La star de «La vie secrète des arbres» revient nous toucher · les arbres et font même baisser...

8

Transcript of La star de «La vie secrète des arbres» revient nous toucher · les arbres et font même baisser...

Page 1: La star de «La vie secrète des arbres» revient nous toucher · les arbres et font même baisser notre pression artérielle. On peut le mesurer même si on ne s’explique pas encore

La star

de «La vie

secrète des

arbres» revient

nous toucher

NATURE Le célèbre pro

tecteur des forêts Peter

Wohlleben publie un nou

vel opus. Après des mois

de confinement, il nous

invite, dans «L’homme et

la nature», à découvrir

comment les arbres nous

font du bien.

Page 2: La star de «La vie secrète des arbres» revient nous toucher · les arbres et font même baisser notre pression artérielle. On peut le mesurer même si on ne s’explique pas encore

Sexualité Une nouvelle étude paraît quimontre l’influence d’internet sur les jeunes 18Genève La Suisse offre une fresqueéphémère de Saype à l’ONU 19People Kristen Stewart sera la nouvelleprincesse des coeurs 21

mil

est là«La vraiedehors!»

Marcus Simaitis/Laif

Page 3: La star de «La vie secrète des arbres» revient nous toucher · les arbres et font même baisser notre pression artérielle. On peut le mesurer même si on ne s’explique pas encore

• Le plus célèbre gardeforestier d’Europe PeterWohlleben publie un nouvel

appel. Et nous inviteà redécouvrirles forêts

aux portes de nos villes,si généreuses

et indispensables.

VIRGINIE LENK

Peter Wohlleben est un conteur passion

né. Le prof de géo qu’on aurait tous voulu

avoir. Sous ses mots, les arbres de

viennent les géants de Tolkien, colosses

aux racines d’argile. Son nouveau livre,

«L’homme et la nature», est une véritablebouffée d’air après des mois de confine

ment.

Monsieur Wohlleben, quand était votredernière sortie en forêt?

J’en reviens! Je viens de la traverser à vélo

pour rejoindre l’Académie de la forêt que

nous avons fondée dans la région de l’Ei-

fel, où nous organisons des séminaires et

des randonnées. La forêt, j’y suis tous les

jours.

Durant cette longue période

de confinement, notre regardsur la forêt a-t-il changé?

Certainement. D’une part, parce que dans

les pays où on a pu se balader, comme en

Suisse ou en Allemagne, elle est devenuepour nous une sorte de soupape contre le

stress des mauvaises nouvelles quoti

diennes, un paradis épargné par la pandé

mie. D’autre part, nous avons pris davantage conscience du changement clima

tique, dont les effets seront bien pires que

ceux du Covid-19.

Parce qu’on entendait à nouveau les oi

seaux chanter dans les grandes villes?

Oui. En Grande-Bretagne, des chèvressauvages traversaient les villages! Les pre

mières observations des balises GPS de

certains animaux montrent que leur com

portement en matière de déplacement

s’est très vite adapté. On pense souvent

que la ville et la nature s’opposent. En re

vanche, dès que la circulation est réduite

en ville, les animaux reviennent, sans

crainte des humains.

Nos villes, justement, deviennent

toujours plus vertes. Effet de mode?Je pense que cette tendance est faite pour

durer et c’est capital pour notre santé. À

Toronto, les habitants des quartiers oùpoussent plus d’arbres ont une espérance

de vie plus longue. De même qu’il estprouvé scientifiquement que dans les hô

pitaux, les malades qui voient des arbresdepuis leur chambre ont besoin de moins

d’antidouleurs. Les arbres sont aussid’excellents régulateurs thermiques en

été. Un seul spécimen adulte peut trans

pirer jusqu’à 500 litres d’eau par jour. Desstratégies pour limiter la circulation en

ville se développent un peu partout. Savez-vous que la circulation «dévore» 40%de la surface habitable de nos grandes

villes, et même 60% aux États-Unis! Sinous parvenions à faire sortir les voitures

de l’espace urbain, nous pourrions créer

davantage de logements, mais aussi ->

Page 4: La star de «La vie secrète des arbres» revient nous toucher · les arbres et font même baisser notre pression artérielle. On peut le mesurer même si on ne s’explique pas encore

-* des parcs et jardins, pour le bien-être

de tous.

Abattre un arbre en ville soulève de nos

jours un tollé général. N’est-ce pas un peuexagéré en regard de ce que nous faisons

subir par ailleurs à l’environnement?

Nous sommes plus attachés à ce qui est

proche de nous. Nous avons plus d’empathie pour le vieux chêne en bas de notre

immeuble que pour l’épicéa d’une forêt

cultivée qui finira en bois de chauffage.

Aujourd’hui, les citadins se battent pour

chaque arbre de leur ville, les arrosent, en

prennent soin, et je trouve cela très ré

jouissant. Certains prendront aussiconscience qu’il faut sauver les forêts

alentour.

Dans votre dernier livre, «L’homme et la

nature», vous expliquez que nos sens ne

sont pas si éloignés de ceux des animaux.

Pourrions-nous vivre dans la forêt?

Je me suis amusé à calculer une fois à

combien nous pourrions vivre en Alle

magne, si nous retournions dans la forêt

comme nos ancêtres, et que nous nous en

nourrissions. Nous serions au maximum

50’000. Cela dit, nous sommes capables,

en apprenant à développer nos sens, de

vivre dans les bois.

Pourtant nous avons peur la nuit dans la

forêt...

C’est vrai, moi non plus je ne me sens pas à

l’aise la nuit dans mes bois, ce qui paraît

bizarre pour un garde forestier (rires).

C’est normal, notre sens de la vue est limi

té. Beaucoup d’entre nous ont peur de

camper, s’imaginent que les sangliers vont

débouler sous la tente. C’est absurde, car

ces animaux sont très craintifs.

Vous tordez le cou à d’autres idées reçues.

Oui, l’échinococcose par exemple. Vousavez plus de chances d’attraper ce parasite

du renard au contact de vos animaux do

mestiques non vermifugés qu’en man

geant des baies des bois. Ce sont des lé

gendes urbaines. Nous n’avons presque

plus de loups, pas de serpents au venin

mortel. À mon avis, le seul animal dange

reux de nos forêts est la tique, en raison de

la borréliose et de la maladie de Lyme.

À l’opposé, la forêt nous soigne,

dites-vous.

J’étais moi-même très sceptique, au dé

part, quant aux bienfaits de ces bains deforêt qui sont la dernière tendance au Ja

pon. On sait aujourd’hui que les résineux

sécrètent des phytoncides, des antibiotiques végétaux pour se protéger des

champignons. Lorsque nous les inhalons

lors d’une balade en forêt, ils ont lemême effet anti-inflammatoire que surles arbres et font même baisser notre

pression artérielle. On peut le mesurermême si on ne s’explique pas encore

complètement le phénomène. D’ailleurs,la très sérieuse Université Louis-et-Maximilien de Munich forme au

jourd’hui des thérapeutes spécialistes de

la santé de la forêt.

Vous démontrez cependant qu’enlacer

un tronc d’arbre n’apporte pas de réaction

physique ou chimique. Quelle déception

pour les plus ésotériques d’entre nous...

C’est vrai. Les arbres ne nous renvoient

pas de message. S’ils avaient un moyen de

communiquer avec nous, ce qui n’est pas

prouvé, ce serait à une échelle de temps

extrêmement lente. Mais si cela vous rend

heureux de les enlacer, comme de cares

ser la peau dure d’un éléphant, alors

faites-le! La forêt est bonne pour nous,mais il faut se débarrasser de nos

contraintes.

C’est-à-dire?

Prendre son temps. Trop souvent nouspartons dans la forêt avec l’idée que cela

durera tant d’heures, qu’on fera tant de kilomètres et qu’il y aura une buvette au

bout. Je n’ai rien contre la récompense,

mais il faut savoir faire des pauses. Pourquoi ne pas passer la journée entière à flâ

ner dans un petit rayon? Lorsque nous

rentrons, nos amis nous demandent invariablement combien de kilomètres nous

avons parcourus, combien de dénivelé,

etc. Personne ne veut connaître lesplantes ou les animaux que nous avons

vus, les odeurs que nous avons respirées.

Inspirons-nous de nos enfants. On dit

d’eux qu’ils traînent des pieds en balade.

Au contraire, ils retournent les cailloux

dans les rivières, ils découvrent la nature à

leur rythme.

Page 5: La star de «La vie secrète des arbres» revient nous toucher · les arbres et font même baisser notre pression artérielle. On peut le mesurer même si on ne s’explique pas encore

Certains qualifient ce retour à la forêt

d’escapisme.

Je pense au contraire que beaucoup

d’entre nous s’imaginent que la vraie vie

est celle de notre bureau, notre salon,notre télévision et notre plateforme de

streaming. Alors que la vraie vie est là, dehors! Nous fonctionnons comme il y a

300’000 ans et nos sens ne sont pas utili

sés pleinement dans nos appartements.Cela leur fait du bien d’être parfois réelle

ment sollicités. La pandémie nous a rappelé à quel point nous sommes liés à la na

ture. Cet organisme minuscule qui a mis àterre l’économie mondiale n’est qu’un par

mi d’autres qui grouillent dans nos forêts.

La Sibérie connaît des feux sans

précédent. Cet hiver, c’était l’Australie.Certains disent pourtant que

les incendies ont toujours existé.

Ces incendies n’ont pas de causes natu

relles. Nos forêts de feuillus ne brûlent pas

spontanément. Ils sont le résultat du déboisement et de l’utilisation que l’homme

fait des sols. La température dans les plantations d’arbres grimpe en été jusqu’à huit

degrés de plus que dans une vieille forêt

naturelle. Cela entraîne une sécheresse et

un danger d’incendie.

Faut-il mieux protéger la forêt?

C’est une évidence. Nous demandons au

Brésil de protéger l’Amazonie, à l’Indoné

sie de sauver Bornéo, mais moins de 3% de

la forêt allemande est sauvegardée. Cesont des régions qui ne sont pas exploi

tables autrement. La Suisse protège ses

montagnes, et c’est très bien. Ne pourrait-elle pas faire de même pour une partie de

ses forêts de plaine? En Allemagne, il faudrait des parcs nationaux dans les régions

de l’Elbe ou du Rhin, mais la population

n’en veut pas.

En raison du lobbyisme de l’industrie

dubois?

Exactement. L’industrie du bois nous explique que si nous n’exploitons pas nos fo

rêts, il faudra importer le bois d’ailleurs.

Cependant, en prétendant qu’une bonne

forêt est une forêt exploitée, nous don

nons un mauvais exemple à d’autres pays.La Roumanie fait de gros efforts pour

maintenir ses forêts primaires, mais lesgens là-bas commencent à se demander

pourquoi ils devraient le faire, si les pays

les plus riches de l’Europe ne le font pas.

Existe-t-il encore des forêts primaires

en Europe?

Au sens strict du terme, il n’y en a plus en

Europe de l’Ouest et du centre. On en

trouve en Roumanie et en Suède. En com

paraison, plus de 70% de l’Amazonie est

encore une forêt primaire. Personnelle

ment, je milite pour une protection de

20% des forêts européennes, même si

elles ne sont plus d’origine.

Vous vous en prenez au chauffage au bois,

vanté pour être neutre en CO2.

Il n’y a rien de plus faux. En 2018,800scientifiques ont demandé à l’Union euro

péenne d’arrêter d’urgence la promotion

du chauffage au bois, qui est pire que le

charbon pour le climat. L’argument que

pour chaque arbre abattu, un nouvel arbreest planté et absorbe le CO 2

est fallacieux.L’arbre que l’on n’aurait pas abattu conti

nuerait à absorber du carbone, et en plus

grande quantité car il est plus vieux. Je défends une taxe CO 2

sur le bois, qui serait

facile à appliquer. Les gardes forestiers qui

couperaient du bois seraient taxés, alorsque ceux qui stockeraient du carbone

Page 6: La star de «La vie secrète des arbres» revient nous toucher · les arbres et font même baisser notre pression artérielle. On peut le mesurer même si on ne s’explique pas encore

©«Nousavons plusd’empathiepour le vieuxchêne en basde notreimmeubleque pourl’épicéad’une forêtcultivée quifinira en boisde chauffage»

Peter Wohlleben

dans leurs forêts seraient récompensés

pour leurs efforts.

Êtes-vous optimiste quant à l’avenir de

nos forêts?

Oui, car je vois notre jeunesse, cette «gé

nération smartphone», comme certains la

critiquent, descendre dans la rue pour lut

ter contre le réchauffement climatique.

L’industrie met du temps à bouger, mais

elle suivra. En réduisant notre consomma

tion de viande par exemple, on pourrait

augmenter les surfaces des forêts, baisser

à moyen terme la température et augmen

ter les précipitations. Aujourd’hui, descollégiens secouent la politique et c’est

encourageant pour notre planète.

«L’homme

et la nature»,

de Peter Wohlleben,

Éditions Les Arènes,

288 p.

Le livre qui a fait d’un simple forestier une star

Best-seller mondial, traduit en 43 langues et

vendu à plus d’un mil

lion d’exemplaires,adapté en documen

taire, «La vie secrète desarbres» a fait de son au

teur une vedette bien

au-delà de l’Allemagne.

Pourtant, cet ingénieur forestier com

mence sa carrière comme tant d’autres, enpulvérisant des insecticides et en abattant

des arbres centenaires. Mais un jour, son

regard change, il s’intéresse à d’autres mo

dèles de sylviculture. Après des années de

bras de fer avec sa hiérarchie, Peter Wohlleben démissionne et se fait engager par la

commune de Hümmel, dans la région alle

mande de l’Eifel, acquise à ses idées. Il in

troduit des chevaux pour débarder, éli

mine les insecticides et laisse pousser les

bois de manière sauvage. En deux ans, laforêt qui enregistrait des pertes est deve

nue rentable. Acclamé par le public, divi

sant le monde scientifique, «La vie secrètedes arbres» bouleverse notre regard sur les

forêts, que son auteur compare à des com

munautés humaines. Les parents vivent

avec leurs enfants et les aident à grandir.

Les arbres ressentent la douleur, répondent

aux dangers. Le système radiculaire, sem

blable à un réseau internet végétal, leurpermet de partager des nutriments avec les

arbres malades, mais aussi de communi

quer entre eux. Conte naturaliste, révéla

teur de notre besoin de retour à la nature,

l’ouvrage rappelle surtout, alors que notre

planète se réchauffe, que seule une «forêtheureuse» peut jouer pleinement son rôle

dans la régulation du climat.

Page 7: La star de «La vie secrète des arbres» revient nous toucher · les arbres et font même baisser notre pression artérielle. On peut le mesurer même si on ne s’explique pas encore

«Pendant le confinement, dans les pays où l’on a pu se balader, la forêt est devenue une sorte de soupape contre

le stress des mauvaises nouvelles quotidiennes, un paradis épargné par la pandémie.» Marcus Simaitis/Laif

Page 8: La star de «La vie secrète des arbres» revient nous toucher · les arbres et font même baisser notre pression artérielle. On peut le mesurer même si on ne s’explique pas encore

Brésil, Indonésie, Bolivie, la déforestation de la planète s’accélère

Plantation d’eucalyptus en Amazonie ravagée par les

incendies. Gabriela Bilo/AFP

La taille de la Suisse ou

presque. 38’000 km de forêtsprimaires ont disparu Tannée

passée, selon les données del’Université de Maryland publiées par l’ONG Global Forest

Watch. 2019 devient ainsi latroisième année la plus dévastatrice pour les forêts primaires

en deux décennies, avec l’équivalent d’un terrain de footballqui part en fumée toutes les six

secondes.La superficie totale de forêtstropicales détruites par le feu etles bulldozers à travers lemonde a été en fait trois fois

plus importante, 11,9 millionsd’hectares. Les forêts primairessont particulièrement pré

cieuses. Elles abritent une trèsgrande diversité des espècesprésentes sur terre et stockentd’énormes quantités de CO2 ,qui contribue au réchauffe

ment climatique une fois libéré.En tête, le Brésil représenteplus d’un tiers de ces pertes,suivi par la République démocratique du Congo et l’Indoné

sie. Année sombre en Bolivieaussi, où la perte de contrôledes feux de défrichage a mené àune destruction sans précédent

des forêts. De nombreux nouveaux «points chauds» sont ap

parus, comme dans l’État de

Para au Brésil, à la suite desconfiscations de terres dans des

réserves indigènes. Ces derniers pourraient être cette année encore plus sévèrement

touchés, comme une desconséquences de la pandémie

du Covid-19. La mise en application déjà très faible des pouvoirs des populations quivivent des forêts tropicales estremise en cause par le besoinurgent de relancer l’économie

mondiale.