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Les Cahiers de droit
La responsabilit du fait des choses inanimes endroit franais et en droit belge
Ren Piret
Volume 3, numro 6, mars 1958
URI : id.erudit.org/iderudit/1004122arDOI : 10.7202/1004122ar
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Facult de droit de lUniversit Laval
ISSN 0007-974X (imprim)
1918-8218 (numrique)
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Piret, R. (1958). La responsabilit du fait des choses inanimesen droit franais et en droit belge. Les Cahiers de droit, 3(6),152170. doi:10.7202/1004122ar
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La responsabilit du fait des choses inanimes en droit franais
et en droit belge
I ES rgles sur la responsabilit civile, delict elle sont groupes dans le code Napolon sous les articles 1382 et suivants du Code civil. Les articles 1382 et 1383 envisagent la responsabilit du fait person-
nel : on est responsable du dommage caus par sa faute ; la cause de l'obligation de rparer peut tre une simple imprudence ou une ngligence.
L'article 1384, alina 1 er, contient une disposition qui, dans l'inten-tion des auteurs du Code, apparaissait plutt comme une dclaration liminaire introduisant les autres alinas du mme article et les articles 1385 et 1386 :
On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son . propre fait, mais encore de celui qui est caus par le fait des personnes dont on doit rpondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.
Puis viennent dans le mme article 1384, les responsabilits com-plexes du fait d'autrui :
1 la responsabilit du pre ou dfaut du pre, de la.mre, pour le fait de leurs enfants mineurs habitant avec eux.
Cette responsabilit est fonde sur le devoir de surveillance et d'-ducation :
2 la responsabilit des matres et commettants pour le fait des domesti-ques et prposs dans les fonctions auxquelles ils les ont employs.
La faute du matre ou du commettant est d'avoir eu recours un domestique ou prpos qui a commis par la suite un fait illicite ; ils ont fait un mauvais choix .
La doctrine explique aussi leur responsabilit par l'ide de risque : qui a le profit de l'activit du domestique ou prpos doit subir les con-squences de cette activit, ou par l'ide que l'activit du domestique ou prpos prolonge celle du matre ou du commettant.
Les termes dans les fonctions ont reu tant en droit belge qu'en droit franais une interprtation trs large.
1. Nous prenons ce mot au sens large sans distinguer s'il y a ou non, la base de la responsabilit un dlit pnal.
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. S" la responsabilit des instituteurs et artisans pour le dommage caus par les lves ou'apprentis durant qu'ils sont sous leur surveillance.
Comme, pour les parents, le fondement de la responsabilit est ici le devoir de surveillance.
Les parents, instituteurs et artisans peuvent chapper l'obligation de rparer en prouvant qu'ils n'ont pu empcher le fait dommageable.
L'article 1385 dispose que :
Le propritaire d'un animal ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est son usage, est responsable du dommage que l'animal a caus, soit'qe l'ani-mal fut sous sa garde, soit qu'il fut gar ou chapp.
On s'tait demand longtemps si la prsomption tablie par l'article 1385 tait une prsomption juris tantum susceptible d'tre renverse par la preuve de l'absence de faute, preuve faite par le propritaire ou le gardien.
Les deux Cours de cassation dcidrent que la prsomption tait une prsomption juris et de jure ; le propritaire de l'animal ou celui" qui s'en sert ne peut se soustraire l'obligation de rparer qu'en prou-vant la cause trangre, cas fortuit, force majeure, fait de la victime.
L'article 1386 rend le propritaire d'un btiment responsable du dommage caus par sa ruine, quand elle est survenue la suite d'un dfaut d'entretien ou d'un vice de construction.
Au systme des articles 1382 1386, les lgislateurs franais et belge ont apport peu d'amendements.
En France, des lois du 20 juillet 1899 et du 5 avril 1937 ont modifi la position des instituteurs ; la prsomption de dfaut de surveillance tablie par l'article 1384 est supprime et il appartient la victime de prouver la faute de l 'instituteur ; cette modification bnficie au person-nel de l'enseignement priv aussi bien qu'au personnel de l'enseignement public.
D'autre part, l'action ne pourra plus tre dirige contre l'institu-teur public, mais contre l 'tat, reprsent par le prfet, sauf, quand la faute de l 'instituteur est tablie, le recours de l 'tat contre lui.
Cette innovation n'a pas t suivie en Belgique, mais la jurispruden-ce a adouci la rigueur de l'article 1384 l'gard des instituteurs en exi-geant en fait la preuve du dfaut de surveillance.
On aura encore l'occasion de citer par la suite, propos de la res-ponsabilit du fait de la chose que l'on a sous sa garde, la loi franaise du 7 novembre 1922 ; celle-ci dcide que le dtenteur d'un immeuble ou de meubles dans lesquels un incendie a pris naissance n'est pas prsum responsable du dommage caus des tiers par cet incendie.
Une loi belge du 16 avril 1935 a insr dans le Code un article 1386 bis, relatif aux dommages causs par un dment, un dsquilibr ou un
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dbile mental n 'ayant pas le contrle de ses actes ; il consacre l'obliga-tion de rparer la faute du dment, du dsquilibr ou du dbile mental, bien que son tat empche de sa part toute faute subjective ; la dispo-sition trouve son fondement dans l'quit ; le juge fixera l'indemnit en tenant compte des circonstances et de la situation, respective des parties.
* * *
Nous avons reproduit ci-avant le texte de l'article 1384, alina 1 er. L'expression oh est responsable . ... du fa i t . . . des choses que l'on
a sous sa garde fut pendant longtemps considre comme n'ayant pas de porte juridique propre ; durant les soixante-cinq premires annes d'application du Code civil, la doctrine et la jurisprudence s'abstinrent de lui faire un sort.
Il semble bien que l'auteur de sa dcouverte fut un* substitut du procureur du roi de Bruxelles, M. Faider ; il l'invoqua pour justifier une solution qui s'imposait imprieusement en quit.
Il se trou vait devant un problme de rparation d'un grave accident du travail, l'poque o il n'y avait pas de lgislation spciale sur la matire.
Suivant la jurisprudence rgnante, l'ouvrier accident ou ses proches devaient prouver la faute du patron pour tre indemniss.
Le substitut Faider soutint que le patron dfendeur dont de nom-breux ouvriers avaient t tus ou blesss par l'explosion d'une chaudire tait prsum en faute comme gardien de cette chaudire.
Le tribunal de premire instance l'avait suivi dans un jugement du 31 mai 1871 (Belg. jud., 1871, colonne 758).
ATTENDU QUE du texte de l'article 1384 du Code civil il ressort claire-ment que le propritaire d'une chose, mme inanime, qu'il a sous sa garde, est responsable du dommage caus par le fait de cette chose.
ATTENDU QUE, si l'on, se pntre de l'esprit de cette disposition, l'on acquiert la conviction que cette responsabilit prend naissance d moment o, du seul fait de la chose, il rsulte un prjudice ; qu'il est en effet naturel et logique que le propritaire d'une chose sur laquelle il a droit et devoir de surveillance et de direction soit lgalement prsum en tat de faute ds l'instant o cettchpse cause un prjudice.
Les motifs de ce jugement ne furent pas repris par la Cour d'appel de Bruxelles qui condamna le patron comme l'avait fait le premier juge, mais uniquement sur la base de fautes qu'elle avait, avec de grands efforts, dceles dans son chef.
En 1876, le jurisconsulte belge Laurent prit parti pour la thse, du tribunal et la dfendit - avec nergie (Principes de droit civil, tome xx, n 639). Mais la grande autorit dont il jouissait n'empcha pas la
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Cour de cassation belge de rejeter sa thorie et de s'en tenir l'applica-tion stricte des articles 1382 et 1383 ; la victime avait la charge de la preuve ; il n 'y avait pas de prsomption de faute charge du propri-taire ou du gardien de la chose (Cass., 28 mars 1889, Pas. 1889, I, 161) ; il faudra attendre l'arrt du 26 mai 1904 (Pas. 1904, I, 246) pour que la jurisprudence belge adopte des solutions nouvelles par le recours l'article 1384 alina 1 er.
En France, la suite des rsultats iniques auxquels menait l'absence d'une lgislation sur les accidents du travail de grands efforts taient faits en doctrine en vue d'assurer aux. victimes une rparation qu'elles ne pouvaient obtenir le plus souvent, vu l'impossibilit de dmontrer une faute de l'employeur.
La Cour de cassation, dans un arrt de sa chambre civile du 16 juin 1S96 (Dalloz, 1897, I, 433, et Sirey, 1897 I, 27), se ralliait l'ide d'une prsomption de faute du gardien et dbarrassait ainsi le demandeur du fardeau de la preuve.
Les constructions jurisprudentielles dont l 'arrt franais de 1896 et l 'arrt belge du 26 mai 1904 allaient devenir le point de dpart ne servi-ront plus d'ailleurs aux victimes d'accidents du travail ; une lgislation spciale tait tablie en France en 1848, et en Belgique en 1903 pour les protger.
Mais elles allaient tre mises en uvre tout au moins en France dans le trs large domaine des accidents de la circulation, surtout aprs le dveloppement de l'usage de l'automobile 2
* *
L'arrt de 1896 allait provoquer en France de profonds remous dans le monde juridique.
On inclina d'abord croire qu'il fallait considrer que l'article 1384 tablissait charge du gardien de la chose inanime dont le fait avait
2. Explications des abrviations employes dans l'indication de la jurisprudence : 1. Jurisprudence franaise :
Ch. R. : Cour de Cassation, chambres runies ; Civ. : Cour de Cassation, chambre civile ; Req. : Chambre des requtes ; Crim. : chambre criminelle ; D . P . : Dalloz priodique ; D. : Dalloz ; D . C. : Dalloz, recueil critique ; certaines poques le Recueil Dalloz s'est d
doubl et des changements de dsignation ont eu lieu. S. : Recueil Sirey ; J .C.P. : J u r i s Classeurs priodiques (Semaine juridique).
/ / . Jurisprudence belge : Cass. : Cour, de cassation ; Pas. : Pasicrisie.
Vol. 111, n 6, mars 1958.
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caus le dommage, une prsomption de faute ; c'tait d'ailleurs la position de l'arrt.
Dans cette interprtation, il tait logique de n'appliquer la thorie qu'au gardien de la chose soumise la ncessit d'une garde en raison des dangers qu'elle peut faire courir autrui . (Civ., 21 fvrier 1927, D., 1927, I, 97).
On discutait si, dans le cas o la chose tait actionne par l'homme, il n'y avait pas heu de recourir non pas l'article 1384, alina 1 er, mais uniquement aux articles 1382 et 1383.
On essayait de dfinir de quelles choses il tait question dans l'ar-ticle 1384 ; valait-il pour les choses immobilires, pour les choses inertes, etc. . . . ne fallait-il pas limiter aux choses infectes d'un vice ?
Qu'entendre par le fait de la chose ? par gardien ? L'arrt des Chambres runies de la Cour de cassation du 13 fvrier
1930 (D.P., 1930, 1 /57) 3 mit fin plusieurs controverses. . Il s'agissait de la rparation d'un accident dont avait t victime une enfant renver-se et blesse par un vhicule automobile. .
L'arrt s'exprime ainsi :
ATTENDU QUE, la prsomption de responsabilit tablie par l'article 1384, alina 1 er du Code civil l'encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanime qui a caus un dommage autrui, ne peut tre dtruite que par la preuve d'un cas fortuit ou de force majeure ou d'une cause trangre qui ne lui soit pas imputable ; qu'il ne suffit pas de prouver qu'il n'a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est demeure inconnue ;
ATTENDU QUE, le 22 avril 1925, un camion automobile a renvers et bless la mineure Lise Jand'Heur ,
Que l'arrt attaqu a refus d'appliquer le texte susvis par le motif que l'accident caus par une. automobile en mouvement, sous l'impulsion et la direction de l'homme, ne constituait pas, alors qu'aucune preuve n'existe qu'il soit d un vice propre de la voiture, le fait de la chose que l'on a sous sa garde, dans les termes de l'article 1384. paragraphe premier, et que, ds lors, la victime tait tenue, pour obtenir rparation du prjudice, d'tablir la charge du conducteur, une faute qui lui fut imputable ;
Mais attendu que la loi, pour l'application de la prsomption qu'elle dict, ne distingue pas, suivant que la chose qui a caus le dommage tait ou non actionne par la main de l'homme ; qu'il n'est pas ncessaire qu'elle ait un vice inhrent sa nature et susceptible de causer le dommage, l'article 1384 rattachant la responsabilit la garde de la chose, non la chose elle-mme ;
D'o il suit qu'en statuant comme il l'a fait, l'arrt attaqu a inter-verti l'ordre lgal de la preuve et viol le texte de la loi susvis ;
L'arrt, on le rmarquera, substitue l'expression prsomption de faute, l'expression prsomption de responsabilit . Il spcifie que la pr-
3. Nous ne citons dans notre expos qu'une partie de la jurisprudence franaise, extrmement nombreuse : les dcisions qui nous ont paru caractristiques, et, certaines dcisions rcentes non encore mentionnes dans les ouvrages de doctrine.
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somption de responsabilit qui pse sur le gardien ne peut tre renverse que par le cas fortuit, la force majeure ou la cause trangre ; il s'ensuit qu'il ne suffit pas au gardien de prouver qu'il n'est pas en faute ou que la cause de l'accident est inconnue.
L'article 1384, alina 1 er, exclut toute distinction suivant que la chose est ou n'est pas actionne par l'homme et est ou non affecte d'un vice.
Quel fondement attribuer cette responsabilit prsume? Saleilles et Josserand avaient vu dans la thorie qui s'laborait
coup d'arrts de Cassation, un ralliement la thorie du risque et M. Ren Savatier est demeur fidle cette solution : l'usage de la'chose assurant un profit mais en mme temps crant le risque ferait natre la responsabilit.
_ M. Esmein, au tome vi du Trait de Planiol et Ripert (d. 1952, n 625) attribue galement un rle important la thorie du risque, dans la formation du systme jurisprudentiel, tout en admettant que la juris-prudence mise en quelque sorte sur deux tableaux : risque et faute.
Mais il semble bien que la Cour de cassation de France n'a point abandonn la justification par l'ide de faut, de faute dans la garde.
Le gardien qui a matrise sur la chose est tenu de ne pas laisser cette chose chapper sa matrise et causer un dommage ; il est responsable s'il n'excute pas cette obligation qui est une obligation de rsultat (voyez notamment MAZEAUD, Leons de droit civil, t. n , 1956, n 539 ;. RIPERT et BOULANGER, Trait lmentaire de droit civil, t. n , 1949, n 1051).
Le maintien de l'ide de faute est notamment mis en relief par le refus de la Cour d'appliquer la prsomption de responsabilit un dment (Civ., 28 avril 1947, D., 1947, 329).
Il arrivera que deux rgimes de responsabilit pseront sur le gar-dien :
la responsabilit fonde sur les articles 1382 et 1383, lors que l'on peut prouver sa charge une erreur de conduite, ngligence ou imprudence ;
la responsabilit fonde sur l'article 1384, alina 1 er, lorsqu'il n'a pas empch la chose sous sa garde de causer dommage.
Ces deux rgimes sont d'ailleurs autonomes. Ainsi l'autorit de chose juge de la dcision acquittant le conducteur d'un vhicule pour-suivi pour un dlit pnal d'homicide ou de coups et blessures, ne mettra pas obstacle ce qu'il soit par la suite condamn du fait de la faute dans la garde ; de mme, la prescription de l'action civile fonde sur le dlit laisse intact le droit de la victime d'aghven rparation sur base de l'article 1384, alina 1 er (Voy. Civ., 22 janvier 1940, S., 1940, I , 19 ; Civ., 5 mai 1941, S., 1941, I, 107).
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L'amlioration de la position de la victime par rapport celle qui lui tait faite au xiv e sicle est considrable puisqu'il lui suffira gnrale-ment, usant de l'article 1384, alina 1 er d'tablir un dommage dont la chose a t l'instrument pour recevoir indemnisation.
On a vu supra que l'arrt des Chambres runies du 13 fvrier 1930 avait compris trs largement.la notion de choses du fait desquelles le gardien rpond.
L'arrt et toute la jurisprudence ultrieure ont appliqu la notion toutes choses mobilires, fussent-elles inertes et toutes choses immo-bilires.
Un arrt rcent de la chambre civile vient encore d'admettre la faute dans la garde charge de l'exploitant d'une carrire dont un bloc de roche, se dtachant par suite des travaux avait caus dommage aux installations d'une socit d'lectricit (Civ., 4 juillet 1957, J.C.P., 1957, IV, 12).
Il y a cependant une double exception que les textes lgaux ne per-mettent pas de refouler.
L'article 1386 ne permet d'agir en cas de ruine totale ou partielle d'un btiment, c'est--dire de la chute totale ou partielle d'un btiment, que contre le propritaire de celui-ci, et la condition de prouver que la ruine est due un dfaut d'entretien ou un vice de construction.
La jurisprudence franaise, aprs avoir l'origine, tent de tirer profit de cette disposition en en largissant le champ d'application a re-nonc pareil largissement, en raison des termes restrictifs et prcis de l'article 1386.
Mais, elle a bien d reconnatre, par contre, qu'elle ne pouvait, pour rendre plus aise l'action de la victime de la chute totale ou partielle, lui permettre de recourir l'article 1384, alina 1 er.
L'article 1386 demeurera dans l'hypothse vise la.seule arme du prjudici contre le propritaire.
La victime pourra agir sur base de l'article 1384, alina 1 er, si elle se tourne contre le gardien autre que le propritaire (MAZEAUD, Leons de droit civil, t. n, n 551).
L seconde drogation a t introduite par la loi du 7 novembre 1922. Les assureurs incendie en prsence des progrs que faisait la thorie
de la responsabilit du fait des choses inanimes, ont provoqu une in-tervention du lgislateur.
La loi du 7 novembre 1922 qui est gnralement dsapprouve par la doctrine dispose que :
. . . celui qui dtient un titre quelconque, tout ou partie de l'immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance, ne sera respon-
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sable, vis--vis des tiers, des dommages causs par cet incendie que s'il est prouv qu'il doit tre attribu sa faute ou la faute des personnes dont il est responsable.
Oh en revient donc ici au rgime des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Sous ces deux restrictions, les cours et tribunaux ont appliqu la responsabilit fonde sur l'article 1384, alina 1 er au fait des choses les plus diverses : falaises, carrires, locomotives, camions, voitures de matre, charettes bras, fusils, carabines, ballons-de football, cannes de golf, bouteilles d'air liquide, siphon d'eau gazeuse, aiguilles mdicales, produits aux manations nocives (Civ., 5 juin 1957, J.C.P.,1957, IV, 106) et la liste ne cesse pas de s'allonger.
* * i '.
Mais qui doit-on tenir pour responsable dn fait de la chose? On eut pu songer, se fondant sur la thorie du risque, prendre le
profit comme critre : et t responsable celui qui profite de la chose,, qui en fait usage pour son compte.
Mais la Cour de cassation de France a, ce point de vue galement, vit toute adhsion ou apparence d'adhsion la thorie du risque.
La Cour ne s'est pas base davantage sur l'ide de garde matrielle qui et fait du prpos conduisant la voiture du ihatre. rserve faite du cas de faute au sens des articles 1382 et 1383, prouve sa charge et engageant le commettant le responsable du fait de la chose, un res-ponsable souvent insolvable.
Un arrt de la Chambre civile du 3 mars 1936 (D., 1936, I, 81 ) avait attach la responsabilit la gard juridique, au droit de direction . Une auto avait t vole et le voleur avait provoqu un accident mortel.
La Cour estima, cassant un arrt de Nancy, que le responsable tait le vol lequel avait lgalement conserv la garde.
La Cour de Besancon, juridiction de renwoi, refusa-de s'incliner devant la solution de la Cour de cassation et l'affaire revint donc devant la Cour de cassation, Chambres runies.
L'arrt ds Chambres runies du 2 dcembre 1941 (D.C, 1942, J. 25 ; S., 1941, I, 217) dsavoua la Chambre civile :.il rsultait "des consta-tations de l'arrt attaqu que le vol n'avait plus l'usage, la direction et le contrle.du vhicule drob ;,il n'en avait donc plus la garde et ne rpondait plus du fait de la voiture.
Cette jurisprudence fut,maintenue par la suite par la Cour suprme (voyez notamment Req., 4 novembre 1946, D., 1947, J. 41), et suivie par les cours d'Appel.
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Le critre est ainsi, l'usage, la direction et le contrle de la chose, instrument du dommage. Le responsable disent MM. Mazeaud, sous une autre formule, est celui qui a la direction intellectuelle, le pouvoir de commandement.
En principe la qualit de gardien et celle de propritaire concide-ront. Mais il arrivera nanmoins/assez frquemment qu'il y ait trans-fert conventionnel de la garde, au profit d'un emprunteur, d'un locataire, d 'un dpositaire, d'un usufruitier, etc. . . .
Le recours au critre adopt a laiss place de nombreuses difficults d'apprciation en fait : par exemple, si le propritaire d'une auto a laiss le volant l'un de ses amis,, tout en s'installant ses cts (on a considr en ce cas que le propritaire conserve la garde) ou bien si le propritaire confie sa voiture pour rparation un garagiste et se livre des essais en compagnie du garagiste, etc. . . .
La garde, venons-nous de dire, sera transfre au voleur ou l'usur-pateur, qui ont encore qu'illgalement l'usage, la direction et le contrle.
Le prpos, conducteur de l'auto, n'a pas la garde puisqu'il n'use de la chose que pour compte du matre et que celui-ci conserve le pouvoir de direction et de contrle ; mais il sera responsable sur base de l'article 1384, alina 1 er, s'il emprunte la voiture au matre et s'en.sert librement (Civ., 6 juin 1952, G.P., 1952, I I , 183), ou s'il la dtourne son profit fut-ce temporairement (Civ., 17 avril 1947, G.P., 1947, I, 252).4
Normalement, quand une chose a t remise par le propritaire un transporteur, le transporteur aura qualit de gardien : il use de la chose suivant sa profession et a la direction et le contrle et par l le moyen d'empcher la chose de nuire.
Mais, il n'en sera pas toujours ainsi. Deux arrts de la chambre commerciale du 30 juin 1953 (J.C.P.,
1953, I I , 7825) et de la deuxime chambre civile du 5 janvier 1956 (J.C.P., 1956, I I , 9.095, note Savatier) admettent ce qu'on pourrait appe-ler une scission dans la garde ; dans les deux cas le propritaire avait \ confi au transporteur des objets particulirement dangereux (des bon-bonnes contenant du gaz comprim) et lors du dchargement une explo-sion s'tait produite due au bris d'un des rcipients.
La Cour dcida que le transporteur ne devait pas tre trait en gar-dien responsable d'une faute dans la garde.
Le propritaire, dit l'arrt de 1956 n'et cess d'tre responsable comme gardien que s'il tait tabli que celui qui il avait confi la chose
4. Il faut remarquer cependant que si une faute est tablie charge du prpos, autre que la faute dans la garde, et que cette faute est commise dans les fonctions aux-quelles il a employ le prpos, le commettant sera responsable en vertu de l'article 1384, 3 ; or la jurisprudence interprte trs largement les termes dans les fonctions .
Il peut se faire que le prpos qui a emprunt ou dtourn la voiture agisse nan-moins ( dans ses fonctions .
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avait reu corrlativement toutes possibilits de prvenir lui-mme le prjudice qu'elle peut causer.
La simple dtention matrielle en mains du transporteur ne suffisait pas.
Le juge du fond n'et pas d pour conclure la qualit de gardien du transporteur se fonder sur cette simple dtention.
Il et d rechercher la lumire des faits de la cause et compte tenu de l nature particulire des rcipients transports, ainsi que de leur conditionnement, si le dtenteur auquel la garde aurait t transfre, avait l'usage de l'objet dommageable, et le pouvoir d'en contrler et surveiller tous les lments
* * *
Pour que le gardien soit tenu rparation, il faut que le dommage soit d au fait de la chose.
Ce fait de la chose qui cause le dommage, c'est simplement son inter-vention dans la ralisation du dommage et aux yeux des cours et tribu-naux franais, le contact gnrateur du dommage peut tre reproch mme au gardien d'une chose inerte : par exemple d'une auto l 'arrt contre laquelle un cycliste vient se heurter.
Bien plus la Cour de cassation a fait supporter la responsabilit au gardien-sur base de l'article-1384, alina 1 er, alors mme qu'il n 'y avait pas de contact ; ainsi, un arrt de la chambre civile du 22 janvier 1940 (S., 1940, 1, 19) fait peser la prsomption de l'article 1384, alina 1 er, sur un automobiliste qui, en se dplaant brusquement sur la route coupe le passage un cycliste, lequel tombe et est mortellement bless ; un autre arrt de la mme date (reproduit eodem loco) applique la prsomp-tion de responsabilit, au profit d'un passant renvers par un moto-cycliste, contre l'automobiliste qui par un virage brusque a forc la moto-cycliste faire une embarde la suite de laquellle passant a t bless ; l'accident est jug imputable une faute dans la garde de l 'auto (voyez aussi Civ., 8 mars 1956, D., 1956, 349).
Pour chapper la prsomption, le gardien pourra invoquer que la chose n'a eu qu'un rle purement passif, ce qui parait revenir dans la pratique tablir que le dommage est d une cause trangre : force majeure ou cas fortuit, fait d'un tiers et, trs souvent, fait de la victime. La force majeure, le cas fortuit ou le fait d'un tiers n'exonreront le gar-dien que s'ils sont vnements imprvisibles et irrsistibles.
La faute de la victime n'exonrera compltement le gardien que sous la mme condition qu'elle n'ait pu tre prvue, ni ses consquences vites (voyez notamment Civ., 28 avril 1942, G. P., 1942, l l , 4 3 e t C i v . , 20 fvrier 1957, D., 1957, Somm. 98).
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162 LES CAHIERS DE DROIT
Quand la faute de la victime a contribu faire natre l'accident, il y aura lieu partage de responsabilit, lorsque les circonstances releves par le juge du fond ne permettent pas d'exonrer le gardien : il y a con-cours de la faute prsume du gardien,et de la faute prouve de la victime.
Quelle solution adopter en cas de collision de deux vhicules? Les auteurs et la jurisprudence ont hsit ce propos et en sont
venus pour en venir faire jouer les deux prsomptions de responsabilit. Le 20 mars 1833, la Chambre civile de la Cour de cassation (D.P.,
1933, I, 57)dcidait qu'en cas de collision entre une bicyclette et une automobile, le juge du fond ne pouvait neutraliser les prsomptions
- l'une par l'autre, et dbouter les deux parties demanderesses ; le gardien de l'automobile tait prsum responsable, sauf preuve de la cause tran-gre, du dommage caus au cycliste, et celui-ci prsum responsable, sauf la mme preuve du dommage caus l'automobiliste.
La solution a t maintenue par laisuite en dpit de quelques criti-ques doctrinales.
Certaines personnes ne sont pas admises M prvaloir contre le gardien de la prsomption de responsabilit.
Il s'agit particulirement des personnes qui le gardien a concd l'usage gracieux de la chose sous garde. L'exclusion s'applique notam-ment aux bnficiaires d'un transport gratuit.
La jurisprudence depuis un arrt de la Chambre civile du 27 mars 1928 (D.P., 1928, 1,145) impose aux transports titre gratuit la charge de prouver la faute du conducteur du vhicule.
La mme charge pse sur le conjoint ou les enfants de la victime, transport titre gratuit, agissant en rparation de leurs dommages personnels.
Les justifications donnes d'ordinaire ces exclusions sont que le bnficiaire du transport gratuit a accept le risque drivant du fait de la chose ou encore que par sa.participa tion l'usage, il a en quelque sorte neutralis la prsomption de responsabilit, elles ont t juges insuffi-santes pai plusieurs auteurs ; mais la Cour de cassation a affirm nou-veau tout rcemment, diverses reprises la non-application de l'article 1384, alina 1 er, dans le cas vis (Civ., 16 nov. 1956, D., 1957,180 ; Civ., 12 dcembre 1956, D., 1957, 73 ; Civ., 9 janvier 1957, D., '1957, 196).
C'est dans le chef du gardien que doit s'apprcier le caractre gra-tuit de l'usage concd au bnficiaire ; mais quand peut-on dire que le transport est gratuit ou accord titre gracieux, ou, en d'autres termes, que le transport est sans profit pour le gardien ?
L'arrt cit du 16 novembre 1956 apporte une prcision.-
L E S C A H I E R S DE D R O I T , Qubec.
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Un amant cherchant avec sa matresse un htel en vue de l'entre-tien de relations adultres fait manuvre malhabile dans la conduite de sa voiture la suite de laquelle la femme est tue ; le juge du fond, en raison de certaines circonstances, refuse de considrer la manuvre comme une faute.
Mais le conjoint et l'enfant de la victume se fondaient galement sur l'article 1384, alina 1 er.
Le juge du fond considre qu'en facilitant par le transport la rali-sation des relations adultres, l'amant ne s'assurait pas un profit qui eut enlev au transport son caractre gracieux ; le transport demeu-rait gratuit ; la prsomption de responsabilit ne s'appliquait donc pas.
L'arrt du 16 novembre 1956 approuve cette solution et parat con-sidrer que la prsomption de l'article 1384 alina 1 er n'est pas susceptible d'tre applique ds que celui qui procure l'usage n'en retire pas un profit patrimonial.
La prsomption de responsabilit de l'article 1384, alina 1 er, ne pourra pas davantage tre invoque dans l'hypothse ou victime et gar-dien sont lis entre eux par contrat ; elle ne joue qu'en matire dlictuel-le ; ce qui revient dire qu'entre transporteur rmunr par un prix et personne transporte, la prsomption, ne pourra pas davantage tre in-voque.
Entre le prpos du gardien fut-il le conducteur et le gardien, la prsomption de l'article 1384, alina 1 er, vaudrait en principe ; mais au prpos qui l'actionne en justice, le gardien serait souvent en mesure d'opposer la faute que le dit prpos aurait lui-mme commise.
La question est devenue d'ailleurs peu prs sans intrt, en raison de l'extension du domaine de la lgislation sur les accidents d travail, qui rgira presque toujours les relations du prpos et de son employeur.
* *
C'est dans l'arrt du 26 mai 1904 (Pas., 1904, I, 246) que, comme on l'a dit, supra, la Cour de cassation de Belgique attache pour la premire fois un intrt particulier l'article 1384, alina 1 er.
Dans sea. conclusions prcdant l'arrt, l'avocat gnral Edmond Janssens avait rapproch cette disposition des autres dispositions du mme article, ainsi que des articles 1385 et 1386.
Le terme fait dans l'article 1384, alina 1 er ne peut avoir deux sens,-suivant qu'il s'agit du fait des personnes ou du fait des choses , il est pris sous la signification de faute : faute de la personne dont on rpond, faute de la chose que l'on a sous sa garde..
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Or, pour la chose, la faute ne peut consister que dans le vice. L'avo-cat gnral en dduisait, transposant les principes admis l'gard des responsables du fait, d'autrui, que le demandeur en rparation devait tablir seulement contre le gardien, le vice de la chose, le dommage et la relation de causalit entre le vice et le dommage. -
La Cour se rangea cette manire de voir et n'a point cess depuis 1904 d'exiger ces trois conditions et de s'en satisfaire .
La notion de faute objective ne rpondait pas cependant aux concep-tions de notre droit et, dans un important arrt d 25 mars 1943 (Pas., 1943, I, I II) la Gur apporta un amendement ; elle nona que le fondement de la responsabilit tait la faute du gardien : cette faute tant le fait d'avoir sous sa garde une chose infecte d'un vice. Par ce dtour, on en revenait l'ide d'une faute subjective, encore que la dite faute fut bien tnue. Il n'est point ncessaire prcisera l'arrt du 22 octobre 1954 (Pas., 1955, I, 149) que le vice soit imputable au fait du gardien.'
Il ne s'agit pas notre avis, encore qu'un arrt du 12 juillet 1945 (Pas.,.1945. T, 202) ait employ l'expression d'une prsomption de faute, laquelle pourrait tre renverse par la preuve de l'absence de faute, mais d'une faute.
La faute prvue par l'article 1384, alina 1 er ne se confond pas avec l faute des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Mme si le juge du fond constate que le gardien n'a commis aucune erreur de conduite , aucune imprudence ou ngligence, le gardien et-il t acquitt d'une infraction pnale, telle que celle de coups et blessures par imprudence, une condamnation rparation peut tre pro-nonce sur base de l'article 1884, alina 1 er.
L'action fonde sur l'article 1384, alina 1 er, est indpendante de l'action aquilienne des articles 1382 et 1383 : la cause est diffrente (Cass., 19 octobre 1911, Pas., 1911, 1, 518 ; Cass., 25 mars 1920, Pas., 1921, I, 110 ; Cass., 19 octobre 1939, Pas., 1939, I, 430 ; Cass., 22 octobre 1954, cit ) ce n'est point dire qu'il ne peut y avoir coexistence des deux actions ; on pourra relever cha.ge du gardien, en mme temps qu'une obligation fonde sur une imprudence, une ngligence, une obli-gation trouvant sa source dans la possession de la chose vicieuse.
Dans les premiers temps du dveloppement de la construction jurisprudentielle belge; on avait li le problme de l'interprtation de l'article 1384, alina 1 er, celui de l'interprtation de l'article 1386, rendant le propritaire d'un btiment responsable du dommage caus par sa ruine, quand elle est due un dfaut d'entretien ou un vice de construction ; la suite des discussions sur la porte des deux textes, on a abouti comme en France une application restrictive, et autonome
L E S C A H I E R S DE DROIT, Qubec.
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LA RESPONSABILIT DU FAIT DES CHOSES INANIMES . . . 1 65
de l'article 1386 : il joue, charge du propritaire, celui-ci ne ft-il pas le gardien, pour le cas spcial o la ruine totale ou partielle d'un bti-ment ; les arrts qui fondent leur solution sur le fait de la garde d'une chose vicieuse le font sous rserve de l'hypothse particulire vise par ce dernier article (Cass., 24 mai 1945, Pass., 1945, I, 1.72 ; Cass., 22 octo-bre 1954, cit).
* * *
quelles choses s'applique la rgle de l'article 1384, alina 1 er? L'arrt du 26 mai 1904 avait nonc la thorie propos de choses
mobilires. La question se posa de savoir si elle rgissait aussi les rapports des
tiers avec le gardien de choses immobilires. La Cour de cassation rpondit affirmativement ds l'origine, et les dcisions rendues au cours de ces dernires annes sont presque toutes intervenues l'occasion de dommages causs par des immeubles.
L'arrt du 25 mars 1943 statue l'gard du gardien d'une canalisa-tion d'eau qui s'tait rompue la suite du vice d'un tuyau et avait t ainsi la cause d'une inondation.
L'arrt du 24 mai 1945 admet la responsabilit du gardien d'un ar-bre, dont une branche, vermoulue, avait par sa chute, bless un tiers.
L'arrt du 12 juillet 1945 maintient la condamnation de la Socit nationale des chemins de fer vicinaux, ensuite d'un accident provoqu par le mauvais amnagement d'un passage niveau et l'clairage dfec-
t u e u x d'une station. L'arrt du 22 octobre 1954 va plus loin encore et rejette le pourvoi
du propritaire gardien de la crte d'une colline qui s'tait boule et avait, en s'boulant enseveli partiellement une maison et caus des l-sions corporelles aux habitants ; l 'arrt relve qu'en l'espce, le vice de la colline avait t provoqu par le fait antrieur de l'homme, la pente ayant t coupe par des travaux de creusement ; mais la Cour fait ob-server qu'au point de vue de l'application de l'article 1384, alina 1 er, il importe peu que la chose soit un immeuble par incorporation ou par destination ou un immeuble par nature ; le sol peut tre infect d'un vice, c'est--dire d'une disposition de nature causer dommage aux tiers, particulirement lorsque un fait antrieur de l'homme est intervenu pour crer cette disposition.
Du terme particulirement employ par la Cour suprme, il se dduit que la situation ne serait pas diffrente si la disposition de nature causer dommage avait une autre origine.
L'article 1384, alina 1 er, s'applique-t-il aux choses actionnes par l 'homme? D'ordinaire, les cours et tribunaux fondent la responsabilit
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166 LES CAHIERS DE DROIT .
du dfendeur, qui actionnait la chose, sur sa faute personnelle, au sens des articles 1382 et 1383, et lorsqu'il s'agit d'un accident de la circulation sur une violation du rglement de roulage, que l'intensit des transports a rendu extrmement complexe.
Quand le gardien de la chose s'en sert alors qu'elle est vicieuse, la faute qu'il commet en s'en servant couvre la faute qui consiste la possder.
Mais il se conoit aussi que sa mise en cause se fonde sur l'article 1384, alina 1*" ; c'est pareille hypothse que se rapporte l 'arrt de la Cour de cassation du 21 dcembre 1956 (Pas., 1957, I, 424) relatif une action dirige contre un exploitant d'autobus dont le vhicule, la suite de la rupture d'un essieu mal agenc, avait bless un passant.
' *
L'arrt du 25 mars 1943, auquel il a dj t fait plusieurs fois allu-sion donne une dfinition du gardien.
A la garde de la chose, au sens de l'article 1384, alina 1 er, celui qui, pour son propre compte use de la chose, en jouit et la conserve, avec pouvoir de surveillance, de direction et de contrle.
C'est en somme la mme notion que celle qui est adopte par la juris-prudence franaise e t son application a rencontr e t rencontrera encore les mmes difficults auxquelles celle-ci se heurte.
La Cour, constate que les qualits de propritaire et de gardien con-cident souvent, mais elles se dissocient en cas de transfert de la garde par le propritaire un tiers ; bien qu'elle n'envisage pas expressment cette hypothse, il n'est pas douteux qu'il y a pareillement transfert lorsqu'un tiers usurpe la garde : tel est notamment le cas du voleur.
L'arrt considre que plusieurs personnes peuvent avoir la fois chacune pour son compte, la garde de la chose infecte d'un vice : elles seront responsables, chacune pour le tout, si un dommage est provoqu par ce vice.
Un arrt du 2 mai 1946 (Pas., 1946, I I , 168) insiste nouveau sur la distinction, entre propritaire et gardien,
Le juge du fond avait condamn une administration publique in-demniser la victime d'un accident d au mauvaise ta t d'un trottoir, pour la raison qu'elle en tait propritaire ; la Cour de cassation casse l 'arrt de condamnation pour le motif que la responsabilit fonde sur l'article 1384 pse, non pas sur le propritaire comme celle fonde sur l'article 1386, mais sur le gardien.
* LES. CARTERS DE DROIT, Qubec.
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C'est l'exigence par la jurisprudence belge de l'existence d'un vice de la chose, vice gnrateur du dommage qui spare essentiellement la jurisprudence belge de la jurisprudence franaise.
L'obligation de rparer ne s'appuie pas sur la proprit de la chose dommageable (Cass., 21 dcembre .1956, Pas., 1957, I, 427) ni mme sur la garde d'une chose dommageable, elle ne nat que si le dommage pro-vient du vice de la chose sous garde.
Le vice s'identifia l'origine avec le dfaut d'un lment intrinsque de la chose, mais la jurisprudence largit le sens du terme et, ds 1920, considra comme un vice le fait du mauvais placement de la chose (Cass., 25 mars 1920, Pi.3., 1921. 1,110) ; il s'agissait d'un cble gisant sur le sol, charg d'lectricit.
L'arrt du 22 octobre 1954 emploie une formule extrmement souple en constatant pour justifier la condamnation du gardien d'un immeuble par nature que pareil immeuble peut tout aussi bien que les immeubles par incorporation ou par destination
prsenter une disposition de nature causer dommage aux tiers .
Le fait que la chose a subi elle-mme un dommage avant d'en causer un aux tiers ne la rend pas vicieuse.
La rupture d'une canalisation proviendra souvent d'un vice. Mais ce n'est pas parce qu'un tuyau est rompu qu'il est vicieux .
Le fait que des marchandises ou le tablier d'un camion ont pris feu n'implique pas que les marchandises ou le camion sont vicieux.
Le propritaire des marchandises voisines incendies par communi-cation des flammes ou de la route abme lors du passage du camion, ne peut se prvaloir de l'article 1384, alina 1 er, contre le gardien des mar-chandises o le feu a pris, ou du camion (Cass., 26 mai 1904, et 11 fvrier 1937 cits).
Le fait qu'un cble s'est rompu entranant la chute d'un contre-poids n'implique pas ncessairement le vice du cble.
C'est au demandeur en rparation tablir le vice, comme aussi d'ailleurs la relation de causalit entre vice et dommage ; la relation causale sera gnralement assez aise dmontrer.
La preuve pourra souvent, du reste, tre faite par voie d'limination, et l 'arrt du 25 mars 1943 a admis que le juge du fond avait pu justifier l'existence du vice par le motif que l'accident
n'aurait pas t possible si la chose n'avait pas t infecte d'un vice .
Il n'incombe mme pas, dans de pareilles conditions au juge du fond de spcifier quel tait le vice.
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Les faits exonratoires de la responsabilit du gardien, une fois la preuve faite par le demandeur en rparation du vice de la chose et de l relation de causalit avec le dommage sont le cas fortuit, en celui-ci tant compris le fait d'un tiers, la force majeure, le fait de la victime.
Ici encore la solution se rappoche sensiblement de celle de la juris-prudence franaise.
En ralit, faire la preuve du cas fortuit, de la force majeure ou du fait de la victime, c'est dtruire l'apparence d'une relation causale entre vice et dommage : la vritable cause n'est pas le vice, c'est l'vnement extrieur.
Dans l'arrt du 22 octobre 1954, l'arrt relatif l'boulement de la crte d'une colline, la Cour, on s'en souviendra, admet la condamnation du gardien, bien qu'il y ait eu fait d'un tiers.
Mais le fait d'un tiers, coupant la pente de la colline n'avait pas caus le dommage : il avait caus le vice et le gardien tait en faute d'avoir possd la terre ainsi infecte du vice cr par l'homme.
Dans un arrt du 4 avril 1952 (Journ. Trib., 1953, 377) la Cour de Lige refuse de contraindre rparation le gardien d'un rocher de 7,000 tonnes qui s'tait effondr, causant dommage aux proprits voisines.
La Cour se fonda sur le caractre imprvisible et irrsistible de la chute qu'aucune force humaine n'aurait pu empcher.
Le gardien ne pouvait exercer utilement son pouvoir thorique de direction et de contrle.
L'arrt ne contredisait pas l'avance la dcision qu'allait prendre la Cour de cassation, le 22 octobre 19.54 ; en effet, dans l'affaire de la crte de colline , la question de savoir si l'boulement tait imprvisi-ble et invitable ne fut pas pose.
L'ignorance invincible dans le chef du gardien de l'existence du vice ne peut-elle tre invoque pour l'exonrer?
U n'est point douteux que l'ignorance du vice en elle-mme n'exo-nre pas le gardien ; mais quid s'il lui tait impossible de connatre celui-ci, fut-ce en usant de la diligence la plus attentive ?
L'opinion demeure divise cet gard. U semble rsulter toutefois de l'arrt de cassation du 24 mai 1945
(Pas., I, 172) que dans la pense de la Cour suprme, l'ignorance invinci-ble du vice ne dgage pas le gardien. La Cour.dcide en effet qu'il im-porte peu pour l'application de l'article 1384, alina 1 er, que le vice soit apparent ou cach, connu ou ignor du gardien.
La formule parat absolue et exclusive de toute distinction.
* * * L E S CAHIERS DE D R O I T , Qubec.
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Au terme de cet examen comparatif, on constatera que les deux jurisprudences franaise et belge sont arrives des rsultats bien diff-rents, et ce malgr l'influence incontestable que la production doctrinale franaise exerce en Belgique.
La jurisprudence franaise assure aux victimes une protection plus certaine ; les victimes que l'on voulait protger, c'taient l'origine les accidents du travail ; mais des lois spciales ayant fix leur s tatut alors que la Cour de cassation de France venait peine de consacrer la res-ponsabilit du fait de la chose, ce fut en faveur des victimes des accidents de la circulation que le systme juridique qui a t expos, reut son d-veloppement.
Il est notoire que la Cour de cassation de France fut influence par le fait que dans bon nombre de cas le gardien, automobiliste, tait assur.
L'on peut se demander toutefois si la protection des victimes, qui les cours et tribunaux franais rservrent leur sympathie ne s'exara pas assez souvent, au dtriment de l'quit.
Le fondement de la prsomption de responsabilit est bien tnu.
D'autre part l o on recherche le fait de la chose on trouve trs souvent une erreur de conduite, une imprudence ou un ngligence prci-ses de l'homme et dans ces cas la thorie de la responsabilit du gardien apparat assez artificielle.
On remarque durant ces dernires annes un certain recul de la juris-prudence dans l'admission de la prsomption de responsabilit. -
Les cours et tribunaux franais sont moins enclins admettre la relation de causalit et davantage disposs conclure au rle passif de la chose.
La jurisprudence belge a bti plus timidement une construction assez bien tanonne, mais dont les dimensions sont plus rduites.
Elle n'en fait gure bnficier les victimes d'accidents d'automobiles, qui trouvent leur protection uniquement, sauf dans des cas exceptionnels, dans les rgles des articles 1382 et 1383 compltes par une lgislation rigoureuse du roulage : la responsabilit base sur le vice de la chose ne reoit application que dans des hypothses relativement rares et est en quelque sorte une ultima ratio.
La Cour de cassation ne semble pas vouloir aller plus loin ; elle ne manifeste pas de tendance se lancer dans la grande aventure de la responsabilit du fait de la chose l 'instar de la jurisprudence franaise.
Lorsque, voici quelques annes, la commission belgo-nerlando-luxembourgeoise entreprit l'tablissement d'une lgislation uniforme en matire de responsabilit automobile et d'assurance obligatoire de cette responsabilit, on parvint tablir un avant-projet sur l'assurance obli-
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ga to i re avan t -p ro je t d o n t es t issu la loi belge d u 1 er juil let 1956, r e n d a n t obligatoire l ' assurance de la responsabil i t automobile .
Ma i s , en ce qui concerne les pr incipes de la responsabil i t .des au to -mobil is tes chacun des t rois p ays res ta sur ses posi t ions e t aucune en t en t e n e fut possible : le g rand-duch de Luxembourg s ' ta i t fait sans succs dfenseur des solutions franaises que sa ju r i sprudence a suivies.
Aussi bien d ans une cons t ruct ion que d a n s l ' au t re , il r es te encore un large c h a m p l ' in terpr ta t ion : r appelons le r emous rcent de la jur is-p rudence franaise p ropos de la dissociation de la ga rde en t re propri-ta i re e t t r anspor t eu r de p rodui t s dangereux e t la controverse qui subsiste en Belgique en ce qui concerne l'effet exonratoire de l ' ignorance invin-cible d u v ice.
Les fervents d u d ro i t compar ne p e u v e n t qu ' p rouver quelque d -cept ion voir le sor t diffrent que deux p a y s inspirs des mmes t radi -t ions jur idiques o n t fai t u n m m e t ex te , a lors qu ' i ls se t rouva ien t en face de besoins ident iques .
R e n P I R E T ,
professeur la Facult de droit de Louvain, conseiller la Cour de cassation de Belgique.
Bibliographie s o m m a i r e Droit franais :
Trait de droit civil franais, par PLANIOL et RIPERT. Tome vi, 1952, p . 853 885. Esmein.
Leons de droit civil, par MAZEAUD, H. L., et J. 1956, p . 443 510. Cours de droit civil franais, par BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIRE; . Tome ix
bis, 1952, p . 123 191. Ren Rodire. Trait de droit civil, par RIPERT et BOULANGER. d. 1957, tome n, p . 390 417,
"' n 1028 1087. Cours lmentaire de droit civil, par COLIN, CAPITANT et JULLIOT DE LA MORAN-
DIRE. d. 1948, tome n, p. 264 278. Trait de la responsabilit civile, par SAVATIER, R. Tome i, 1951, p . 421 511. Trait de la responsabilit civile, par MAZEAUD, H. et L. 4 e dition, 1949, tome n
n 1138 1367, p . 89 306. Une cinquime dition par MM. H. et L. MAZEAUD et A. TUNC est en cours
de publication ; le premier volume a paru.
Droit belge :
Trait de droit civil belge, par D E PAGE, H. Tome u, p. 955 968 et Complments tome ii, p. 279 290.
Prcis de droit civil belge, par DEKKERS, R. 1955, tome n, p . 151 157. . On ne peut citer ici les tudes qui ont t consacres la matire, notamment
sous la forme de notes d'observations, leur simple enumeration prendrait de nom-breuses pages de cette Revue.
LES CAHIERS DE DROIT, Qubec.