LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

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LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR COMÉDIE MARIVAUX 1728 Publié par Gwénola, Ernest et Paul Fièvre, Octobre 2015 - 1 -

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LA SECONDESUPRISE DE

L'AMOURCOMÉDIE

MARIVAUX

1728

Publié par Gwénola, Ernest et Paul Fièvre, Octobre 2015

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LA SECONDESUPRISE DE

L'AMOURCOMÉDIE

par Monsieur de MARIVAUXÀ Paris, chez Pierre Prault, quai de Grèves, au Paradis.

M. DCC. XXVIII. avec approbation et privilège du Roi.

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À son Altesse sérénissime Madame laDuchesse du Maine.

Madame,

Je ne m'attendais pas que mes ouvrages dussent jamais me procurer

l'honneur infini d'en dédier un à Votre Altesse Sérénissime. Rien de

tout ce que j'étais capable de faire ne m'aurait paru digne de cette

fortune-là. Quelle proportion, aurais-je dit, de mes faibles talents et

de ceux qu'il faudrait pour amuser la délicatesse d'esprit de cette

Princesse ! Je pense encore de même ; et cependant, aujourd'hui,

vous me permettez de vous faire un hommage de la Surprise de

l'amour. On a même vu Votre Altesse Sérénissime s'y plaire, et en

applaudir les représentations. Je ne saurais me refuser de le dire aux

lecteurs, et je puis effectivement en tirer vanité ; mais elle doit être

modeste, et voici pourquoi : les esprits aussi supérieurs que le vôtre,

Madame, n'exigent pas dans un ouvrage toute l'excellence qu'ils y

pourraient souhaiter ; puis indulgents que les demi-esprits, ce n'est

pas au poids de tout leur goût qu'ils le pèsent pour l'estimer. Ils

composent, pour ainsi dire, avec un auteur ; ils observent avec

finesse ce qu'il est capable de faire, eu égard à ses forces ; et s'il le

fait, ils sont contents, parce qu'il a été aussi loin qu'il pouvait aller ;

et voilà positivement le cas où se trouve la Surprise de l'amour.

Madame, Votre Altesse Sérénissime a jugé qu'elle avait à peu près le

degré de bonté que je pouvais lui donner, et cela vous a suffi pour

l'approuver, car autrement comment m'auriez-vous fait grâce ? Ne

sait-on pas dans le monde toute l'étendue de vos lumières ? Combien

d'habiles auteurs ne doivent-ils pas la beauté de leurs ouvrages à la

sûreté de votre critique ! La finesse de votre goût n'a pas moins servi

les lettres que votre protection a encouragé ceux qui les ont cultivées

; et ce que je dis là, Madame, ce n'est ni l'auguste naissance de Votre

Altesse Sérénissime, ni le rang qu'Elle tient qui me le dicte, c'est le

public qui me l'apprend, et le public ne surfait point. Pour moi, il ne

me reste là-dessus qu'une réflexion à faire ; c'est qu'il est bien doux,

quand on dédie un livre à une Princesse, et qu'on aime la vérité, de

trouver en Elle autant de qualités réelles que la flatterie oserait en

feindre.

Je suis, avec un très profond respect, Madame, de Votre Altesse

Sérénissime, le très humble et très obéissant serviteur,

DE MARIVAUX.

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ACTEURS

LA MARQUISE, veuve.LE CHEVALIER.LE COMTE.LISETTE, suivante de la Marquise.LUBIN, valet du Chevalier.Monsieur HORTENSIUS, pédant.

[La localisation de l'action n'est pas indiquée.]

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ACTE I

SCÈNE PREMIÈRE.La Marquise, Lisette.

La Marquise, entre tristement sur la scène ; Lisette la suit sansqu'elle le sache.

LA MARQUISE, s'arrêtant et soupirant.Ah !

LISETTE, derrière elle.Ah !

LA MARQUISE.Qu'est-ce que j'entends là ? Ah ! C'est vous ?

LISETTE.Oui, Madame.

LA MARQUISE.De quoi soupirez-vous ?

LISETTE.Moi ? De rien : vous soupirez, je prends cela pour uneparole, et je vous réponds de même.

LA MARQUISE.Fort bien ; mais qui est-ce qui vous a dit de me suivre ?

LISETTE.Qui me l'a dit, Madame ? Vous m'appelez, je viens ; vousmarchez, je vous suis : j'attends le reste.

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LA MARQUISE.Je vous ai appelée, moi ?

LISETTE.Oui, Madame.

LA MARQUISE.Allez, vous rêvez ; retournez-vous-en, je n'ai pas besoinde vous.

LISETTE.Retournez-vous-en ! Les personnes affligées ne doiventpoint rester seules, Madame.

LA MARQUISE.Ce sont mes affaires ; laissez-moi.

LISETTE.Cela ne fait qu'augmenter leur tristesse.

LA MARQUISE.Ma tristesse me plaît.

LISETTE.Et c'est à ceux qui vous aiment à vous secourir dans cetétat-là ; je ne veux pas vous laisser mourir de chagrin.

LA MARQUISE.Ah ! Voyons donc où cela ira.

LISETTE.Pardi ! Il faut bien se servir de sa raison dans la vie, et nepas quereller les gens qui sont attachés à nous.

LA MARQUISE.Il est vrai que votre zèle est fort bien entendu ; pourm'empêcher d'être triste, il me met en colère.

LISETTE.Eh bien, cela distrait toujours un peu : il vaut mieuxquereller que soupirer.

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LA MARQUISE.Eh ! Laissez-moi, je dois soupirer toute ma vie.

LISETTE.Vous devez, dites-vous ? Oh ! Vous ne payerez jamaiscette dette-là ; vous êtes trop jeune, elle ne saurait êtresérieuse.

LA MARQUISE.Eh ! Ce que je dis là n'est que trop vrai : il n'y a plus deconsolation pour moi, il n'y en a plus ; après deux ans del'amour le plus tendre, épouser ce que l'on aime ; ce qu'ily avait de plus aimable au monde, l'épouser, et le perdreun mois après !

LISETTE.Un mois ! C'est toujours autant de pris. Je connais unedame qui n'a gardé son mari que deux jours ; c'est celaqui est piquant.

LA MARQUISE.J'ai tout perdu, vous dis-je.

LISETTE.Tout perdu ! Vous me faites trembler : est-ce que tous leshommes sont morts ?

LA MARQUISE.Eh ! Que m'importe qu'il reste des hommes ?

LISETTE.Ah ! Madame, que dites-vous là ? Que le ciel lesconserve ! Ne méprisons jamais nos ressources.

LA MARQUISE.Mes ressources ! À moi, qui ne veux plus m'occuper quede ma douleur ! Moi, qui ne vis presque plus que par uneffort de raison !

LISETTE.Comment donc par un effort de raison ? Voilà une penséequi n'est pas de ce monde ; mais vous êtes bien fraîchepour une personne qui se fatigue tant.

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LA MARQUISE.Je vous prie, Lisette, point de plaisanterie ; vous medivertissez quelquefois, mais je ne suis pas à présent ensituation de vous écouter.

LISETTE.Ah çà, Madame, sérieusement, je vous trouve le meilleurvisage du monde ; voyez ce que c'est : quand vous aimiezla vie, peut-être que vous n'étiez pas si belle ; la peine devivre vous donne un air plus vif et plus mutin dans lesyeux, et je vous conseille de batailler toujours contre lavie ; cela vous réussit on ne peut pas mieux.

LA MARQUISE.Que vous êtes folle ! Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit.

LISETTE.N'auriez-vous pas dormi en rêvant que vous ne dormiezpoint ? Car vous avez le teint bien reposé ; mais vous êtesun peu trop négligée, et je suis d'avis de vous arranger unpeu la tête. La Brie, qu'on apporte ici la toilette deMadame.

LA MARQUISE.Qu'est-ce que tu vas faire ? Je n'en veux point.

LISETTE.Vous n'en voulez point ! vous refusez le miroir, unmiroir, Madame ! Savez-vous bien que vous me faitespeur ? Cela serait sérieux, pour le coup, et nous allonsvoir cela : il ne sera pas dit que vous serez charmanteimpunément ; il faut que vous le voyiez, et que cela vousconsole, et qu'il vous plaise de vivre.

On apporte la toilette. Elle prend un siège.Allons, Madame, mettez-vous là, que je vous ajuste :tenez, le savant que vous avez pris chez vous ne vous lirapoint de livre si consolant que ce que vous allez voir.

LA MARQUISE.Oh ! Tu m'ennuies : qu'ai-je besoin d'être mieux que je nesuis ? Je ne veux voir personne.

LISETTE.De grâce, un petit coup d'oeil sur la glace, un seul petitcoup d'oeil ; quand vous ne le donneriez que de côté,tâtez-en seulement.

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LA MARQUISE.Si tu voulais bien me laisser en repos.

LISETTE.Quoi ! Votre amour-propre ne dit plus mot, et vous n'êtespas à l'extrémité ! Cela n'est pas naturel, et vous trichez.Faut-il vous parler franchement ? Je vous disais que vousétiez plus belle qu'à l'ordinaire ; mais la vérité est quevous êtes très changée, et je voulais vous attendrir un peupour un visage que vous abandonnez bien durement.

LA MARQUISE.Il est vrai que je suis dans un terrible état.

LISETTE.Il n'y a donc qu'à emporter la toilette ? La Brie, remettezcela où vous l'avez pris.

LA MARQUISE.Je ne me pique plus ni d'agrément ni de beauté.

LISETTE.Madame, la toilette s'en va, je vous en avertis.

LA MARQUISE.Mais, Lisette, je suis donc bien épouvantable ?

LISETTE.Extrêmement changée.

LA MARQUISE.Voyons donc, car il faut bien que je me débarrasse de toi.

LISETTE.Ah ! Je respire, vous voilà sauvée : allons, courage,Madame.

On rapporte le miroir.

LA MARQUISE.Donne le miroir ; tu as raison, je suis bien abattue.

LISETTE, lui donnant le miroir.Ne serait-ce pas un meurtre que de laisser dépérir ceteint-là, qui n'est que lys et que rose quand on en a soin ?Rangez-moi ces cheveux qui sont épars, et qui vouscachent les yeux : ah ! Les fripons, comme ils ont encorel'oeillade assassine ; ils m'auraient déjà brûlé, si j'étais de

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leur compétence ; ils ne demandent qu'à faire du mal.

LA MARQUISE, rendant le miroir.Tu rêves ; on ne peut pas les avoir plus battus.

LISETTE.À la fin de la réplique, l'impresionoriginale de Prault signale une faute :"Quelques temps" lisez "Quelquesjours". Nous conservons quelquesjours.

Oui, battus. Ce sont de bons hypocrites : que l'ennemivienne, il verra beau jeu. Mais voici, je pense, undomestique de Monsieur le Chevalier. C'est ce valet decampagne si naïf, qui vous a tant diverti il y a quelquesjours.

LA MARQUISE.Que me veut son maître ? Je ne vois personne.

LISETTE.Il faut bien l'écouter.

SCÈNE II.Lubin, La Marquise, Lisette.

LUBIN.Madame, pardonnez l'embarras...

LISETTE.Abrège, abrège, il t'appartient bien d'embarrasserMadame !

LUBIN.Il vous appartient bien de m'interrompre, ma mie ; est-cequ'il ne m'est pas libre d'être honnête ?

LA MARQUISE.Finis, de quoi s'agit-il ?

LUBIN.Il s'agit, Madame, que Monsieur le Chevalier m'a dit... Ceque votre femme de chambre m'a fait oublier.

LISETTE.Quel original !

LUBIN.Cela est vrai ; mais quand la colère me prend,ordinairement la mémoire me quitte.

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LA MARQUISE.Retourne donc savoir ce que tu me veux.

LUBIN.Oh ! Ce n'est pas la peine, Madame, et je m'enressouviens à cette heure ; c'est que nous arrivâmes hiertous deux à Paris, Monsieur le Chevalier et moi, et quenous en partons demain pour n'y revenir jamais, ce quifait que Monsieur le Chevalier vous mande ; que vousayez à trouver bon qu'il ne vous voie point cetteaprès-dînée, et qu'il ne vous assure point de ses respects,sinon ce matin, si cela ne vous déplaisait pas, pour vousdire adieu, à cause de l'incommodité de ses embarras.

LISETTE.Tout ce galimatias-là signifie que Monsieur le Chevaliersouhaiterait vous voir à présent.

LA MARQUISE.Sais-tu ce qu'il a à me dire ? Car je suis dans l'affliction.

LUBIN, d'un ton triste, et à la fin pleurant.Il a à vous dire que vous ayez la bonté de l'entretenir unquart d'heure ; pour ce qui est d'affliction, ne vousembarrassez pas, Madame, il ne nuira pas à la vôtre ; aucontraire, car il est encore plus triste que vous, et moiaussi ; nous faisons compassion à tout le monde.

LISETTE.Mais, en effet, je crois qu'il pleure.

LUBIN.Oh ! Vous ne voyez rien, je pleure bien autrement quandje suis seul ; mais je me retiens par honnêteté.

LISETTE.Tais-toi.

LA MARQUISE.Dis à ton maître qu'il peut venir, et que je l'attends ; etvous, Lisette, quand Monsieur Hortensius sera revenu,qu'il vienne sur-le-champ me montrer les livres qu'il a dûm'acheter.

Elle soupire en s'en allant.Ah !

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SCÈNE III.Lisette, Lubin.

LISETTE.La voilà qui soupire, et c'est toi qui en es cause, butor quetu es ; nous avons bien affaire de tes pleurs.

LUBIN.Ceux qui n'en veulent pas n'ont qu'à les laisser ; ils ontfait plaisir à Madame, et Monsieur le Chevalierl'accommodera bien autrement, car il soupire encore bienmieux que moi.

LISETTE.Qu'il s'en garde bien : dis-lui de cacher sa douleur, je net'arrête que pour cela ; ma maîtresse n'en a déjà que trop,et je veux tâcher de l'en guérir : entends-tu ?

LUBIN.Pardi ! Tu cries assez haut.

LISETTE.Tu es bien brusque. Et de quoi pleurez-vous donc tousdeux, peut-on le savoir ?

LUBIN.Ma foi, de rien : moi, je pleure parce que je le veux bien,car si je voulais, je serais gaillard.

LISETTE.Le plaisant garçon !

LUBIN.Oui, mon maître soupire parce qu'il a perdu une maîtresse; et comme je suis le meilleur coeur du monde, moi, jeme suis mis à faire comme lui pour l'amuser ; de sorteque je vais toujours pleurant sans être fâché, seulementpar compliment.

LISETTE, rit.Ah, ah, ah, ah !

LUBIN, riant.Eh, eh, eh ! Tu en ris, j'en ris quelquefois de même, maisrarement, car cela me dérange ; j'ai pourtant perdu aussiune maîtresse, moi ; mais comme je ne la verrai plus, jel'aime toujours sans en être plus triste.

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Il rit.Eh, eh, eh !

LISETTE.Il me divertit. Adieu ; fais ta commission, et ne manquepas d'avertir Monsieur le Chevalier de ce que je t'ai dit.

LUBIN, riant.Adieu, adieu.

LISETTE.Comment donc ! Tu me lorgnes, je pense ?

LUBIN.Oui-da, je te lorgne.

LISETTE.Tu ne pourras plus te remettre à pleurer.

LUBIN.Gageons que si... Veux-tu voir ?

LISETTE.Va-t'en ; ton maître t'attendra.

LUBIN.Je ne l'en empêche pas.

LISETTE.Je n'ai que faire d'un homme qui part demain : retire-toi.

LUBIN.À propos, tu as raison, et ce n'est pas la peine d'en diredavantage. Adieu donc, la fille.

LISETTE.Bonjour, l'ami.

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SCÈNE IV.

LISETTE, seule.Ce bouffon-là est amusant. Mais voici MonsieurHortensius aussi chargé de livres qu'une bibliothèque.Que cet homme-là m'ennuie avec sa doctrine ignorante !Quelle fantaisie a Madame, d'avoir pris ce personnage-làchez elle, pour la conduire dans ses lectures et amuser sadouleur ! Que les femmes du monde ont de travers !

SCÈNE V.Hortensius, Lisette.

LISETTE.Monsieur Hortensius, Madame m'a chargée de vous direque vous alliez lui montrer les livres que vous avezachetés pour elle.

HORTENSIUS.Je serai ponctuel à obéir, Mademoiselle Lisette ; etMadame la Marquise ne pouvait charger de ses ordrespersonne qui me les rendît plus dignes de ma prompteobéissance.

LISETTE.Ah ! Le joli tour de phrase ! Comment ! Vous me saluezde la période la plus galante qui se puisse, et l'on sentbien qu'elle part d'un homme qui sait sa rhétorique.

HORTENSIUS.La rhétorique que je sais là-dessus, Mademoiselle, cesont vos beaux yeux qui me l'ont apprise.

LISETTE.Mais ce que vous me dites là est merveilleux ; je nesavais pas que mes beaux yeux enseignassent larhétorique.

HORTENSIUS.Ils ont mis mon coeur en état de soutenir thèse,Mademoiselle ; et pour essai de ma science, je vais, sivous l'avez pour agréable, vous donner un petit argumenten forme.

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LISETTE.Un argument à moi ! Je ne sais ce que c'est ; je ne veuxpoint tâter de cela : adieu.

HORTENSIUS.Arrêtez, voyez mon petit syllogisme, je vous assure qu'ilest concluant.

LISETTE.Un syllogisme ! Eh ! Que voulez-vous que je fasse decela ?

HORTENSIUS.Écoutez. On doit son coeur à ceux qui vous donnent leleur, je vous donne le mien : ergo, vous me devez levôtre.

LISETTE.Est-ce là tout ? Oh ! Je sais la rhétorique aussi, moi.Tenez : on ne doit son coeur qu'à ceux qui le prennent ;assurément vous ne prenez pas le mien : ergo, vous nel'aurez pas. Bonjour.

HORTENSIUS, l'arrêtant.La raison répond...

LISETTE.Oh ! Pour la raison, je ne m'en mêle point, les filles demon âge n'ont point de commerce avec elle. Adieu,Monsieur Hortensius ; que le ciel vous bénisse, vous,votre thèse et votre syllogisme.

HORTENSIUS.J'avais pourtant fait de petits vers latins sur vos beautés.

LISETTE.Eh mais, Monsieur Hortensius, mes beautés n'entendentque le français.

HORTENSIUS.On peut vous les traduire.

LISETTE.Achevez donc, car j'ai hâte.

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HORTENSIUS.Je crois les avoir serrés dans un livre.

LISETTE, pendant qu'il cherche, Lisette voit venir laMarquise et dit.

Voilà Madame, laissons-le chercher son papier.

Elle sort.

HORTENSIUS, continue en feuilletant.Je vous y donne le nom d'Hélène, de la manière dumonde la plus poétique, et j'ai pris la liberté de m'appelerle Pâris de l'aventure : les voilà, cela est galant.

SCÈNE VI.La Marquise, Hortensius

LA MARQUISE.Que voulez-vous dire, avec cette aventure où vous vousappelez Pâris ? À qui parliez-vous ? Voyons ce papier.

HORTENSIUS.Madame, c'est un trait de l'histoire des Grecs, dontMademoiselle Lisette me demandait l'explication.

LA MARQUISE.Elle est bien curieuse, et vous bien complaisant : où sontles livres que vous m'avez achetés, Monsieur ?

HORTENSIUS.Je les tiens, Madame, tous bien conditionnés, et d'un prixfort raisonnable ; souhaitez-vous les voir ?

LA MARQUISE.Montrez.

Un laquais vient.Voici Monsieur le Chevalier, Madame.

LA MARQUISE.Faites entrer.

Et à Hortensius.Portez-les chez moi, nous les verrons tantôt.

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SCÈNE VII.La Marquise, Le Chevalier.

LE CHEVALIER.Je vous demande pardon, Madame, d'une visite, sansdoute, importune ; surtout dans la situation où je sais quevous êtes.

LA MARQUISE.Ah ! Votre visite ne m'est point importune, je la reçoisavec plaisir ; puis-je vous rendre quelque service ? Dequoi s'agit-il ? Vous me paraissez bien triste.

LE CHEVALIER.Vous voyez, Madame, un homme au désespoir, et qui vase confiner dans le fond de sa province, pour y finir unevie qui lui est à charge.

LA MARQUISE.Que me dites-vous là ! Vous m'inquiétez ; que vous est-ildonc arrivé ?

LE CHEVALIER.Le plus grand de tous les malheurs, le plus sensible, leplus irréparable ; j'ai perdu Angélique, et je la perds pourjamais.

LA MARQUISE.Comment donc ! Est-ce qu'elle est morte ?

LE CHEVALIER.C'est la même chose pour moi. Vous savez où elle s'étaitretirée depuis huit mois pour se soustraire au mariage oùson père voulait la contraindre ; nous espérions tous deuxque sa retraite fléchirait le père : il a continué de lapersécuter ; et lasse ; apparemment, de ses persécutions,accoutumée à notre absence, désespérant, sans doute, deme voir jamais à elle, elle a cédé, renoncé au monde, ets'est liée par des noeuds qu'elle ne peut plus rompre : il ya deux mois que la chose est faite. Je la vis la veille, je luiparlai, je me désespérai, et ma désolation, mes prières,mon amour, tout m'a été inutile ; j'ai été témoin de monmalheur ; j'ai depuis toujours demeuré dans le lieu, il afallu m'en arracher, je n'en arrivai qu'avant-hier. Je memeurs, je voudrais mourir, et je ne sais pas comment jevis encore.

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LA MARQUISE.En vérité, il semble dans le monde que les afflictions nesoient faites que pour les honnêtes gens.

LE CHEVALIER.Je devrais retenir ma douleur, Madame, vous n'êtes quetrop affligée vous-même.

LA MARQUISE.Non, Chevalier, ne vous gênez point ; votre douleur faitvotre éloge, je la regarde comme une vertu ; j'aime à voirun coeur estimable car cela est si rare, hélas ! Il n'y a plusde moeurs, plus de sentiment dans le monde ; moi quivous parle, on trouve étonnant que je pleure depuis sixmois ; vous passerez aussi pour un hommeextraordinaire, il n'y aura que moi qui vous plaindraivéritablement, et vous êtes le seul qui rendra justice àmes pleurs ; vous me ressemblez, vous êtes né sensible,je le vois bien.

LE CHEVALIER.Il est vrai, Madame, que mes chagrins ne m'empêchentpas d'être touché des vôtres.

LA MARQUISE.J'en suis persuadée ; mais venons au reste : que mevoulez-vous ?

LE CHEVALIER.Je ne verrai plus Angélique ; elle me l'a défendu, et jeveux lui obéir.

LA MARQUISE.Voilà comment pense un honnête homme, par exemple.

LE CHEVALIER.Voici une lettre que je ne saurais lui faire tenir, et qu'ellene recevrait point de ma part ; vous allez incessamment àvotre campagne, qui est voisine du lieu où elle est,faites-moi, je vous supplie, le plaisir de la lui donnervous-même ; la lire est la seule grâce que je lui demande; et si, à mon tour, Madame, je pouvais jamais vousobliger...

LA MARQUISE, l'interrompant.Eh ! Qui est-ce qui en doute ? Dès que vous êtes capabled'une vraie tendresse, vous êtes né généreux, cela s'en vasans dire ; je sais à présent votre caractère comme lemien ; les bons coeurs se ressemblent, Chevalier : mais lalettre n'est point cachetée.

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LE CHEVALIER.Je ne sais ce que je fais dans le trouble où je suis :puisqu'elle ne l'est point, lisez-la, Madame, vous enjugerez mieux combien je suis à plaindre ; nouscauserons plus longtemps ensemble, et je sens que votreconversation me soulage.

LA MARQUISE.Tenez, sans compliment, depuis six mois je n'ai eu demoment supportable que celui-ci ; et la raison de cela,c'est qu'on aime à soupirer avec ceux qui vous entendent :lisons la lettre.

Elle lit."J'avais dessein de vous revoir encore, Angélique ; maisj'ai songé que je vous désobligerais, et je m'en abstiens :après tout, qu'aurais-je été chercher ? Je ne saurais le dire; tout ce que je sais, c'est que je vous ai perdue, que jevoudrais vous parler pour redoubler la douleur de maperte, pour m'en pénétrer jusqu'à mourir."

Répétant les derniers mots, et s'interrompant.Pour m'en pénétrer jusqu'à mourir ! Mais cela estétonnant : ce que vous dites là, Chevalier, je l'ai pensémot pour mot dans mon affliction ; peut-on se rencontrerjusque-là ! En vérité, vous me donnez bien de l'estimepour vous ! Achevons.

Elle relit. "Mais c'est fait, et je ne vous écris que pour vousdemander pardon de ce qui m'échappa contre vous ànotre dernière entrevue ; vous me quittiez pour jamais,Angélique, j'étais au désespoir ; et dans ce moment-là, jevous aimais trop pour vous rendre justice ; mes reprochesvous coûtèrent des larmes, je ne voulais pas les voir, jevoulais que vous fussiez coupable, et que vous crussiezl'être ; et j'avoue que j'offenserais la vertu même. Adieu,Angélique, ma tendresse ne finira qu'avec ma vie, et jerenonce à tout engagement ; j'ai voulu que vous fussiezcontente de mon coeur, afin que l'estime que vous aurezpour lui excuse la tendresse dont vous m'honorâtes."

Après avoir lu, et rendant la lettre.Allez, Chevalier, avec cette façon de sentir là, vous n'êtespoint à plaindre ; quelle lettre ! Autrefois le Marquis m'enécrivit une à peu près de même, je croyais qu'il n'y avaitque lui au monde qui en fût capable ; vous étiez son ami,et je ne m'en étonne pas.

LE CHEVALIER.Vous savez combien son amitié m'était chère.

LA MARQUISE.Il ne la donnait qu'à ceux qui la méritaient :

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LE CHEVALIER.Dans la page 32 de l'édition originalede Prault, signale un erreur : "cetamitié", lisez "cette amitié".

Que cette amitié-là me serait d'un grand secours, s'ilvivait encore !

LA MARQUISE, pleurant.Sur ce pied-là, nous l'avons donc perdu tous deux.

LE CHEVALIER.Je crois que je ne lui survivrai pas longtemps.

LA MARQUISE.Non, Chevalier, vivez pour me donner la satisfaction devoir son ami le regretter avec moi ; à la place de sonamitié, je vous donne la mienne.

LE CHEVALIER.Je vous la demande de tout mon coeur, elle sera maressource ; je prendrai la liberté de vous écrire, vousvoudrez bien me répondre, et c'est une espéranceconsolante que j'emporte en partant.

LA MARQUISE.En vérité, Chevalier, je souhaiterais que vous restassiez ;il n'y a qu'avec vous que ma douleur se verrait libre.

LE CHEVALIER.Si je restais, je romprais avec tout le monde, et nevoudrais voir que vous.

LA MARQUISE.Mais effectivement, faites-vous bien de partir ?Consultez-vous : il me semble qu'il vous sera plus douxd'être moins éloigné d'Angélique.

LE CHEVALIER.Il est vrai que je pourrais vous en parler quelquefois.

LA MARQUISE.Oui, je vous plaindrais, du moins, et vous me plaindriezaussi, cela rend la douleur plus supportable.

LE CHEVALIER.En vérité, je crois que vous avez raison.

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LA MARQUISE.Nous sommes voisins.

LE CHEVALIER.Nous demeurons comme dans la même maison, puisquele même jardin nous est commun.

LA MARQUISE.Nous sommes affligés, nous pensons de même.

LE CHEVALIER.L'amitié nous sera d'un grand secours.

LA MARQUISE.Nous n'avons que cette ressource-là dans les afflictions,vous en conviendrez. Aimez-vous la lecture ?

LE CHEVALIER.Beaucoup.

LA MARQUISE.Cela vient encore fort bien ; j'ai pris depuis quinze joursun homme à qui j'ai donné le soin de ma bibliothèque ; jen'ai pas la vanité de devenir savante, mais je suis bienaise de m'occuper : il me lit tous les jours quelque chose,nos lectures sont sérieuses, raisonnables ; il y met unordre qui m'instruit en m'amusant : voulez-vous être de lapartie ?

LE CHEVALIER.Voilà qui est fini, Madame ; vous me déterminez ; c'estun bonheur pour moi que de vous avoir vue ; je me sensdéjà plus tranquille. Allons, je ne partirai point ; j'ai deslivres aussi en assez grande quantité, celui qui a soin desvôtres les mettra tout ensemble, et je vais appeler monvalet pour changer les ordres que je lui ai donnés. Que jevous ai d'obligation ! peut-être que vous me sauvez laraison, mon désespoir se calme, vous avez dans l'espritune douceur qui m'était nécessaire, et qui me gagne :vous avez renoncé à l'amour et moi aussi ; et votre amitiéme tiendra lieu de tout, si vous êtes sensible à la mienne.

LA MARQUISE.Sérieusement, je m'y crois presque obligée, pour vousdédommager de celle du Marquis : allez, Chevalier, faitesvite vos affaires ; je vais, de mon côté, donner quelqueordre aussi ; nous nous reverrons tantôt.

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Et à part.En vérité, ce garçon-là a un fond de probité qui mecharme.

SCÈNE VIII.Le Chevalier, Lubin.

LE CHEVALIER, seul, un moment.Voilà vraiment de ces esprits propres à consoler unepersonne affligée ; que cette femme-là a de mérite ! Je nela connaissais pas encore : quelle solidité d'esprit ! Quellebonté de coeur ! C'est un caractère à peu près commecelui d'Angélique, et ce sont des trésors que cescaractères-là ; oui, je la préfère à tous les amis du monde.

Il appelle Lubin.Lubin ! Il me semble que je le vois dans le jardin.

SCÈNE IX.Lubin, Le Chevalier.

LUBIN répond derrière le théâtre.Monsieur !...

Et puis il arrive très triste.Que vous plaît-il, Monsieur ?

LE CHEVALIER.Qu'as-tu donc, avec cet air triste ?

LUBIN.Hélas ! Monsieur, quand je suis à rien faire, je m'attriste àcause de votre maîtresse, et un peu à cause de la mienne ;je suis fâché de ce que nous partons ; si nous restions, jeserais fâché de même.

LE CHEVALIER.Nous ne partons point, ainsi ne fais rien de ce que jet'avais ordonné pour notre départ.

LUBIN.Nous ne partons point !

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Page 24: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LE CHEVALIER.Non, j'ai changé d'avis.

LUBIN.Mais, Monsieur, j'ai fait mon paquet.

LE CHEVALIER.Eh bien ! tu n'as qu'à le défaire.

LUBIN.J'ai dit adieu à tout le monde, je ne pourrai donc plus voirpersonne ?

LE CHEVALIER.Eh ! Tais-toi ; rends-moi mes lettres.

LUBIN.Ce n'est pas la peine, je les porterai tantôt.

LE CHEVALIER.Cela n'est plus nécessaire, puisque je reste ici.

LUBIN.Je n'y comprends rien ; c'est donc encore autant de perduque ces lettres-là ? Mais, Monsieur, qui est-ce qui vousempêche de partir, est-ce Madame la Marquise ?

LE CHEVALIER.Oui.

LUBIN.Et nous ne changeons point de maison ?

LE CHEVALIER.Et pourquoi en changer ?

LUBIN.Ah ! Me voilà perdu.

LE CHEVALIER.Comment donc ?

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Page 25: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LUBIN.Vos maisons se communiquent ; de l'une on entre dansl'autre ; je n'ai plus ma maîtresse ; Madame la Marquise aune femme de chambre toute agréable ; de chez vousj'irai chez elle ; crac, me voilà infidèle tout de plain-pied,et cela m'afflige ; pauvre Marton ! Faudra-t-il que jet'oublie ?

LE CHEVALIER.Tu serais un bien mauvais coeur.

LUBIN.Ah ! pour cela, oui, cela sera bien vilain, mais cela nemanquera pas d'arriver : car j'y sens déjà du plaisir, etcela me met au désespoir ; encore si vous aviez la bontéde montrer l'exemple : tenez, la voilà qui vient, Lisette.

SCÈNE X.Lisette, Le Comte, Le Chevalier, Lubin.

LE COMTE.J'allais chez vous, Chevalier, et j'ai su de Lisette que vousétiez ici ; elle m'a dit votre affliction, et je vous assureque j'y prends beaucoup de part ; il faut tâcher de sedissiper.

LE CHEVALIER.Cela n'est pas aisé, Monsieur le Comte.

LUBIN, faisant un sanglot.Eh !

LE CHEVALIER.Tais-toi.

LE COMTE.Que lui est-il donc arrivé à ce pauvre garçon ?

LE CHEVALIER.Il a, dit-il, du chagrin de ce que je ne pars point, commeje l'avais résolu.

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Page 26: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LUBIN, riant.Et pourtant je suis bien aise de rester, à cause de Lisette.

LISETTE.Cela est galant : mais, Monsieur le Chevalier, venons àce qui nous amène, Monsieur le Comte et moi. J'étaissous le berceau pendant votre conversation avec Madamela Marquise, et j'en ai entendu une partie sans le vouloir ;votre voyage est rompu, ma maîtresse vous a conseillé derester, vous êtes tous deux dans la tristesse, et laconformité de vos sentiments fera que vous vous verrezsouvent. Je suis attachée à ma maîtresse, plus que je nesaurais vous le dire, et je suis désolée de voir qu'elle neveut pas se consoler, qu'elle soupire et pleure toujours ; àla fin elle n'y résistera pas : n'entretenez point sa douleur,tâchez même de la tirer de sa mélancolie ; voilà Monsieurle Comte qui l'aime, vous le connaissez, il est de vosamis, Madame la Marquise n'a point de répugnance à levoir ; ce serait un mariage qui conviendrait, je tâche de lefaire réussir ; aidez-nous de votre côté, Monsieur leChevalier, rendez ce service à votre ami, servez mamaîtresse elle-même.

LE CHEVALIER.Mais, Lisette, ne me dites-vous pas que Madame laMarquise voit le Comte sans répugnance ?

LE COMTE.Mais, sans répugnance, cela veut dire qu'elle me souffre ;voilà tout.

LISETTE.Et qu'elle reçoit vos visites.

LE CHEVALIER.Fort bien ; mais s'aperçoit-elle que vous l'aimez ?

LE COMTE.Je crois que oui.

LISETTE.De temps en temps, de mon côté, je glisse de petits mots,afin qu'elle y prenne garde.

LE CHEVALIER.Mais, vraiment, ces petits mots-là doivent faire un grandeffet, et vous êtes entre de bonnes mains, Monsieur leComte. Et que vous dit la Marquise ? Vous répond-elled'une façon qui promette quelque chose ?

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Page 27: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LE COMTE.Jusqu'ici, elle me traite avec beaucoup de douceur.

LE CHEVALIER.Avec douceur ! Sérieusement ?

LE COMTE.Il me le paraît.

LE CHEVALIER, brusquement.Mais sur ce pied-là, vous n'avez donc pas besoin de moi ?

LE COMTE.C'est conclure d'une manière qui m'étonne.

LE CHEVALIER.Point du tout, je dis fort bien ; on voit votre amour, on lesouffre, on y fait accueil, apparemment qu'on s'y plaît, etje gâterais peut-être tout si je m'en mêlais : cela va toutseul.

LISETTE.Je vous avoue que voilà un raisonnement auquel jen'entends rien.

LE COMTE.J'en suis aussi surpris que vous.

LE CHEVALIER.Ma foi, Monsieur le Comte, je faisais tout pour le mieux ;mais puisque vous le voulez, je parlerai, il en arrivera cequ'il pourra : vous le voulez, malgré mes bonnes raisons ;je suis votre serviteur et votre ami.

LE COMTE.Non, Monsieur, je vous suis bien obligé, et vous aurez labonté de ne rien dire ; j'irai mon chemin. Adieu, Lisette,ne m'oubliez pas ; puisque Madame la Marquise a desaffaires, je reviendrai une autre fois.

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Page 28: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

SCÈNE XI.Le Chevalier, Lisette, Lubin.

LE CHEVALIER.Faites entendre raison aux gens, voilà ce qui en arrive ;assurément, cela est original, il me quitte aussifroidement que s'il quittait un rival.

LUBIN.Eh bien, tout coup vaille, il ne faut jurer de rien dans lavie, cela dépend des fantaisies ; fournissez-vous toujours,et vive les provisions ! N'est-ce pas, Lisette ?

LISETTE.Oserais-je, Monsieur le Chevalier, vous parler à coeurouvert ?

LE CHEVALIER.Parlez.

LISETTE.Mademoiselle Angélique est perdue pour vous.

LE CHEVALIER.Je ne le sais que trop.

LISETTE.Madame la Marquise est riche, jeune et belle.

LUBIN.Cela est friand.

LE CHEVALIER.Après ?

LISETTE.Eh bien, Monsieur le Chevalier, tantôt vous l'avez vuesoupirer de ses afflictions, n'auriez-vous pas trouvéqu'elle a bonne grâce à soupirer ? Je crois que vousm'entendez ?

LUBIN.Courage, Monsieur.

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Page 29: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LE CHEVALIER.Expliquez-vous ; qu'est-ce que cela signifie ? Que j'ai del'inclination pour elle ?

LISETTE.Pourquoi non ? Je le voudrais de tout mon coeur ; dansl'état où je vois ma maîtresse, que m'importe par qui elleen sorte, pourvu qu'elle épouse un honnête homme ?

LUBIN.C'est ma foi bien dit, il faut être honnête homme pourl'épouser, il n'y a que les malhonnêtes gens qui nel'épouseront point.

LE CHEVALIER, froidement.Finissons, je vous prie, Lisette.

LISETTE.Eh bien, Monsieur, sur ce pied-là, que n'allez-vous vousensevelir dans quelque solitude où l'on ne vous voie point? Si vous saviez combien aujourd'hui votre physionomieest bonne à porter dans un désert, vous aurez le plaisir den'y trouver rien de si triste qu'elle. Tenez, Monsieur,l'ennui, la langueur, la désolation, le désespoir, avec unair sauvage brochant sur le tout, voilà le noir tableau quereprésente actuellement votre visage ; et je soutiens quela vue en peut rendre malade, et qu'il y a conscience à lapromener par le monde. Ce n'est pas là tout : quand vousparlez aux gens, c'est du ton d'un homme qui va rendreles derniers soupirs ; ce sont des paroles qui traînent, quivous engourdissent, qui ont un poison froid qui glacel'âme, et dont je sens que la mienne est gelée ; je n'enpeux plus, et cela doit vous faire compassion. Je ne vousblâme pas ; vous avez perdu votre maîtresse, vous vousêtes voué aux langueurs, vous avez fait voeu d'en mourir; c'est fort bien fait, cela édifiera le monde : on parlera devous dans l'histoire, vous serez excellent à être cité, maisvous ne valez rien à être vu ; ayez donc la bonté de nousédifier de plus loin.

LE CHEVALIER.Lisette, je pardonne au zèle que vous avez pour votremaîtresse ; mais votre discours ne me plaît point.

LUBIN.Il est incivil.

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Page 30: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LE CHEVALIER.Mon voyage est rompu ; on ne change pas à tout momentde résolution, et je ne partirai point ; à l'égard deMonsieur le Comte, je parlerai en sa faveur à votremaîtresse ; et s'il est vrai, comme je le préjuge, qu'elle aitdu penchant pour lui, ne vous inquiétez de rien, mesvisites ne seront pas fréquentes, et ma tristesse ne gâterarien ici.

LISETTE.N'avez-vous que cela à me dire, Monsieur ?

LE CHEVALIER.Que pourrais-je vous dire davantage ?

LISETTE.Adieu, Monsieur ; je suis votre servante.

SCÈNE XII.Lubin, Le Chevalier.

LE CHEVALIER, quelque temps sérieux.Tout ce que j'entends là me rend la perte d'Angéliqueencore plus sensible.

LUBIN.Ma foi, Angélique me coupe la gorge.

LE CHEVALIER, comme en se promenant.Je m'attendais à trouver quelque consolation dans laMarquise, sa généreuse résolution de ne plus aimer me larendait respectable ; et la voilà qui va se remarier ; à labonne heure : je la distinguais, et ce n'est qu'une femmecomme une autre.

LUBIN.Mettez-vous à la place d'une veuve qui s'ennuie.

LE CHEVALIER.Ah ! Chère Angélique, s'il y a quelque chose au mondequi puisse me consoler, c'est de sentir combien vous êtesau-dessus de votre sexe, c'est de voir combien vousméritez mon amour.

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Page 31: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LUBIN.Ah ! Marton, Marton ! Je t'oubliais d'un grand courage ;mais mon maître ne veut pas que j'achève ; je m'en vaisdonc me remettre à te regretter comme auparavant, et quele ciel m'assiste !...

LE CHEVALIER, se promenant.Je me sens plus que jamais accablé de ma douleur.

LUBIN.Lisette m'avait un peu ragaillardi.

LE CHEVALIER.Je vais m'enfermer chez moi ; je ne verrai que tantôt laMarquise, je n'ai plus que faire ici si elle se marie :suis-je en état de voir des fêtes ? En vérité, la Marquise ysonge-t-elle ? Et qu'est devenue la mémoire de son mari ?

LUBIN.Ah ! Monsieur, qu'est-ce que vous voulez qu'elle fassed'une mémoire ?

LE CHEVALIER.Quoi qu'il en soit, je lui ai dit que je ferais apporter meslivres, et l'honnêteté veut que je tienne parole. Va mechercher celui qui a soin des siens : ne serait-ce pas luiqui entre ?

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SCÈNE XIII.Hortensius, Lubin, Le Chevalier.

HORTENSIUS.Je n'ai pas l'honneur d'être connu de vous, Monsieur ; jem'appelle Hortensius. Madame la Marquise, dont j'ail'avantage de diriger les lectures, et à qui j'enseigne tour àtour les belles-lettres, la morale et la philosophie, sanspréjudice des autres sciences que je pourrais lui enseignerencore, m'a fait entendre, Monsieur, le désir que vousavez de me montrer vos livres, lesquels témoigneront,sans doute, l'excellence et sûreté de votre bon goût ;partant, Monsieur, que vous plaît-il qu'il en soit ?

LE CHEVALIER.Lubin va vous mener à ma bibliothèque, Monsieur, etvous pouvez en faire apporter les livres ici.

HORTENSIUS.Soit fait comme vous le commandez.

SCÈNE XIV.Lubin, Hortensius.

HORTENSIUS.Eh bien, mon garçon, je vous attends.

LUBIN.Un petit moment d'audience, Monsieur le docteur Hortus.

HORTENSIUS.Hortensius, Hortensius ; ne défigurez point mon nom.

LUBIN.Qu'il reste comme il est, je n'ai pas envie de lui gâter lataille.

HORTENSIUS, à part.Je le crois ; mais que voulez-vous ? Il faut gagner labienveillance de tout le monde.

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Page 33: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LUBIN.Vous apprenez la morale et la philosophie à la Marquise?

HORTENSIUS.Oui.

LUBIN.À quoi cela sert-il, ces choses-là ?...

HORTENSIUS.À purger l'âme de toutes ses passions.

LUBIN.Tant mieux ; faites-moi prendre un doigt de cettemédecine-là, contre ma mélancolie.

HORTENSIUS.Est-ce que vous avez du chagrin ?

LUBIN.Tant, que j'en mourrais, sans le bon appétit qui me sauve.

HORTENSIUS.Vous avez là un puissant antidote : je vous dirai pourtant,mon ami, que le chagrin est toujours inutile, parce qu'ilne remédie à rien, et que la raison doit être notre règledans tous les états.

LUBIN.Ne parlons point de raison, je la sais par coeur, celle-là ;purgez-moi plutôt avec de la morale.

HORTENSIUS.Je vous en dis, et de la meilleure.

LUBIN.Elle ne vaut donc rien pour mon tempérament ;servez-moi de la philosophie.

HORTENSIUS.Ce serait à peu près la même chose.

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Page 34: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LUBIN.Voyons donc les belles-lettres.

HORTENSIUS.Elles ne vous conviendraient pas : mais quel est votrechagrin ?

LUBIN.C'est l'amour.

HORTENSIUS.Oh ! La philosophie ne veut pas qu'on prenne d'amour.

LUBIN.Oui ; mais quand il est pris, que veut-elle qu'on en fasse ?

HORTENSIUS.Qu'on y renonce, qu'on le laisse là.

LUBIN.Qu'on le laisse là ? Et s'il ne s'y tient pas ? Car il courtaprès vous.

HORTENSIUS.Il faut fuir de toutes ses forces.

LUBIN.Bon ! Quand on a de l'amour, est-ce qu'on a des jambes ?La philosophie en fournit donc ?

HORTENSIUS.Elle nous donne d'excellents conseils.

LUBIN.Des conseils ? Ah ! Le triste équipage pour gagner pays !

HORTENSIUS.Écoutez, voulez-vous un remède infaillible ? vouspleurez une maîtresse, faites-en une autre.

LUBIN.Eh ! Morbleu, que ne parlez-vous ? Voilà qui est bon,cela. Gageons que c'est avec cette morale-là que voustraitez la Marquise, qui va se marier avec Monsieur leComte ?

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Page 35: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

HORTENSIUS, étonné.Elle va se marier, dites-vous ?

LUBIN.Assurément, et si nous avions voulu d'elle, nous l'aurionseu par préférence, car Lisette nous l'a offert.

HORTENSIUS.Êtes-vous bien sûr de ce que vous me dites ?

LUBIN.À telles enseignes, que Lisette nous a ensuite proposé denous retirer, parce que nous sommes tristes, et que vousêtes un peu pédant, à ce qu'elle dit, et qu'il faut que laMarquise se tienne en joie.

HORTENSIUS, à part.Bene, bene ; je te rends grâce, ô Fortune ! De m'avoirinstruit de cela. Je me trouve bien ici, ce mariage m'enchasserait ; mais je vais soulever un orage qu'on nepourra vaincre.

LUBIN.Que marmottez-vous là dans vos dents, Docteur ?

HORTENSIUS.Rien, allons toujours chercher les livres, car le tempspresse.

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ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.Lubin, Hortensius.

LUBIN, chargé d'une manne de livres, et s'asseyantdessus.

Ah ! Je n'aurais jamais cru que la science fût si pesante.

HORTENSIUS.Belle bagatelle ! J'ai bien plus de livres que tout cela dansma tête.

LUBIN.Vous ?

HORTENSIUS.Moi-même.

LUBIN.Vous êtes donc le libraire et la boutique tout à la fois ? Etqu'est-ce que vous faites de tout cela dans votre tête ?

HORTENSIUS.J'en nourris mon esprit.

LUBIN.Il me semble que cette nourriture-là ne lui profite point ;je l'ai trouvé maigre.

HORTENSIUS.Vous ne vous y connaissez point ; mais reposez-vous unmoment, vous viendrez me trouver après dans labibliothèque, où je vais faire de la place à ces livres.

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Page 37: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LUBIN.Allez, allez toujours devant.

SCÈNE II.Lubin, Lisette.

LUBIN, un moment seul, et assis.Ah ! Pauvre Lubin ! J'ai bien du tourment dans le coeur ;je ne sais plus à présent si c'est Marton que j'aime ou sic'est Lisette : je crois pourtant que c'est Lisette, à moinsque ce ne soit Marton.

Lisette arrive avec quelques laquais qui portent des sièges.

LISETTE.Apportez, apportez-en encore un ou deux, et mettez-leslà.

LUBIN, assis.Bonjour, m'amour.

LISETTE.Que fais-tu donc ici ?

LUBIN.Je me repose sur un paquet de livres que je viensd'apporter pour nourrir l'esprit de Madame, car leDocteur le dit ainsi.

LISETTE.La sotte nourriture ! Quand verrai-je finir toutes cesfolies-là ? Va, va, porte ton impertinent ballot.

LUBIN.C'est de la morale et de la philosophie ; ils disent que celapurge l'âme ; j'en ai pris une petite dose, mais cela ne m'apas seulement fait éternuer.

LISETTE.Je ne sais ce que tu viens me conter ; laisse-moi en repos,va-t'en.

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LUBIN.Eh ! Pardi, ce n'est donc pas pour moi que tu faisaisapporter des sièges ?

LISETTE.Le butor ! C'est pour Madame qui va venir ici.

LUBIN.Voudrais-tu, en passant, prendre la peine de t'asseoir unmoment, Mademoiselle ? Je t'en prie, j'aurais quelquechose à te communiquer.

LISETTE.Eh bien, que me veux-tu, Monsieur ?

LUBIN.Je te dirai, Lisette, que je viens de regarder ce qui sepasse dans mon coeur, et je te confie que j'ai vu la figurede Marton qui en délogeait, et la tienne qui demandait àse nicher dedans ; je lui ai dit que je t'en parlerais, elleattend : veux-tu que je la laisse entrer ?

LISETTE.Non, Lubin, je te conseille de la renvoyer ; car, dis-moi,que ferais-tu ? À quoi cela aboutirait-il ? À quoi nousservirait de nous aimer ?

LUBIN.Ah ! On trouve toujours bien le débit de cela entre deuxpersonnes.

LISETTE.Non, te dis-je, ton maître ne veut point s'attacher à mamaîtresse, et ma fortune dépend de demeurer avec elle,comme la tienne dépend de rester avec le Chevalier.

LUBIN.Cela est vrai, j'oubliais que j'avais une fortune qui estd'avis que je ne te regarde pas. Cependant, si tu metrouvais à ton gré, c'est dommage que tu n'aies pas lasatisfaction de m'aimer à ton aise ; c'est un hasard qui nese trouve pas toujours. Serais-tu d'avis que j'en touchasseun petit mot à la Marquise ? Elle a de l'amitié pour leChevalier, le Chevalier en a pour elle ; ils pourraient fortbien se faire l'amitié de s'épouser par amour, et notreaffaire irait tout de suite.

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Page 39: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LISETTE.Tais-toi, voici Madame.

LUBIN.Laisse-moi faire.

SCÈNE III.La Marquise, Hortensius, Lisette, Lubin.

LA MARQUISE.Lisette, allez dire là-bas qu'on ne laisse entrer personne ;je crois que voilà l'heure de notre lecture, il faudraitavertir le Chevalier. Ah ! Te voilà, Lubin ; où est tonmaître ?

LUBIN.Je crois, Madame, qu'il est allé soupirer chez lui.

LA MARQUISE.Va lui dire que nous l'attendons.

LUBIN.Oui, Madame ; et j'aurai aussi pour moi une petitebagatelle à vous proposer, dont je prendrai la liberté devous entretenir en toute humilité, comme cela se doit.

LA MARQUISE.Eh ! De quoi s'agit-il ?

LUBIN.Oh ! Presque de rien ; nous parlerons de cela tantôt,quand j'aurai fait votre commission.

LA MARQUISE.Je te rendrai service, si je le puis.

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SCÈNE IV.Hortensius, La Marquise.

LA MARQUISE, nonchalamment.Eh bien, Monsieur, vous n'aimez donc pas les livres duChevalier ?

HORTENSIUS.Non, Madame, le choix ne m'en paraît pas docte ; dansdix tomes, pas la moindre citation de nos auteurs grecs oulatins, lesquels, quand on compose, doivent fournir toutle suc d'un ouvrage ; en un mot, ce ne sont que des livresmodernes, remplis de phrases spirituelles ; ce n'est que del'esprit, toujours de l'esprit, petitesse qui choque le senscommun.

LA MARQUISE, nonchalante.Mais de l'esprit ! Est-ce que les anciens n'en avaient pas ?

HORTENSIUS.Ah ! Madame, distinguo ; ils en avaient d'une manière...Oh ! D'une manière que je trouve admirable.

LA MARQUISE.Expliquez-moi cette manière.

HORTENSIUS.Je ne sais pas trop bien quelle image employer pour ceteffet, car c'est par les images que les anciens peignaientles choses. Voici comme parle un auteur dont j'ai retenules paroles. Représentez-vous, dit-il, une femme coquette: primo, son habit est en pretintailles, au lieu de grâces, jelui vois des mouches ; au lieu de visage, elle a des mines; elle n'agit point ; elle gesticule ; elle ne regarde point,elle lorgne ; elle ne marche pas, elle voltige ; elle ne plaîtpoint, elle séduit ; elle n'occupe point, elle amuse ; on lacroit belle, et moi je la tiens ridicule, et c'est à cetteimpertinente femme que ressemble l'esprit d'à présent, ditl'auteur.

LA MARQUISE.J'entends bien.

HORTENSIUS.L'esprit des anciens, au contraire, continue-t-il, ah ! c'estune beauté si mâle, que pour démêler qu'elle est belle, ilfaut se douter qu'elle l'est : simple dans ses façons, on nedirait pas qu'elle ait vu le monde ; mais ayez seulement lecourage de vouloir l'aimer, et vous parviendrez à la

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Page 41: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

trouver charmante.

LA MARQUISE.En voilà assez, je vous comprends : nous sommes plusaffectés, et les anciens plus grossiers.

HORTENSIUS.Que le ciel m'en garde, Madame ; jamais Hortensius...

LA MARQUISE.Changeons de discours ; que nous lirez-vous aujourd'hui?

HORTENSIUS.Je m'étais proposé de vous lire un peu du Traité de lapatience, chapitre premier, du Veuvage.

LA MARQUISE.Oh ! Prenez autre chose ; rien ne me donne moins depatience que les traités qui en parlent.

HORTENSIUS.Ce que vous dites est probable.

LA MARQUISE.J'aime assez l'Eloge de l'amitié, nous en lirons quelquechose.

HORTENSIUS.Je vous supplierai de m'en dispenser, Madame ; ce n'estpas la peine, pour le peu de temps que nous avons à resterensemble, puisque vous vous mariez avec Monsieur leComte.

LA MARQUISE.Moi !

HORTENSIUS.Oui, Madame, au moyen duquel mariage je deviens àprésent un serviteur superflu, semblable à ces troupesqu'on entretient pendant la guerre, et que l'on casse à lapaix : je combattais vos passions, vous vous accommodezavec elles, et je me retire avant qu'on me réforme.

LA MARQUISE.Vous tenez là de jolis discours ; avec vos passions ; il estvrai que vous êtes assez propre à leur faire peur, mais jen'ai que faire de vous pour les combattre. Des passionsavec qui je m'accommode ! En vérité, vous êtesburlesque. Et ce mariage, de qui le tenez-vous donc ?

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HORTENSIUS.Apostille : Annotation ou renvoi qu'onfait à la marge d'un écrit pour y ajouterquelque chose qui manque dans letexte, ou pour l'éclaicir ou l'interpréter.[F]

De Mademoiselle Lisette qui l'a dit à Lubin, lequel me l'arapporté, avec cette apostille contre moi, qui est que cemariage m'expulserait d'ici.

LA MARQUISE, étonnée.Mais qu'est-ce que cela signifie ? Le Chevalier croira queje suis folle, et je veux savoir ce qu'il a répondu : ne mecachez rien, parlez.

HORTENSIUS.Madame, je ne sais rien, là-dessus, que de très vague.

LA MARQUISE.Du vague, voilà qui est bien instructif ; voyons donc cevague.

HORTENSIUS.Je pense donc que Lisette ne disait à Monsieur leChevalier que vous épousiez Monsieur le Comte...

LA MARQUISE.Abrégez les qualités.

HORTENSIUS.Appert : verbe impersonnel. Terme dePalais, qui n'est en usage qu'en cettephrase: "C'est un fait qu'il appert partelle pièce". [F] Du verbe "apparoir",signifie donc : être constaté. L'emploidu mot dans un contexte inappropriéindique l'affectation d'Hortensius.

Qu'afin de savoir si ledit Chevalier ne voudrait pas vousrechercher lui-même et se substituer au lieu et place duditComte ; et même il appert par le récit dudit Lubin, queladite Lisette vous a offert au sieur Chevalier.

LA MARQUISE.Dans l'edition originale Prault, il y aune erreur signalée : "l'Amant" lisez"la main".

Voilà, par exemple, de ces faits incroyables ; c'estpromener la main d'une femme, et dire aux gens : lavoulez-vous ? Ah ! Ah ! Je m'imagine voir le Chevalierreculer de dix pas à la proposition, n'est-il pas vrai ?

HORTENSIUS.Je cherche sa réponse littérale.

LA MARQUISE.Ne vous brouillez point, vous avez la mémoire fort nette,ordinairement.

HORTENSIUS.L'histoire rapporte qu'il s'est d'abord écrié dans sasurprise, et qu'ensuite il a refusé la chose.

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Page 43: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LA MARQUISE.Oh ! Pour l'exclamation, il pouvait la retrancher, ce mesemble, elle me paraît très imprudente et très impolie.J'en approuve l'esprit ; s'il pensait autrement, je ne leverrais de ma vie ; mais se récrier devant lesdomestiques, m'exposer à leur raillerie, ah ! C'en est unpeu trop ; il n'y a point de situation qui dispense d'êtrehonnête.

HORTENSIUS.La remarque critique est judicieuse.

LA MARQUISE.Oh ! Je vous assure que je mettrai ordre à cela. Commentdonc ! Cela m'attaque directement, cela va presque aumépris. Oh ! Monsieur le Chevalier, aimez votreAngélique tant que vous voudrez ; mais que je n'ensouffre pas, s'il vous plaît ! Je ne veux point me marier ;mais je ne veux pas qu'on me refuse.

HORTENSIUS.Ce que vous dites est sans faute.

À part.Ceci va bon train pour moi.

À la Marquise.Mais, Madame, que deviendrai-je ? Puis-je rester ici ?N'ai-je rien à craindre ?

LA MARQUISE.Allez, Monsieur, je vous retiens pour cent ans : vousn'avez ici ni Comte ni Chevalier à craindre ; c'est moi quivous en assure, et qui vous protège. Prenez votre livre, etlisons ; je n'attends personne.

Hortensius tire un livre.

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SCÈNE V.Lubin arrive ; Hortensius, La Marquise.

LUBIN.Madame, Monsieur le Chevalier finit un embarras avecun homme ; il va venir, et il dit qu'on l'attende.

LA MARQUISE.Va, va, quand il viendra nous le prendrons.

LUBIN.Si vous le permettiez à présent, Madame, j'auraisl'honneur de causer un moment avec vous.

LA MARQUISE.Eh bien, que veux-tu ? Achève.

LUBIN.Oh ! Mais, je n'oserais, vous me paraissez en colère.

LA MARQUISE, à Hortensius.Moi, de la colère ? Ai-je cet air-là, Monsieur ?

HORTENSIUS.La paix règne sur votre visage.

LUBIN.C'est donc que cette paix y règne d'un air fâché ?

LA MARQUISE.Finis, finis.

LUBIN.C'est que vous saurez, Madame, que Lisette trouve mapersonne assez agréable ; la sienne me revient assez, et ceserait un marché fait, si, par une bonté qui nous rendraitla vie, Madame, qui est à marier, voulait bien prendre unpeu d'amour pour mon maître qui a du mérite, et qui,dans cette occasion, se comporterait à l'avenant.

LA MARQUISE, à Hortensius.Ah ! Ah ! Écoutons ; voilà qui se rapporte assez à ce quevous m'avez dit.

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LUBIN.On parle aussi de Monsieur le Comte, et les comtes sontd'honnêtes gens ; je les considère beaucoup ; mais, sij'étais femme, je ne voudrais que des chevaliers pour monmari : vive un cadet dans le ménage !

LA MARQUISE.Sa vivacité me divertit : tu as raison, Lubin ; maismalheureusement, dit-on, ton maître ne se soucie point demoi.

LUBIN.Cela est vrai, il ne vous aime pas, et je lui en ai fait laréprimande avec Lisette ; mais si vous commenciez, celale mettrait en train.

LA MARQUISE, à Hortensius.Eh bien, Monsieur, qu'en dites-vous ? Sentez-vouslà-dedans le personnage que je joue ? La sottise duChevalier me donne-t-elle un ridicule assez complet ?

HORTENSIUS.Vous l'avez prévu avec sagacité.

LUBIN.Oh ! Je ne dispute pas qu'il n'ait fait une sottise,assurément ; mais, dans l'occurrence, un honnête hommese reprend.

LA MARQUISE.Tais-toi, en voilà assez.

LUBIN.Hélas ! Madame, je serais bien fâché de vous déplaire ; jevous demande seulement d'y faire réflexion.

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SCÈNE VI.Lisette arrive ; les acteurs précédents.

LISETTE.Je viens de donner vos ordres, Madame : on dira là-basque vous n'y êtes pas, et un moment après...

LA MARQUISE.Cela suffit ; il s'agit d'autre chose à présent, approche.

Et à Lubin.Et toi, reste ici, je te prie.

LISETTE.Qu'est-ce que c'est donc que cette cérémonie ?

LUBIN, à Lisette, bas.Tu vas entendre parler de ma besogne.

LA MARQUISE.Mon mariage avec le Comte, quand le terminerez-vous,Lisette ?

LISETTE, regardant Lubin.Tu es un étourdi.

LUBIN.Écoute, écoute.

LA MARQUISE.Répondez-moi donc, quand le terminerez-vous ?

Hortensius rit.

LISETTE, le contrefaisant.Eh, eh, eh ! Pourquoi me demandez-vous cela, Madame ?

LA MARQUISE.C'est que j'apprends que vous me marierez avecMonsieur le Comte, au défaut du Chevalier, à qui vousm'avez proposée, et qui ne veut point de moi, malgré toutce que vous avez pu lui dire avec son valet, qui vientm'exhorter à avoir de l'amour pour son maître, dansl'espérance que cela le touchera.

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LISETTE.J'admire le tour que prennent les choses les plus louables,quand un benêt les rapporte !

LUBIN.Je crois qu'on parle de moi !

LA MARQUISE.Vous admirez le tour que prennent les choses ?

LISETTE.Ah ça, Madame, n'allez-vous pas vous fâcher ?N'allez-vous pas croire que j'ai tort ?

LA MARQUISE.Quoi ! vous portez la hardiesse jusque-là, Lisette ! Quoi !Prier le Chevalier de me faire la grâce de m'aimer, et toutcela pour pouvoir épouser cet imbécile-là ?

LUBIN.Attrape, attrape toujours.

LA MARQUISE.Qu'est-ce que c'est donc que l'amour du Comte ? Vousêtes donc la confidente des passions qu'on a pour moi, etque je ne connais point ? Et qu'est-ce qui pourrait sel'imaginer ? Je suis dans les pleurs, et l'on promet moncoeur et ma main à tout le monde, même à ceux qui n'enveulent point ; je suis rejetée, j'essuie des affronts, j'ai desamants qui espèrent, et je ne sais rien de tout cela ?Qu'une femme est à plaindre dans la situation où je suis !Quelle perte j'ai fait ! Et comment me traite-t-on !

LUBIN, à part.Voilà notre ménage renversé.

LA MARQUISE, à Lisette.Allez, je vous croyais plus de zèle et plus de respect pourvotre maîtresse.

LISETTE.Fort bien, Madame, vous parlez de zèle, et je suis payéedu mien ; voilà ce que c'est que de s'attacher à ses maîtres; la reconnaissance n'est point faite pour eux ; si vousréussissez à les servir, ils en profitent ; et quand vous neréussissez pas, ils vous traitent comme des misérables.

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LUBIN.Comme des imbéciles.

HORTENSIUS, à Lisette.Il est vrai qu'il vaudrait mieux que cela ne fût pointadvenu.

LA MARQUISE.Eh ! Monsieur, mon veuvage est éternel ; en vérité, il n'ya point de femme au monde plus éloignée du mariage quemoi, et j'ai perdu le seul homme qui pouvait me plaire ;mais, malgré tout cela, il y a de certaines aventuresdésagréables pour une femme. Le Chevalier m'a refusée,par exemple ; mon amour-propre ne lui en veut aucunmal ; il n'y a là-dedans, comme je vous l'ai déjà dit, quele ton, que la manière que je condamne : car, quand ilm'aimerait, cela lui serait inutile ; mais enfin il m'arefusée, cela est constant, il peut se vanter de cela, il lefera peut-être ; qu'en arrive-t-il ? Cela jette un air de rebutsur une femme, les égards et l'attention qu'on a pour elleen diminuent, cela glace tous les esprits pour elle ; je neparle point des coeurs, car je n'en ai que faire : mais on abesoin de considération dans la vie, elle dépend del'opinion qu'on prend de vous ; c'est l'opinion qui nousdonne tout, qui nous ôte tout, au point qu'après tout cequi m'arrive, si je voulais me remarier, je le suppose, àpeine m'estimerait-on quelque chose, il ne serait plusflatteur de m'aimer ; le Comte, s'il savait ce qui s'estpassé, oui, le Comte, je suis persuadée qu'il ne voudraitplus de moi.

LUBIN, derrière.Je ne serais pas si dégoûté.

LISETTE.Et moi, Madame, je dis que le Chevalier est un hypocrite; car, si son refus est si sérieux, pourquoi n'a-t-il pasvoulu servir Monsieur le Comte comme je l'en priais ?Pourquoi m'a-t-il refusée durement, d'un air inquiet etpiqué ?

LA MARQUISE.Qu'est-ce que c'est que d'un air piqué ? Quoi ? Quevoulez-vous dire ? Est-ce qu'il était jaloux ? En voicid'une autre espèce.

LISETTE.Oui, Madame, je l'ai cru jaloux : voilà ce que c'est ; il enavait toute la mine. Monsieur s'informe comment leComte est auprès de vous ; comment vous le recevez ; onlui dit que vous souffrez ses visites, que vous ne lerecevez point mal. Point mal ! dit-il avec dépit, ce n'estdonc pas la peine que je m'en mêle ? Qui est-ce quin'aurait pas cru là-dessus qu'il songeait à vous pour

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lui-même ? Voilà ce qui m'avait fait parler, moi : eh !Que sait-on ce qui se passe dans sa tête ? Peut-être qu'ilvous aime.

LUBIN, derrière.Il en est bien capable.

LA MARQUISE.Me voilà déroutée, je ne sais plus comment régler maconduite ; car il y en a une à tenir là-dedans : j'ignorelaquelle, et cela m'inquiète.

HORTENSIUS.Si vous me le permettez, Madame, je vous apprendrai unpetit axiome qui vous sera, sur la chose, d'unemerveilleuse instruction ; c'est que le jaloux veut avoir cequ'il aime : or, étant manifeste que le Chevalier vousrefuse...

LA MARQUISE.Il me refuse ! Vous avez des expressions bien grossières ;votre axiome ne sait ce qu'il dit ; il n'est pas encore sûrqu'il me refuse.

LISETTE.Il s'en faut bien ; demandez au Comte ce qu'il pense.

LA MARQUISE.Comment, est-ce que le Comte était présent ?

LISETTE.Il n'y était plus ; je dis seulement qu'il croit que leChevalier est son rival.

LA MARQUISE.Ce n'est pas assez qu'il le croie, ce n'est pas assez, il fautque cela soit ; il n'y a que cela qui puisse me venger del'affront presque public que m'a fait sa réponse ; il n'y aque cela ; j'ai besoin, pour réparations, que son discoursn'ait été qu'un dépit amoureux ; dépendre d'un dépitamoureux ! Cela n'est-il pas comique ? Assurément : cen'est pas que je me soucie de ce qu'on appelle la gloired'une femme, gloire sotte, ridicule, mais reçue, maisétablie, qu'il faut soutenir, et qui nous pare ; les hommespensent comme cela, il faut penser comme les hommes,ou ne pas vivre avec eux. Où en suis-je donc, si leChevalier n'est point jaloux ? L'est-il ? Ne l'est-il point ?On n'en sait rien. C'est un peut-être ; mais cette gloire ensouffre, toute sotte qu'elle est, et me voilà dans la tristenécessité d'être aimée d'un homme qui me déplaît ; lemoyen de tenir à cela ? Oh ! Je n'en demeurerai pas là, jen'en demeurerai pas là. Qu'en dites-vous, Monsieur ? Ilfaut que la chose s'éclaircisse absolument.

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HORTENSIUS.Le mépris serait suffisant, Madame.

LA MARQUISE.Eh ! Non, Monsieur, vous me conseillez mal ; vous nesavez parler que de livres.

LUBIN.Il y aura du bâton pour moi dans cette affaire-là.

LISETTE, pleurant.Pour moi, Madame, je ne sais pas où vous prenez toutesvos alarmes, on dirait que j'ai renversé le monde entier.On n'a jamais aimé une maîtresse autant que je vous aime; je m'avise de tout, et puis il se trouve que j'ai fait tousles maux imaginables. Je ne saurais durer comme cela ;j'aime mieux me retirer, du moins je ne verrai point votretristesse, et l'envie de vous en tirer ne me fera point faired'impertinence.

LA MARQUISE.Il ne s'agit pas de vos larmes ; je suis compromise, etvous ne savez pas jusqu'où cela va. Voilà le Chevalier quivient, restez ; j'ai intérêt d'avoir des témoins.

SCÈNE VII.Le Chevalier, les acteurs précédents.

LE CHEVALIER.Vous m'avez peut-être attendu, Madame, et je vous priede m'excuser ; j'étais en affaire.

LA MARQUISE.Il n'y a pas grand mal, Monsieur le Chevalier ; c'est unelecture retardée, voilà tout.

LE CHEVALIER.J'ai cru d'ailleurs que Monsieur le Comte vous tenaitcompagnie, et cela me tranquillisait.

LUBIN, derrière.Ahi ! Ahi ! Je m'enfuis.

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LA MARQUISE, examinant le Chevalier.On m'a dit que vous l'aviez vu, le Comte ?

LE CHEVALIER.Oui, Madame.

LA MARQUISE, le regardant toujours.C'est un fort honnête homme.

LE CHEVALIER.Sans doute, et je le crois même d'un esprit très propre àconsoler ceux qui ont du chagrin.

LA MARQUISE.Il est fort de mes amis.

LE CHEVALIER.Il est des miens aussi.

LA MARQUISE.Je ne savais pas que vous le connussiez beaucoup ; ilvient ici quelquefois, et c'est presque le seul des amis defeu Monsieur le Marquis que je voie encore ; il m'a parumériter cette distinction-là ; qu'en dites-vous ?

LE CHEVALIER.Oui, Madame, vous avez raison, et je pense comme vous; il est digne d'être excepté.

LA MARQUISE, à Lisette, bas.Trouvez-vous cet homme-là jaloux, Lisette ?

LE CHEVALIER, à part les premiers mots.Monsieur le Comte et son mérite m'ennuient.

À la MarquiseMadame, on a parlé d'une lecture, et si je croyais vousdéranger je me retirerais.

LA MARQUISE.Puisque la conversation vous ennuie, nous allons lire.

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LE CHEVALIER.Vous me faites un étrange compliment.

LA MARQUISE.Point du tout, et vous allez être content.

À Lisette.Retirez-vous, Lisette, vous me déplaisez là.

À Hortensius.Et vous, Monsieur, ne vous écartez point, on va vousrappeler.

Au ChevalierPour vous, Chevalier, j'ai encore un mot à vous dire avantnotre lecture ; il s'agit d'un petit éclaircissement qui nevous regarde point, qui ne touche que moi, et je vousdemande en grâce de me répondre avec la dernièrenaïveté sur la question que je vais vous faire.

LE CHEVALIER.Voyons, Madame, je vous écoute.

LA MARQUISE.Le Comte m'aime, je viens de le savoir, et je l'ignorais.

LE CHEVALIER, ironiquement.Vous l'ignorez ?

LA MARQUISE.Je dis la vérité, ne m'interrompez point.

LE CHEVALIER.Cette vérité-là est singulière.

LA MARQUISE.Je n'y saurais que faire, elle ne laisse pas que d'être ; il estpermis aux gens de mauvaise humeur de la trouvercomme ils voudront.

LE CHEVALIER.Je vous demande pardon d'avoir dit ce que j'en pense :continuons.

LA MARQUISE, impatiente.Vous m'impatientez ! Aviez-vous cet esprit-là avecAngélique ? Elle aurait dû ne vous aimer guère.

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LE CHEVALIER.Je n'en avais point d'autre, mais il était de son goût, et il ale malheur de n'être pas du vôtre ; cela fait une grandedifférence.

LA MARQUISE.Vous l'écoutiez donc quand elle vous parlait ;écoutez-moi aussi. Lisette vous a prié de me parler pourle Comte, vous ne l'avez point voulu.

LE CHEVALIER.Je n'avais garde ; le Comte est un amant, vous m'aviez ditque vous ne les aimiez point ; mais vous êtes lamaîtresse.

LA MARQUISE.Non, je ne la suis point ; peut-on, à votre avis, répondre àl'amour d'un homme qui ne vous plaît pas ? Vous êtesbien particulier !

LE CHEVALIER, riant.Hé ! Hé ! Hé ! J'admire la peine que vous prenez pour mecacher vos sentiments ; vous craignez que je ne lescritique, après ce que vous m'avez dit : mais non,Madame, ne vous gênez point ; je sais combien il vaut decompter avec le coeur humain, et je ne vois rien là que defort ordinaire.

LA MARQUISE, en colère.Non, je n'ai de ma vie eu tant d'envie de querellerquelqu'un. Adieu.

LE CHEVALIER, la retenant.Ah ! Marquise, tout ceci n'est que conversation, et jeserais au désespoir de vous chagriner ; achevez, de grâce.

LA MARQUISE.Je reviens. Vous êtes l'homme du monde le plusestimable, quand vous voulez ; et je ne sais par quellefatalité vous sortez aujourd'hui d'un caractèrenaturellement doux et raisonnable ; laissez-moi finir... Jene sais plus où j'en suis.

LE CHEVALIER.Au Comte, qui vous déplaît.

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LA MARQUISE.Eh bien, ce Comte qui me déplaît, vous n'avez pas voulume parler pour lui ; Lisette s'est même imaginé vous voirun air piqué.

LE CHEVALIER.Il en pouvait être quelque chose.

LA MARQUISE.Passe pour cela, c'est répondre, et je vous reconnais : surcet air piqué, elle a pensé que je ne vous déplaisais pas.

LE CHEVALIER, salue en riant.Cela n'est pas difficile à penser.

LA MARQUISE.Pourquoi ? On ne plaît pas à tout le monde ; or, commeelle a cru que vous me conveniez, elle vous a proposé mamain, comme si cela dépendait d'elle, et il est vrai quesouvent je lui laisse assez de pouvoir sur moi ; vous vousêtes, dit-elle, révolté avec dédain contre la proposition.

LE CHEVALIER.Avec dédain ? Voilà ce qu'on appelle du fabuleux, del'impossible.

LA MARQUISE.Doucement, voici ma question : avez-vous rejeté l'offrede Lisette, comme piqué de l'amour du Comte, oucomme une chose qu'on rebute ? Était-ce dépit jaloux ?Car enfin, malgré nos conventions, votre coeur aurait puêtre tenté du mien : ou bien était-ce vrai dédain ?

LE CHEVALIER.Commençons par rayer ce dernier, il est incroyable ; pourde la jalousie...

LA MARQUISE.Parlez hardiment.

LE CHEVALIER, d'un air embarrassé.Que diriez-vous, si je m'avisais d'en avoir ?

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LA MARQUISE.Je dirais... que vous seriez jaloux.

LE CHEVALIER.Oui, mais, Madame, me pardonneriez-vous ce que voushaïssez tant ?

LA MARQUISE.Vous ne l'étiez donc point ?

Elle le regarde.Je vous entends, je l'avais bien prévu, et mon injure estavérée.

LE CHEVALIER.Que parlez-vous d'injure ? Où est-elle ? Est-ce que vousêtes fâchée contre moi ?

LA MARQUISE.Contre vous, Chevalier ? non, certes ; et pourquoi mefâcherais-je ? Vous ne m'entendez point, c'est àl'impertinente Lisette à qui j'en veux : je n'ai point de partà l'offre qu'elle vous a faite, et il a fallu vous l'apprendre,voilà tout ; d'ailleurs, ayez de l'indifférence ou de la hainepour moi, que m'importe ? J'aime bien mieux cela que del'amour ; au moins, ne vous y trompez pas.

LE CHEVALIER.Qui ? moi, Madame, m'y tromper ! Eh ! ce sont cesdispositions-là dans lesquelles je vous ai vue, qui m'ontattaché à vous, vous le savez bien ; et depuis que j'aiperdu Angélique, j'oublierais presque qu'on peut aimer, sivous ne m'en parliez pas.

LA MARQUISE.Oh ! Pour moi, j'en parle sans m'en ressouvenir. Allons,Monsieur Hortensius, approchez, prenez votre place ;lisez-moi quelque chose de gai, qui m'amuse.

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SCÈNE VIII.Hortensius et les acteurs précédents.

LA MARQUISE.Chevalier, vous êtes le maître de rester si ma lecture vousconvient ; mais vous êtes bien triste, et je veux tâcher deme dissiper.

LE CHEVALIER, sérieux.Pour moi, Madame, je n'en suis point encore aux lecturesamusantes.

Il s'en va.

LA MARQUISE, à Hortensius, quand il est parti..Qu'est-ce que c'est que votre livre ?

HORTENSIUS.Ce ne sont que des réflexions très sérieuses.

LA MARQUISE.Eh bien, que ne parlez-vous donc ? Vous êtes bientaciturne ! Pourquoi laisser sortir le Chevalier, puisque ceque vous allez lire lui convient ?

HORTENSIUS, appelle le Chavalier.Monsieur le Chevalier ! Monsieur le Chevalier !

LE CHEVALIER, reparaît.Que me voulez-vous ?

HORTENSIUS.Madame vous prie de revenir, je ne lirai rien de récréatif.

LA MARQUISE.Que voulez-vous dire : Madame vous prie ? Je ne priepoint : vous avez des réflexions... Et vous rappelezMonsieur, voilà tout.

LE CHEVALIER.Je m'aperçois, Madame, que je faisais une impolitesse deme retirer, et je vais rester, si vous le voulez bien.

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LA MARQUISE.Comme il vous plaira ; asseyons-nous donc.

Ils prennent des sièges.

HORTENSIUS, après avoir toussé, craché, lit."La raison est d'un prix à qui tout cède ; c'est elle qui faitnotre véritable grandeur ; on a nécessairement toutes lesvertus avec elle ; enfin le plus respectable de tous leshommes, ce n'est pas le plus puissant, c'est le plusraisonnable."

LE CHEVALIER, s'agitant sur son siège.Ma foi, sur ce pied-là, le plus respectable de tous leshommes a tout l'air de n'être qu'une chimère : quand jedis les hommes, j'entends tout le monde.

LA MARQUISE.Mais, du moins, y a-t-il des gens qui sont plusraisonnables les uns que les autres.

LE CHEVALIER.Hum ! Disons qui ont moins de folie, cela sera plus sûr.

LA MARQUISE.Eh ! De grâce, laissez-moi un peu de raison, Chevalier ;je ne saurais convenir que je suis folle, par exemple...

LE CHEVALIER.Vous, Madame ? Eh ! N'êtes-vous pas exceptée ? Velas'en va sans dire et c'est la règle.

LA MARQUISE.Je ne suis point tentée de vous remercier ; poursuivons.

HORTENSIUS, lit."Puisque la raison est un si grand bien, n'oublions rienpour la conserver ; fuyons les passions qui nous ladérobent ; l'amour est une de celles..."

LE CHEVALIER.L'amour ! L'amour ôte la raison ? Cela n'est pas vrai ; jen'ai jamais été plus raisonnable que depuis que j'en aipour Angélique, et j'en ai excessivement.

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LA MARQUISE.Vous en aurez tant qu'il vous plaira, ce sont vos affaires,et on ne vous en demande pas le compte ; mais l'auteurn'a point tant de tort ; je connais des gens, moi, quel'amour rend bourrus et sauvages, et ces défauts-làn'embellissent personne, je pense.

HORTENSIUS.Si Monsieur me donnait la licence de parachever,peut-être que...

LE CHEVALIER.Petit auteur que cela, esprit superficiel...

HORTENSIUS, se levant.Petit auteur, esprit superficiel ! Un homme qui citeSénèque pour garant de ce qu'il dit, ainsi que vous leverrez plus bas, folio 24, chapitre V !

LE CHEVALIER.Fût-ce chapitre mille, Sénèque ne sait ce qu'il dit.

HORTENSIUS.Cela est impossible.

LA MARQUISE, riant.En vérité, cela me divertit plus que ma lecture : mais,Monsieur Hortensius, en voilà assez, votre livre ne plaîtpoint au Chevalier, n'en lisons plus ; une autre fois nousserons plus heureux.

LE CHEVALIER.C'est votre goût, Madame, qui doit décider.

LA MARQUISE.Mon goût veut bien avoir cette complaisance-là pour levôtre.

HORTENSIUS, s'en allant.Sénèque un petit auteur ! Par Jupiter, si je le disais, jecroirais faire un blasphème littéraire. Adieu, Monsieur.

LE CHEVALIER.Serviteur, serviteur.

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SCÈNE IX.Le Chevalier, La Marquise.

LA MARQUISE.Vous voilà brouillé avec Hortensius, Chevalier ; de quoivous avisez-vous aussi de médire de Sénèque ?

LE CHEVALIER.Sénèque et son défenseur ne m'inquiètent pas, pourvu quevous ne preniez pas leur parti, Madame.

LA MARQUISE.Ah ! Je demeurerai neutre, si la querelle continue ; car jem'imagine que vous ne voudrez pas la recommencer ; nosoccupations vous ennuient, n'est-il pas vrai ?

LE CHEVALIER.Il faut être plus tranquille que je ne suis, pour réussir às'amuser.

LA MARQUISE.Ne vous gênez point, Chevalier, vivons sans façon ; vousvoulez peut-être seul : adieu, je vous laisse.

LE CHEVALIER.Il n'y a plus de situation qui ne me soit à charge.

LA MARQUISE.Je voudrais de tout mon coeur pouvoir vous calmerl'esprit.

Elle part lentement.

LE CHEVALIER, pendant qu'elle marche.Ah ! Je m'attendais à plus de repos quand j'ai rompu monvoyage ; je ne ferai plus de projets, je vois bien que jerebute le monde.

LA MARQUISE, s'arrêtant au milieu du théâtre.Ce que je lui entends dire là me touche ; il ne serait pasgénéreux de le quitter dans cet état-là.

Elle revient.Non, Chevalier, vous ne me rebutez point ; ne cédezpoint à votre douleur : tantôt vous partagiez meschagrins, vous étiez sensible à la part que je prenais auxvôtres, pourquoi n'êtes-vous plus de même ? C'est celaqui me rebuterait, par exemple, car la véritable amitiéveut qu'on fasse quelque chose pour elle, elle veutconsoler.

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LE CHEVALIER.Aussi aurait-elle bien du pouvoir sur moi : si je latrouvais, personne au monde n'y serait plus sensible ; j'aile coeur fait pour elle ; mais où est-elle ? Je m'imaginaisl'avoir trouvée, me voilà détrompé, et ce n'est pas sansqu'il en coûte à mon coeur.

LA MARQUISE.Peut-on de reproche plus injuste que celui que vous mefaites ? De quoi vous plaignez-vous, voyons ? d'unechose que vous avez rendue nécessaire : une étourdievient vous proposer ma main, vous y avez de larépugnance ; à la bonne heure, ce n'est point là ce qui mechoque ; un homme qui a aimé Angélique peut trouverles autres femmes bien inférieures, elle a dû vous rendreles yeux très difficiles ; et d'ailleurs tout ce qu'on appellevanité là-dessus, je n'en suis plus.

LE CHEVALIER.Ah ! Madame, je regrette Angélique, mais vous m'enauriez consolé, si vous aviez voulu.

LA MARQUISE.Je n'en ai point de preuve ; car cette répugnance dont jene me plains point, fallait-il la marquer ouvertement ?Représentez-vous cette action-là de sang-froid ; vous êtesgalant homme, jugez-vous ; où est l'amitié dont vousparlez ? Car, encore une fois, ce n'est pas de l'amour queje veux, vous le savez bien, mais l'amitié n'a-t-elle pas sessentiments, ses délicatesses ? L'amour est bien tendre,Chevalier ; eh bien, croyez qu'elle ménage avec encoreplus de scrupule que lui les intérêts de ceux qu'elle unitensemble. Voilà le portrait que je m'en suis toujours fait,voilà comme je la sens, et comme vous auriez dû la sentir: il me semble que l'on n'en peut rien rabattre, et vousn'en connaissez pas les devoirs comme moi : qu'il viennequelqu'un me proposer votre main, par exemple, et jevous apprendrai comme on répond là-dessus.

LE CHEVALIER.Oh ! Je suis sûr que vous y seriez plus embarrassé quemoi ! Car enfin, vous n'accepteriez point la proposition.

LA MARQUISE.Nous n'y sommes pas, ce quelqu'un n'est pas venu, et cen'est que pour vous dire combien je vous ménagerais :cependant vous vous plaignez.

LE CHEVALIER.Eh ! Morbleu, Madame, vous m'avez parlé derépugnance, et je ne saurais vous souffrir cette idée-là.Tenez, je trancherai tout d'un coup là-dessus : si jen'aimais pas Angélique, qu'il faut bien que j'oublie, vousn'auriez qu'une chose à craindre avec moi, qui est que

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mon amitié ne devînt amour, et raisonnablement il n'yaurait que cela à craindre non plus ; c'est là toute larépugnance que je me connais.

LA MARQUISE.Ah ! Pour cela, c'en serait trop ; il ne faut pas, Chevalier,il ne faut pas.

LE CHEVALIER.Mais ce serait vous rendre justice ; d'ailleurs, d'où peutvenir le refus dont vous m'accusez ? car enfin était-ilnaturel ? C'est que le Comte vous aimait, c'est que vousle souffriez ; j'étais outré de voir cet amour venirtraverser un attachement qui devait faire toute maconsolation ; mon amitié n'est point compatible aveccela, ce n'est point une amitié faite comme les autres.

LA MARQUISE.Eh bien, voilà qui change tout, je ne me plains plus, jesuis contente ; ce que vous me dites là, je l'éprouve, je lesens ; c'est là précisément l'amitié que je demande, lavoilà, c'est la véritable, elle est délicate, elle est jalouse,elle a droit de l'être ; mais que ne me parliez-vous ? Quen'êtes-vous venu me dire : Qu'est-ce que c'est que leComte ? Que fait-il chez vous ? Je vous aurais tiréd'inquiétude, et tout cela ne serait point arrivé.

LE CHEVALIER.Vous ne me verrez point faire d'inclination, à moi ; je n'ysonge point avec vous.

LA MARQUISE.Vraiment je vous le défends bien, ce ne sont pas là nosconditions ; je serais jalouse aussi, moi, jalouse commenous l'entendons.

LE CHEVALIER.Vous, Madame ?

LA MARQUISE.Est-ce que je ne l'étais pas de cette façon-là tantôt ? votreréponse à Lisette n'avait-elle pas dû me choquer ?

LE CHEVALIER.Vous m'avez pourtant dit de cruelles choses.

LA MARQUISE.Eh ! à qui en dit-on, si ce n'est aux gens qu'on aime, etqui semblent n'y pas répondre ?

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LE CHEVALIER.Dois-je vous en croire ? Que vous me tranquillisez, machère Marquise !

LA MARQUISE.Écoutez, je n'avais pas moins besoin de cetteexplication-là que vous.

LE CHEVALIER.Que vous me charmez ! Que vous me donnez de joie !

Il lui baise la main.

LA MARQUISE, riant.On le prendrait pour mon amant, de la manière dont il meremercie.

LE CHEVALIER.Ma foi, je défie un amant de vous aimer plus que je fais ;je n'aurais jamais cru que l'amitié allât si loin, cela estsurprenant ; l'amour est moins vif.

LA MARQUISE.Et cependant il n'y a rien de trop.

LE CHEVALIER.Non, il n'y a rien de trop ; mais il me reste une grâce àvous demander. Gardez-vous Hortensius ? Je crois qu'ilest fâché de me voir ici, et je sais lire aussi bien que lui.

LA MARQUISE.Eh bien, Chevalier, il faut le renvoyer ; voilà toute lafaçon qu'il faut y faire.

LE CHEVALIER.Et le Comte, qu'en ferons-nous ? Il m'inquiète un peu.

LA MARQUISE.On le congédiera aussi ; je veux que vous soyez content,je veux vous mettre en repos. Donnez-moi la main, jeserais bien aise de me promener dans le jardin.

LE CHEVALIER.Allons, Marquise.

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ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE.

HORTENSIUS, seul.Homère, Anacréon et Virgile sont despoètes antiques respectivement grecset latins.

N'est-ce pas une chose étrange, qu'un homme commemoi n'ait point de fortune ! Posséder le grec et le latin, etne pas posséder dix pistoles ? Ô divin Homère ! ÔVirgile ! Et vous gentil Anacréon ! Vos doctes interprètesont de la peine à vivre ; bientôt je n'aurai plus d'asile : j'aivu la Marquise irritée contre le Chevalier ; maisincontinent je l'ai vue dans le jardin discourir avec lui dela manière la plus bénévole. Quels solécismes deconduite ! Est-ce que l'amour m'expulserait d'ici ?

SCÈNE II.Hortensius, Lisette, Lubin.

LUBIN, gaillardement.Tiens, Lisette, le voilà bien à propos pour lui faire nosadieux.

En riant.Ah, ah, ah !

HORTENSIUS.À qui en veut cet étourdi-là, avec son transport de joie ?

LUBIN.Allons, gai, camarade Docteur ; comment va laphilosophie ?

HORTENSIUS.Pourquoi me faites-vous cette question-là ?

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LUBIN.Ma foi, je n'en sais rien, si ce n'est pour entrer enconversation.

LISETTE.Allons, allons, venons au fait.

LUBIN.Encore un petit mot, Docteur : n'avez-vous jamais couchédans la rue ?

HORTENSIUS.Que signifie ce discours ?

LUBIN.C'est que cette nuit vous en aurez le plaisir ; le vent debise vous en dira deux mots.

LISETTE.N'amusons point davantage Monsieur Hortensius. Tenez,Monsieur, voilà de l'or que Madame m'a chargé de vousdonner, moyennant quoi, comme elle prend congé devous, vous pouvez prendre congé d'elle. A mon égard, jesalue votre érudition, et je suis votre très humbleservante.

Elle lui fait la révérence.

LUBIN.Et moi votre serviteur.

HORTENSIUS.Quoi, Madame me renvoie ?

LISETTE.Non pas, Monsieur, elle vous prie seulement de vousretirer.

LUBIN.Et vous qui êtes honnête, vous ne refuserez rien auxprières de Madame.

HORTENSIUS.Savez-vous la raison de cela, Mademoiselle Lisette ?

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LISETTE.Non : mais en gros je soupçonne que cela pourrait venirde ce que vous l'ennuyez.

LUBIN.Et en détail, de ce que nous sommes bien aises de nousaimer en paix, en dépit de la philosophie que vous avezdans la tête.

LISETTE.Tais-toi.

HORTENSIUS.J'entends, c'est que Madame la Marquise et Monsieur leChevalier ont de l'inclination l'un pour l'autre.

LISETTE.Je n'en sais rien, ce ne sont pas mes affaires.

LUBIN.Eh bien ! Tout coup vaille, quand ce serait del'inclination, quand ce serait des passions, des soupirs,des flammes, et de la noce après : il n'y a rien de sigaillard ; on a un coeur, on s'en sert, cela est naturel.

LISETTE, à Lubin.Finis tes sottises.

À Hortensius.Vous voilà averti, Monsieur ; je crois que cela suffit.

LUBIN.Adieu, touchez là, et partez ferme ; il n'y aura pas de malà doubler le pas.

HORTENSIUS.Dites à Madame que je me conformerai à ses ordres.

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SCÈNE III.Lisette, Lubin.

LISETTE.Enfin, le voilà congédié ; c'est pourtant un amant que jeperds.

LUBIN.Un amant ! Quoi ! Ce vieux radoteur t'aimait ?

LISETTE.Sans doute ; il voulait me faire des arguments.

LUBIN.Hum !

LISETTE.Des arguments, te dis-je ; mais je les ai fort bienrepoussés avec d'autres.

LUBIN.Des arguments ! Voudrais-tu bien m'en pousser un, pourvoir ce que c'est ?

LISETTE.Il n'y a rien de si aisé. Tiens, en voilà un : tu es un joligarçon, par exemple.

LUBIN.Cela est vrai.

LISETTE.J'aime tout ce qui est joli, ainsi je t'aime : c'est là ce quel'on appelle un argument.

LUBIN.Pardi, tu n'as que faire du Docteur pour cela, je t'en feraiaussi bien qu'un autre. Gageons un petit baiser que je t'endonne une douzaine.

LISETTE.Je gagerai quand nous serons mariés, parce que je seraibien aise de perdre.

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LUBIN.Bon ! Quand nous serons mariés, j'aurai toujours gagnésans faire de gageure.

LISETTE.Paix ! J'entends quelqu'un qui vient ; je crois que c'estMonsieur le Comte : Madame m'a chargé d'uncompliment pour lui, qui ne le réjouira pas.

SCÈNE IV.Le Comte, Lisette, Lubin.

LE COMTE, d'un air ému.Bonjour, Lisette ; je viens de rencontrer Hortensius, quim'a dit des choses bien singulières. La Marquise lerenvoie, à ce qu'il dit, parce qu'elle aime le Chevalier, etqu'elle l'épouse. Cela est-il vrai ? Je vous prie dem'instruire...

LISETTE.Mais, Monsieur le Comte, je ne crois pas que cela soit, etje n'y vois pas encore d'apparence : Hortensius luidéplaît, elle le congédie ; voilà tout ce que j'en puis dire.

LE COMTE, à Lubin.Et toi, n'en sais-tu pas davantage ?

LUBIN.Non, Monsieur le Comte, je ne sais que mon amour pourLisette : voilà toutes mes nouvelles.

LISETTE.Madame la Marquise est si peu disposée à se marier,qu'elle ne veut pas même voir d'amants : elle m'a dit devous prier de ne point vous obstiner à l'aimer.

LE COMTE.Non plus qu'à la voir, sans doute ?

LISETTE.Mais je crois que cela revient au même.

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LUBIN.Oui, qui dit l'un dit l'autre.

LE COMTE.Que les femmes sont inconcevables ! Le Chevalier estici, apparemment ?

LISETTE.Je crois qu'oui.

LUBIN.Leurs sentiments d'amitié ne permettent pas qu'ils seséparent.

LE COMTE.Ah ! Avertissez, je vous prie, le Chevalier, que jevoudrais lui dire un mot.

LISETTE.J'y vais de ce pas, Monsieur le Comte.

Lubin sort avec Lisette, en saluant le Comte.

SCÈNE V.

LE COMTE, seul.Qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce de l'amour qu'ils ontl'un pour l'autre ? Le Chevalier va venir, interrogeons soncoeur pour en tirer la vérité. Je vais me servir d'unstratagème, qui, tout commun qu'il est, ne laisse passouvent que de réussir.

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SCÈNE VI.Le Chevalier, Le Comte.

LE CHEVALIER.On m'a dit que vous me demandiez ; puis-je vous rendrequelque service, Monsieur ?

LE COMTE.Oui, Chevalier, vous pouvez véritablement m'obliger.

LE CHEVALIER.Pardi, si je le puis, cela vaut fait.

LE COMTE.Vous m'avez dit que vous n'aimiez pas la Marquise.

LE CHEVALIER.Que dites-vous là ? Je l'aime de tout mon coeur.

LE COMTE.J'entends que vous n'aviez point d'amour pour elle.

LE CHEVALIER.Ah ! C'est une autre affaire, et je me suis expliquélà-dessus.

LE COMTE.Je le sais, mais êtes-vous dans les mêmes sentiments ? Nes'agit-il point à présent d'amour, absolument ?

LE CHEVALIER, riant.Eh ! Mais, en vérité, par où jugez-vous qu'il y en ait ?Qu'est-ce que c'est que cette idée-là ?

LE COMTE.Moi, je n'en juge point, je vous le demande.

LE CHEVALIER.Hum ! vous avez pourtant la mine d'un homme qui lecroit.

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LE COMTE.Eh bien, débarrassez-vous de cela ; dites-moi oui ou non.

LE CHEVALIER, riant.Eh, eh ! Monsieur le Comte, un homme d'esprit commevous ne doit point faire de chicane sur les mots ; le oui etle non, qui ne se sont point présentés à moi, ne valent pasmieux que le langage que je vous tiens ; c'est la mêmechose, assurément : il y a entre la Marquise et moi uneamitié et des sentiments vraiment respectables. Etes-vouscontent ? Cela est-il net ? Voilà du français.

LE COMTE, à part.Pas trop... On ne saurait mieux dire, et j'ai tort ; mais ilfaut pardonner aux amants, ils se méfient de tout.

LE CHEVALIER.Je sais ce qu'ils sont par mon expérience. Revenons àvous et à vos amours, je m'intéresse beaucoup à ce quivous regarde ; mais n'allez pas encore empoisonner ceque je vais vous dire ; ouvrez-moi votre coeur. Est-ce quevous voulez continuer d'aimer la Marquise ?

LE COMTE.Toujours.

LE CHEVALIER.Entre nous ; il est étonnant que vous ne vous lassiez pointde son indifférence. Parbleu, il faut quelques sentimentsdans une femme. Vous hait-elle ? On combat sa haine ;ne lui déplaisez-vous pas ? On espère ; mais une femmequi ne répond rien, comment se conduire avec elle ? Paroù prendre son coeur ? Un coeur qui ne se remue ni pourni contre, qui n'est ni ami ni ennemi, qui n'est rien, qui estmort, le ressuscite-t-on ? Je n'en crois rien : et c'estpourtant ce que vous voulez faire.

LE COMTE, finement.Non, non, Chevalier, je vous parle confidemment, à montour. Je n'en suis pas tout à fait réduit à une entreprise sichimérique, et le coeur de la Marquise n'est pas si mortque vous le pensez : m'entendez-vous ? Vous êtesdistrait.

LE CHEVALIER.Vous vous trompez, je n'ai jamais eu plus d'attention.

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LE COMTE.Elle savait mon amour, je lui en parlais, elle écoutait.

LE CHEVALIER.Elle écoutait ?

LE COMTE.Oui, je lui demandais du retour.

LE CHEVALIER.C'est l'usage ; et à cela quelle réponse ?

LE COMTE.On me disait de l'attendre.

LE CHEVALIER.C'est qu'il était tout venu.

LE COMTE, à part.Il l'aime...

Haut.Cependant aujourd'hui elle ne veut pas me voir, j'attribuecela à ce que j'avais été quelques jours sans paraître,avant que vous arrivassiez : la Marquise est la femme deFrance la plus fière.

LE CHEVALIER.Ah ! Je la trouve passablement humiliée d'avoir cettefierté-là.

LE COMTE.Je vous ai prié tantôt de me raccommoder avec elle, et jevous en prie encore.

LE CHEVALIER.Eh ! Vous vous moquez, cette femme-là vous adore.

LE COMTE.Je ne dis pas cela.

LE CHEVALIER.Et moi, qui ne m'en soucie guère, je le dis pour vous.

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LE COMTE.Ce qui m'en plaît, c'est que vous le dites sans jalousie.

LE CHEVALIER.Oh ! Parbleu, si cela vous plaît, vous êtes servi à souhait ;car je vous dirai que j'en suis charmé, que je vous enfélicite, et que je vous embrasserais volontiers.

LE COMTE.Embrassez donc, mon cher.

LE CHEVALIER.Ah ! ce n'est pas la peine ; il me suffit de m'en réjouirsincèrement, et je vais vous en donner des preuves qui neseront point équivoques.

LE COMTE.Je voudrais bien vous en donner de ma reconnaissance,moi ; et si vous étiez d'humeur à accepter celle quej'imagine, ce serait alors que je serais bien sûr de vous. Àl'égard de la Marquise...

LE CHEVALIER.Comte, finissons : vous autres amants, vous n'avez quevotre amour et ses intérêts dans la tête, et toutes cesfolies-là n'amusent point les autres. Parlons d'autre chose: de quoi s'agit-il ?

LE COMTE.Dites-moi, mon cher, auriez-vous renoncé au mariage ?

LE CHEVALIER.Oh ! Parbleu, c'en est trop : faut-il que j'y renonce pourvous mettre en repos ? Non, Monsieur ; je vous demandegrâce pour ma postérité, s'il vous plaît. Je n'irai point survos brisées, mais qu'on me trouve un parti convenable, etdemain je me marie ; et qui plus est, c'est que cetteMarquise, qui ne vous sort pas de l'esprit, tenez, jem'engage à la prier de la fête.

LE COMTE.Ma foi, Chevalier, vous me ravissez ; je sens bien que j'aiaffaire au plus franc de tous les hommes ; vosdispositions me charment. Mon cher ami, continuons :vous connaissez ma soeur ; que pensez-vous d'elle ?

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Page 73: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LE CHEVALIER.Ce que j'en pense ?... Votre question me fait ressouvenirqu'il y a longtemps que je ne l'ai vue, et qu'il faut quevous me présentiez à elle.

LE COMTE.Vous m'avez dit cent fois qu'elle était digne d'être aiméedu plus honnête homme : on l'estime, vous connaissezson bien, vous lui plairez, j'en suis sûr ; et si vous nevoulez qu'un parti convenable, en voilà un.

LE CHEVALIER.En voilà un... Vous avez raison... Oui... Votre idée estadmirable : elle est amie de la Marquise, n'est-ce pas ?

LE COMTE.Je crois qu'oui.

LE CHEVALIER.Allons, cela est bon, et je veux que ce soit moi qui luiannonce la chose. Je crois que c'est elle qui entre,retirez-vous pour quelques moments dans ce cabinet ;vous allez voir ce qu'un rival de mon espèce est capablede faire, et vous paraîtrez quand je vous appellerai.Partez, point de remerciement, un jaloux n'en méritepoint.

SCÈNE VII.

LE CHEVALIER, seul.Parbleu, Madame, je suis donc cet ami qui devait voustenir lieu de tout : vous m'avez joué, femme que vousêtes ; mais vous allez voir combien je m'en soucie.

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Page 74: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

SCÈNE VIII.La Marquise, Le Chevalier;

LA MARQUISE.Le Comte, dit-on, était avec vous, Chevalier. Vous avezété bien longtemps ensemble, de quoi donc était-ilquestion ?

LE CHEVALIER, sérieusement.De pures visions de sa part, Marquise ; mais des visionsqui m'ont chagriné, parce qu'elles vous intéressent, etdont la première a d'abord été de me demander si je vousaimais.

LA MARQUISE.Mais je crois que cela n'est pas douteux.

LE CHEVALIER.Sans difficulté : mais prenez garde, il parlait d'amour, etnon pas d'amitié.

LA MARQUISE.Ah ! Il parlait d'amour ? Il est bien curieux : à votreplace, je n'aurais pas seulement voulu les distinguer, qu'ildevine.

LE CHEVALIER.Non pas, Marquise, il n'y avait pas moyen de jouerlà-dessus, car il vous enveloppait dans ses soupçons, etvous faisait pour moi le coeur plus tendre que je nemérite ; vous voyez bien que cela était sérieux ; il fallaitune réponse décisive, aussi l'ai-je faite, et l'ai bien assuréqu'il se trompait et qu'absolument il ne s'agissait pointd'amour entre nous deux, absolument.

LA MARQUISE.Mais croyez-vous l'avoir persuadé, et croyez-vous luiavoir dit cela d'un ton bien vrai, du ton d'un homme quile sent ?

LE CHEVALIER.Oh ! Ne craignez rien, je l'ai dit de l'air dont on dit lavérité. Comment donc, je serais très fâché, à cause devous, que le commerce de notre amitié rendît vossentiments équivoques ; mon attachement pour vous esttrop délicat, pour profiter de l'honneur que cela me ferait; mais j'y ai mis bon ordre, et cela par une chose tout àfait imprévue : vous connaissez sa soeur, elle est riche,très aimable, et de vos amies, même.

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Page 75: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LA MARQUISE.Assez médiocrement.

LE CHEVALIER.Dans la joie qu'il a eu de perdre ses soupçons, le Comteme l'a proposée ; et comme il y a des instants et desréflexions qui nous déterminent tout d'un coup, ma foi j'aipris mon parti ; nous sommes d'accord, et je doisl'épouser. Ce n'est pas là tout, c'est que je me suis encorechargé de vous parler en faveur du Comte, et je vous enparle du mieux qu'il m'est possible ; vous n'aurez pas lecoeur inexorable, et je ne crois pas la propositionfâcheuse.

LA MARQUISE, froidement.Non, Monsieur ; je vous avoue que le Comte ne m'ajamais déplu.

LE CHEVALIER.Ne vous a jamais déplu ! C'est fort bien fait. Maispourquoi donc m'avez-vous dit le contraire ?

LA MARQUISE.C'est que je voulais me le cacher à moi-même, et ill'ignore aussi.

LE CHEVALIER.Point du tout, Madame, car il vous écoute.

LA MARQUISE.Lui ?

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Page 76: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

SCÈNE IX.La Marquise, Le Chevalier, Le Comte.

LE COMTE.J'ai suivi les conseils du Chevalier, Madame ; permettezque mes transports vous marquent la joie où je suis.

Il se jette aux genoux de la Marquise.

LA MARQUISE.Levez-vous, Comte, vous pouvez espérer.

LE COMTE.Que je suis heureux ! Et toi, Chevalier, que ne te dois-jepas ? Mais, Madame, achevez de me rendre le pluscontent de tous les hommes. Chevalier, joignez vosprières aux miennes.

LE CHEVALIER, d'un air agité.Vous n'en avez pas besoin, Monsieur ; j'avais promis deparler pour vous ; j'ai tenu parole, je vous laisseensemble, je me retire.

À part.Je me meurs.

LE COMTE.J'irai te retrouver chez toi.

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Page 77: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

SCÈNE X.La Marquise, le Comte.

LE COMTE.Madame, il y a longtemps que mon coeur est à vous ;consentez à mon bonheur ; que cette aventure-ci vousdétermine : souvent il n'en faut pas davantage. J'ai ce soiraffaire chez mon notaire, je pourrais vous l'amener ici,nous y souperions avec ma soeur qui doit venir vous voir; le Chevalier s'y trouverait ; vous verriez ce qu'il vousplairait de faire ; des articles sont bientôt passés, et ilsn'engagent qu'autant qu'on veut ; ne me refusez pas, jevous en conjure.

LA MARQUISE.Je ne saurais vous répondre, je me sens un peu indisposée; laissez-moi me reposer, je vous prie.

LE COMTE.Je vais toujours prendre les mesures qui pourront vousengager à m'assurer vos bontés.

SCÈNE XI.

LA MARQUISE, seule.Ah ! Je ne sais où j'en suis ; respirons ; d'où vient que jesoupire ? Les larmes me coulent des yeux ; je me senssaisie de la tristesse la plus profonde, et je ne saispourquoi. Qu'ai-je affaire de l'amitié du Chevalier ?L'ingrat qu'il est, il se marie : l'infidélité d'un amant neme toucherait point, celle d'un ami me désespère ; leComte m'aime, j'ai dit qu'il ne me déplaisait pas ; mais oùai-je donc été chercher tout cela ?

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Page 78: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

SCÈNE XII.La Marquise, Lisette.

LISETTE.Madame, je vous avertis qu'on vient de renvoyerMadame la Comtesse, mais elle a dit qu'elle repasseraitsur le soir ; voulez-vous y être ?

LA MARQUISE.Non, jamais, Lisette ; je ne saurais.

LISETTE.Êtes-vous indisposée ? Madame, vous avez l'air bienabattue ; qu'avez-vous donc ?

LA MARQUISE.Hélas ! Lisette, on me persécute, on veut que je memarie.

LISETTE.Vous marier ! À qui donc ?

LA MARQUISE.Au plus haïssable de tous les hommes ; à un homme quele hasard a destiné pour me faire du mal, et pourm'arracher, malgré moi, des discours que j'ai tenus, sanssavoir ce que je disais.

LISETTE.Mais il n'est venu que le Comte.

LA MARQUISE.Eh ! C'est lui-même.

LISETTE.Et vous l'épousez ?

LA MARQUISE.Je n'en sais rien ; je te dis qu'il le prétend.

LISETTE.Il le prétend ? Mais qu'est-ce que c'est donc que cetteaventure-là ? Elle ne ressemble à rien.

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LA MARQUISE.Je ne saurais te la mieux dire ; c'est le Chevalier, c'est cemisanthrope-là qui est cause de cela : il m'a fâché, leComte en a profité, je ne sais comment ; ils veulentsouper ce soir ici ; ils ont parlé de notaire, d'articles ; jeles laissais dire ; le Chevalier est sorti, il se marie aussi ;le Comte lui donne sa soeur ; car il ne manquait qu'unesoeur, pour achever de me déplaire, à cet homme-là...

LISETTE.Quand le Chevalier l'épouserait, que vous importe ?

LA MARQUISE.Veux-tu que je sois la belle-soeur d'un homme qui m'estdevenu insupportable ?

LISETTE.Hé ! Mort de ma vie ! Ne la soyez pas, renvoyez leComte !

LA MARQUISE.Hé ! Sur quel prétexte ! Car enfin, quoiqu'il me fâche, jen'ai pourtant rien à lui reprocher.

LISETTE.Oh ! Je m'y perds, Madame ; je n'y comprends plus rien.

LA MARQUISE.Ni moi non plus : je ne sais plus où j'en suis, je ne sauraisme démêler, je me meurs ! Qu'est-ce que c'est donc quecet état-là ?

LISETTE.Mais c'est, je crois, ce maudit Chevalier qui est cause detout cela ; et pour moi je crois que cet homme-là vousaime.

LA MARQUISE.Eh ! Non, Lisette ; on voit bien que tu te trompes.

LISETTE.Voulez-vous m'en croire, Madame ? Ne le revoyez plus.

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Page 80: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LA MARQUISE.Eh ! Laisse-moi, Lisette, tu me persécutes aussi ! Ne melaissera-t-on jamais en repos ? En vérité, la situation où jeme trouve est bien triste !

LISETTE.Votre situation, je la regarde comme une énigme.

SCÈNE XIII.La Marquise, Lisette, Lubin.

LUBIN.Madame, Monsieur le Chevalier, qui est dans un état àfaire compassion...

LA MARQUISE.Que veut-il dire ? Demande-lui ce qu'il a, Lisette.

LUBIN.Hélas ! je crois que son bon sens s'en va : tantôt ilmarche, tantôt il s'arrête ; il regarde le ciel, comme s'il nel'avait jamais vu ; il dit un mot, il en bredouille un autre,et il m'envoie savoir si vous voulez bien qu'il vous voie.

LA MARQUISE.Ne me conseilles-tu pas de le voir ? Oui, n'est-ce pas ?

LISETTE.Oui, Madame ; du ton dont vous me le demandez, je vousle conseille.

LUBIN.Il avait d'abord fait un billet pour vous, qu'il m'a donné.

LA MARQUISE.Voyons donc.

LUBIN.Tout à l'heure, Madame. Quand j'ai eu ce billet, il a couruaprès moi : Rends-moi le papier. Je l'ai rendu. Tiens, vale porter. Je l'ai donc repris. Rapporte le papier. Je l'airapporté ; ensuite, il a laissé tomber le billet en sepromenant, et je l'ai ramassé sans qu'il l'ait vu, afin devous l'apporter comme à sa bonne amie, pour voir ce qu'ila, et s'il y a quelque remède à sa peine.

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Page 81: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LA MARQUISE.Montre donc.

LUBIN.Le voici ; et tenez, voilà l'écrivain qui arrive.

SCÈNE XIV.La Marquise, Le Chevalier, Lisette.

LA MARQUISE, à Lisette.Sors, il sera peut-être bien aise de n'avoir point detémoins, d'être seul.

SCÈNE XV.Le Chevalier, La Marquise.

LE CHEVALIER prend de longs détours.Je viens prendre congé de vous, et vous dire adieu,Madame.

LA MARQUISE.Vous, Monsieur le Chevalier ? Et où allez-vous donc ?

LE CHEVALIER.Où j'allais quand vous m'avez arrêté.

LA MARQUISE.Mon dessein n'était pas de vous arrêter pour si peu detemps.

LE CHEVALIER.Ni le mien de vous quitter si tôt, assurément.

LA MARQUISE.Pourquoi donc me quittez-vous ?

LE CHEVALIER.Pourquoi je vous quitte ? Eh ! Marquise, que vousimporte de me perdre, dès que vous épousez le Comte ?

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Page 82: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LA MARQUISE.Tenez, Chevalier, vous verrez qu'il y a encore dumalentendu dans cette querelle-là : ne précipitez rien, jene veux point que vous partiez, j'aime mieux avoir tort.

LE CHEVALIER.Non, Marquise, c'en est fait ; il ne m'est plus possible derester, mon coeur ne serait plus content du vôtre.

LA MARQUISE, avec douleur.Je crois que vous vous trompez.

LE CHEVALIER.Si vous saviez combien je vous dis vrai ! Combien nossentiments sont différents !...

LA MARQUISE.Pourquoi différents ? Il faudrait donner un peu plusd'étendue à ce que vous dites là, Chevalier ; je ne vousentends pas bien.

LE CHEVALIER.Ce n'est qu'un seul mot qui m'arrête.

LA MARQUISE, avec un peu d'embarras.Je ne puis deviner, si vous ne me le dites.

LE CHEVALIER.Tantôt je m'étais expliqué dans un billet que je vous avaisécrit.

LA MARQUISE.A propos de billet, vous me faites ressouvenir que l'onm'en a apporté un quand vous êtes venu.

LE CHEVALIER, intrigué.Et de qui est-il, Madame ?

LA MARQUISE.Je vous le dirai.

Elle lit.Je devais, Madame, regretter Angélique toute ma vie ;cependant, le croiriez-vous ? Je pars aussi pénétréd'amour pour vous que je le fus jamais pour elle."

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Page 83: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

LE CHEVALIER.Ce que vous lisez là, Madame, me regarde-t-il ?

LA MARQUISE.Tenez, Chevalier, n'est-ce pas là le mot qui vous arrête ?

LE CHEVALIER.C'est mon billet ! Ah ! Marquise, que voulez-vous que jedevienne ?

LA MARQUISE.Je rougis, Chevalier, c'est vous répondre.

LE CHEVALIER, lui baisant la main.Mon amour pour vous durera autant que ma vie.

LA MARQUISE.Je ne vous le pardonne qu'à cette condition-là.

SCÈNE XVI.La Marquise, Le Chevalier, Le Comte.

LE COMTE.Que vois-je, Monsieur le Chevalier ? Voilà de grandstransports !

LE CHEVALIER.Il est vrai, Monsieur le Comte ; quand vous me disiez quej'aimais Madame, vous connaissiez mieux mon coeur quemoi ; mais j'étais dans la bonne foi, et je suis sûr de vousparaître excusable.

LE COMTE.Et vous, Madame ?

LA MARQUISE.Je ne croyais pas l'amitié si dangereuse.

LE COMTE.Ah ! Ciel !

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Page 84: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

SCÈNE DERNIÈRE.La Marquise, Le Chevalier, Lisette, Lubin.

LISETTE.Madame, il y a là-bas un notaire que le Comte a amené.

LE CHEVALIER.Le retiendrons-nous, Madame ?

LA MARQUISE.Faites, je ne me mêle plus de rien.

LISETTE, au Chevalier.Ah ! je commence à comprendre : le Comte s'en va, lenotaire reste, et vous vous mariez.

LUBIN.Et nous aussi, et il faudra que votre contrat fasse lafondation du nôtre : n'est-ce pas, Lisette ? Allons, de lajoie !

FIN

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Page 85: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

Privilège du RoiLouis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre ; à nos amés

et féaux conseillers, les gens tenant nos cours de Parlement, maîtres

de Requêtes ordinaires de notre hôtel, Grand Conseil, Prévôt de

Paris, baillifs, sénéchaux, leurs lieutenants civils, et autres nos

justiciers qu'il appartiendra, SALUT. Notre bien amé Pierre

PRAULT, libraire et imprimeur à Paris, nous ayant fait remontrer

qu'il lui aurait été mis en main un livre qui a pour titre "Le

SPECTATEUR FRANCAIS" [sic] par le sieur de Marivaux, qu'il

souhaiterait imprimer et donner au public, s'il nous plaisait lui

accorder nos lettres de privilège sur ce nécessaires, offrant pour cet

effet de l'imprimer ou faire imprimer en bon papier et beaux

caractères, suivant le feuille imprimée et attachée pour modèle sous

le contrecel des présentes. À ces causes, voulant traiter

favorablement ledit exposant, nous lui avons permis et permettons

par ces présentes d'imprimer ou faire imprimer ledit livre ci-dessus

spécifié en un ou plusieurs volumes, conjointement ou séparémment,

et autant de fois que bon lui semblera, sur papier et caractères

conformes à ladite feuille imprimée et attachée pour modèle sous

notredit contrecel, et de la vendre, faire vendre et débiter partout

notre royaume, pendant le temps de huit années consécutives, à

compter du jour de la date desdites présentes. Faisons défenses à

toute sortes de personnes de quelque qualité et conditions qu'elles

soient, d'en introduire d'impression étrangère dans aucun lieu de

notre obéissance ; comme aussi à tous libraires, imprimeurs et autres,

d'imprimer, faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter ni

contrefaire ledit livre en tout ni en partie, ni d'en faire aucuns

extraits, sous quelque prétexte que ce soit, d'augmentation,

correction, changement de titre ou autrement, sans le permission

expresse et par écrit dudit exposant, ou de ceux qui auront droit de

lui ; à peine de confiscation des exemplaire contrefaits de quinze

cent livres d'amende contre chacun des contrevenants, dont un tiers à

Nous, un tiers à l'Hôtel-Dieu de Paris, et l'autre tiers au dit exposant,

et de tous dépens, dommages et intérêts : à la charge que ces

présentes seront enregistrées tout au long sur le registre de la

Communauté des libraires et imprimeurs de Paris, dans trois mois de

la date d'icelles ; que l'impression de ce livre sera faite dans notre

royaume et non ailleurs, et que l'impétrant se conformera en tout aux

règlement de la Librairie, et notammment à celui du dixième avril

1725 et qu'avant que de l'exposer en vente, le manuscrit ou imprimé

qui aura servi de copie à l'impression dudit livre sera mis dans le

même état où l'approbation y aura été donnée, es mains de notre très

cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de Fracne, le sieur

CHAUVELIN ; et qu'il en sera ensuite remis deux exemplaires dans

notre bibliothèque publique, un dans celle de notre château du

Louvre, et un dans celle de notredit très cher et féal Chevalier Garde

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Page 86: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

des Sceaux de France, le seur CHAUVELIN, le tout à peine de

nullité des présentes ; Du contenu desquelles vous mandons et

enjoignons de faire jouir l'exposant ou ses ayant cause pleinement et

paisiblement, sans souffrir qu'il leur soit fait aucun trouble ou

empêchement. Voulons que la copie desdites présentes, qui sera

imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit livre soit

tenue pour duement signifiée, et qu'aux copies collationnées par l'un

de nos amés et féaux Conseillers-secrétaires, foi soit ajoutée comme

à l'original. Commandons au premier notre huissier ou sergent, de

faire pour l'exécuion d'icelles, tous actes requis et nécessaires, sans

demander autre persmission, nonobstant clameur de haro, Charte

normande, et lettres à ce contraires. Car tel est notre plaisir.

Donné à Paris le vingt-sixième jour du mois de décembre, l'an de

grâce, mil sept cent vingt-sept, et de notre règne le treizième. Par le

Roi en son conseil. Signé RIBALLIER

Régistré sur le registre VII de la Chambre Royale des Libraires et

Imprimeurs de Paris, n°49 F°45 conformément aux anciens

réglements, confirmés par celui du 28 février 1723. À Paris, le neuf

janvier mil sept cent vingt-huit. Signé, BRUNET, syndic.

APPROBATION

J'ai lu par ordre de Monseigneur le Garde de Sceaux, une comédie,

qui a pour titre, "La Seconde suprise de l'Amour" ; et j'ai cru que

l'impression en serait agréable au public. Fait à Paris ce 20 février

1728. DANCHET.

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Page 87: LA SECONDE SUPRISE DE L'AMOUR, COMÉDIE

PRESENTATION des éditions du THEÂTRE CLASSIQUE

Les éditions s'appuient sur les éditions originalesdisponibles et le lien vers la source électronique estsignalée. Les variantes sont mentionnées dans de rarescas.Pour faciliter, la lecture et la recherche d'occurences demots, l'orthographe a été modernisée. Ainsi, entre autres,les 'y' en fin de mots sont remplacés par des 'i', lesgraphies des verbes conjugués ou à l'infinitif en 'oître' esttransformé en 'aître' quand la la graphie modernel'impose. Il se peut, en conséquence, que certaines rimesdes textes en vers ne semblent pas rimer. Les mots 'encor'et 'avecque' sont conservés avec leur graphie anciennequand le nombre de syllabes des vers peut en être altéré.Les caractères majuscules accentués sont marqués.La ponctuation est la plupart du temps conservée àl'exception des fins de répliques se terminant par unevirgule ou un point-virgule, ainsi que quand lacompréhension est sérieusement remise en cause. Unenote l'indique dans les cas les plus significatifs.Des notes explicitent les sens vieillis ou perdus de motsou expressions, les noms de personnes et de lieux avecdes définitions et notices issues des dictionnaires comme- principalement - le Dictionnaire Universel AntoineFuretière (1701) [F], le Dictionnaire de Richelet [R],mais aussi Dictionnaire Historique de l'Ancien LangageFrançais de La Curne de Saint Palaye (1875) [SP], ledictionnaire Universel Français et Latin de Trévoux(1707-1771) [T], le dictionnaire Trésor de languefrançaise tant ancienne que moderne de Jean Nicot(1606) [N], le Dictionnaire etymologique de la languefrançoise par M. Ménage ; éd. par A. F. Jault (1750), LeDictionnaire des arts et des sciences de M. D. C. del'Académie françoise (Thomas Corneille) [TC], leDictionnaire critique de la langue française par M. l'abbéFeraud [FC], le dictionnaire de l'Académie Française[AC] suivi de l'année de son édition, le dictionnaired'Emile Littré [L], pour les lieux et les personnes leDictionnaire universel d'Histoire et de Géographie deM.N. Bouillet (1878) [B] ou le DictionnaireBiographique des tous les hommes morts ou vivants deMichaud (1807) [M].

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