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Alain Chouet
La Sagesse de l’Espion
L’œil neuf éditions
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À la mémoire de Jean-Pierre M.Mort pour la France
À jamais anonyme, comme le veut ce métier
Les propos, opinions et jugements exprimés dans ce livre me sont strictement personnels et j’en assume toute la responsabilité. Ils ne sauraient en aucun cas être présentés ou interprétés comme des prises de position officielles ou officieuses de l’État ou de l’un quelconque de ses services ou administrations.
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L’Histoire humaine est plutôt fertile en affaires d’espionnage et de renseignement. La Bible, les épopées de Sumer, l’Iliade, l’Odyssée, la Guerre des Gaules, la Bhagavad Gita, le Coran et plus récemment La guerre du feu décrivent par le menu comment les héros antiques allaient, parfois au péril de leur vie, essayer de découvrir les intentions de leurs adversaires, introduire chez eux des commandos à l’intérieur d’un cheval de bois, dérober à leur nez et à leur barbe élixir de longue vie, secret du feu grégeois, jeunes filles nubiles, toison d’or ou pierre philosophale. Le dieu Mercure lui-même, dieu des médecins mais aussi des commerçants et des voleurs, débuta dans la carrière dès le jour de sa naissance en allant barboter les troupeaux pourtant bien cachés et bien gardés de son demi-frère Apollon.
Mais si l’histoire des espions se perd dans la nuit des temps, elle reste largement celle d’individus isolés, marqués du sceau du destin et en général voués à un sort funeste. En revanche, les services d’espionnage organiquement consti-tués, disposant de personnels, locaux, budget et
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moyens permanents sont de création très récente. Les plus anciens datent du début du xxe siècle. La France attendra 1946 pour se doter d’un service de renseignement à vocation généraliste et planétaire, le SDECE1. Il n’est nul besoin de se livrer à des analyses sociologiques fines pour concevoir que, si les services de renseignement n’existaient pas, c’est tout bêtement parce qu’ils ne correspondaient pas à un besoin.
Jusqu’à la moitié du xixe siècle, les unités politiques, économiques et sociales étaient suffisamment statiques, isolées, indépendantes, pour ne pas avoir à intervenir de façon subtile dans la vie de leurs voisins, concurrents ou adversaires. La concurrence politique et économique entre systèmes autarciques, protectionnistes et centralisés ne pouvait se résoudre que par la menace ou l’exécution d’affrontements armés et violents. Au mieux pouvait-on espérer repousser les échéances par le jeu de quelques ambassadeurs habiles ou des alliances, y compris matrimoniales, savamment orchestrées.
Dans ce contexte la classe guerrière, et plus tardivement la diplomatie, instruments ultimes du pouvoir de l’État, disposaient d’un statut social reconnu et privilégié. La noblesse était avant tout d’épée. Les casernes ont encore aujourd’hui quelque nostalgie du sang bleu et
1. Service de documentation extérieure et de contre-espionnage. Euphémisme gaulois. Nous ne faisons que nous documenter, ce sont les autres qui espionnent…
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les annuaires diplomatiques ne sont pas chiches en particules. La guerre et la diplomatie, modes ordinaires de relations entre les peuples, ont été rapidement normalisées par des ensembles de lois communément acceptées et généralement respectées, qui ont trouvé leur origine dans les traités de Westphalie et d’Utrecht et leur achèvement dans les Conventions de Genève et de Vienne2.
L’espion était évidemment hors de ces normes. Son utilisation se bornait au besoin ponctuel du chef de guerre d’être informé des dispositions de l’armée adverse ou à celui du Prince de percer les intentions malveillantes du potentat voisin. Comme on ne passait quand même pas tout son temps à préparer des batailles ou à ourdir des complots, la fonction était intérimaire et, puisqu’il faut bien vivre, mercenaire. Le métier n’y gagnait pas en prestige. Affranchi des allégeances personnelles qui constituaient le seul fondement des sociétés antérieures à l’idée nationale, l’espion était littéralement un individu sans foi ni loi, félon par définition, gibier de potence par destination.
2. Conclu en 1648 pour mettre fin à la guerre de Trente ans en Europe, le traité de Westphalie consacre l’idée d’État-nation et pose les bases des rapports conventionnels mutuellement acceptés entre États souverains sur le théâtre européen. Il trouvera son pendant maritime avec le Traité d’Utrecht en 1713. Puis les Conventions de Genève en 1864 et de Vienne en 1961 définiront les règles d’un droit de la guerre et d’un droit des relations diplomatiques.
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Hors des périodes où ses services étaient requis, il était prié d’aller se faire pendre ailleurs, ce qui ne manquait pas de lui arriver le plus souvent.
La révolution industrielle, avec ses conséquences sociologiques et économiques, a transformé progressivement les données du problème au cours du xixe siècle. On a mis un certain temps à s’en apercevoir. Les destructions et pertes humaines enregistrées au cours des batailles de Sébastopol, Camerone, Gettysburg ou Tsushima auraient dû alerter les politiques européens sur les dangers des conflits armés. Il n’en fut rien. C’étaient là des avertissements bien exotiques tandis que 1870 avait couronné en Europe la doctrine de la guerre comme moyen utile d’engranger des bénéfices économiques et politiques, et donc de la pratique de la « paix armée » comme mode courant des relations.
Quand la collision des sphères impériales européennes eut atteint un degré suffisamment assourdissant de cacophonie, c’est donc tout naturellement que l’on envisagea le recours aux armes pour redéfinir la place de chacun. On y rajouta même la dose d’enthousiasme extraverti du joueur de roulette qui tient la martingale infaillible. Après avoir dûment réduit au silence les incrédules comme Jaurès, on se précipita, fleur au fusil, « à Berlin pour couper les moustaches à Guillaume » ou « nach Paris, son kôgnac et ses Madames », en une ordalie
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fraîche et joyeuse supposée dire le droit entre les Empires.
Le réveil fut, on le sait, pénible et la méthode contestée. Elle n’avait pas tenu ses promesses. L’horreur des pertes humaines, habituellement laissée aux moralistes bêlants, alimentait cette fois la réflexion des responsables économiques et politiques. Non seulement le conflit n’avait pas dégagé de bénéfice, mais il avait sérieusement entamé le capital et le potentiel de chacun. Il fallait que ce soit « la der des der » et il convenait donc de réfléchir à une redéfinition des règles qui président aux rapports entre agents de la scène internationale. S’imposa alors l’idée d’une « Société des Nations » qui reproduirait à l’échelon international les règles de droit élémentaires mises en œuvre sur le plan interne par tous les États. Chacun espérait évidemment, dans un premier temps, échapper au système qui réduirait tous les autres à quia. Le conflit mondial de 1939 est venu sanctionner sans pitié cette interprétation quelque peu tendancieuse et retorse.
Fille de celle de la SDN, la Charte des Nations Unies prohibe le recours à la guerre comme moyen de régler les conflits entre États. Cette proposition morale et théorique s’est trouvée renforcée par l’équilibre apparent des forces entre puissances rivales et par la disproportion devenue phénoménale entre les moyens de destruction et les enjeux des
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éventuels différends. L’adhésion à la Charte n’a jamais exclu les empoignades marginales et indirectes, guerres civiles, luttes de libération, conflits tropicaux et coups fourrés insulaires. Mais, dans l’ensemble, le recours à la guerre, dans sa forme systématiquement sanglante et destructrice, n’est plus considéré comme l’ultima ratio de la relation entre puissances, tant cet argument absolu est ressenti comme probablement définitif pour tous les acteurs. Pour avoir négligé sa culture dans ce domaine, M. Saddam Hussein, dernier promoteur obstiné de conflits classiques à vocation prédatrice, tantôt encouragé, tantôt contré par un Occident hypocrite, a ruiné sans doute définitivement son pays pourtant détenteur de tous les moyens d’une enviable prospérité.
La guerre n’était néanmoins que l’un des moyens de régler les problèmes de concurrence. Y renoncer ne les fait pas disparaître, bien au contraire. La prohibition de facto et de jure du recours aux armes implique des stratégies d’évitement du casus belli. Il ne faut pas acculer le concurrent ou l’adversaire à la seule issue de l’affrontement. Il ne faut pas se retrouver soi-même dans cette situation. Cette considération conduit inévitablement même les plus réticents, jalousement crispés sur leur souveraineté, à un minimum d’ouverture économique et politique, de perméabilité des frontières, de libéralisation des échanges.
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C’est au nom de ces principes élémentaires que les deux blocs rivaux de l’Est et de l’Ouest, après avoir démontré leurs capacités de nuisance respectives, ont rapidement prôné, non sans arrière-pensées assassines, la sacro-sainte « détente ». En fait, les buts restaient identiques. On « cohabite » puisqu’il le faut bien, mais le but de cette cohabitation demeure l’élimination de l’autre et l’absorption de ses capacités. En attendant, la cohabitation étend le domaine de la concurrence entre rivaux à toutes les facettes de leurs activités. De la domination des facteurs de production, elle s’élargit à l’ensemble des mécanismes décisionnels, relationnels, sociaux et culturels. Qui ouvre sa porte aux marchands l’ouvre aussi aux escrocs, aux petits malins et bien sûr aux espions.
Cette concurrence ne peut être régulée par les mécanismes classiques du type « lois du marché ». On connaît les limites de ces dernières dans un contexte de libéralisme sauvage. Quand rien ne vient en tempérer l’application, ces mécanismes conduisent inévitablement aux ententes illicites, au renforcement des plus forts et à l’affaiblissement des plus fragiles. Dans l’ordre interne des États, un certain nombre de techniques, s’appuyant sur des méthodes plus ou moins coercitives, permettent de tempérer les effets froidement régulateurs de la concurrence biaisée. La planification, les dispositions contre les ententes, trusts et cartels, les compensations
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et transferts sociaux viennent modérer l’appétit des plus puissants. Les subventions directes ou déguisées, les mesures protectionnistes plus ou moins avouées viennent au secours des plus faibles. Quand ces derniers sont au plus bas, diverses dispositions sur la faillite permettent leur disparition dans l’ordre, voire la dignité. La vie internationale commence à peine à connaître de tels correctifs aux mécanismes concurrentiels. Encore restent-ils à la discrétion des plus puissants et aucune force supérieure ne peut en garantir équitablement l’application.
Bien entendu, personne n’accepte benoî-tement d’être le dindon d’un tel système. Aucun État à ce jour n’a envisagé spontanément l’éventualité de se déclarer en faillite et de céder à ses créanciers les instruments de sa souveraineté. L’Égypte du Khédive ou le Céleste Empire durent s’y résoudre à la fin du xixe siècle, mais le firent avec beaucoup de mauvaise grâce et sous la pression fortement incitative des baïonnettes. Sans aller jusqu’à cette extrémité, aucun État souverain n’envisage de se résigner à un affaiblissement qu’il sait devoir inévitablement s’aggraver par le jeu de dés pipés des lois du marché international et par la rapacité des spéculateurs.
Le recours à la violence étant impraticable, il n’existe qu’un moyen d’échapper au règlement. Il faut tricher. Toutes proportions gardées, les lois
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internationales du marché sont fort semblables à celles du marché du coin. La première des conditions nécessaires à leur fonctionnement est une concurrence libre et ouverte. Celle-ci repose d’abord sur une parfaite transparence de l’action et des intentions des différents protagonistes. Pour s’en affranchir, chacun va donc organiser aussi habilement que possible l’opacité de son propre système, cacher ses forces, ses faiblesses, son potentiel et ses intentions.
Le corollaire est évident. Chacun va aussi chercher à savoir ce que l’autre cherche à cacher pour rétablir à son profit exclusif la transparence du marché, partant du principe que tout ce qui peut accroître la connaissance en économisant les moyens de l’action est politiquement, écono-miquement et socialement utile et rentable. Ainsi, et par une analogie facile, de même que le xviiie siècle a pu voir dans la guerre la poursuite de la diplomatie par d’autre moyens, le xxe a fait du renseignement la poursuite de la concurrence par d’autres moyens, selon la même logique qui conduisait au xviie siècle les souverains britanniques et français à armer des navires corsaires pour piller l’or des galions espagnols.
Il n’est alors pas surprenant de constater que ce sont les pays les moins bien armés pour la concurrence internationale – les pays de l’ex-bloc soviétique, la Chine, les pays sous-développés ou en voie de développement – qui ont engendré
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et entretiennent les services de renseignements les plus puissants et les plus importants par rapport à leurs moyens. Ces pays considèrent que les services de renseignement constituent un élément essentiel de leur système de défense et de survie. Ils leur accordent le statut social, les pouvoirs et les privilèges de noblesse naguère reconnus partout à la classe guerrière. Quinze ans après la chute du mur de Berlin, la statue monumentale de Félix Dzerjinsky, créateur de la fameuse « Tchéka », première mouture de ce qui allait devenir la Guépéou, puis le NKvD et enfin le KGB, trônait toujours au centre de Moscou. On l’a discrètement transportée ailleurs il y a quelques années, peut-être pour faire oublier que la plupart des actuels dirigeants russes sont issus du KGB.
A contrario, les pays prospères et bien armés pour la concurrence accordent moins d’importance et moins de considération à leurs services de renseignement. Vers la fin des « trente glorieuses », les années 1945-1975, il ne manquait pas d’esprits forts en Europe de l’Ouest et aux États-Unis pour prôner la suppression pure et simple de ces services considérés comme inutiles, budgétivores et bien peu recommandables. C’est ainsi qu’en France l’un des points saillants du programme commun de gouvernement signé par le Parti socialiste et le Parti communiste en 1972 consistait en la dissolution immédiate du SDECE et des Renseignements généraux.
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Évidemment, le candidat élu en 1981 s’est bien gardé d’honorer cet engagement et a, au contraire, conservé et même discrètement renforcé ces services, mais il n’en reste pas moins que, dans ce domaine, la France a un problème. La France n’aime pas les espions, les agents secrets et les services spéciaux. Pas tant ceux des autres – car l’homme du Mossad, de la CIA, du KGB ou de l’Intelligence service fascine – que les siens, qu’elle traite au mieux par la dérision ou le mépris, au pire par la méfiance et le rejet.
C’est que, même si peu de responsables politiques sont capables de fournir une définition valable du renseignement, tous comprennent intuitivement qu’il ne s’agit pas d’une information ordinaire, si pointue et bien analysée qu’elle soit, telle que savent en produire les bons diplomates, les vrais journalistes, les chercheurs universitaires engagés dans le contemporain. Ils savent que le renseignement ne relève pas du domaine de l’ordinaire.
Tous les États du monde disposent en quantité souvent non négligeable de magistrats, de policiers, de diplomates, de militaires, d’experts en tous genres, pour concevoir et mettre en œuvre leurs décisions politiques légales. Si à côté de ces dispositifs, les mêmes États entretiennent souvent à grands frais des services spéciaux, ce n’est pas pour faire double emploi avec les autres, ou organiser une saine émulation sportive entre fonctionnaires. C’est
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pour pouvoir s’affranchir, à l’occasion et s’il en est besoin, de la légalité intérieure ou extérieure ou de leurs engagements internationaux et, de préférence, sans se faire prendre la main dans le sac, ce qui nécessite une certaine technicité. C’est donc ne rien comprendre que d’accuser les services secrets de faire « dans l’illégalité ». Bien sûr, qu’ils font « dans l’illégalité ». Ils ne font même que cela. C’est leur vocation et leur raison d’être.
En effet, le renseignement se recueille en violant ou en faisant violer la loi des autres. Le problème n’est pas d’obtenir, fût-ce avec virtuosité, ce que les autres peuvent dire, montrer ou faire avec plus ou moins de bonne volonté, mais bien ce que leurs lois, leurs coutumes ou leur environnement social leur interdisent formellement de communiquer ou de faire, sous peine des pires sanctions dont aucun code pénal au monde n’est avare. Considérant cette fin, il va de soi que les moyens mis en œuvre seront en rapport : manipulation, séduction, corruption, violence, menace, chantage, au terme d’un processus qui aura mis à nu toutes les facettes de l’objectif visé, pénétré son intimité, exploité toutes ses vulnérabilités.
Ce type de démarche, fût-elle menée pour la bonne cause, est haïssable à l’inconscient collectif des dirigeants français, qu’ils soient publics ou privés. Il faut dire qu’ils sortent à peu près tous du même moule élitiste issu de
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la Révolution française et du Premier Empire. Soucieux de couper la tête aux nobles, les bourgeois triomphants de 1789 ne l’étaient pas moins de s’approprier leurs richesses par la mise aux enchères des biens nationaux, de récupérer leurs privilèges patiemment reconstitués, et surtout de copier leurs valeurs. Au nombre de ces valeurs, figurait le fait que le noble ne doit pas déroger en se comportant comme un valet indélicat qui écoute aux portes et que tout conflit irréductible par la diplomatie avec une autre nation doit se régler par la guerre. Ce principe est illustré par les paroles délicates de notre hymne national : « qu’un sang impur abreuve nos sillons… ». En corollaire, cette guerre doit se mener à visage découvert : « l’étendard sanglant est levé… », et avec cet ineffable panache qui nous distingue tant du butor prussien mangeur de petits enfants ou du Britannique perfide, capable de tirer le premier quand on le lui propose… C’est ainsi que l’on entreprit la guerre de 1914 en pantalon garance et que les cadets de Saint-Cyr attaquèrent, sabre au clair et gants blancs, les nids de mitrailleuses allemands. Avec les résultats que l’on sait.
La conduite du second conflit mondial, la part qu’y a pris l’action clandestine sous l’impulsion de l’allié anglais, la nécessité de faire face à des nations comme l’Allemagne nazie puis l’URSS, qui, par économie de moyens, privilégiaient l’action de leurs services
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spéciaux, « l’équilibre de la terreur » et le manque de moyens des années cinquante ont conduit les responsables français à revoir leur copie. Ils le firent avec beaucoup de répulsion, voire de dégoût. Si l’on admit en 1946 la création de l’euphémique SDECE devenu « Direction générale de la sécurité extérieure » (DGSE) en 1981, on le pria d’évacuer au galop les locaux du prestigieux boulevard Suchet dans le xvie arrondissement, qui avaient été réquisitionnés lors de la libération de Paris par le BCRA3, et d’aller s’installer dans une prison désaffectée jouxtant le stade nautique Jules Valleret ; ce qui lui a valu son surnom de « Piscine », aux frontières de la banlieue nord est, d’où, compte tenu du sens des vents dominants qui soufflent sur Paris d’Ouest en Est et mettent les beaux quartiers à l’abri des fumées malodorantes, on pourrait goûter ses plats sous les ors de la République sans avoir à humer ses relents de cuisine.
C’est dans ce monde étrange et obscur, aux antipodes de mes utopies de chevelu soixante-huitard, que le hasard et la nécessité m’ont fait pénétrer il y a quarante ans. J’y ai vécu dix vies. Toutes passionnantes. J’en ai parfois souffert. Je ne l’ai jamais regretté.
3. Bureau commun de recherche et d’action, les services spéciaux de la France Libre.
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