LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

12
0 LA TUBERCULOSE PULMONAIRE ÉVOLUTION DES DOCTRINES ET DES TRAITEMENTS EN PHTISIOLOGIE La phtisie, connue chez les peuples anciens où elle était aussi répandue que de nos jours, a été étudiée sous toutes ses formes cliniques et anatomiques seulement à partir du xix e siècle. Jus- qu'alors son agent pathogène et les lésions qu'il provoque dans tous les organes étaient restés ignorés. A l'origine l'art de guérir était l'apanage des prêtres, déposi- taires des connaissances révélées dans les temples sous le secret de l'initiation, avant d'être pratiqué par les philosophes qui s'adon- naient à l'étude de la nature et des sciences exactes. Aussi s'appli- quaient-ils à noter les réactions de l'organisme au cours de l'évolu- tion des maladies sous l'influence des conditions de vie et des saisons. L'ère des Mages étant close, les pratiques religieuses firent place peu à peu à des méthodes empiriques d'une valeur inégale quelquefois inspirées des croyances populaires entachées de superstition, mais aussi souvent fondées sur une analyse scientifique des symptômes. Hippocrate impose une méthode à l'art médical qui doit tirer de l'observation des faits simples « une connaissance qui s'appuie sur la nature universelle et sur la nature propre de chaque personne ; sur la maladie, le malade, les substances admi- nistrées, sur la constitution générale de l'atmosphère et les consti- tutions particulières, selon les diversités de ciel et de lieu ; sur les habitudes, le régime de vie et l'âge de chacun. » On ne doit pas négliger l'analyse des selles, des urines, des crachats, l'observa- tion de la toux, de l'éternuement, du hoquet. « Ce sont ces données

Transcript of LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

Page 1: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

0

LA TUBERCULOSE

PULMONAIRE

É V O L U T I O N D E S D O C T R I N E S

E T D E S T R A I T E M E N T S E N P H T I S I O L O G I E

L a phtisie, connue chez les peuples anciens où elle é ta i t aussi répandue que de nos jours, a été étudiée sous toutes ses formes cliniques et anatomiques seulement à partir du x i x e siècle. Jus­qu'alors son agent pa thogène et les lésions qu' i l provoque dans tous les organes étaient restés ignorés.

A l'origine l'art de guérir é ta i t l'apanage des prêtres , déposi­taires des connaissances révélées dans les temples sous le secret de l ' initiation, avant d 'ê t re p ra t iqué par les philosophes qui s'adon­naient à l 'é tude de la nature et des sciences exactes. Aussi s'appli­quaient-ils à noter les réactions de l'organisme au cours de l 'évolu­tion des maladies sous l'influence des conditions de vie et des saisons.

L'ère des Mages é t an t close, les pratiques religieuses firent place peu à peu à des méthodes empiriques d'une valeur inégale quelquefois inspirées des croyances populaires entachées de superstition, mais aussi souvent fondées sur une analyse scientifique des symptômes . Hippocrate impose une méthode à l 'art médical qui doit tirer de l'observation des faits simples « une connaissance qui s'appuie sur la nature universelle et sur la nature propre de chaque personne ; sur la maladie, le malade, les substances admi­nistrées, sur la constitution générale de l 'a tmosphère et les consti­tutions particulières, selon les diversités de ciel et de lieu ; sur les habitudes, le régime de vie et l 'âge de chacun. » On ne doit pas négliger l'analyse des selles, des urines, des crachats, l'observa­tion de la toux, de l 'é ternuement , du hoquet. « Ce sont ces données

Page 2: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

L A T U B E R C U L O S E P U L M O N A I R E 95

et tout ce qu'elles permettent de saisir qu' i l faut examiner avec soin. » Elles permettent aux observateurs de découvrir les carac­tères principaux des maladies et de nous donner, par exemple, ainsi que le fit Arêtée de Cappadoce, un portrait du phtisique si exact, que nous n 'y ajouterions aujourd'hui aucun détail (1) : « le nez aminci, pointu, la face pâle et décharnée, quelquefois comme bouffie et livide... les autres parties du corps ont subi la même al térat ion, les omoplates soulèvent la peau et ressemblent aux ailes d'oiseaux. » L'auteur décrit encore « les doigts amaigris, renflés au niveau des articulations, les ongles recourbés » et nous reconnaissons la déformation hippocratique des doigts due aux suppurations pulmonaires prolongées.

Le diagnostic é ta i t fondé sur l 'apparition des signes généraux traduisant l 'épuisement de l'organisme à la phase de généralisation. Aussi les descriptions ne nous font-elles connaî t re que la maladie de consomption, l a phtisie, marquée par l'amaigrissement et des poussées de fièvre oscillante.

Toutefois, malgré l'insuffisance des examens cliniques, les Anciens distinguaient déjà avec Arêtée l 'abcès pulmonaire de la phtisie tuberculeuse et, à une époque où l'auscultation éta i t peu pra t iquée , les élèves de l 'Ecole de Cos savaient percevoir le clapote­ment produit par un épanchement liquide dans la plèvre en impri­mant des secousses au malade. C'est le signe de la succussion hippo­cratique que nous cherchons encore de nos jours.

* * *

D u point de vue philosophique la pathogénie des maladies est dominée par les différentes conceptions métaphys iques . L 'Eco le de Cnide étudie les organes isolément et leur attribue des affections définies. Hippocrate au contraire fait entrer l 'évolution des maladies dans le cycle universel où tout est soumis à un perpétuel change­ment. I l considère les symptômes , éminemment variables, dans leur rapport avec la réaction générale de l'organisme. On peut passer d'une maladie à une autre. « E t lorsque la maladie sera calmée, écrit-il, on purgera avec l 'élatèrion, pour empêcher de tomber dans quelque autre maladie. »

Etudiant avant tout les symptômes généraux, le faciès, le com-

(1) Cité dans l'Histoire de la tuberculose, de M M . Piery et J . Rosliem, dans laquelle nous avons t r o u v é une documentation importante.

Page 3: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

96 L A R E V U E

portement, i l é tabl i t une relation entre la phtisie pulmonaire et la tuberculose osseuse, le mal de Pott. « C'est une phtisie cachée sur les ver tèbres avec abcès ossifluants. » Cependant les Grecs connaissaient imparfaitement les lésions anatomiques n'ayant pas la possibilité de faire des constatations post-mortem. Pour eux la phtisie dé te rmina i t surtout la formation d 'ulcérat ions dans les poumons. Nous ignorons s'ils avaient découver t les tubercules décri ts par Laënnec .

D u point de vue étiologique, Hippocrate croyait à l 'hérédi té de la tuberculose qui n'est plus admise aujourd'hui.

Les médecins se heurtaient dans l'exercice de leur art à des interdictions, édictées par des prescriptions religieuses ou des coutumes locales. L a loi persane leur interdisait d'examiner les femmes. I l devaient se contenter de l'analyse des humeurs, moins heureux, semble-t-il, que les médecins chinois qui pouvaient faire préciser aux patientes sur un.e figurine d'ivoire les parties du corps dont elles souffraient.

Quoi qu ' i l en soit, les Anciens nous ont légué des règles hygiéno-diété t iques qui ont conservé de nos jours toute leur valeur. Ne devrions-nous pas appliquer les conseils du médecin hindou Sucruta qui ménage les fonctions digestives en prescrivant aux malades une nourriture d'abord légère dont l'abondance varie avec • la tolérance de chacun d'eux ?

Ceux-ci guérissaient-ils spon t anémen t ou à la faveur du repos dans le calme sous les pins résineux ? Etait-ce au retour d'un voyage qui les menait, suivant la recommandation de Pline l 'Ancien, des côtes de la Grèce aux rivages de l 'Egypte ou à la suite d'une cure de poudre d'écrevisses dans laquelle nous retrouvons les vertus du traitement par les sels de chaux ?

L a thé rapeu t ique utilisait trop souvent, nous dit L i t t ré , après avoir lu Pline l 'Ancien, « un amas incroyable de recettes les plus incroyables du monde, bizarres, absurdes... et parfois les formules de quelque sorcier ». Mais à côté de celles-ci nous trouvons des médicat ions efficaces : le marrube, la scille, la té rébenth ine et la thér iaque , qui contient une forte dose d'opium, des essences de té rébenth ine , de cannelle, mélangées, i l est vrai, à la chair de vipère.

Les Arabes nous transmettent les traditions de la médecine des Grecs et des Persans, qu'ils appliquent avec un grand sens clinique. Ils n 'y apportent que peu de progrès, sauf en chimie.

Page 4: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

L A T U B E R C U L O S E P U L M O N A I R E 97

Retenons du moins qu'ils savaient utiliser les médicat ions émol-lientes sous forme d'infusions de feuilles de roses rouge vermeil addit ionnées de miel.

A la Renaissance, Fracastor, convaincu de la contagiosité de la tuberculose, ne parvint pas, malgré son génie, à en trouver le germe dans l'ignorance où stagnait la médecine.

* *

C'est au x v m e siècle que s'édifient les bases de l'anatomie des localisations tuberculeuses. Peu à peu les connaissances se précisent. Bayle identifie le tubercule, lésion initiale méconnue avant lui , et démont re la généralisation de la phtisie qui se développe non seulement dans le poumon, mais dans tous les autres organes, le larynx, l 'intestin, les glandes cervicales. I l prépare la voie à Laënnec qui affirme dans une synthèse géniale l 'uni té de toutes les lésions tuberculeuses : « L a mat iè re tuberculeuse peut se déve­lopper dans le poumon et dans les autres organes sous deux formes principales : celles de corps isolés (tubercules et granulations miliaires) et d'infiltrations. Quelle que soit la forme sous laquelle se développe la mat iè re tuberculeuse, elle présente dans l'origine l'aspect d'une mat ière grise et demi-transparente... qui se ramollit, acquiert peu à peu une liquidité égale à celle du pus et, expulsée par les bronches, laisse à sa place des cavités connues vulgairement sous le nom d'ulcères du poumon et que nous désignerons sous le nom d' «exca­vations tuberculeuses ».

Nous comprenons désormais le processus des lésions anato-miques et la formation des ulcérations du poumon, décrites par Hippocrate et Galien : Phthisis est ulceratio pulmonis.

Ainsi en affirmant l 'unité des différentes lésions de la phtisie — qu'elles revê ten t l'aspect des tubercules ou de l 'infiltration aboutissant à l 'ulcération — Laënnec nous donne une description précise de l'anatomie pathologique des lésions de la tuberculose. I l complète les recherches de ses prédécesseurs, Bayle en particulier. Es t - i l plus bel exemple de la cont inui té des recherches scientifiques ? E n médecine, par exemple, les observations plus ou moins complètes qui se succèdent , permettent d 'acquérir une connaissance appro­fondie des causes des maladies et des lésions qu'elles déterminent . Ces découvertes sont facilitées par les progrès des autres sciences,

L A R E V U E N« 5 4

Page 5: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

98 L A R E V U E

la physiologie et la biologie et aussi par le perfectionnement des instruments d'examen tels que le microscope et le tube éme t t eu r de rayons X . Ils ont permis d 'é tudier les lésions cellulaires micros­copiques de la tuberculose et l'aspect radiologique des localisations chez les malades.

De la connaissance des lésions découle b ien tô t l ' expér imenta t ion qui permet à Vi l lemin de démon t r e r que la tuberculose est inocu­lable, transmissible de l'homme aux animaux. I l peut affirmer dans un rapport à l 'Académie de Médecine, le 5 décembre 1865, « que la phtisie est une vér i table maladie générale relevant d'un agent unique dans son essence et constant dans ses effets... » « L'inoculation du tubercule n'agit pas par la mat iè re visible et palpable qui entre dans ce produit pathologique, mais en vertu d'un agent plus subtil qui s'y trouve contenu et échappe à nos sens. » (1) Or, quelques années plus tard, en 1882, Robert Koch rend visible au microscope le bacille de la tuberculose.

Cette découverte bactériologique n 'a été rendue possible que grâce aux travaux de Laënnec et de Vi l lemin.

Les conditions biologiques générales de la maladie sont actuelle­ment bien précises. Nous savons que la tuberculose se propage par contagion à tous les âges, mais que la mère ne la transmet pas par hérédité à son enfant. Les descendants de tuberculeuses peuvent rester indemnes de toute atteinte s'ils sont élevés en milieu sain (2).

L a contamination engendre la primo-infection qui se traduit par une sensibilité cu tanée à la tuberculine et la cut i-réact ion devient positive. Cet é t a t d'allergie est dû à la péné t ra t ion dans l'organisme du bacille de K o c h qui dé te rmine la formation dans le poumon d'un petit nodule, le chancre d'inoculation qui peut se cicatriser. Plus tard le réveil de la tuberculose chez l'adulte peut être dû à la reviviscence des foyers anciens ou à des surinfections exogènes ; aussi la contamination des adultes est-elle fréquente dans l'entourage des tuberculeux.

Laënnec nous a donné les moyens cliniques de déceler les symptômes des maladies de poitrine. Après Auenbrugger qui, au

(1) Cité par M . P i é r y . (2) Voir Notions actuelles sur la contagion de la tuberculose, dans La Revue du 15 jan­

vier 1950.

Page 6: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

L A T U B E R C U L O S E P U L M O N A I R E 99

x v i i i e siècle, avait décri t la percussion du thorax, i l imagine l'auscul­tation média te « moyen de faire le diagnostic des affections pulmo­naires et pleurales aussi facilement que celui d'une fracture », ainsi qu'i l l'expose le 29 juin 1818 devant l 'Académie Royale des Sciences. Pour en faciliter la pratique, i l invente le stéthoscope, cylindre de bois de seize lignes de d iamètre , long d'un pied, percé dans son centre d'un tube de trois lignes de diamètre , à la suite de l'observation d'un « phénomène d'acoustique fort connu ; si l'on applique, di t - i l , l'oreille à l ' ex t rémité d'une poutre, on entend très distinctement un coup d'épingle donné à l'autre bout. Je présumai dès lors que ce moyen pouvait devenir une méthode utile et applicable... à l 'exploration de la respiration, de la voix, du râle et peut -ê t re même de la fluctuation d'un liquide épanché dans les plèvres ou le péricarde ». Tirant des déduct ions pratiques des signes s té thacous t iques ainsi révélés, i l décrit les râles crépi­tants « dont le bruit peut être comparé à du sel que l 'on fait décré­piter dans une bassine » et, dans les cavernes, la pectoriloquie, modi­fication de la voix qui « semblait sortir directement de la poitrine et passer tout entière par le canal central du cylindre ».

L a séméiologie des maladies du poumon étai t créée. Mais Laënnec ne put à son époque innover en thé rapeu t ique .

I l doit se borner dans une prescription faite à Mlle Coupât —- citée par M . Piéry d 'après le professeur Laignel-Lavastine — à recom­mander pour guérir le catarrhe pulmonaire l'usage des pastilles ou de sirop de baume de tolu, du suc exprimé de cresson coupé de lait et règle minutieusement les étapes d'un voyage qui mène la malade de Montpellier aux Isles d 'Hyères . D u moins fait-il preuve d'une grande prudence en lui recommandant « de s'exercer sans fatigue, se promener en voiture, monter à âne ou même à cheval si l 'allure de cet animal est compatible avec l ' é ta t de ses forces... Exercer peu ses bras, renoncer aux ouvrages de l'aiguille... Prolonger la durée du sommeil... Sous le rapport des médicaments , rien faire qu'en très petit nombre » (7 décembre 1823). Que n'avons-nous médi té ces conseils de prudence et interdit les bains de soleil, interdit les exercices physiques et les médicaments qui engendrent des troubles digestifs !

E n réalité, si la pharmacopée moderne nous a appor té des prépara t ions t rès assimilables, nous avions fait peu d'acquisitions nouvelles j u s q u ' à ces dernières années.

Le traitement par les vaccins, ou autres produits spécifiques,

Page 7: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

100 L A R E V U E

dont l 'utilisation a paru séduisante après la découverte du microbe de la tuberculose, n'a abouti qu ' à des échecs. Koch le premier en fit l'essai en pratiquant des injections de la tuberculine tirée du bacille, mais i l fut obligé d 'y renoncer rapidement. Seul le vaccin B . C . G . doit être utilisé en vertu de ses propriétés immunisantes chez les sujets indemnes de toute atteinte de tuberculose, ayant conservé une cuti-réaction négat ive à la tuberculine ; c'est donc une vaccination prévent ive .

* * *

Aussi peut-on imaginer le découragement des médecins qui devaient se borner à recommander aux malades une cure de repos prolongé, certes salutaire, sans pouvoir enrayer l 'évolution de la tuber­culose. Ce fut le méri te de Forlanini d'inventer, en 1908, lé pneumo­thorax artificiel. Ains i que l 'écrit le professeur E t . Bernard (1), « Forlanini a rendu la foi aux médecins en faisant connaî t re une intervention qui leur permettait d'agir activement, élective-ment et souvent d'une façon décisive sur les lésions ». Ce chercheur persévéran t , travaillant dans l'isolement à l 'Ecole de Pavie, parvint à imposer le principe du pneumothorax thé rapeu t ique qui fut rapidement adop té en France. Cette intervention permet d'insuffler de l 'air dans la plèvre — enveloppe séreuse des poumons dont les feuillets sont normalement accolés et qui se distend sous forme d'une poche gazeuse refoulant le poumon, libéré de tout contact avec la paroi costale. Celui-ci peut grâce à son élasticité se ré t rac te r à la partie interne du thorax. A la radioscopie i l appara î t comme une ombre, animée de mouvements respiratoires peu amples, dont l 'opaci té se détache sur la bande claire formée à la partie externe sous la paroi thoracique par l 'air du pneumothorax. Il suffit de renouveler pér iodiquement l 'air par des insufflations espacées de. quelques semaines pendant quatre ans environ pour entretenir le décollement pleural. Le pneumothorax, réservé aux lésions uni­la téra les , favorise leur ré t rac t ion en m é n a g e a n t la fonction des parties saines du poumon.

L'efficacité du pneumothorax est d'autant plus rapide qu ' i l s'adresse à des lésions plus récentes et localisées. Aussi doit-on favoriser leur dépistage par des examens radiologiques sys téma­tiques de tous ceux qui travaillent, à l'école, au bureau, à l'usine.

(1) Phtisiologues et P.'disiologie.

Page 8: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

L A T U B E R C U L O S E P U L M O N A I R E 101

Des malades, t ra i tés dès l'éclosion de leur atteinte pulmonaire, peuvent après un repos de huit à douze mois reprendre progressive­ment leur act ivi té tout en continuant à suivre ce traitement qui permet de consolider la cicatrisation des lésions. On peut également exercer une action indirecte sur les poumons par la création du pneumopér i to ine .

L 'ac t ion élective sur les cavernes tuberculeuses s'est révélée si efficace que l 'on s'ingénie à la réaliser, m ê m e lorsque des adhé­rences, fixant le poumon malade à la paroi costale, rendent impos­sible la création du pneumothorax intra-pleural de Forlanini. On a recours au pneumothorax extra-pleural en créant , en dehors de la plèvre, sous la paroi costale, une cavité artificielle qui, après insufflation d'air, refoule en dedans le poumon engaîné par la plèvre. Dans d'autres cas la thoracoplastie par la section chirur­gicale des côtes supérieures permet d'obtenir l'affaissement définitif de la partie haute du thorax. Dans la cavi té thoracique ainsi réduite de volume le poumon se ré t rac te et s'immobilise. A l'heure actuelle, grâce aux progrès de la technique chirurgicale, i l est possible de pratiquer l 'ablation d'une partie ou de la to ta l i té d'un poumon infiltré de lésions tuberculeuses. Toutes ces méthodes dér ivent de l ' invention de Forlanini qui avait p révu cette dernière opérat ion. Toutefois ce novateur recommandait la prudence à ses successeurs afin d 'évi ter « que la juste mesure de l 'application de sa mé thode fût dépassée ' ».

Ces conseils de modéra t ion nous montrent que la collapso-thérapie ne doit être appliquée qu'avec prudence, c'est-à-dire en dehors des poussées fébriles sur des lésions dont l 'activité est a t ténuée , refroidie. Forlanini eût été rassuré sur l 'application de sa mé thode s'il avait pu disposer des médicat ions antibiotiques, dont la découver te récente nous permet d'apaiser la virulence de l'infection et d 'opérer avec plus de sécurité.

Ce sont des substances élaborées par des micro-organismes tels que les champignons qui entravent le déve loppement des microbes. Fleming nous avait donné la pénicilline utilisée couramment dans les affections aiguës comme la pneumonie ; en 1944 Waksman révèle l'efficacité de la streptomycine sur le bacille de la tuberculose. Sa découverte découle de la théorie des antagonismes microbiens qui inspira l 'œuvre du bactériologiste américain notant que les bactéries, agents des maladies, survivent en petit nombre dans le sol où se « développent les antagonistes principaux responsables de

Page 9: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

102 L A R E V U E

l a destruction des pathogènes ». E n é tud ian t les propriétés des cham­pignons i l retira du streptomyces griseus une substance antibiotique, la streptomycine qui inhibe le déve loppement du bacille tuberculeux.

Pour la première fois i l nous é ta i t possible de neutraliser cette bac­tér ie . Le traitement de la tuberculose en fut t ransformé, bien que cette médicat ion ne soit pas applicable à tous les cas. Nous vîmes avec é tonnemen t s'apaiser en quelques jours la dysphagie qui interdit toute alimentation aux malades atteints d'une laryngite tubercu­leuse, réputée jusqu'alors incurable, et disparaî t re en quelques semaines la fièvre élevée, causée par la phtisie aiguë. L a strepto­mycine agit sur les lésions jeunes, fraîches, irriguées par un riche lacis de vaisseaux qui lu i apporte en abondance l 'antibiotique véhiculé par le sang. Citons parmi les lésions les plus sensibles à son action les granulations tuberculeuses de la granulie, phtisie a iguë, visibles comme des grains de plomb sur les radiographies des poumons, et les infiltrations qui affectent l'aspect d'une opaci té plus ou moins é tendue dans les champs pulmonaires. E n revanche, les cavernes, remplies d'une mat ière friable, le caséum où pullulent les bacilles sont souvent enkystées dans un tissu dense, peu riche en vaisseaux, que franchit difficilement le cours du sang chargé de l 'antibiotique.

C'est dire que l'action de la streptomycine est inconstante : elle est nulle sur les cavernes anciennes, mais elle permet d'en­rayer l 'évolution des formes aiguës récentes ; si ces dernières ne disparaissent pas toujours complè tement , du moins perdent-elles suffisamment leur caractère évolutif pour devenir accessibles aux autres thérapeut iques . Les indications du pneumothorax et des interventions chirurgicales deviennent plus nombreuses et leur réal isat ion n'expose plus à des complications.

L 'anc ienneté des lésions n'est pas le seul obstacle à l 'action de la streptomycine, celle-ci s 'épuise peu à peu au cours des traite-meats prolongés par suite d'une résistance des bacilles au médi­cament, d'une streptomycino-résistance. Certaines souches de bacilles sont insensibles à son action avant tout traitement ou le deviennent après injections de doses élevées de l'antibiotique. Aussi est-il r ecommandé , pour les empêcher de se reproduire, d'associer à la streptomycine une autre substance ant ibactér ienne, l'acide para-amino-salicylique, désigné couramment sous les initiales P . A . S . qui peut être ingéré sous forme de comprimés ou de granulés ou mieux, être injecté lentement par perfusion goutte à goutte dans

Page 10: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

L A T U B E R C U L O S E P U L M O N A I R E 103

les veines. Par l 'adoption combinée des deux méthodes les souches de bacilles ne peuvent se reproduire dans la plupart des cas.

Malheureusement toute thé rapeu t ique entraîne des intolérances et la streptomycine peut déterminer des érupt ions cutanées , et, accident plus redoutable, une baisse de l 'audition. On peut a t t énuer ces troubles ainsi que la s t reptomycino-résis tance en espaçant les injections de trois jours. C'est la mé thode de la streptomycino-thérapie discontinue qui permet de répar t i r sur une plus longue période les injections nécessaires au lieu de les faire chaque jour. L'él imination de l'antibiotique en est facilitée et la toxici té diminuée. Toutefois, en pratique, ces injections espacées ne sont pas à conseil­ler au débu t dans les formes aiguës graves et dans les formes étendues. Cette administration discontinue est suffisante dans les autres formes à cause de la lenteur relative de reproduction du bacille de Koch , ainsi que l'ont mon t ré le professeur E t . Bernard et Kreis. I l n'est pas indispensable de répéter les injections plusieurs fois dans la journée comme dans les infections dues à des microbes dont le développement est plus rapide.

Utilisée avec prudence la streptomycine, tout en conservant son efficacité, ne cause pas d'accidents graves.

* * *

Ces progrès de la thé rapeu t ique ont comblé d 'espérance les malades tuberculeux. Cependant nous ne devons pas leur dissimuler les lacunes et les inconvénients de ces méthodes nouvelles. De plus chaque cas particulier relève d'une tactique différente dont le choix doit être laissé au médecin. L a s t rep tomycinothérapie n'est pas utile chez les tuberculeux qui peuvent être guéris complètement par le pneumothorax et chez ceux dont l'atteinte est curable par le repos prolongé dans l'isolement. A ces derniers nous pourrons citer l'exemple du jeune lord Ar thur Ormond qui guéri t de la maladie de poitrine à laquelle i l devait succomber après être « resté, nous dit Balzac, deux ans sans parler, respirant rarement, demeurant couché dans une étable, buvant du lait d'une vache venue de Suisse et vivant de cresson ». Combien de malades ont recouvré la santé après un séjour à la campagne ! Ces résul ta ts justifient la création des nombreux sanatoria où les tuberculeux sont astreints à une cure de repos complet au li t dans les climats variés dont les avantages sont différents suivant les cas : climat de plaine pour

Page 11: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

104 L A R E V U E

les malades fébricitants ayant présenté une poussée congestive récente, climat tonique à une altitude de 1.000 à 1.200 mèt res pour ceux dont l 'évolution est stabilisée et les porteurs de pneumothorax en particulier.

Miss Nightingale, infirmière anglaise, n'avait-elle pas été la première à faire sur elle-même l 'épreuve de la cure d'air dont le médecin allemand Brehmer imposait les règles dans le premier sanatorium construit en Silésie en 1859 ? Après une période d'isole­ment de plusieurs mois, à l 'abri des soucis moraux et des préoccu­pations matérielles, le malade voit la fièvre s 'a t ténuer , son poids progresser et peu à peu sent renaî t re le désir de reprendre son act ivi té . Car, dès l'admission au sanatorium, i l doit comprendre qu'un repos absolu de plusieurs mois,, s ' é tendant parfois j u s q u ' à deux ans, devra lui permettre de retrouver sa profession et qu ' i l n'est pas voué à une inaptitude définitive au travail . L a réadap ta ­tion des tuberculeux guéris, dont les lésions sont défini t ivement cicatrisées, doit d'abord être surveillée au sanatorium par le médecin qui a dirigé le traitement. Suivant les aptitudes de chacun le travail sera repris progressivement dans des ateliers où les différentes professions peuvent s'exercer : couture pour les femmes, travail artisanal d'horlogerie, de mécanique de précision, travaux de jardinage, service de comptabi l i té . I l est souhaitable que le malade après sa guerison reprenne dans sa profession un emploi exigeant peu d'efforts physiques ou, s'il est dans l 'impossibilité de le faire, un emploi dans une profession semblable à celle qu' i l exerçait avant d 'être malade. On conçoit qu'un mécanicien, par exemple, auquel sont interdits les travaux de force puisse se consacrer à un travail de mécanique de précision après une période d'apprentissage. Ce reclassement est ensuite poursuivi, en dehors du sanatorium, dans des ateliers autonomes où l ' en t ra înement est soumis à une sur-

, veillance médicale. C'est le but qu'a poursuivi Mlle Suzanne Fouché qui, en fondant la Ligue pour l'adaptation du diminué physique au travail, a multiplié les centres de rééducat ion tels que l'école ména­gère des Baumes, l'école de couture de Bayeux, et celle des élec­triciens de Sarcelles. Sur le même modèle a été fondée l'école de montage de montres à Passy en Savoie qui place à leur sortie dans l'industrie horlogère ceux qui ont acquis leur brevet. Près de Grenoble existe un établissement de post-cure pour les é tud ian ts qui peuvent, sans renoncer à une cure partielle de repos, reprendre leurs études et préparer les examens à la Facul té voisine.

Page 12: LA TUBERCULOSE PULMONAIRE - Revue des Deux Mondes

I.A T U B E R C U L O S E P U L M O N A I R E 105

Ains i dans une a tmosphère de confiance et d 'émula t ion ce travail surveillé permet au tuberculeux guéri de retrouver une occupation qui lu i fournit d 'emblée une rémunéra t ion d'abord modique, com­plétée par une allocation accordée au titre de l ' invalidité (1). Si la reprise para î t p rématurée , le malade rentre au sanatorium. Dans les cas heureux i l est autorisé à reprendre sa place dans le milieu familial et à se remettre au travail. Dans les administrations

*

de l 'Etat et dans beaucoup d'industries privées i l n'est astreint pendant les premiers mois qu ' à une présence limitée à la moitié de la journée. Ainsi la rentrée au bureau ou à l'atelier est-elle facilitée grâce à une propagande qui combat la prévention des employeurs contre un ancien malade dont ils redoutent à tort la contagion et l ' incapacité de fournir un travail utile.

Toutefois, cette reprise ne peut être acceptée que sous un contrôle médical rigoureux permettant de mettre au repos l'ancien malade dès les premiers signes de défaillance. Si un certain nombre d'entre eux retombent après une tentative de travail, soyons persuadés que, dans la majori té des cas, i l ne s'agit pas de rechutes, mais du réveil d'une maladie insuffisamment stabilisée. On l 'évitera en interdisant le travail intensif au sortir du sana­torium. C'est le rôle des centres de rééducation que nous voudrions voir se multiplier. Nous pensons en effet que le tuberculeux dont la guérison est nettement consolidée est presque sûrement à l 'abri d'une rechute s'il se livre à un travail modéré dans de bonnes conditions d'hygiène.

Une minori té de tuberculeux, qui nous l 'espérons ira en dimi­nuant, restent porteurs de lésions fibreuses en activité et deviennent par intermittence contagieux. Ceux-là peuvent exercer, dans des villages sanatorium, une profession convenant à leur é ta t qui leur procure, dans la limite de leurs forces, une act ivi té rémunératr ice.

Nous voyons que le dépistage précoce de la tuberculose nous permet de la combattre à son début par des méthodes efficaces. Si nous n'avons malheureusement pas la possibilité de guérir tous les cas de tuberculose, i l est du moins certain que les progrès réa­lisés en thérapeut ique donnent à un grand nombre de malades l'espoir d'une guérison durable et d'un retour à une vie normale.

D O C T E U R C H . L E J A R D .

(1) L a loi du 8 janvier 1950 fixe les statuts et les ressources des centres de post-cure.