L’abus de position dominante

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1 L’abus de position dominante Etienne Pfister

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L’abus de position dominante. Etienne Pfister. Introduction. La concurrence conduit logiquement à l’élimination de certaines entreprises: un processus de sélection s’opère, qui doit mener à la disparition des entreprises les plus « faibles ». - PowerPoint PPT Presentation

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L’abus de position dominante

Etienne Pfister

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Introduction La concurrence conduit logiquement à l’élimination

de certaines entreprises: – un processus de sélection s’opère, qui doit mener à la

disparition des entreprises les plus « faibles ». Ce processus de sélection recèle néanmoins quelques

ambiguïtés: – qu’entend-on par entreprise « faible » ?

• C’est au marché de décider et à lui seul…

– Comment s’effectue le processus de sélection: • Est-il spontané ou résulte-t-il de la volonté des firmes

dominantes ?

« Abus de position dominante » – Volonté d’une entreprise en position dominante d’éliminer

(ou de dissuader) des firmes qui ne sont pas suffisamment faibles pour sortir naturellement du marché.

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Pays Texte impliqué Pratiques interdites

USA S2 du Sherman Act Condamne la tentative de monopolisation

UE Art. 82 du Traité de Rome

Liste non exhaustive de pratiques abusives

France Art. 8 de l’ordonnance de 86

Condamne l’abus de position dominante et l’exploitation d’un état de dépendance économique

Tous les Etats condamnent l’abus de position dominante, sous une forme ou une autre…

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Exemples de comportements abusifs L’art. 82 du Traité de Rome mentionne les

comportements suivants:– limiter la production, les débouchés ou le

développement technique au préjudice des consommateurs (barrières à l’entrée);

– appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à prestations équivalentes (forclusion);

– subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats (ventes liées);

– la fixation de prix abusivement bas (prix prédateurs).

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Une même logique…

En premier lieu, aucune législation ne condamne la position dominante en tant que telle, – mais la manière dont cette position a été acquise

ou comment cette position est protégée…

En second lieu, la pratique abusive ne suffit pas à entraîner la condamnation (sauf exception): – elle doit être exercée par une firme « dominante »– c’est en effet à cette condition qu’elle affectera la

concurrence de manière significative

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Des procédures similaires, qui débutent avec

la délimitation du marché pertinent…

La démonstration de la position dominante passe par la délimitation du marché pertinent.

Comme dans le cas des F&A, la partie accusée a tout intérêt à exagérer la dimension de son marché pertinent. – Elle diminue ainsi sa part de marché et le risque d’être

accusée de position dominante…

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Le marché pertinent défini, les autorités évaluent la position dominante… On retrouve là aussi des critères communs

au contrôle des F&A:Part de marché

Substitution de l’offre

Substitution de la demande

Maturité du marché

La part de marché constitue bien souvent un élément déterminant de l’évaluation:70 ou 80 % de part de marché suffit à désigner une position dominante.

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Structure du chapitre:

Nous allons étudier deux types d’abus de position de position dominante:

– les barrières à l’entrée: empêcher d’entrer

– les prix prédateurs: pousser à la sortie

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I. LA DISSUASION A L’ENTREE

La dissuasion consiste, pour une firme déjà dans le secteur, à empêcher ou retarder l’entrée de concurrents, afin de pérenniser sa position dominante.

Cela signifie notamment que la firme en place adopte un comportement qu’elle n’aurait pas adopté en l’absence de menace d’entrée.

Ainsi, la mise en place de barrières à l’entrée génère deux inefficacités:– l’entrée est empêchée,

– des investissements non-efficaces sont effectués.

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a. La dissuasion à l’entrée est-elle toujours

efficace ?

Oligopole

Peu coûteuse

Asymétrietemporelle

Crédibilité

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La crédibilité de la dissuasion est certainement l’élément qui a attiré le plus l’attention des économistes…

La crédibilité est en effet un concept central de la théorie des jeux...

Théorie du prix-limite (Sylos-Labini et Bain): – pour empêcher l’entrée, une entreprise peut baisser son

prix/produire plus…– de telle sorte qu’un entrant estime ne pas pouvoir faire de profit.

En réalité, cette stratégie simple n’est pas crédible en l’état (Dixit) ! – Lorsque la nouvelle firme entre, l’entreprise installée va choisir

de réduire sa production plutôt que de risquer une guerre commerciale.

– Consciente de cela, la nouvelle firme entre dans le secteur.

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Entrant

Firme installée

Le jeu d’entrée…

(0;10)

(-3;0) (4;4)

N’entre pas

Entre

Prix limite

Accomo-dation

Profit de l’entrant

Profit de l’incumbent

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Dixit et Selten se sont intéressés aux conditions de crédibilité de la stratégie du prix limite.

L’entreprise en place doit démontrer de manière crédible qu’elle est prête à une guerre commerciale. – Elle peut ainsi investir dans des capacités de production

supplémentaires: • si cet investissement est irréversible, l’entrant sait que la firme

installée sera très agressive en cas d’entrée • puisque c’est dans son intérêt d’exploiter ses capacités de production

supplémentaires.

Une autre éventualité est celle d’un jeu d’entrée répété, sur plusieurs marchés par exemple (Selten). – Le prix limite sera rentable si cette stratégie dissuade d’autres

entrants. – Mais l’argument n’est valable que si le jeu d’entrée est répété

un nombre infini de fois…• Ou si la probabilité qu’il soit répété une fois supplémentaire est

suffisamment élevée…

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Une autre stratégie possible est de maintenir une incertitude sur le niveau des coûts de production: – la firme installée peut ainsi tenter de faire croire à l’adversaire

que ses coûts sont très faibles…– … et que le prix-limite qu’elle pratique est en fait son « prix

normal ». Ainsi, une entreprise peut pratiquer un prix limite même

lorsqu’il n’y a aucune menace d’entrée. Cette stratégie présente toutefois des limites: – le coût de la barrière à l’entrée augmente,– la firme entrante sait que la firme en place souhaite l’induire

en erreur: elle ne sera donc pas toujours dupe, surtout s’il lui est possible de sortir sans coût élevé du marché !

Cette discussion nous amène évidemment à discuter des différentes modalités de dissuasion à l’entrée…

La stratégie du « bluff »

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b) Les modalités de la dissuasion à l’entrée

Prolifération de produits Préemption

technologique

Ventes liées

Forclusion

Accord de

licences

Paiements latéraux

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II. LES PRIX PREDATEURS Un comportement de prix prédateur consiste à fixer un

prix temporairement faible dans le but de forcer un concurrent à sortir du marché.

La prédation réside donc dans un sacrifice (des profits plus faibles ou des pertes) à court terme – dans le but d’obtenir des profits de monopole à long terme. – Le sacrifice sera d’autant plus important que la victime est

combative • coûts irrécupérables, coûts de production faibles...

Les victimes de la prédation sont donc des firmes « faibles ». – Mais ne sont-elles pas inévitablement conduites à quitter le

marché ? – La différence réside dans l’intention de les éliminer.

• Les tribunaux considèrent l’effet probable d’élimination…

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Exemple: la prédation sur le marché des disquaires En 1998, 6 affaires de prédation sont

jugées par le Conseil de la Concurrence• 4 concernent la vente de CD• Prédateurs: grands disquaires (FNAC, Virgin)

ou hypermarchés…• Victimes: petits disquaires (Maddison)

Evidemment, l’objectif n’est pas de dominer la totalité du marché…– Mais uniquement le marché pertinent

• Lequel est fortement délimité géographiquement– Centre commercial, arrondissement…

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a) Les prix prédateurs, un mythe ?

Des économistes libéraux, notamment de l’école de Chicago (McGee, Bork) , ont longtemps considéré la prédation comme un « mythe » (Koller, 1971): – la prédation serait une stratégie peu rationnelle et

rarement sinon jamais adoptée par les firmes.

Les firmes accusées de prédation seraient donc accusées à tort, – notamment sous la pression de concurrents plus faibles.

Mais les développements récents de l’économie industrielle tendent à indiquer que certaines conditions favorisent la prédation.

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Il est vrai que la prédation apparaît tout d’abord comme une stratégie peu viable…

Entrée de nouvelles

firmes

Stratégie coûteuse

Financement de la cible

Peu crédible

Surtout si firme sortante conserve ses capacités de production ou si elle les revend à bas prix à d’autres firmes…

Guerre d’usure entre le prédateur et le banquier ?

Accordavec des clients

F&A

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Pour certains économistes (Koller, McGee), la prédation ne serait qu’un argument « inventé » par des firmes peu performantes…

Ainsi, Koller passe en revue 123 affaires de prédation entre 1890 et 1970…– et estime qu’aucune d’elle n’est étayée par des

arguments « solides ». Les firmes peu performantes sont incitées à

porter plainte en raison du « triple dommage »: – non seulement les firmes efficaces sont conduites à

moins agressives sur le plan commercial, – mais elles doivent aussi verser des dommages-

intérêts aux victimes supposées !

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Enfin, la prédation constitue pour les économistes de Chicago une résultante naturelle du processus de concurrence… Hayek: la concurrence est un processus de

découverte: – quelles sont les meilleures entreprises, quel est le

meilleur produit…

– …ou encore quel est le coût de production ?...

Motivations de prix faible: – lancement de nouveaux produits sur lesquels les

consommateurs ont peu d’information…

– ou qui nécessitent une base installée pour être efficace.

– bénéficier d’économies d’expérience…

– s’adapter à la demande…

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b) Des conditions propices à la prédation…

Aujourd’hui, toutefois, la plupart des économistes prennent au sérieux les comportements de prédation (P. Bolton, J. Tirole).

Asymétrie financière

Barrière à l’entrée

Réputation

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L’asymétrie financière rend la prédation plus intéressante…

Fudenberg et Tirole: « deep pocket strategy ». – Une firme disposant d’importantes ressources financières

n’hésitera pas à attaquer un rival plus fragile: • les pertes de ce dernier rendront ses emprunts plus coûteux, si bien

qu’il peut préférer interrompre son activité…(guerre d’usure) L’asymétrie financière peut notamment provenir de la

présence sur plusieurs marchés: – le prédateur attaque un marché grâce aux ressources acquises

sur d’autres marchés… Exemples:

• Tetra Pak a ainsi profité de sa position dominante sur le marché du conditionnement aseptique pour attaquer des entreprises (comme Elopak) spécialisées sur le conditionnement non aseptique.

• Akzo profite de sa position forte sur les marchés européens pour attaquer le marché anglais…

• Pet Milk attaque Utah Pie… • Carrefour ou la FNAC pourraient profiter des bénéfices réalisés sur

d’autres activités (librairie, hi-fi…)

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c) Comment détecter la prédation ?

Détecter la prédation est difficile – des prix faibles peuvent avoir des motivations légitimes

(différentes de l’élimination d’un concurrent): • réduction de la demande ou des coûts de production, stratégies

marketing, économies d’expérience, surcapacités de court terme (lorsque de nouvelles firmes viennent d’entrer sur le secteur), etc.

La règle d’Areeda & Turner, définie dans les années 70, énonce qu’un prix prédateur correspond à un prix inférieur au coût marginal de court terme – à défaut, le coût variable moyen.

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La règle d’Areeda et Turner (1975)…

P,C

q

P1

P2

Profits positifs

Profit négatifs

Prix prédateurs

CMT

CVM

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… a été souvent critiquée… 1. Une entreprise peut recourir à des prix prédateurs sans même

faire de profits négatifs !– dès lors que le prédateur a des coûts de production inférieurs à ceux de

sa victime. 2. Comment connaître parfaitement la structure de coût et de

recettes du prédateur ? – Le prédateur pourra invoquer des coûts de production particulièrement

bas pour justifier son comportement. • Exemple de Wanadoo qui sous-estime volontairement ses coûts variables…

– Entretien du réseau, publicité,

• Les autorités refont les calculs et arrivent à des coûts 10 fois supérieurs…• Et difficultés au niveau des recettes:

– Ventes de services, recettes publicitaires, dépassement de forfaits…

3. Dans ce contexte, les autorités feraient mieux de se référer à des indices témoignant de la faisabilité de la prédation…

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…et une approche par le faisceau d’indices lui est parfois substituée.

Faisceau d’indicesBarrières à l’entrée

Baisses de prix

sélectives et temporaires

Position dominanteAsymétriefinancière

Matsushita/Zenith, Brooke/Brown & Williamson:

pas de prix prédateurs car pas de barrière à

l’entrée

Utah Pie

A-t-elle les moyenspour mettre en place une

stratégie prédatrice…?

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Affaire Carrefour/Maddison sur le marché des disquaires

17 CDs en promotion A l’exception des coûts d’achats, les coûts variables

sont quasiment nuls pour Carrefour…– Et les prix sont toujours supérieurs aux coûts d’achat…

En revanche, pour 8 des 17 titres, le prix ne couvre pas le coût moyen total – Personnel, infrastructure,…rapportés au chiffre

d’affaires du magasin et à celui du département disque…– Une stratégie bizarre pour Carrefour…

Y-a-t-il intention et surtout possibilité d’exclure un concurrent ? – Pas d’indice témoignant de l’intention– Pratique de prix prédateurs trop limitée, quantités

vendues trop faibles, écart de prix trop faible, impact trop faible…

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Affaire Wanadoo En pertes de vitesse sur le marché de l’ADSL,

Wanadoo lance 10 offres promotionnelles d’accès internet ADSL en décembre 2003– Prix<CVM pour deux d’entre elles– Prix<CTM pour six d’entre elles

Plusieurs éléments pourraient justifier une condamnation:– Image de marque et meilleur accès au réseau ADSL de

Wanadoo: pas besoin de faire un prix faible pour attirer les consommateurs,

– Capacité financière de France Télécom Mais absence de barrières à l’entrée, les

concurrents peuvent suivre les baisses de prix, pas de pertes de parts de marché des concurrents…– Donc pas d’exclusion des concurrents

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Des comportements difficiles à sanctionner

Les plaintes sont souvent déboutées car les conditions sont rarement réunies: – 1) prix inférieurs à une mesure de coût; – 2) prix susceptibles d’exclure les concurrents; – 3) le prédateur doit ensuite être capable de récupérer ses

pertes. Les institutions amenées à se prononcer peuvent

adopter des sanctions différentes:– Wanadoo, exonéré des accusations d’AOL par le Conseil

de la Concurrence…– …Mais condamné par la Commission européenne (10

millions d’euros)…

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CONCLUSION

Les obstacles à la condamnation des abus de position dominante

Une logique ambiguë

Des conditions d’efficacité restrictives

Des preuves difficiles à rassembler