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JEREMY RIFKIN LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE COMMENT LE POUVOIR LATÉRAL VA TRANSFORMER L’ÉNERGIE, L’ÉCONOMIE ET LE MONDE L L L LES LIENS qUI LIBèRENT

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JEREMY RIFKINLA TROISIÈME RÉVOLUTION

INDUSTRIELLE

cOMMENT LE pOUVOIR LATÉRAL VA TRANSFORMER

L’ÉNERgIE, L’ÉcONOMIE ET LE MONDE

L L L LES LIENS qUI LIBèRENT

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La troisième révolution industrielle

La révolution industrielle fondée sur le pétrole et les autres énergies fossiles est entrée dans une dangereuse « fin de partie » : les prix énergétiques et ali-mentaires grimpent, le chômage reste élevé, l’endettement des consomma-teurs et de l’État monte en flèche, la reprise ralentit. Confrontée à la perspec-tive d’un second effondrement de l’économie mondiale, l’humanité cherche désespérément un plan stratégique capable de la conduire vers un avenir éco-nomique durable.

Dans ce livre, Jeremy Rifkin montre que la fusion de la technologie d’Inter-net et des énergies renouvelables peut créer une puissante dynamique de « troisième révolution industrielle ». Il nous demande d’imaginer un monde où des centaines de millions de personnes produisent leur propre énergie verte à domicile, au bureau, à l’usine et la partagent sur un « Internet de l’énergie », de la même manière que nous créons et partageons en ligne aujourd’hui de l’in-formation.

Rifkin explique comment les cinq piliers de la troisième révolution indus-trielle vont créer des milliers d’entreprises et des millions d’emplois ; ils vont aussi impulser une réorganisation fondamentale de nos économies et des rela-tions humaines : le passage du pouvoir hiérarchique au pouvoir latéral va chan-ger notre façon de commercer, de gouverner la société, d’éduquer nos enfants et de nous engager dans la vie civique.

La vision de Rifkin influence déjà la communauté internationale. Le Parle-ment européen a publié une déclaration officielle appelant à la mettre en œuvre, et certains pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine préparent leurs propres initiatives pour opérer une transition rapide vers ce nouveau para-digme économique.

La Troisième Révolution industrielle analyse magistralement la nouvelle ère économique qui s’annonce, et présente également les per sonnalités et les ac-teurs – chefs d’État et de gouvernement, PDG d’entreprises mondiales, en-trepreneurs sociaux et ONG – qui s’en font les pion niers sur toute la planète.

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emy Rifkin, l’un des penseurs de la société les plus populaires de notre temps, eteur de dix-huit best-sellers, dont Une nouvelle conscience pour un monde en crise, Le Rê

opéen, L’Âge de l’accès, L’Économie hydrogène ou La Fin du travail. Ses livres ont été trits en plus de trente-cinq langues. Rifkin conseille l’Union européenne et des chetat du monde entier. Il est maître de conférences au Programme de formation d

igeants d’entreprise de la Wharton School (université de Pennsylvanie) et présidela Fondation sur les tendances économiques (Foundation on Economic Trendshington, DC).

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La troisièmerévolution industrielle

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Jeremy Rifkin

La troisièmerévolution industrielle

Comment le pouvoir latéralva transformer l’énergie,l’économie et le monde

Traduit de l’anglaispar Françoise et Paul Chemla

Ouvrage traduit avec le concours du Centre national du livre.

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Titre original,The third industrial revolution

© Jeremy Rifkin, 2011© Les liens qui libèrent pour la traduction française, 2012.

ISBNþ: 978-2-918597-81-0

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La tâche prioritaire de l’Union européenne dans la premièremoitié du XXIeÞsiècle sera – pour citer Jeremy Rifkin – d’«Þouvrirla voie à la troisième révolution industrielleÞ». Réduire les émis-sions de CO2 n’est qu’une partie de la questionÞ; l’heure du pas-sage à une économie pauvre en carbone a sonné.

Ce n’est absolument pas de l’utopie, du futurismeÞ: dansvingt-cinq ans, nous pourrons construire chaque immeublepour qu’il soit sa propre «Þmini-centrale électriqueÞ»Þ: il pro-duira pour ses besoins une énergie propre et renouvelable, etl’excédent sera disponible à d’autres fins.

Ce sont les piliers de la «Þtroisième révolution industrielleÞ»que Jeremy Rifkin a si puissamment présentésÞ: recours accruaux énergies renouvelables, construction de bâtiments qui pro-duisent leur propre énergie et passage à l’utilisation de l’hydro-gène pour stocker l’énergie.

Il y va de l’avenir de l’Union européenne – et il ne faut pasnous laisser aller à donner au mot «ÞavenirÞ» le seul sens de «Þcequi viendra après nousÞ»Þ!

Nous ne devons pas manquer l’occasion de lancer la troi-

sième révolution industrielleÞ: elle nous offre une chance demettre l’économie européenne en position avancée et viable, etd’assurer ainsi durablement sa compétitivité.

Discours de Hans-Gert Pöttering,président du Parlement européen,

à la deuxième Agora citoyenne de l’Union européenne,12Þjuin 2008.

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Remerciements

Je voudrais remercier Nicholas Easley, qui dirige nos activi-tés mondiales, pour son magnifique travail de supervision desplans stratégiques de la troisième révolution industrielle et sesprécieuses contributions éditoriales à ce livre. J’aimerais aussiremercier Andrew Linowes, notre directeur des programmes,pour sa gestion rigoureuse de nos activités quotidiennes et sesnombreuses et précieuses contributions éditoriales à cetouvrage. Et je tiens à reconnaître l’apport de nos stagiairesFlore De Sloover, Alma Velazquez, Valbona Tika, Lauren Bush,Bart Provoost, Divya Susarla, Bobby Samuel, Brian Bauer,Petros Kusmu et Shawn Moorhead pour leur aide compétenteà la préparation du manuscrit.

Je voudrais remercier également mon éditrice, Emily Carle-ton, pour son enthousiasme et son attachement profond auprojet, ainsi que pour de nombreuses suggestions éditorialesqui ont contribué à donner au livre sa forme définitive. Merciaussi à mon agent, Larry Kirshbaum, pour ses suggestions édi-toriales dans la préparation du projet initial et pour avoir

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assuré la présence de cet ouvrage sur le marché mondial.Des remerciements spéciaux à Angelo Consoli, qui dirige

nos activités en Europe depuis neuf ans. Le sens politique etl’inlassable dévouement de M.ÞConsoli ont été cruciaux pourfaire de la vision de la troisième révolution industrielle uneréalité dans toute l’Europe.

Enfin, je voudrais remercier mon épouse, Carol Grunewald,pour ses bons conseils dans les vingt-deux dernières années.

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LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

Notre rêve commun de créer un monde plus viable pour cha-que être humain, ainsi que pour nos amis les animaux, a étél’inspiration qui a guidé notre parcours.

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Introduction

Washington, D.C.

Notre civilisation industrielle est à un carrefour. L’énergiefossile qui constitue l’étoffe même de son mode de vie est àbout de souffle, et les technologies qui en sont faites et qu’ellepropulse sont désuètes. Toute l’infrastructure industrielle fon-dée sur le pétrole et les autres énergies fossiles vieillit et sedélabre. Les résultats sont clairs. Le chômage monte à desniveaux dangereux dans le monde entier. États, entreprises etconsommateurs sont criblés de dettes. Les niveaux de vies’effondrent. Un nombre sans précédent d’êtres humains – unmilliard, près d’un septième de l’humanité – connaît la famine.

Ce n’est pas toutÞ: le changement climatique qu’a déclenchél’activité industrielle fondée sur les combustibles fossilesplane à l’horizon. Les scientifiques nous mettent en gardeÞ:nous sommes confrontés à un changement de la températureet de la constitution chimique de la planète potentiellementcataclysmique. Il menace de déstabiliser les écosystèmes dans

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le monde entier. À la fin du siècle, redoutent les experts, nousserons peut-être à la veille d’une extinction massive de formesde vie végétales et animales qui pourrait compromettre la sur-vie de notre propre espèce. Il devient de plus en plus clair qu’ilnous faut une nouvelle logique économique, capable de nousfaire entrer dans un futur plus équitable et plus durable.

Dans les années 1980, les preuves de ce qui se passaits’accumulaientÞ: la révolution industrielle propulsée par

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LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

l’énergie fossile parvenait au sommet de sa courbe et le chan-gement de climat induit par l’homme précipitait la planètedans une crise d’une ampleur inimaginable. Cela fait trenteans que je cherche un nouveau paradigme qui pourrait nousfaire entrer dans une ère postcarbone. Au cours de mes inves-tigations, j’ai fini par comprendre que les grandes révolutionséconomiques de l’histoire se produisent quand de nouvellestechnologies des communications convergent avec de nou-veaux systèmes d’énergie. L’énergie nouvelle permet decréer une activité économique plus interdépendante, deséchanges commerciaux plus larges, tout en facilitant des rela-tions sociales plus denses et davantage d’inclusion. La révolu-tion des communications qui l’accompagne donne les moyensd’organiser et de gérer la dynamique spatiale et temporelleinédite établie par le nouveau système énergétique.

Au milieu des années 1990, je me suis rendu compte qu’unenouvelle convergence des communications et de l’énergieétait en gestation. La technologie d’Internet et les énergiesrenouvelables étaient en voie de fusionner pour créer unepuissante infrastructure nouvelle, celle d’une troisième révo-lution industrielle (TRI) qui allait changer le monde. Dans l’èrequi vient, des centaines de millions de personnes produirontleur propre énergie verte à domicile, au bureau, à l’usine, et ilsla partageront entre eux sur un «ÞInternet de l’énergieÞ», exac-tement comme nous créons et partageons aujourd’huil’information en ligne. La démocratisation de l’énergies’accompagnera d’une restructuration fondamentale des rela-tions humaines, dont l’impact se fera sentir sur la conceptionmême des rapports économiques, du gouvernement de la

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société, de l’éducation des enfants et de la participation à lavie civique.

J’ai présenté cette vision, la troisième révolution indus-trielle, dans le cadre du «Þprogramme de managementavancéÞ» de la Wharton School, à l’université de Pennsylvanie,où j’enseigne depuis seize ans les nouvelles lignes de force dela science, de la technologie, de l’économie et de la société. Ceprogramme de cinq semaines initie des PDG et cadres supé-

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INTRODUCTION

rieurs du monde entier aux problèmes et défis émergents aux-quels ils feront face au XXIeÞsiècle. L’idée a vite fait son chemindans les entreprises, et elle est entrée dans le vocabulaire poli-tique des chefs d’État et de gouvernement de l’Union euro-péenne.

En l’an 2000, l’Union européenne mettait déjà en œuvreavec vigueur des politiques de forte réduction de son empreintecarbone et de transition vers une ère de durabilité économi-que. Les Européens élaboraient des objectifs et des repères,réinitialisaient les priorités de leur recherche-développement,mettaient en place des codes, des règles et des normes pourune nouvelle aventure économique. Quel contraste avecl’Amérique, qui se passionnait pour les derniers gadgets et«Þapplications qui tuentÞ» en provenance de la Silicon Valley etpour un marché immobilier en plein essor dynamisé par lecrédit subprimeÞ!

Peu d’Américains s’intéressaient aux tristes prévisions sur lepic du pétrole, aux sinistres mises en garde sur le changementclimatique et aux signes toujours plus nombreux qui indi-quaient qu’en profondeur notre économie allait mal.L’humeur générale était à la satisfaction, voire à l’autosatisfac-tion, ce qui confirmait à nouveau une conviction bien ancréeÞ:notre bonheur démontrait notre supériorité sur les autres peu-ples.

Me sentant un peu comme un étranger dans mon pays, j’aichoisi d’ignorer le sage conseil d’Horace Greeley à l’insatisfaitde 1850Þ: «ÞVa vers l’ouest, jeune homme, vers l’ouestÞ!Þ» J’aidécidé de voyager dans l’autre sens, de traverser l’océan vers

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la vieille Europe, où les idées nouvelles sur les perspectivesd’avenir de l’espèce humaine étaient prises au sérieux.

Je sais bien qu’en lisant cette phrase beaucoup de mes lec-teurs américains lèvent les yeux aux ciel et se disentÞ:«ÞN’importe quoiÞ! L’Europe tombe en ruine et vit dans lepassé. Tout le continent n’est qu’un immense musée. C’estpeut-être une belle destination de vacances mais ce n’est plusun rival sérieux sur la scène mondiale.Þ»

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LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

Je ne suis pas naïfÞ: les multiples problèmes, défauts etcontradictions de l’Europe ne m’échappent pas. Mais onpourrait tout aussi aisément rire avec mépris des États-Unis etd’autres États pour leurs nombreuses limites. Quant à nous lesAméricains, notons bien, avant de devenir trop imbus de notrepropre importance, que la plus grande économie du mondeest l’Union européenne et pas les États-Unis ni la Chine. Leproduit intérieur brut de ses vingt-sept États membresdépasse celui de nos cinquante États. Certes, l’Union euro-péenne n’a pas une importante présence militaire d’enverguremondiale, mais c’est une force redoutable sur la scène inter-nationale, et surtout c’est pratiquement la seule autoritépublique de la planète à se poser les grandes questions denotre viabilité future en tant qu’espèce sur la Terre.

Je suis donc parti vers l’est. Au cours des dix dernièresannées, j’ai passé plus de 40Þ% de mon temps dans l’Unioneuropéenne, parfois en retraversant l’Atlantique chaquesemaine, à œuvrer avec des gouvernements, des entreprises etdes organisations de la société civile pour promouvoir la troi-sième révolution industrielle.

En 2006, j’ai commencé à travailler avec les dirigeants duParlement européen à l’élaboration d’un plan de développe-ment économique de troisième révolution industrielle. Aprèsquoi, en maiÞ2007, le Parlement européen a voté une déclara-tion écrite officielle où il reprenait à son compte l’idée de troi-sième révolution industrielle pour en faire la visionéconomique à long terme et la feuille de route de l’Union. Latroisième révolution industrielle est à présent mise en œuvrepar les diverses institutions de la Commission européenne et

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des États membres.Un an plus tard, en octobreÞ2008, quelques semaines seule-

ment après l’effondrement économique planétaire, mes servi-ces ont organisé dans l’urgence à Washington une réunion dequatre-vingts PDG et hauts dirigeants des entreprises les plusimportantes du monde dans les énergies renouvelables, lebâtiment, l’architecture, l’immobilier, les technologies del’information, l’électricité, la distribution de l’eau et de l’éner-

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INTRODUCTION

gie, le transport et la logistique, pour discuter des moyens detransformer la crise en belle occasion d’avancer.

Les chefs d’entreprise et associations professionnelles ainsirassemblés ont admis que le chacun-pour-soi n’était plus demise, et ils ont décidé de créer un réseau de la troisième révo-lution industrielle qui pourrait coopérer avec les gouverne-ments, les PME et les organisations de la société civile en vuede faire passer l’économie mondiale à une ère distribuée post-carbone. Le groupe de développement économique – quicomprend Philips, Schneider Electric, IBM, Cisco Systems,Acciona, CH2M Hill, Arup, Adrian Smith +ÞGordon Gill Archi-tecture et Q-Cells, entre autres – est le plus grand de ce genredans le monde, et il travaille actuellement avec des autoritésmunicipales, régionales et nationales à l’élaboration de plansstratégiques pour transformer leurs économies en infrastruc-tures de troisième révolution industrielle.

La vision de la troisième révolution industrielle se répandvite en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Le 24Þmai 2011,j’ai présenté le plan économique de la TRI, avec ses cinqpiliers, dans un discours d’orientation à la réunion du cin-quantième anniversaire de l’Organisation de coopération et dedéveloppement économiques (OCDE) à Paris, à laquelle assis-taient des chefs d’États et ministres des trente-quatre paysmembres. Cet exposé accompagnait le lancement d’un planéconomique de l’OCDE pour une «Þcroissance verteÞ», qui ser-vira de référence pour commencer à préparer les pays dumonde à un avenir industriel postcarbone.

Ce livre est un compte rendu de l’intérieur, par un partici-pant, de la mise en œuvre de la vision et du modèle de

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développement économique de la troisième révolution indus-trielleÞ; il présente aussi les personnalités et les acteurs – chefsd’État, PDG, entrepreneurs sociaux et ONG – qui en sont lespionniers.

Au cours de l’élaboration du plan stratégique de l’Unioneuropéenne pour la troisième révolution industrielle, j’ai eu leprivilège de travailler avec nombre des principaux chefs d’Étatet de gouvernement européens, dont la chancelière allemande

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LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

Angela Merkel, le Premier ministre italien Romano Prodi et lePremier ministre espagnol José Luis Rodríguez Zapatero, ainsiqu’avec le président de la Commission européenne ManuelBarroso et cinq présidents du Conseil européen.

Avons-nous quelque chose à apprendre, nous Américains,de ce qui se passe en EuropeÞ? Je pense que oui. Nous devonscommencer par être vraiment attentifs à ce que disent et ten-tent de faire nos amis européens. Si insuffisants que soientleurs efforts, les Européens ont au moins le mérite de se colle-ter avec la réalité, avec l’agonie de l’ère de l’énergie fossile, etde commencer à mettre le cap sur un avenir vert. Malheureu-sement, les Américains restent majoritairement dans le déni.Ils ne veulent pas reconnaître que le système économique quinous a si bien servis autrefois vit à présent sous respirationartificielle. Comme l’Europe, nous devons l’admettre et payer.

Mais que pouvons-nous amener à la fêteÞ? Si l’Europeapporte un récit impressionnant, nul ne peut mieux raconterune histoire que l’Amérique. Madison Avenue, Hollywood et laSilicon Valley y excellent. C’est le vrai point fort de l’Améri-queÞ: moins l’inventivité industrielle ou les prouesses militai-res que notre étrange aptitude à donner une vision si claire etsi vivante de l’avenir que les gens croient être arrivés avantmême d’avoir quitté la gare. Quand les Américains «Þassimile-rontÞ» vraiment le nouveau récit de la troisième révolutionindustrielle, ils sauront mieux que personne aller vite pourmuer le rêve en réalité.

La troisième révolution industrielle est la dernière des gran-des révolutions industrielles et elle va poser les bases d’uneère coopérative émergente. La mise en place de son infrastruc-

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ture va créer pendant quarante ans des centaines de milliersd’entreprises nouvelles et des centaines de millions d’emploisnouveaux. Son achèvement marquera la fin d’une saga écono-mique de deux cents ans définie par la pensée industrieuse,les marchés et la main-d’œuvre de masse, et le début d’uneère nouvelle caractérisée par le comportement coopératif, lesréseaux sociaux et les petites unités de main-d’œuvre techni-que et spécialisée. Dans le demi-siècle qui vient, les activités

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INTRODUCTION

centralisées traditionnelles des entreprises des première etdeuxième révolutions industrielles seront progressivementabsorbées par les pratiques distribuées de la troisièmeÞ; etl’organisation hiérarchique traditionnelle du pouvoir politiqueet économique cédera la place au pouvoir latéral, qui étendrasa structure nodale à travers toute la société.

À première vue, l’idée de pouvoir latéral paraît en soicontradictoire, au regard de l’essentiel de notre expériencehistorique des rapports de pouvoir. Traditionnellement, lepouvoir s’organise verticalementÞ: c’est une pyramide. Maisaujourd’hui, l’énergie coopérative libérée par la conjonctionde la technologie d’Internet et des énergies renouvelables res-tructure fondamentalement les relations humainesÞ: elles nevont plus de haut en bas mais côte à côte, et les conséquencessont immenses pour l’avenir de la société.

Quand nous approcherons du milieu du siècle, l’activitééconomique sera de plus en plus supervisée par des substitutstechnologiques intelligents, ce qui permettra à une grandepartie de l’humanité, libérée de ces tâches, de créer du capitalsocial dans une société civile à but non lucratif qui deviendrale secteur dominant dans la seconde moitié du siècle. L’acti-vité économique restera essentielle à la survie, mais elle nesuffira plus à définir les aspirations humaines. Si, dans le pro-chain demi-siècle, nous réussissons à satisfaire les besoinsphysiques de notre espèce – un grand si –, les préoccupationstranscendantes deviendront probablement une force motricetoujours plus importante de la période suivante de l’histoirede l’humanité.

Dans les pages qui suivent, nous allons explorer les caracté-

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ristiques internes et les principes opératoires de l’infrastruc-ture et de l’économie de la troisième révolution industrielleÞ;tracer sa trajectoire probable dans les trois prochaines décen-niesÞ; repérer, enfin, ce qui peut entraver ou faciliter sa miseen œuvre dans les localités et les pays du monde entier.

La troisième révolution industrielle nous donne l’espoird’entrer dans une ère postcarbone durable au milieu du siècle,et de conjurer ainsi la catastrophe climatique. Nous avons la

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LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

science, la technologie et le plan d’action pour le faire. Il nereste qu’une seule questionÞ: saurons-nous voir les possibilitéséconomiques que nous réserve cet avenir et mobiliser lavolonté nécessaire pour y arriver à tempsÞ?

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PREMIÈRE PARTIE

La troisième révolution industrielle

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La vraie crise économiqueque personne n’a vue

Il était dix-sept heures, et je courais sur mon tapis roulant,n’écoutant que d’une oreille les premières informations de latélévision par câble, lorsque j’ai entendu un journaliste parleravec excitation d’un nouveau mouvement politique qui s’étaitbaptisé le «ÞTea PartyÞ». Je suis descendu de la machine, pastrès sûr d’avoir bien entendu. L’écran était envahi par desAméricains d’âge moyen en colère, qui agitaient des drapeauxjaunes où on lisait «ÞNe me marchez pas dessusÞ», avec l’imaged’un serpent lové. D’autres avançaient vers la caméra des pan-cartesÞ: «ÞPas de taxation sans représentationÞ!Þ» «ÞFermez lesfrontièresÞ!Þ» «ÞLe changement climatique est une arnaqueÞ!Þ» Àpeine audible par-dessus les slogans, le journaliste parlait demouvement spontané venu d’en bas, qui se répandait commeun feu de brousse dans toute l’Amérique profonde, et dont lacible était le big government à Washington et les politiciens decarrière libéraux qui ne pensaient qu’à s’enrichir aux dépensde leurs électeurs. Je n’arrivais pas à croire à ce que je voyais

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et entendais. J’avais l’impression d’assister à une inversionperverse de quelque chose que j’avais moi-même organiséprès de quarante ans plus tôt. Était-ce une cruelle plaisanteriecosmiqueÞ?

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LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

L’«ÞOil PartyÞ» de Boston (1973)

16Þdécembre 1973. La neige avait commencé à tomber justeaprès le lever du soleil. Je sentais le vent glacé sur mon visageen approchant de Faneuil Hall, la salle de réunion du centre deBoston où, en d’autres temps, des boute-feu et des radicauxcomme Sam Adams et Joseph Warren fustigeaient la politiquecoloniale du roi GeorgeÞIII et des compagnies qui le représen-taient – dont la Compagnie britannique des Indes orientalesétait la plus notoire et la plus détestée.

La ville vivait cloîtrée depuis des semaines. La circulation,généralement massive et souvent embouteillée dans le centre,était clairsemée depuis plusieurs jours, essentiellement parceque beaucoup de stations d’essence étaient à sec. Les raresstations-service qui distribuaient encore du carburant avaientde très longues queuesÞ: les automobilistes attendaient uneheure ou davantage pour faire le plein. Mais ceux qui avaientcette chance étaient choqués par les prix qu’on leur demandaità la pompe. Ils avaient doublé en quelques semaines, créant unclimat proche de l’hystérie dans un pays qui était jusque-là lepremier producteur de pétrole du monde.

La réaction de l’opinion était compréhensible, puisquec’était cela qui avait catapulté les États-Unis au sommet et faitd’eux la principale superpuissance du XXeÞsiècleÞ: leurs abon-dantes réserves pétrolières et leur astucieuse aptitude à pro-duire en série des voitures à prix abordable pour un peuplenomade et toujours en mouvement.

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Ce traumatisme pour l’orgueil national avait frappé sanspréavis. À peine deux mois plus tôt, l’Organisation des paysexportateurs de pétrole (OPEP) avait décrété un embargopétrolier contre les États-Unis, en représailles après la décisionde Washington de rééquiper le gouvernement israélien enmatériel militaire pendant la guerre du Kippour. Le «ÞchocpétrolierÞ» avait vite été ressenti dans le monde entier. Endécembre, le cours du brut sur le marché mondial était passé

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LA VRAIE CRISE ÉCONOMIQUE QUE PERSONNE N’A VUE

de 3Þdollars à 11,65Þdollars le baril1. Ce fut la panique à WallStreet et dans l’Amérique profonde.

Le premier signe, et le plus évident, de la nouvelle réalité setrouvait à la station-service du quartier. Beaucoup d’Améri-cains pensaient que les compagnies pétrolières géantes profi-taient de la situation pour augmenter arbitrairement les prix etempocher ainsi l’aubaine de profits injustifiés. À Boston etdans tout le pays, l’humeur des automobilistes tournait vite àl’aigre. Telle était la toile de fond de l’épisode tumultueux quiallait se produire sur les quais de Boston le 16Þdécembre 1973.

C’était le 200eÞanniversaire de la célèbre «ÞTea PartyÞ» deBoston, l’événement inaugural qui avait galvanisé le ressenti-ment populaire contre la couronne britannique. Furieuxcontre l’entrée en vigueur d’une nouvelle taxe sur le thé etd’autres produits exportés par la mère-patrie dans les coloniesaméricaines, Sam Adams avait poussé à l’action une bande demécontents, dont certains avaient jeté à l’eau une cargaisonde thé dans le port de Boston. «ÞPas de taxation sans représen-tationÞ»Þ: la formule était vite devenue le cri de ralliement de larévolution. Ce premier défi public lancé à la domination bri-tannique allait déclencher une série de réactions et contre-réactions de la monarchie et de ses jeunes «ÞTreize ColoniesÞ»,qui allait se terminer par la Déclaration d’indépendance de1776 et la guerre révolutionnaire.

Dans les semaines précédant cet anniversaire, une énormevague de colère montait contre les géants du pétrole. Beau-coup d’Américains étaient furieux contre des hausses qu’ilsjugeaient exorbitantes, injustifiées, opérées par des compa-gnies mondialisées sans scrupule qui menaçaient ce que la

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population considérait désormais comme un droit fondamen-tal, aussi vénéré que la liberté d’expression, la liberté de lapresse et la liberté de réunionÞ: le droit au pétrole bon marchéet à l’auto-mobilité.

J’avais vingt-huit ans à l’époque – j’étais un jeune militantformé dans la lutte contre la guerre du Vietnam et le mouve-ment des droits civils des années 1960. Un an plus tôt, j’avaislancé une organisation nationale, la «ÞCommission populaire

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LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

du bicentenaireÞ»Þ: j’espérais qu’elle ferait office d’alternativeradicale à la «ÞCommission américaine du bicentenaireÞ»,l’organisme officiel créé par l’administration Nixon pour com-mémorer les divers événements historiques qui allaient conduireau 200eÞanniversaire de la signature de la Déclaration d’indé-pendance de 1776.

Si j’avais conçu l’idée de cette contre-commémoration, c’esten partie par insatisfaction croissante face à mes amis de lanouvelle gauche. Ayant grandi dans un quartier ouvrier aucœur du south side de Chicago – peuplé d’artisans et de méca-niciens, de policiers, de pompiers et de familles qui tra-vaillaient dans les entrepôts de la ville, les ateliers des cheminsde fer et les usines sidérurgiques voisines –, j’avais le patrio-tisme dans le sang. Un visiteur ne pouvait que remarquer lesdrapeaux américains flottant sur des porches dans tout lequartier. C’était tous les jours le «ÞJour du drapeau*Þ».

Élevé dans le rêve américain, j’avais acquis une profondeestime pour les sentiments révolutionnaires de nos pères fon-dateurs – Thomas Jefferson, Benjamin Franklin, Thomas Paine,George Washington –, le petit groupe de penseurs révolution-naires qui avaient risqué leur vie pour les droits humains ina-liénablesÞ: la vie, la liberté et la recherche du bonheur.

Beaucoup de mes amis de la nouvelle gauche venaient d’unmilieu plus privilégiéÞ: ils avaient grandi dans les enclavespavillonnaires des banlieues aisées. S’ils étaient authentique-ment engagés dans le combat pour la justice sociale, l’égalité etla paix, ils cherchaient de plus en plus leur inspiration dansd’autres luttes révolutionnaires à l’étranger, et notamment

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les luttes anticoloniales de l’après-guerre. Je me souviensd’innombrables rassemblements politiques où l’on faisaitappel aux pensées de Mao, d’Ho Chi Minh et de Che Guevarapour nous guider et stimuler notre action désintéressée. Toutcela était étrange pour moi, puisqu’on m’avait élevé dans l’idée

* Cette fête a lieu le 14Þjuin, pour commémorer l’adoption du drapeaudes États-Unis [Note des traducteurs].

Page 26: La troisième révolution industrielle · réinitialisaient les priorités de leur recherche-développement, mettaient en place des codes, des règles et des normes pour une nouvelle

LA VRAIE CRISE ÉCONOMIQUE QUE PERSONNE N’A VUE

que nos révolutionnaires américains, bien de chez nous,étaient les inspirateurs de toutes les autres luttes anticolonialesdepuis deux siècles.

La commémoration du bicentenaire de l’Indépendanceaméricaine offrait à la jeune génération une occasion uniquede reprendre contact avec la promesse révolutionnaire del’Amérique – d’autant plus que les cérémonies officielles pré-vues par la Maison-Blanche, supervisées par le président Nixonet par une légion de commerciaux, semblaient s’ancrer davan-tage dans les atours monarchiques du privilège aristocratiqueque dans un sentiment de justice économique et sociale plusen harmonie avec ces héros américains de la première heurequ’on était censé célébrer.

Notre plan était de transformer l’anniversaire de la «ÞTeaPartyÞ» de Boston en manifestation contre les compagniespétrolières. Nous ne savions trop si des gens allaient descen-dre dans la rue et se joindre à nous. Après tout, il n’y avaitjamais eu de protestation contre les Majors, donc nous n’avi-ons aucun moyen de prédire les réactions. Je redoutais unnombre de manifestants ridiculement faible, et mes craintesavaient grandi quand la neige avait commencé à tomber.Dans les années 1960, nous prévoyions toujours les manifes-tations anti-guerre au printempsÞ: nous étions alors plus sus-ceptibles d’attirer les foules. En fait, aucun des militantschevronnés qui préparaient l’événement ne pouvait se souve-nir d’une seule manifestation de masse organisée au plus fortde l’hiver.

Quand je suis arrivé au coin de la rue avant Faneuil Hall, j’aiété ébahi. Il y avait des milliers de personnes dans les rues qui

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conduisaient au bâtiment. Ils portaient pancartes et bandero-lesÞ: «ÞFaites payer les compagnies pétrolièresÞ!Þ», «ÞÀ bas lesMajorsÞ!Þ», «ÞVive la Révolution américaineÞ!Þ» La salle étaitnoire de monde, on scandaitÞ: «ÞImpeach Exxon*Þ!Þ»

* Par allusion au slogan «ÞImpeach NixonÞ!Þ» C’était aussi la période duWatergate, et la procédure de destitution du président – l’impeachment –sera effectivement lancée quelques mois plus tard [NdT].