LA RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISES, OU …€¦ · participer au vote de sa propre...

4
LA RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISES, OU COMMENT CONCILIER L'ÉCONOMIE ET L'ÉTHIQUE Jean-Marie Chanon L'actualité est souvent marquée par les conditions financières dans lesquelles certains dirigeants de grands groupes cessent leurs fonctions. Récemment, c'est l'ancien PDG de Carrefour qui a fait la une de la presse : en cause, le paiement d'un bonus de départ de plus de 13 millions d'euros, à un moment le Groupe annonçait la fermeture de magasins, l'adoption de plans de départs volontaires et des mesures de restructurations sévères ; devant la réaction de l'opinion publique, ce dirigeant, reconnu, a renoncé à percevoir les 4 millions d'euros correspondant à une clause de non-concurrence. Plus généralement, c'est la question de la rémunération des dirigeants, dans son acception la plus large, qui suscite polémiques et interrogations. C'est ainsi qu'une analyse juridique et socio-économique nous est apparue utile. Nous examinerons tout d'abord les règles juri-diques (I) puis les fondements économiques et éthiques de ces rémunérations (II). I/ Le cadre juridique La question des rémunérations des dirigeants et administrateurs se pose différemment selon que l'on envisage le cas des sociétés non cotées (A) ou celui des sociétés cotées (B). A/ Les sociétés non cotées Une grande place est laissée à la liberté contractuelle et le cadre est le plus souvent fixé par leurs statuts. Le Code de commerce et la jurisprudence viennent compléter, à la marge, la volonté des acteurs avec des règles différentes selon les formes sociales (SAS, SA, SARL, sociétés de personnes…). A titre d'exemple, dans une Société à Responsabilité Limitée, l'assemblée générale est seule compétente pour arrêter la rémunération du gérant. La liberté laissée aux acteurs est grande et la Cour de cassation a confirmé que la rémunération d'un gérant n'est pas une convention règlementée et qu'en consé-quence l'exclusion du vote de l'intéressé n'est pas applicable : un gérant majoritaire peut ainsi participer au vote de sa propre rémunération(1) . Cette liberté n'est pas sans limite et les juges contrôlent la rémunération des dirigeants de sociétés non cotées ; par exemple, en matière de procédure collective, la rémunération excessive du dirigeant constitue une faute de gestion typique. La Cour de cassation exige un contrôle strict des juges du fond du caractère excessif de la rémunération octroyée au regard de la situation financière de la société(2) ; en matière fiscale, la rémunération considérée comme anormale car excessive n'est pas déductible pour la société soumise à l'impôt sur les sociétés et constitue pour le bénéficiaire un revenu de capitaux mobiliers (CGI, ART 111, d)(3). Pour les sociétés cotées, le cadre juridique est plus exigeant. B/ Les sociétés cotées Le cadre juridique français est assez contraignant, les réformes successives allant toujours vers plus de transparence en vertu de la théorie de la « corporate governance » (4) . Selon la loi du 24 juillet 1966, les administrateurs, outre la contrepartie pécuniaire perçue au titre d'un éventuel contrat de travail, ne peuvent percevoir que des « jetons de présence » ou des rémunérations exceptionnelles en cas de missions ou mandats ponctuels. La détermination de la rémunération des administrateurs est le fruit d'une codécision de l'assemblée et du conseil d'administration : la première détermine une somme globale annuelle de jetons de présence à attribuer aux administrateurs et le second individualise la rémunération de chacun. Concernant la rémunération du président-directeur 0LpMLMeGHcj8ftyn_S9BbLKimb40b3iVx-wPtHirFL1SU0j2ek9bNH0-erSieO9xRYzIw Tous droits de reproduction réservés PAYS : France PAGE(S) : 42-44 SURFACE : 122 % PERIODICITE : Hebdomadaire RUBRIQUE : Vie juridique analyse DIFFUSION : 5080 JOURNALISTE : Jean-Marie Chanon 22 septembre 2018 Cliquez ici pour voir la page source de l’article

Transcript of LA RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISES, OU …€¦ · participer au vote de sa propre...

Page 1: LA RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISES, OU …€¦ · participer au vote de sa propre rémunération(1) . Cette liberté n'est pas sans limite et les juges contrôlent la

LA RÉMUNÉRATION DESDIRIGEANTS D'ENTREPRISES, OUCOMMENT CONCILIERL'ÉCONOMIE ET L'ÉTHIQUE

Jean-Marie ChanonL'actualité est souvent marquée parles conditions financières danslesquelles certains dirigeants degrands groupes cessent leursfonctions. Récemment, c'est l'ancienPDG de Carrefour qui a fait la unede la presse : en cause, le paiementd'un bonus de départ de plus de 13millions d'euros, à un moment où leGroupe annonçait la fermeture demagasins, l'adoption de plans dedéparts volontaires et des mesuresde restructurations sévères ; devantla réaction de l'opinion publique, cedirigeant, reconnu, a renoncé àpercevoir les 4 millions d'euroscorrespondant à une clause denon-concurrence. Plus généralement,c'est la question de la rémunérationdes dirigeants, dans son acception laplus large, qui suscite polémiques etinterrogations.C'est ainsi qu'une analyse juridiqueet socio-économique nous estapparue utile.Nous examinerons tout d'abord lesrègles juri-diques (I) puis lesfondements économiques et éthiquesde ces rémunérations (II).I/ Le cadre juridiqueLa question des rémunérations desdirigeants et administrateurs se posedifféremment selon que l'onenvisage le cas des sociétés noncotées (A) ou celui des sociétés

cotées (B).A/ Les sociétés non cotéesUne grande place est laissée à laliberté contractuelle et le cadre est leplus souvent fixé par leurs statuts.Le Code de commerce et lajurisprudence viennent compléter, àla marge, la volonté des acteurs avecdes règles différentes selon lesformes sociales (SAS, SA, SARL,sociétés de personnes…).A titre d'exemple, dans une Sociétéà Responsabilité Limitée,l'assemblée générale est seulecompétente pour arrêter larémunération du gérant. La libertélaissée aux acteurs est grande et laCour de cassation a confirmé que larémunération d'un gérant n'est pasune convention règlementée et qu'enconsé-quence l'exclusion du vote del'intéressé n'est pas applicable : ungérant majoritaire peut ainsiparticiper au vote de sa proprerémunération(1) . Cette liberté n'estpas sans limite et les jugescontrôlent la rémunération desdirigeants de sociétés non cotées ;par exemple, en matière deprocédure collective, larémunération excessive du dirigeantconstitue une faute de gestiontypique. La Cour de cassation exigeun contrôle strict des juges du fonddu caractère excessif de larémunération octroyée au regard de

la situation financière de lasociété(2) ; en matière fiscale, larémunération considérée commeanormale car excessive n'est pasdéductible pour la société soumise àl'impôt sur les sociétés et constituepour le bénéficiaire un revenu decapitaux mobiliers (CGI, ART 111,d)(3).Pour les sociétés cotées, le cadrejuridique est plus exigeant.B/ Les sociétés cotéesLe cadre juridique français est assezcontraignant, les réformessuccessives allant toujours vers plusde transparence en vertu de lathéorie de la « corporategovernance » (4) . Selon la loi du 24juillet 1966, les administrateurs,outre la contrepartie pécuniaireperçue au titre d'un éventuel contratde travail, ne peuvent percevoir quedes « jetons de présence » ou desrémunérations exceptionnelles encas de missions ou mandatsponctuels.La détermination de la rémunérationdes administrateurs est le fruit d'unecodécision de l'assemblée et duconseil d'administration : la premièredétermine une somme globaleannuelle de jetons de présence àattribuer aux administrateurs et lesecond individualise la rémunérationde chacun. Concernant larémunération du président-directeur

0LpMLMeGHcj8ftyn_S9BbLKimb40b3iVx-wPtHirFL1SU0j2ek9bNH0-erSieO9xRYzIw

Tous droits de reproduction réservés

PAYS : France PAGE(S) : 42-44SURFACE : 122 %PERIODICITE : Hebdomadaire

RUBRIQUE : Vie juridique analyseDIFFUSION : 5080JOURNALISTE : Jean-Marie Chanon

22 septembre 2018 Cliquez ici pour voir la page source de l’article

Page 2: LA RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISES, OU …€¦ · participer au vote de sa propre rémunération(1) . Cette liberté n'est pas sans limite et les juges contrôlent la

général, représentant légal de lasociété anonyme, celle-ci relevaitaux termes de la loi de 1966(5) de lacompétence du conseild'administration. La loi sur lesnouvelles régulations économiquesdu 15 mai 2001 (Loi NRE),consacrant la dissociation desfonctions de président du conseild'administration et de directeurgénéral, a réaffirmé cettecom-pétence pour chacun de cesorganes ainsi que pour les directeursgénéraux délé-gués. La natureinstitutionnelle de la rémunérationdu dirigeant exclut par ailleurs sasoumission à la procédure desconventions réglementées prévuespar les articles L. 225-38 et suivantsdu Code de commerce.Le choix d'une forme de« libéralisme » quant àl'encadrement de la rémunérationdes dirigeants sociaux, y compris desociétés cotées, semble depuis unequinzaine d'années quelque peuremis en cause. Un état d'espritnouveau semble habiter lesgouvernements successifs quientendent désormais assurer … plusde transparence afin de permettre uncontrôle effectif par les assembléesgénérales. La Loi du 9 décembre2016, dite « Loi Sapin II » a insérédans le Code de commerce unnouvel article L. 225-37-2 quiimpose qu'une résolution préalablesoit soumise à l'assemblée généraledes actionnaires afin que soientapprouvés les principes et lescritères de détermination, derépartition et d'attribution deséléments fixes, variables etexceptionnels composant larémunération totale et les avantagesde toute nature attribuables auxdirigeants sociaux en raison de leurmandat. Sont visés les présidents deconseil d'administration, de conseilde surveillance, les membres de

directoire, les directeurs généraux etdirecteurs généraux délégués.(1) Cass. com. 4 mai 2010, n°09-13205. (2) Cass. com 31 mai2016, n°14-24779. (3) CE, 19 mai1999, n°159136. (4) Théorie selonlaquelle les actionnaires sont lesmieux à même de contrôler lesdirigeants sociaux dont l'action a unimpact sur la valorisation des titres.(5) Loi n°66-537 du 24 juillet 1966sur les sociétés commerciales.En France, le salaire du « patron »est une question sensible, et ilsemble que les règles detransparence imposées ces dernièresannées soient loin d'apaiser lesespritsL'alinéa 2 du même article ajouteque le rapport de gestion, présentantles éléments de rémunération, doitpré-ciser que le versement deséléments de rémunérations variableset exceptionnels est conditionné àl'approbation de l'assembléegénérale ordinaire.La même loi a également instituéune procédure de contrôle aposteriori des rémunérations verséesaux dirigeants (art. L 225-100),l'assemblée générale devant statuersur les éléments fixes, variables etexceptionnels composant larémunération totale et les avantagesde toute nature versés ou attribuésau titre de l'exercice antérieur. Leséléments de rémunération variablesou exceptionnels ne peuvent êtreversés aux intéressés qu'après leurapprobation par l'assembléegénérale.Afin de compenser la précarité dustatut de dirigeant social, de sociétéanonyme notamment, révocable adnutum, il est fréquent pour cedernier de conditionner son arrivéedans l'entreprise à la garantie par lasociété d'un confortable« parachute » en cas de fin anticipéede ses fonctions. L'efficacité et la

pérennité de ces accords sontassurées par le contrat et le principebien connu des juristes selon lequel« les conventions légalementformées tiennent lieu de loi à ceuxqui les ont faites ». Mais l'article L.225-42-1 du Code de commerce fixeles règles concernant « lesrémunérations complémentaires ».Le conseil d'administration doitpréalablement autoriserl'engagement en cause, qui seraensuite soumis à l'approbation del'assemblée générale.La loi a conditionné l'octroi de ces« rémunérations complémentaires »à des conditions de performances,entendues comme « le lien entre larétribution et les résultats de celuiqui la perçoit ». Le versement dessommes est désormais subordonné« au respect de conditions liées auxperformances du bénéficiaire,appréciées au regard de celles de lasociété qu'il dirige ».Toutes les mesures mention-néesvisent spécifiquement les sociétés« dont les titres sont admis auxnégociations sur un marchéréglementé », autrement dit, lessociétés « cotées en bourse » (6) .Les mécanismes d'attribution de« stock options » sujet sensible -mériteraient un développementparticulier. Rappelons simplementque les plans d'options sur actionsne peuvent être mis en place quedans les sociétés par actions,c'est-à-dire les sociétés anonymes,les sociétés en commandite paractions et les sociétés par actionssimplifiées. La société peut êtrecotée ou non.L'émission de « stock op-tions »suppose une autori-sation préalablede l'assem-blée généraleextraordinaire, prise sur le rapportdu conseil d'administration ou dudirec-toire, et sur le rapport spécialdes commissaires aux comptes, de

Tous droits de reproduction réservés

PAYS : France PAGE(S) : 42-44SURFACE : 122 %PERIODICITE : Hebdomadaire

RUBRIQUE : Vie juridique analyseDIFFUSION : 5080JOURNALISTE : Jean-Marie Chanon

22 septembre 2018 Cliquez ici pour voir la page source de l’article

Page 3: LA RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISES, OU …€¦ · participer au vote de sa propre rémunération(1) . Cette liberté n'est pas sans limite et les juges contrôlent la

consentir aux bénéficiaires désignésdes options donnant droit à lasouscription ou à l'achat d'actions dela société qui les emploie, pour unprix déterminé à l'avance qui ne peutêtre modifié avant la levée del'option(7) . L'objectif est ainsi des'assurer que les intérêts desdirigeants coïncident bien avec ceuxdes actionnaires.II/ Les fondements économiques etéthiquesEn France, le salaire du « patron »est une question sensible, et ilsemble que les règles detransparence imposées ces dernièresannées sont loin d'apaiser les esprits.Cette situation est la consé-quenced'une confusion entre deux sujets :l'un économique (A), l'autre moral(B).A/ Le fondement économiqueAfin d'attirer ou de conserver lestalents, les grandes entreprisessemblent se livrer à une véritable« course à l'échalote » en proposantdes rémunérations toujours plusimportantes à leurs dirigeants.Selon la théorie classique, la valeurd'un dirigeant se calculerait par unerencontre entre l'offre et la demande,c'est-à-dire par un prix défini par lemarché.Des études récentes montrent que lavaleur d'un(e) candidat(e) estsouvent fonction de la taille del'entreprise(8) . Ainsi, plutôt que des'expliquer par la performance desdirigeants et l'impact de leursmérites sur la valorisation des titresdes actionnaires, la rémunérationélevée des « patrons » de grandsgroupes s'expliquerait aussi par l'« effet taille » des entreprises qu'ilsdirigent.Les pouvoirs publics se sonttoujours refusés à mettre en place unencadrement quan-titatif de larémunération des dirigeants sociaux.La seule contrainte spécifique

réside, selon la volonté du Présidentde la République de l'époque, dansun décret de 26 juillet 2012 quidispose que les dirigeantsd'entreprises publiques ne peuventpercevoir une rémunération bruteannuelle supérieure à 450 000 eurosbruts(9) .C'est plutôt du côté de la « softlaw » qu'il faut aller cher-chercertains outils de res-triction à latoute-puissance des conseilsd'administration en matière derémunération des dirigeants sociaux.En effet, les codes de bonnegouvernance (AFEP-MEDEF,MIDDLE NEXT) rappellent certainsprincipes de bonnes pratiques. Il estconseillé par exemple de limiter lesindemnités de départ à deux annéesde rémunération fixe. Ces codes« d'éthique » ou de « bonneconduite » n'ont pas de caractèrecontraignant et ont en conséquenceleurs propres limites. Dans unrapport de 2017, l'Autorité desMarchés Financiers(10) a constatéqu'en 2016 de nombreux dirigeantsavaient bénéficié d'augmentations derémunération très significatives sansque ces augmentations soientjustifiées de manière précise etcirconstanciée. Toujours pourl'exercice 2016, le rapport annuel dePROXINVEST a montré que lesrevenus des dirigeants du CAC 40avaient augmenté de près de 20 %en une année, alors que dans lemême temps la valeur des actionsn'avait augmenté que de 8, 5 %, lesalaire moyen des employés de 2, 1% et les chiffres d'affaires et lesbénéfices diminuant respectivementde 3 % et de 11 %.(6) Sachant que seules les sociétésanonymes et les sociétés encommandite par actions peuventuser de ce mode de financement (7)Dalloz, fiche technique « Les stockoptions ». (8) Xavier Gabaix et

Augustin Landier “Why has CEOpay increased so much”, Quarterlyjournal of economics.Récemment, l'arrivée d'un nouveauPDG pour Air France a suscité defortes turbulences syndicalesconcernant son salaire. Laconfirmation de son maintien est unexemple de bon équilibreéconomique et social ; en effet, sarémunération, incontestablementélevée, sera constituée d'une partiefixe, d'un tiers, contre deux tiersvariables, déterminés en fonction duredressement de la compagnie, etpar conséquent de sa contributionaux résultats.La loi dite « Sapin II » donnant plusde pouvoir et de responsabilité auxactionnaires, les réflexionspermanentes des syndicats et desorganisations professionnelles surl'éthique de et dans l'entreprise, lesrecommandations contenues dans lerapport NOTAT-SENARD sur lerôle sociétal de l'entreprisepré-figurent peut-être un avenir plusserein…B/ Le fondement éthiqueL'approche purement économiquevisant à maximiser le rendementd'une organisation a d'abord tenté,avec la théorie de l'agence, deprescrire aux organisations lesbonnes pratiques permettantd'harmoniser les intérêts desexécutifs et des associés(stock-options, part variable derémunération, etc) sans prise enconsidération d'autres impératifs,notamment éthiques.D'autres méthodes d'évaluation despolitiques de rémunération desdirigeants sociaux ont été mises enavant, notamment par deschercheurs spécialisés en sciencessociales. Pour certains auteurs, lephénomène de « l'isomorphisme »expliquerait en partie l'augmentationde la paie des hauts dirigeants par un

Tous droits de reproduction réservés

PAYS : France PAGE(S) : 42-44SURFACE : 122 %PERIODICITE : Hebdomadaire

RUBRIQUE : Vie juridique analyseDIFFUSION : 5080JOURNALISTE : Jean-Marie Chanon

22 septembre 2018 Cliquez ici pour voir la page source de l’article

Page 4: LA RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISES, OU …€¦ · participer au vote de sa propre rémunération(1) . Cette liberté n'est pas sans limite et les juges contrôlent la

phénomène « d'imitation »(isomorphisme mimétique) poussantles grands groupes à s'aligner les unssur les autres par le jeu d'une formede « benchmarking » entreentreprises.Par ailleurs, la sociologie a puremettre en cause l'un desfondements de la rémunération desexécutifs reposant sur le principeselon lequel les résultats d'uneorganisation seraient intimement liésà la qualité de son dirigeant. Aussi,les acteurs, pour pallier l'incertitudesur la qualité et l'efficacité du« produit » (le dirigeant), sebaseraient plutôt sur des jugementsarbitraires que sur de véritablesétudes rationnelles.C'est pour cette raison que de plusen plus de cabinet de conseil auxactionnaires se spécialisent dans lamesure de la performance desexécutifs et de l'impact de cetteperformance sur les résultats del'entité ou du groupe. En effet, il estsouvent difficile - voir impossible -pour des actionnaires, mêmesinstitutionnels, noyés sousl'information financière, d'apprécierrationnellement la légitimité de larémunération du dirigeant.Au delà de la question del'acceptabilité sociale de cesrémunérations par l'opinionpublique, au sein même desinstitutions, la rémunération desdirigeants peut s'avérerdommageable si elle est trop élevéepuisqu'elle renforce le sentimentd'injustice des salariés, mais aussi du« top management » qui l'utilisesouvent pour apprécier l'équité de sapropre rémunération.La France n'est pas isolée sur cesujet et les autres pays de l'OCDEconnaissent aussi ce type dequestionnement. C'est l'une desraisons pour laquelle legouvernement anglais a décidé

d'engager en 2017 une réforme du« corporate governance code »,prévoyant notamment la publicationobligatoire pour les sociétés cotéesd'un « CEO PAY RATIO »consistant en la fixation d'un ratioentre la rémunération brute totale dudirecteur général et la rémunérationmoyenne de l'ensemble des salariésde l'entreprise concernée.Le projet de loi « PACTE » neprévoit aucune modification destextes concernant l'encadrement desrémunérations des dirigeants.En conclusion, et au-delà des texteset des recommandations, lesturbulences médiatiques ne doiventpas occulter la situation réelle de lagrande majorité des entreprises dontles dirigeants perçoivent desrémunérations justes et souventmodestes par rapport auxresponsabilités qu'ils doiventquotidiennement assumer ; laquestion se pose essentiellementpour les grands groupes et, commetoujours, ce sont les excès quiprovoquent l'intervention dulégislateur (et l'inflation législativeet réglementaire si souventcondamnée…), alors que le sujetrelève avant tout de la responsabilitépersonnelle des dirigeants, lesquelsne devraient méconnaître les vertusde la modération…(9) Décret n° 2012-915 du 26 juillet2012 relatif au contrôle de l'Etat surles rémunérations des dirigeantsd'entreprises publiques. (10) Rapport2017 de l'AMF sur le gouvernementd'entreprise et recommandationsAMF DOC-2012-02 ■

Tous droits de reproduction réservés

PAYS : France PAGE(S) : 42-44SURFACE : 122 %PERIODICITE : Hebdomadaire

RUBRIQUE : Vie juridique analyseDIFFUSION : 5080JOURNALISTE : Jean-Marie Chanon

22 septembre 2018 Cliquez ici pour voir la page source de l’article