

qu'on a mis la main sur un de ces exemplaires sordides d'avoir ete

beaucoup manipules, emportes probablement aux representations.

L'edition in-folio n'a commence a paraitre qu'apres la mort de

Shakespeare, en 1623, precedant la grande edition ou l'on trouve la

division en actes. En fait, on ne croit pas que Shakespeare ait songe a

diviser ses pieces en cinq actes. Vous voyez que ces traits d'histoire

litteraire ont leur importance.

L'hiver 1OO1, c'est deux ans avant la mort de la reine Elisabeth,

qu'on ne pouvait assurernent prevoir, mais qui se laissait peut-etre

pressentir, pour autant que c'est I'annee ou est execute Ie comte

d'Essex, son amant. La reine vierge reussit de longues annees de paix,

miraculeuses au sortir de ce qui constituait dans I'histoire de l'Angle-

terre, comme dans beaucoup de pays, une periode de chaos. Ce chaos,

l'Angleterre devait promptement y rentrer avec la resolution puri-

taine. Bref, en 1601, deja s'annonce quelque chose qui, comme dit

un auteur, brise Ie charme cristallin du regne d'Elizabeth. Le ton

changera completernent avec James ler. A cet egard, on peut consi-

"

HAMLET

derer qu'Hamlet redouble Ie drame de cette jointure entre deux epo-

ques de la vie du poete.

~es re~eres ne ,sont pa~ vains a evoquer. Nous ne sommes pas les

seuls a avoir essaye de resituer Hamlet dans son contexte, mais ce

que je vous dis la, je ne l'ai vu souligne par aucun auteur analytique.

Ce sont pourtant des especes de faits premiers, qui ont leur impor-

tance.

A p:op~s ,d'fia.mlet, je n'ai pas neglige de relire toute une part

de ce qUI a ete ecnt par les analystes, et aussi par d'autres a quoi

d'ailleurs les meilleurs d'entre eux ne sont pas sans faire reference.

Cela n~)Usernmene fort loin, jusqu'a de temps en temps nous perdre

un petit peu, non sans plaisir. Leproblerne est de rassembler l'essentiel.

1

,A la verite, les ecrits des auteurs analytiques sont loin d'etre

eclairants. A mesure qu'ils insistent, la coherence du texte s'eloigne

de plus en plus.

Je dois Ie dire aussi de notre Ella Sharp dont je fais grand cas.

D;ms son pap~er, il est _vraiunfinished, elle m'a grandement decu,

C ~st t~ut a ,fal~d~s la ligne de la tendance que la theorie analytique

SUItaujourd hUI. L ceuvre de Shakespeare obeit selon elle a une vasteoscillat,ion ~yclothy~ique, ~'un cate les pieces ascendantes, qu'on

pourrart croire optmnstes, ou l'agression va vers le dehors, de l'autre

celles de la phase descendante, ou l'agression revient vers le heros ou

Ie poete, J e ne crois pas que ce soit la quelque chose d'entierement

valable.

Nous allons commencer par prendre l'article de J ones, pam en

191? dans Ie Journal of American Psychology sous Ie titre de The

CEdzpe_Complex: An explanation of Hamlet mystery / Le Complexe

d'(Edipe en tant qu 'explication du mystere d'Hamlet. Sous-titre -

A study on motive / Une etude de motivation. C'est une date et un

monument, et il est essentiel de l'avoir lu. II n'est pas facile actuelle-

~ent d;. se Ie pr?curer. J e vous signale aussi que dans la petite reedi-tion qu il e~ a faite, Jones y a ajoute quelques complements.

A En fait, tout ,est ,deja dans la magistrale demie-page de Freud.

Meme les pomts d horizon sont marques, en particulier Ierapport de

~ha~esp~ar? ~vec Ie probleme qui se pose a lui, la signification de

I objet femmm, et Freud n'omet pas d'evoquer a ce propos Timond'Athenes, .

, Avec ce grand style de documentation qui caracterise ses ecrits

-: il,y a chez lui une solidite, un~ ampleur dans la documentation qui

distingue hautement ses contributions - Jones resume ce qu'il

appelle a tresjuste titre Iemystere d'Hamlet.

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HAl'vlLET

De deux choses l'une - ou vous vous rendez compte de l'am-

p~eur qu'a prise la question, ou vous ne vous en rendez pas compte.

SI vous ne vous en rendez pas compte, je ne vais pas repeter l'article

de Jones - informez-vous. J e dirai seulement que la masse des ecrits

sur Hamlet n'a pas d'equivalent. Et plus incroyable encore est I 'extra-

ordinaire diversite des interpretations qui en ont ete donnees. Les

plus contradictoires se sont succedees, ont deferle a travers l'histoireinstaurant Ie probleme du probleme , a savoir - pourquoi tout le

monde s'acharne-t-il a comprendre quelque chose a Hamlet?

Ces. interpretat ions donnent les resultats les plus extravagants,les plus incoherents. A peu pres tout a ete dit, et pour aller a I'extre-II_1e,e Popula~ SC.ience Monthly, qui doit etre une espece de publica-

non de vulgarisation plus ou moins medicale , a fait paraitre en 1860

un article intitule Impediment of adipose dans lequel, sous pretexte

qu'a la fin de la piece on nous dit qu'Hamlet est gros et court de

souffle, il y a tout un developpement sur son adipose.

Un certain Winting, en 1881, a decouvert qu'Hamlet etait une

femme deguisee en homme, dont le but etait la seduction d'Horatio

et que c'etait pour atteindre Ie cceur de celui-ci qu'elle manigancait

toute son histoire. C'est une assez jolie invention, et on ne peut pas

dire que ce so it sans echo pour nous, pour autant que les rapports

d'Harnlet avec les gens de son propre sexe sont etroitement tissesdans le probleme de la piece.

Revenons a des choses serieuses, et avec Jones rappelons que les

~fforts de la critique se sont groupes autour de deux versants. Quand

II y a deux versants, il y en a toujours un troisieme - contrairement ace qu'on croit, Ie tiers n'est pas si exclu que cela - et c'est evidem-

ment celui qui est interessant,

Les deux versants n'ont pas eu de minces tenants.

Sur le premier, il y a ceux qui ont interroge la psychologie

d'Hamlet. C'est evidernment a eux que doit etre donne Ie haut du

pave. de notre estime. Nous y rencontrons Gcethe et Coleridge, lequel

a pns dans ses Lectures on Shakespeare une posit ion tres caracteris-

tique dont je trouve que Jones aurait pu peut-etre faire plus ample

etat, Jones, chose curieuse, s'est surtout lance dans un commentaire

extraordinairement abondant de ce qui a ete ecrit en allemand, et qui

a ete proliferant, voire prolixe.

Les positions de Goethe et de Coleridge ne sont pas identiques.

Elles ont cependant une grande parente, qui consiste a mettre l'accent

sur la forme spirituelle du personnage d'Hamlet.

En gros, disons que pour Goethe, Hamlet c'est l'action paralysee

par la pensee - these qui a une longue posterite , On s'est rappele, et

non en v~, qu'Ham~et avait vecu un peu longtemps a Wittemberg.On en fait done un mtellectuel dont les problernes viennent d'une

frequentation abusive de ce centre exernplaire d'un certain style de

formation de la jeunesse etudiante allemande. Hamlet est l'homme

qui voit to~s les elements, les complexites, du jeu de la vie, et que

cette connaissance paralyse dans son action. Problerne a proprementparler gcetheen, et qui n'a pas ete sans retentir profondernent, en rai-

son surtout du charme, de la seduction du style de Gcethe et de sa

personne.

Qu~t a .Coleridge, dans un IOAngassage que je n'ai pas le tempsde vous ~Ire, il .abon?e dans le meme sens, mais son style est beau-

coup moms s?c;ologIque,. beau coup plus psychologique. II y a quel-q~e ch?s~ qUI ~ rnon aVIS donne le sue de sa conception - il faut

bien, dit-il, que Je vous avoue que je ressens en moi quelque gout de

l~ mem~. chose ..~'~s~ ce qui dessine chez lui le caractere psychasthe-ruque, I impossibilite de s'engager dans une voie, et une fois entre

d'y rester jusqu'au bout. Coleridge se retrouve la-dedans ill'avoue au

passage, .et il n'est pa~ le seul. On trouve une remarque ;nalogue chez

un quasl-contemporam de Coleridge, Hazlitt, dont Jones ne fait pas

du tout etat, a tort, car il a ecrit sur ce sujet les choses les plus rernar-quables.

. Coleridge dit encore qu'elle nous a ere si rebattue, cette trage-

die, qu~ nous 'p~uvons a peine en .faire la critique, pas plus que nous

n~ saunons decrire notre propre VIsage. Ce sont la des lignes dont je

fais grand cas.Sur l'autre versant, les auteurs s'at tachent a mettre en valeur

une difficult.e. exterieure. Cette approche a ete instauree par un

groupe de cntiques allemands dont les deux principaux sont Klein et

Werder, qui ecrivaient a la f in du dix-neuvieme siecle a Berlin.II s'agit pour eux de mettre en relief les causes exterieures qui

feraient la difficulte de la tache d'Hamlet. La difficulte serait d'arri-

v~r a faire r~connaitre au peuple du Danemark la culpabilite de Clau-

dIUS, son roi, Cela ne soutient pas la critique. La seule lecture du

text~ mo~t~e que jamais Hamlet ne se pose un problerne semblable,

que Jan;a~s ilne ~et en cause le principe de son action. II y a des pas-

sages ou ~ se tral:e. de Iache, de couard, ou il ecurne du desespoir de

ne pouvOlr, se decider, sans que la, valid~te de l'acte fasse jamaisaucune espece de doute. Un nomme Lomng, dont Jones fait grand

etat a d'ailleurs discute a la meme periode les theories de Klein et

Werder, et d 'une facon tres decisive, appreciee de Jones.

. Certes, je P?urrais ,evoquer sur ce ~ersant des versions plus sub-

tiles, ,:naIs ces ?ebats n o~~,pas gr~nde Importance, et sont depasses

pa~ I introduction ? U troisieme pomt de vue que distingue J ones, le

pomt de vue analytique. Ne vous impatientez pas de ces lenteurs d'ex-

pose, elles sont necessaires pour que nous ayons le fond sur lequel se

pose le problerne d'Hamiet.

nAlViL~l

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Bien que le sujet ne doute pas un instant d'avoir une tache a

accomplir, pour quelque raison inconnue de lui, cette tache lui repu-

gne. La cause est done a chercher dans la tache meme, et non pas

dans le sujet, ni dans ce qui se passe a l'exterieur. Voila la facon, en

somme tres solide, et qui doit nous donner une lecon de methode,

dont Jones introduit I'abord analytique.

La notion que la tache est conflictuelle, qu'elle comporte une

contradiction interne, n'est pas du tout nouvelle. Un certain nombre

d'auteurs, dont Loning si nous en croyons Ies citations qu'en donne

Jones, n'ont pas attendu Ia psychanalyse pour saisir Ie caractereproblernatique de la tache. Bien avant I'analyse, et Jones Iemet tres

bien en relief, Ies psychologues avaient deja reIeve Ia diversite, IamuI-

tiplicite , la contradiction, Ia fausse consistance des raisons que donne

Hamlet pour atermoyer, et conclu au caractere superstructural, ratio-

nalise, rationalisant, de ces motifs. Sans articuler a proprement parler

la difficulte sous-jacente comme inconsciente, ils l'avaient tout de

meme consideree comme plus profonde, en partie non maitrisee, pas

completement elucidee, inaperque du sujet.

La question se posait des lors de la nature de cette difficulte. Et

Dieu sait siles auteurs allemands, surtout en pleine periode d'hegelia-

nisme, n'ont pas manque de faire etat de toutes sortes de registres. Ils

font entrer dans les ressorts inconscients des motifs d'ordre eleve,

d'un haut caractere d'abstraction, impliquant la morale, l'Etat, Ie

savoir absolu. Et Jones a beau jeu d'ironiser sur tout cela. Le motif

sous-jacent qui contrarie l'action d'Hamlet n'est certainement pas

quelque chose du genre - Ai-je le droit de faire ca ? Il doit y avoir,

dit Jones, une raison beaucoup plus radicale, plus concrete.

Vous saisissez la prudence et I'habilete de la demarche deJones,

dont les articles ont joue le plus grand role pour accrediter aupres

d'un large public intellectuel la notion meme d'inconscient. C'est

d'ailleurs I'epoque ou commence a s'introduire en Amerique le point

de vue analytique. Jones publie cette annee-la un compte-rendu de la

theorie freudienne des reves, et Freud lui-merne donne son article sur

les Origines et; le deueloppement de la psychanalyse, directement

ecrit en anglais si mon souvenir est bon, puisqu'il s'agit des fameusesconferences de la Clark University.

Comment Jones precede-t-il pour montrer la signification cedi-

pienne du drame d'Hamlet ? IIva vraiment aussi loin qu'on peut aller

a cette epoque - il met en valeur la structure mythique deHamlet.

Sommes-nous si debarbouilles mentalement que de pouvoir sourire

de voir amener la Telesphore, Amphion, MOIse,Pharaon, Zoroastre,

Jesus, Herode ? Tout le monde vient dans le paquet, et le defile se

termine par deux auteurs qui ont ecrit vers 1900 unHamlet in Iran,

referant le mythe d'Hamlet a la legende iranienne de Sirrhus, dont

I_ , I

Ir: I

1

un autre auteur fait aussi grand etat dans une publication introu-

vable.

Tout cela permet a Jones de justifier la conclusion suivante -

Nous arriuons a ce paradoxe apparent que Iepoete et l'audience sont

tous deux profondement remues par des sentiments dus a un conflit

de la source duquel ils ne sont pas conscients. Ils ne sont pas eueilles,

il s ne savent pas de quoi il s 'agit.

Ce qui est instructif en fin de compte, c'est que le premier pas

analytique consiste a transformer une reference psychologique. Et

comment? Non pas en faisant reference a une psychologie plus pro-fonde, mais en impliquant un arrangement mythique, cerise avoir Ie

merne senspour tous les etres humains.

Certes, il faut bien quelque chose de plus, carHamlet ce n'est

tout de meme pas les Syrrhos Sage, les histoires de Assyrus avecCam-

bise, ni de Persee avec son pere Acrysios. C'est autre chose.

. ' i

- \

2

Ce qu'est Hamlet, vous n'en avez en fin de compte aucune

espece d'idee , parce que, je crois pouvoir le dire d'apres rna propre

experience, c'est injouable en francais, J e n'ai jamais vu un bon

Hamlet en francais - ni un acteur qui joue bien Hamlet, ni une ver-

sion qu'on puisse entendre.

Ce texte, c'est a tomber a la renverse, a mordre le tapis, a se

rouler par terre, c'est inimaginable. IIn'y a pas un vers, pas une repli-

que, qui ne soit en anglais d'une puissance de percussion, d'une vio-

lence, dont a tout instant on est stupefait. On croit que c'est ecrit

d'hier et qu'on ne pouvait pas ecrire ainsi il y a trois siecles,

En Angleterre, c'est-a-dire la ou la piece est jouee dans sa lan-

gue, une representation d'Hamlet est toujours un evenement. En tout

cas - parce qu'apres tout on ne peut pas mesurer la tension psycho-

logique du public si ce n'est au bureau de location -, je dirai que c'en

est un pour les acteurs. Jouer Hamlet est pour un acteur anglais le

couronnement de sa carriere, c'est a defaut la representation d'adieu

qu'il choisit de donner au moment de se retirer avec honneur, et ce,merne si son role consiste a jouer le premier fossoyeur.

II y a encore une chose curieuse, c'est qu'en fin de compte, lors-

que l'acteur anglais joue Hamlet, il le joue bien. Ils le jouent tous

bien.

Une chose encore plus etrange est que l'on parle de I'Hamlet de

tel ou tel. II y a autant d'Hamlet qu'il y a de grands acteurs. On evo-

que encore I'Hamlet de Garrick, I'Hamlet de Kean, etc.

Sans doute n'est-ce pas la rneme chose dejouer Hamlet et d'etre

interesse comme spectateur et comme critique, mais cela n'en converge

HAMLET HAMLET

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pas moins. La these que j'avance pour en repondre est qu'Hamlet fait

jouer le cadre meme auquel j'essaye de vous introduire ici, le cadre

dans lequel se situe Ie desir, C'est parce que cette place v est excep-tionnellement bien articulee que tout un chacun y vient s'y reconnai-

tre, et s'y trouve. La piece d'Hamlet est une espece d'appareil, de

reseau, de filet d'oiseleur, ou est articule le desir de l'homme, et pre-

cisement dans les coordonnees que Freud nous decouvre, a savoir

I'CEdipe et la castration.

Mais cela suppose qu'il ne s'agit pas simplernent d'une autre edi-

tion de I'eternel conflit du heros contre le pere, contre le tyran, con-tre le bon ou le mauvais pere. L'important ici, ce sont les caracteres

atypiques du conflit. La structure fondamentale de l'eternelle Saga

que l'on retrouve depuis l'origine des ages estmodifiee par Shakes-

peare de facon a faire apparai tre que le desir, l'homme n'en est pas

simplement possede, mais qu'il a a le trouver, a le trouver a ses

depens et a sa plus lourde peine. II ne le trouvera, a la limite, que

dans une action qui ne s'acheve qu'a etre mortelle.

Regardons de plus pres dans cette perspective le deroulement de

la piece. Au point de confusion ou en sont les commentaires, il faut

bien que nous en revenions au texte. Nous allons voir que sa compo-

sition ne va pas a droite et a gauche, qu'elle ne flotte pas.

3

Comme vous le savez, le premier acte s'ouvre sur une releve de

la garde sur la terrasse d'Elseneur. C'est une des entrees les plus rna-gistrales qu'il y ait dans Shakespeare.

La releve se fait a minuit. Chose frappante, c'est ceux qui vien-

nent qui demandent Quz"est lil 7,alors que ce devrait etre le contraire.

C'est qu'en effet tout se passe anormalement. Tous sontangoisses par

quelque chose qu'ils attendent. Cette chose ne se fait pas attendre

plus de quarante verso Une heure sonne lorsque le spectre apparait,

Et des qu'il apparait, nous entrons dans un mouvement fort rapide,

avec d'assez curieuses stagnations.

Tout de suite apres la scene ou apparaissent le roi et la reine, etou le roi dit qu'il est temps de quitter Ie deuil- nous pouvons pleu-

rer d'un ceil, mais rions de l'autre - Hamlet laisse paraitre ses senti-

ments de revolte devant la rapidite du remariage de sa mere, et qui

plus est, avec un personnage absolument inferieur a ce qu'etait son

pere.

Nous entendronsHamlet exalter son pere comme un etre dont il

dira que tous les dieux semblaient avoir sur lui marque leurs sceaux

pour montrer jusqu'ou laperfection d'un homme pouvait etre portee,

Des la premiere scene.Il adesmots analogues. II evoque les sentiments

I(

Ii

1

que lui inspire la conduite de sa mere, c'est le fameux dialogue avec

Horatio - Economie, economie !e riiti des funerailles n 'aura pas Ie

temps de refroidir pour servir au repas des noces,

Ensuite, tout de suite, introduction de deux personnages,Ophe-lie et Polonius, a propos d'une sorte de petite mercuriale que Laerte

- personnage tout a fait important, et a qui on a voulu reconnaitre

un certain role par rapport a Hamlet dans le deroulernent mythique

de l'histoire, a juste titre bien entendu - adresse a Ophelie, qui est lajeune fille dont Hamlet fut, ille dit Iui-rneme, amoureux, et qu'actuel-

lement, dans l'etat ou il est, il repousse avec beaucoup de sarcasmes.Polonius et Laerte se succedent aupres de cette malheureuse pour lui

adresser tous les sermons de la prudence, et l'inviter a se metier de

cet Hamlet.

Vient ensuite la quatrieme scene, la rencontre d'Hamlet, rejoint

par Horatio, avec le spectre de son pere. IIse montre passionne, cou-

rageux puisqu'il n'hesite pas a suivre l'apparition dans le coin ou elle

I'entraine, et a avoir avec elle un dialogue assez horrifiant.Je souligne que le caractere d'horreur est articule par le spectre

lui-rneme. II ne peut pas reveler a Hamlet l'horreur et l'abomination

du lieu ou il vit, et de ce qu'il souffre, car ses organes mortels ne

pourraient le supporter. Et illui donne une consigne, un commande-

ment - faire cesser, de quelque facon qu'il s'y prenne, le scandale de

la luxure de la reine, et en tout ceci contenir sespensees et ses mou-

vements, nepas se laisser aller a on ne sait quels exces a l'endroit de

samere.

Les auteurs ont fait grand etat de I'arriere-plan trouble des con-

signes donnees par le spectre a Hamlet, d'avoir a se garder de lui-

meme dans ses rapports avecsamere. Maisil ne me semble pas qu'on

ait articule que l'essentiel est d'emblee cette question, Que faire 7,

eu egard aux accusations formellement prononcees contre l'assassin.

Car c'est la que son pere revere a Hamlet qu'il a ete tue par Claudius.

Mais la consigne que donne le ghost n'est pas seulement une

consigne. D'ores et deja, elle met au premier plan, et comme tel, le

desir de la mere. Nous y reviendrons.

Le deuxieme acte met en place ce qu'on peut appeler l'organi-

sation de la surveillance autour d'Hamlet. Nous en avons un podrome

- c'est assez amusant, et montre le caractere de doublet du groupe

Polonius, Laerte, Ophelie , par rapport au groupe Hamlet, Claudius, la

reine, avec ces instructions que donne Polonius, premier ministre,

pour la surveillance de son fils, parti a Paris. II y a Ia un petit mo!-

ceau de bravoure du genre verites eternelles de lapolice, sur lequel Je

n'ai pas a insister.Puis interviennent - amvee deja preparee au premier acte -

Guildenstern et Rosencrantz, qui ne sont pas simplement les person-

HAMLET

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nages souffles qu'on pense. Ce sont d'anciens amis d'Hamlet. Et

Hamlet se mefie d'eux, les raille, les tourne en derision, les deroute,

et joue avec eux un jeu extremement subtil sous l'apparence de la

folie, - nous verrons aussi ce que veut dire cette folie, ou pseudo-

folie. II fait pourtant, a un moment, appel a leur vieille et ancienne

amitie, avec un ton et un accent de sincerite qui meriterait d'etre mis

en valeur si nous en avions le temps. Ille fait sans aucune confiance,

sans perdre un seul instant saposition de ruse, dejeu, et pourtant, un

moment, il envient a leur parler sur ce ton. Rosencrantz et Guildenstern

sont les vehicules du roi, viennent le sonder pour lui, et c'est bien ceque sent Hamlet, qui lesincite a Ie lui avouer. Etes-vous enuoyes pres

de moi ? Qu 'avez-vous a faire pres de moi ? Les autres sont suffisam-

ment ebranles pour que l'un d'eux demande a l'autre - QJ1,'est-ce

qu 'on lui dit ?Mais cela passe. Car tout toujours sepasse en sorte que

jamais ne soit franchi un certain mur, et que ne se detende pas une

situation qui apparait essentiellement, et d'un bout a l'autre, nouee,

Rosencrantz et Guildenstern introduisent alors les comediens

qu'ils ont rencontres en route, et qu'Hamlet connait, Hamlet s'est

toujours interesse au theatre, et illes accueille d'une facon remarqua-

ble. II faudrait lire les premiers echantillons qu'ils lui donnent de leur

talent en interpretant des morceaux d'une tragedie concernant la fin

de Troie. Nous avons une scene fort belle, ou nous voyons Pyrrhus

suspendre un poignard au-dessus du personnage de Priam, et rester

aIIlSl -

So, as a painted tyrant, Pyrrhus stood,

And like a neutral to his will and matter,

Did nothing.

C'est ainsi que, comme un tyran en peinture, Pyrrhus s'arreta,

et comme neutralise entre sa uolonte et ce qu'il y a a faire, ne fit rien.

C'est la que vient a notre Hamlet I'idee d'utiliser les comediens

dans ce qui va constituer Ie corps du troisieme acte, et que les anglais

appellent, d'un terme stereotype, laplay scene, Ietheatre sur le thea-

tre. Hamlet l'annonce en concluant son monologue, ecrit tout entier

en vers blancs, par Iecoup de cymbale de ces deux rimes-

The play's the thingWherein I'll catch the conscience of the king

Nous prenons dans cette longue tirade la mesure de la violence

des sentiments d'Hamlet, des accusations qu'il porte contre lui-merne=-

Am Ia coward?Who calls me vil lain? breaks my pate across?

Plucks off my beard, and blows it in my face?

Tweaks me by the nose ? giues me the lie in the throat

As deep as to the lungs ? who dos me this ?

Ha!

- Suis-je un ldche ? Qui m 'appelle a l'occasion vilain ? Qu 'est-ce

qui me demolit la caboche ? Qu 'est-ce qui m 'arrache la barbe, et

m' en jette des petits morceaux a la face ? Qu ' est-ce qui me tord le

nez ? Qu 'est-ce qui me renfonce dans la gorge jusqu 'au niveau des

poumons ? Qu 'est-ce qui me fait tout cela ?Cela nous donne le style general de cette piece, qui est a se

rouler par terre. Tout de suite apres, ilparle de son beau-perc -

Swounds, Ishould take it : for it cannot be

But I am pigeon-liuer 'd and lack gall

To make oppression bitter, or ere thisIshould have fat ted all the region kites

With this slave's offal.

Nous avions parle de ces kites a propos du Souvenir de Leonard

de Vinci. J e pense que c'est une sorte de milan. Il s'agit de son beau-

pere, fait pour etre offert en victime aux buses. La commence une

serie d'injures -

Bloody, bawdy villain!

Remorseless, treacherous, lecherous, kindless villain

- Sanglant , putassier oilain !ans remords ; tres bas et ignoble

oila in.Mais ces cris, ces injures, s'adressent tout autant a lui-meme

qu'a celui auquel les attribue Ie contexte. C'est Ie culmen du deu-

xieme acte.

Qu'est-ce qui motive sa fureur ? C'est qu'il a vu I'acteur pleurer

en decrivant Ie triste sort dHecube devant Iaquelle IePyrrhus prend

un malicieux plaisir a decouper en petits morceaux son Priam de

mari - mincing est, je pense, le merne mot qU'emincer en francais.

Qu'un acteur en vienne a cette extrernite d'emotion pour une

fiction qui ne Ieconcerne en rien declenche chez Hamlet Ie desespoir

de ne rien ressentir dequivalent dans sa situation, elle, pourtant bien

reelle. C'est aussi ce qui lui suggere Ie stratageme de Ia play scene.

Comme attrape par l'atmosphere, il s'apercoit tout d'un coup du

parti qu'il peut tirer du theatre.

Quelle est la raison qui le pousse ?Assurement, il y a Ia une mo-

tivation rationnelle - attraper la conscience du roi, c'est-a-dire, en

faisant jouer la piece avecquelques modifications introduites par lui,

le faire se trahir. Et en effet, les choses sepasseront ainsi. Le roi n'y

pourra plus tenir, On lui represente si exactement le crime qu'il a

commis, avec commentaires d'Hamlet, qu'il fait brusquement Lu-

miere !Lumiere !,et s'en va avec un grand bruit.

J e ne suis pas Iepremier a rn'etre demande, dans le registre ana-

Iytique qui est le notre, quelle est la fonction de Iaplay scene. Rank

l'a fait avant moi, dans un livre paru en 1919. Sans doute, cette scene

pose-t-elle un probleme qui va au-dela de son role fonctionnel dans

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HAMLET

l'articulation de la piece, et Rank releve a ce propos tous les traits

qui montrent que, dans la structure merne du fait de regarder une

piece, il y a quelque chose qui evoque les premieres observations par

l'enfant de la copulation parentale.

Cette position de Rank, je ne dis pas qu'elle soit sans valeur,

qu'elle soit meme fausse. Je crois qu'elle est incomplete, et qu'elle

doit etre articulee dans l'ensemble du mouvement par quoi Hamlet

essaye de produire cette dimension que j'ai appelee quelque part de

la verite deguisee. La play scene ne vaut pas seulement comme un

stratageme efficace. Ellepresentifie la structure de fiction de la verite.

Et c'est ce qui est necessaire a Hamlet pour qu'il se reoriente, II y a

quelque chose ici, et Rank a touche un point juste en ce qui concerne

sapropre orientation par rapport a lui-meme,

Le troisierne acte ne s'acheve pas sans que les suites de la play

scene n'apparaissent sous la forme suivante - Hamlet est convoque

de toute urgence aupres de la mere qui n'en peut plus, ce sont litte-

ralement les mots qu'elle emploie, Speak no more. Alors qu'il marche

vers l'appartement de celle-ci, Hamlet voit Claudius en train de venir,

sinon a resipiscence, du moins a repentir, et nous assistons a la scene

dite de la priere repentante. Cet homme qui se trouve pris dans les

rets memes des fruits de son crime, eleve vers Dieu je-ne-sais quelle

priere de lui donner la force de s'en depetrer.Hamlet a la vengeance a sa portee. Mais la il s'arrete - en Ie

tuant maintenant, ne va-t-il pas l'envoyer au ciel, alors que son pere a

- beaucoup insiste sur Iefait qu'il souffrait tous les tourments dans on-

ne-sait quel enfer ou quel purgatoire?

Tout Ie to be or not to be est lao II se preoccupe du to be eter-

nel de Claudius, et c'est pourquoi il ne tire pas son epee du fourreau.

Le problerne du to be est partout dans la piece. Ce qui est survenu au

pere l'a fige a tout jamais dans Ie moment ou il a ete saisi, la barre a

ete tiree au bas de comptes de sa vie, et il reste identique ala somme

de ses crimes. Et c'est Ia aussi ce devant quoi Hamlet est arrete. Le

suicide, ce n'est pas simple. Sans rever a I'au-dela, il reste que l'etre

defunt demeure identique a tout ce qu'il articulait par Iediscours de

sa vie. Le to be reste eternel, A quoi Hamlet est-il confronte ? -

sinon a son to be, a ce destin d'etre purement et simplement Ievehi-

cule du drame, celui a travers qui passent les passions, celui qui, a

l'instar d'Eteocle et Polynice, continue dans Iecrime ce que Iepere a

acheve dans la castration.

Revenons a Claudius. Hamlet explique tres clairement qu'il vou-

drait le surprendre dans l'exces de ses plaisirs, autrement dit dans son

rapport a celle qui est la reine. Le point-de, c'est le desir de la mere.

La scene d'Hamlet et sa mere, cette scene ou lui est montre a

elle-merne Ie miroir de ce qu'elle est, est une des choses les plus extra-

HAMLET

ordinaires qui soient. Ce fils incontestablement aime samere comme

samere l'aime - cela nous est dit -, au-dela de toute expression, et il

l'incite a rompre les liens de ce qu'il appelle ce monstre damne de

l'habitude ;- Cemonstre, l'accoutumance, qui devore toute conscien-

ce de nos actes, ce demon de l'habitude est ange encore en ceci, qu'il

joue aussi pour les bonnes actions. Commence a te deprendre. Ne

couche plus - tout cela nous est dit avec une erudite merveilleuse -

avec le Claudius, tu verras, ce sera de plus en plus facile.

IIy a deux repliques dans la piece qui me paraissent essentielles.

Je n'ai pas encore beaucoup parle de la pauvre Ophelie, A un mo-

ment, au cours de la play scene, Ophelie felicite Hamlet de tres bien

commenter la piece - You are as good as a chorus, my Lord. Et il

repond - I could interpret between you and your lover, If I could

see the puppets dallying.De meme , dans la scene avec la mere, quand Ie spectre appa-

rait, la, uniquement pour lui, ildit -

0,step between her and her fighting soul.

Conceit in weakest bodies strongest works.

Speak to her, Hamlet

Glisse-toi entre elle et son iime en train de combattre, dit le

spectre. Conceit est univoque. Conceit est employe tout le temps

dans cette piece, et justement a propos de ceci qui est l'ame. Le con-ceit est justement le concetti, la point du style, du style precieux -

Le conceit opere le plus puissamment dans les corps fatigues. Parle-

lui, Hamlet.Cet entre-deux, between her and her, voila l'endroit ou il est

toujours demande a Hamlet d'entrer, de jouer, d'intervenir. C'est

significatif pour nous, parce que c'est notre travail, cela. Conceit in

weakest bodies strongest works - c'est a l'analyste qu'est adresse cet

appel. ,. . '1 . d'Une fois de plus, Hamlet flechit et qurtte sa mere, U rsant=-

Apres tout, laisse-toi caresser, il va venir, il te donnera un baiser gras

sur la joue et te caressera la nuque. II abandonne samere, il la laisse

Iitteralernent glisser, retourner a l'abandon de son desir,Voila comment se termine ce troisieme acte, a ceci pres que

dans l'intervalle le Polonius a eu le malheur de faire un mouvement

derriere la tapisserie, et qu'Hamlet lui a passe son epee a travers le

corps.

On arrive au quatrierne acte, qui commence assez joliment.

Hamlet a cache le cadavre, il ne s'agit au debut que d'une chasse au

corps, qu'il a l'air de trouver tres amusante. IIerie - On joue II cache-

renard, et tout le monde court apres. Finalement illance - Ne vous

fat iguez pas, dans quinze jours vous commenceriez II le sentir, il est

II I sous l'escalier, n 'en parlons plus.

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HAMLET

II y a Ia une replique qui est importante et sur laquelle nous

reviendrons - The body is with the King, but the King is not with

the body. The King is a thing - Le corps est avec le roi, mats le roi

n ' est pas avec le corps. Le roi est une chose. Cela fait partie des

propos schizophreniques d'Hamlet, et n'est pas sans nous livrer, nous

le verrons par la suite, quelque chose a interpreter.II se passe beaucoup de choses au cours de cet acte, rapidement

- l'envoi d'Hamlet en Angleterre, et son retour avant qu'on ait eu Ie

temps de se retourner - on sait pourquoi, il a decouvert Ie pot aux

roses, qu'on l'envoyait a la mort - Ophelie dans l'intervalle est deve-

nue folIe, disons de la mort de son pere, et probablement d'autre

chose encore ..c.. Laerte s'est revolte, a combine un petit coup - Ie roi

a retenu sa revolte en lui disant qu'Hamiet est Ie coupable, qu'on ne

peut Ie dire a personne parce qu'il est trop populaire, mais qu'on

peut regler la chose en douce, par un petit duel truque ou il perira.

La derniere scene de l'acte est la scene du cimetiere. Vous avez

a peu pres tous dans les oreilles les propos stupefiants qui s'echan-

gent entre les personnages en train de creuser la tombe d'Ophelie,

faisant a chaque mot sauter un crane, dont un est recueilli par

Hamlet, qui selance dans un discours,

Puisque je parlais des acteurs, de mernoire d'habilleur de thea-

tre, on n'ajamais vu un Hamlet et un premier fossoyeur qui ri'etaientpas a couteaux tires. J amais Iepremier fossoyeur n'a pu supporter Ie

ton dont lui parle Hamlet - petit trait qui vaut la peine d'etre note

au passage, et qui nous montre jusqu'ou peut aller la puissance des

relations mises en valeur dans ce drame.

Apres cette longue et puissante preparation, arrive ce cinquieme

acte, ou tout a coup Ie quelque chose dont il s 'agit, ce quelque chose

depuise, d'inacheve , d'inachevable qu'il y a dans la position d'Ham-

let, son desir toujours retombant, trouve son issue. Pourquoi voyons-

nous Hamlet accepter Ie defi de Laerte ? Et ce, dans des conditions

d'autant plus curieuses qu'il se trouve etre Ie champion de Claudius.

Nous Ie voyons defaire Laerte a tous les rounds. II Ie touche quatre

ou cinq fois alors qu'on avait fait Ie pari qu'il Ie toucherait au pluscinq contre douze. Mais il finit par venir s'embrocher comme prevu

sur la pointe ernpoisonnee. Seulement, apres un moment de confu-

sion, cette pointe lui arrive dans la main et ilblesse Laerte a son tour- ils sont tous deux blesses a mort. Et le dernier coup est alors porte

a celui que, depuis Ie debut, il s'agit d'estoquer, Claudius.

J'ai evoque la derniere fois Ie tableau d'Ophelie flottant sur les

eaux. Pour terminer nos propos d'aujourd'hui, je voudrais proposer

un tableau a faire.Que quelqu'un fasse un tableau ou on voit Iecimetiere a l'hori-

HAMLET

zon, et devant Ie trou de la tombe, des gens s'en allant, comme les

gens se dispersent a la fin de la tragedie eedipienne, se couvrant les

yeux pour ne pas VOIrce qui sepasse.

Mais ce n'est pas (Edipe. C'est quelque chose qui, par rapport a

(Edipe , est a peu pres la liquefaction de M. Valdemar.

Hamlet, qui vient de debarquer d'urgence grace aux pirates qui

lui ont permis d'echapper a l'attentat, et qui ne sait pas ce qui etait

arrive pendant sa courte absence, tombe sur l'enterrement d'Ophelie.

On voit Laerte se dechirer la poitrine, et bondir dans Ie trou pour

etreindre une derniere fois Ie cadavre de sa sceur, en clamant de la

voix la plus haute son desespoir, Cette manifestation par rapport aune fille qu'il a fort maltraitee jusque la, Hamlet ne peut pas la tole-

rer, et il se precipite a la suite deLaerte apres avoir pousse un verita-

ble rugissement, un cri de guerre. II dit alors la chose la plus inatten-

due - Qui pousse ces cris de desespoir a propos de la mort de cette

jeune fille ? C'est moi, Hamlet le danois.

J amais on ne lui a entendu dire qu'il est danois, illes vomit les

danois, et Ie voila tout d'un coup revolutionne. Cela peut se lire sur

notre schema. C'est dans la mesure ou '$ est dans un certain rapport

avec a qu'il fait brusquement cette identification, par laquelle il re-

trouve pour lapremiere fois son desir dans son integralite.

On voit les deux amis disparaitre dans Ie trou, ils sont dedansase colleter, cela dure un certain temps, et a la fin on les tire pour les

separer. C'est ce que montrerait Ie tableau - ce trou d'ou des choses

s'echappent,

11Mars 1959