La vie au bout des doigts · 2016. 6. 8. · mobilité semble trop réduite, les doigts peuvent...

56

Transcript of La vie au bout des doigts · 2016. 6. 8. · mobilité semble trop réduite, les doigts peuvent...

  • Lavieauboutdesdoigts

  • Tousdroitsdetraduction,d’adaptationetdereproduction

    réservéspourtouspays.

    ©2016,GroupeArtègeÉditionsDescléedeBrouwer10rueMercœur–75011Paris

    9,espaceMéditerrannée–66000Perpignan

    www.editionsddb.fr

    ISBN:978-2-220-07984-4ISBNepub:978-2-220-08278-3

    http://www.editionsddb.fr

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • Quand la médecine reste impuissante à soulager, à guérir,parfoisl’espoirdemeuredansungested’accompagnement,danscettecapacitéàredonneràcevisageensouffranceunsemblantd’apaisement, dans une parole, une attention, un soin, unaccompagnement. Quand la fatalité épuise tous les espoirs deguérison,laprésencedanssagénérositésuffitàapaiser.Lorsquela voix trop faible ne peut plus se faire entendre et lorsque lamobilité semble trop réduite, lesdoigtspeuvent encore aider àformulerdesmots…Sur lepapierdespatientspeuvent encoreexprimer leurs besoins, leurs inquiétudes, leurs volontés…Quand la main du soin ne peut plus rien, il reste encore unemain–prolongementdelapensée–quicouchesesmotssurlepapier pour dire ses maux. La main du thérapeute devient unrelais,elleassistelepatientdanssamobilitérestreinte,luitendlepapierouleclavieroùlesmotspeuventenfins’inscrirepourtisserunlien,danslaprécaritémêmedel’instantet lafragilitéd’unêtresouffrant.S’ilestdifficiledes’exprimer,lesmotssontbel et bien présents et ils manifestent les pensées, là où toutsemblaitinterrompu.

    L’organismesetrouveenétatdemaladielorsqu’ilneréussitpasàserendremaîtred’unepuissanceposéeen luietquecettepuissancesedurcit, constituant un systèmequi, de la sorte, s’isole, se fixe en sapropreactivitéetnepasseplusdanslafluideactivitédutout,faisantainsi du processus organique absolument parlant, un processusinterrompu6.

    Pour lesoignantcelaparaîtpluscomplexe…Quellessontalors les réponses possibles ? Quand la main du soin resteinefficace,quelledifficultédetrouverlesmotsquisoulagentouconsolent!Lavies’atrophieetilnerestequ’un«seuldoigtàchaquemain».N’est-cepas?

  • H.J.:Unseuldoigtàchaquemain…Hier je suis allé à la Maison Jeanne-Garnier à Paris,

    spécialiséedans les soinspalliatifs,pourvisiterYvon…en findevie, atteint d’une épouvantablemaladie, laSclérose latéraleamyotrophique(SLA).

    Je ne connaissais pas cet homme, âgé d’une cinquantained’années. Mais il m’avait joint six mois plus tôt par Internetpourmedemanderdesconseilsdanslebutdevoirrégressersamaladieet,plusencore,pourleguérir.

    Je ne possède pas le pouvoir de guérir une maladie quidéshumanise l’homme en le décharnant littéralement, en luienlevant jour après jour toutes ses capacités musculaires. Aumoinsmefallait-ilêtrelà.

    C’estfaceàcettemaladiequel’oncomprendàquoiserventnosmuscles,tousnosmuscles:lesdeuxdiaphragmes,lespetitsmusclesentrenoscôtespourrespirer,lesdix-septmusclesdelalangue – en particulier ceux qui permettent d’obstruer la voierespiratoire derrière la langue– quandnousmangeons et ceuxde la voie digestive quand nous respirons.Et nosmuscles desjambesquinousontfaitfairetantdekilomètres!Ceuxdenosbras, avant-bras et mains avec tout ce que nos doigts sontcapablesderéaliserquandnousécrivonsoujouonsdeteloutelinstrument de musique. Merveilleux mécanismes dont oncomprend encore mieux l’organisation absolument génialelorsqu’ilsnepeuventplusassumerleurfonctionnementréflexe!

    Depuis six mois, je communiquais plusieurs fois parsemaine avec Yvon, par mail essentiellement, pour tenter del’aideràréduirel’évolutiondramatiquedesamaladie.

    Àchaquemessage, ilmesuppliaitd’obtenir saguérison. Ilétaitmêmecertainqu’ilallaitguérir.Maisjesavaisqu’ilfallaitun vraimiracle et que les compléments alimentaires que je lui

  • conseillais de prendre pour stimuler les cellulessouches de samoelleosseuseavaientfortpeudechancesetmêmeaucune,dele sauver de l’évolution inéluctable – que je connaissais bienpour l’avoir connue chez d’autres patients aux atteintes quasiidentiques.

    Mon efficacité thérapeutique restait très limitée. J’avaisobtenuquedesgélulesstimulantsescellulessouchesluisoientenvoyées gratuitement, d’autant plus que les traitementsclassiquesétaienttotalementinefficaces.

    Face à cette situation dramatique, l’idéem’est venue de levisiterlorsd’undemespassagesàParispouravoiraumoinsuncontacthumaindeproximitéettenterdeluifaireplaisir.C’étaitle minimum que je pouvais faire pour lui, tant je me sentaismédicalementetscientifiquementimpuissant.

    Avant de le rencontrer, j’ai pu dialoguer avec le collèguemédecinresponsableduservicequinem’apascachélagravitéde la situation. Une assistance respiratoire presqu’en continujouretnuitétaitdevenunécessaire,etentraînantl’impossibilitédeboireautrechosequ’unegeléehydriqueàcausedesfaussesroutesquilaissaientpasserl’eauverslesbronchesetpouvaientprovoquerl’asphyxie.Leweek-enddernier,Yvonavaitd’ailleursfailliperdrelavieàcaused’unedecesfaussesroutes.

    Je suis donc rentré dans la chambre et j’ai trouvé Yvonallongédanssonlit,levisagerecouvertdumasqueàoxygène.Ilsommeillait,certainementaidéparlamorphineetautresdérivésqu’on lui avait donnés pour calmer ses douleurs nucales trèsimportantes, liéesà la fontemajeurede lamusculatureducou.Cettefonteneluipermettaitquetrèsdifficilementdesetenirenpositionassise,latêtemaintenuenormalement.

    Après l’avoir réveillé en l’appelant par son nom, il s’estrelevé dans un effort colossal et m’a fait signe qu’il allait semettre sur le fauteuil en face du lit. Il pleurait de joie.

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • n’est-il pas tout simplement l’incompétence, l’abandon, lelaxismeetlefatalisme?

    Rienn’estécrit,notrerôleestdeconstruirel’avenir,àmoinsquecelanesoitqu’uneillusion.Dieuseullesait!

    L. V. : Contrairement au chirurgien, le rapport entre leréanimateur et le patient est plus distancié… Et pour cause !Bien souvent, l’individu admis en service de réanimation estinconscientoudans l’incapacitéd’établirdes relationsaveccequil’environne.Etlorsquelapersonnevamieux,elleestdéjàencoursdetransfertdansunautreservicedel’hôpitalquiprendlerelais.

    Lamédecine–danssonfonctionnement–estautonomeet,d’un point de vue philosophique, il semble compliquéd’appréhender la « froideur » avec laquelle s’appliquent lesprotocoles.Pourtant,c’estdanscetteimpassequelaphilosophieproposed’analyser et demettre au jourunecohérence interne.Dès lors, le rôle de la philosophie consiste à examiner etinterrogerlesphénomènes,maisaussiàlesmettreendiscussion.C’esticiqueledialogueentrelechirurgien,leréanimateuretlaphilosophe trouve tout son sens puisqu’un point commun lesunit:toustroissontauservicedel’homme.Cettecommunautéd’intérêt porte nécessairement sa justification mais supposeégalementunebienveillantecritique.

    Eneffet,Canguilhemrefusaitquelaphilosophie«portesurl’activitémédicale aucun jugement normatif ». La philosophien’a en ce sens rien à commander à la médecine, ni unemétaphysique ni une éthique. En réalité, la philosophie abeaucoup à apprendre de la médecine, à condition d’êtreattentive au détail de son histoire, de l’évolution de sespratiques, de sa technicité et de son expression. Aussi elles’interroge…

  • Lors de l’affluence de patients, la question du choix sepose…Etilfautfairedutriparmilespersonnesadmisesdansleservice, lesclasserenfonction,certes,de lagravité,mais,plusproblématiqueencore,ilfautécarterceuxpourquilepronosticvitalestdéjàtropengagé.Enbref,nepasperdredutempsavecdespatientspourquiiln’yaplusrienàfairepours’attardersurceux qui peuvent encore être sauvés. Nous pourrions penserqu’ils’agitd’établiruneprobabilité:lepourcentagedechancede s’en sortir en supposant la gravité des séquelles. Ce quiinterpellelaphilosopheestquelaprobabilitésemblereleverdela fréquence, de la répétition à l’identique d’une certaineévolutiondessymptômesenvued’unefin,unedégradationquiconduiraitinéluctablementàlamort.

    Or,uneidéemetraversel’esprit:etsimalgrél’habitudeetla répétition de certaines évolutions, certains patients étaientamenésàfaireexception.Neserait-cepasplutôtunepesée,uneanalysedespossibilitésplutôtqu’uneapplicationsystématiquede raisonnements conditionnés – certes rivés à l’expérience –maisdontseulelarépétition,c’est-à-direlafréquenceviendraità poser la validité ? Comment la fréquence pourrait-elle êtregarante de la scientificité d’un événement ? En aucun casl’habitude ne constitue un argument scientifique, elle n’attesteque de connexion nécessaire entre deux événements fixée parl’imagination…

    Quanduneespèceparticulièred’événementsatoujours,danstouslescas,étéconjointeàuneautre,nousn’hésitonspasplus longtempsàprédire l’uneà l’apparitionde l’autreetàemployerceraisonnementqui peut seul nous apporter la certitude sur unequestionde fait oud’existence.Nousappelonsalorsl’undesobjetscauseetl’autreeffet.Nous supposons qu’il y a une connexion entre eux, et un pouvoirdansl’unquiluifaitinfailliblementproduirel’autreetlefaitagiraveclaplusgrandecertitudeetlapluspuissantenécessité8.

  • Ainsi lemédecin se doit plutôt de réaliser une pesée, uneanalyseafindeposersadécision.Celle-cinepeutsefondersurlarelativitéd’unsentimentdepériodicitécarauboutduchoixsetrouveunevie.

    Celaparaît cruelou injustemais,pour le réanimateur, celaposesurtoutlaquestiondudiagnosticetdelaresponsabilité.Etcomme le temps presse, tout doit aller vite : c’est pourquoi lebon médecin se doit aussi d’être un bon analyste et passeulement unmathématicien qui préjuge de probabilités, là oùlesenjeuxdiffèrentdelarépétitionrigoristed’uneformulequis’appliqueraitetlivreraitàchaquefoislebonrésultat.Carlaviedans ses sursauts imprévisibles peut aussi trouver en elle desressourcesinexplicablesmaisquimènentàlasurvie.

    Alors,comment,dansunesituationdemultiplesurgencesàtraiter simultanément, faire le choix de la priorité du soinaccordéàtelleoutellepersonne.Quisauverenpremier?

    J. di C. : Tout d’abord une précision : devant un affluxd’urgences multiples, la logistique habituelle permetgénéralement une prise en charge optimale de chacun desmalades. Il est vrai, cependant, qu’en cas de catastrophenaturelle,d’accidentferroviaireoudelaroute,oubienencoreencas d’épidémie ou d’intoxication collective, etc. le nombred’urgencesaffluebrutalementetsaturequelquepeulesystème.

    Onpeutalorsestimerqu’il existe trois sortesdemalades :lesmoinsgraves,ceuxquirisquentdes’aggraverrapidementetenfin ceux, d’emblée très graves, qui peuventmourir dans desdélais très brefs faute de soins. Le médecin responsable n’a,dans ce cas, d’autre choix, que de reconnaître, parmi ces troiscatégories demalades, ceuxqui devront bénéficier d’une priseen charge en urgence et ceux pour qui les soins pourront êtredifférés. Lourde responsabilité car, de sa décision dépendra le

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • «Alors,luidis-je,vousvoulezqu’onarrêtetout?(Jen’aimepas lemot euthanasie car il signifie tuer délibérément un êtrehumain.)

    –Ehoui,jen’enpeuxplus,jesuisprête,monfilsestlà,ilsaittout.

    – Je vous comprends très bien. Est-ce que vous souffrez,avez-vousdesdouleurs…

    –Non,jenesouffrepas,maisc’estlafin.– Oui, vous le savez, je ne vous ai jamais menti, c’est

    formidable que votre fils soit là. Oui, la fin approche et vousêtesprête.Maisvouslesavezbien,unmédecin,lemédecinquejesuis,lepersonneldesoinsn’estpasfaitpourdonnerlamort.Nous sommes là pour vous aider, calmer la douleur, vousapaiser,vousaideràdormir. Iln’estpasquestiondeprolongervotre vie en nous acharnant pour gagner quelques heures ouquelquesjours.»

    Jel’aiaidéeàboireàlapipetteenluitenantleverre.Avecelleetsonfils,nousavonsbavardé,nousavonseuune

    merveilleuseconversation,surlavie,surlamortquiesttoujoursdifficile à accepter. À aucun moment, elle ne m’a demandél’euthanasie.Jesuisrestéplusd’uneheureauprèsd’elle.Jeluiaiditque ledépartétaitproche. Jen’aiparlénidemortnidedécès.Nousnoussommesditsadieu,etellesavaitparfaitementce que cela voulait dire. Je l’ai embrassée sur le front, essuyéunedernièrefois.J’aisaluésonfilsetj’airejointmavoitureenpriantpourelleavecémotion. J’ai appelé sonmédecinpour letenir au courant et l’ai rassuré sur sa finnaturelle trèsproche,sansbrutalité.Elleestpartietroisjoursplustardpaisiblement.

    Onpourramedirequecestroisjoursdeviesupplémentairesonteuuncoûtpour lasociété,qu’elleasouffert trois joursdeplus,quejen’aipasétécompatissant…J’entendscesreproches,

  • je les accepte et les assume humblement. Je maintiens que lerôle du médecin n’est pas de donner la mort, d’arrêter la viebrutalement. Je sais pourtant que, dans certains pays,l’euthanasie est légalisée, en Belgique ou en Suisse, parexemple,oùl’onparledesuicideassisté.

    En Belgique en 2013, cinq patients par jour ont étéeuthanasiés.Ilmesemblequelesloisvotéesparlesdéputésnepeuventquefavorisercesdemandes.Récemment,unprisonnierpour viol a demandé l’euthanasie en affirmant qu’il était un« monstre » et que, de toute façon, à sa sortie de prison, ilrecommencerait. Cela traduit l’incapacité de notre société àaider une telle personne à comprendre la ou les causes de sesgestes criminels, et à entreprendre une démarche de guérisoncapable de réussir. Il s’agit là d’une position de désespoir quitraduitl’étatdépressiftrèssérieuxdenotresociétéoccidentale.

    Face à la fin de vie, chaque patient est différent et lemédecin,quellequesoitsaspécialité,doits’adapter. Ilnedoitpasfuirlemalade.

    À l’époque où j’étais chef de service à l’Institut Curie, àParis,quandunmaladeétaitenfindevie,lasolutionproposéedans tous lescasétait :«mutationà Jeanne-Garnier». Jen’aijamais aimé cette façon de se débarrasser des patients, mêmes’ilsétaientparfaitementaccompagnésdanscecentredefindevie.D’ailleurs,jen’aijamaisétéd’accordavecl’instaurationdecescentresdesoinspalliatifsoùlepersonnelestspécialisépourl’accompagnement final. Jepenseque toutmédecindoit savoiraccompagner la fin de vie et que, dans les hôpitaux ou lescliniques,doiventpouvoirsesuccédersanscalculleschambrespour la vie et les chambres pour la fin de vie. Pour autant, jecomprends et je crois nécessaire la nécessité de se former, et

  • même d’acquérir un diplôme, pour savoir donner les calmantsnécessaires,pourmieuxappréhenderlesdemandesdesmaladesen findevie.Et ilmesemblequ’il estbonde faire tourner lepersonneldeshôpitauxetdescliniquestouslestroisouquatreans pour éviter l’encroûtement, les habitudes ou les attitudesmalsaines.

    Envoiciunexemplevécusignificatif.Unpatientm’estadresséparuncollèguedeMonacopourun

    cancer avancé du péritoine, l’enveloppe qui entoure tout notresystème digestif. « Quinze jours plus tôt me dit-il, il dansaitavecsonépouseauCasinodeMonte-Carlo.»

    Avecmescollaborateurs,j’acceptelepatientencorejeuneeten forme malgré l’énorme quantité d’eau dans la cavitéabdominale, qui le fait beaucoup souffrir. Cela s’appelle uneascite. Il a déjà été ponctionné et soulagé de plusieurs litres,mais l’ascitese renouvelleaussivitequ’on la réduit. Jedécidedel’opérersanstarderaprèsl’assentimentducardiologueetdesanesthésistes. L’opération met en évidence une maladieextrêmementavancéeet,aprèsavoirconstatéque jenepouvaisrienfaireetseulementévacuélemaximumdeliquide,jerefermela cavité abdominale. Dès le réveil, c’est comme si je n’avaisrien fait, le liquide se reforme très vite, le malade souffrebeaucoupetnouscalmonslesdouleursàlademande.C’esttrèsdifficile,ilamal,malgrélesdosesénormesdemorphinequ’onluidonnepourlesoulager.Auboutdequarante-huitheures,jeredis à son épouse la gravité de la situation et la nécessité decalmer plus fortement son mari jusqu’à l’endormir, tout ensachantqu’ilvas’enfoncerainsidans lecomaetquitter lavie.C’étaitunsamediaprès-midi,l’équipemédicaleetparamédicaleétait réduite à sa plus simple expression. Son épouse medemandesij’acceptedevoirlerabbincarilestdereligionjuive.Évidemment j’accepte. J’explique la situation devant son

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • neutres,sanseffetréelsurlapathologie,maisquienaméliorentnéanmoins les symptômes par le biais d’une atténuation de lacomposantepsychiqueoucorticale.

    Malgrétout,exercersonmétierdemeurenonpasunechargepéniblemais,aucontraire,unplaisirpermanent.Malgrétouslesaléas que je viens de citer, je n’ai personnellement jamais eul’impression de « travailler » pendant ces quarante ansd’exercicedelamédecine,etjen’aijamaisattendul’heuredelaretraiteavecimpatience.Bienaucontraire,celle-cimeterrorisecarellerompracelientrèsfortquis’estnouéaveclesmaladesetleursfamillesetelleferaressurgirunsentimentd’inutilitéfortdésagréable.Enfait,etplusquetout,c’estlesentimentd’avoirune responsabilité à un niveau vital qui demeure lemoteur lepluspuissant.

    L.V.:Commevouslesoulignez,cequiestengagé,c’estlaresponsabilité.

    L’hommeétant condamné à être libre porte le poids dumonde toutentiersurlesépaules:ilestresponsabledumondeetdelui-mêmeentantquemanièred’être.Nousprenonslemotde«responsabilité»enson sens banal de « conscience (d’) être l’auteur incontestable d’unévénement ou d’un objet ». En ce sens la liberté du pour-soi estaccablante,puisqu’ilestceluiparquiilsefaitqu’ilyaitunmonde;et puisqu’il est aussi celui qui se fait être, quelle que soit donc lasituationavecsoncoefficientd’adversitépropre,fût-ilinsoutenable;ildoitl’assumeraveclaconscienceorgueilleused’enêtrel’auteur,carlespires inconvénientsou lespiresmenacesqui risquentd’atteindremapersonnen’ontdesensqueparmonprojet;etc’estsurlefonddel’engagement que je suis qu’ils paraissent. Il est donc insensé desongerseplaindrepuisqueriend’étrangern’adécidédecequenousressentons,decequenousvivonsoudecequenoussommes.Cetteresponsabilitéabsoluen’estpasacceptationd’ailleurs;elleestsimplerevendicationlogiquedesconséquencesdenotreliberté12.

  • Toutefois, la responsabilité peut être repensée, car elle nedésigne pas seulement le fait d’assumer ses décisions et laconséquencedesesactes,ellecorrespondégalementàlatotalitéduprojet.Déciderdedevenirmédecin,entreprendredesétudesdemédecine,c’estdéjàconstruirelatramedesaresponsabilité.C’est déjà choisir le monde dans lequel nous souhaitonsparaître, agir, nous distinguer, nous passionner… selon unecertaine modalité d’être qui recouvre l’ensemble du projet àpartirdel’instantoùilfutinitié,puisdanssaréalisationjusqu’àsa concrétisation et son accomplissement. La responsabilitérenforcealorslaliberté.

    Noussommesseuls,sansexcuses.C’estcequej’exprimeraiendisantque l’homme est condamné à être libre. Condamné, parce qu’il nes’estpascréélui-même,etparailleurscependantlibre,parcequ’unefois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu’il fait.L’existentialistenecroitpasàlapuissancedelapassion.Ilnepenserajamais qu’une belle passion est un torrent dévastateur qui conduitfatalement l’hommeà certains actes, et qui, par conséquent, est uneexcuse13.

    Ainsinulmédecinn’estbrancardiercarcen’estpasleprojetqu’ilapréféré,nilafonctionqu’ilaendossée.Lemédecinafaitleparidelamédecinesicen’estcommeartdeguérir,dumoinscommeartd’apaiseretdemettreenœuvretoutesascienceetsestechniquesauservicedesêtresensouffrance.

    Or,àlavisionmécanistedelafonctions’ajouteledésirdeprise en charge de l’autre. Si la maladie est généralementconsidéréecommeunealtérationdel’organisme,lamédecinesevoitparfoiscontraintederevoirsesambitions.Elledoitpenserl’accompagnement puis le mettre en œuvre auprès de patientsdont la maladie ne renvoie pas seulement à un processus dedégradation et à une définition objective de ce dont ils sont

  • atteints,ouàuneconnaissancerelativepuisquepartielledeleurmaladieetdesonprocessusd’évolution,maisbienplutôtàuneperception subjective de la maladie. Ce qui pose alors leproblèmedel’annonced’undiagnosticgrave.

    Comment annoncer à un patient qu’il est atteint d’uncancer ? Notamment lorsqu’il est déjà à un stade avancé…Doit-ondiretoutelavéritéàunpatient?

    H.J.:Annonceràunpatientqu’ilauncancern’estjamaisfacile.Celanesefaitjamaisautéléphone.C’estobligatoirementen tête à tête. Il faut être très prudent, connaître au mieux lapersonne,savoirsonmétier,avoirlesélémentsessentielsdesoncadreaffectif,familial…

    ÉtantcancérologueettravaillantdansunInstitutducancer,le cadre se prête évidemmentmieux à cette annonce. Ce n’estpasàl’infirmièreouàl’internedelivrercettemauvaisenouvellemais aumédecin référent, celui auquel le patient se confie. Ilfaut donc créer une relation de confiance, bien analyser lasituation et faire attention à tous lesmots que l’onutilise.Enface-à-face on observe facilement les réactions. Les patientsd’aujourd’huisaventbeaucoupplusdechosesqu’autrefois.Enconsultantuncancérologue,ilssedoutentqu’ilsontuncancer.Ils sont souvent envoyés avec ce diagnostic ou une fortesuspicion.S’ilsn’ontpasdecancer, ilpeutmêmeêtredifficilede le leur faire admettre. Ils peuvent croire qu’on les rassure,qu’onleurmentpourleurfaireplaisir.

    Prenonsdeuxexemplesconcrets.D’abord, je dois annoncer àune jeune femmequ’elle aun

    cancerduseindébutantetqu’ilfautenvisageruneinterventionchirurgicale.Si je le luidis franco«vousavezuncancer», jebloque sa pensée sur lemot et tout ce qu’il déclenche commenon-dits.Ellepeutresterdanslesilenceouaucontraireéclater

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • obligéavantlamiseenapplicationd’unprotocoledetraitement,ce lien étroit, souvent difficile à établir, est fréquemmentdistendu, voire rompu par des intermédiaires qui viennents’immiscer dans cette situation privilégiée. En effet, dans unmondeoùlacommunicationprogressesanscesseetdemanièreexponentielle,l’informationcirculelibrementetinstantanémentdanstouslesmilieux.Ilestdésormaistoutàfaitpossible,voirerecommandéparlavoxpopuli,des’informerdemanièreplusoumoins approfondie sur sa maladie et sur la pertinence destraitements proposés par les médecins. Ainsi est apparuprogressivement, chez le profane et en dehors même de touteculture médicale avérée par un diplôme ou des sourcesautorisées,unespritpseudo-critiquecréantparfoisunebarrièred’incompréhensionentrelemaladeetsonmédecin.

    Ilparaîtdèslorsnécessairedeconsidérerles«bienfaits»oules«méfaits»liésàInternet.Sichacunabienentendudroitàl’information, ilestdeplusenplusfréquentcependantdevoirenconsultationdespatients,porteursdepathologiesgraves,seprésenter avec des idées toutes faites. En effet, forts de leur«culture»médicalerécentemaissuperficielle,ilscontestentouremettent fortement en question le bien-fondé d’un traitement.Et que dire des échanges sur blog qui, en permettant laconfrontation d’expériences personnelles entre patients, sontsources d’automédications, de déviations thérapeutiques et,potentiellement,d’uneincidenceaccruedecomplications.Parmiles effets pervers d’une information débridée, il faut aussisignalerlanon-observancedestraitementsprescritsparpeurdeseffets secondaires potentiels desmédicaments. En réalité, leurfréquence et leur gravité sont le plus souvent surestimées etl’arrêtprématurédutraitementprovoquerait,enpartie,l’absencede guérison et des complications, génératrices de surcoûtsthérapeutiques non négligeables. Dans une statistique récente,

  • on relève que 42% des patients n’observent pas, jusqu’à leurterme,lesprescriptionsmédicales.

    C’estainsiqu’unesimpledifférencedepointdevue,ouunéventuel désaccord, entre lemédecin et son patient, peut biensouvent générer un nomadisme médical tout à fait irrationnel.Maiscelaseraitunmoindremalsicemalentendun’occasionnaitquelquefois des délais importants dans l’application dutraitement, avec les effets délétères que l’on imagine sur laguérison.

    Mais il est vrai cependant que la presse et les medias engénéralpeuventcontribueràdiffuser,pardescampagnesciblées,des informations propres à la prévention ou au dépistage decertainsfléauxcommelecanceretleSIDA,parexemple.C’estlecas,entreautres,descampagnesdepréventionducancerdupoumon comportant notamment des images très suggestives desujets agonisants, voire de squelettes, sur les paquets decigaretteset,dans lespaysanglo-saxons,desscènesvidéo trèsréalistesdedélabrementphysiqueparcachexieoupardétresserespiratoire.Vaincrelamaladieparlapeurnesuffitnéanmoinspas,etcertains«téméraires»affirmentmême,avecunecertaineironie, préférer unemort lente induite par le tabac à unemortbrutaleourapide.

    Il faut, à ce propos, souligner le poids des images. « Uneimage vautmillemots », disait déjàConfucius.Cependant leseffets d’une imagerie débridée peuvent être très différents enfonction du profil psychologique du patient et de sa propreinterprétation. La vision intégrale et quasi indécente de soncorps,vude l’extérieuretde l’intérieur,peutentraîner,chez lesujet particulièrement émotif, un sentiment troublant de« dépossession ». Si cette exploration « approfondie » peutrassurer un hypocondriaque, elle peut, à l’inverse, angoisser àl’extrêmeunpatientfragilechezquil’ondécouvre«cequel’on

  • necherchaitpas».Dans ces campagnes de vulgarisation, au cours desquelles

    on estime, à tort ou à raison, que pour tout un chacunl’information est un droit et qu’elle est un devoir pour lesmédias,unecollaborationétroiteentremédecinset journalistessemble s’imposer. En effet, si les journalistes cherchent, engénéral,le«scoop»àdesfinspublicitairesetcommerciales,lesorganismes de santé publique visent, pour leur part, un effetd’informationdemasseetdepréventionàl’échelled’unpays.Ilfaut également signaler, dans cet ordre d’idée, le rôle nonnégligeable joué par le cinéma et la télévision. En dehors despublicitéspourdesmédicaments,àviséecommercialeetfortpeuinstructives, le petit et le grand écran peuvent véhiculer desmessages forts, contenus dans des témoignages de patients oudansd’authentiquesreportagesàcontenuscientifique.Danscescasprécisetcommeildevraitenêtredanstouslesautrescas,lasourcedel’informationdemeurel’élémentessentiel.Seulesdespersonnalités notoirement reconnues pour leur compétencescientifique devraient être autorisées à transmettre desinformations à caractère strictement médical. Compte tenu del’enjeu et de l’impact possible sur la santé publique, l’à-peu-prèsnepeutêtre,enl’occurrence,toléré.

    Bien entendu, le grand public ne saurait se passer desgrandessériesmédicales,commeUrgences,DocteurHouseetc.danslesquelleslesmédecinssontportésaurangd’idoles.Ellesdonnent,malgré tout, unevision assez réaliste des états d’âmed’unurgentisteoud’un réanimateur lorsqu’il est submergéparles urgences ou lorsqu’il est en pleine action, ou encorelorsqu’il montre dans ses relations privées qu’il n’est qu’unhommeouunefemme…commelesautres!

    Finalement, lesmedias diffusent dans le grand public unelarge information, souvent contradictoire, toujours

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • d’accord.Mais confiantdans l’efficacitéde laBonneMèredeLourdes, je décidais de laisser partir le patient… Il quitta leservice sur un brancard pour rejoindre la gare deMontpellier,mais l’ambulancier arriva trop tard et le train partit sans lui.L’ambulancier tenta de rattraper le train qui heureusementn’avançaitpasàlavitessed’unTGV,maisil leloupaauxtroisgares successives. Il le rattrapa enfin à la quatrième, àCarcassonne. Le patient fut hissé avec précipitation dans lewagonspécial.Quelquesheuresplustard,prisdemalaise,ilfituneffortdevomissementsetrejetadusangnoir.ÀsonarrivéeàLourdes,jefusavertideladégradationdesonétat:satensionétaittrèsbasse.Jeluiconseillaialorsdepasserrapidementàlagrotte et de retourner immédiatement dans le service. Cinqheures plus tard, le patient arriva dans un état tellementcatastrophique que je fus obligé d’intervenir chirurgicalement.Maiscetteinterventionmepermitdedécouvrirunecomplicationinattendue, qui aurait explosé dans le service et lui aurait faitperdrelavieinstantanément.Enréglantceproblèmeinattendu,etdemanièresiparticulière,ileutlaviesauve.J’expliquaiparlasuiteauxinfirmièresduservicequeLourdesavaitpermiscetterévélationetqu’ilavait,au fond, reçuunegrâce,une formedemiracle…mais,vousvousendoutez,ellesnem’ontpascru,pasplusqueleprêtrelui-même.

    L.V.:Finalement,leproblèmesous-jacentestlerapportautemps. Les hommes ont oublié qu’ils sont mortels et que parconséquent leur durée est limitée. Et lorsqu’en parallèle il estquestion pour eux d’évoquer Dieu, ses miracles, l’accès à unmondedesespritsnefaitquerenforcerleurdésird’éternité:uneéternité où le temps n’aurait plus d’emprise sur l’homme. Ensorte, il s’impose d’en conclure que la maladie des hommessembleêtre,enréalité,lamaladiedelamort.Detouteévidence,

  • si le chirurgien a le temps d’entretenir une relation avec sonpatient,lasituationesttouteautrepourleréanimateurdontlespréoccupations diffèrent : l’urgence, la rapidité des prises dedécisionetlaresponsabilitédeleursconséquences.

    Commentgérerlapeur–celledupatient–sousl’effetdel’intensité de l’action par l’urgence ? Redoutez-vous l’erreur,participe-t-elle du stress que vous pouvez éprouver ainsi quevoséquipesmédicales?

    J. di C. : Je pourrais vous répondre que le médecinréanimateurchevronnéaappris,aucoursdutemps,etenraisondes nombreuses situations catastrophiques qu’il a été amené àgérer, àmaîtriser sa peur. Et si ce n’était le cas il devrait, ouauraitdû,changerdespécialité.

    L’orientation vers une spécialité n’est généralement pas lefait du hasard ; elle reflète, le plus souvent, la personnalitéproprede l’étudiantenmédecine.Eneffet, selonsoncaractèreou son profil psychologique, l’étudiant au cours de ses choixd’interne,s’orienteraounonversdesspécialitésàrisque.Maiss’il peut, en cours de route, varier l’orientation de ses stageshospitaliers, il persistera néanmoins toujours dans le mêmecréneau.

    En réalité, le problème se pose rarement en ces termes cartout médecin bénéficie d’une longue formation destinée à luiprocurer le savoir et les techniques nécessaires àl’accomplissementde la fonctionqu’il s’est lui-mêmeassignéeetàs’accoutumerà l’idéede lamort.Ainsi,arrivéau termedesoncursus, lemédecin, spécialisteounon,peut théoriquementmaîtrisertoutesituationpotentiellementgénératricede«stress»et réprimer sa répulsion naturelle pour la mort. Depuis lapremièreannéedemédecine,aucoursdespremièresdissectionsde cadavres, le jeune étudiant en médecine est, très tôt et

  • brutalement, confronté à la mort qui sera toujours présente,familièremaisnonbanalisée,aucoursdesstageshospitaliersetde l’exercice de son métier. La mort devient, par nécessité,l’ennemi à abattre sur qui une victoire doit être remportée, auprixdeluttesetderemisesenquestionspermanentes.

    Silestressest,eneffet,lelotdujeuneinternedegardeunsoird’urgence, ils’amenuiseleplussouventavecl’expérience.La finalité du long apprentissage, imposé par les études demédecineet lecursushospitalier,consiste justementàacquérirceréflexespontanémentadaptéàtoutessortesd’urgencesoudepathologies graves et qui exclut tout état d’âme. La mise enapplicationstricted’unetechniquemillefoisrépétéeetadaptéeà la situation, est la garantie du succès thérapeutique. Larécompense ! Le geste ou le suivi d’un protocole bien définisont-ilspourautantdéshumanisés?Certesnon.

    Le médecin réanimateur ou l’urgentiste n’en est pas pourautant une machine qui délivre, de manière anonyme etsystématique, le traitement adéquat au bon moment. Cecomportement qui, apparemment, privilégie le geste ou latechnique et qui exclut tout état affectif, est la garantie dusuccès,maisiln’estcependantpasdénuédecompassionenverslemalade.Ilfaut,eneffet,endehorsdel’intérêtquel’onporteàcemétier,manifesterbeaucoupd’abnégationetd’empathiepourl’espècehumaine.Quelleautreraisonyaurait-il,eneffet,pouraccepter les sacrifices qu’impliquent des études longues etdifficiles, des concours redoutables, des gardes de nuitincessantesetépuisantes, le toutaudétrimentdesapropreviefamilialeetdesesloisirs.Maisnedoit-onpasjustementpuiserduplaisirdans l’accomplissementd’une tâchequi tientàcœuret dont l’enjeu n’est rien d’autre que la vie ? À un âge oud’autres peuvent se consacrer à leur famille, à leurs loisirs, etexercer en toute quiétude leurmétier, lemédecin, lui, est sans

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • Danscecontexte,lessensationsfortessontgaranties;ellessontfaitesd’alternancedeprofondesdéceptionsetdetropbrefsinstants de pur bonheur et quelques fois de joie. En fait, lameilleuredesrécompensesesttoutsimplementd’avoiraccomplile « job » avec le maximum d’efficacité et d’avoir été à lahauteur de la situation. Il n’y a pas lieu, pour autant, ni des’extasierdevant l’exploitnides’auto-congratuler,car iln’yapasdemiracle,outoutaumoins,ilnedevraitpasyenavoir.Lehasardn’arienàvoiravec laréussiteou l’échec.Eneffet,unefoislepronosticétabli,lesortdumaladeestlaplupartdutempsscellé d’avance ; il devra guérir ou non, et il s’agira alors demettre en application le protocole adéquat. C’est dans les caslitigieux,oùleschancesdesurvieoudemortsontéquivalentes,qu’ilfaudrasebattreencoreplus,improviser,avoirduflairetàdéfaut de génie avoir de « la bouteille », c’est-à-dire del’expérienceetdusangfroid.

    Ilnefautévidemmentpasnégligerl’effet«feedback»delaguérison inespérée sur l’ego du médecin. Mais une fois ceproblème interne, ou purement personnel, résolu, il s’agitd’emmagasiner les enseignements acquis inconsciemment danssabanquededonnées,quelquepartaufonddesamémoire,pourlesrestituerencasdebesoin.Doit-on,pourautant,entrerdansune routine stérilisante uniquement basée sur des réflexesconditionnés ? C’est effectivement le risque encouru après denombreuses années de pratique avec ce que cela suppose depossibles erreurs de jugement. Il est, au contraire, absolumentnécessaire de constamment garder les sens en alerte et l’espritcritiqueintactpourfairefaceàtoutesituation,fût-elleimprévue.

    Alors,àlalumièredeceparcours,leplussouventchaotiquemais effectué à une vitesse telle que les méandres ou lesembûchesducheminpassent inaperçus,peut-on,oudoit-onse

  • remettreenquestion?Laréponseparaîtévidente!Commenteneffetnepasseposerdequestionsfondamen-taleslorsquelaviedesessemblablesestenjeu?Qu’ya-t-ildeplusimportantoud’essentiel,eneffet,qued’avoirenchargelaviedesautres?Enfait, la transformationet l’affermissementdupsychisme,oudumental, du médecin suivent une progression continue à lalumièredesonexpérience.Raressont,eneffet,lesmomentsoùilfautseremettreradicalementenquestionetdouteràlafoisdeson efficacité, de son engagement et de savocation.Celapeutêtrenéanmoinslecas,notammentaprèsuneerreurthérapeutiquesuivied’undécès imprévu,oubienencore lorsqu’onestimenepas avoir été, àplusieurs reprises, à lahauteurde la situation.Mais, si l’onpeutchangerouadapter soncomportement selonles circonstances, on ne peutmodifier fondamentalement ni sapersonnalité ni son caractère. On est un leader, un actif, unmeneur,undécideurouonnel’estpas.C’estpourquoi,certainsétudiantsenmédecineabandonnentleursétudes,ouchangentdespécialité, après avoir compris progressivement ou brutalementcommeunerévélation,qu’ilsn’avaientpaschoisilabonnevoie.Cechoixesthonnêteetengénéralapaisantpourl’esprit.Quantà remettre en question certaines méthodes ou techniques detraitementpourenaméliorerl’efficacité,ilvadesoiquec’estlelotd’unpetitnombreseulement.

    Pour autant qu’ils soient devenus, à force de volonté, des«machines»efficacesetdépourvuesd’émotion, lorsque laviedu malade l’exige, les médecins n’en sont pas moins deshommes,oudesfemmes,avectoutcequecelacomporte.Maisilnefautsurtoutpasfairederévélationàcesujetcarcelapourraitnuire, à terme, à l’intérêt même dumalade. Les problèmes deconscience doivent rester personnels et en aucun castransparaître. Il s’agit d’un dialogue avec soi-même et qui nedoit pas dépasser cette limite. Tout au moins pour ceux qui

  • l’ont.H.J. : Jeme souviens d’un jeune collègue chirurgien très

    scrupuleux que j’avais eu comme élève. Il fit une dépressionsévère car il ne parvenait pas à se décider face à des choix« chirurgicaux », ce qui pouvait mettre la vie de malades endanger.Ayant longuementdiscutéavec lui, je luiconseillaisdechanger de voie et de quitter le bistouri… Pour lui, la vie auboutdesdoigtsétaitdevenueuncalvaire.

    La psychologie du patient atteint de cancerm’a permis decomprendre l’importancede lavéritébienexpriméeen laissanttoujoursalluméelalampedel’espoir,mêmesiellen’éclairepasplusqu’unebougie.Soignerdesmaladesatteintsdecancerc’estaussiprendreenconsidération tous lesorganes,nepas réduirele patient à sa tumeur, à son organe malade. Cela oblige às’informersanscessesurlesévolutionsdelamédecinedetouslestissusouorganes.Saucissonnerlepatient,c’estoublierqu’ilest un tout, que le psychisme est très important, qu’il estévolutif,qu’ilpasseévidemmentpardeshautsetdesbas,qu’iln’est pas forcément besoin de consultation psychiatrique oupsychologique.

    Il faut être attentif, aux comportements : la façon des’asseoir, les mots utilisés, les yeux embués de larmes ou lesriresexcessifs,lesmainscroisées,lespoingsfermés,lesjambessansrepos…Onnepeutpartirduprincipequ’uneconsultationdureraquinzeoutrenteminutes…Ilfautêtreprêtàrépondreàtoutes les questions et toujours retenir le positif-favorable quidonnera la force de supporter, peut-être, des traitementssupplémentaires.Les confidences du patient sont à prendre enconsidération.S’ilsesentenconfiance,ilpeutenprofiterpourseconfier.

    Envoiciunexemplesignificatif:J’examineMmeVéronique…pour un problèmemammaire

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • chute, de la crise, de l’accident qui vient perturber ce quiparaissaitétablietquirappellequetoute l’existenceconsisteàapprendreàvieilliretàmourir.Àfairel’épreuveensoidusoucidelaconservation,alorsquelavies’enfuit…Pourlemédecinlesouci de soi prend le caractère du souci de l’autre dans uneintensificationdurapportàlavieetauvouloirvivre.

    –Ladouleurmontrel’incarnationdanslachairdecequeletragiquedelaconditionhumainevientluiimposer.L’épreuvedela précarité, le pathétique et l’impossibilité d’échapper à cetteconscience du sursis qui ouvre douloureusement cet espace devérité,qu’aucuneillusionnepeuthanterouconsoler.L’hommele sait et le médecin d’autant plus, mais son dépassement luipermetdeplacersamédecineauservicedeshommespourqu’ilspuissentcheminerverslavieillesse.

    Lorsqu’onobservelaviedanssonétrangecreusetdesouffranceetdeplaisir, impossible de protéger son visage derrière un masque deverre,oud’empêcherquedesexhalaisonssulfureusesneperturbentle cerveau et que des idées monstrueuses ou des rêves informesn’excitent l’imagination. Il existe des poisons si subtils qu’on estobligé,pourenconnaîtrelespropriétés,deselaissercontaminerpareux. Il existe desmaladies si étranes qu’il faut les attraper pour encomprendre la nature. Et cependant, quelle récompense prodigieusen’en tire-t-on pas ! Comme le monde entier vous devientmerveilleux34!

    Être vivant consiste à faire l’épreuve de la suggestionpermanente et inquiétante de la fin. Celle-ci demeureomniprésente, quoique tacite, elle désigne l’horizon de nosactivités. Si le médecin est efficace, il fera de chacun d’entrenousdespetits«vieuxprêtsàmourir»!Àmoinsquelascienceviennechangerlecoursdeschoses…Quelseraalorsledevenirdes hommes ? En quoi les mains créeront-elles un hommenouveau?

  • 30.Ellesconsistentàéviterlesgrandesouverturesetcicatrices.On travaille à l’intérieur de l’adomen (ceolio-) ou du thorax(thoraco-) avec des sortes de longues vues équipéesd’instrumentsdedissection.31. H. JOYEUX, Spiritualité et cancer – l’espoir, F.-X. deGuibert,2004.32.Cf.l’excellentlivredeChristianDelahaye:LaLaïcitéàl’hôpital(ParolesetSilence,2014).33.PourreprendreladistinctiondeCyntiaFleury.34. O. WILDE, Le portrait de Dorian Gray (1891), trad. J.Gattégno,Gallimard,p.134-135.

  • TROISIÈMEPARTIE

    Ledésird’éternité

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • d’efficacitépourmoinsde«toxicité».En ce qui concerne le don d’organes, autre aspect du

    traitement de certaines maladies par le remplacement d’unorganeàpartird’undonneurvivantouencomadépassé,c’est-à-direenétatdemortcérébrale,desprogrèsconsidérablessontenvoiederéalisation,notammentdans ledomainede la toléranceetde la compatibilité.Toutefois, leprélèvementd’organeet satransplantation,ougreffe,àdesreceveursestégalementsoumisàdesréglementationsstrictesémanantdelaloidu6août2004.Tout organe peut être systématiquement prélevé sur unmaladedécédé en l’absence d’un refus formel de don signifiéantérieurementsurunregistrenationalouparécritauprèsdelafamille.Unorganepeutégalementêtreprélevésurunepersonnevivanteadulte,àconditionqu’ellesoitvolontairepourledonetqu’ellesoitdelafamilleprocheouéloignéedureceveuroubienqu’elle justifie d’au moins deux ans de vie commune avec lereceveur.

    Denombreuxorganespeuventêtreactuellementtransplantésetnotamment : lecœur, lespoumons, le foie, les reins…ainsique certains tissus comme la peau, la cornée, les valvulescardiaques, les os, lamoelle osseuse…La loi de juillet 1994,quigarantit«lerespectdel’êtrehumaindèslecommencementde lavie»,protège,enprincipe,de toutprélèvementaléatoire.Cequin’empêchepourtantpas lecommerce illégaldecertainsorganesdansdescontréesoùlesprélèvementssurlevivantsontmonnayésetfontl’objetd’unvéritabletrafic.

    Toutefois, les avancées en termes d’« expérimentationmédicale » ne s’arrêtent pas là. Les progrès considérables,réalisés ces dernières décennies, dans le domaine scientifiquecontribuent à étendre largement le champ d’investigation desessais cliniques dans différents domaines qui laissent augurerd’unfuturpourlemoinsétonnant.

  • Laloidebioéthique,votéele16juillet2013,autorise,maisréglemente, l’utilisation des cellules souches obtenues à partirdu fœtus ainsi que les études sur l’embryon humain. Lesembryons concernés par cette recherche sont les « embryonssurnuméraires conçus par fécondation in vitro ne faisant plusl’objet d’un projet parental, après une information et unconsentement du couple ». L’utilisation des cellules souchesouvre, cependant,unchampd’investigation immense.Eneffet,les cellules souches embryonnaires ou obtenues aprèsreprogrammationgénétiquedecellulesmaturesprésentent,sousleurformepluripotenteoutotipotente,laparticularitédegénérertout type cellulaire, donc un organe entier. Les applicationscliniquessontd’oresetdéjàmultiples.Lesgreffesautologuesdecellules-souches, àpartirde lamoelleosseuse, sontpratiquéesdepuis des décennies dans le traitement desmaladies du sangcomme les leucémies et les anémies réfractaires. Le clonaged’animauxàpartirdecellulessouchesestégalementuneréalitédepuisdenombreusesannées ; ilne restequ’unpasà franchirpourclonerunêtrehumain.Maisilexistedéjàdesapplicationspratiques en thérapie cellulaire. Les cellules souchespermettraient la « réparation » de certains organes lésés ou la«reconstruction»invitro,surdesmatricesprogramméesen3D,decertainsorganesquipourraientêtre,parlasuite,transplantésàlaplacedel’organedéfaillantsansproblèmedecompatibilité.

    Les progrès récents réalisés dans le domaine desnanotechnologiesetdesnanomatériaux(supportsde10-9mètre,soit 1 milliardième de mètre) ont permis l’émergence d’unenouvellediscipline : lanano-biologieet lanano-médecine.Lescellules souches, ou certains médicaments, pourront ainsi êtreinjectésinsituàdesfinsderéparationoudetraitementfocalisé.Des études cliniques sont actuellement en cours pour juger de

  • l’efficacité de ces nouvelles méthodes de traitement. Lecouplage de molécules à visée thérapeutique à des anticorpsmono clonaux permet, déjà, de traiter efficacement certainespathologiesaveclemaximumd’efficacitéetleminimumd’effetssecondaires.

    Maislarecherchecliniquenes’arrêtepaslàavecl’étude,deplus en plus poussée, de l’interface cerveau-ordinateur. Latraductiondel’influxnerveuxenlangagenumériquepermet,eneffet, d’animer un membre artificiel en matériel composite, àpartir de la commande cérébrale physiologique. Ainsi, desamputés ou des paraplégiques peuvent, ou pourront dans unfutur proche, se servir utilement de membres artificiels et semouvoir normalement. À quand l’homme bionique avec unexosquelette en titane et un cerveau « boosté » par une puceélectronique ? Pour quand leXman, entièrement revisité, auxperformancessurhumaines?Pourquandlecloneàquionauraittransférélamémoirenumériséedel’original?Nousnesommespasloindes«machines»intelligentesdeTerminatorqui,aprèsavoir pris le pouvoir, tentent d’éliminer l’espèce humaine. LebonDocteurFrankensteindoitenriredeplaisir!Etcen’estpasfini puisqu’en 2015 des chercheurs américains viennent decultiver in vitro, à partir de cellulessouches, un mini-cerveauhumain, de la taille d’une gomme de crayon, qui fonctionneparfaitement. L’intelligence artificielle serait-elle déjàdépassée?Maiscen’estqu’undébut!

    Ce n’est pas tout puisqu’il est désormais possible demodifier un génome à loisir et, en inhibant l’expression decertainsgènes,d’éviterthéoriquementl’apparitiond’unnombreimportant, sinon de toutes, les maladies, etc. On peutraisonnablement rêver d’un individu dont le génome aurait étéentièrement programmé ou reprogrammé par ordinateur et quinaîtrait indemne de toute pathologie potentielle. Ceci est

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • sur lemarché ; ils préfigurent probablement l’alimentation dufutur.

    H. J. : À mon tour de donner mon avis à propos desexpérimentations et du respect de la vie. Je suis moinsenthousiastequemonamiJacques.

    D’abord, qu’est-ce que respecter la vie ?Cela impliquedesavoirquandelledébute,quandellefinitetquelestsonprix.Lavie n’a pas de prix, a-t-on coutume de dire. Cette évaluationn’est pas seulement liée à telle ou telle pensée religieusepuisque l’idéologiemarxiste,profondémentathée, lapartageaitaussi.Cependant, lesopposantsàcette idéologien’avaientpasdroit à la vie. Pour les nazis eux, certaines vies n’avaient toutsimplementpasledroitd’être.

    Cela me rappelle un grand ami et collègue chirurgien deVarsoviequidifférenciait lescomportementsdessovietiquesetdes nazis pendant la guerre. Avec les premiers, on ne savaitjamaissionn’allaitpasdemainouaprès-demainêtreenvoyéaugoulag ou tout simplement disparaître sans laisser d’adresse.C’étaitlerégimedelaterreur,lamortaucarrefourdetouteviequin’étaitpasenadéquationaveclerégime.Aveclesnazis,medisait-il, on savait qu’on était l’ennemi, parce que juif,handicapé, homosexuel… Les nazis fichaient les gens, lesphotographiaient dans les camps de concentration, tandis quelessovietiquesnelaissaientpasdetraces,pasdefichier.

    Les tribunaux internationaux ont fait faire un pas àl’humanité en définissant « les crimes contre l’humanité », lesgénocides, en supprimant la peine de mort dans un grandnombre de pays. Pourtant, mon collègue réanimateur l’asouligné, cela n’a pas empêché les juges de considérer commeun acte médical, remboursé par l’État, c’est-à-dire par lacollectivité,lasuppressiond’unêtrehumainenpleinevie,sans

  • autredéfenseque saprotectionmaternelle, dans l’utérusde samère.

    Sil’onveutbienréfléchirsanstabousurcesujet,mêmesilaloi l’autorise, considérant qu’il s’agit d’une libertéfondamentale, un droit de l’homme, il faut être clair,l’interruptionvolontairedegrossesseestl’interruptiond’uneviehumaine innocente, d’un enfant en germe qui aurait pu êtreadoptéparunefamilleatteintepardesproblèmesdestérilitéetayant lefortdésird’adoption.Jerappellequ’enFrance30000familles père-mère ont l’agrément officiel pour adopter unenfant, alors que chaque jour, dans les 100 départements denotre pays, 7 enfants normaux ont leur vie arrêtée par unmédicament ou un geste chirurgical. Aujourd’hui, la vie n’estpasrespectéeàsesdébuts.

    L’Étataouvertunebrèchedanslerespectdelaviepuisque,chaque année en France depuis 1975, 220 000 enfants ont euunevieinterrompue,soitautotal8,8millions.Queléconomistepourranousdirecequereprésententàl’enverscespresquedeuxgénérations si elles avaient eu droit à la vie ? Quel bilan entirer?

    Qui est chargé de faire respecter la vie ? Les hommespolitiques,par les loisquiorganisent la sociétébien sûr.Pourautant,doivent-ilsdicterl’éthiqued’unesociété,siproched’unmot honni aujourd’hui : « la morale ». Cet aspect de la viehumaine n’est-il au bout des doigts des philosophes, despenseurs de l’existence, de ce qui est ? Si les trois premiersjours de la vie – à partir de la conception – ne sont pasrespectés, il est logique que ce non-respect se répercute sur lafin de vie. Nous n’avons aucune leçon à donner à qui que cesoit.Simplement,prenonsletempsdevoiroùnousensommes,d’où nous venons et où nous allons.Aujourd’hui, ce sont desjuges et deshommespolitiquesqui décidentde la vie et de la

  • mort. N’ayant plus la possibilité de condamner à mort, ilss’occupent désormais de la fin de vie, sous la pression d’uneopinionpubliquemanipulée.

    On a ainsi recours à la sédation profonde, c’est-à-dire quel’ondonne lamort àunepersonnequi le réclame, elleouuneassociation de bien-portants qui considèrent que lesmédecinss’acharnent pour maintenir la vie dans des souffrancesinacceptables. La justice est alors saisie pour demander l’arrêtdestraitementspouraccélérerlafindevie.Lesmédecinsn’ontplus rienàdire, la justiceet leshommespolitiquesdécident àleurplace.

    Restent les expérimentations sur ou avec l’humain. Ellesexistentetcoûtentévidemmentmoinscherquecellesfaitessurdes animaux proches de l’humain, les babouins.L’hospitalisation, avec tout ce que cela comporte en coûtsjournaliers,estpriseenchargeparl’Assurancemaladie,c’est-à-direparlacollectivité.Lesloisquiontétéconstruitesetvotéesont été orientées avec l’objectif précis et affirmé de « faireavancerlascience».Cequin’apasétédit,c’estqu’onseservaitdesmaladeseux-mêmesenexpérimentantsureuxlesnouveauxmédicaments, d’abord aux bénéfices de laboratoirespharmaceutiques qui se font payer par l’Assurance maladie etsont cotés en bourse. Tout cela se fait de la manière la pluslégale, le patient signant un document pour luiincompréhensible;laseulechosequ’ilretient,c’estquecelanepeutque lui fairedubien,mêmesidans la randomisation,soncas ne recevra qu’un placebo. Cette évolution de la médecineest-elle conforme à l’éthique qui devrait être universelle,puisquetousleshumainsseressemblent,etqu’iln’yenapasunseulquivailleplusquelesautres,quellequesoitsafonction?

    Un comité national d’éthique a été créé justement pourréfléchir sur ces sujets. Son président est nommé par le

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • hommeoufemme,dignedecenom,devraitsefixeràtraverssesactesde laviequotidienne?Est-ceque l’éthique,quiparaît àgéométrie variable selon les époques, ne consisterait pas toutsimplement à agir selon son cœur sans se poser de problèmesmétaphysique qui, de toute façon, ne trouveraient pas desolutions dans des réponses simples. Qu’importe d’ailleurs leniveaud’actionàl’échelondel’humanité.Cequicompten’est-ce pas l’intention et le résultat final ? L’attitude la plusrépréhensible, et à terme la plus néfaste, ne serait-elle pas denier l’impact de chaque geste et de l’attention portée à« l’autre» ? Ilme revient enmémoireunehistoirequi illustrebien ce propos ; celle du petit colibri qui tente à lui seuld’éteindreunimmenseincendiedanslaforêttropicalesouslesquolibets des seigneurs de la jungle qui, eux, demeurentimpassibles.Cesgrandsfauvesfontjudicieusementremarqueràce minuscule oiseau que la goutte d’eau qu’il déverse,inlassablement, sur le brasier à chacun de ses voyages est unetentativedérisoireeuégardà l’étenduede la catastrophe.Ceàquoi le colibri rétorque, imperturbable, qu’il agissait tandisqu’eux se contentaient de n’être que spectateurs, et qu’ilsauraientdanslefuturàsubirlesconséquencesdeleurpassivitésans se plaindre. Ainsi en est-il de l’humanité et de sescomposants humains, qui représentent chacun un maillonindispensable de cette grande chaîne qui devrait ne jamais serompre.

    Il n’y a pas, à l’échelon de la planète, que des grandspenseurs, des hommes providentiels ou des sauveurs del’humanité. Pour s’en persuader, il faut revoir ce film déjàancien intitulé :La vie est belle. C’est l’histoire d’un hommemédiocrequiréussitpéniblementànourrirsafamillenombreusegrâceàunpetitmétieretqui,lasdetrimersansassurerunevieconfortableàceuxquiluisontchers,estprêtàsesuiciderense

  • jetantduhautd’unpontdanslefleuveencontrebas.Alorsqu’ilest prêt à s’élancer, avec son énormepierre attachée autourducou,sonangegardienapparaîtetleretientinextremis.Étonné,l’hommeleregardeetluidemandepourquoiill’interromptdanscetactedésespéréquiluiparaîtlaseuleissuepossibleàsavieratée. L’ange entreprend alors, en faisant dérouler à contre-courant le filmde sa vie, de lui démontrer que celle-ci n’avaitpasétésiinutilequ’illepensait;illuiprouveainsiqueparsaseule présence et par des actes quotidiens, à ses yeuxinsignifiants,ilavaitenfaitinconsciemmentcontribuéàchangerradicalement lecoursdesévénementsetde lavied’unnombreimpressionnant de personnes. Il avait, en d’autres termes,répandusanss’endouterlebonheurautourdelui.L’hommeôtealorslapierredesoncouetrentreenhâtechezluiembrassersafemmeetsesenfants.Uneautreviedémarrait.Ainsi,avons-noustousnotreangegardien,ounotreconscience,quinous imposederegarderl’autreplutôtquesoietdesemettreenseslieuxetplacepourmieuxleservir.

    Personnellement, puisque vous me demandez dans quellemesure j’ai pu contribuer à faire avancer la médecine et« changer la science », j’évoquerai quelques domainesd’applicationparticuliersquifurentlesmiens.

    Tout d’abord, dans le cadre d’un service hospitalier degastro-entérologie classique nous avons été, dans les annéesquatre-vingt, avec l’ensemble du département, les pionniers dudéveloppement des soins intensifs digestifs. Ces unitésn’existaient pas auparavant, et l’idée de créer un centrespécialiséestvenueparnécessitédevantlaspécificitédessoinsrequisetlenombrecroissantdemaladesatteintsdepancréatitesaiguës, de comas hépatiques par hépatite fulminante oudécompensation d’une cirrhose, de complications post-opératoiressévères,depéritonitesgraves,depousséesaiguësde

  • maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, comme lamaladiedeCrohnoularectocolitehémorragique,ouencoredebrûlures caustiques de l’œsophage. Nous avons ainsi créé desunitésspécialiséestrèsperformantes.

    Pourenrevenirauxbrûlurescaustiquesdutubedigestif,ilyavait, à l’époque, un nombre croissant de patients qui,accidentellementleplussouventpourlesenfantsetdansunbutde suicide pour les adultes, ingéraient des produits corrosifs.Selonlanatureduproduit,généralementdestinéànettoyerdessanitaires ou à décaper des surfaces et selon le moded’ingestion, le plus souvent massif en cas de tentative desuicide, le tube digestif pouvait être plus oumoins gravementbrûlé.Lamortalité, encasdebrûluregrave, étaitgénéralementsituéeautourde65%descas.Fortdel’expériencedeplusieursannées, j’ai été amené à mettre au point une méthodepersonnelle de traitement qui a fait l’objet de nombreusespublicationsscientifiquesauniveauinternationaletquiapermisde ramener lamortalité à 16% des cas. Je ne décrirai pas endétail cette technique de prise en charge, mais elle reposeessentiellement sur la coordination d’une équipe degastroentérologues,deréanimateursetdechirurgiens.

    Quellenefutpasdésormaisnotreplaisir,etmêmenotrejoie,devoir enfinguérir cesmaladesqui jusque-làmourraientdansdeterriblessouffrancesoucicatrisaientleursbrûluresdigestivesauprixdeterriblesséquelles.Nousfûmesmêmelespremiersàpermettreàunejeunefemmedemenerunegrossesseàterme.Ils’agissait d’une femme de 22 ans, enceinte et qui n’osantl’avouer à sa famille avait préféré mettre fin à ses jours enavalant une quantité massive d’un produit ménager corrosif.Nousétionsarrivés,ensoinsintensifsetauprixd’uneattentiondetouslesinstants,àsurmonterlaphaseaiguësansqu’elleneperde son enfant puis nous avons continué à alimenter la

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • métierestsavie,etc’estenluiqu’iltrouvesajoie,sonbonheuretsarécompense.Supprimezbrutalementcette«drogue»quile«booste»enpermanenceetvousaurezunpantin,incapablederéfléchiret,laplupartdutemps,deseprendreencharge.

    Toutefois, comme le soldatau feu, lemédecin réanimateur,quiavulamortenfaceunnombredefoisincalculable,peutlabanaliser et ne plus la considérer que comme une éventualitéprobablequiabrégeraitseulementlecoursd’uneviequ’ilestimebienremplie.

    Nombre demes amismédecins et chirurgiens ont disparu,dans le plus grand anonymat, après une vie pourtant bienremplieauservicedelasociété.Maisqu’importepuisquelejobavait été fait correctement.Heureux, peut-être, celui qui laissederrièreluiunetracequelconquedesonpassagesousformedemémoires,de livres,decours,d’innovationsthérapeutiquesquiportent son nom, ou d’une école.Mais l’élève qui se doit dedépasser lemaîtrese faitaussiundevoirde lechasserauplustôt de samémoire. C’est lui qui, désormais lemaître, regarderésolument de l’avant et jamais en arrière sinon pour seremémorer les bons moments de l’internat, synonymes dejeunesseinsouciante.

    Enfin, quand viendra l’ heure, qui sait comment chacund’entre nous réagira ?Pensez-vous que la philosophie puissevéritablementprépareràlamort?

    L.V. : La sagesse préconise d’opter pour la plénitude, dechercher un équilibre plus stable et pleinement réfléchi. Elleinviteàsatisfairedesplaisirslégitimesenrenonçantàceuxquiouvrentexcessivementàladémesure,l’instabilité,lasouffrance.Cette attitude favorise l’affranchissement des contraintessensibles par la tempérance, par une attitude stoïque ou parl’expérience de l’ascétisme.Au cours de l’existence, la raison

  • méditeets’accomplit,alorsquelasensibilités’épancheplusoumoinsauthentiquement.

    Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais lesjugementsqu’ilsportent sur ces choses.Ainsi, lamortn’est rienderedoutable,puisque,mêmeàSocrate,ellen’apointparutelle.Maislejugement que nous portons sur la mort en la déclarant redoutable,c’est làcequiest redoutable.Lorsquedoncnoussommes traversés,troublés, chagrinés, ne nous en prenons jamais à un autre, mais ànous-mêmes,c’està-direànosjugementspropres.Accuserlesautresdesesmalheursestlefaitd’unignorant;s’enprendreàsoi-mêmeestd’unhommequicommenceàs’instruire;n’enaccuserniunautrenisoi-mêmeestd’unhommeparfaitementinstruit44.

    Ils’agitdoncdesemettreàdistance«desdésirsvains»,àsavoirlacraintedesdieux,etlapeurdelamortafindeparveniràlasérénité.Quantàl’actemêmedemourir,leshommesnesontpasconcernésparluitantquelamortn’estpaslà.Etlorsqu’ilsneserontplus,ellenelestoucherapasnonplus.Ilimportealorsderelativisercetévénement.Ensomme,selonlesphilosophes,ilconvientdechassercespeursvaines,quiengendrentdesmauxbien inutiles. L’âme parvient alors à trouver des anesthésiquespuissantsafindeluttercontresesaffres.

    Laphilosophiedésigneainsiunethérapieenvisageable.

    Lapeinen’estpasdemanquerdecertaineschoses,maisdesouffrirbeaucoup plus d’une peine inutile, par le fait de vaines opinions.Celuiquiaimelavraiephilosophieestdélivrédetoutdésirtroublantetpénible.Videestlediscoursdecephilosophequineguéritaucunepassionhumaine.Demêmequelamédecinenesertàrienquandellene peut chasser lamaladie du corps, ainsi la philosophie, si elle nechassepasdel’âmelapassion45.

    Essentiellement, la raison produit des jugementssuffisamment efficaces pour éradiquer, éliminer de l’âme ses

  • rejetonspathogènes.

    Ensomme,ledésordreprovientdecertainesreprésentationsde l’âme, qui sont erronées, inappropriées. En finir avec lesdésirsvains,ceuxquiaffectentl’âmeetlarendentallergiqueàlavie dans la crainte de vivre, permet une désensibilisationopérante.

    Cela apporte à l’âme un second souffle, une pneumarégénérée. Ilnes’agitpasd’éviternospeursmaisplutôtde lesaffronter,delespenserautrement.Progressivement,commedanslecasd’unedésensibilisationoùsontinoculésrégulièrementlesantigènesauxquelsl’individuestallergique,l’accoutumanceauxanti-allergènesproduitseseffets.Lecorpsfabriquesespropresforcesderésistance,sesanticorpsspécifiquesetnécessairesàlasanté.

    L’hommedoitprogressivements’habitueràcequ’ilredoutepour en finir avec sa désespérance et ses appréhensions. Laphilosophie désigne alors une médecine de l’âme puisqu’ellechasse lesmauvais désirs et anéantit les passionsdévastatricespar l’usage de la raison. En définitive, la pratique dudétachement à l’égard de l’infortune permet à l’homme de seguérirdesesangoissesexistentielles.

    La sagesse philosophique favorise le retour à uneconstitution saine, œuvre à la résistance et conduit à la vieheureuse.

    Cette attitude suggère de réaliser des plaisirs légitimes enrenonçant à ceux qui ouvrent excessivement à la démesure,l’instabilité,lasouffrance.Labonnesantépasseparunéquilibredel’âmevivantensympathieaveclecorps.

  • Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

  • Tabledesmatières

    Avant-propos

    Introduction

    PREMIÈREPARTIEAuboutdesdoigts:lavie,lamort,lapensée

    Chapitre1Delamainàl’espritLamain:ungestedesoin

    Chapitre2Leschoixthérapeutiques:lesmainsquihésitentetsélectionnentLamort,unproblèmepourlemédecin?

    PARTIEIILemalade,samaladieetsonmédecin

    Chapitre1Laresponsabilitéàl’oréedusoinDel’exigencedevéritéàl’exigencedesens

    Chapitre2Ledoute,lesincertitudes,lapeurEspoirderéussite:àlamortouàlavie?L’entouragefamilial:lacomplexitédesliens

  • TROISIÈMEPARTIELedésird’éternité

    Chapitre1DucapitalaucapitalsantéPréventionetpréservationdesoi

    Chapitre2ExpérimentationetrespectdelavieVersunemédecinedufutur

    QUATRIÈMEPARTIEPhilosopheroulechoixdelavie

    Chapitre1Ducerveauàlamain:delapenséeàl’écritureLavieintimeduphilosopheéclaire-t-elleouobscurcit-ellesapensée?Soignerlavieavecuneplume

    Pourquoiphilosopher?Quelssontlesmauxquitroublentlaphilosophe?Philosopher,est-ceapprendreàmourir?

    Chapitre2Laphilosophiepeut-ellenuireàlasanté?OpposerunephilosophiepositiveàunephilosophienégativeLesremèdesphilosophiques

    Conclusion

  • BiographiesetbibliographiesHenriJoyeuxJacquesdiCostanzoLaurenceVanin

    Bibliographiephilosophique

  • Achevéd’imprimerparCPI,enmars2016

    N°d’imprimeur:XXX

    Dépôtlégal:mars2016

    ImpriméenFrance